U NIVERSITE L IBRE DE B RUXELLES F ACULTE DE P
HILOSOPHIE ET L ETTRES
F EMINISME, GENRE ET
D EVELOPPEMENT EN A MERIQUE
LATINE
LE TRAVAIL DE NOVIB
|
Mémoire présenté par Zoé Maus dans le
cadre du DEA Pluridisciplinaire
Sous la direction de Madame Bérengere Marques-Pereira
Chercher à rendre visible ce qui est là
devant nos yeux, mais que, pour des raisons multiples certains ont
désappris à voir, certains ne veulent pas voir ou
s'évertuent à cacher. Rendre visibles les fragments de possible
saisis dans l'entre-deux luttes. Rendre visible c'est traquer les violences des
rives, créer des points de rupture, des bifurcations, c'est poser la
question du devenir, poser la question: vers quoi on va? et ne pas laisser les
choses se perdre. Rendre visible ce qui est imperceptible hors du
trajet.
Tessa Polak
Remerciements
Je remercie:
Madame Marques-Pereira pour son soutien, sa confiance et ses
précieux conseils durant l'élaboration de ce mémoire.
Irma Van Dueren et Liesbeth van der Hoogte de NOVIB à La
Haye
ainsi que Channah Bentheim et Brigitte Gloire de
Oxfam-Solidarité à Bruxelles d'avoir consacré de leur
temps à répondre à mes questions.
le Monde Selon les Femmes (en particulier Hélène
Ryckmans), qui m'a chaleureusement accueilli et fait profiter de son centre de
documentation.
J'adresse mes plus sincères remerciements à
Catherine, sans qui je n'aurais jamais surmonté les difficultés,
les craintes et les angoisses. Merci pour ses encouragements, critiques,
commentaires, corrections et surtout, merci pour son inaltérable et
précieuse amitié.
Je remercie également Samira et Annabelle, pour leur
écoute amicale et leurs encouragements. Je remercie également ma
famille et mes amis (ils se reconna»tront), qui m'ont apporté leur
soutien.
Merci aussi à Patrick, malgré tout.
Enfin, j'ai une pensée reconnaissance pour toutes les
personnes qui ont contribué, par leurs actions, leurs réflexions,
leurs luttes, volontairement ou involontairement, de loin ou de près,
ici ou là-bas, à la réflexion personnelle entamée
il y a cinq ans et qui est à la base de ce mémoire.
Je pense en particulier aux femmes rencontrées lors de
mes différents voyages en Amérique centrale et au Mexique et qui
m'ont gentiment fait part de leurs réflexions et expériences.
Introduction
Le sujet de cette recherche est le fruit de plusieurs
experiences, professionnelles et privees en rapport avec les relations
nord-sud. Etant personnellement proche d'un courant pour "un autre
developpement", familière avec le domaine de l'education au
developpement mais aussi de quelques collectifs actifs dans la
recherche-action, j'ai plus ou moins naturellement dirige mes recherches vers
la question du genre dans ces domaines. En effet, les femmes sont, à
beaucoup d'egards, les invisibles de l'humanite, comme peuvent l'etre, dans
d'autres domaines, les zapatistes, les sans -papiers ou les sans-tickets. Mais
elles semblent egalement etre absentes du discours de ceux -là meme qui
pretendent parler des "sans visages". Notamment, il est surprenant de voir que
dans les mouvements alter-mondialiste, cette question n'est abordee que par les
groupes feministes.
Le sujet me semblait donc etre à l'intersection de
plusieurs de mes preoccupations et je savais que si je parvenais à
defaire le nÏud de l'integration du genre, tant dans la cooperation au
developpement stricto sensu que dans les autres formes de nouvelles
solidarites, je pourrais aussi etre plus claire quant aux strategies à
adopter dans mes actions.
1. PLAN DE TRAVAIL
Pour etudier cette question, il me fallait un fil conducteur,
quelque chose qui me permette de dépasser la simple description de ce
qui se fait et se dit. Mon experience professionnelle à VOICE (reseau
europeen d'ONG d'aide humanitaire) mÕa donne l'occasion de travailler
sur la question du genre dans le développement en general et l'aide
humanitaire en particulier. CÕest lors de cette experience que j'ai
trouve ce fil conducteur, ou plutTMt, que j'en ai eu l'intuition. Alors que
j'essayais de mettre sur pied un groupe de travail qui se pencherait sur
l'integration du genre dans l'aide d'urgence, j'ai pu constater que la chose
n'etait pas facile. JÕai tente de reunir les gens pour discuter du
probleme mais la plupart des personnes concernees etaient là par
intérêt personnel et ne disposaient ni d'un reel pouvoir, ni d'un
mandat clair de leur organisation. En outre, les fonds necessaires au bon
fonctionnement du groupe de travail etaient inexistants. Il y avait donc des
reticences à se pencher sur une question pour laquelle, me disait-on,
des sommes enormes avaient déjà ete depensees en vain. Pourquoi
toutes ces difficultés alors que le genre figure pourtant à
l'ordre du jour de toutes les ONG et institutions internationales depuis
quelques annees déjà?
Je me rendais alors compte qu'il y avait deux problemes: l'un
etait lie à la question du savoir, l'autre à la question du
pouvoir. Ces deux questions intrinsequement likes constituent un fondement de
la question de genre et de son evolution. Le personnel des ONG avait une idee
genérale et assez vague de ce que pouvait recouvrir le concept de genre.
Il ne disposait cependant pas de connaissances suffisantes de ce que pourrait
etre une pratique du "genre et developpement" et savait enco re moins comment
la differencier de la pratique "femme et developpement".
Premier probleme, il assimilait encore largement "femmes" et
"genre". Dans une certaine mesure, cette confusion est caractéristique
du monde ONG. Il n'est pas rare en effet que les "professionnels du
développement", emportes dans leur pratique quotidienne, omettent de se
pencher sur la signification de leurs actions. En effet, beaucoup d'ONG
souffrent dÕun manque de systematisation des experiences; et le probleme
s'avere particulierement criant
dans le domaine de l'urgence oü l'incapacité à
faire du "lessons learning"1 est plus marquée que dans le
développement à long terme.
A. Première partie: Savoir, genre et pouvoir
Savoir
Le point crucial de l'intégration du genre dans le
développement s'apparenterait donc à un problème de
"savoir". Le savoir (ou connaissances) étant
constitutif des formes sociales, il participe de la constitution et de la
reconstitution chronique de ces structures.2 Si l'on suit Alain
Eraly dans sa définition des connaissances, celles-ci sont
"des capacités apprises au travers des
rapports sociaux et qui contribuent à les
réaliser, des ensembles de catégories, de
références, de notions et de concepts, incorporés au
langage, par lesquels notamment on définit la réal
ité et notre relation à cette réalité. Les
connaissances sont enfin des pratiques sociales dans la mesure
oü l'utilisation, la transmission, la diffusion, l'élaboration des
connaissances comprennent nécessairement des activités non
seulement cognitives, définissables dans l'abstrait, mais encore des
activités très concrètes de relation, de transmission
d'information, d'organisation et de gestion."3
Cette définition permet de dégager deux
caractéristiques que nous développerons par la suite: le savoir
ne peut être séparé d'une pratique et découle de
l'expérience, il systématise dans un corpus
théorisé lui permettant de reproduire une expérience
particulière.
Genre
C'est donc à la lumière de cette
définition du savoir que j'aborderai l'élaboration du savoir
féministe ainsi que la question du genre proprement dite. Le genre est
un concept qui décrit une réalité socialement construite.
Il importe donc de cerner la construction de cette notion et de voir quelles en
sont la portée et les limites. Dans le cas qui nous occupe, il est
important de montrer que le passage de la notion "Femmes et
développement" à la notion "Genre et développement"
nécessite un véritable processus de déconstruction/
reconstruction de la manière de penser le développement en
général, le rTMle des femmes dans ce développement en
particulier. Dans ce domaine, j'ai pu faire certains constats et dégager
des pistes d'analyse et de solutions.
Les premiers constats que j'ai pu faire sont d'ordre
conceptuel: le genre est un concept, une notion, qui a été en
quelque sorte ÇinventéeÈ et qui contient
intrinsèquement les germes nécessaires à sa critique. Si
j'en avais déjà eu l'intuition, la notion de "momentum concept"
de John Hoffmann4 m'a aidée à clarifier ce
caractère dynamique du genre. Car si le sexe est objectivement
définissable (du moins en tant que caractéristique biologique),
le genre lui ne l'est pas. En tant que construction sociale, le genre est le
fruit d'un certain point de vue. Lorsqu'on parle des rTMles, des comportements
ou attitudes typiquement liés à un sexe, qu'il soit masculin ou
féminin, il s'agit déjà de données construites
qu'il nous faut déconstruire afin de pouvoir repartir sur des bases
nouvelles. Ce processus a pour objectif final, dans le
1 Terme de jargon du milieu du développement,
littéralement "apprentissage de leçon", utilisé pour
désigner le fait d'utiliser les expériences pour améliorer
les pratiques, via un processus de "recherche-développement". Durant mon
expérience au sein de VOICE, j'ai pu constater que le "lessons
learning" était une des pierres d'achoppement majeures
da ns le travail des ONG et des Institutions du développement.
Emportées dans l'urgence et la nécessité de réussir
leurs projets, elles en perdent souvent de vue qu'il "faut s'arrêter et
se retourner" de temps en temps.
2 ERALY Alain, Sociologie de la
connaissance, syllabus, ULB, Bruxelles, 1992-93
3 idem, p. 5
4 HOFFMAN John: Gender and Sovereignty,
Feminisme, the State and International Relations, Palgrave, New York, 2001.
chef de nombre de féministes, de mettre fin à
une organisation patriarcale du monde. Nous tenterons également de
définir ce qu'est un monde patriarcal et démontrer en quoi cette
organisation rend difficile l'intégration du genre dans la
coopération au développement. Dans le travail de
déconstruction/ reconstruction, certains concepts doivent
impérativement être déconstruits pour faire place à
une nouvelle forme de pensée.
Le second constat, d'ordre plus pratique et
général, tient en quelques mots: depuis que le genre a
commencé, à petits pas, à être intégré
dans la coopération au développement, le chemin parcouru n'est
pas négligeable mais le chemin à parcourir est encore long. On
peut se demander en effet si, après des années d'efforts pour
féminiser le développement, les femmes du Sud en ont
réellement bénéficié et si les institutions du
patriarcat ont réellement été affaiblies. Malheureusement,
on doit se rendre à l'évidence: les politiques et pratiques des
agences de développement, nationales et internationales, qui ont
intégré le FED/GED5 doivent encore être
critiquées. Il ne suffisait pas de "add women and stir"6
comme l'ont cru certain(e)s, pour que les politiques de développement
aient de réels impacts positifs sur la population féminine et sur
les relations entre hommes et femmes.
Cette question de la constitution du savoir, et ensuite de son
utilisation, nous ramène également au deuxième
problème que nous avons pu relever, à savoir la question du
pouvoir.
Pouvoir
Le pouvoir est quelque chose de complexe, c'est une toile aux
multiples fils. Dans son Histoire du Savoir, Michel
Foucault donne une définition relationnelle du
pouvoir. Celui-ci est constitué de la multiplicité des rapports
de force mouvants. De plus,
le pouvoir ne se possède pas, il n'est pas quelque chose
qui s'acquiert, s'arrache ou se partage, quelque chose qu'on garde ou qu'on
laisse échapper; le pouvoir s'exerce à partir
de
points innombrables, et dans le jeu de relations
inégalitaires et mobiles." 7
Comme le savoir se transmettrait par le biais des relations
sociales, le pouvoir s'exerce donc à partir de points innombrables, et
c'est le socle mouvant des rapports de force qui induisent sans cesse, par
leur inégalité, des états de pouvoir, locaux et
instables. C'est-à-dire qu'il n'y a pas un "état-major" du
pouvoir, mais que celui -ci traverse l'ensemble du corps social. Cependant
poursuit Foucault, il n'y a pas de pouvoir sans intentionnalité. C'est
l'ensemble de ces intentions et objectifs qui, en s'encha»nant les
unes aux autres, s'appelant et se propageant, trouvant ainsi ailleurs leur
appui et leur condition, forment finalement des dispositifs d'ensemble, sortes
de grandes stratégies anonymes.8 Si comme nous le
verrons dans le chapitre II, le savoir du développement a permis la mise
en Ïuvre d'un "dispositif de développement", cela ne serait
5 J'utiliserai au cours de ce travail les traductions
francaises, peu usitées, de FED (femmes et développement) et GED
(genre et développement) plutôt que les abréviations
anglaises de Women in Development (WID), Women and
Development (WAD) et Gender and Development (GAD). A propos du
FED (Femmes et développement) une nuance peut être apportée
entre "femmes dans le développement" (FDD) et "femmes et
développement" (FED), nuance qui est soulignée dans certains
ouvrages théoriques en anglais et qui montre le passage évolutif
de "l'intégration" des femmes au développement vers
l'étude des relations entre femmes et développement. Ce choix du
francais se fait néanmoins un peu à contre-courant puisque dans
le monde des ONG, oil l'anglais est la langue véhiculaire, les
abréviations WID et GAD sont largement entrée dans la vocabulaire
courant alors que leurs traductions françaises le sont moins.
6 "Ajouter des femmes et secouer": beaucoup de
féministes ont critiqué le fait que dans de nombreux cas, les
agences de développement ne faisaient qu'ajouter le terme "femmes" (ou
"genre") dans leurs programmes pour se donner bonne conscience mais qu'en
réalité, peu de modifications étaient apportées et
que les programmes avaient les mêmes effets désastreux sur les
femmes.
7 FOUCAULT Michel, Histoire de la
sexualité, la volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel,
Paris, 1976, p. 123.
8 FOUCAULT Michel, Histoire de la
sexualité. La volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel,
Paris, 1976, pp. 121-127.
donc pas le résultat d'une grande manipulation, mais
plutôt celui de la convergence de plusieurs facteurs et notamment d'une
volonté et d'une nécessité de contrôler les
populations pour les gérer. Mais cette volonté se cache,
anonymement, derrière une nécessité absolue,
justifiée par un savoir.
Ce "dispositif" qui se met en place, instrumentalisation du
savoir, rappelle ainsi ce qu'Eraly appelle idéologie.
Pour lui l'idéologie est une construction signifiante socialement
transmi ssible assurant une fonction de legitimation. La
légitimation prend pour lui deux sens. Dans le premier, le pouvoir est
justifié, dans le deuxième il est dissimulé. La
légitimation désigne dans ce deuxième cas le fait d'un
pouvoir qui engendre ou entretient les conditions de sa méconnaissance.
C'est donc un processus qui a pour effet d'attribuer la contrainte sociale
à une construction abstraite ou de la subsumer sous des lois
biologiques.9
Mais, souligne Foucault, il n'y a pas de pouvoir sans
résistance et, tout comme il existe une multiplicité de points de
pouvoir, existent une multiplicité de points de résistance. Ceux
-ci sont "l'irréductible vis-à-vis" des relations de pouvoir et
forment également un "épais tissu qui traverse les appareils et
les institutions, sans se localiser exactement en eux, traversant les
stratifications et les unités individuelles". Ce binôme "pouvoir
-résistance" est utile afin de comprendre la situation des ONG qui sont
à la fois partie de ce dispositif et résistance à
celui-ci. Leurs discours, actions et relations (notamment avec leurs
"partenaires du Sud") sont inscrits dans cette "double contrainte" qui font des
ONG des partenaires du pouvoir mais également des agents de changement.
C'est donc à partir de cette double perspective que nous analyserons
d'une part le développement en général,
l'intégration du genre dans le développement en particulier. Ce
clivage nous sera également très utile lors de l'analyse de
cas.
B. Deuxième partie: Femmes et développement -
genre et développement
Cette question fera l'objet de la deuxième partie de la
recherche. A la lumière des observations de la première partie
sur le savoir - pouvoir, j'essayerai de voir comment ont été
conçues les politiques touchant les femmes dans le domaine du
développement, quels sont les présupposés et les
catégories d'analyse qui ont servi à l'élaboration des
différentes approches de la question et comment ces approches ont
évolué en fonction du contexte.
Depuis les années soixante, une nette évolution
est perceptible dans le monde de la coopération en ce qui concerne les
femmes. Différentes approches caractéristiques des
évolutions successives de la coopération, ont défini une
facon d'intégrer les femmes dans le développement. Des cadres
d'analyses ont été élaborés, notamment le cadre des
rôles de genre de Harvard et celui de Caroline Moser10 qui se
base sur les théories des rôles et des besoins de femmes ainsi que
l'analyse des relations sociales. Ces conceptualisations, bien qu'elles
représentent une avancée considérable dans le long
parcours vers l'approche "GED", ne sont pas exemptes de critiques. Pour revenir
aux momentum concepts de Hoffman, ces conceptualisations portent en
elles les germes de leur propre critique et donc de leur évolution. En
effet, les critiques que l'on peut émettre à ces cadres
permettent de donner des pistes pour que le genre soit mieux
intégré, mieux compris et mieux appliqué. Les critiquer me
permettra de poser les bases de nouveaux cadres d'analyse que
j'ébaucherai.
9 ERALY, opcit, p. VIII 20-28. Nous
précisons que cette définition est donnée par Eraly dans
le cadre de la Sociologie de la connaissance et qu'il ne s'agit que d'une
définition parmi d'autres. Nous l'utilisons parce qu'elle définit
bien ce que nous voulons exprimer dans le cadre de ce mémoire, à
savoir, l'utilisation du savoir afin de légitimer uncertain point de vue
et qui contribue à la mise en place d'un dispositif.
10 MOSER Caroline O.N., Planificación
de género y desarollo: teoria, practica y capacitación,
Entre Mujeres/ Flora Tristan ediciones, Lima, 1995.
En basant l'analyse sur les concepts de savoir et de
pouvoir/puissance, j'analyserai ces différentes approches afin de
comprendre comment le dispositif de développement s'est constitué
d'une part, quelles sont les alternatives envisageables à l'approche
actuellement appliquée d'autre part. Nous aborderons dans ce cadre
l'idée d'autonomie et observerons quelles sont les pistes
déjà suivies dans cette direction. Nous observerons notamment
comment cette question est abordée par les ONG et en quoi les ONG, en
tant que "mouvement s ocial", ont un rTMle crucial dans la construction d'une
vision alternative de la question. Par mouvement social nous entendons,
à l'instar de Teresita De Barbieri, tout mouvement qui ne prétend
pas s'emparer de l'Etat mais bien peser sur ses politiques et son pouvoir de
manière à y intégrer leurs propres projets de
société.11 Cette analyse nous permettra de comparer ce
qui se fait dans les ONG du Nord et la manière dont travaillent les
femmes du Sud.
C. Troisième partie: Féminisme et
développement en Amérique latine
Notre expérience personnelle nous a amenée
à effectuer plusieurs voyages au Mexique et en Amérique centrale,
voyages au cours desquels nous avons découvert des femmes debout, en
lutte pour leurs droits, pour leur autonomie, qui nous ont fait
découvrir une autre facette de ce que nous pensions être la
réalité de terrain de la coopération au
développement. Ce sont sans doute ces rencontres qui ont suscité
le choix de ce mémoire. Nous nous limiterons donc, dans notre analyse de
cas, à l'Amérique latine puisqu'il s'agit de la zone
géographique que nous connaissons le mieux.
D'autre part, le féminisme et les mouvements
d'organisations des femmes sont particulièrement
développés en Amérique latine et ont, ces trente
dernières années, effectué un cheminement énorme,
tant dans la pratique que dans la théorie. Si certaines critiques sont
émises quant au caractère "féministe" des "latinas",
l'histoire nous montre que ces femmes n'ont rien à envier à leurs
consÏurs du Nord. L'histoire particulière des pays sud -
américains a forgé un féminisme basé sur un large
mouvement social et politique, issu de différentes luttes et a rendu "le
modèle latino-américain unique dans son organisation des
femmes"12
Cette partie s'attachera donc à brosser un tableau de
la situation générale en Amérique latine. Ensuite nous
analyserons quelques grands traits des mouvements de femmes et des mouvements
féministes pour terminer par une réflexion sur les liens entre
ces groupes et la coopération internationale.
C. Quatrième partie: NOVIB: un exemple d'ONG
engagée dans le genre
Enfin, pour la troisième partie consacrée
à l'analyse, il me fallait trouver une (ou plusieurs) ONG(s) qui avaient
fait du genre un des points centraux de leur travail. Il fallait en outre
qu'elle(s) ai(en)t un historique dans le domaine qui puisse être
étudiable, c'est-à-dire ayant suffisamment d'expériences,
tant dans le domaine de la recherche et la production de
11 citée par WEINSTEIN Marisa, La
citoyenneté dans les relations Etat-femmes populaires, in
MARQUES-PEREIRA Bérengère: Femmes dans la
Cité: Amérique latine et Portugal, Sextant, ULB,
n°8, 1998, Bruxelles, pp. 7-16, pp. 43-74, p. 66. Considérer les
ONG comme un mouvement social est dans une certaine mesure un raccourci et nous
expose à des critiques non dénuées de justesse sur leur
participation parfois complaisante au.système néo-libéral.
Nous pensons néanmoins que leur travail en général en fait
des "mouvements sociaux", comme le sont les syndicats par exemple. Consciente
de ces critiques, nous utiliserons néanmoins le qualificatif de
mouvement social comme étant une sorte d'idéal à
atteindre.
12 SAPORTA STERNBACH Nancy (et alii),
Feminisms in Latin America: from Bogota to San Bernardo, in ALVAREZ
Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The making of the
social movements in Latin America. Identity, strategy and democracy, Westview
Press, Boulder, 1992, pp. 207-239.
connaissances spécifiques que dans celui de l'action
sur le terrain (au Sud comme au Nord). Assez rapidement, il ne faisait pas de
doute pour moi que l'une des seules, si pas la seule, ONG qui correspondait
à ces critères était OXFAM; et plus
particulièrement deux branches nationales de la fédération
internationale d'OXFAM: la branche Britannique (OXFAM GB-I) et la branche
hollandaise (NOVIB) qui combinent une histoire qui a "évolué avec
son temps" et un travail de recherche et de systématisation des
expériences peu répandu dans les ONG.
Pour des raisons pratiques (proximité et
facilité d'accès aux documents) et personnelles (j'avais pu me
rendre compte de leur travail en Amérique du Sud lors de voyages sur
place), je me suis focalisée sur le cas hollandais même si je me
réfère de temps à autre au cas britannique.
Je tracerai dans un premier temps un bref historique et une
description des principes politiques généraux de NOVIB. Ensuite,
j'étudierai à la lumière de l'analyse faite dans les deux
premières parties comment NOVIB a intégré le genre dans sa
facon de travailler. J'analyserai cela d'abord au niveau des principes
théoriques (statuts, plans d'action, É) pour ensuite passer
à l'aspect de l'application pratique (organisation interne, projets
soutenus, relations avec les partenaires). Nous observerons plus
particulièrement comment se sont concrétisés les divers
projets d'intégration du genre en Amérique latine.
Nous terminerons enfin par une critique
générale, à partir de ce cas particulier, de
l'intégration du genre dans le développement, afin de voir
quelles peuvent être les perspectives tant dans le domaine de
l'intégration du genre dans la coopération au
développement, que dans les stratégies communes de changement
sociétal qui peuvent être mises en Ïuvre par la
société civile du Nord et du Sud.
2. QUELQUES PRECISIONS METHODOLOGIQUES GENERALES
A. Les sources:
Le thème "genre et développement" a
déjà fait l'objet d'une vaste littérature, adoptant une
multitude de points de vues différents, contradictoires ou
complémentaires. Selon l'origine des réflexions et recherches,
l'appréciation est donc différente. Pou r ce travail nous nous
sommes basée sur cinq types d'ouvrages:
- les recherches théoriques sur les liens entre savoir et
pouvoir, en particulier dans le cadre du développement;
- les ouvrages traitant spécifiquement et pratiquement de
l'intégration du genre dans le développement ainsi que les
différents cadres d'analyse mis en place;
- les ouvrages traitant des mouvements sociaux en Amérique
latine, en particulier les femmes, tant d'auteurs latino-américains que
d'auteurs occidentaux;
- les textes des association s de femmes et groupes
féministes latino-américains;
- les documents publiés par NOVIB et OXFAM (soit
directement, soit en collaboration avec leurs partenaires du Nord et du
Sud).
B. La méthode et ses limites:
Nous avons choisi d'aborder la question "Genre et
Développement" sous l'angle des relations entre savoir et pouvoir et
plus particulièrement le choix du concept foucaldien de dispositif. Ce
choix est subjectif (il répond à une certaine vision personnelle
de la question) et restreint d'emblée la portée de l'analyse que
nous allons faire.
Le deuxième choix effectué est celui faire un
lien entre le féminisme et la question "Genre et développement".
Ce choix tient à notre conviction que sans liens avec ces
féministes, la question du genre dans le développement perd une
grande partie de son sens. Au contraire de certains qui pensent que le
féminisme est "forcément" occidental, et que les
féministes ne sont d'aucune aide pour l'intégration de cette
question au développement, nous pensons que ces associations, groupes,
organisations de femmes, directement ou indirectement féministes, sont
d'une importance majeure. Quel sens auraient les actions de
développement en effet si elles ne se font pas en relation
étroite avec les groupes locaux? A quoi servirait de vouloir concevoir
des projets intégrant les femmes et le genre si on ne tient pas compte
de ce qui se fait déjà sur place?
Le féminisme étant un thème vaste et
inépuisable, nous nous concentrerons sur le féminisme en
Amérique latine, et en étudierons quelques aspects clés au
niveau des revendications et l'organisation.
Enfin nous avons choisi d'analyser l'ONG Novib, en particulier
son discours et ses actions en Amérique latine. Le choix d'une ONG non
opérationnelle sur le terrain, ne faisant que du financement, nous
empêchera de pouvoir faire une analyse plus approfondie de comment
travaillent les ONG occidentales en Amérique latine. Ce choix est
délibéré et nous pensons que loin de diminuer la
portée de notre analyse, notamment à propos de ce nous nommerons
le dispositif de développement, il permet de montrer au contraire une
facon de travailler pour un autre développement. En effet, le fait de
n'être que bailleur de fond permet à NOVIB d'avoir une relation
certes basée sur le financement de projets mais aussi une relation de
coopération et de soutien à des projets locaux
dénuée d'autoritarisme et permettant aux partenaires locaux de
développer leurs projets librement.
Ce mémoire ne prétend donc pas être ni
exhaustif, ni complet. Nous avons tenté, en utilisant des concepts qui
nous paraissent justes, d'analyser la vaste question du genre et du
développement.
F EMINISME ET D EVELOPPEMENT:
A L' INTERSECTION DU SAVOIR ET
DU POUVOIR
|
Introduction: Définitions et
méthodologie
En introduction à cette recherche, il importe de bien
définir ce que nous entendons à la fois par féminisme,
genre, développement et ONG. Ces termes ne font pas l'unanimité;
et c'est bien ce qui rend difficile leur utilisation tant au quotidien,
lorsqu'on veut exprimer la relation complexe entre les deux genres composant
l'humanité, que lorsqu'on désire les conceptualiser pour pouvoir
mobiliser la notion de genre, a fortiori lorsqu'on les associe à un
domaine également controversé tel le développement. Comme
ces deux notions procèdent d'un savoir, il n'est pas inutile de faire
quelques réflexions sur la constitution d'un savoir.
1. DE LA CONSTITUTION DU SAVOIR ET DU RAPPORT A
L'OBJET
Le savoir est le fruit d'un cheminement idéologique et
culturel qui a des répercussions sur la facon de construire son objet,
en l'occurrence: les femmes, le genre et le développement. Tout concept
est le résultat d'une pratique, quel qu'en soit le domaine.
Etant socialement construit, il doit être remis dans un
contexte plus global que le simple cadre et la réalité
particulière dans lesquels se sont développées les
recherches, observations, analyses, systématisations et
conceptualisations qui l'ont produit. Cette double contrainte entre le
particulier et l'universel prend tout son sens dans le cas des études
féministes et des études de développement.
Huguette Dagenais souligne ainsi que la recherche
féministe ne part pas de catégories du discours ou de
théories mais de problèmes concrets et de personnes, les femmes,
pour arriver à une conceptualisa tion. 13 Cette recherche
s'inscrit donc directement dans un vécu, dans une situation. Or si la
réalité de la recherche féministe est effectivement
ancrée dans le réel, les recherches sur les femmes, et par
extension sur le genre, ont créé des objets d'étude non
réductibles (les femmes) pour dégager des cadres conceptuels qui
ont vocation à être universels mais qui sont dans la
réalité souvent réducteurs.
2. QUELQUES DEFINITIONS DU GENRE
Jeanne Bisilliat et Christine Verschuur soulignent le fait que
le terme genre n'est pas apparu de facon soudaine. Il est selon elles une des
étapes fondamentales de la recherche féministe et est le produit
d'un cheminement intellectuel. 14
L'ONG Deutsche Welthungerhilfe donne cette définition de
genre:
Les gens naissent femmes ou hommes mais apprennent à
être des filles ou des garcons qui grandissent pour devenir des femmes ou
des hommes. Ils apprennent quelles sont les attitudes et comportements
appropriés, les rTMles et activités qui sont pour eux et comment
ils doivent se mettre en relation avec les autres. Ce comportement acquis est
ce qui fait l'identité de genre et détermine les rTMles de genre.
15
13 DAGENAIS Huguette, Conceptions et
pratiques du développement: contributions féministes et
perspectives d'avenir, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine
(dirige par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction
à une problématique, Cahiers Genre et
développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, p.
32.
14 BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige
par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à
une problématique, Cahiers Genre et développement,
n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, p. 14.
15 DEUTSCHE WELTHUNGERHILFE: Gender Training
for GAA Staff, Bonn, 1997, polycopié, p.2.
La notion de genre est donc utilisee pour differencier les
caracteristiques biologiques, qui sont donnees par la nature et ne peuvent etre
changées des caractéristiques sociales qui sont apprises par la
civilisation et peuvent etre changées. Le premier aspect important dans
le genre est donc la difference entre genre et sexe.
Cette definition a suscité de nombreuses critiques. La
critique principale decoule du caractere culturel du concept. Son peu
d'universalite en ferait un outil de travail peu recommande. Tout comportement
acquis culturellement fait en quelque sorte partie d'une sphere dans laquelle
on ne peut s'immiscer. D'autre part inserer le genre dans les politiques
reviendrait à s'introduire dans la sphère privee puisqu'on touche
aux relations interpersonnelles. Alors que les critiques fusent par rapport au
caractere culturel du genre, il y a moins de scrupules à utiliser des
concepts tels celui de la croissance, bonne gouvernance ou droits de l'Homme,
tous concepts typiquement occidentaux. Nous reviendrons sur la critique
relative à la sphere privee ulterieurement.
Selon Isabelle Jacquet,
le genre est une construction theorique dont l'objectif est de
faire en sorte que toute analyse, toute initiative, tout projet de
developpement prenne en consideration l'existence du decoupage des societes et
des activites humaines entre deux types d'individus: les hommes et les
femmes16.
Le terme de genre designe donc les relations sociales entre
les sexes. Cependant, on pourrait ajouter que ce sont toutes ces relations et
non pas seulement celles que les femmes pourraient avoir avec les hommes, qui
sont inclues dans ce concept.17 Restreindre l'etude du genre
à la seule etude des femmes ne sert à rien, sinon peut-etre
à para»tre plus neutre, plus serieux et moins effrayant que
lorsqu'on utilise le terme 'femmes' ou 'feminisme'. Tout comme les autres
relations sociales, celles qui se nouent entre hommes et femmes sont
construites; elles ne reposent donc pas sur des caracteristiques
naturelles/biologiques. Sexe et genre ne peuvent se confondre. Cette difference
fondamentale est soulignee par John Hoffman qui remarque que, s'il n'y
avait pas de différence entre sexe et genre, alors on devrait voir que
dans une société sexiste, la domination des hommes résulte
de leurs différences biologiques d'avec les femmes, et que
l'égalité de genre ne pourrait 'etre possible qu'en effacant ces
différences, chose qui n'est ni désirable ni vraiment
possible.18
Pour Marques-Pereira le genre serait, de maniere globale,
une categorie analytique qui fait reférence à:
la division sociale entre le masculin et le feminin,
le rapport de pouvoir entre hommes et femmes fondé sur
la division sexuelle du travail, le caractère
transversal du genre à l'ensemble des rapports sociaux, le
caractere dynamique du genre variable dans le temps et dans
l'espace, le caractère quotidien des rapports de genre
et la construction sociale des differences, non seulement
entre hommes et femmes, mais aussi entre femmes.19
De ces quelques definitions du genre nous tirerons le cadre
général de notre analyse, dans laquelle nous tenterons de voir
en quoi l'aspect dynamique, global et transversal du concept
16 JACQUET Isabelle:
Développement au Masculin/Féminin. Le genre, outil d'un nouveau
concept, L'Harmattan, Paris, 1995, p.9.
17 Les relations sociales sont la base d'un cadre
d'analyse du genre dans le développement, cadre que nous
développerons dans la deuxième partie de ce travail.
18 HOFFMAN John: Gender and
Sovereignty, Feminism, the State and International Relations, Palgrave,
New York, 2001, page 35. Traduction libre. NB: toutes les citations d'ouvrages
en anglais ou en espagnol sont l'objet de traductions libres.
19 MARQUES-PEREIRA
Bérengère, Femmes dans la cite dans le cTMne sud de
l'Amérique latine et au Portugal, in MARQUES-PEREIRA
Bérengère: Femmes dans la Cite: Amérique latine
et Portugal, Sextant, ULB, n8, 1998, Bruxelles, pp. 7-16, p.12-13.
de genre peut servir de base à une redéfinition des
rapports de pouvoir en agissant comme un "big bang conceptuel".
3. QUELQUES DEFINITIONS DU DEVELOPPEMENT
Puisqu'il s'agit d'analyser le genre dans le
développement, et particulièrement dans les ONG, il importe de
définir 'développement'.
Pour reprendre la définition de Labrecque,
le développement est un processus impliquant à
la fois des catégories sociales et des individus d'une part,
entra»nant un changement social d'autre part. Ce processus de changement
social est le résultat de la combinaison de facteurs historiques,
politiques et sociaux à la faveur desquels le poids relatif des rapports
hiérarchiques se déplace et finit par se refléter dans la
configuration générale de la
société.20
C'est donc, comme le genre une construction sociale et
intellectuelle. Comme pour le genre, on peut reprocher à ceux qui
parlent de développement l'utilisation d'un concept culturellement
connoté et empreint de jugements de valeur. Or cette critique vient
moins rapidement à l'esprit. Elle est largement intégrée
dans les mentalités, à l'opposé du genre. Pourtant la
conception du développement qui est mise en avant actuellement s'appuie
sur des conceptions occidentales de ce qui devrait être, et des moyens
pour y arriver.
En effet, malgré une évolution ces dix
dernières années, la notion de développement s'appuie sur
une conception linéaire de la vie. Elle s'exprime notamment dans le
domaine économique par une vision néo-libérale. La
croissance économique, c'est-à-dire l'augmentation du PIB reste
l'objectif premier à atteindre. Parallèlement, on voit les
états nationaux être dépossédés de leurs
prérogatives en matières sociales et économiques. Les
institutions internationales, en particulier, proposent des solutions (les
programmes d'ajustements structurels entre autres) qui ne font que renforcer la
dépendance extérieure des états nationaux et le
désabusement de la 'société civile'. Santos Boaventura de
Souza, cité par Garcia Castro souligne que
la dévastation néo-libérale a
créé une classe politique vénale, qui a privatisé
l'Etat afin de privatiser l'économie et, ce faisant, réduit la
société civile au marché et les citoyens en consommateurs
ou en indigents. Ainsi défigurée, la société
civile, loin d'être opposée à l'Etat, en est comme le
miroir. Pour cela, la reconstruction de l'espace public de l'Etat n'est
possible qu'à condition qu'il y ait aussi une reconstruction de l'espace
publique non étatique.21
Cette reconstruction de l'espace public non-étatique
fait partie d 'une autre vision du développement, opposée
à la vision économiciste et qui est défendu par une partie
des ONG du Nord, qui tentent de rendre la parole aux population du Sud par
l'établissement de relations plus égalitaires, basées sur
le respect et l'équité plutôt que la concurrence et la
croissance. Cette vision s'est développée parallèlement
à l'émergence des mouvements altermondialistes.
Dans cette volonté de redéfinition, le
développement est, comme le soutient Arturo Escobar,
une expérience historique singulière, qu'il
examine selon trois axes reliés entre eux: d'abord celui de la
construction de l'objet, ensuite celui du système de pouvoir qui
régule les
20 LABRECQUE Marie France, Sortir du
labyrinthe, femmes, développement et vie quotidienne en Colombie,
Les Presses de l'Université d'Ottawa, Coll. Etudes de Femmes, Ottawa,
1997, p.19.
21 BOAVENTURA DE SOUZA Santos, Depois do
diloevio neoliberal, in O Estado de Sa Paulo, 30 septembre 1996,
cite par GARCIA CASTRO Mary : Le pouvoir des genres à
l'époque du néo-libéralisme. Une réflexion de
gauche sur les féminismes en Amérique latine, in Rapports de
Genre et mondialisation des marchés, in Alternatives Sud, Vol. V,
n° 4, 1998, pp. 45-64, p. 53.
pratiques et, enfin, celui des formes de subjectivité qui
sont suscitées par le discours du développement.22
4. METHODOLOGIE:
Nous avons relevé deux savoirs (ou champs de
connaissances) pertinents: le(s) savoir(s) féministe(s)
et le(s) savoir(s) du développement tel(s)
qu'il(s) est (sont) défendu(s) par les ONG. L'objectif dans cette partie
est donc de comprendre quels sont les liens entre les deux et comment ils ont
évolué. Ces deux savoirs ont en commun d'être à la
fois les produits et les producteurs d'expérience et d'action. Ils font
la synthèse entre le théorique et le pratique ou du moins, tel
est leur objectif.
1/ Nous aborderons donc dans un premier temps la question de
la construction de
l'objet. Nous observerons comment le savoir
féministe et le savoir du développement ont construit leur objet
d'étude respectif et qui a participé à cette
objectivation. Nous nous attacherons donc à donner un aperçu du
savoir féministe d'une part, en mettant en exergue les points qui seront
par la suite utilisés dans les cadres des approches FED et GED.
2/ Nous observerons ensuite que le développement du savoir
est intimement lié à
l'exercice d'un pouvoir et que dans le cas du savoir du
développement, ce lien est extrêmement fort. Ensuite voir quels
sont les systèmes et relations de pouvoir qui entourent
et régulent les pratiques du féminisme et du
développement, comment et sur quelles bases elles se
définissent.
3/ Enfin, nous aborderons la question du discours
et de tout particulièrement la
question de l'instrumentalisation du sujet
à des fins politiques de gestion du social. Les obstacles
rencontrés sont donc de l'ordre de la construction autonome d'un savoir
mais aussi de son utilisation à bon escient, dans l'idée que s'en
font ceux qui l'ont conçu. D'autre part nous verrons comment le savoir
du développement est utilisé pour gérer les populations
auxquelles s'adressent les projets de développement.
22 ESCOBAR Arturo, Encountering development.
The making and unmaking of the third world, Princeton University Press,
Princeton, 1995, cité par LABRECQUE Marie France,
Sortir du labyrinthe, femmes, développement et vie quotidienne en
Colombie, Les Presses de l'Université d'Ottawa, Coll. Etudes de Femmes,
Ottawa, 1997, p. 20.
Chapitre I: Savoir féministe et Savoir
de femmes
"L'anthropologie se penche sur la répartition
sexuelle des tâches, fonctions, attributions, attributs, etc., dans telle
ou telle société, avec souvent le projet de trouver une bonne
raison ou deux pour qu'il en soit comme ilen est, que le cru aille à
l'un et le cuit à l'autre, à moins que ce ne soit le contraire.
Comme si, étant donné l'identité de l'un et l'autre sexe,
on pouvait comprendre que le partage symbolique attribue ceci à l'un et
cela à l'autre - le strict aux hommes, le flou aux femmes, dans l'ordre
de la pensée comme dans celui de la confection, par
exemple."23
1. LES RACINES
Si le savoir est socialement construit, il a
été, pendant longtemps, socialement construit par les hommes et
pour les hommes. Les hommes ont été, comme le souligne Marcela
Lagarde, les "ma»tres de la parole" qui nomment le monde dans la
société patriarcale. C'est à partir de ce monopole du
savoir que les hommes ont construit des conceptions qui légitiment et
fondent les systèmes de valeurs, les normes, les conditions
cosmogoniques et les explications de l'ordre patriarcal.24 Ce
savoir est donc construit autour d'un sujet et à partir d'un imaginaire
purement masculins. Toutes les théories, sociologiques,
psychanalytiques, politiques etc. ont donc été établies
à partir de ce regard masculin et donc à partir d'une
subjectivité masculine. L'homme et le masculin sont donc les paradigmes
de toute l'humanité. Cette conception du savoir légitimateur d'un
ordre social patriarcal rejoint en quelque sorte la notion d'idéologie
telle qu'elle est définie par Eraly.25
Le contrôle du savoir par les hommes a donné lieu
à la hiérarchisation du vivant selon des catégories
construites, donnant à l'homme et au masculin un caractère
historique, socialement construit, supérieur et valorisé et
à la femme et au féminin un caractère naturel,
inférieur et dévalorisé. Les hommes ont donc
légitimé la domination qu'ils exercent sur les femmes et le
féminin par le recours à l'argument de la "nature", des raisons
biologiques, inaltérables. Toute une série de
caractéristiques soi-disant naturelles sont donc attribuées aux
femmes, notamment toutes les caractéristiques qui touchent au corps,
à la sexualité et à la maternité. Or, comme le
souligne Marta Lamas, penser que quelque chose est naturel c'est le croire
immuable. Et c'est justement dit-elle, de la critique féministe du
sexe comme étant quelque chose de donné et d'inamovible qu'a
surgi l'utilisation de la catégorie "ge nre".26
Comme nous l'avions souligné dans nos
définitions précédentes de genre (définitions de
Jacquet, de Marques-Pereira27), ce concept a un caractère
socialement et culturellement, ancré dans l'historicité, ainsi
que dans une démarche intellectuelle large, perpétuellement en
mouvement. Le genre serait un ainsi un "momentum concept",
selon la terminologie de Hoffman. Pour Hoffman,
les "momentum concepts "sont des concepts qui ont une logique
égalitaire et antihiérarchique", logique qui permet de rendre
compte de manière progressive des différentes phases du
concept.
23 LE DOEUFF Michèle, Le sexe du
savoir, Aubier, Coll. Alto, Paris, 1998., p. 25.
24 LAGARDE Marcela, Identidad de
Genero, Ed. Cenzontle, Managua, 1992, p. 13.
25 voir définition page 8
26 LAMAS Marta, Usos, dificultades y
posibilidades de la categor'a de género, in La Ventana,
1:10-61, Universidad de Guadalajara, Mexico, 1995 (version online:
http://www2.udg.mx/laventana/)
27 voir pages 10 et 11.
Par progres Hoffman entend "mouvement
vers l'emancipation". Un "momentum concept" est donc
un concept qui peut se "déplier afin qu'il soit possible
de continuellement le retravailler pour qu'il réalise
encore et encore son potentiel egalitaire et
anti-hierarchique".28
Cette conception correspond, ou devrait correspondre, A ce qu'est
le concept de genre mais aussi le concept de développement.
Le genre, la relation masculin/féminin, est donc l'un
des éclairages fondamentaux qui structure le monde A tous les niveaux de
son organisation, qu'il s'agisse du symbolique, du politique ou de
l'économique. Loin d'être un concept occidental, on s'apergoit
également que le genre se retrouve, d'une manière ou d'une autre,
dans toutes les sociétés. En effet, dans la plupart des
cosmogonies, une relation de genre est élaborée. L'apport de
l'anthropologie est A cette égard utile comme le rappelle Frangoise
Gaspard.29
Le genre est un concept permettant une analyse globale de la
société mais son utilisation implique également de se
poser la question du savoir. En effet, si l'on admet que la
société est toute entière traversée et
modelée par le genre, le savoir qui est constitué l'est
également. Utiliser le concept de genre pour définir les
conditions d'un changement social serait donc également redéfinir
les conditions de la production du savoir sur ce changement. C'est donc pour
parer au biais masculin autour du savoir, ainsi que pour élaborer une
conception globale de leur situation, que les femmes se sont mises, non
seulement A revendiquer un changement sociétal, mais également A
faire elles -mêmes des recherches et des études sur les conditions
de leur domination, se mettant A la recherche de ce que Delphy nommerait
"l'ennemi principal". 30
28 HOFFMAN John, Gender and
Sovereignty, Feminism, the State and International Relations, Palgrave, New
York, 2001, p. 23.
29 Selon Gaspard, l'anthropologie nous permet de
relever au moins trois données utiles pour l'analyse des
sociétés modernes. La première est que le rapport
inégal entre les deux sexes a précédé la
constitution de sociétés de classes formées par la
division sociale du travail. Ce rapport semble être fondé, y
compris dans les sociétés matrilinéaires, sur le fait que
l'appropriation par les hommes de sa voirs complexes et dangereux, en raison de
la fonction reproductrice des femmes, a conféré aux premiers une
aura particulière. La deuxième donnée est que le statut
des femmes se serait dégradé avec le développement des
inégalités entre les classes, la constitution de
sociétés hiérarchisées, le développement de
la sphère privée. La modernité jouerait donc contre les
femmes qui en seraient, au moins A certaines périodes, les perdantes. La
troisième donnée est que le biais androcentrique ne concerne pas
seulement l'étude des sociétés primitives, et n'est
évidemment pas le propre des hommes. Frangoise
GASPARD: La République et les femmes in
WIEVIORKA Michel, Line Société fragmentée. Le
multiculturalisme en débat, La Découverte, Paris 1997,
p.154.
30 Par rapport A cette question de la constitution du savoir,
en particulier le savoir développé par les femmes, Michèle
Le Doeuff, dans son ouvrage "Le sexe du savoir"30, constate que tant
le savoir des femmes que le savoir sur les femmes sont entourés de
préjugés masculin s (selon elle le savoir 'a un sexe') qu'il
importe de déconstruire car ils influencent A la fois la
méthodologie et les résultats du savoir qui est constitué,
et ce dans la plupart des domaines. Ceci explique également le
mépris dont les femmes sont l'obje t lorsqu'elles s'engagent dans le
monde scientifique, voire dans quelque initiative raisonnée que ce soit.
Selon certains, "elles ont tendance A développer un mode
spécifiquement féminin de connaissances, imprégné
d'irrationnel, d'intuition, de rapport affectueux A l'objet, rapport qui
délégitime le savoir constitué".
Pourtant, ce rapport affectif est nécessaire et
inévitable puisque le savoir est issu d'une pratique et d'une situation
vécue par un être sensible, qu'il soit femme ou homme. Comme le
soulignait Jean Rémy lors d'une conférence donnée A
Louvain -la-Neuve en 1997, il est impératif d'associer le mental et
l'affectif afin de produire du rationnel car, s'il n'y a rien de plus
irrationnel qu'une raison détachée de l'affectif, un affectif
détaché du mental est tout aussi irrationnel. Par rapport A
la question de l'irrationnel, Le DÏuff se demande 'comment l'intuition est
venue aux femmes?' D'un point de vue masculin, l'intuition est
traditionnellement opposée A la raison et considérée comme
étant une caractéristique plutôt féminine. Elle est
définie comme étant une saisie intellectuelle directe de
quelque chose de vrai, et ce par différence mais non
nécessairement opposition radicale, avec la connaissance médiate
ou laborieuse, cette dernière supposant raisonnement, discussion,
débat intérieur, dialectique, expérimentation,
déduction, langage, administration ou tentative d'administration d'une
forme quelconque de preuveÉ ce qu'on appelle, globalement la
connaissance discursive. L'intuition fut longtemps considérée
comme, primo, un mode important et valide de connaissance, secundo un
mode
2. LA RECHERCHE DE "L'ENNEMI PRINCIPAL"
A. Les tendances
C'est donc durant les années soixante qu'une nouvelle
vague de féministes appara»t, elle a une volonté plus claire
d'analyser les raisons de la subordination féminine et de rendre compte
de l'apport des femmes a la vie sociale, apport ayant toujours paru aller
tellement de soi qu'il paraissait inutile d'en parler. Dans les travaux
précédents (masculins), soit l'inégalité
hommes-femme n'était pas traitée soit elle y était
justifiée. Et peu d'études montraient la genèse de cette
domination. Cette 'deuxième'31 vague de féminisme a
d'abord dii déconstruire avant de pouvoir reconstruire. Il fallait
démontrer le caractère patriarcal des recherches et
théories classiques avant de pouvoir développer une
théorie politique propre, incluant les femmes et la
liberté.
L'histoire et l'analyse des différents courants
féministes montrent d'ailleurs que les analyses et les solutions
proposées diffèrent largement. Trois grands courants se
dessinent: les libérales, les marxistes et les radicales.
Ils diffèrent par l'analyse des causes de la subordination des
femmes et les stratégies de changement a mettre en Ïuvre pour
mettre fin a cette subordination.32
susceptible de s'articuler à d'autres modes de
pensée, tertio soit la meilleure forme de connaissance possible et le
parachèvement d'un processus de découverte, soit celle sans
laquelle rien n'aurait lieu parce qu'elle permet d'amorcer le processus."
30
A force de chercher la rationalité et
l'objectivité a tout prix, les sciences sociales au sens large, ces
sciences molles , perdent de vue que, leur objet étant le
vivant et le vécu, aucune recherche ne peut faire abstraction du point
de vue, et, pour revenir au sujet qui nous intéresse, a l'origine du
savoir, largement constitué par les hommes. Une des causes principales
de l'erreur en sociologie, et dans les sciences humaines en
général, réside dans le rapport incontrôlé a
l'objet. Comme le souligne Le DÏuff, le chercheur en sciences sociales ne
peut contrôler l'objet de ses recherches (pas plus que le chercheur en
physique ne peut contrôler la vitesse de la craie qui tombe a une vitesse
v). Il peut par contre faire dire n'importe quoi a cet objet. Qu'on parle de
catégories construites (Le DÏuff) ou de point de vue (Bourdieu -
Bourdieu définit le point de vue comme étant la position
occupée dans l'espace social et dans le champ scientifique), il y a dans
la pensée, des catégories ou points de vue qui déterminent
les objets, sans qu'on ne se pose de questions sur la pertinence des
catégories qui ont mené a cette "objectivation" c'est a dire a
transformer les femmes en "réalité objective, susceptible
d'étude objective".
voir LE DOEUFF Michèle, Le sexe du
savoir, Aubier, Coll. Alto, Paris, 1998.
BOURDIEU Pierre , Questions de
Sociologie, Les Editions de Minuit, Paris, 1980, p. 22
31 La première ayant débuté notamment avec
les suffragettes, début du XXème siècle.
32 Il ne s'agit pas ici d'étudier en détail ces
trois courants mais d'en donner les caractéristiques principales. Dans
son article sur les courants de la pensée féministe, Louise
Toupin décrit ces trois courants en expliquant ce qui pour chacun
constitue 'l'ennemi principal' et quelles sont les stratégies de
changement prônées.
Les féministes libérales comme
leur nom l'indiquent croient en les vertus du libéralisme et estiment
simplement qu'il n'est pas adapté aux femmes. Il s'agit donc de
socialiser autrement les femmes, de changer les mentalités et de faire
pression pour faire changer les lois discriminantes.
Les féministes marxistes par contre
considèrent que la cause de la domination masculine est justement le
système capitaliste et la propriété privée. C'est
donc bien le système économique qui est l'ennemi principal. Il
faut donc abolir la société capitaliste et la remplacer par la
propriété collective. Si les moyens utilisés ressemblent a
ceux des féministes libérales, la fin est toute différente
puisqu'il s'agit d'éliminer le capitalisme et la propriété
privée. Il faut noter que les féministes marxistes n'ont pas
toujours été bien acceptées par les marxistes eux -
mêmes qui les accusaient d'être un mouvement
'individualiste-bourgeois' (a ce sujet, toute la réflexion de Simone de
Beauvoir sur la convergence entre les luttes des classes et des sexes est fort
intéressante, et son parcours personnel de militante de gauche a
véritable militante féministe illustre les dilemmes qu'il peut y
avoir entre les deux militances. Voir a cet égard l'ouvrage de
Jacques Zéphir, Le néo-féminisme de
Simone de Beauvoir, Denoël/Gonthier, Paris, 1982). Si le
féminisme marxiste a été délaissé en
Occident, beaucoup de féministes des pays du Sud continuent a utiliser
le grille de lecture de la lutte des classes.
Une variante du féminisme marxiste est le
féminisme socialiste qui couple son analyse du
capitalisme comme cause de la domination a l'analyse du patriarcat. Ces
féministes tentent donc de voir comment s'articulent ces deux
'systèmes d'oppression des femmes'. Elles sont influencées (et
influencent elles-mêmes) les féministes du
B. Les approches dans la constitution du savoir
Teresita de Barbieri distingue, dans les études
féministes, deux tendances. La première met l'accent sur la
production d'un savoir sur les femmes et sur ce qui détermine leurs
conditions sociales, la seconde souligne qu'il est important de comprendre que
la subordination des femmes est le résultat de formes d'organisations
sociales qu'il importe de prendre en compte. Pour ces féministes, on ne
saurait se limiter à la seule étude des femmes.33 Ces
deux visions de ce que doit etre le féminisme et le savoir
féministe illustrent la différence qu'il peut y avoir entre un
féminisme, qui viserait plutôt à faire de petits
arrangements avec le système pour permettre aux femmes de réduire
les inégalités entre hommes et femmes au sein d'un système
social et un féminisme qui tenterait de changer le système pour
que sa totalité soit plus égalitaire.
Pour beaucoup, la domination masculine est le noeud et c'est
sur cette question qu'il faut se pencher. Comprendre comment, à partir
de quel moment, sous quelles formes les m%oles ont exercé une
domination sur les femmes constitue le centre de ces études. La
première hypothèse quant à la subordination des femmes
concerne leur rapport au pouvoir. Mais celui-ci ne se situe pas uniquement dans
l'Etat ou les appareils bureaucratiques: ce pouvoir est multiple et se localise
dans de nombreux espaces de socialisation.
Parallèlement à l'émergence de ces "women
studies"34, et en quelque sorte gr%oce à eux, les femmes
commencent à etre intégrées dans de plus en plus de
domaines, notamment celui de la coopération alors que pendant longtemps,
les femmes ont été doublement exclues: du savoir et des
études d'une part et des objets memes de ces études d'autre
part.
3. LE GENRE: UN BIG BANG CONCEPTUEL
Au vu de ce qui a été développé
ci-dessus, nous avons choisi de pointer deux traits qui nous semblaient
important: le rapport entre genre et féminisme et la
différenciation entre sphère privée et sphère
publique. Dans ces deux points, c'est du positionnement social des
Sud (p. e. DAWN), les féministes lesbiennes ou les
tenantes du Black Feminism dans leur tentative d'articuler toutes les formes
d'oppression subies par les femmes dans le monde.
Le féminisme radical met lui l'accent
sur le patriarcat comme étant l'ennemi principal. C'est le pouvoir des
hommes, en tant que classe sexuelle, qu'il faut combattre et le changement
viendra de la réappropriation par les femmes du contrôle de leur
corps. Ces féministes rejettent à la fois le réformisme
libéral et l'analyse classiste des marxistes. Elle se définissent
plutôt comme étant "autonomes" par rapport à ces courants.
Les radicales se sont divisées en plusieurs sous-courants, selon que
l'explication de la différence entre les sexes était plus ou
moins matérialiste ou biologique.
Parallèlement d'autres variantes et revendications
apparaissent. Ainsi, un courant revendique un salaire contre le travail
ménager. Ce courant a contribué à la reconnaissance du
travail invisible des femmes et a largement influencé certaines
approches "femmes et développement" (notamment le cadre du triple
rôle).
Il existe aussi ce qui est appelé féminisme
populaire, et désigne les mouvements de femmes, de milieux
populaires qui, sans se définir comme féministe
développent une pratique enracinée dans le quotidien
qui s'en rapproche. Ces militantes du quotidien sont fort
présentes dans les pays du Sud et ont vécu une histoire
parallèle et parfois en opposition avec le féminisme 'officiel'.
L'analyse et les pratiques de ce féminisme sont plus globales que
d'autres féminismes et induit également une solidarité des
différentes luttes, tant au niveau national qu'international. Ce
féminisme, avec le Black Feminism et le féminisme lesbien
dépasse la simple analyse de l'oppression vue en terme de capitalisme ou
de patriarcat pour y introduire les notions de race, d'ethnie, de
sexualité et d'exclusion sociale mais aussi, avec
l'écoféminisme , de l'environnement. Nous y reviendrons
dans notre chapitre sur le féminisme latino-américain.
La base pour cette note provient de l'article TOUPIN
Louise, Les courants de pensée féministe, version revue
et online du texte Qu'est ce que le féminisme? Trousse d'information sur
le féminisme québécois des 25 dernières
années, 1997,
http://netfemmes.cdeacf.ca/documents
/courants0.html
33 DE BARBIERI Teresita, Sobre la
categoria género. Una introducci--n teorico-metodologica, in
ISIS Internacional, Ediciones de las Mujeres, n°17, 1992, pp. 111-128,
p. 114 (traduction libre)
34 Celle-ci s'est surtout développée
dans les pays anglo-saxons, même si d'autres pays commencent à
mettre davantage de moyens dans ce que l'on peut appeler les études ou
recherches féministes, tels les pays hispanophones, le Québec ou
certains autres pays européens.
individus dont il s'agit. Dans le premier entre hommes et femmes,
dans le second entre un individu (qu'il soit homme ou femme) et son
environnement social.
A. Genre et féminisme
L'entrée des questions féminines et
féministes au sein des Universités et des centres de recherches
n'est cependant pas sans poser question. Encore faut-il en effet que l'esprit
de la pensée féministe y soit respecté. Le risque est
grand de voir se perdre la volonté de changement et la proposition
novatrice des féministes. Un autre risque qui est souligné par
Margarita Pisano est que l'utilisation de nouveaux concepts, tels le genre,
servent à donner une vue partiale de la réalité, la
découpant selon les spécialités et oubliant d'analyser le
problème en le remettant dans son contexte global: à savoir une
culture patriarcale basée sur une dynamique de
domination.35
Dans la plupart des cas en effet, l'utilisation qui est faite
du terme de genre correspond à la même pratique dont le
féminisme a été (et est encore) l'objet. En
réduisant la pensée féministe à la seule
défense des femmes on évacue la vocation réellement
novatrice de ce qu'est la pensée féministe (ou ce qu'elle
pourrait être). Le terme "genre" ne sert trop souvent qu'à
remplacer le terme "femme(s)" dans la littérature. Dans la plupart de
ces utilisations, le champ qu'il recouvre ne concernant que les femmes, il
ôte du terme <<genre>> son caractère subversif et ce
qu'il implique de globalisateur. C'est-à-dire dans le sens oü il
inclut l'ensemble des relations sociales. Razavi et Miller définissent
les relations de genre comme se référant aux dimensions des
relations sociales qui créent des différences entre hommes et
femmes dans le processus social. 36
Comme le souligne Joan Scott37, le terme
<<genre>> inclut les femmes sans les nommer. En conséquence,
il ne para»t pas constituer la même menace que "féminisme" ou
"histoire des femmes". Cette volonté de neutraliser la portée du
terme se retrouve dans les textes des institutions internationales mais
également des ONG, textes dans lesquels le terme
<<féminisme>> ou <<féministe>>
n'appara»t que très (trop?) rarement. Or, en
reliant le féminisme au genre on souligne le fait que le
féminisme concerne la position de la femme dans sa relation à
l'homme, et de ce fait, concerne les relations de sexe en
général. Parler de genre ce n'est pas seulement parler de la
catégorie "femmes". C'est également parler des hommes.
D'ailleurs, comme le souligne Hoffmann, on ne peut écrire sur les femmes
sans écrire sur les hommes, ni sur leurs relations sans se
préoccuper du pouvoir, du privilège, des hiérarchies, de
la violence et de l'état. En clair, il faut étudier les liens
entre les oppresseurs et les oppressés.
La féminisation des concepts n'implique pas de
privilégier les femmes mais de reconstruire nos notions de bases afin
que ces idées contribuent explicitement à développer une
société égalitaire, une société dans
laquelle femmes et hommes se respectent, sans essayer de se dominer.
Reconna»tre les différences ne veut pas dire ignorer les
similitudes. Cela requiert que nous prenions en compte nos catégories
générales concrètes.
Le genre implique de déconstruire, de porter un autre
regard sur le monde qui nous entoure et implique donc un savoir toujours en
mouvement. Ce savoir sur la différence sexuelle n'est ni fini, ni fixe.
Il est donc à proprement parler un momentum concept hoffmanien.
Pour Pisano, si l'on veut créer une nouvelle éthique, il s'agit
de comprendre oü, quand et
35 PISANO, Margarita, Un cierto
desparpajo, Ediciones Noemero Cr'tico, Santiago de Chile, 1996.
36 RAZAVI Shahrashoub et MILLER Carol, From
WID to GAD. Conceptual Shifts in the Women and Development Discourse,
Occasional Paper n°1, UN Fourth conference on Women, février 1995,
p. 27
37 SCOTT Joan, Genre: une
catégorie utile d'analyse historique, in BISILLIAT Jeanne
et VERSCHUUR Christine (dirigé par), Le Genre: un outil
nécessaire. Introduction à une problématique,
Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI,
Paris-Genève.
comment s'est construite la dynamique de domination. Il faut
se rendre compte qu'un regard neuf doit porter sur tout, car tout est
imprégné de situations de dominations. La perspective de genre a
pour fin, entre autres, de contribuer à la construction subjective et
sociale d'une nouvelle configuration à partir de la resignification de
l'histoire, la société, la culture et la politique depuis les
femmes et avec les femmes. 38
B. "Homme public, femme privee"
Peu d'études portant sur les femmes et le genre font
l'impasse sur la différenciation entre sphere privée et sphere
publique. La participation des femmes aux mouvements sociaux qui
émergent en Amérique latine durant les années 60-70 a
souvent été analysée sous cet angle. Selon l'expression de
Cubitt et Greenslade les femmes quittaient leurs vies naturellement
diterminies pour le monde socialement determine ou elles peuvent 'etre sujets
et non plus seulement objets de l'action politique.39 Cette
dichotomie public/privé est largement utilisée dans les
études sur les femmes mais beaucoup moins dans les études
féministes. Toutefois, certaines féministes, comme les
féministes libérales que dénonce Whitworth40,
acceptent sans les critiquer les divisions "privé/public",
"politique/non-politique". Le féminisme libéral suppose en effet
que l'intégration des femmes dans la vie publique apporte
l'émancipation, l'état servant à assurer qu'il y ait
équité pour tous. En réalité, elle sert souvent
à justifier le statut de la femme "hors la politique", "hors la
cité", leur exclusion.
Or, comme tout concept dichotomique, la conception du
privé et du public est socialement et culturellement construite. Elle
n'est donc pas immuable ni universelle. La plupart des auteurs actuels
(Kathleen Jones41, Linda Nicholson42) critiquent
aujourd'hui cette conception qui devient problématique des lors qu'elle
fonde toute la conception de la modernité, cantonnant les femmes dans la
sphère privée alors que la sphere publique serait le domaine
réservé des hommes. Si la sphere publique est le lieu des
revendications politiques, du débat démocratique, du
déploiement de la raison et du droit, la sphere privée est par
contre le lieu de la vie intime dans laquelle on ne peut s'immiscer. Les
critiques féministes de cette dichotomie public/privé et de son
utilisation à des fins de "planification", avancent que d'un
cTMté cette conception ne correspond plus à la
réalité et que de l'autre elle est un pur produit du patriarcat
libéral. Il n'est donc pas certain que cette séparation entre les
deux spheres contribue à l'empouvoirement réel des femmes. Au
contraire on constate que puisque les femmes sont confinées à la
sphere domestique, la vie publique s'est faite non seulement sans les femmes,
mais contre les femmes.43
Comment peut-on en effet confiner la politique à la
sphere publique alors que les relations interpersonnelles peuvent etre
oppressives et exploiteuses et donc etre politiques? Cette dichotomisation
renvoie les relations interpersonnelles à la sphere privée, comme
si les relations de travail, les relations communautaires ou toute autre
relation socialement construite ne pouvaient etre inégalitaires ou
discriminantes envers les femmes. Une des conséquences (ou des
objectifs?) de cette séparation entre privé féminin et
public masculin
38 LAGARDE Marcela, Género
y feminismo: desarollo humano y democracia, Cuadernos Inacabados, horas y
HORAS la Editorial, Madrid, 1997, p.13.
39 CUBITT Tessa et GREENSLADE
Helen, Public and private spheres: the end of dichotomy in
DORE Elizabeth, Gender politics in Latin America. Debates in theory
and practice, Monthly Review Press, New York, 1997, p. 52.
40 citée par HOFFMAN John: Gender and
Sovereignty, Feminism, the State and International Relations, Palgrave, New
York, 2001.
41 JONES Kathleen, Towards a
revision of Politcs,in JONES K. et JONASDOTTRIN A., The
political interest in gender. Developping theory and research with a feminist
face, SAGE Publications, London, 1988, pp.11-32, p12- 1 3)
42 NICHOLSON Linda, The play of
reason. From the modern to the postmodern, Open University Press,
Buckingham, 1999, pp. 43-51
43 JONES, opcit., p13
est l'individualisation du construit de l'expérience
des femmes. En la confinant dans le privé, intime, familial (que ce soit
volontairement ou non ) on ignore le caractère social de la femme et les
relations qu'elle tisse hors-privé. C'est à partir de ces
relations qu'elle peut partager ses expériences pour ensuite
développer d'autres pratiques, d'autres besoins (stratégiques) et
avoir d'autres revendications. Cette séparation contribue à
confiner la femme dans son rTMle d'épouse et de mère.
On verra plus loin que l'analyse en terme de rTMles, telle
celle de Moser renvoie également à cette opposition bien qu'elle
soit agrémentée de l'analyse des besoins pratiques et
stratégiques des femmes faisant un lien entre privé et public.
Elle comporte donc les mêmes biais. A propos du rTMle de gestion
communautaire des femmes, Moser explique que la division spatiale entre le
monde public de l'homme et le monde pri vé de la femme signifie que,
pour la femme, le voisinage est une Çextension du terrain
domestiqueÈ alors que pour l'homme c'est le monde public de la
politique. 44 Que signifie cette séparation? La femme ne peut-elle donc
s'investir à l'extérieur de son foyer qu'en tant que
mère ou épouse, bonne gardienne du bien-être de sa famille?
Moser fait également l'impasse sur le caractère collectif de ce
rTMle de gestion communautaire. En ce sens, l'action des femmes étant
collective, on ne peut la considérer comme une pure et simple "extension
du terrain domestique."
Toutefois, si "le privé est politique" comme le
soutiennent les féministes, il ne devient réellement politique
qu'à partir du moment où certains aspects de la vie privée
ou de l'intime sont transférés à l'extérieur de la
sphère privée et oü les revendications privées sont
exprimées en des termes politiques, via des revendications, des
propositions et des projets qui dépassent le simple cadre de la vie
individuelle et se collectivisent. 45
4. LE FEMINISME: "RECHERCHE-ACTION" COLLECTIVE
PERMANENTE
Le savoir féministe et féminin est un savoir
émanant d'une pratique, à la fois individuelle et collective.
Comme le souligne Cristina Palomar,
le féminisme est (à la fois) un
mouvement de revendication politique des femmes qui luttent
pour avancer dans la prise de positions significatives dans un système
patriarcal (et) un mouvement theorique qui représente
des propositions d'avant garde en relation avec les noyaux fondamentaux dans
les édifices de la connaissance existants jusqu'à
maintenant.46
Il s'inscrit dans des situations particulières,
lesquelles forgent un savoir particulier. L'exclusion des femmes des savoirs
formalisés les oblige à se baser sur leur vécu, individuel
et collectif, pour imaginer d'autres formes de savoirs. Ce qui a pour
conséquence l'existence d'une multitude de féminismes, comme il y
a une multitude de femmes, chacune différentes, aux
caractéristiques propres. Par le lien social qui se crée, chaque
situation forge quelque chose de nouveau. Il n'existe donc pas de
représentation unique de tous les féminismes ou toutes les
femmes. Cette multiplicité d'individus et de situations est un
facteur-clé dans le féminisme et dans l'analyse de la situation
des femmes, qui empêche d'en tirer une vérité absolue et
universelle. Une féministe seule n'est rien, mais un collectif
féministe sans lien avec la réalité des situations n'est
rien non plus. En effet, une fois la "socialisation des
44 MOSER Caroline O.N., Planificación
de género y desarollo: teoria, practica y capacitación,
Entre Mujeres/ Flora Tristan ediciones, Lima, 1995, p. 62
45 VARGAS Virginia, Reflexiones en torno a los
procesos de autonom'a y la construcci--n de la ciudadan'a femenina en la
region,
http://www3.rcp.net.pe/FLORA/reflex/
index.htm, p. 3.
46 Introduction au numéro spécial de Debate
Feminista consacré aux aspects théoriques et pratiques du
féminisme. PALOMAR Cristina, Feminismo: movimiento
y pensamiento, introduction au numéro de Debate Feminista,
année 6, vol. 12, Mexico, octobre 1995.
biographies"47 faites, encore faut-il apprendre A
penser collectivement, A construire des connaissances et des idees, et A se
concevoir comme "collectif humain, pensant, politique et autonome". En deux
mots, apprendre la politique.48
La reflexion feministe s'est donc effectuee, dans un premier
temps, parallelement A une pratique developpee par des groupes de femmes, qui
se proclamaient (ou etaient accusees d'être) feministes. Selon Louise
Toupin,
'le feminisme est une prise de conscience d'abord
individuelle, puis collective, suivie d'une
revolte contre l'arrangement des rapports de sexe et la
position subordonnee que les femmes y occupent dans une societe donnee, A un
moment donne de son experience. Il s'agit aussi d'une lutte pour
changer ces rapports et cette situation.' 49
Le feminisme est donc bien un "mouvement social", ancre dans
les situations, dans le quotidien et dont l'ambition est de lutter contre une
certaine forme de subordination A laquelle sont soumises les femmes et de
contribuer A mettre en place d'autres structures de societe ou du moins tendre
A changer les rapports sociaux existants.
Les revendications feministes sont donc le reflet d'un vecu
individuel et collectif. Leurs modes d'action participent A la fois de la
recherche theorique et de l'action pratique. S'il existe certaines
revendications qui peuvent être concretisees en des institutions ou
structures formelles, Benasayag souligne que ces revendications ne sauraient
être "finies". Il cite A cet egard le cas des feministes qui n'ont pas,
des lors que les centres de planning familial existaient, estime que leur lutte
etait terminee, qu'elles etaient arrivees A leur but. L'institutionnalisation
de certaines revendications feministes (conge de maternite, avortement, acces
au travail, etc.) ne doit en aucun cas permettre qu'on considere les feministes
comme obsoletes. En effet, ce type de lutte se juge dans le concret de la
situation, c'est-à-dire dans les lacis formés par les micro-
et macropouvoirs, mais l'objectif de leur pensée et de leur praxis n'est
pas le pouvoir: Un "pouvoir féministe" totalisant n'est pas pensable ni
désirable de la part des féministes.50
47 Emprunt A Pisano qui parle de la "socialisation
de nos biographies" pour designer le fait pour les femmes d'avoir mis en commun
leurs "souffrances" et leur vecu, construisant ainsi un referent collectif pour
l'action. PISANO, Margarita, Un cierto desparpajo,
Ediciones Noemero Cr'tico, Santiago de Chile, 1996.
48 idem.
49 TOUPIN Louise, Les courants de
pensee feministe, version revue et online du texte Qu'est ce que le feminisme?
Trousse d'information sur le feminisme quebecois des 25 dernieres annees, 1997,
http://netfemmes.
cdeacf.ca/documents/courants0.html
50 BENASAYAG Miguel et SCAVINO
Dardo, Pour une nouvelle radicalité. Pouvoir et puissance
en politique, La Decouverte, Coll. L'armillaire, Paris, 1997, p. 89.
Chapitre II: Savoir du développement: le
Dispositif
Ce chapitre s'attachera non pas à faire une analyse
détaillée de la constitution du savoir du développement
mais plutôt à observer comment se tissent les liens entre ce
savoir et les institutions et organisations qui l'utilisent. Nous mettrons donc
l'accent sur l'utilisation du savoir et les conséquences de cette
utilisation sur le savoir lui-même. Ce chapitre s'attachera plutôt
à montrer la facette "institutionnalisée" de l'utilisation du
savoir. Nous verrons par la suite51 comment il est possible
d'utiliser ces savoirs à "contre-courant", afin de créer d'autres
relations sociales, d'autres structures, qui ne seraient plus basée sur
un pouvoir institutionnel mais sur une puissance sociale plus autonome. Nous
verrons en particulier comment les ONG arrivent à gérer la double
contrainte paradoxale (double bind) dans laquelle elles se trouvent:
dépendante du "système" qui les finance (tant en termes
strictement financiers, qu'en termes de "fonds de commerce" 52),
mais désireuses de se battre contre lui et de le changer.
1. DISCOURS ET LANGAGE
Tout comme un savoir et un discours ont été
élaborés sur les femmes et sur le féminisme, un savoir a
été élaboré dans le champ du développement.
Un corpus conceptuel et explicatif a été élaboré
pour comprendre la réalité des pays du Sud, les raisons de leur
'retard économique', les particularités politiques,
économiques et sociales de ces pays. Ce savoir n'était pas
uniquement altruiste. Depuis la colonisation les connaissances se sont
développées sur les pays colonisés afin de pouvoir mieux
les comprendre, mais surtout de pouvoir mieux les gérer et les
utiliser.
Le développement de ces connaissances a
généré un nouveau vocabulaire, le discours devant
s'adapter à de nouvelles connaissances et des faits nouveaux. Fruits
d'un métissage, ce langage nouveau a permis de mettre en place de
nouveau schéma de pensée et d'action. Par un savant va-et-vient
entre la pratique et la théorie, un nouveau savoir s'est
constitué, qui n'était ni exactement le reflet de la
réalité, ni exactement ce que ses concepteurs avaient voulu en
faire. A de nouvelles réalités correspondent de nouveaux mots,
qui à leur tour entra»nent de nouvelles réalités pour
l'objet qu'ils désignent et le sujet de ce savoir. Comme l'écrit
Bruyère-Rieder,
"les mots ne servent pas uniquement d'intermédiaire
entre le réel, tel qu'il est percu et compris par chaque
collectivité, et les hommes. Ils ne sont pas neutres,
c'est-à-dire transposables tels quels dans une autre langue; ils
délimitent également les contours
du réel, mettent en évidence certaines de ses
figures, laissent dans l'ombre quelques-unes de ses composantes, opèrent
une structuration particulière de l'espace et du temps, ordonnent les
regards, hiérarchisent les valeurs, systématisent
l'empirie."53
51 dans la troisième partie, deuxième chapitre,
page 56
52 Cette réflexion m'a été faite
notamment à propos du rôle des ONG dans les conférences
pour la reconstruction en Amérique centrale "post-Mitch". Lors de ces
conférences il était clair que les ONG cherchaient d'abord
à garantir leur propres subsides (interview avec Maria Teresa Bland--n
et Ana Quiroz à Managua, octobre 2000).
53 Citée dans SAINT-HILAIRE Colette,
La production d'un sujet-femme adapté au développement. Le
cas de la recherche féministe aux Philippines, in Savoirs et
gouvernementalité, n° thématique de Anthropologie et
Sociétés, vol.20, n°1, Université de Laval, 1996,
pp. 81-101, p. 82.
Ce discours, qui pour certains n'existe pas et n'est que
mystification, a néanmoins produit quelque chose de 'réel' ou du
moins un sujet et une 'réalité'54 adaptés
à ce discours que celui- ci rend visible et concret. Escobar
décrit le processus de construction de cette visibilité en
expliquant comment un ensemble de techniques, de strategies, de pratiques
organise, contrTMle et gere la production, la validation et la diffusion du
savoir expert sur le développement et sur les populations visies par ses
interventions.55
Au delà des mots, ce sont donc
des sujets catégorisés,
systématisés, qui apparaissent, sujets qui sont "définis
par le discours, construits dans les pratiques".56 Ces sujets
deviennent des individus sérialisés, identiques, aux besoins
standardisés et aux rTMles attribués d'avance. Ainsi on fait des
habitants du Sud, des habitants types, pauvres, peu instruits, ancrés
dans leurs traditions, qu'il faut moderniser (occidentaliser). Le fait de
nommer ainsi les différentes réalités enleve des
"possibles", transforme toute situation concrete en objet d'une expertise,
forcement subjective et réductrice. C'est une sorte de mythologie du
développement qui est ainsi mise en place, mythologie qui crée
des réalités, de problemes et des besoins auxquels la
coopération au développement tente de répondre par ses
projets.
En parlant de mythologie, loin de nous cependant l'idée
que les problemes vécus par les populations du Sud sont des inventions
du Nord. Ce que nous appelons mythologie est plutTMt la réalité
subjective qui est ainsi décrite par le biais du langage utilisé
dans la coopération et qui nous semble, par sa subjectivité, ne
donner qu'une interprétation des diverses situations vécues par
ces populations. Interprétation qui ensuite suscitent des
réactions "adaptées".
2. QUI DEVELOPPE LE SAVO IR DU DEVELOPPEMENT?
Au départ, il semble évident que ce savoir est
constitué par les hommes, puisqu'il en est ainsi de toutes les
connaissances. Ce savoir est non seulement masculin mais également
occidental. A l'instar du l'opposition entre savoir féministe/savoir de
femmes et savoir sur les femmes, il existerait un savoir du
développement et un savoir sur le développement. Nous appelons
savoir du développement celui qui est issu d'une pratique, ancrée
dans les situations vécues par les populations du Sud, mais
également par ceux qui travaillent avec eux, ce savoir pouvant donner
lieu à des théorisations, et etre issues de centre
d'études. Le savoir sur le développement serait à
l'opposé, dégagé de toute implication concrete dans ces
situations. La différenciation entre les différents acteurs ne se
ferait donc pas tellement à un niveau Nord-Sud mais plutTMt au niveau du
rapport à l'objet d'une part, à celui de son utilisation d'autre
part. Les acteurs de l'élaboration du savoir du développement
sont multiples: les instituts de recherche académiques du Nord et du Sud
(indépendants ou non), les institutions internationales actives dans la
coopération et leurs instituts de recherche propres, les ONG du Nord et
du Sud, pour n'en citer que quelques uns.
Pour la plupart de ces acteurs, on observe, au cours des deux
dernieres décennies, une nette évolution dans leur facon
d'appréhender les questions qui leur sont posées dans le cadre de
leur travail. On constate notamment que les centres de recherche, les
colloques, les séminaires et les études sur l'objet
et les
sujets de la coopération, à savoir les
sociétés du Sud, ont proliféré pour donner
naissance à une véritable science du développement. En
effet, parallelement aux actions concretes sur le "terrain", s'est
déployée une pléthore de recherches, séminaires,
conférences etc. sur la question du développement, et entre
autres,
54 Si tant est qu'une réalité
objectivement unique existe dans le domaine des relations humaines et donc du
développement.
55 SAINT-HILAIRE Colette, opcit, p. 82.
56 idem, p.83.
dans le domaine femmes et développement. Ce
décha»nement de littérature, de manuels et de grilles
d'analyse diverses, n'est pas sans effrayer certains a qui, comme Garcia
Castro,
l'élaboration de manuels concernant le genre, pratique
commune aux agences internationales et a certaines ONG, (me) fait peur. On
risque de s'embarquer sur un concept de type statique, impliquant des positions
et des rapports sociaux pré codifiés.57
3. L'UTILISATION POLITIQUE DU SAVOIR FEMINISTE ET DU
SAVOIR DU DEVELOPPEMENT
Nous pouvons, en reprenant ce que Foucault disait de la
sexualité comme "domaine a conna»tre", dire que "(le
développement, ainsi que le genre et les femmes), s'est constitué
comme domaine à conna»tre à partir de relations de pouvoir
qui l'ont institué en objet possible; et en retour, si le pouvoir a pu
le prendre pour cible, c'est parce que des techniques de savoir, des
procédures de discours ont été capables de
l'investir."58 C'est donc un processus d'aller-retour entre
le savoir et le pouvoir qui est effectué. Si le développement, et
ensuite le genre et les femmes ont fait l'objet de l'attention des
organisations et institutions, c'est parce que celles -ci ont vu qu'elles
pouvaient tirer une certain "bénéfice" de ces savoirs. Mais une
fois ce savoir existant, il est "absorbé" par le pouvoir qui, gr%oce a
un certain discours, réussit, d'une part a en faire une
"réalité", d'autre part a faire en sorte qu'il serve a confiner
les individus dans cette réalité.
Le développement de ce savoir sur les femmes sert-il a
augmenter leur pouvoir ou leur puissance59, ou alors sert-il a le/la
diminuer ? L'objectivation de la femme, sa constitution en objet
d'étude, a-t-elle permis a celle-ci de se libérer ou l'a-t-elle
asservie davantage? Et en particulier dans le développement, quelles
sont les conséquences de ce savoir sur son objet? Quels sont en
définitive, les objectifs et les buts poursuivis par le
développement du savoir?
A. La gestion et l'instrumentalisation du savoir
A propos de l'utilisation du savoir scientifique par les
institutions et gouvernements, citons un extrait de la politique du Centre de
recherches pour le développement international canadien en la
matière:
Les programmes du CRDI ont pour objectif le
développement durable et équitable par la production et
de l'utilisation du savoir. Ils se fondent sur l'hypothèse que
toutes les améliorations apportées au bien-être des
êtres humains sont attribuables au savoir -- a sa production, a sa
diffusion, a sa propriété et a son application
éclairée. Et la recherche, aussi bien en sciences
naturelles qu'en sciences sociales, est le moyen employé pour
acquérir le savoir. Au CRDI, cela se traduit par le financement de la
recherche dans les pays en développement, la recherche qui permet
d'élaborer des politiques et de mettre au point des technologies visant
a atténuer la pauvreté et a améliorer les conditions de
vie des personnes. Ainsi, chaque pays se dote des ressources le rendant apte a
identifier ses problèmes et de les résoudre. Le CRDI concentre
son action dans les domaines suivants: protection de la
57 GARCIA CASTRO Mary, Le pouvoir des
genres à l'époque du néo-libéralisme. Line
réflexion de gauche sur les féminismes en Amérique
latine, in Rapports de Genre et mondialisation des marchés, in
Alternatives Sud, Vol. V n° 4, 1998, pp. 45 -64, p. 51.
58 FOUCAULT Michel, Histoire de la
sexualité. La volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel,
Paris, 1976 , p. 130.
59 Je reviendrai sur cette distinction dans le chapitre
suivant.
biodiversité, exploitation équitable des ressources
naturelles, sécurité alimentaire, emploi durable, politiques pour
une société en santé, et information et communication."
60
L'objectif avoué des activités de ces centres de
recherches sur le développement serait donc d'améliorer les
conditions de vie des plus pauvres, à savoir les populations du Sud et
ce tant dans le développement des savoirs dans le Nord que par la
promotion et le financement de centres de recherches dans le Sud. Si
l'intention est louable nous mettons toutefois en doute le caractère
purement altruiste du financement de la recherche dans le Sud. Ce financement
ne constitue-t-il pas un moyen de contrôler et de gérer ce savoir?
Qui décidera en effet de ce qu'est une "application
éclairée" de ce savoir?
Comme le souligne justement Jane Parpart,
l'habilité de contrôler la connaissance et la
signification, non seulement au travers de l'écriture mais aussi par le
biais des institutions disciplinaires et sociales, est la clé pour
comprendre les relations de pouvoir dans la
société.61
Ce savoir en grande partie développé par le
Nord, implique qu'il repose sur des concepts occidentaux et qu'il est
élaboré dans des "laboratoires" de recherche situés au
nord mais aussi par les ONG ou institutions internationales. Au delà du
caractère occidental du savoir qui est développé, il faut
également souligner la dépendance intellectuelle,
financière et matérielle dans laquelle se trouvent certains
chercheurs et chercheuses du Sud.
Pour reprendre la citation du CRDI, on peut se demander qui a
choisi, et pourquoi, les domaines d'action que la recherche se propose de
couvrir. Si ces domaines sont certes intéressants, ils correspondent
à ce qui est considéré comme étant indispensable
pour arriver à un résultat voulu. Le fait d'insister sur
l'aptitude des pays à identifier leurs besoins correspond à ce
que nous soulignions auparavant à propos de l'investissement de certains
savoirs par le pouvoir.
B. Utilisation du savoir à des fins de gestion du
social
Plusieurs auteurs soulignent le danger que constitue
l'utilisation des savoirs pour légitimer l'action des institutions et
donc la 'gestion du social'. Maheu et Toulouse disent, à propos de la
connaissance, que
conna»tre, c'est aussi ma»triser et se donner les
moyens de planifier l'avenir et de concevoir puis actualiser des actions, des
interventions consistant à infléchir le cheminement ou
l'évolution d'un processus dans une direction préalablement
arrêtée, c'est-à-dire de gérer.62
Les sciences humaines sont donc confrontées à
une situation dans laquelle les connaissances qu'elles produisent sont
utilisées par les institutions dans leurs stratégies de gestion.
Alors que les études effectuées par les centres de recherche sont
évidemment indispensables, les résultats sont parfois
utilisés pour légitimer des mesures qui ne sont pas toujours en
accord avec ce qui est recherché. Ainsi combien de fois n'entendons-nous
pas telle ou telle mesure être justifiée parce que "des
études ont montré que". Le fait est que l'on peut faire dire
n'importe quoi aux chiffres, mais également aux données
qualitatives. Ces données, en général ultra
détaillées, font abstraction d'une problématique
d'ensemble. Par exemple, lorsque se pose la question de savoir si la
libéralisation des marchés a profité ou non aux
populations du Sud, d'aucuns prétendront que oui, alors que d'autres
soutiendront qu'au
60 Extrait du document"L'analyse Genre, un outil de
recherche" publié par le CRDI -
http://www.idrc.ca/gender/tool_f.html
61 PARPART Jane L., Quien es el "otro", Una
critica feminista postmoderna de la teoria y la practica de mujer y desarollo,
in Propuestas - Red Entre Mujeres, Lima, mai 1994, p. 2.
62 Cités dans PIRON Florence et COUILLARD
Marie-Andrée, Les usages et les effets sociaux du savoir
scientifique, in Anthropologie et Sociétés , vol.20,
n°1, Université de Laval, 1996, p. 13.
contraire ces populations sont dans une situation pire
qu'auparavant. Cette "subjectivite" permet la mise en Ïuvre de politiques,
dans une visee de gestion du social qui conditionne toute une serie d'actions.
Cette gestion du social est intimement like à la notion de
gouvernementalité qui, selon Foucault, est
'l'ensemble des pratiques par lesquelles on peut constituer,
définir, organiser, instrumentaliser les strategies que les individus,
dans leur liberte, peuvent avoir les uns à l'egard des autres. Ce sont
les individus libres qui essaient de contrTMler, de determiner, de delimiter la
liberte des autres et, pour ce faire, ils disposent de certains instruments
pour gouverner les autres.'63
Le fait d'avoir choisi comme credo le liberalisme,
c'est-à-dire, d'avoir accorde une legitimite aux theories prTMnant le
libre echange, a pour consequence la production d'un savoir qui a pour point de
depart ce paradigme et qui ne pose meme plus la question de la validite de ce
paradigme d'une part, delimite le nombre des possibles d'autre part.
Les possibilites d'agir en dehors du cadre fixe par cette "gouvernementalite"
sont donc reduites, d'une part parce que ce cadre ne le permet pas, d'autre
part parce que l'on n'arrive plus penser ces possibles.
4. LE DISPOSITIF DE DEVELOPPEMENT
Ce concept de 'dispositif' foucaldien peut etre egalement
adapté au developpement, comme le fait Colette St-Hilaire64
qui definit ce "dispositif de développement" comme etant un
'ensemble de discours, d'institutions, de pratiques et de
procedures à partir desquels les individus et les collectivites sont
constitues, d'une part, en objets sur lesquels il est possible
d'intervenir et, d'autre part, en sujets pouvant
eventuellement se gerer selon les termes du developpement.'65.
Le developpement en tant que systeme ou dispositif permet,
gr%oce aux savoirs sur les populations du Sud et aux appareils de gouvernement
mis en place, de penetrer, d'integrer, de gerer et de contrTMler les pays
et populations de maniere incroyablement detaillee et englobante.
Les connaissances sur les pays du Sud se sont faites de plus
en plus precises et detaillees. Statistiques à l'appui, les populations
sont cataloguees, rangées par categories, triees, afin de pouvoir, selon
les "specialistes" agir de la facon la plus efficace possible. La plus petite
parcelle de specificite est maintenant connue et utilisee pour justifier telle
ou telle mesure ainsi que pour creer tel ou tel besoin: "Les populations du Sud
n'ont pas acces à l'eau, creusons des puits, leur economie est
informelle, formalisons-la, leurs entreprises nationales ne sont pas rentables,
privatisons!", et ainsi de suite.
Il faut toutefois se rendre à l'év idence. Si le
savoir du developpement a echoue dans la resolution des problemes de sous
-developpement souligne Escobar,
'on peut aussi dire, peut-etre avec encore plus de pertinence,
qu'il a reussi à creer un type de sous-developpement qui, jusqu'à
present a ete en majeure partie, politiquement et economiquement
administrable.'66
63 FOUCAULT Michel,
L'éthique du souci de soi comme pratique de la liberté,
in Dits et Ecrits, tome IV, Gallimard, Paris, 1994, pp. 708-729, cite
par PIRON Florence et COUILLARD Marie -Andrée (sous la direction
de), Savoirs et Gouvernementalité, in Anthropologie
et Sociétés, vol.20, n1, Université de Laval, 1996, p.
13.
64 L'utilisation du concept de dispositif est faite par
plusieurs auteurs. Le premier à l'avoir utilise est Arturo Escobar. Par
la suite Saint Hilaire, Vezina, Couillard, et d'autres auteurs, notamment les
auteurs québécois, ont repris ce concept pou r parler du
"dispositif de développement".
65 SAINT-HILAIRE Colette, La
production d'un sujet-femme adapté au développement. Le cas de la
recherche féministe aux Philippines, in Savoirs et
gouvernementalite, n thematique de Anthropologie et
Sociétés, vol.2 0, n1, Université de Laval, 1996, pp.
81 -101, p. 82.
66 ESCOBAR Arturo, Power and
Visibility: the invention and management of Development in the Third
World, these de doctorat, Berkeley, University of California, 1997, cite par
VEZINA Annie: La micro-entreprise: une
Depuis tant d'années consacrées à la
résolution des problèmes du Sud en effet, peu d'avancées
sont visibles et pourtant, les acteurs du développement (gouvernements,
institutions internationales, ONG) continuent dans cette voie. Les programmes,
les recherches, les formations sont toutes concues à partir de cette
vision subjective qui est à la base du dispositif. Les financements sont
eux aussi soumis à cette vision. Plus de subsides aujourd'hui pour les
projets qui n'intégreraient pas le développement durable, la
participation populaire, l'environnement, les droits de l'homme,É Comme
l'explique Adela Bonilla,
"les acteurs du développement suggèrent aux
bénéficiaires de former des réseaux afin d'être plus
efficaces, définissent des thèmes importants pour
améliorer leur démocratie, promeuvent des dialogues Nord-Sud,
incorporent le genre au développement qui doit aujourd'hui être
durable. Peu à peu ils ont dicté les politiques qui
reflètent plus la vision du Premier Monde que la
recherche conjointe d'une proposition de monde
différente."67
Ce cadre imposé aux "bénéficiaires"
potentiels est de plus en plus strict. Si l'on veut bénéficier
des largesses du système, si l'on veut être pris en compte, il
faut désormais "présenter des projets bien
élaborés, mesurables et quantifiables". Il faut "(non seulement)
apprendre le langage, les manières et les chemins du
développement (mais également) être bien vu ou avoir le
soutien de quelqu'un de reconnu par le monde de la coopération, il ne
faut pas se tromper et demander des subsides pour un projet de formation pour
femmes à ceux qui s'occupent de santé, ni présenter un
projet de droits de l'homme à ceux qui financent des projets
productifs."68
Un autre aspect de ce dispositif est celui de l'utilisation
des ONG afin de garantir le bon déroulement des actions de
développement, telles qu'elles sont désirées par les
institutions internationales. Dans son article sur les micro-entreprises, Annie
Vezina suggère que les institutions de développement
international et les grandes agences de développement ont, depuis les
années 1950, "discipliné les ONG pour qu'elles effectuent des
interventions sur le terrain dans le cadre de paramètres de surveillance
spécifiques".69 Les gouvernements et les institutions ont en
effet tendance à financer des ONG pour effectuer des actions de terrain
à la place des états nationaux, reproduisant ainsi la domination
économique occidentale. En effet, et nous le verrons dans le chapitre
consacré aux différentes approches FED70, il y a une
volonté, de la part des Etats et des institutions, de privatiser et
individualiser toute une série d'activités qui normalement
incombent aux pouvoirs publics. L'utilisation des femmes non plus uniquement
comme bénéficiaires mais également comme "fonctionnaires
bénévoles" des services publiques, renforce le système
actuel qui tend vers le désengagement de l'Etat dans le domaine social
d'une part, l'individualisation et la destruction du lien de solidarité
d'autre part.
5. LE DISPOSITIF DE DEVELOPPEMENT APPLIQUE AUX
FEMMES
Ce dispositif mis en place dans le cadre général
du développement s'applique évidemment dès lors que les
femmes y sont intégrées. Les savoirs scientifiques sont
utilisés pour produire des
technique d'assujettissement des femmes dans le dispositif de
développement. Altérités. No 3 (janvier 2002).
http://www.fas.umontreal.ca/ anthro/varia/alterites/n3/vezina.html,
67 BONILLA Adela, Feminismo, el dinero y sus
caminos, in Hacia el VII encuentro feminista Latinoamericano y del Caribe,
La Correa feminista n°16-17, CICAM, Mexico, 1997, pp. 31-33.
68 idem.
69 VEZINA Annie: La micro-entreprise: une
technique d'assujettissement des femmes dans le dispositif de
développement. Altérités. No 3 (janvier 2002).
http://www.fas.umontreal.ca/anthro/
varia/alterites/n3/ vezina.html.
70 voir page 47
représentations qui justifieront des mesures
législatives et administratives.71 Cette remarque de
Couillard est valable tant pour le savoir du développement que pour la
question particuliere de l'intégration des femmes dans celui-ci. Nous
seulement il y a utilisation
du savoir sur les femmes mais il y a également
réappropriation de ce savoir par les institutions et les centres de
recherche. Ceux-ci créent des "sujets femmes" mais il usurpent
également la "maternité" de ces connaissances à leur
profit. Adela Bonilla dit à se sujet que les féministes se sont
senties dépossédées de leurs réflexions par les
"chercheuses", par "l'académie" qui a découpé le
féminisme en morceaux qu'elles analyses et quantifient dans des
études de genre et ce, de maniere
ultraspécialisée.72 En faisant l'objet de recherches
spécialisées, la pensée féministe a
également été dépossédée de son
aspect critique et la proposition politique novatrice qui était
derrière les revendications féministes s'en est trouvée
completement passée sous silence.73
Le fait de développer les recherches, d'affiner les
données, de constituer des tableaux de statistiques est essentiel
à la bonne gestion et à l'administration des projets mais elle a
aussi pour conséquence de mettre en adéquation le sujet avec la
représentation qu'on en donne. Ainsi les femmes, décrites comme
"pauvres", ou "opprimées", ou "battues", ou toute autre
catégorisation, vont finir par se penser et se représenter elles
-memes comme cela, dans les termes utilisés dans les projets. C'est ce
que Colette Saint-Hilaire appelle "la construction d'un sujet-femme
adaptable au développement".74 Ce sujet-femme aurait
donc des rTMles, des besoins, des attentes, qui ne sont plus tout à fait
ce qu'ils étaient avant d'avoir fait l'objet de cette "sujetisa tion".
Ils sont maintenant conformes aux standards de la coopération.
Dans son étude sur les filipinas,
Saint-Hilaire montre qu'en parlant des femmes en termes de "division du travail
et des responsabilités, de partage des décisions dans la famille,
de participation aux activités sociales" les projets mis en place ont
pour effet d'exclure nombre de réalités des femmes (violence
domestique, exploitation au travail, problemes politiques, etc.). De plus, le
fait de morceler les activités des femmes en différents rTMles,
mais aussi de les cantonner dans des catégories artificiellement
définies, permet, selon Kabeer, à différents groupes de
décideurs de se concentrer sur des aspects tres spécifiques de la
vie des femmes et de définir ainsi leurs interventions en fonction d'un
aspect unique.75 Ce qui a évidemment pour effet de rendre la
femme non pas plus autonome, mais bien plus administrable. En effet, la
réorganisation des femmes selon de nouvelles catégories a pour
résultat de fragmenter leur identité pour en faire un objet
adapté au développement.
Au-delà de l'objectivation de la femmes, ce dispositif
a également pour conséquence de l'assujettir. En effet, les
femmes, à la fois objets et sujets du développement, doivent,
pour etre "intégrées", etre "politiquement conscientes, actives
et responsables. Elles doivent etre plus productives économiquement et
plus engagées socialement." 76 Alors qu'elles se battent pour sortir de
leurs rTMles traditionnels, et de ce que la société leur imposait
comme t%oches, voilà les femmes soumises à un nouveau joug: celui
du développement.
71 COUILLARD
Marie-Andrée, Le savoir sur les femmes. De l'imaginaire, du
politique et de l'administratif, in Savoirs et gouverneme
ntalité, n° thématique de Anthropologie et
Sociétés , vol.20, n°1, Université de Laval,
1996, pp. 59- 79, p. 60.
72 BONILLA Adela, op. cit., p. 33.
73 PISANO Margarita, La
simulaci--n o La Academia y los movimientos sociales, in PISANO,
Margarita, Un cierto desparpajo, Ediciones Noemero Cr'tico,
Santiago de Chile, 1996.
74 SAINT-HILAIRE Colette, La
production d'un sujet-femme adapté au développement. Le cas de la
recherche féministe aux Philippines, in Savoirs et
gouvernementalité, n° thématique de Anthropologie et
Sociétés, vol.20, n°1, Université de Laval, 1996,
pp. 81 -101, p. 84.
75 KABEER Naila, opcit, p. 158.
76 SAINT-HILAIRE Colette, opcit., p. 85.
77 idem.
78 idem.
79 FOUCAULT Michel, Histoire de
la sexualité. La volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel,
Paris, 1976 , p. 133.
80 Nous avons choisi d'utiliser "empouvoirement" comme
traduction de "empowerment". Cette traduction
exprime bien, selon nous, le caractère dynamique et
évolutif du concept. Ce concept est décrit page 50.
Or, comme le souligne Saint-Hilaire, ces femmes n'ont pas
demandé ni commandé ces recherches, cette théorisation.
C'est pour répondre à ses propres besoins que la
coopération internationale a mis en place de telles
"structures".77 En institutionnalisant ainsi les besoins, des femmes
ou d'autres secteurs de la population, on déplace en
réalité leur lutte dans des arènes plus
contrôlées et administrables. tine fois à l'ordre du jour
des organisations internationales et des gouvernements, les actions qui
auparavant échappaient au contrôle et au champs d'application du
dispositif, peuvent maintenant etre canalisées dans des structures
contrôlables par le Pouvoir.
6. EN FORME DE CONCLUSION
L'idée générale de cette première
partie est donc de montrer que les savoirs développés dans le
champs du féminisme et du développement, y compris la notion de
genre, sont non seulement instrumentalisés à des fins de gestion
du social mais également délégitimés, tous deux
étant, dans une certaine mesure, des savoirs alternatifs et subversifs,
ne cadrant pas, l'un avec le savoir masculin, l'autre avec le savoir
institutionnalisé et mondialisé que sont le capitalisme et le
libéralisme (eux aussi savoirs masculins). Cette gestio n du social est
le fait d'une certaine coopération qui est ce que nous qualifions
d'institutionnalisée. A l'intersection du savoir et du pouvoir, le
développement se renouvelle donc sans cesse, s'alimentant du vécu
et de la situation vitale de ceux à qui il prétend s'adresser,
"véritable machine à faire dire et à faire voir,
incorporant de nouveaux discours, problèmes et pratiques."78
Cette vision négative de ce que peut etre le développement n'est
cependant pas sans issue. Comme dans le dispositif de Foucault, dans lequel les
rapports de force multiples traversent le corps social, une multiplicité
de points de résistance existent eux aussi, comme irréductible
vis-à- vis. Le discours, qui peut etre instrument et effet de pouvoir,
assujettissant les corps et les etres, peut également etre "obstacle,
butée, point de résistance et départ pour une
stratégie opposée". "Le discours véhicule et produit le
pouvoir; il le renforce mais aussi le mine, l'expose, le rend fragile et permet
de le barrer."79
C'est donc au travers de ce binôme
"pouvoir-résistance" que nous analyserons l'évolution du
"dispositif de développement" adapté aux femmes, notamment les
différentes grilles d'analyses et approches pratiques utilisées
dans l'IFD et le passage à l'IGD. A cette coopération nous
opposons une autre coopération qui serait basée non pas sur un
accès au pouvoir mais bien sur une augmentation de puissance des
populations du Sud. Nous observerons en particulier quelle peut etre le
rôle des ONG dans le développement de ces alternatives à un
développement institutionnalisé. Pour cette partie nous verrons
en quoi la notion de puissance développée par Benasayag peut etre
utile dans la mise en oeuvre de stratégies destinées à
augmenter l'autonomie des femmes ainsi que leur empouvoirement.
80
DU FED AU GED: L'EVOLUTION
DU DISPOSITIF DE
DEVELOPPEMENT
Chapitre I: Des Femmes dans le
développement (FED) au Genre et
développement (GED)
1. DEVELOPPEMENT ET COOPERATION AU DEVELOPPEMENT: UNE
INTRODUCTION
On l'a vu au chapitre précédent, le langage est
important et les mots utilisés pour désigner telle ou telle
réalité diffèrent d'une langue à l'autre. Ainsi,
dans certaines langues africaines, 'développement' se
traduit-il par 'le rêve du blanc'. Cette petite anecdote
illustre à la fois l'importance du langage (comme nous l'avions
déjà souligné au chapitre précédent), mais
également le caractère occidental du développement et par
extension de la coopération au développement.
La coopération au développement est en quelque
sorte un monde à part dans les relations internationales81
même si l'on se rend compte (et on le montrera) que le
développement participe évidemment de la même logique que
l'ensemble des relations internationales, économiques, politiques ou
sociales.
L'appellation "coopération au développement"
prête le flanc à de nombreuses questions et critiques: Quel
développement est poursuivi? Quelle coopération est
envisagée et qu'est-ce que coopérer? Quels sont les acteurs qui
sont impliqués dans cette "coopération"? Comment
interagissent-ils entre eux? Et quels sont les résultats pour les
populations qui sont censées bénéficier de ces programmes
de développement.
En nous basant sur les conclusions que nous avons pu tirer de
l'analyse de la constitution des savoirs féministes et des savoirs de
développement, et les liens qu'il y a entre ceux-ci et les structures de
pouvoir dans ce qu'on a désigné sous le terme de "dispositif de
développement", nous pouvons tirer quelques conclusions sur la
'philosophie' sous-jacente au développement et aux activités de
coopération, car c'est cette action de coopérer, de
collaboration, de partenariat qui nous intéresse.
Pour commencer, nous pouvons dire, comme le souligne Escobar,
que les discours du développement ont 'fonctionné comme de
puissants instruments pour faconner et gérer le Tiers - Monde'.
82Selon lui,
'la description du Tiers-Monde comme étant
sous-développé a constitué un élément
essentiel de la globalisation du capital dans l'après deuxième
guerre mondiale. (É) un discours culturel a été
élaboré qui a non seulement placé le Tiers-Monde dans une
position d'infériorité mais l'a aussi, plus efficacement et plus
clairement que jamais, assujetti à l'action scientifique, normalisatrice
des technologies occidentales politico-culturelles, d'une facon plus
dévastatrice que son précédent colonial.
Les individus et les situations sont donc décrits comme
étant en besoin absolu d'une aide et de solutions extérieures,
aide que le développement se propose d'apporter. Cette remarque rejoint
pleinement le constat que la coopération au développement
participe d'un processus plus large, basé sur le capitalisme et le
libéralisme, qui a pour objectif que le monde
81 Cette observation vaut surtout pour le versant ONG de la
coopération au développement et donc sa partie
indépendante, autonome des états et des institutions
supranationales (ONU, BM, FMI, OMC, etc.).
82 ESCOBAR Arturo, Culture, economics and
politics in Latin American social movements theory and research, in
ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The
making of the social movements in Latin America. Identity, strategy and
democracy, Westview Press, Boulder, 1992, pp. 62-85, p. 65.
devienne un vaste marché, dans lequel le
libre-échange et la liberté d'entreprendre prévaudraient.
En parallèle, il y a certes un désir que ce libéralisme se
fasse au profit de tous, mais dans les faits il semble que ce soit loin
d'être le cas. Dans cette situation, le choix de l'autonomie,
définie au niveau individuel, mais également au niveau collectif,
comme mode d'action, qu'il soit opposé ou complémentaire à
une participation institutionnelle au développement, nous parait
indispensable. Nous nous intéresserons d'autant plus à ce clivage
autonomie-institutionalisation qu'il est omniprésent dans les mouvements
féministes en Amérique latine, comme nous le verrons plus
loin.
A. Coopération et Développement: un bref
historique
C'est au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale que la
coopération au développement est née, jetant les bases de
ce que nous connaissons actuellement. A l'époque, il s'agissait d'une
part d'aider l'Europe à se reconstruire et d'autre part d'enrayer la
progression du communisme. Pour ce faire, il fallait aider les pays
susceptibles de basculer "à l'Est" en leur fournissant des moyens
financiers, techniques et militaires. Très vite la coopération
s'est scindée en deux parties: l'aide à la croissance
économique, dite "coopération au développement" et l'aide
d'urgence.83
Durant les années soixante et septante, alors que
l'accent avait été mis sur le "développement", et pendant
que la croissance des pays occidentaux ne cessait d'augmenter, les pays du Sud
voyaient leur situation se dégrader. Si la stratégie de
développement mise en place visait l'accroissement de la production en
général, de la production de nourriture en particulier, les
nations défavorisées étaient en réalité
dépossédées de leurs ressources par le tout à
l'exportation et le délaissement de l'agriculture de subsistance
pour l'industrialisation massive (accompagné dans certains cas par un
démantèlement de l'Etat). Alors que si les intentions semblaient
aller dans la direction d'un regain d'autonomie pour les pays du Sud, c'est au
contraire une relation de domination du Nord sur le Sud qui s'est
installée.
Suite à cet échec, l'accent a été mis
sur
la satisfaction des besoins essentiels, sur le retour à
un "développement à visage humain". Les pays en
développement exigeaient de pouvoir prendre part à leur
développement, de participer à l'élaboration des
décisions les concernant et surtout revendiquaient une
répartition des ressources mondiales et des échanges commerciaux
plus égalitaire, qui ne corresponde plus tant à un réel
développement qu'à une réelle coopération. Guy
Hermet dit à cet égard que
le développement ne devient effectif et digne de ce nom
que s'il modifie les hiérarchies et les rTMles, et cela
en reposant dans une mesure suffisante sur une dynamique interne
capable d'engendrer une mobilisation à la fois
productive et morale de la population en cause.84
Or cette modification hiérarchique des rTMles, tant au
niveau international qu'au niveau interpersonnel, est restée lettre
morte. La dynamique interne, permettant aux citoyens de prendre en mains leur
propre destin a été longtemps mise de cTMté
également.
B. Les femmes font leur entrée comme actrices du
développement
83 On parle aujourd'hui d'aide au développement ou
d'aide humanitaire, les deux domaines se distinguant assez nettement l'un de
l'autre dans les méthodes utilisées et dans les visions
sous-jacentes à leurs actions, même si les acteurs participant aux
deux domaines sont souvent identiques. La différenciation principale
entre les deux vient principalement de l'urgence dans laquelle agissent les
organisations d'aide humanitaire. Cette urgence a des répercussions sur
la totalité de leur action, tant au niveau de la conception, de la
gestion que de l'évaluation de leurs projets.
84 HERMET Guy, Culture et
développement, Presses de Sciences Po, Paris, 2000, p. 23.
Dans cette situation de "mal-développement", les femmes
étaient les "invisibles parmi les invisibles" et la stratégie
basée essentiellement sur la croissance du PIB ne faisait que contribuer
à la dégradation de leur position. En particulier, le
système économique libéral qui a succédé au
colonialisme a perpétué la subordination des femmes.
Ce constat constitue la base de la thèse d'Ester
Boserup. Celle-ci a contribué, gr%oce à son livre
Women's role in Economic development, en 1970,
à mettre le thème "femme et développement" à
l'ordre du jour des institutions internationales.85 Si la
thèse développée par Boserup dans son ouvrage est
largement inscrite dans une vision productiviste du rTMle des femmes, elle a
cependan t le mérite de mettre en avant la responsabilité
occidentale capitaliste dans la détérioration du statut des
femmes.
C'est donc au début des années 1970 que commence
ce que Anita Anand appelle "course Femmes et développement" et
qui désigne l'engouement qui a suivi la Conférence Internationale
de l'Année de la femme en 1975.86 Véritable course en
effet, tant les moyens humains et financiers mis en Ïuvre pour tenter de
prendre en compte la femme dans le développement ont été
importants.
Selon l'expression consacrée, intégrer la
femme au développement signifie que celle -ci joue son rTMle,
qu'elle participe à l'effort de développement et qu'elle
s'intègre au marché. Il s'agit donc d'un développement qui
reste essentiellement axé sur la croissance économique.
Alors qu'auparavant les femmes étaient
considérées uniquement en tant que mères et
épouses, elles sont devenues des "unités de production". A partir
de la thèse de Boserup, les partisans du FED vont inscrire la
subordination de la femme dans un cadre principalement économique. La
différence de statut et de pouvoir des femmes est uniquement
causée par leur exclusion du marché. Il suffirait donc simplement
de faire en sorte qu'elles ne soient plus exclues de la sphère
économique pour qu'elles puissent enfin revendiquer un statut
égal à celui des hommes. Cependant cette thèse peut
facilement se retourner contre les femmes. Comme le souligne ironiquement Jane
Jacquette, si toute production mérite récompense, et s'il est
admis que les femmes sont, pour des raisons physiques, moins productives que
les hommes, il est alors normal que les femmes recoivent moins de ressources ce
qui bien évidemment serait contraire à l'effet
recherché.87 Les partisans du FED ont démontré
que le manquement dans la reconnaissance et l'utilisation des rTMles productifs
des femmes, au sein des foyers et en dehors, est une erreur de planification
entra»nant une mauvaise utilisation des ressources. Il en découle
que si l'on améliore l'accès des femmes aux technologies et aux
crédits, leur productivité en sera augmentée et aura un
impact positif sur le développement national. L'investissement dans les
femmes aurait donc des conséquences positives en termes
économiques mais également en termes sociaux.
Parallèlement, cette première époque voit
l'émergence d'un fort courant féministe économiciste qui
défie le concept d'efficacité des théories
économiques néoclassique et qui élargit le discours de
l'efficacité pour défendre un développement humain et
durable. La stratégie qui consistait à concevoir des projets
mettant l'accent sur les femmes, avec pour objectif plus d'équité
et plus d'efficacité économique, a eu pour répercussion de
donner la
85 BOSERUP Ester, Women's role in economic
development, Earthscan Publications, London, 1989 (1970).
86 ANAND Anita, Un point de vue féministe
sur le développement, in ISIS, Femmes et
développement. Outils pour l'organisation et l'action, Editions d'en
bas/L'Harmattan, Lausanne et Paris, 1988, p. 22.
87 La moindre productivité des femmes est
évidemment toute relative. On dit souvent au contraire que les femmes
ont une capacité de travail supérieure à celle des hommes.
A ce propos, la plupart des personnes rencontrées lors de nos voyage en
Amérique centrale, évoquaient le rTMle primordial des femmes dans
la reconstruction après l 'Ouragan Mitch ainsi que la charge de travail
particulièrement important qu'elles ont pris en charge.
priorité à ce que le développement attendait
des femmes plutôt qu'à ce que les femmes attendaient du
développement.
Or, comme le souligne Annie Vézina,
on remarque que les interventions et les discours
féministes (IFD et GED)88, qui
véhiculent l'idée que pour se libérer,
les femmes doivent s'intégrer au développement en participant
à des activités économiques, peuvent entrer en conflit
avec les rôles qui sont traditionnellement dévolus aux
femmes89.
Les modalités d'intégration de la femme dans le
système économique productif dépendent des analyses mais
on observera que lorsque l'aspect économique de cette intégration
prime sur l'aspect social et politique, les cadres proposés sont
inadaptés. La question de la pertinence de ce savoir se pose d'autant
plus qu'il existe toujours un décalage entre la théorie et la
pratique. De cette observation on peut faire deux constats:
Le premier est que cette meilleure connaissance "absolue" de
la situation des femmes n'a pas contribué à une
amélioration visible du sort des populations étudiées. Ce
constat quelque peu pessimiste s'observe à la fois dans le domaine du
développemen t et dans le domaine des femmes. J'étayerai cette
assertion dans la partie consacrée au féminisme en
Amérique latine.
Le deuxième constat, corollaire du
précédent, est que l'acquisition de ce savoir n'ayant
profité ni aux femmes, ni au développement en
général, il a par contre été utile aux ONG et aux
institutions qui en ont fait leur "fonds de commerce". Cette connaissance sur
l'objet qu'est le développement, les femmes et le genre, s'est vue
développée et instrumentalisée par les ONG et
institutions, qui y ont puisé une certaine légitimité pour
leurs actions, voire leur existence même. Cependant, le savoir
utilisé reste largement dépendant d'une école de
pensée particulière, d'une théorie qui reste assez
statique alors que le défi à relever, si l'on veut que le genre
contribue au dynamisme du développement, est celui de"s'orienter
vers la découverte, la réinvention des cheminements, la
dialectique d'un processus dans lequel on reconna»t à
différentes cultures des significations qui ne sont pas
nécessairement univoques."90
Or on observe ici que la plupart des théories qui
émergent dans le domaine FED sont apolitiques, sans prises de positions
claires. Il s'agit plutôt de constats, d'observations, de cadres qui sont
élaborés sans que ceux-ci ne se rattachent à une
réalité concrète. Dans la plupart des cas, la base de ces
théories est une "resucée" édulcorée et
dépolitisée du discours féministe (par exemple les cadres
des rôles et des besoins que nous analyserons dans le chapitre suivant).
Comme le fait remarquer Dagenais, on est frappés par le haut niveau
d'abstraction du discours et le ton désabusé, sinon franchement
cynique, adopté par beaucoup d'auteurs.91
Par ailleurs, on observe que certaines théoriciens,
qui, à l'instar des féministes, préfèrent
repolitiser les concepts et travailler à l'élaboration
d'alternatives théoriques ou pratiques d'un autre développement,
et n'hésitent donc pas à remettre en question le système
global du développement et le patriarcat, sont peu prisés par les
institutions. Lorsque les institutions se réapproprient leurs
théories, elles perdent ce caractère novateur (en termes
d'analyse des relations de genre et de leur répercussion sur
l'organisation générale de la société). Pisano dit
à cet égard que les connaissances ne se légitiment pas
toutes de la même
88 IFD: Intégration des femmes dans le
développement; GED: genre et développement.
89 VEZINA Annie: La micro-entreprise: une
technique d'assujettissement des femmes dans le dispositif de
développement Altérités. No 3 (janvier 2002).
http://www.fas.umontreal.ca/ anthro/varia/alterites/n3/vezina. html.
90 GARCIA CASTRO, opcit., p.52.
91 DAGENAIS Huguette, Conceptions et
pratiques du développement: contributions féministes et
perspectives d'avenir, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine
(dirige par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction
à une problématique, Cahiers Genre et
développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, p.
32
manière et que celles qui impliquent une action
politique envers le patriarcat, le remettant en question, se "recyclent " de
manière à les rendre impraticables, neutres et finalement,
fonctionnelles pour le système. 92
Cette constatation n'a cependant rien d'extraordinaire
puisqu'il est normal, lorsqu'une théorie ou une pensée
est réappropriée par le politique, de voir cette théorie
servir à confirmer, à conforter, et à justifier les
actions des responsables politiques. Nous avions d'ailleurs abordé cette
question de la perte d'imagination dès lors qu'il s'agit d'exercer
réellement le pouvoir et la transformations de celui-ci en gestion
dans le chapitre précédent.
Dans la plupart des cadres et des approches que j'analyserai
dans cette partie, on observera donc ce phénomène
"d'adoucissement" du propos, phénomène qui donne l'impression que
lorsqu'on parle d'intégrer le genre au développement, il s'agit
plutôt de ÇrafistolagesÈ, d'intégration d'un
élément mineur - femme ou environnement - comme on enfonce un
dernier objet au fond de la valise avant de la fermer, lorsqu'elle est
déjà pleine. En fait, il s'agit pour le développement de
décider ce qu'il veut de la femme et non pas pour la femme de
décider ce qu'elle veut du développement.
Paradoxalement à cet "adoucissement", on observe que la
coopération internationale reste dans le pratique, dans le
terre-à-terre, et rien n'est vraiment fait pour que le regard change. Ce
regard, c'est souvent celui de l'expert, du spécialiste, du technicien
et c'est celui-là qui influence les projets qui sont mis en place. Il
semblerait donc qu'il y ait en quelque sorte un écart entre ce qui se
dit et se projette dans les cénacles de la coopération
internationale (au niveau institutionnel) et ce qui peut se voir dans la
réalité des projets portés par les ONG. Les ONG se voient
en effet confrontées à une double contrainte paradoxale qui les
fait osciller en permanence entre une vision et une manière d'agir
alternative et novatrice et la contrainte financière et souvent
politique (malgré le "N" de leur nom) qui les oblige le plus souvent
à adoucir leurs actions et propos et à se ranger dans le rang
institutionnel.93 La situation n'est pas différente en ce qui
concerne l'utilisation du concept de genre.
2. L'EVOLUTION DU 'DISPOSITIF' FEMMES ET
DEVELOPPEMENT
Nous avons dans les chapitres précédents,
analysé la question du genre et du développement sous l'angle du
savoir et du pouvoir que nous avons synthétisés à partir
de la notion de dispositif de développement.
C'est donc en poursuivant dans cette option théorique
que nous allons analyser quelques concepts et cadres d'analyses qui sont (ou
ont été) utilisés dans l'approche "femmes et
développement" dans un premier temps, "genre et développement"
par la suite. Nous ne prétendons pas faire une analyse exhaustive des
cadres théoriques en la matière mais plutôt montrer quelle
en a été l'évolution conceptuelle, quelles ont
été les influences majeures et
92 PISANO, Margarita , Un cierto
desparpajo, Ediciones Noemero Cr'tico, Santiago de Chile, 1996.
93 Sur l'action du "militant humanitaire" et de la situation
paradoxale dans laquelle il se trouve par rapport au système
capitaliste, Benasayag dit ceci:
Pour ces gens de bonne volonté, la question n'est plus
d'essayer de "changer le monde", mais de voir comment, au moins, on pourrait
intervenir efficacement pour stopper ou limiter l'horreur. Cette attitude
procède d'une ambigu ·té fondamentale: d'un
côté, la matérialité de l'action est indiscutable;
mais de l'autre, le mouvement dans lequel elle s'inscrit est très
souvent instrumentalisée par la société du spectacle, qui
joue sur la fascination de l'horreur du monde. Emerge ainsi le spectacle
des"bons" qui aident les autres, laissant intacts les mécanismes qui
maintiennent la grande majorité dans un rôle de spectateur. Le
militant humanitaire (avec des variantes et des exceptions) court ainsi en
permanence le risque de produire des effets opposés à ceux qu'il
désirait. En n'abandonnant pas la croyance en une "totalité
abstraite" du monde, il dépouille les habitants de la puissance qui
n'existe que comme développement dans l'universel concret. Ainsi, dans
un monde homogène, unifié par le pouvoir, le militant humanitaire
finit par accepter l'impossibilité de s'opposer à
l'hégémonie capitaliste." BENASAYAG Miguel et SZTULWARK
Diego , Du contre-pouvoir, La Découverte, Paris, 2000,
p. 74.
comment ces options théoriques ont contribué (ou
non) à un "mieux développement". Nous adopterons donc une
approche à la fois chronologique et thématique afin de mieux
comprendre ce qui a provoqué ce changement conceptuel du FED au GED.
Quelques cadres théoriques et quelques auteurs nous ont donc
semblé importants pour montrer cette évolution, soit parce qu'ils
sont les plus utilisés dans le monde de la coopération, soit
parce qu'ils ont influencé un changement majeur dans les théories
utilisées.
Naila Kabeer différencie trois différentes
façons d'aborder la question "femmes et développement": la grille
des rTMles de genre, la grille du triple rTMle, et enfin l'analyse des
relations sociales. 94 Ces différents cadres ont donc servi
de base théorique aux différentes approches pratiques qui ont
marqué l'approche "Femmes et développement" en vigueur à
partir du milieu des années soixante-dix. On peut distinguer, comme
Moser le fait dans son analyse sur la planification de genre95, cinq
approches intégrant les femmes dans le développement:
l'approche du bien-titre, de l'équité
, de la lutte contre la pauvreté , de
l'efficacite et de l'empouvoirement. Les quatre
premières approches sont essentiellement utilisées par le Nord
dans ses actions vers le Sud. La dernière, celle de l'empouvoirement,
est concue et défendue par les
femmes du Sud elles-memes, en réponse aux
premières.
A nos yeux, l'analyse des relations sociales ainsi que
l'approche empouvoirement font partie de l'approche Genre et
Développement. En se référant à ce que nous avions
développé dans la première partie, notamment ce qui touche
au "dispositif de développement" et l'utilisation du savoir dans la
construction d'un développement "alternatif", nous pouvons en effet dire
que ces analyses et approches sont différentes à plus d'un titre.
Elles représentent à la fois un changement sémantique et
un changement organisationnel. En utilisant le genre comme terme de
référence et en axant les théories et les pratiques sur
les femmes et à partir des femmes, ces approches permettent de sortir du
dispositif de développement ou du moins en montrent les alternatives.
Nous les analyserons donc séparément.
A. Les cadres théoriques
i. Le cadre des roles de genre
Le cadre des rTMles de genre a été
développé par l'Université d'Harvard. Son objectif est de
fournir aux professionnels du développement un cadre permettant de
prendre en compte un maximum de facteurs lors de la mise en oeuvre d'un projet
de développement (que celui-ci soit spécifiquement adressé
aux femmes ou non). Il s'agirait donc d'un outil servant dans la planification
afin de dépasser une allocation des ressources insuffisante. Dans ce
cadre96, l'accent est une fois encore mis sur le rTMle productif de
la femme et son intégration dans la sphère de production meme si
le postulat de départ est que l'équité et la croissance
économique sont des objectifs compatibles qu'il faut atteindre
simultanément.97 En mettant
94 KABEER Naila, Triples rTMles,
rTMles selon le genre, rapports sociaux: le texte politique sous-jacent de la
formation à la notion de genre, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR
Christine (dirige par), Le Genre: un outil nécessaire.
Introduction à une problématique, Cahiers Genre et
développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris- Genève, pp.
155-174.
95 MOSER Caroline O.N.,
Planificaci--n de género y desarollo: teoria, practica y
capacitaci--n, Entre Mujeres/ Flora Tristan ediciones, Lima, 1995., pp.
91-123
96 voir OVERHOLT Catherine (et
al.), Femmes dans le développement: cadre pour un projet
d'analyse, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige
par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à
une problématique , Cahiers Genre et développement,
n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, pp. 201-214.
et RAZAVI Shahrashoub et MILLER Carol, From
WID to GAD. Conceptual Shifts in the Women and Development Discourse,
Occasional Paper n°1, UN Fourth conference on Women, février 1995,
pp.16-19.
97 OVERHOLT Catherine, opcit., p.
202.
l'accent sur des arguments économiques (allouer des
ressources aux femmes), ce cadre, selon Razavi et Miller, cherche à
amadouer ceux à qui les concepts de "femmes" et "équité"
feraient peur.98
Ce cadre prend en compte quatre dimensions:
- l'impact différencié selon les sexes d'un
contexte général, - la répartition sexuelle des
activités,
- l'accès et le contrTMle différencié aux
ressources,
- les mécanismes de prise de décision. 99
En faisant abstraction totale de ce que Kabeer appelle connexion
sociale (social connectedness)100 et qui concerne
les relations concretes entre les femmes et les hommes,
cette analyse risque d'être figée dans le temps et l'espace
et, de ce fait, de ne pas montrer comme le changement
intervient dans ces relations et dans la division des rTMles et des
responsabilités. De plus, en insistant sur les différences entre
les hommes et les femmes, l'analyse tend à masquer les relations entre
les deux sexes, leurs interactions, collaborations, lieux
d'intérêt et leurs échanges.
Elle fait également abstraction de la question du
pouvoir, comme si elle ne se posait pas. Or comment expliquer la
différence dans l'allocation des ressources - matérielles ou
autres, si ce n'est en soulevant la question du pouvoir. Pour ces auteurs,
l'observation seule des faits, et leur systématisation via des
données bien ordonnées, suffirait à changer cette
inégalité d'accès aux ressources. Les femmes sont
considérées comme appartenant à un système
donné (qui est en général le
ménage101 mais peut être également la
communauté) mais les interactions, souvent complexes, entre
éléments de ce système ne sont pas mises en exergue et les
causes de l'inégalités ne sont pas analysées.
Cette facon d'analyser les choses correspond à la
tendance qu'ont les ONG et les institutions à esquiver le politique. En
effet, se confiner à la sphère privée permet de faire
l'économie de la question du rTMle politique des femmes, de leur
citoyenneté et de leur accès au pouvoir mais aussi de la
dimension collective de leurs actions, en tant que femmes autonomes et non plus
seulement en tant qu'épouse ou mère. En réalité,
l'objectif principal (et peut-être le seul) est la réussite des
projets dans lesquels, les femmes ne jouent qu'un second rTMle dans ces
projets, n'étant qu'exécutantes.
ii. Les triples rTMles de genre: rTMle de reproduction,
rTMle de reproduction et rTMle communautaire
98 RAZAVI et MILLER, opcit., p. 17.
99 ZWALHEN Anne, Vers un autre genre de
développement, in Créativité, femmes et
développement, Cahiers de l'IUED, Genève, 1997, pp. 31-41, p.
32.
100 Voir l'analyse des relations sociales point iv.
101 Le ménage, ou foyer, est ici
considéré sous un angle"traditionnel": un homme, une femme, deux
ou trois enfants et le posent comme"unité" de base pour l'étude
des relations sociales de genre. Ne prendre en compte que les relations au sein
du foyer est doublement critiquable: d'une part, en considérant qu'il y
a un homme et une femme au sein de la famille, on fait abstraction d'autres
modes de structure familiale (beaucoup de femmes sont seules chefs de familles,
il existe d'autres formes de groupes communautaires), d'autre part, se limiter
aux relations hommes-femmes dans la sphère privée, en particulier
dans le couple, n'est que poursuivre ce qui a été fait
auparavant, à savoir confiner la femme dans la sphère
privée, comme si elle n'avait de relations avec les hommes que dans son
"ménage" mais aussi comme si les relations avec les autres femmes
n'étaient jamais empreintes de pouvoir ou de domination mais aussi de
coopération et complicité. La question lesbienne notamment est
rarement abordée par le monde de la coopération, alors qu'il
s'agit d'un thème récurrent parmi les féministes en
Amérique latine.
Caroline Moser, entre autres, base la planification en terme
de genre sur l'analyse des rTMles. Elle en dénombre trois:
reproductif, productif et communautaire. Il s'agit
évidemment d'une simplification de la complexité de la
réalité, mais l'identification de ces trois rTMles est, selon
Moser, un outil permettant de rendre visible ce qui ne l'était pas
auparavant.102 En effet, l'objectif est de provoquer une prise de
conscience et d'attirer l'attention sur le fait que les femmes doivent trouver
un équilibre entre leurs différents rTMles et que cela a une
implication sur leur capacité à participer aux projets et
à leur investissements dans ceux-ci.
La nouveauté du schéma des trois rTMles
réside dans la reconnaissance du temps et de l'effort
déployés par les femmes dans l'aménagement de la
communauté locale. Les femmes agissent tant au niveau des
infrastructures qu'à celui des services. Le tissu des relations sociales
est envisagé comme un ensemble d'infrastructures et de services.
Cependant ce schéma reste, selon Jeanine Anderson, l'une des
reductions les plus maladroite qu'on ait tenté d'appliquer
à l'analyse de la femme et à celle du développement.
103
La définition des rTMles se fait en fonction des
ressources qu'ils génèrent. Le rTMle productif a ainsi trait
à la production des ressources économiques et matérielles,
alors que le rTMle reproductif a trait à la gestion et la reproduction
des ressources humaines. Ces deux rTMles ne sont en fait qu'une autre facon de
différencier la sphère privée de la sphère
publique, les concepts de reproduction et de production.
Pour ce qui est du rTMle communautaire,
Kabeer souligne le manque de clarté dans la définition qu'en
donne Moser. On ne sait pas très bien en effet si ce rTMle
communautaire produit des biens et services
gr%oce aux efforts communautaires plutTMt qu'individuels,
l'accent étant mis dans ce cas sur l'organisation de la production, ou
si au contraire les efforts collectifs se rapportent à ce qui est
produit, par le fait de revendications rendues possibles gr%oce à
l'appartenance des membres aux organisations communautaires.104
Par ailleurs, au-delà de cette imprécision, Moser fait la
différence entre le rTMle de gestion communautaire et
le rTMle de politique communautaire. La gestion serait le fait
des femmes, et Moser décrit ce rTMle comme étant "une extension
du rTMle reproductif", puisqu'il s'agit de veiller au bien-titre de sa famille
et de sa communauté. La femme remplit ce rTMle lors de ses temps libre
et bénévolement. Le rTMle politique communautaire serait le fait
des hommes. Il s'agirait ici d'organisation politique formelle, impliquant
rémunération et augmentation de statut et de pouvoir.
105 Moser relève toutefois que ce clivage entre investissement
communautaire bénévole féminin et investissement politique
rémunéré masculin est renforcé par les
états, les institutions et les ONG. Quand des t%oches sont
redistribuées aux femmes, dans le cadre de projets (par exemple des
projets de santé communautaire ou d'alimentation), elles le font en
général gratuitement et pour combler le vide institutionnel.
Cette instrumentalisation des femmes est particulièrement claire dans
l'approche "efficacité" que nous analyserons plus loin.
Ce rTMle communautaire, décrivant les activités
des femmes dans la gestion de leur communauté, ne décrit pas, du
moins pas de manière explicite dans les textes de Moser,
l'activité politique des femmes dans d'autres lieux que leur
communauté. Or, c'est autour de la défense du bien -etre des
individus et de l'intéret pour la gestion collective des biens
102 MOSER Caroline O.N.,
Planificaci--n de género y desarollo: teoria, practica y
capacitaci--n, Entre Mujeres/ Flora Tristan ediciones, Lima, 1995, p.
140.
103 ANDERSON Jeanine, Le
'triple rTMle', in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirige
par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à
une problématique, Cahiers Genre et développement,
n°1, 2000, AFED -EFI, Paris - Genève, pp. 175-178.
104 KABEER Naila, Triples rTMles,
rTMles selon le genre, rapports sociaux: le texte politique sous-jacent de la
formation à la notion de genre, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR
Christine (dirige par), Le Genre: un outil nécessaire.
Introduction à une problématique, Cahiers Genre et
développement, n°1, 2000, AFED-EFI, ParisGenève, p.
161.
105 MOSER, opcit, p. 59.
publics que s'est articulée la citoyenneté des
femmes développée durant ces trente dernieres années, du
moins en Amérique latine.106
A propos de cet engagement, Moser prétend que,
lorsque les femmes se mobilisent autour de themes qui sont directement en lien
avec leurs sphere sociale et en dehors des organisations politiques
établies, elles deviennent tres puissantes, justement parce qu'elles ne
remettent pas en question la nature de leur subordination de genre. Par contre,
une fois qu'elles s'impliquent dans le monde "masculin" de la politique
publique, les confrontations sont virtuellement inévitables. Selon
l'auteur c'est une des raisons pour laquelle les femmes choisissent de rester
dans le gestion communautaire. Et de citer comme exemple la réussite des
associations comme les Meres de la Place de Mai en Argentine, ou
le Comité de Amas de Casa de Siglo XX en Bolivie.107
On ne sait pas tres bien si lorsque Moser dit que les femmes ont tendance
à éviter la confrontation et restent donc dans leur sphere
traditionnelle, elle approuve cette facon de voir ou si elle ne fait qu'un
simple constat. Or les femmes, meme si elles ont été
traditionnellement confinées au "monde privé de la sphere
domestique", ont toujours été présentes dans les luttes
collectives comme le souligne Elizabeth Jelin.108 De plus, lorsque
les femmes préferent éviter la confrontation et restent donc dans
leur rTMle de gestion communautaire, elles peuvent le faire pour diverses
raisons, notamment parce qu'à ce moment, pour une raison ou une autre,
elles préferent mettre en avant la satisfaction de certains besoins et
intérets.
Pour conclure sur ce cadre des trois rTMles de genre, il nous
faut constater que si le bon sens nous incite à le considérer
comme étant un cadre d'analyse valable, nous ne pouvons que constater
qu'il ne fait que transcrire une certaine réalité de la division
des rTMles et qu'en aucun cas son utilisation ne menera à une
transformation et une amélioration de la situation de la femme.
Reconna»tre les rTMles est une choses, se donner les moyens de les
transformer ou de les répartir de maniere équitable en est une
autre. Or ce cadre, en se basant sur des notions et des concepts traditionnels,
émanant d'une tradition "patriarcale", est par trop statique et
simpliste.
Comme le souligne à juste titre Jeanine Anderson,
si nous voulons le bien des femmes, notre devoir est de
reconna»tre que leur monde a la meme complexité que celle que nous
attribuons à celui des hommes. Nous de parlerions jamais du "triple
rTMle" des hommes, ni meme des hommes de milieux défavorisés;
cela serait considéré comme une simplification insensée et
intolérable. 109
iii. Les besoins de genre: pratiques et
stratégiques
106 MARQUES-PEREIRA
Berengère, Femmes dans la cité dans le cTMne sud de
l'Amérique latine et au Portugal, in MARQUES-PEREIRA
Berengère: Femmes dans la Cité: Amérique latine
et Portugal, Sextant, ULB, n°8, 1998, Bruxelles, pp. 7-16, p.8.
107 MOSER, opcit., p. 63. Le choix
de l' exemple des Meres de la Place de Mai pour illustrer la mobilisation des
femmes nous semble quelque peu malheureux car s'il est évident que les
Meres se sont d'abord mobilisées à partir de leur tragédie
personnelle, cette mobilisation a donné lieu à une réelle
réflexion politique et un réel engagement. Si ces femmes ne se
sont pas engagées dans la sphere politique formelle du pouvoir
étatique c'est que c'était justement contre ce pouvoir qu'elles
se battaient et non pas par volonté d'éviter la confrontation.
Au sujet des Meres de la Place de Mai, l'article sur le
concept de "maternité" et la participation des femmes en Amérique
latine de Schmukler est édifiant. Schmukler y montre que c'est bien de
politique alternative qu'il s'agit et que les Meres, en montrant l'articulation
entre le privé et le public, la maternité et la
citoyenneté,
ont contribué à la déstabilisation du
régime. Voir SCHMUKLER Beatriz, Maternidad y
participaci--n de las mujeres en América Latina, in
MARQUES-PEREIRA Berengère (coord.) : Género, cultura
y ciudadan'a , Cahiers du
GELA.IS - ULB, n°10, Bruxelles,
1999, pp. 159-182.
108 JELIN Elizabeth, Women and social change
in Latin America, UNRISD/Zed Books, London, 1990, p. 1.
109 ANDERSON, opcit., p. 176.
En complément à cette théorie des rTMles,
une analyse en terme de besoins des femmes a été
effectuée. Elle a été théorisée dans un
premier temps par Maxine Molyneux110 qui distingue trois types de
besoins (ou intérêts): les besoins des femmes, les
intérêts stratégiques et les intérêts
pratiques selon le genre.
La première distinction est faite entre besoins
des femmes et intérêts de genre. Pour
Molineux en effet, on ne saurait prétendre à l'existence d'un
ensemble de besoins et intérêts communs à toutes les
femmes. Ceux-ci diffèrent selon la classe, l'ethnie, la race, l'%oge,
etc. Les intérêts de genre par contre, pourraient être
considérés comme étant ceux développés par
les femmes (ou les hommes) à cause de leur positionnement social et ce
selon leurs particularités de genre. Ces intérêts de genre
peuvent être de deux types: pratiques ou stratégiques.
a) Les intérêts pratiques
répondent à un besoin immédiat, partant des
conditions concretes du positionnement des femmes dans la division sexuelle du
travail.111 Ces intérêts n'ont pas de
répercussion au niveau stratégique, et ne remettent pas en cause
la structure sociale du pouvoir ni la division des rTMles selon les genres. Les
projets mis en place cherchent habituellement à satisfaire les
intérêts pratiques en se situant principalement dans la
sphère domestique (par exemple l'accès à l'eau, à
un toit, etc.). Ce faisant on évite d'être trop "politique" mais
on tend également à invisibiliser les besoins
stratégiques. La société de consommation actuelle accentue
à la fois l'importance des besoins pratiques mais elle en crée
également de nouveaux.
b) Les intérêts
stratégiques sont le résultat de l'analyse de la
subordination des femmes et de la formulation de dispositions nouvelles plus
satisfaisantes que celles existantes112 Ces
intérêts stratégiques seraient donc ceux permettant de
défier la subordination des femmes et de répondre à leur
besoin de pouvoir et d'autonomie. Ils ont trait à la division du
travail, au pouvoir, aux droits, et à l'égalité en
général. Ils remettent en question les rTMles habituellement
attribués aux femmes. Les intérêts stratégiques sont
souvent percus comme étant féministes et
nécessitent en général un niveau de conscientisation plus
élevés que les intérêts pratiques. Les institutions
jouent un rTMle important dans la délimitation des espaces dans lesquels
il faut agir pour la satisfaction de ces intérêts. Parmi ces
institutions, l'Etat joue un rTMle crucial. Moser cite quelques domaines dans
lesquels l'Etat contrôle les femmes: la violence domestique, les
droits reproductifs, les droits matrimoniaux, les droits sociaux.
Dans les projets de développement soucieux de
répondre aux besoins des femmes, la satisfaction des besoins pratiques
est souvent vue comme une porte d'entrée pour la satisfaction des
besoins stratégiques. Tout comme le cadre d'analyse d'Harvard qui base
son approche sur l'élaboration de grilles
d'analyse des données les plus détaillées
possibles (qui souvent ne montrent pas l'aspect dynamique des situations), les
projets se basant sur la satisfaction des besoins des femmes utilisent des
"listes" figées (et souvent peu souples) de ces besoins, en se basant
entre autres sur des paradigmes occidentaux.
B. Les approches pratiques
110 MOLYNEUX MAXINE, Mobilization without
emancipation? Women's interests, the State and Revolution in Nicaragua, in
Feministe Studies , summer 1985, vol. 11, n°2, p.227-235
(traduction partielle in: BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine
(dirigé par), Le Genre: un outil nécessaire.
Introduction à une problématique, Cahiers Genre et
développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris-Genève, pp.
123-132.
111 idem
112 MOLYNEUX, opcit., p. 128.
i. Bien-etre
Cette approche, descendante directe du colonialisme, voit les
femmes comme des beneficiaires passives du developpement et se focalise sur
leur rTMle reproductif. L'objectif est d'en faire de "bonnes meres". Selon
cette approche, le fait que les femmes élèvent les enfants est le
rTMle le plus important pour le developpement economique. Les mesures prises
sont essentiellement basees sur l'aide materielle (alimentation, sante, etc.)
visant au bien-etre des familles. C'est une vision 'top down', tres
paternaliste de la cooperation. Les femmes y sont identifiees comme un groupe
vulnérable qu'il faut proteger. En general ces programmes
instrumentalisent les femmes (auxquelles n'est pas reconnu un quelconque droit
au contrTMle de leur corps) et ne répondent qu'à leurs besoins
pratiques (parfois maladroitement113). Alors que les hommes sont des
hommes, et que leur rTMle en tant que peres est passé sous silence, les
femmes ne sont que des meres. Cette approche fait l'impasse sur les relations
entre hommes et femmes et ne remet pas en cause la divis ion traditionnelle des
rTMles. En etant tres politiquement correcte, cette approche, datant des annees
cinquante, est toujours largement utilisee de nos jours, notamment et
principalement dans l'aide d'urgence.
Au vu des nombreuses critiques que cette approche suscitait,
et sous l'impulsion des Nations Unies qui met sur pied la "Decennie des Nations
Unies pour les Femmes" (1976- 1 985), des alternatives à l'approche de
bien-etre appara»tront. Caroline Moser souligne que ces alternatives,
contemporaines, ont souvent ete confondues et englobees dans la meme categorie
fourre-tout de l'approche Femmes et développement alors que
d'evidentes nuances doivent etre soulignées. 114
ii. Equite
En 1979 est publiee la "Convention sur l'elimination de toutes
les formes de discrimination envers les femmes". Celle-ci contribue à
l'elaboration d'un cadre legal pour la reconnaissance des droits des femmes
(education, services, credits, etc.) meme si ce cadre legal n'est pas synonyme
d'amelioration dans la pratique.
L'approche de l'equite est en quelque sorte l'approche
Femmes et Développement originale. Cette approche reconna»t la
femme comme participante active au developpement, tant dans son rTMle productif
que dans son rTMle reproductif. Elle n'est donc plus seulement une mere.
L'approche essaye d'eviter trois erreurs communement commises par les
"planificateurs du developpement": l'omission du rTMle productif des femmes, le
renforcement de leur rTMle reproductif, et enfin l'utilisation de valeurs
occidentales pour juger du travail des femmes. L'objectif de l'approche est de
reduire les inegalités entre les hommes et les femmes et se concentre
particulierement sur la division du travail, prenant ainsi en compte les
besoins strategiques des femmes, et non plus seulement ses besoins
pratiques.
L'influence des feministes occidentales, notamment des
americaines est tres forte115 et ce malgre l'intention de
l'approche d'être plus à l'ecoute de la realite du terrain. C'est
d'ailleurs
113 A ce sujet, il m'a été
raconté par Maria Teresa Bland--n de la Malinche à Managua que,
lors des programmes d'aide humanitaire d'urgence mis en place après
l'ouragan Mitch en Amérique centrale, les ONG européennes et
américaines, pourtant nombreuses, n'avaient pas pense à
insérer des tampons, serviettes hygiéniques et pilules
contraceptives dans les paquets d'aide distribués aux femmes. Par
contre, biberons, langes, lait en poudre et autres produits pour les enfants
avaient bien été integre. Ce sont finalement les associations
féministes locales qui ont du fournir ce dont les femmes avaient
besoin.
114 MOSER Caroline O.N.,
Planificación de género y desaro llo: teoria, practica y
capacitación, Entre Mujeres/ Flora Tristan ediciones, Lima, 1995.,
p. 100.
115 Celles-ci mettent l'accent sur les desavantages
des femmes provenant des stereotypes diffuses par les hommes et internalises
par les femmes, lesquels sont promus par les "agences de socialisation"
(écoles, états, etc.). Pour contrer cela, elles
préconisent de donner aux femmes une meilleure education, plus de
diversité dans les rTMles
en partie à cause de cette influence que l'approche
équité sera accueillie avec méfiance. En effet, tant les
organismes de développement, que les gouvernements du Sud et même
les femmes du Sud considèrent qu'il s'agit là d'une approche
ethnocentrique et bourgeoise. Mais c'est surtout la redistribution du pouvoir
que sous-tend l'approche ainsi que la tentative de répondre aux besoins
stratégiques des femmes qui la rend difficilement acceptable, peut
importe d'oü vient l'idée.
Toutefois, dans l'approche équité, les mesures
prises sont pour la plupart des mesures institutionnelles, selon une logique
'top-down' qui ne permet pas vraiment une réelle autonomie des femmes.
Il s'agit de lois, de mesures légales, qui ne constituent pas une remise
en question en profondeur de la structure patriarcale de la
société. L'Etat joue ici un grand rôle dans la conception
de ces mesures. Cette démarche répond à l'idée que
si l'on accepte que les femmes soient présentes aux postes de
décisions, l'équité sera obtenue. Or nous avons vu dans le
chapitre précédent non seulement qu'il n'en était rien,
mais également que, le plus souvent, les femmes jouent un rôle
d'exécutantes de tâches qui incomberaient normalement à
l'Etat et aux structures étatiques. L'instrumentalisation des femmes,
leur intégration au marché correspondrait ainsi à un
désengagement de l'Etat dans des domaines qui devraient être de
son ressort (santé, éducation, É) d'une part, à la
privatisation du social d'autre part.116
Nous soulevons également la confusion, ou l'absence de
différenciation qu'il y a entre "équité" et
"égalité" dans cette approche. L'objectif de cette approche est
de mettre en place des mesures de discrimination positive permettant aux femmes
de combler le retard qu'elles accusent envers les hommes. C'est dans une
perspective de réduire les inégalités formelles, et avant
tout légales, entre hommes et femmes que ces mesures sont mises en
Ïuvre et non pas pour essayer de renforcer l'équité (et donc
la "justice") entre hommes et femmes. Cette approche n'est donc pas tellement
propre à réduire la subordination des femmes, ni à
renforcer l'équité. Elle aurait plutôt tendance à
faire abstraction des différences entre hommes et femmes, mais
également des différences entre femmes.117 ce qui ne
correspond évidemment pas à l'objectif de départ.
qui leur sont proposés et une égalité de
traitement (revendications touchant à l'égalité des
chances dans le domaine du travail, etc.).
116 Au Nicaragua, suite à l'Ouragan Mitch, l'Etat s'est
totalement désinvesti du problème de la reconstruction, laissant
cette tâche à l'Eglise catholique, mais également aux ONG.
(entretien avec Maria Teresa Bland--n, septembre 2000).
117 Nous reviendrons sur cette thématique dans le chapitre
sur les féminismes latino-américaines.
iii. Anti-pauvreté
Selon Moser, cette approche est une version "suavizada de tono"
(édulcorée) de l'approche de
l'équité.118
Selon cette approche, l'inégalité
économique entre hommes et femmes n'est pas liée à la
subordination mais à la pauvreté. C'est donc en réduisant
la pauvreté des femmes que leur inégalité sera
réduite.119 C'est parce que le rôle productif des
femmes n'est pas assez développé qu'elles sont
"subordonnées". Et c'est donc en développant des projets
générateurs de revenus pour les femmes que cette subordination
cessera. Cette conception est donc centrée sur les femmes pauvres sans
mettre l'accent sur le lien entre la pauvreté des femmes et les
relations hommes/ femmes. Il s'agit plutôt de mettre en avant le fait que
les femmes ne sont pas uniquement des bénéficiaires mais qu'elles
peuvent également jouer un rôle important dans le
développement par leur productivité. Les inégalités
hommes-femmes sont dues en partie au fait qu'elles n'ont pas accès
à la propriété privée de la terre ou du capital.
L'objectif est que les femmes contribuent efficacement
à répondre aux besoins de leurs familles. Les projets mis en
place visent donc à générer des revenus pour les femmes.
On part de l'idée que les femmes ont de toute facon beaucoup de temps
libre (puisqu'elles ne travaillent pas de ma nière visible) pour
diversifier leurs activités et s'investir
dans des activités productives. Par les aides qui leur
sont accordées, les agences de développement incitent les femmes
à améliorer leurs performances et à étendre leurs
activités économiques, le plus souvent dans les domaines qui sont
traditionnellement les leurs (couture, cuisine, artisanat, etc.), doublant ou
triplant ainsi leurs journées.
Or, comme le souligne Moser, "les projets de
génération de revenus ne satisferont le besoin pratique de genre
d'avoir un revenu que dans la mesure oü ils déchargent les femmes
d'une partie du travail domestique et de l'éducation des
enfants."120 De plus, ces projets n'ont en réalité que
peu de résultats car la question de redistribution des ressources dans
la sphère privée et le changement d'attitudes et de comportements
n'a pas été privilégiée. Ces projets n'ont donc eu
aucune influence sur la réduction de la marginalisation
économique des femmes.
iv. Efficacité /
Compétences
Il s'agit de la troisième approche FED. C'est sans
doute dans celle-ci que l'instrumentalisation des femmes est la plus criante
(même si cette instrumentalisation était sous-jacente dans les
approches précédentes). Il s'agit vraiment de s'assurer que le
développement soit efficace gr%oce à la contribution
économique de la femme. Cette approche est celle des institutions
internationales (FMI, Banque Mondiale, OCDE). Pour illustrer la vision de ces
institutions, Moser cite la Banque Mondiale qui dans un de ses rapports dit
ceci: "Si l'on laisse de côté les questions de justice et
d'équité, le manque disproportionné d'éducation
pour les femmes, avec ses conséquences sur la productivité,
(ainsi que sur) la nutrition et santé de leurs familles, a des effets
négatifs à long terme sur l'économie. "121
Cette approche co ·ncide avec la crise
économique vécue par les pays du Sud et les
solutions proposées par les institutions, notamment les programmes
d'ajustement structurels. Pour la réussite de ces programmes, il
était indispensable de pouvoir compter sur la main-d'Ïuvre
118 MOSER, opcit., p. 106.
119 AJAMIL Menchu, La vision de género en
la cooperaci--n internacional. Trayectoria historica y perspectivas, s/l,
s/d
120 MOSER, opit, p. 110.
121 MOSER, p. 111, note de bas de page.
feminine souvent gratuite. Si dans les approches precedentes
les femmes etaient déjà considerees implicitement comme pouvant
remplir toute une série de t%oches benevolement au sein de leur
communauté, cette participation est explicite dans l'approche de
l'efficacité. Ne s'agit-il pas d'une extension naturelle de leur rTMle
reproductif?122 Elle a egalement eu pour conséquence que les
femmes sont devenues LE groupe cible qui allait resoudre tous les
problèmes si on axait les politiques sur lui, et gr%oce auquel les
objectifs de developpement pourraient etre atteints. Peu importe finalement si
les interets des femmes sont rencontres à long terme. Les femmes
devenant ainsi une panacee qui devait pallier les insuffisances structurelles
tout en faisant face à une charge de travail parfois doublee, voire
triplee. Les programmes d'ajustement structurel faisant evidemment abstraction
du rTMle reproductif des femmes puisque seuls les biens et services du marche
economique ainsi que la production de liquidites pour la subsistance sont pris
en compte dans l'economie.
Cette approche est donc tres populaire tant aupres des
institutions internationales d'aide qu'aupres des gouvernements nationaux. Elle
signifie pour eux un déplacement des coûts de l'economie remuneree
vers l'economie benevole gr%oce à l'utilisation du temps "libre" des
femmes.123 Cette approche signifie egalement une diminution
drastique des depenses sociales de l'Etat, ce qui a des repercussions negatives
sur la satisfaction des besoins pratiques des femmes et un durcissement de
leurs conditions de vie. L'objectif serait donc non seulement de "formaliser"
le travail des femmes, mais egalement de le privatiser et de
l'individualiser.
Cette approche etant aujourd'hui l'une des plus populaire au
niveau institutionnel, nous pouvons mettre en doute l'amelioration du sort des
femmes d'une part, l'efficacite des programmes de developpement d'autre part.
En effet, s'il est admis que la femme a un rTMle essentiel à jouer dans
le mieux-etre de sa societe, il ne peut etre mis en doute que si elle continue
à etre instrumentalisee comme elle l'est aujourd'hui, le sort des pays
du Sud reste incertain.
3. GENRE ET DEVELOPPEMENT
Chronologiquement, l'evolution de l'approche FED vers
l'approche GED est peu claire. On ne peut pas dire que, à partir d'une
certaine date, l'approche ait bascule de l'une vers l'autre. Il s'agit plutTMt
d'un lent processus qui n'est pas encore arrive à terme. Depuis quelques
annees déjà le terme "genre" a remplace le terme "femmes" sans
que ce changement n'ait ete accompagne d'une modification des pratiques. Pour
nous, il s'agirait d'un effet de decalage temporel entre la theorie et la
pratique, les institutions et les ONG ayant toujours un peu de peine (ou peu de
volonte) à mettre en pratique les theories nouvelles.
L'introduction du concept de genre dans la cooperation au
developpement, (É) l'instrumentalisation qui est faite des theories
existantes sur le developpement, par les institutions internationales,
servent souvent, à legitimer leurs programmes en y integrant
122 Tant les Etats que les communautés et
les organisations internationales de développement considèrent en
effet cela comme étant naturel. MEERTENS Donny,
Autonomia y practica social: dilemas cotidianos de une estrategia de genero en
el desarollo , in BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin
morir en el intento. Experiencias de planificaci--n de género en el
desarollo, NOVIB, Ediciones Red Entre Mujeres, Lima, 1994, pp. 49-71, p.
64.
123 L'utilisation gratuite de la main d'Ïuvre feminine
est particulièrement visible dans les programmes de reconstruction, dans
lesquels le travail des femmes (preparation de la nourriture, approvisionnement
en eau, en bois, etc. pour les constructions) n'est pas reconnu comme tel et ne
donne donc pas droit aux benefice du programme "travail contre nourriture".
des concepts porteurs, d'actualité, sans que cela ne se
traduise dans les pratiques sociales, politiques et
économiques.124
D'autre part nous pensons qu'il s'agit également d'un
décalage entre la pratique et la théorie, à savoir que les
réalités du terrain, les expériences vécues par les
femmes dans ce que Lagarde appellerait leur "situation vitale"125,
soit leurs expériences concrètes de vie, sont difficilement et
lentement prises en compte dans l'élaboration des politiques.
A. L'analyse des relations sociales (ARS)
L'une des critiques que l'on pourrait adresser à
l'approche FED, du moins dans les cadres théoriques analysés
ci-dessus, est qu'il se limite au très court terme et qu'il fait
abstraction de la globalité et de l'ensemble des relations sociales des
femmes. Le simple fait d'augmenter la productivité des femmes, ne leur
permettra ni d'augmenter leur autonomie, ni de réduire les
inégalités entre les femmes et les hommes. Par contre, en se
centrant plutTMt sur les rapports sociaux de sexe (gender) que sur un sexe ou
sur l'autre, on met en évidence le construit social des rTMles
féminins et masculins ainsi que le pouvoir et les hiérarchies qui
marquent peu ou prou toute forme de relation.126 Ce cadre
théorique pourrait etre considéré comme étant la
base pour le passage de l'approche "Femmes et developpement" à
l'approche "Genre et développement" . En effet, ce ne sont plus
essentiellement les femmes qui sont l'objet de cette approche mais plutTMt les
relations sociales qui sont les leurs, tant avec les hommes qu'avec les autres
femmes.
Les relations de genre sont, comme les définit Kabeer,
l'étendue des relations sociales qui créent des
différences systématiques dans le positionnement des femmes et
des hommes en relation avec les processus sociaux.127 L'analyse des
relations sociales met donc l'accent sur l'étude des structures sociales
qui engendrent les situations de domination et d'inégalités
auxquelles sont confrontées les femmes, dans les relations de production
mais également dans l'ensemble des relations sociales de la vie
quotidienne (relations ayant trait aux mécanismes de production,
reproduction, distribution et consommation). Cette analyse ne peut donc pas
faire l'impasse sur la redistribution du pouvoir et n'exclut pas non plus que
la réponse à la domination se trouve ailleurs que dans les
relations de genre et au sein du foyer. D'autres institutions, telles
la communauté, l'état, le marché permettent aux groupes
d'acquérir des ressources mais définissent également, de
par leurs règles, normes, valeurs et structures de pouvoir, la place des
hommes et des femmes en leur sein. Les rTMles et attributions de chacun varient
donc selon le lieu et le temps.
La différence principale entre l'analyse des relations
sociales et les approches besoin s et rTMles est que, si ces dernières
voient la division du travail selon le genre comme une sorte de
"séparation sociale", l'ARS comprend cette division comme une forme de
"connexion sociale", dans laquelle il y a relation de coopération et
d'échange qui n'est pas toujours symétrique.128
Whitehead montre également que la division sexuelle des t%oches peut
etre considérée de différents points de vue (culturel,
sociales, politiques) et que tant que
124 THORNDAHL Marie, Pratiques et
réflexion de genre. La diversité des expériences,
in Créativité, femmes et développement, Cahiers de
l'IUED, Genève, 1997, p. 17
125 LAGARDE Marcela, Identidad de
género, Ed. Cenzontle, Managua, 1992, p. 11.
126 ZWALHEN Anne, Vers un autre
genre de développement , in Créativité, femmes et
développement, Cahiers de l'IUED, Genève, 1997, pp. 31-41, p.
32.
127 KABEER Naila, Triples rTMles,
rTMles selon le genre, rapports sociaux: le texte politique sous-jacent de la
formation à la notion de genre, in BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR
Christine (dirige par), Le Genre: un outil nécessaire.
Introduction à une problématique, Cahiers Genre et
développement, n°1, 2000, AFED-EFI, Paris - Genève, pp.
155 -174, p. 168.
128 RAZAVI Shahrashoub et MILLER
Carol, From WID to GAD. Conceptual Shifts in the Women and
Development Discourse, Occasional Paper n°1, UN Fourth conference on
Women, février 1995, p.28.
l'interdépendance entre hommes et femmes se fonde sur
une division asymétrique, plutTMt que symétrique, des ressources
et des responsabilités, les relations de genre sont des relations de
pouvoir comme de difference, de conflit comme de
coopération.129
B. Empouvoirement (Empowerment)
Cette cinquième approche n'en est pas une dans le sens
oil elle est à la fois un concept theorique et un mode d'action. Elle a
ete utilisee par le groupe DAWN (Development Alternatives with Women for a New
Era) en 1985 dans son texte Development, Crises and alternative
visions.130 L'origine de cette approche est donc, contrairement
aux approches precedente, la recherche feministe et l'experience des groupes de
femmes du Sud. L'objectif de ces femmes du Sud etait, non seulement d'analyser
la situation des femmes dans le monde, mais egalement de formuler une vision
alternative de la société. L'influence des feministes est ici
tres forte. Cependant, comme elles le disent elles-memes,
le feminisme, comme tout mouvement politique, se traduit par
des questions, des objectifs immediats et des methodes qui ne sont pas partout
pareilles.(É) sous cette diversite, le noyau irreductible du
féminisme est la lutte contre les structures de subordination des femmes
et la promotion de celles-ci comme partenaires egales des hommes, à tous
les niveaux de la societe.131
L'objectif de cette approche est de donner plus de pouvoir aux
femmes en leur donnant une plus grande confiance en elles. Cette approche
cherche donc à realiser un developpement economique et social qui
permettrait de satisfaire les besoins pratiques tout en permettant d'augmenter
l'acces et le contrTMle au pouvoir economique et politique. Contrairement aux
autres approches oil c'est le soi -disant "retard" des femmes sur les hommes
qu'il faut combler, l'objectif est ici de "responsabiliser les hommes et le
systeme, pour rejeter la hierarchisation et faire admettre les valeurs
d'attention et d'ouverture."132
Selon Frangoise Mestrum, le terme d'empouvoirement implique un
pouvoir "relationnel" (relacionado), à savoir un pouvoir qui "implique
un sujet et un objet", et qui est multidimensionnel. Il se décline au
niveau individuel, collectif et organisationnel.133 Un des points
importants, mis en exergue par DAWN, est l'autonomie dans l'acquisition de ce
"pouvoir". Il ne s'agit pas d'un pouvoir impose, tel que le decrit Saint
Hilaire lorsqu'elle parle de l'assujettissement des femmes par le dispositif de
développement. Il s'agit bien d'un pouvoir qui est
"auto-généré" et global. Ce sont toutes les relations de
pouvoir qui sont affectees et c'est un changement systemique qu'il faut
effectuer.
Oxaal et Baden déclinent le pouvoir
de differentes manières: il peut s'exercer dans le
cadre d'une relation de domination/ subordination (pouvoir sur), ou
dans celui d'une prise de decision (pouvoir de), ou encore il peut
s'agir d'un pouvoir collectif, dans l'intention de realiser des objectifs
communs (pouvoir avec). Enfin ce pouvoir peut se referer à la
confiance
129 citée par KABEER, opcit., p. 169.
130 Nous pensons que ce petit texte est exemplaire.
De façon concise, il enonce les griefs des femmes du Sud à
l'égard de la politique occidentale de développement
mais c'est surtout par ses propositions qu'il est novateur. Comme
l'écrit Andrée Michel dans sa preface à l'édition
française: c'etait la première fois qu'un groupe de chercheuses
du Sud intégrait le féminisme à une perspective globale,
montrant que la situation des femmes de la planete &tait inexorablement
liée aux autres problemes qui affectent l'humanité tout
entière.
DAWN, Femmes du Sud, Autres voix pour le
XXIè siècle, CTMté-femmes Editions, Paris, 1995
(traduction de: SEN Gita et GROWN Caren, Development, Crises and
alternative visions, Earthscan Publications, London, 1988)
131 DAWN, idem, p. 103
132 DAWN, opcit., p. 102.
133 MESTRUM Francine,
ÀCuanto poder en el empoderamiento? Construcci--n y deconstrucci--n de
un concepto, in MARQUES-PEREIRA Berengere (coord.):
Género, cultura y ciudadan'a, Cahiers du GELA.IS - ULB, n10,
1999, Bruxelles, pp. 183-201.
et l'estime de soi et permettre à l'individu de
s'affirmer au sein d'un groupe ( pouvoir au sein de).134
Meertens ajoute également la notion de pouvoir pour qui,
contrairement au "pouvoir sur" implique d'entrer en relation sans diminuer le
pouvoir de l'autre.135
Ces deux derniers aspects du pouvoir sont les points
principaux de l'approche de l'empouvoirement. L'action collective et la
participation sont ainsi, avec le rTMle des ONG les points clés dans
l'émergence d'un développement de 'bas en haut' (bottom-up
development).136 Le développement se basant sur
l'empouvoirement est donc bien un pouvoir qui vient des "gens" et non pas un
développement imposé. Comme le soulignent Oxaal et Baden, les
institutions et organisations de développement ne peuvent
prétendre "empouvoirer" les femmes. 137 Il s'agit d'un
processus autonome qui peut certes être soutenu mais ne peut être
"défini en termes d'activités spécifiques, ou de
résultats attendus car il implique un processus au sein duquel les
femmes peuvent analyser, développer et exprimer leurs besoins et
intérêts librement sans que ceux-ci ne soient préalablement
définis ou imposés d'en-haut, que ce soit par les
"planificateurs" ou d'autres acteurs sociaux".138
Cette vision des choses est donc bien différente des
autres approches et semble constituer, enfin, une échappatoire à
une prise en compte des femmes qui ne serait ni partiale, ni partielle, ni
reproductrice des processus de domination contre lesquels les femmes se
battent. Cette approche est utilisée par NOVIB dans ses actions, de
facon explicite dans les textes de l'organisation mais également de
facon "implicite" et transversalisée. On peut en fait dire que ce
processus d'empouvoirement est la clé de voûte de la politique de
NOVIB en termes de genre. Nous analyserons cette question dans la
quatrième partie.
C. La transversalisation de la perspective de genre
Au début de l'approche Femmes et Développement,
cette approche était du seul ressort soit d'une personne chargée
de la question, soit, au mieux, d'un département "Femmes et
développement" au sein des institutions et des ONG. Cependant,
parallèlement à l'émergence de l'approche "Genre et
développement", la question s'est posée de savoir s'il
était mieux de spécialiser ou de transversaliser la
thématique. Selon la définition des Nations Unies, le
"mainstreaming", ou "transversalisation", de
la perspective de genre est
"un processus d'évaluation des implications des femmes
et des hommes dans toute action planifiée, y compris les
législations, les politiques et les programmes, dans tous les domaines
et à tous les niveaux. C'est une stratégie pour que les femmes et
les hommes soient une dimension intégrale de la conception, la
mise en oeuvre, le suivi et l'évaluation des politiques et des
programmes dans toutes les spheres politiques, économiques et sociales
afin que les femmes et les hommes en bénéficient
également et que les inégalités ne soient pas
perpétuées. Le but ultime est d'arriver à
l'égalité de genre.»139
134 OXAAL Zoë et BADEN Sally: Gender
and empowerment: definitions, approaches and implications for policy,
BRIDGE Development - Gender, report n°40, Institute of Development
Studies, Brighton, octobre 1997, p. 1.
135 Même si Meertens constate qu'il est un peu utopique
de croire que l'on peut arriver à une redistribution du pouvoir à
somme zéro. MEERTENS Donny, Autonomia y practica
social: dilemas cotidianos de une estrategia de genero en el desarollo, in
BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin morir en el intento.
Experiencias de planificación de género en el desarollo,
NOVIB, Ediciones Red Entre Mujeres, Lima, 1994
136 RAZAVI Shahrashoub et MILLER Carol,
From WID to GAD. Conceptual Shifts in the Women and Development
Discourse, Occasional Paper n°1, UN Fourth conference on Women,
février 1995, p.33. et OXAAL Z. et BADEN S., opcit.
137 OXAAL et BADEN, opcit, p. 5.
138 idem.
139 United Nations Economic and Social Council for 1997
La volonté de
transversalisation140 part donc d'une bonne
intention: que le genre soit une dimension intégrale de tous les niveaux
des politiques est certes une bonne chose à l'heure oü la tendance
est à la classification de toute chose. La transversalisation du genre
pourrait permettre d'éclairer à la lueur des rapports homme/femme
d'autres thèmes qui deviennent centraux comme la bonne gouvernance, la
gestion et la prévention des conflits , la pauvreté et la
mondialisation. Dans les ONG, cette volonté de transversalisation du
genre montre leur désir de lui accorder une place dans toute
réflexion et de faire en sorte que cette question ne soit plus une
question abordée au cas par cas mais bien une manière de penser.
Comme l'exprime EUROSTEP dans un de ses documents: "Do not add gender.
Mainstream it!"141. Pour certaines ONG, le genre ne peut être
qu'un simple terme ajouté aux textes et aux ordres du jour. La
sensibilité au genre doit structurer l'entièreté des
organisations.
Si nous avons analysé la transversalisation dans cette
partie, conjointement avec l'analyse des relations sociales et de
l'empouvoirement, prétextant qu'elle participait également de la
même approche "GED", nous soulignons toutefois que la transversalisation
peut également susciter des effets pervers comme la banalisation ou
l'institutionnalisation du genre. Son intégration à tous les
niveaux de la société pourrait mener à vider la notion de
toute substance ainsi que retirer aux groupes, féministes et
féminins, toute possibilité d'action en dehors des structures
officielles. Cette question fera l'objet du chapitre suivant.
4. CONCLUSIONS
Nous considérons que, malgré une certaine
justesse de leur analyse, ces différents cadres et grilles d'analyses
sont le reflet d'une certaine facon d'envisager les choses et qu'ils
pêchent par leur manque de vue globale de la situation. En plus
d'être partiaux, ils sont partiels. Pour nous, ils sont ce que nous
appelons la vision institutionnelle et font partie de ce que nous avions
décrit comme le "dispositif de développement".
Le passage de l'approche "Femmes et développement"
à l'approche plus globale du "Genre et développement",
accompagnée de la notion d'empouvoirement nous semble être un pas
en avant dans l'amélioration de ce dispositif, même si des nuances
doivent être apportées. Nous avons par ailleurs classé,
dans le tableau ci-dessous, les approches selon les critères et grilles
d'analyses qu'elles mettent en Ïuvre.
|
|
rTMle primordial de la femme
|
|
besoins auxquels l'approche répond
|
|
prise en compte des relations sociales
|
Bien-être
|
|
reproductif
|
|
pratiques
|
|
non
|
Anti-pauvreté
|
|
productif
|
|
pratiques
|
|
non
|
Efficience
|
|
productif
|
|
pratiques
|
|
non
|
Equité
|
|
reproductif, productif et
|
|
pratiques et stratégiques
|
|
oui
|
|
|
|
|
|
|
140 Le terme "mainstream" est difficilement traduisible en
francais, sa traduction littérale étant "courant principal". Nous
avons décidé de franciser la traduction en espagnol de
MacDONALD Mandy, SPRENGER Ellen et DUBEL Ireen
(Género y Cambio organizacional. Tendiendo puentes entre
las pol'ticas y la practica, KIT, Institut Royal pour le Tropique, Pays
Bas, 1995) qui est "transversalizaci--n". Les auteures en donnent la
définition suivante: "mainstreaming" s'utilise pour décrire
les stratégies visant à intégrer une perspective de genre
dans tous les aspects d'une organisation, c'est-à-dire sa mission, ses
stratégies, son programme, structure, système et culture, au lieu
de conserver un programme de genre séparé. È, traduction
libre.
141 Nous pouvons faire le parallèle avec l'expression
"Add Women and Stir", représentative du premier courant
d'intégration des femmes dans les développement.
EUROSTEP, Guidelines for Eurostep Working Groups,
document interne, Bruxelles, 18/04/2000. EUROSTEP (European
Solidarity Towards Equal Participation of People): réseau
européen regroupant 21 organisations qui a pour objectif principal
d'aider ces organisations au niveau de l'organisation interne et de la gestion.
NOVIB fait partie d'EUROSTEP.
communautaire
reproductif, productif, communautaire
stratégiques et pratiques
oui
Empouvoirement
Nous pensons que deux manières de travailler sont
possibles, peut-être de facon complémentaire mais plus
probablement, au vu de la situation actuelle, de facon conflictuelle. La
première serait de travailler de manière institutionnelle, dans
le cadre de politiques mises en place à un niveau "macro", la seconde
emprunterait plutôt la voie de l'action à un niveau plus
ancré au niveau local et qu'on pourrait qualifier (avec des nuances) de
manière autonome. La première catégorie
regrouperait les approches de bien-être, antipauvreté et
efficience. La seconde regrouperait l'approche équité et
empouvoirement. Ces deux catégories correspondraient aux deux approches:
Femmes et développement et Genre et développement et, dans une
certaine mesure, au clivage "autonomie/ institutionnalisation". Ces deux
catégories correspondraient à deux facons de concevoir et
gérer des projets ayant trait aux femmes. Au delà du changement
sémantique, il s'agit d'une manière nouvelle de se positionner
par rapport à l'objet de l'étude. Parler de FED, c'est se
concentrer sur les femmes, ce sont elles qui sont "la problématique".
Parler du genre implique de prendre en compte un objet dans sa relation
à son environnement. Ces changements peuvent se concrétiser de
deux manières différentes, selon qu'on agisse dans un cadre
"institutionnel" ou un cadre "autonome".
Ces deux aspects de l'action nous semblent importants pour
pouvoir analyser l'éventail des possibles dans la recherche d'un
développement qui inclurait les femmes. Sans remise en cause de la
domination de certaines franges de la population par d'autres, autrement dit,
la division de la société entre oppresseurs et opprimés,
hommes ou femmes, cette recherche est vouée à l'échec. Or,
comme le souligne Sophie Englebienne, directrice des programmes d'OXFAM
Solidarité, l'objectiffondamental, pour le développement,
n'est-il pas d'appuyer et de soutenir des groupes qui font une réflexion
et une proposition de construction d'un autre modèle de
société en cherchant à définir et à
comprendre quel est le rTMle de chacun dans cette construction et comment la
dignité et la place de chacun comme constructeur est définie,
acceptée et assumée? 142 Autrement dit, l'objectif serait,
selon la formule zapatiste, de construire un monde oà
rentrent tous les autres mondes. Par rapport à cet
objectif final, une question subsiste sur les moyens à mettre en
Ïuvre pour y arriver. Est-il possible de construire un autre modèle
de société par le biais d'institutions aux structures
hiérarchisées, bureaucratisées et peu libres de leurs
mouvements (qu'il s'agisse des institutions internationales ou des ONG
intégrées dans le système mondial)? Ou justement, est-il
nécessaire d'envisager une "sortie" du système pour reconstruire
autrement? C'est à cette question que nous tenterons de répondre
dans les deux chapitres suivants.
142 Document interne d'Oxfam Solidarité, 04 juin 1999.
Chapitre II: L'autonomie comme
alternative au dispositif de
Développement
Dans ce chapitre nous allons donc nous attacher à
definir dans les grandes lignes ce que pourrait etre une action de
developpement qui choisirait de "sortir du dispositif" et emprunterait le
chemin de l'autonomie plutTMt que celui de l'institutionnalisation ce qui
permettrait une reelle integration du genre dans la "problématique de
developpement".
Nous definirons d'abord brievement ce que nous entendons par
institutionnalisation, que nous distinguerons de la notion de
transversalisation, pour aborder finalement la question de l'autonomie.
Celle-ci passe tout d'abord par une reconstruction et une reappropriation des
savoirs, tant individuels que collectifs. Nous analyserons ensuite ce que
l'autonomie peut representer au niveau individuel et collectif pour ensuite
voir comment elle peut etre mise en Ïuvre dans le cadre des relations de
developpement et plus particulierement en quoi l'autonomie peut mener à
des pratiques sociales qui ne viseraient pas à permettre aux individus
(femmes ou hommes) de renforcer les relations de pouvoir et de domination. Ces
pratiques viseraient au contraire à augmenter la puissance des acteurs
sociaux. Comme nous le verrons, la puissance implique en effet une evolution
permanente, un processus qui, selon Benasayag, n'accepte aucune forme "finale".
Ce serait donc un retour à un reel developpement, dans ce que ce terme a
de dynamique.
1. L'INSTITUTIONNALISATION: RISQUES ET PROFITS
Nous avions dans le chapitre precedent separe les approches FED
et GED en deux
categories selon qu'elles nous semblaient ou non participer
à une demarche novatrice ou au contraire au maintien d'un statu quo.
Les approches que nous avons mises dans la première
categorie (approches bien-etre, antipauvrete et efficience) -voir tableau p. 52
- concoivent les programmes et projets dans lÕoptique de "rendre la vie
des femmes plus facile et de les aider dans lÕaccomplissement des
t%oches". On travaille alors à lÕamelioration et à
lÕallegement des t%oches qui leur sont assignees. C'est leur integration
dans le systeme economique mondial et leur participation au developpement qui
est recherchee. On incite notamment les femmes à travailler à
l'exterieur, à créer des entreprises, à dépasser le
caractere Ç informel È de leurs activites productives. Des trois
rTMles qui sont ceux des femmes (rTMles reproductif, productif et social), il
n'en est reellement promu quÕun seul: le rTMle productif. Ce sont
essentiellement aux besoins pratiques que l'on tente de repondre, au detriment
des rTMles strategiques.
Nous qualifierions la methode d'institutionnelle. D'une part
parce que l'on observe que cette facon de travailler se retrouve
essentiellement dans les institutions
internationales (Banque Mondiale, FMI, agences de l'ONU) et
d'autre part parce qu'elle favorise la reproduction du systeme existant. Les
femmes y sont encore, dans une large mesure, considérées comme
passives ou alors comme devant s'integrer dans un système donne, avec
des objectifs predefinis pas les agences de developpement ou les institutions.
Nous sommes totalement dans le cadre d'un dispositif tel que nous l'avions
decrit dans la première partie. Le terme d'institutionnalisation se
refere dans ce cas à l'intégration, à l'absorption dans un
dispositif, dans une structure figee d'un element donne, element qui en
sortirait legitime mais egalement affaibli.
On peut concevoir cette institutionnalisation au niveau
individuel (l'individu peut à la fois participer
à l'institution, en faire partie ou bien être "géré"
dans son individualité par cette structure), collectif
(les groupes, organisations et associations sont
intégrées ou non dans l'organisation, leurs revendications sont
relayées ou encadrées au niveau structurel), et
organisationnel (l'organisation des différents aspects
des relations sociales est gérée au niveau des institutions et ce
qui en "sort" n'est pas reconnu comme légitime). Ces trois niveaux sont
pareillement utiles dès lors qu'on analyse le genre dans le
développement. On pourrait donc constituer un tableau dans lequel nous
verrions le "niveau d'institutionnalisation" pour les individus, les collectifs
et les organisations d'une part, quel est ce niveau pour les "concepts" tels le
genre d'autre part. En quelque sorte, on observerait quel est le degré
d'intégration au système, au dispositif, de ces
éléments.
Cette institutionnalisation des concepts peut être
comparée mais pas confondue avec la transversalisation. Nous avons vu
dans le chapitre précédent que le genre (et la
problématique femmes) tendait à être
"transversalisé" dans les institutions et ONG. Alors que la
transversalisation permet d'aborder la question du genre dans tous les secteurs
de la vie sociale et dans toutes les activités d'une organisation, et
correspond à un processus de déconstruction - reconstruction de
nos savoirs, l'institutionnalisation a un aspect statique qui laisse entrevoir,
plutôt qu'une amélioration, un statu quo dans
l'organisation sociale. Ce statu quo serait contraire aux aspirations
féministes comme le souligne Garcia Castro. Pour elle,
l'institutionnalisation signifie pour les mouvements de femmes en
général et le féminisme en particulier, "le passage d'un
contre-pouvoir à un pouvoir sans pouvoir, à une
représentation au cÏur même du discours
officiel".143 Elle poursuit en montrant que l'institutionnalisation
du féminisme signifie le plus souvent lier le genre à des
mesures, (É) qui n'accomplissent pas l'objectif majeur du
féminisme: être une position, une critique des pouvoirs,
même du féminisme comme savoir-pouvoir. Revendiquer le genre
suggère transition, défi, questionnement, réinvention de
la femme ou de l'être féminin dans l'humain, mais aussi se relier
à d'autres langages, d'autres systèmes de refus des oppressions
et à des systèmes revendiquant des manières
singulières d'exister.144 Cette définition nous
permet de montrer en quoi le féminisme a pour vocation la
création de nouveaux savoirs ainsi que la mise en réseau avec
d'autres formes de refus des oppressions.
La seconde facon de travailler sur le genre (dans laquelle
nous avions inclus l'approche d'empouvoirement, l'analyse des relations
sociales et la "transversalisation" du genre) serait ainsi plus à
même de répondre aux aspirations féministes mais
également à une réelle intégration du genre dans le
développement. Nous qualifions cette méthode d'autonome. Cette
facon de travailler, en abordant la question de l'inégalité entre
les hommes et les femmes (par exemple via la modification des lois
discriminantes ou l'augmentation de l'accès des femmes à la
terre), remet également en cause l'ensemble des relations sociales et
dénonce les institutions (politiques, sociales, économiques)
fondées sur le patriarcat.
Nous noterons ici que le concept d'autonomie est utilisé
dans certains textes d'institutions145, notamment dans les textes
de politique de développement des Pays-Bas. Lorsqu'on analyse les
critères d'autonomie tels qu'ils sont exprimés dans ces
textes146, nous sommes en droit
143 GARCIA CASTRO Mary, Le pouvoir des
genres à l'époque du néo-libéralisme. Line
réflexion de gauche sur les féminismes en Amérique
latine, in Rapports de Genre et mondialisation des marchés, in
Alternatives Sud, Vol. V n° 4, 1998, p. 54.
144 GARCIA CASTRO Mary, idem, p. 52.
145 Le terme "autonomie" est apparu dans les textes relatifs au
développement à la fin des années 70 pour ensuite
être remplacé par le concept de "participation active"
146 et qui se base sur des textes de l'OCDE. Voir PRONK
Jan, Comment mettre en Ïuvre le concept d'autonomie (extrait
de Policy and Development: Analysis and Policy, La Haye, Ministery of Foreign
Affairs, 1992) in
d'être sceptiques par rapport à la convergence
entre la conception d'autonomie telle qu'elle est défendue par des
groupes tels DAWN et celle qui est inscrite dans les textes de la
coopération hollandaise. En effet, le fait même que l'autonomie
soit utilisée comme outil, comme mesure d'évaluation du projet
retire une grande partie de son potentiel de changement. Il nous semble en
effet que mesurer l'autonomie des femmes à l'aune de critères
prédéfinis risque de transformer l'autonomie en un critère
de plus à ajouter à la longue liste de critères
d'après lesquels "l'intégration des femmes dans le
développement" est évaluée. C'est bien évidemment
d'une autre conception que nous voulons parler ici.
2. AUTONOMIE: UN MODE D'ACTION
Comme pour l'institutionnalisation, le sens que nous pouvons
donner à l'autonomie, pour les femmes d'une part, dans le cadre du
développement d'autre part est multiple. Nous entendons en effet ce
concept à plusieurs niveaux et différemment selon qu'on parle des
individus ou des organisations, des actions individuelles ou collectives. Mais
à tous les niveaux, l'autonomie doit être concue comme un concept
englobant la totalité d'une situation. Elle fait le lien entre l'intime,
le privé et le public. Dans un premier temps, l'autonomie pourrait
être définie comme étant une liberté de
pensée et d'action par rapport au discours dominant d'une part, aux
institutions existantes d'autre part. L'autonomie impliquerait alors une
liberté de se redéfinir comme sujet politique et la
possibilité de mettre en place des nouvelles facons d'être en
politique, de nouvelles formes d'action et de
réflexion.147
A. La constitution d'autres savoirs
La déconstruction /reconstruction des concepts et de la
facon d'appréhender les relations de genre est le premier pas lorsqu'on
veut appliquer cette optique. Il s'agit donc de réfléchir
autrement sur les fondements de l'action du développement telle
qu'elle a été concue jusqu'à présent et mettre en
Ïuvre des projets qui permettraient l'épanouissement et le respect
de tous. C'est donc dans ce sens général que nous utilisons le
terme d'autonomie: chercher à sortir des chemins tracés
et imposés "d'en haut". Il s'agit d'une réappropriation
par les individus de leur propre destin.
Les savoirs ne sont pas inéluctablement
instrumentalisés et peuvent au contraire contribuer à
l'émancipation et à la re-création du lien social. De
nombreux groupes et associations génèrent en effet un savoir
collectif, découlant de l'expérience et du bon sens quotidien
("daily, commonsense knowledge"148). Il est donc
important de réapprendre les savoirs qui sont
délégitimés par les institutions, tous ces savoirs qui
émergent des petits "nÏuds de pouvoir" que sont ces associations et
organisations. Comme le rappelle Fals Borda, ces mouvements cherchent à
construire de nouvelles formes d'Etat, et veulent une démocratie plus
directe et participative. Pour ce faire il est indispensable de se baser, selon
lui, sur la recherche-action participative afin d'utiliser ces
nouveaux savoirs pour "démolir les
BISILLIAT Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirigé
par), Le Genre: un outil nécessaire. Introduction à une
problématique, Cahiers Genre et développement, n°1,
2000, AFED-EFI, Paris-Genève, pp. 249-225.
147 PRONK Jan, Femmes dans le
développement: le chemin vers l'autonomie, in BISILLIAT
Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirigé par), Le Genre: un
outil nécessaire. Introduction à une problématique,
Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI,
Paris-Genève, pp. 87 -93, p. 88.
148 FALS BORDA Orlando, Social Movements and
Political Power in Latin America, in ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo
(sous la direction de), The making of the social movements in Latin
America. Identity, strategy and democracy, Westview Press, Boulder, 1992, pp.
62-85, p.314.
structures existantes de forces non sanctionnées et
l'inadmissible domination et exploitation". 149
Ce sont donc les pratiques qui créeraient de nouveaux
savoirs, et non pas les nouveaux savoirs qui induiraient, par leur utilisation
par un système, de nouvelles manières d'être. Les individus
seraient à la fois sujets et objets du savoir, dans une perspective
d'épanouissement personnel et de création de nouvelles formes de
relations sociales.
B. L'autonomie comme réappropriation de soi
Jan Pronk envisage l'autonomie selon quatre axes principaux,
qui sont selon elle inextricablement liés. L'autonomie est donc
présentée comme le contrôle sur sa propre vie et son propre
corps et est envisagée du point de vue physique, économique,
politique et socioculturel. 150 L'autonomie permet également,
de comprendre comment et quand prendre en compte d'autres
intérêts, comment et sur quoi négocier, quand et avec qui
faire des alliances, sur quelles bases dialoguer dans la
société.151 L'apprentissage de l'autonomie est celui
de la pratique de la démocratie. En ce sens, elle ne peut qu'être
bénéfique aux femmes, qui pourront développer de nouvelles
stratégies pour combattre les différentes formes de domination.
Pour les femmes, ce processus d'individuation induit par la recherche
d'autonomie leur permet de se penser autrement qu'en fonction des hommes, de
l'Etat, de l'Eglise. C'est par ce processus que les femmes peuvent
reconna»tre leur propre valeur et affirmer leur
citoyenneté.152
Meynen et Vargas analysent le concept d'autonomie en rapport
avec les différents processus mis en place par les femmes pour faire
face aux situations de subordination auxquelles elles sont confrontées.
C'est dans le cadre d'un ensemble de relations sociales plus vaste que les
simples relations hommes-femmes que cette subordination doit être
analysées. Citant Chantal Mouffe, les auteurs soulignent que chaque
agent social est inscrit dans une multitude de relations sociales, de
production, de race, de nationalité, ethnicité, genre et qu'en
chaque individu cohabitent différentes positions subjectives qui
correspondent à autant de réseaux d'insertion
sociale.153 Il n'est donc pas possible de continuer de parler
de l'identité de la femme comme étant construite principalement
sur le genre.
C. L'autonomie comme redéfinition de l'action
collective
De ce point de vue, l'autonomie fait référence
à l'existence d'une multiplicité de sujets et agents sociaux, qui
revendiquent leur espace, leur voix dans la société et qui font
pression pour satisfaire leurs demandes particulières. Galtung
décrit l'autonomie comme étant
la capacité d'une personne de développer
un pouvoir sur elle-même, non pas dans la solitude et
l'isolement, non pas au travers de droits sociaux ou politiques, mais bien
à travers le développement de moyens matériels et
non-matériels pour surmonter - et réduire - l'oppression
qu'amènent différentes formes de pouvoir sur les autres,
pouvoirs qui sont ceux qui soumettent les personnes. 154
149 idem
150 PRONK Jan, Femmes dans le
développement: le chemin vers l'autonomie, in BISILLIAT
Jeanne et VERSCHUUR Christine (dirigé par), Le Genre: un
outil nécessaire. Introduction à une problématique,
Cahiers Genre et développement, n°1, 2000, AFED-EFI,
Paris-Genève, pp. 87 -93, p. 88.
151 MEYNEN Vicky et VARGAS Virginia, La
autonom'a como estrategia para el desarrollo dessde los multiples intereses de
las mujeres, in BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin morir en el
intento. Experiencias de planificaci--n de género en el desarollo,
NOVIB, Ediciones Red Entre Mujeres, Lima, 1994, p. 32.
152 MEYNEN et VARGAS, opcit, p. 33.
153 idem, p. 27.
154 citée par MEYNEN Vicky et VARGAS Virginia, opcit, pp.
48.
Selon cette définition, l'autonomie permet à
l'individu de retrouver une certaine potentialité d'action qui, mise en
commun avec les autres autonomies permet de redéfinir les relations
sociales pour qu'elles ne soient plus basées sur le pouvoir, la
domination et l'inégalité. Il s'agit donc d'un processus à
la fois individuel et collectif.
L'autonomie serait donc un concept collectif, relationnel, qui
a pour objectif la transformation de la société mais
également l'acquisition des outil s pour y parvenir. Il ne s'agit donc
pas de chercher dans l'autonomie un quelconque pouvoir pour dominer les autres,
mais bien une puissance nouvelle qui permette de "pouvoir faire" selon les
termes de Benasayag.155 Ce pouvoir faire prend tout son sens au
niveau collectif. L'autonomie n'est en effet pas écrasée par
l'action collective. C'est l'autonomie au contraire qui permet de lui donner un
sens émancipateur. L'autonomie, en permettant l'autodétermination
et l'auto- réalisation ainsi que l'empouvoirement, affecte l'ensemble
des relations sociales de pouvoir qui affectent les individus. Dans les pays du
Sud en particulier, l'aspect collectif de la création et de
l'organisation du groupe est mise en avant dans le façonnement de
l'autonomie.156 Cette conception peut être reliée
à ce que Miguel Benasayag appelle "contre- pouvoir" . En quelque sorte,
le concept d'autonomie est l'expression d'une stratégie de
changement.
3. MOUVEMENTS SOCIAUX , POUVOIR ET PUISSANCE
Pendant longtemps, les mouvements sociaux émergents ont
été analysés sous l'angle du pouvoir. Ils étaient
perçus comme étant forcément en quête de pouvoir, du
Pouvoir. Or ces groupes, comme le souligne Elizabeth Jelin, l'obtention du
pouvoir n'est pas (ou du moins, pas forcément) leur objectif premier.
Ces mouvements sociaux furent dans un premier temps vus comme étant
l'expression collective, non-institutionnalisée des secteurs populaires,
destinée à être canalisée dans un parti
d'avant-garde.157 Cette lecture a rapidement montré ses
limites: ces "nouvelles formes d'organisation" ne pouvaient être
analysées selon les critères habituels de recherche du
pouvoir.158 De fait, ces groupes ne cherchent pas, ou pas tous,
à prendre le pouvoir et donc ne sauraient être assimilés
à ces révolutionnaires dont le but est d'arriver au pouvoir, et
"qui pensent qu'il suffirait de prendre et d'occuper le lieu central oü
est localisé le pouvoir pour l'arracher à ceux qui le
possèdent et pour l'utiliser à d'autres fins et pour d'autres
groupes."159
Il s'agit plutôt d'une nouvelle manière de faire
de la Politique, de nouvelles formes de relations et d'organisation sociale
répondant à un besoin pour les gens de "faire sens", de
reconstruire leur identité segmentée par la complexification du
processus de différenciation et de spécialisation
institutionnels.160 La caractéristique fondamentale de ces
nouveaux mouvements sociaux serait que s'il existe effectivement une
unité de principe dans la critique de la société, celle-ci
ne relève pas d'un programme unique ou d'un modèle qui
définirait exactement comme le monde devrait être. Au contraire,
cette critique, gr%oce à la rupture de liens du pouvoir
155 BENASAYAG Miguel et SZTULWARK Diego: Du
contre-pouvoir, La Découverte, Paris, 2000, p. 58.
156 PRONK, opcit., p. 90.
157 JELIN Elizabeth, Women and social change
in Latin America, UNRISD/Zed Books, London, 1990, p.3.
158 C'est encore cette lecture qui suscite
l'incompréhen sion de l'action des Zapatistes de l'EZLN. Beaucoup ne
comprennent pas que l'objectif des zapatistes n'est pas d'accéder au
pouvoir mais bien de susciter et contribuer à un changement
sociétal profond, différent de ce qui est possible lorsqu'on est
au pouvoir. Or c'est cela qui fait la spécificité et l'attrait du
mouvement zapatiste auprès de nombreux autres groupes et mouvements qui
s'inspirent de l'expérience chiapanèque dans leur propre
organisation.
159 BENASAYAG Miguel et SZTULWARK Diego, Du
contre-pouvoir, La Découverte, Paris, 2000, p. 64.
160 JELIN Elizabeth, ibid., p. 11.
preexistants, renvoie à une myriade de projets,
pratiques et theoriques, concus en fonction d'une liberation de
puissance.161
Ce besoin de faire sens, sans toujours se referer A un
objectif supreme (le pouvoir) qu'il faudrait atteindre donne lieu A la
recherche de nouvelles possibilites, notamment dans le cadre d'un
"mieux-developpement", de concevoir un savoir qui servirait non pas A creer un
dispositif de gestion et de domination mais bien une potentialite nouvelle
d'action et de changement egalitaire. L'autonomie serait donc un "momentum
concept" hoffmanien.162 Cette potentialite nouvelle correspondrait A
ce que Benasayag appelle "puissance" et qu'il oppose au "pouvoir". La puissance
est, selon Benasayag,
ce devenir multiple non catalogable, alors que le pouvoir est
une dimension statique (É) et qui, en definissant des frontières
et des formes, indique avant tout ce que l'on "ne peut pas". (É) la
puissance est le fondement de tout "pouvoir faire" tandis que ce que nous
nommons habituellement le pouvoir n'est autre qu'un des lieux de l'impuissance,
permettant, tout au plus, de recolter l'usufruit de la puissance
d'autrui.163
Il faut neanmoins articuler deux elements: la Politique qui
est un element dynamique et en devenir permanent, et la Gestion qui s'assigne
des objectifs pratiques et qui concerne les differents modes d'organisation et
de distribution au sein de la societe. La definition d'une democratie
authentique, serait selon Benasayag, l'ensemble des luttes en situation
pour l'augmentation de la puissance et en vue de la construction du
contre-pouvoir, ainsi que la representation de ces luttes dans la
situation-gestion.164 Cette conception reflète le fait
que les mouvements sociaux ne sont pas toujours des mouvements "contre" quelque
chose. Ils peuvent etre au contraire un processus de creation collectif d'une
situation nouvelle.
Dans cette nouvelle forme d'action collective, c'est la
question de la participation qui est soulevee. Les notions d'autonomie et de
puissance permettent de penser un systeme de relations sociales et par
extension un developpement dans lequel, A l'instar du rhizome
de Gilles Deleuze, "on entre par n'importe quel cTMte, (et oil) chaque point se
connecte avec n'importe quel autre, (et qui) est compose de directions mobiles,
sans dehors ni fin, seulement un milieu, par oil il cro»t et deborde, sans
jamais relever d'une unite ou en deriver; sans sujet ni
objet."165
On pourrait donc, au vu de ce qui precede, definir l'autonomie
dans les memes termes que ceux utilises pour definir le concept de
genre: l'autonomie se vit au quotidien, elle repose sur les relations
entre les parties prenantes, elle est variable dans le temps et l'espace et
traverse toutes les spheres de la societe.
4. FEMMES, AUTONOMIE ET PUISSANCE
Quelles peuvent etre les applications, les implications de
l'autonomie pour les femmes, et en particulier, comment peut-elle contribuer A
leur empouvoirement?
Nous avons vu que les differentes approches du FED et du GED
avaient pour objectif de permettre aux femmes, en les integrant dans la sphere
economique, d'acquerir du pouvoir mais dans le cadre de relations sociales qui
resteraient inegalitaires et fondees sur la domination et l'exploitation. C'est
d'un point de vue formel et dans le cadre des structures
161 BENASAYAG Miguel et SCAVINO
Dardo, Pour une nouvelle radicalite. Pouvoir et puissance en
politique, La Decouverte, Coll. L'armillaire, Paris, 1997, p.89-90.
162 voir definition du "momentum concept" page 18
163 BENASAYAG Miguel et SZTULWARK
Diego: Du contre-pouvoir, La Decouverte, Paris, 2000, p.
57.
164 ibidem, p. 55.
165 Manifeste du reseau de resistance alternatif, point 3.
in BENASAYAG Miguel et SZTULWARK Diego: Du
contre-pouvoir, La Decouverte, Paris, 2000, p. 149.
existantes (construites d'un point de vue masculin) que l'on
veut les intégrer et les faire participer (élections, droits
formels, postes de décision dans les institutions et
gouvernements166, ainsi qu'au travail). Or les femmes ne
revendiquent pas toujours plus de pouvoir mais plus de "puissance" pour pouvoir
gérer leurs corps, leurs vies et leurs projets de manière
épanouissante et de facon à ce que les situations de domination
auxquelles elles sont le plus souvent confrontées soient
éliminées.
Si cette participation est positive, encore faut-il voir dans
quels termes elle se fait. Comme le souligne Pisano167, lorsqu'un
groupe de femmes atteint le pouvoir, le système se charge, subtilement,
de l'intérieur comme de l'extérieur, de le démonter.
Nos institutions, dit-elle, ne sont pas, de par leur propre sens,
dans le statu quo puisqu'elles affectent les connaissances, symboles
et valeurs de la culture dominante. Des lors, on essayera toujo urs de
délégitimer les femmes .
Dans une recherche d'autonomie, les femmes suivent deux
chemins. D'une part elles reconstruisent leurs savoirs ,
élaborent et expriment leurs visions et modèles de
développement (DAWN est à cet égard un exemple). D'autre
part elles s'attachent à repenser les structures
(institutionnelle ou non) dans lesquelles exprimer leur autonomie au
niveau collectif. Une idée répandue voudrait que la
création d'organisations de femmes pour les femmes soit la garantie
de processus autonomes . Or l'autonomie n'est pas figée
dans une situation, ni dans le territoire physique d'une
organisation.168 La présence d'espaces réservés
aux femmes n'est donc d'aucune garantie pour leur autonomie, même si elle
peut aider à clarifier certaines positions et à augmenter la
confiance en elles des femmes. A contrario le fait d'intégrer
des structures et mouvements mixtes n'empêche pas de développer
une démarche autonome. En réalité, les femmes peuvent
développer un processus d'autonomie dans n'importe quel espace,
organisation ou mouvement. L'indépendance organisationnelle n'est pas
non plus une garantie d'autonomie. En réalité, l'autonomie des
femmes ne peut être réduite à une seule vision puisqu'il
s'agit d'un processus humain et politique, impliquant des acteurs sociaux, des
relations sociales, des actions politiques et institutionnelles. Par
l'autonomie, les femmes pourront, à partir de leur engagement au niveau
domestique et communautaire, affirmer leur présence publique, sociale,
politique et économique pour ensuite construire de nouvelles
identités qui remettent en question et défient les conceptions et
systèmes de domination qui définissent leur
identité.169
Nous verrons dans le chapitre suivant comment les femmes
(féministes ou non) latino- américaines ont
développé, à partir de leur situation, des
stratégies de réflexion et d'action menant à leur
émancipation, notamment en regard au concept d'autonomie et comment les
actions des ONG de développement les y ont aidé (ou non).
166 Or, si des femmes ont envie de gouverner, de diriger la
société, cela n'a rien à voir avec le fait d'être
femme ou homme. Au cours d'une conférence sur le genre et le
développement organisée par l'asbl Petits Pas
(organisée le 20/11/2001 à Bruxelles) j'ai entendu
à de nombreuses reprises l'affirmation selon laquelle avec une femme
présidente tout irait mieux. Ce point de vue peut
être contesté. Une femme présidente ne modifierait rien en
soià la répartition du pouvoir existante et l'organisation
générale de ce pouvoir resterait inchangée. Des
exemples
marquants corroborent cette idée selon laquelle les femmes
dirigeantes n'ont pas toujours des effets positifs, notamment sur le "social".
Margaret Thatcher en est le plus criant.
167 PISANO, Margarita, Como hacer
evaluaciones feministas? in Un cierto desparpajo, Ediciones
Noemero Cr'tico, Santiago de Chile, 1996
168 MEYNEN et VARGAS, opcit., p. 34.
169 idem
F EMINISMES ET GENRE EN
A MERIQUE LATINE
|
Chapitre I: Les féminismes latino-
amé r i c a i n s : des mouvements en
questionnement
Les strategies de pression politique basées sur le
lobbying ont une limite subtile et dangereuse, une frontière pas
très claire avec le trafic d'influence. Si nous consacrons nos energies
à influencer le système et ses pouvoirs, nous affaiblissons
considérablement le pouvoir de mouvements sociaux comme le feminisme et
ses possibles allies, qui ont construit un projet de changement de civilisation
transformateur(É) Les groupes au pouvoir sont très clairs dans ce
jeu. Il implique (É) une intention de diviser pour empecher les
connections entre ces différents projets transformateurs. Il est
ingénu de croire qu'avec la logique du lobbying et de la
négociation nous allons pouvoir réaliser une utopie qui pourra
pénétrer l'imaginaire humain. Pour cela nous avons besoin d'une
force capable de mettre en avant, comme étant un désir
realisable, une utopie qui rompe avec la domination.170
Souvent méconnu, le féminisme
latino-américain est pourtant bien présent et dynamique. Il s'est
développé dans un contexte différent bien sar de ses
homologues européens ou nord- américains mais vit depuis une
vingtaine d'années un essor remarquable, qui est à mettre en
parallele avec les mouvements démocratiques qui ont émergé
en réaction aux régimes autoritaires dominant le continent durant
les années 70-80. Libération des femmes et libération des
peuples ont souvent été de pair et le processus d'acquisition de
la citoyenneté des femmes s'est fait parallelement à la
transformation démocratique. Les féministes latino-
américaines ont donc, non seulement défié le patriarcat et
la domination masculine, mais également joint leurs forces aux
mouvements d'opposition dénongant l'oppression et la domination
sociales, économiques et politiques. 171 Cette double lutte
ne s'est évidemment pas faite de manière uniforme et Virginia
Vargas insiste sur l'énorme diversité du mouvement
féministe latino-américain et son rTMle clé dans la
recuperation democratique et, directement et indirectement dans la recuperation
et l'amplification des citoyennetes restreintes des femmes et des autres
secteurs exclus par une politique peu pluraliste et peu democratique (qui
continue à caracteriser la region).172
Cette diversité est observable également dans la
différence qu'il existe entre "féministes" et "mouvements de
femmes". Les deux appellations refletent des modes d'action parfois
différents mais surtout, il fait état d'une différence
dans l'auto -perception de ce que sont leurs actions ainsi que de la
réflexion en termes politiques. Cette question rejoint également
celles de la "double militance" et du clivage entre "autonomes" et
"institutionnalisées" comme nous le verrons plus loin.
170 Margarita Pisano, citée dans
ALVAREZ Sonia A., Latin American feminisms "go global": trends of the
1990's and challenges for the new millenium, in ALVAREZ Sonia, DAGNINO
Evelina et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), Cultures of
politics, Politics of cultures. Re-visioning latina american social movement,
Westview Press, Boulder, 1998, pp. 293-324, p.312.
171 STERNBACH Nancy Saporta (et.
alii), Feminisms in Latin America: From Bogota to San Bernardo, in
ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The
making of the social movements in Latin America. Identity, strategy and
democracy, Westview Press, Boulder, 1992, p. 210.
172 VARGAS Virginia, Reflexiones en
torno a los procesos de autonom'a y la construcci--n de la ciudadan'a femenina
en la region,
http://www3.rcp.net.pe/FLORA/reflex/
index.htm, p. 2.
L'objet de cette partie est de montrer quelles sont les
grandes questions qui traversent le féminisme latino-américain
contemporain ainsi que de voir comment les problématiques que nous avons
analysées dans les chapitres précédents sont vécues
en Amérique latine.
1. CONTEXTE SOCIOPOLITIQUE LATINO-AMERICAIN
Ces vingt dernières années, l'Amérique
latine est marquée par ce qu'Escobar qualifie de "pire crise de son
histoire"173. Selon lui, la plupart des discours sur cette crise se
focalisent sur la question économique et la nécessité
d'effectuer 'les ajustements nécessaires' et montrent une foi
inébranlable dans le 'développement'; alors que si quarante
années de ce
'développement' n'ont pas produit de stabilité et
d'améliorations économiques durables, iiserait
étonnant que plus de développement encore réussisse
à modifier les choses. Pour
Escobar, 'la crise ne fera que s'accentuer, des nouvelles
formes de colonialisme et de dépendance seront introduites, et la
fragmentation sociale et la violence n'en deviendront que plus
virulente.'174
Ce constat accablant est partagé par de nombreux autres
auteurs sud-américains, comme Fontenia et Belloti selon qui ces
années ont été caractérisées, notamment,
"par la consolidation d'un nouveau modèle d'accumulation capitaliste
basé sur la transnationalisation du ca pital, la fonction du
marché comme unique régulateur de l'économie, le perte des
droits du travail, la croissance du chTMmage, l'augmentation de la
pauvreté et de l'exclusion sociale de vastes secteurs de la population
(notamment et principalement les femmes), la croissance des
inégalités et la perte de fonction et de pouvoir des Etats
nationaux ainsi que leur subordination aux politiques définies par les
centres de pouvoir et les organismes multilatéraux."175
Fontenia et Bellotti constatent également que les
mouvements sociaux, y compris les mouvements féministes, sont parcourus
par un fort mouvement d'institutionnalisation qui implique l'incorporation et
la négociation avec les institutions politiques et économiques
nationales et internationales. Parallèlement à cette
institutionnalisation, alors que plus de femmes occupent des postes publiques,
les femmes dans leur ensemble voient une diminution de leur pouvoir, notamment
sur leurs vies, leurs corps, travaux, sexualités, et relations. 176
Marques-Pereira dénombre quatre tendances
régionales pour ce qui est de la situation socio- économique des
femmes: une diminution de la fécondité, une diminution de la
mortalité maternelle, un taux d'alphabétisme de 85% ou plus et un
taux d'activité entre 34 et 49%. Elle note également que les
femmes sont plus nombreuses que les hommes dans le secteur informel. 34% des
femmes y trouveraient du travail. Cette informalisation du travail des femmes
est à mettre en relation avec la discrimination, le chTMmage et le sous
-emploi dans le secteur formel mais également à la
nécessité pour les femmes de veiller à la survie de leurs
familles.177
C'est donc dans un contexte particulièrement difficile que
se développe le mouvement féministe en Amérique latine.
173 ESCOBAR Arturo, Culture, economics and
politics in Latin American social movements theory and research, in
ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction
de), The making of the social movements in
Latin
America. Identity, strategy and democracy , Westview Press,
Boulder, 1992, pp. 62-85, p. 64.
174 idem.
175 FONTENIA Marta et BELLOTTI Magui, Primeras
miradas desde el interior de un encuentro, in Hacia el VII encuentro feminista
Latinoamericano y del Caribe, La Correa feminista n°16-17, CICAM,
Mexico, 1997, p. 84.
176 FONTENIA Marta et BELLOTTI Magui, ibidem, p. 84.
177 MARQUES-PEREIRA Bérengère:
Processus de développement régional en
Amérique latine, syllabus, ULB, Bruxelles, 1998-99 (4ème
édition), pp. 17-18.
2. LES FEMINISTES LATINO-AMERICAINES178: TENDANCES ET
PERSPECTIVES
Notre analyse se fera en trois temps. Dans une première
partie nous décrirons les revendications des femmes
latino-américaines ainsi que le contexte dans lesquelles elles se sont
développées. Nous analyserons ensuite les manieres dont sont
organisées les femmes ainsi que les différences et clivages qui,
aujourd'hui, parcourent leur mouvement et illustrent les "choix" qu'elles ont
du faire. Nous terminerons par un bref aperçu des tendances
récentes.
A. Les revendications à la base du feminisme
latino-americain
L'histoire du féminisme, qu'il soit
latino-américain ou autre, est marquée, comme nous l'avions
déjà remarqué auparavant, par un lien tres fort entre
action et réflexion. Jelin explique que ces mouvements, tant dans leurs
actions que dans la réflexion/ recherche, ont été en
s'amplifiant et en redéfinissant continuellement les axes centraux de la
préoccupation académique et de l'action politique.179
A cet égard, les "Encuentros" continentaux, réalisés tous
les deux ans depuis 1981, ont permis aux féministes de s'exprimer et de
se rencontrer, afin d'échanger leurs différences
expériences, tant au niveau théorique que pratique. Ces forums
leurs permettent également de débattre des grands themes
idéologiques mais également de compar er et mettre en place les
différentes stratégies d'action. 180
i. Premières revendications
Jelin divise l'évolution du mouvement en plusieurs
grandes étapes 181. La première d'entre elles a été
la reconnaissance du travail domestique, le processus de "rendre
visible l'invisible" étant possible gr%oce aux
études et recherches entreprises dans le domaine. Reconna»tre et
nommer entra»ne l'existence sociale comme le souligne Jelin et c'est le
fait de conceptualiser et d'analyser leur situation jusque là
invisibilisée, qui a permis aux femmes d'aller plus loin dans leurs
revendications. La constitution du savoir et la pratique, la situation vitale,
ne sont donc pas séparables, il y a un apport respectif entre les
deux.
Suite à cette nouvelle visibilité, une nouvelle
distinction est apparue: la séparation entre sphere privée
féminine et sphere publique masculine participait au maintien de la
subordination des femmes. Ce n'est donc qu'en dépassant ce clivage,
en sortant de ce qui etait considers comme prive que
les femmes pourraient "s'affranchir". Il fallait donc, des lors que le rTMle
reproductif des femmes était reconnu, il fallait se battre pour que le
rTMle productif le soit aussi. Alors que la discrimination se ressentait
principalement au sein du foyer, au niveau familial, elle a commencé
à se ressentir dans le monde du travail, dédoublant ainsi la
lutte à entreprendre: contre la discrimination d'une part,
pour l'égalité avec les hommes
178 A propos de l'utilisation au féminin du
terme "féministes latino -américaines", la réflexion de
savoir s'il n'y avait pas un seul homme féministe en Amérique
latine m'a été faite. Cette réflexion suscite plusieurs
questions, tant au niveau de l'acceptation des hommes au sein des groupes
féministes, que celle de leur apport dans la constitution du savoir
féministe. Quel peut etre le "rapport à l'objet" d'un homme dans
la construction d'une pensée non patriarcale?
179 JELIN Elizabeth , Femmes et
culture citoyenne en Amérique latine, in MARQUES-PEREIRA
Bérengère: Femmes dans la Cite: Amérique
latine et Portugal, Sextant, ULB, n°8, 1998, Bruxelles, pp.
17-41.
180 STERNBACH Nancy Saporta (et. alii), opcit., p.
208.
181 Voir JELIN Elizabeth, Femmes
et culture citoyenne en Amérique latine , in
MARQUES-PEREIRA Bérengère: Femmes dans la Cite:
Amérique latine et Portugal , Sextant, ULB, n°8, 1998,
Bruxelles, pp. 17-41.
Voir également MARQUES-PEREIRA
Bérengère: Processus de développement
regional en Amérique latine, syllabus, ULB, Bruxelles, 1998-99
(4eme édition), pp. 21-23.
d'autre part. Jelin met également en exergue deux
lignes d'actions: la recherche de la reconnaissance du rôle des femmes et
la tentative d'arriver à de meilleures conditions afin de
dépasser les tâches liées à la division
traditionnelle du travail d'un côté, la transformation de ces
conditions, impliquant subordination et manque d'autonomie pour les femmes d'un
autre côté. Le patriarcat, en tant que
système social subi, est donc un système empreint de
relations de pouvoir contre lequel il faut s'attaquer. La
participation aux activités communautaires, qui représentait pour
les femmes une sortie de leur sphère domestique, n'a pas toujours
été émancipatrice. La participation à des
organisations ou initiatives locales (comedores, etc.), bénévole,
représente souvent un charge de travail supplémentaire pour les
femmes et n'est pas toujours visible.
Ces quelques caractéristiques constituent en quelque
sorte un "tronc commun" des revendications des femmes. Cette implication des
femmes en dehors de la sphère privée, ainsi que la
création d'autres espaces de développement personnel ont
été importantes pour le développement d'une
citoyenneté articulée, comme le souligne Marques-Pereira, autour
de la défense du bien-être des individus et l'intérêt
pour la gestion collective des biens publics.182
Dans le contexte latino-américain, les femmes ont
joué un rôle majeur, en tant qu'actrices sociales et citoyennes,
dans la recomposition du tissu social et dans la transition vers la
démocratie. La politique s'apparentait selon ces femmes à la
participation à la base sociale, à l'ouverture d'espaces
collectifs, à la dénonciation des inégalités et des
oppressions. Cette première phase du féminisme serait
orientée, selon l'expression de Philips,183 au niveau
"micro": les préoccupations des femmes concernent la vie
quotidienne (dont elles pointent les aspects de genre)184, les
relations de pouvoir au sein de la sphère privée, et la lutte
pour la démocratisation.
La deuxième phase verrait les femmes agir à un
niveau "macro": elles soulignent leur appartenance à la
communauté politique et, en introduisant de nouveaux thèmes de
réflexion, plus vastes, plus universalistes, plus politiques tentent de
construire des espaces permettant la construction de citoyennetés plus
vastes. 185 On pourrait considérer que ce changement dans la
réflexion des femmes se fait, en Amérique Latine,
parallèlement au changement démocratique. Il est aussi à
mettre en rapport avec l'impulsion donnée au niveau international (par
la Décennie de la Femmes et la Convention contre toutes les formes de
discrimination envers les Femmes entre autres) qui valorise les principes de
diversité, de pluralisme et de respect des différences et
crée des conditions favorables à la participation
économique et sociale ainsi qu'à la reconnaissance des
intérêts et identités des femmes.186
182 MARQUES-PEREIRA Bérengère:
Processus de développement régional en
Amérique latine, syllabus, ULB, Bruxelles, 1998-99 (4ème
édition), p. 22.
183 VARGAS Virginia, Reflexiones en torno a los
procesos de autonom'a y la construcci--n de la ciudadan'a femenina en la region
,
http://www3.rcp.net.pe/FLORA/reflex/
index.htm, p. 3.
184 A propos de la mobilisation des femmes à partir de
leur rôle communautaire et le rapport qu'elles voyaient entre ce
rôle et la politique, Jelin différencie le "women's
talk" (discours de femmes) et les "political things"
(la chose politique) pour évoquer le fait que les femmes
renient le caractère politique de leurs actions dès lors qu'elles
les justifient par le bien-être de la communauté. C'est du, selon
Jelin, à leur conception de la Politique comme étant quelque
chose de distant qui ne les concerne pas alors que leur participation aux
structures communautaires est vue comme une activité de "mère
responsable". JELIN Elizabeth, Citizenship and Identity:
final reflections, in JELIN Elizabeth, Women and
social change in Latin America, UNRISD/Zed Books, London, 1990, pp.
184-207, p. 190.
185 VARGAS Virginia, opcit, p. 3.
186 MOLINA Natacha, Las mujeres en la
construcci--n de la igualdad y la ciudadan'a en América latina, in La
Ventana,
http://www2.udg.mx/laventana.
ii. Citoyenneté desfemmes et reconstruction
étatique
Cependant, si cette situation a ouvert aux femmes de nouvelles
possibilités d'action elle a également ébranlé bon
nombre de leurs certitudes.187 Plusieurs types de barrières,
institutionnelles, organisationnelles et idéologiques, ont
empêché la participation totale et la satisfaction complète
des revendications des femmes.
· obstacles institutionnels et
organisationnels
Le premier constat à faire est que la transition
démocratique n'implique pas nécessairement ni une
sensibilité plus grande de la société à la question
de l'équité de genre, ni une diminution du sexisme.
L'ouverture et le changement organisationnel
nécessaires à l'intégration des revendications sociales et
des nouvelles citoyennetés est difficile à mettre en place,
notamment à cause de l'inertie des acteurs sociaux (état, partis,
médias, société civile). Dans leur intégration
à l'espace public, les femmes (féministes ou non) se heurtent
donc souvent à des structures hiérarchisées, verticales,
empreintes d'une culture organisationnelle autoritaire et rigide, tant au
niveau étatique qu'à celui des autres interlocuteurs sociaux et
politiques.188 Dans un contexte de démantèlement de
l'Etat-Providence et des contraintes imposées par l'économie de
marché, un certain nombre de compétences et programmes ont
été délégués aux instances régionales
et municipales. Cette multiplication des interlocuteurs sociaux et l'absence de
canaux de participation des femmes à ces niveaux du pouvoir n'a
guère favorisé l'influence des femmes sur les programmes mis en
Ïuvre.
Si des processus de réflexion et des débats
publics, alimentés en grande partie par les connaissances
développées par le mouvement féministe, ont effectivement
lieu, mettant à l'ordre du jour une série de thématiques
(sexualité, droits reproductifs, pauvreté), les programmes qui
sont mis en place, destinés aux groupes sociaux les plus
marginalisés, ont pour la plupart un caractère "asexué".
Les revendications d'équité de genre y sont souvent
effacées au profit de mesures visant à réduire les
inégalités sociales et la pauvreté. Si un lien est
effectivement établi entre "femmes" et "pauvreté", c'est en tant
que membre d'un foyer ou comme faisant partie de catégories sociales
générales (travailleuses, consommatrices, utilisatrices de
services publics) que les femmes sont bénéficiaires et non en
tant que comme sujets de droits avec une capacité de contrôle sur
les ressources et bénéfices. La situation de subordination dans
laquelle se trouvent les femmes ne s'en trouve donc pas changée.
· obstacles conceptuels et
idéologiques
Alors qu'elles avaient une grande capacité de
mobilisation sociale lorsqu'elle avaient un référent politique
commun (lutter contre la dictature), leur pouvoir d'influence et de
décision est fort réduit dès lors que l'espace public
s'élargit et qu'elles doivent transformer leur participation sociale en
pouvoir politique. Ainsi le mouvement de femmes est confronté à
ses propres limites: socio-organisationnelles mais également
conceptuelles et idéologiques.
On observe en effet à cet égard des
carences dans le processus de socialisation des réalités
féminines. Les femmes font face à la persistance des
stéréotypes au sujet de leur engagement: celui-ci est percu comme
étant exclusivement lié à leur rôle reproductif. A
cet égard, Jelin souligne que la remise en cause du caractère
naturel de cet engagement reproductivo-communautaire n'a eu lieu que
lorsque la division sexuelle du travail a été
187 VARGAS Virginia, Reflexiones en torno a los
procesos de autonom'a y la construcci--n de la ciudadan'a femenina en la
regi--n,
http://www3.rcp.net.pe/FLORA/reflex/
index.htm
188 MOLINA Natacha, opcit.
modifiée.189 Il n'existe pas non plus de
reconnaissance de la diversité des femmes, elles sont
considérées comme étant quasi "identiques et donc
interchangeables".190
Cette négation des diverses réalités des
femmes est lié aux processus d'individuation de
celles-ci. Or, comme nous l'avions souligné dans le chapitre
précédent concernant la recherche d'autonomie, il est
indispensable, afin d'exercer pleinement sa citoyenneté et se
reconna»tre comme sujets de droits, de pouvoir se percevoir non seulement
comme étant "différente" et "autonome" mais également
comme étant un agent social inscrit dans une multitude de relations
sociales, et au sein duquel cohabitent différentes positions
subjectives qui correspondent à autant de réseaux d'insertion
sociale.191 Cette capacité à contrôler, par
soi-même, les aspects fondamentaux de sa propre vie et les circonstances
dans lesquelles elles se développent, sans se sentir "attachée"
aux décisions émanant du mari, de l'église ou du
parti192, est en effet indispensable pour que les femmes puissent
influencer et contrôler les décisions publiques qui les
concernent.193
La réappropriation de leurs revendications par les
acteurs sociaux traditionnellement responsables de relayer les demandes
sociales, tels les partis, se fait difficilement. Au sein de ces structures en
effet, les relations de genre sont invisibles (et invisibilisées) et la
citoyenneté des femmes est limitée. Or ce sont ces organisations,
plus structurées, qui ont le plus d'influence et de pouvoir de
décision. Des lors, les femmes qui étaient déjà
inscrites dans de telles structures (états ou partis) vont conserver un
lien avec le pouvoir alors que les quelques autres, plus progressistes,
assumant des responsabilités vont intégrer les structures
étatiques sans réelle base sociale pouvant leur accorder la
légitimité dont elles ont besoin. Paradoxalement dit Molina, si
des themes centraux à l'équité de genre sont inscrit
à l'agenda public, ils sont défendus par les secteurs les plus
conservateurs et en des termes fondamentalistes.
· amplification et diversification du
mouvement
Ces facteurs, ainsi que l'absence de référents
historiques empêchent de construire un concept moderne qui ferait le lien
entre le genre et la citoyenneté pour construire un concept inclusif du
féminin d'une part, qui engloberait la multiplicité des champs
dans lesquels participent les femmes d'autre part. La démocratisation et
la construction d'un mouvement social de femmes menant à une
société égalitaire (quelque soit le genre, la race,
l'ethnie) passe par des processus sociaux de construction d'action et
d'identité collective impliquant trois axes: les fins, les
moyens et les relations avec l'environnement. Comme l'exprime Escobar,
c'est au quotidien que se fait l'intersection entre les processus
d'articulation du sens par des pratiques d'une part, les processus de
domination d'autre part.194 Il faudrait donc, pour qu'un réel
changement ait lieu, arriver à constituer une "masse
critique", à créer une communauté
d'intérêts susceptible de sensibiliser l'opinion publique
à l'importance du rôle des femmes mais aussi des autres
diversités (raciales, ethnique s, etc.), tout en continuant d'avancer
sur le plan politique institutionnel. 195
189 JELIN Elizabeth, Women and soc ial
change in Latin America, UNRISD/Zed Books, London, 1990, p. 6.
190 MOLINA Natacha, p. 10.
191 MEYNEN Vicky et VARGAS Virginia, La
autonom'a como estrategia para el desarrollo dessde los multiples intereses de
las mujeres, in BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin morir en el
intento. Experiencias de planificaci--n de género en el desarollo,
NOVIB, Ediciones Red Entre Mujeres, Lima, 1994, p. 27.
192 VARGAS Virginia,
ReflexionesÉ, opcit., p. 5.
193 MOLINA Natacha, opcit.
194 ESCOBAR Arturo: Culture, Economics, and
Politics in Latin American Social Movements Theory and Research, in
ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The
making of the social movements in Latin America. Identity, strategy and
democracy, Westview Press, Boulder, 1992, pp. 62-85, p. 72.
195 MOLINA Natacha, opcit, p.5.
Dans leurs processus de socialisation et de construction
identitaires, les femmes ont bien sar utilisé différentes
stratégies. L'engagement des femmes dans des institutions et espaces
publics ayant de plus grandes capacités d'influence et de proposition,
telles les ONG, les Universités ou certaines instances gouvernementales
a contribué à la création de cette masse critique
mais a aussi contribué à la diversification et l'amplification du
spectre idéologique de l'action des femmes. Toutefois, cette
participation des femmes aux structures du pouvoir ne constitue un réel
acquis qu'à partir du moment oil "les organisations, et les femmes,
établissent des liens, négocient avec les organisations
politiques conventionnelles ou manifestent une aptitude technique de
manière novatrice. Faire de la politique, c'est intervenir dans le
public".196 Cette intervention dans le public s'est
concrétisée de diverses manières et le mouvement des
femmes, loin d'être homogène, est parcouru par une série de
clivages, de fractures, de conflits mais aussi de points communs qui en ont
fait le mouvement riche et dynamique d'aujourd'hui. Nous observerons ci-dessous
les tendances récentes de mouvement des femme s ainsi que quelques uns
des clivages qui le traversent. .
B. Organisation et action: evolution, clivages et
tendances recentes
Parmi les différents points "conflictuels", nous en
avons dénombré deux qui nous paraissent avoir eu une influence
majeure dans la structuration de l'action des femmes latino-
américaines, notamment dans leur rapport avec l'extérieur (la
coopération au développement en particulier): le clivage
entre feministes auto-proclamées et mouvements
de femmes (entre "historicas" et "movimientos"), et
le clivage entre les autonomes" et les
"institutionnalisees".
i. feministes et mouvements de femmes197
Le premier clivage que nous voyons est celui qui oppose les
féministes d'une part, les mouvements de femmes d'autre part. Cette
opposition semble être une constante du mouvement des femmes de ces
vingt-cinq dernières années.
Ce clivage s'articule autour de plusieurs points de tensions
relatifs à la question "Qui représente et comment les
intérêts des femmes", en particulier les intérêts des
femmes de classes populaires? Cette tension a notamment été
exacerbée par les partis de gauche et par les structures conservatrices
(telles l'Eglise). Pour des raisons différentes, celles-ci ont soit
diabolisé le féminisme soit jugé qu'il y avait un "bon" et
un "mauvais" féminisme. Les partis de gauche voyaient le
féminisme comme un concept impérialiste. La révolution et
le socialisme détruiraient automatiquement toutes les
inégalités, y compris les inégalités de genre.
L'Eglise, dont la conception de l'émancipation féminine est assez
restreinte, était contre une série de revendication progressistes
des féministes, notamment l'avortement. tant la gauche que l'Eglise
estimaient également que le féminisme était un mouvement
intrinsèquement bourgeois et susceptible de diviser l'unité de la
lutte de la classe ouvrière. Les "movimientos de mujeres" actifs dans
l'organisation des femmes pauvres ou de la classe ouvrière sont pour la
plupart liés à ces structures. Ces movimientos mettent l'accent
sur la modification des conditions de vie de ces classes sociales plutTMt que
sur l'oppression et la
196 MOLINA Natacha, opcit, p.9.
197 Pour cette partie sur l'opposition entre
movimientos et féministes, nous nous basons essentiellement sur
l'article que Nancy Saporta STERNBACH (et. alii) a consacré aux cinq
premiers Encuentros féministes. STERNBACH Nancy Saporta (et.
alii), Feminisms in Latin America: From Bogota to San
Bernardo, in ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction
de), The making of the social movements in Latin America.
Identity, strategy and democracy , Westview Press, Boulder, 1992,
subordination de genre. Les femmes de ces mouvements ont
souvent évité de défendre des thématiques
féministes classiques de peur de s'aliéner leur base sociale.
Les femmes se proclamant "féministes" refusent de
choisir. Elles estiment qu'il est indispensable de travailler sur les deux
fronts (équité sociale et équité de genre) et ont
une vision féministe qui englobe politique, culturel et
société. Si elles se centrent essentiellement sur les
thématiques de femmes, leur objectif est de sensibiliser dans toutes les
sphères de la vie en société aux différentes
oppressions des femmes. Le féminisme est selon elles une pratique
politique complète, qui doit constitue un mouvement autonome des
structures existentes dont elles critiquent la structure patriarcale (Etat,
partis, syndicats). Les "feministas" sont souvent
considérées comme appartenant à la classe moyenne. Ce
facteur, conjointement à une certaine "intellectualisation" de leurs
actions, a contribué
au conflit qui
les opposent aux femmes des "movimientos de mujeres"
.
Cette opposition est le reflet des différentes
perceptions de la situation des femmes et des moyens à utiliser pour
changer cette situation. Elle est notamment visible, comme nous l'avons vu,
dans les différentes grilles d'analyse et approches du FED. Ces
approches ne seraient donc que le reflet exacerbé et figé des
positions existantes dans la société.
ii. autonomie et institutionnalisation
Cette opposition entre féministes et mouvements de
femmes joue un grand rTMle dans la manière de socialiser et d'organiser
leur lutte. Les femmes dont les objectifs étaient de contribuer à
l'amélioration des conditions matérielles des femmes et dont la
politique est plus pragmatique ont eut moins de réticences à
s'inscrire dans une démarche institutionnelle ancrée dans une
utopie réaliste comme la qualifie Virginia
Vargas.198
Elle parle de glissement stratégique du mouvement
féministe. Un des changements important selon elle a été
la modification d'une posture anti-étatique et le changement
à partir d'une autonomie défensive et une logique et dynamique de
confrontation, caractéristiques de la décennie antérieure,
tant par besoin de s'affirmer comme mouvement que par l'existence de dictatures
sur le continent, à une logique de négociation et d'autonomie
"dialogante" et propositive. 199
· Institutionnalisation et rapports avec la
coopération au développement200
Le changement stratégique s'est fait sur deux fronts
parallèles: l'intégration dans les structures existantes et la
création d'ONG et d'associations spécifiques.
Si cette participation des femmes aux institutions n'est pas
à rejeter, il faut cependant constater qu'elle s'est parfois faite au
détriment de la réalisation des objectifs féministes. Le
risque que le mouvement ne se soumette à des exigences et à des
logiques qui ne seraient pas les siennes, et ne se convertisse en
"technocratie" de genre est réel.
Ximena Bedregal, résume bien le dilemme auquel est
confronté le mouvement féministe:
le "quehacer" et les objectifs institutionnels ne peuvent se
confondre avec le devenir et le développement de l'ensemble du mouvement
politique féministe parce qu'elles ont des logiques, des temps, des
rythmes et des dynamiques différentes et parce que leurs ob jectifs et
intérêts de vie et survie, lointains et immédiats, ne
co ·ncident pas et ne doivent pas le faire.201
198 VARGAS Virginia, Reflexiones en torno a los
procesos de autonom'a y la construcci--n de la ciudadan'a femenina en la
regi--n,
http://www3.rcp.net.pe/FLORA/reflex/
index.htm.
199 VARGAS Virginia, opcit, p. 3.
200 Parmi les nombreux aspects de l'institutionnalisation, nous
avons choisi de ne développer que ceux étant en rapport avec la
coopération internationale puisque c'est le sujet qui nous occupe
ici.
201 BEDRAGAL Ximena, Pensar de un modo
nuevo, in Hacia el VII encuentro feminista Latinoamericano y del
Caribe, La Correa feminista n°16-17, CICAM, Mexico, 1997, p.
54-58.
Autant que sur la forme c'est également sur le fond
que se crée le désaccord, qui ne fait qu'illustrer les tendances
générales que nous avions ébauchées dans les deux
premières parties.
Les ONGL202 créées par les femmes
latino-américaines servent souvent de relais avec les institutions et
organisations de la coopération internationale, que ce soit dans le
cadre de mécanismes de solidarité et d'échanges
d'expériences ou pour canaliser des demandes de fonds. Certaines de ces
ONGL ont, en grandissant, tendance à se bureaucratiser et à
laisser de côtés les objectifs qui étaient les leurs. Maria
Galindo met notamment en garde contre certaines pratiques qui selon elle sont
caractéristiques de l'institutionnalisation du féminisme. Elle
dénonce le fait que l'action féminisme soit devenue un travail
salarié, exécuté dans le cadre de relations
hiérarchisées, bureaucratisées et entretenant des liens
clientélistes et utilitaires avec les autres secteurs du mouvement de
femmes. Dans le cas la recherche de financement cette tendance est plus
regrettable que les ONGL prétendent, dans certains cas, être
représentatives de l'entièreté du mouvement de femmes,
devenant à la fois bénéficiaires (recevant les fonds) et
bienfaitrices (redistribuant les fonds auprès des autres
secteurs).203 Dans son introduction au compte rendu de la rencontre
féministe de 1996,204 Edda Gaviola montre cette
"usurpation":
le féminisme latino-américian se trouve dans un
processus d'institutionnalisation accéléré, un discours
médiatisé par les négociations et le lobbying qui, sans
être discutés dans aucun espace du mouvement, se fait au nom de
toutes et fragmente en thématiques les femmes et la vision du monde et
la rébellion féministes qui nous avait
caractérisées depuis des années.205
Le fait que ces ONGL soient responsables auprès des
bailleurs de fonds mais ne se sentent pas obligées de rendre des comptes
à leur base sociale est également vivement critiqué. Cette
critique est d'autant plus justifiée que la conception (choix des
thématiques et priorités) et l'évaluation des projets se
fait généralement en cercles fermés, entre experts de
genre et membres des "réseaux".206 La question de la
représentativité mais également de la
légitimité est donc posée. En se convertissant en
interlocutrices privilégiées de la coopération
internationale, les ONGL entrent dans la dynamique du dispositif de
développement. Elles facilitent l'instrumentalisation et la cooptation
du discours féministe par les instances internationales, ôtant de
la perspective de genre toute velléité de critique du
système patriarcat. Dans une certaine mesure, elles évacuent la
représentation et la démocratie syndicale construite au sein du
mouvement de femmes et refusent le droit à la "dissidence", selon le
principe féministe du "Personne ne représente personne"
.207
Les pratiques et stratégies évoquées
ci-dessus ne sont bien sftr pas, heureusement, celles de toutes les ONGL
latino-américaines. Nous les avons évoqué parce qu'il nous
semble qu'elles constituent des menaces réelles pour tous les mouvements
sociaux, en Amérique latine mais également ailleurs. En outre ils
illustrent la complicité qu'il peut y avoir, dans la constitution du
dispositif de développement, entre les Etats, les organisations de la
société civile et les
202 ONGL: Nous indiquons ainsi les ONG locales,
pour les différencier des ONG occidentales.
203 GALINDO Maria, Tiempo saboteado en que
nos toca vivir, in Permanencia voluntaria en la Utopia: El feminismo autonomo
en el VII encuentro feminista latinoamericano y del Caribe, Colecci--n
Feminismos Complices, Editorial La Correa Feminista, Mexico, 1997, p. 13
204 En 1996 la rencontre bisannuelle des féministes
latino-américaines a été marquée par un important
clivage entre féministes et autonomes, clivage qui est exprimé
dans l'ouvrage de synthèse de la rencontre: Permanencia voluntaria
en la Utopia: El feminismo autonomo en el VII encuentro feminista
latinoamericano y del Caribe, Colecci--n Feminismos Complices,
Editorial La Correa Feminista, Mexico, 1997.
205 Permanencia voluntaria en la Utopia, op. cit., p.2
206 GALINDO Maria, opcit.
207 idem, p. 15.
ONG (du Nord ou du Sud). Il est donc, si l'on veut créer
les conditions d'un développement basé sur l'autonomie et la
participation de tous, rechercher des voies et des voix alternatives.
· L'autonomie telle qu'elle est concue par
les féministes autonomes latino-américaines
Les féministes "autonomes" latino-américaines,
même si elles ne constituent pas une part majoritaire du mouvement de
femmes du continent, font quelques propositions que nous trouvons
intéressantes dans la Déclaración del
Feminismo Autónomo, faite lors de l'Encuentro au
Chili en 1996. Dans cette déclaration, elles mettent l'accent sur la
nécessité de faire le lien, dans toute action, entre l'intime, le
privé et le public et réitèrent leur volonté de
lutter contre toute forme de pouvoir patriarcal. Prônant une critique et
une remise en question permanente de l'Etat et de ses institutions, elles ne
prétendent pas constituer une liste de revendications mais bien
"repenser le monde, la réalité, la culture" en se
réappropriant les idées qui étaient les leurs. En outre,
elles refusent de négocier avec les institutions supranationales telles
la Banque Mondiale ou le FMI et entendent discuter et analyser les
mécanismes financiers inhérents à la coopération
internationale.208 L'autonomie est selon elles une limite et une
possibilité définissant leur rapport au monde (É) nous
sommes présentes dans le processus historique, dans sesfaits et luttes
quotidiennes d'oIs nous alimentonst et approfondissons notre critique du
système et ols nous entendons installer notre subversion quotidienne, ce
que nous faisons avec et à partir de notre histoire.
C. Tendances récentes et perspectives
Pour résumer et conclure, nous pouvons reprendre les
tendances récentes du féminisme latino-américain qui sont
relevées par Sonia Alvarez et qui recouvrent et complètent notre
analyse. Elle parle de l'absorption des certains éléments
du féminisme par les institutions dominantes, la
société politique, l'état et d'autres organisations
parallèles ainsi que par "l'establishment" du développement
international. Alvarez cite également la multiplication des
lieux dans lesquels les femmes qui se considèrent comme
féministes peuvent s'exprimer et agir, diffusant ainsi des discours
féministes différents du discours figé des années
70 et 80. Parallèlement, on assiste à
"l'ONGisation", c'est-à-dire la
professionnalisation et la spécialisation de divers
secteurs des mouvements féministes ainsi qu'à la mise en
réseau et à la transnationalisation des
différentes composantes du mouvement. Cette évolution est selon
Alvarez, à la fois positive et négative. Positive parce qu'elle a
permis l'extension des capacités d'action et d'influence du mouvement,
négative parce qu'elle a entretenu provoqué des conflits sur les
objectifs, cibles et priorités du mouvement. 209
Chapitre II: ONG et perspective de genre
en Amérique Latine
Comme nous l'avions évoqué
précédemment, et comme nous avons pu le constater lors de nos
séjours en Amérique centrale210, il n'est pas
évident que les programmes de la
208 Permanencia voluntaria en la Utopia: El feminismo autonomo
en el VII encuentro feminista latinoamericano y del Caribe, Colecci--n
Feminismos Complices, Editorial La Correa Feminista, Mexico, 1997, pp.111
-116.
209 ALVAREZ Sonia A., Latin American
feminisms "go global": trends of the 1990's and challenges for the new
millenium, in ALVAREZ Sonia, DAGNINO Evelina et ESCOBAR Arturo (sous la
direction de), Cultures of politics, Politics of cultures.
Re-visioning latina american social movement, Westview Press, Boulder, 1998,
pp. 293-324, p.294.
210 Lors de notre voyage en Amérique centrale durant
l'été 2000, nous avons rencontré des femmes et
des hommes, membres d'associations féministes, d'ONG
européennes et d'institutions internationales210 qui nous
ont fait part de leur expérience et de leur facon de voir. Nous avons
rencontré des membres des organisations
coopération internationale répondent aux
attentes des populations auxquelles ils s'adressent et les différends
entre les deux parties sont grands, encore plus lorsqu'il s'agit de
féminisme et de genre. Cette réflexion faite, il semble essentiel
de voir ce qui sépare les deux "mondes" pour travailler à ce qui
les relie.
Dans ce chapitre nous mettrons en lumière quelques
traits saillants dans les rapports entre ONG (du Nord) et les féminismes
en Amérique latine en observant dans un premier temps quelles peuvent
être les conceptions des femmes du Sud et du féminisme qu'ont les
ONG du Nord et comment ces conceptions se reflètent dans le choix de
leurs partenaires et le type d'action qu'elles mettent en place. Nous
évoquerons également quelques remarques qui sont faites par les
femmes latino-américaines par rapport au travail des ONG.
1. ONG, FEMMES DU SUD ET FEMINISMES
Nous avons observé, lors de notre expérience
à VOICE mais également à la lecture de divers documents
d'ONG, qu'il existe, au sein des ONG du Nord, une réticence à
aborder la thématique du féminisme (comme base théorique
et courant politique) d'une part, à travailler avec les
féministes (comme groupes d'action/ partenaires) d'autre part.
? ONG, féminisme et patriarcat
inconscient
Un premier point qui sépare les ONG européennes
des femmes latino-américaines est la reproduction du schéma de
pensée patriarcal par les ONG, puisque c'est celui-là même
contre lequel luttent les femmes latino-américaines. Souvent ces
structures restent empreintes en effet d'un patriarcat inconscient, ce qui rend
les thématiques liées aux femmes taboues, encore plus
lorsqu'elles se présentent sous le terme de "féminisme". Les ONG
doivent bien sftr lutter pour intégrer le genre dans leurs projets, mais
également lutter pour l'intégrer à l'intérieur de
leurs structures.211
Ines Smyth, (OXFAM-GB), évoque dans plusieurs articles
212, la difficulté qu'ont les ONG de développement
à parler ouvertement de féminisme et d'idées
féministes. Les raisons qui sont invoquées par Smyth sont les
suivantes: la peur d'ingérer dans la culture locale, le
'féminisme pop'213 et l'anxiété par rapport au
projet politique du féminisme.214 Dans une étude sur
le Genre au sein de l'Union Européenne 215, Mandy Macdonald
évoque également cette crainte. Selon elle, cette
résistance viendrait d'une conception démodée du
féminisme qu'ont ces personnes: celui-ci serait une "importation du
Nord", "l'imposition de valeurs
suivantes: Paz y Tercer Mundo (Tegucigalpa),
ECHO (le Desk Officer pour l'Amérique centrale,
Tegucigalpa), OXFAM (Managua), CHRISTIAN AID
(Guatemala Ciudad), Croix Rouge Américaine
(Tegucigalpa), Acción Contra el Hambre
(Tegucigalpa), Solidaridad Internacional
(Tegucigalpa), La Malinche, La Corriente
(Managua), CCER (Coordinadora Civil para la
Emergencia y la Reconstrucci--n - Managua), Puntos de Encuentro
(Managua), Centro de Derechos de Mujeres
(Tegucigalpa), Red de Mujeres contra la Violencia
(Managua).
211 A propos du changement au sein des ONG voir le chapitre
2: Dinámica de género interna de las organizaciones donantes in
MacDONALD Mandy, SPRENGER Ellen et DUBEL Ireen, Género
y Cambio organizacional. Tendiendo puentes entre las politicas y la practica,
KIT, Institut Royal pour le Tropique, Pays Bas, 1995, pp. 35-54.
212 voir A rose by any other name: Feminism in development
NGOs in PORTER Fenella, SMYTH Ines et SWEETMAN Caroline,
Gender Works! Oxfam experience in policy and practice, Oxfam Publications,
Oxford, 1999, pp. 132-142. et NGOs in a post-feminist era, in
PORTER Marilyn et JUDD Ellen (sous la direction de), Feminists
doing development. A practical guide, Zed Books, Londres, 1999, pp. 17-28.
213 EISENSTEIN appelle ainsi certains thèmes qui,
autrefois du seul ressort du féminisme, sont passés aujourd'hui,
édulcorés et simplifiés, dans le domaine public,
c'est-à-dire ces thèmes tels le harcèlement sexuel, le
droit au travail, etc. qui sont aujourd'hui des problèmes d'ordre
général qui rendent le combat féministe inutile aux yeux
de certains puisque ces problèmes sont abordés par tous.
214 SMYTH Ines, A rose É,
opcit., pp. 137 -138.
215 MACDONALD Mandy, Gender Mapping the
European Union, EUROSTEP/WIDE, Brussels, 1995.
occidentales au Sud", "un complot matriarcal". Face à
cette résistance, Macdonald souligne l'importance du langage qui peut,
selon elle, être
aliénant et mystificateur.216
Creation d'un sujet femme homogene
On observe cependant moins de réticences des ONG
lorsqu'il s'agit de créer un sujet-femme homogène. A l'instar du
discours qui a été développé sur les pays du 'Tiers
Monde', et qui dépeignait les sociétés du Sud comme
étant 'imparfaites, anormales, ou comme étant des entités
malades comparé aux sociétés
développées'217, un discours dépréciant
a été développé sur les femmes du Sud. Celles-ci
sont souvent présentées comme étant doublement
opprimées: par leur genre et par le sous-développement de leurs
pays.218 Cette description de la femme du Sud est en grande partie
le fait des féministes occidentales qui ont expliqué les femmes
du Sud en présupposant que les réalités des femmes
occidentales, blanches et de classe moyenne, pouvaient s'appliquer à
toutes les autres femmes. C'est donc en se basant sur des paradigmes
occidentaux que les ONG ont défini ce vers quoi on devait aller, prenant
pour base la femme occidentale.
A la difficulté déjà énorme de
parler des problématiques de femmes, et d'intégrer le genre dans
le développement s'ajoute donc celle de déconstruire les
croyances et conceptions que peuvent avoir les ONG pour pouvoir reconstruire
une pensée plus novatrice et réellement incluante du
féminin.
Choix des partenaires
Pourquoi, alors que les ONG travaillent avec ce qu'elles
appellent des "partenaires du Sud", ne mettent elles pas plus d'enthousiasme
à soutenir les mouvements féministes, qui sont la
concrétisation du "savoir féministe", du "savoir de genre"? Les
ONG du Nord préfèrent en général travailler avec
des organisations rurales, sociales, qui ne sont pas directement
féministes. Il existe une crainte en effet que les féministes
avec lesquelles une collaboration est entamée ne soient pas
représentatives de l'ensemble des femmes.219 Ce désir
de travailler avec des partenaires qui seraient représentatifs est bien
sar utopique mais pose également la question du sens politique des
partenariats. Si les ONG sont claires avec les idéaux qu'elles
défendent, et sont conscientes du fait qu'elles mêmes ne
représentent pas "toute la société du Nord", elles ne
devraient avoir aucun problème à créer des partenariats
avec les organisations qui leur semblent être en accord avec leurs
positions. Cette crainte n'est évidemment pas présente dans
toutes les ONG. En fait, on constate que les ONG qui ont le plus peur de
travailler avec les féministes, ou même d'utiliser le terme
"féminisme", sont
216 MACDONALD Mandy, opcit, p. 49.
217 ESCOBAR Arturo, Culture,
economics and politics in Latin American social movements theory and research,
in ALVAREZ Sonia et ESCOBAR Arturo (sous la direction de), The
making of the social movements in Latin America. Identity, strategy and
democracy, Westview Press, Boulder, 1992, pp. 62-85, p. 65.
218 pour la réflexion sur les conceptions
négatives des femmes au sein des ONG européennes voir
MacDONALD Mandy, SPRENGER Ellen et DUBEL Ireen, Género y
Cambio organizacional. Tendiendo puentes entre las politicas y la
practica, KIT, Institut Royal pour le Tropique, Pays Bas, 1995, pp. 39
-40.
219 En 1996, Lors de la préparation de cette
rencontre, émaillée de l'opposition entre les autonomes
et les institutionnelles, les ONG européennes, et en
particulier ICCO, ONG hollandaise, jouèrent un rTMle pour le moins
ambigu. Après avoir décidé de financer le septième
Encuentro féministe, ICCO a retiré son soutien sous
prétexte que la rencontre n'était pas ouverte à l'ensemble
des femmes latino-américaines (et surtout aux "institutionnelles"). Or,
les organisatrices n'ont jamais refusé la participation à
quiconque. Le choix de la méthodologie et du thème de la
rencontre était fixé mais elles n'avaient pas pour autant
fermé la portes aux femmes "institutionnalisées". La
"neutralité", credo souvent mis en avant par les ONG, est ici
foulée aux pieds et on peut se poser la question de la
légitimité d'une telle décision. On peut également
se poser des questions sur le rTMle joué par les ONGL (les
institutionalizadas) dans la décision d'ICCO. voir le chapitre
consacré à l'institutionnalisation du mouvement féministe
latino-américain. voir Permanencia voluntaria en la Utopia: El
feminismo autonomo en el VII encuentro feminista latinoamericano y del
Caribe, Colecci--n Feminismos Complices, Editorial La Correa Feminista,
Mexico, 1997.
celles qui ont une vision plus réductrice de
l'intégration des femmes dans le développement et dont l'action
est la moins dynamique en termes de changements sociaux, ce qui est
généralement le cas des ONG confessionnelles. Nous verrons dans
l'analyse de NOVIB que le partenariat qu'ils mettent en place est avant tout
basé sur un une communauté de vues.
2. PERSPECTIVE DE GENRE ET ONG EN AMERIQUE LATINE
Le clivage qui existerait entre femmes du Sud
(féministes ou non)se situerait donc dans la lecture - politique,
sociale, économique et culturelle, qui est faite de leurs revendications
par le monde de la coopération, y compris celui des ONG. Nous
évoquerons donc ici quelques unes des critiques qui sont faites par
rapport a l'intégration du genre dans les projets en Amérique
latine.220 Ces quelques critiques nous permettent de voir que, outre
la difficulté a intégrer le genre aux projets, en accord avec ce
que demandent les populations locales, il y a également un "gouffre"
entre ce que disent les ONG et les institutions de développement
(notamment les principes énoncés dans les cadres d'analyse) et ce
qu'elles font sur le terrain.
· le genre: un effet de mode
Le premier ensemble de critiques ont trait a la position des
ONG par rapport a la problématique de genre. Dans la plupart des cas, il
semblerait que les ONG intègrent cette notion dans leurs projets soit
parce qu'elle est "politiquement correcte" et a la mode, soit comme condition a
remplir pour avoir des subsides. Cette remarque soulève plusieurs
questions, notamment celle de la dépendance financière des ONG
par rapport aux bailleurs de fonds (gouvernements nationaux, institutions
internationales, etc.) qui imposent leur critères de financements,
même si ces critères restent de simples concepts a l'ordre du
jour. Selon les associations féministes locales, les ONG
européennes resteraient trop dépendantes de leurs financements,
et n'iraient pas au bout de leur vision politique de peur de perdre de
précieux subsides.
· mode de fonctionnement et structure des
ONG
Une critique est faite également aux changements trop
fréquents de personnel expatrié, personnel qui n'a dès
lors pas l'occasion de réellement comprendre les problèmes
auxquels il doit faire face. Un manque de coordination entre les
différents acteurs de la coopération internationale est
également cité comme étant une des cause du manque
d'efficacité de ces organisations. D'autre part, les projets sont
souvent dirigés par des hommes, peu sensibles, voire réfractaires
a l'intégration du gen re, qui n'est dès lors pas prévue
dans des projets pensés en termes masculins.
Par ailleurs, lorsqu'elle est prévue, cette
intégration du genre est confiée a un expert du genre, souvent
une femme. Dans la plupart des cas, il n'y a pas de coordination avec les
autres composantes du projet et manque donc cruellement de vision globale. De
plus, les ONG ne répondent en général qu'aux besoins
directs des femmes, les considérant comme des
bénéficiaires et non pas comme des citoyennes a part
entière. Cette vision a court terme est d'autant plus flagrante quand il
s'agit d'intervenir dans des pays fréquemment atteints par des
catastrophes et en situation d'urgence quasi permanente (comme c'est le cas en
Amérique centrale - un peu moins en Amérique du Sud).
· vision politique
Une des critiques faites par Mar'a Teresa Blandón, du
Collectif Féministe La Malinche a Managua, était que les ONG
rechignaient a soutenir les projets visant a augmenter le
220 Les critiques dont nous parlons ici nous ont
été faites par les personnes que nous avons rencontrées
lors de nos voyages en Amérique centrale, notamment par Maria Teresa
Blandon (la Malinche a Managua, 04/10/2000) et An a Leticia Aguilar (Christian
Aid/ La Corriente a Guatemala Ciudad, 13/10/2000).
pouvoir des femmes et surtout à les aider dans la
conquete de l'espace politique dans leurs pays. Cela rejoint ce que nous avions
déjà constate dans la première partie de ce travail.
L'integration des femmes et du genre dans le developpement ne se fait que
lorsque les risques de changements dans la repartition du pouvoir sont
limités pas trop de risques et de changements dans la repartition du
pouvoir. La "vision de genre" reste des lors souvent limitée aux projets
de femmes pour femmes, invisibilisant les femmes du reste de la dynamique de
developpement et reproduisant les modeles autoritaires et patriarcaux
existants.221 Dans les faits les actions et projets des ONG
s'opposent à la construction des femmes comme sujet politique.
relations inegalitaires et
instrumentalisees
Selon Ana Leticia Aguilar, c'est une relation inegalitaire
que celle qui se cree entre la Cooperation internationale et les organisations
locales. En effet, la difference est enorme entre les deux parties, tant en
termes de capacités de reflexions, de connaissances sur leurs actions et
vecus, et d'acces et de divulgation des informations222 qu'en termes
strategiques et materiels. Cette relation renforce bien evidemment la
dependance dans laquelle se trouvent les organisations locales par rapport
à la "cooperation internationale".
D'autre part, alors qu'elles devraient n'etre que de simples
"facilitatrices", les ONG se transforment en executrices de projets. Ceux-ci
courent alors le risque d'être completement eloignes des preoccupations
et attentes des populations bénéficiaires. Cette "usurpation" se
fait au detriment d'un partenariat veritable, qui serait basé sur une
communaute d'interets entre ONG et organisations locales visant à la une
societe plus egalitaires.
Si leur projet de développement est de contribuer
à l'autonomie des populations du Sud, des femmes en particulier, il est
indispensable que les ONG reconsiderent leurs fagon d'agir et soient plus
cohérentes avec cet objectif. Il faut que les ONG elles-mêmes
cherchent leur autonomie par rapport au systeme institutionnalisé de la
cooperation internationale.
221 MONTENEGRO Maria Elena, VISSERS Cita et
VOLIO Roxana, Una cuenta pendiente? Género y
coopéraci--n internacional en Centroamérica, San
José, 1997, p. xi.
222 Les ONG ont en effet un grand accès aux
diverses sources d'informations, que ce soit les informations provenant des
gouvernements ou institutions internationales, les statistiques, et autres
données relatives aux populations locales. Ces dernières n'y ont
pas toujours accès.
NOVIB, UNE ONG "ENGAGEE
DANS LE GENRE": ANALYSE DE
CAS
Chapitre I: Grille de lecture et
methodologie d'analyse
1. CADRE CONCEPTUEL
La plupart des ONG qui travaillent sur le genre, tentent
d'établir des grilles d'analyse et de travail afin d'améliorer
cette integration de genre dans leur travail, tant au niveau organisationnel,
qu'au niveau de leurs actions "sur le terrain", compris ici comme etant leurs
actions dans le Sud mais aussi leurs actions de sensibilisation dans le Nord.
Notre recherche a pour but d'analyser leur travail, les objectifs qu'elles se
sont fixés dans l'intégration du genre dans le
développement et donc d'établir une grille de lecture nous
permettant de comprendre et d'étudier le cas de l'ONG
néerlandaise NOVIB. Cette grille de lecture se basera sur les trois
premières parties de cette recherche.
Dans la première partie, nous avons mobilise
differents concepts ou champs d'analyse: celui du savoir ou de la connaissance,
ceux du pouvoir /puissance et finalement celui du genre. La mobilisation de ces
trois concepts permet d'etablir non seulement le lien qu'il y a entre le
savoir, sa production, son utilisation et le pouvoir qui en resulte mais
egalement de comprendre comment, dans le cas des ONG, ce lien est compris, expl
icite et mis en Ïuvre, au niveau interne et externe. Nous avons pu voir
comment cette integration du genre est une problematique largement dominee par
la question du savoir Ð pouvoir, tant dans la definition des concepts et
donc dans l'elaborations des pol itiques, programmes et projets des
institutions internationales et des ONG, que dans les relations de ces
dernieres avec leurs partenaires du Sud. Nous avons pour arriver à cette
analyse, fait appel aux notions de dispositif de developpement et de
gouvernementalite qui nous ont permis de montrer en quoi le monde du
developpement etait instrumentalise, tant par les ONG du cTMte du Nord, que par
les differents mouvements et associations du Sud, dans un processus de gestion
des populations.
Dans une deuxieme partie, et en se basant sur la
première, nous avons esquisse une "histoire" critique de l'integration
de la perspective de genre dans la cooperation au developpement, tant au niveau
des ONG elles-memes qu'à celui des institutions. Nous avons analyse
l'evolution de l'integration des femmes dans le développement (FED ou
IFD) à l'integration plus complexe du genre dans la developpement.
L'analyse de ces differentes grilles d'analyse nous ont permis de corroborer le
cadre que nous avions esquisse dans notre premiere partie et qui decrivait le
dispositif de developpement. Celui-ci etait compris comme etant l'ensemble des
techniques et savoirs utilises à des fins de gestion et d'administration
des populations du Sud. Tout comme il existe, dans le corps social des points
de pouvoir, il existe des points de resistance. Ce binTMme "pouvoir-resistance"
nous a servi pour analyser les autres possibles, à savoir l'action des
ONG. Les deux premiers concepts et leur analyse à partir d'une
perspective feministe ont permis d'arriver à une definition de la
"perspective de genre" comme étant une deconstruction d'une conception
des relations sociales de sexe ayant pour base une vision patriarcale de la
société. Cette deconstruction doit permettre d'envisager
differemment toute situation, toute problematique. Nous avons finalement defini
ce qu'est l'autonomie au niveau individuel puis au niveau collectif, de maniere
generale, pour ensuite arriver à une definition de ce qu'elle peut etre
pour les femmes, dans les projets de développeme nt et dans les
organisations de femmes. Ce clivage autonomie/ institutionnalisation, present
dans les
mouvements féministes et les ONG, ainsi que dans leurs
relations nous a permis d'envisager plus clairement l'action des ONG mais
également des mouvements de femmes.
Dans une troisième partie, nous avons décrit
dans ses grandes lignes, la situation de l'Amérique latine par rapport
à cette problématique en mettant en parallèle les modes
d'organisations et les revendications des femmes (féministes,
groupements de femmes, ONG de femmes ou mixtes) avec ce que les ONG du Nord
font comme diagnostique de la situation et proposent comme solutions. Cette
comparaison permet de comprendre les problèmes de compréhension
qu'il peut parfois y avoir entre ONG du Nord et femmes du Sud mais aussi les
difficultés à mettre en Ïuvre un concept culturellement
construit et compris.
C'est sur base de ces trois parties que nous établirons
la grille de lecture qui nous servira à l'analyse de l'ONG NOVIB.
2. LA GRILLE D'ANALYSE
Nous avons commencé notre recherche par une
réflexion sur la constitution des savoirs, notamment les savoirs
féministes et les savoirs du développement et la mise en pratique
de ces savoirs. Notre grille de lecture abordera donc deux types de
thématiques, la première est de type théorique, la seconde
est pratique. Par théorique nous entendons tout ce qui fait la
pensée d'une organisation, ce qui implique aussi bien le savoir
théorique stricto sensu que le savoir qui émane d'une
pratique. Comme nous l'avions mis en exergue dans la première partie, le
développement et le féminisme sont des exemples de
'recherche-action', ce sont des pratiques qui font constamment l'aller-retour
(ou du moins qui devraient le faire) entre la réflexion et la pratique,
mouvement qui permet d'avancer et de développer son action. Nous avions
pour qualifier ce mouvement utilisé la définition de John Hoffman
de 'momentum concept'223 qui décrit bien le caractère
inachevé et imparfait du développement mais aussi du genre comme
terme d'analyse.
La notion de dispositif et de gouvernementalité qui ont
orienté notre analyse sera ici encore importante pour comprendre quel
est le rTMle des ONG dans le "monde du développement".
A. Au niveau théorique
· La constitution du savoir et le type de savoir qui est
mobilisé.
· Les bases théoriques sur lesquelles se fondent les
actions de l'ONG.
· L'influence des études féministes et des
études de développement dans l'intégration du genre.
Comment sont intégrées les études faites dans des domaines
parallèles à leurs actions.
· Les définitions du genre, du pouvoir, de
l'autonomie.
· L'organisation du savoir au niveau interne (existence
ou non d'un organe chargé d'études et de recherches, les liens
entretenus avec les universités, les centres de recherche, etc.).
· L'organisation du savoir au niveau externe (comment le
savoir est organisé au niveau de la pratique).
· Le rapport organisationnel entre savoir et pouvoir
(Qui se charge de la constitution du savoir, quel est le rapport avec le reste
de la structure, quels sont le temps et les moyens qui y sont consacrés
et qui les développe?).
223 voir définition du "momentum concept" page 18
B. Au niveau pratique
Dans notre première partie, nous avons mis l'accent
sur le lien entre theorie et pratique, tant pour les feministes que pour les
acteurs du developpement. C'est donc à ce niveau que nous analyserons la
pratique de NOVIB, d'abord leur pratique interne et ensuite la pratique
externe. Par pratique interne nous entendons le travail effectue au niveau de
l'organisation de NOVIB pour integrer le genre. La pratique externe concerne le
travail proprement dit de l'ONG: les projets dans le Sud, les actions de
sensibilisation dans le Nord, les actions de lobbying et de plaidoyer, la
participation à des reseaux, etc.
Dans cette partie nous observerons donc comment est integre le
genre dans la conception, la mise en Ïuvre et le suivi des projets mais
egalement dans l'evaluation permanente qu'il y a de ces projets. Nous nous
attacherons tout particulierement à voir comment se fondent les
relations avec les partenaires locaux de l'ONG, comment sont evalues les
projets, quels sont les liens qui sont tisses avec les organisations
locales.
Nous observerons comment NOVIB se positionne par rapport aux
aspects suivants:
· la conception qui est mise en avant (FED ou GED) et
comment le passage de l'un à l'autre s'est effectue.
· quelles sont les analyses qui sont faites des grilles
d'analyses existantes (besoins, rTMles, approches, etc.) et leur application
sur le terrain.
· l'institutionnalisation ou transversalisation du
genre.
· le positionnement politique de l'ONG.
· comment cette vision est appliquee sur le terrain et ce
que ca implique pour les projets.
· les valeurs qui sont mises en avant dans le choix des
partenaires et les criteres qui sont utilises pour choisir et evaluer les
projets avec ces partenaires.
· la facon d'integrer le feminisme dans ses actions, les
relations et les actions qui sont faites avec les groupes feministes du Sud.
· la reponse apportee aux critiques des femmes du Sud
à propos de l'integration du genre.
· le lien qui est fait entre le travail de terrain
proprement dit et les relations exterieures, le positionnement de NOVIB dans le
monde, dans les forums et conferences internationales (e. a. les conferences
des Nations Unies, les Forum Sociaux tels celui de Porto Alegre).
· l'autocritique de l'organisation ainsi que les
alternatives qu'elle tente de mettre en place.
L'objectif de cette etude était de mettre en exergue
certains points qui nous semblaient primordiaux dans l'analyse de
l'intégration de la perspective de genre dans les ONG. La liste de
points ou de thématiques pris en compte est bien sur loin d'être
exhaustive. Il s'agissait pour nous de se baser sur quelques criteres que nous
pensions etre pertinents. Nous voulions pouvoir comprendre quelles était
le cheminement d'une ONG, de la 'dé couverte' du genre, à sa mise
en Ïuvre, quels étaient les moments charnières et les
difficultés auxquelles elle était confrontée et quelles
sont les solutions ou les alternatives qui sont proposées. Enfin, nous
terminons notre analyse par un examen plus approfondi du travail de NOVIB en
Amérique latine. Cette section est toutefois, à notre regret,
incomplete puisque nous n'avons pas pu rencontrer la personne chargée du
Genre en Amérique latine à NOVIB. Les sources pour cette analyse
relevent donc plutTMt du discours et ne sont basées que sur les
informations générales obtenues de NOVIB.
3. POURQUOI NOVIB?
Le choix de NOVIB pour cette etude est personnel. C'est lors
de mes voyages en Amerique centrale et de mes contacts avec les organisations
de femmes centramericaines que j'ai pu constater que cette ONG etait parmi les
plus actives dans le domaine du genre, tant au niveau de la recherche et la
diffusion de connaissances sur le sujet que dans la transversalisation du
genre, dans sa structure interne et externe. A l'instar de son organisation
soeur OXFAM-GB, NOVIB a, notamment en Amerique centrale et du Sud, contribue
à la generalisation de l'integration de la perspective de genre dans la
cooperation internationale mais aussi à ce que ce theme soit mieux
compris et mieux accepte dans les organisations locales.
Par ailleurs, le choix d'une ONG neerlandaise n'est pas
innocent. Les Pays-Bas sont parmi les pays disposant d'une politique relative
au genre volontariste et par certains aspects d'avant garde, notamment dans le
domaine de la cooperation au developpement. Dans un des rapports de NOVIB, il
est d'ailleurs note que le departement de cooperation du gouvernement
neerlandais disposait d'une politique Femmes et Developpement depuis 1980 et
d'un plan d'action depuis 1987.224 Ce qui, si l'on considère
que la thematique est apparue au niveau international dans la seconde moitie
des annees 1970, est particulierement positif.
4. METHODOLOGIE D'ANALYSE
L'ONG NOVIB est à plusieurs egards, une ONG exemplaire
dans le domaine de l'integration du genre. Depuis plus de vingt ans, une
reflexion est menee dans le domaine et le chemin parcouru est considerable.
Nous allons faire cette analyse en quatre temps.
Dans une première partie nous aborderons les bases de
l'integration du genre dans l'organisation, c'est-à-dire comment le
genre est aborde dans les textes fondateurs de NOVIB, quelle est sa vision
politique et quelles sont ses intentions.
Nous observerons ensuite comment ces principes sont mis en
oeuvre au niveau de l'organisation en elle-meme (dans les differents
departements de l'organisation, dans la structure) et au niveau de la pratique
du developpement (choix des partenaires, outils de diagnostique, d'elaboration,
de mise en oeuvre et d'evaluation des projets, type de projets qui sont
privilegies). Cette partie montrera comment NOVIB resout le probleme classique
du passage de la theorie à la pratique, et comment elle a
institutionnalise le genre. Ce point est considere par NOVIB comme etant un des
defis principaux qu'elle doit relever.225
Nous poursuivrons par l'analyse de deux outils specifiques mis en
place par NOVIB pour l'integration du genre: le "feu de
signalisation" et le "gender router project".
Enfin nous verrons comment le genre est integre dans les
differents projets de NOVIB en Amerique latine et quels sont les problemes (ou
les facilites) qui sont specifiques à cette region.
224 NOVIB, "En Route". Evaluation of the Gender
Route Project, La Haye, 2001
225 NOVIB, More power, less
poverty. Novib's gender and development policy until 2000, La
Haye, 1997, p. 5.
Chapitre II: NOVIB et le genre
1. PRINCIPES FONDATEURS ET ORGANISATION INTERNE
NOVIB (Nederlandse Organisatie voor Internationale
Ontwikkelingsamenwerking) a été fondée en 1956. Elle fait
partie de la fédération internationale OXFAM depuis quelques
années seulement (1994). Cette fédération regroupe les
différents OXFAM de par le monde et possède une charte à
laquelle toutes les branches nationales adhèrent. En dehors de cette
charte, les branches nationales ont leur mode de fonctionnement, leurs point de
vue et sont relativement autonomes. Toute les branches nationales de Oxfam
International sont des ONG "libres", non-confessionnelles, non affiliées
à un parti et, par rapport aux autres ONG, (plus ou moins)
engagées politiquement dans le mouvement "alter-mondialiste". 226
i. "Declaration d'intentions" de NOVIB
Novib vise à une société
dans laquelle les différences socio-économiques entre les riches
et les plus démunis n'existeraient plus, dans laquelle la
prospérité mondiale serait répartie de facon
équitable et dans laquelle les individus et groupes de population
pourraient apprendre à conna»tre et à respecter leurs
cultures réciproques et à collaborer en vue de leur
développement sur base de la responsabilité commune et de la
solidarité réciproque.
Novib est membre d'Oxfam International, un groupe de plus en
plus important qui compte (actuellement) onze organisations de
développement ayant des accords de coopération et offrant leur
soutien à plus de 3000 partenaires dans près de 100 pays. Leur
objectif: «procurer un soutien mondial fondé sur la conviction que
la pauvreté et l'exclusion sont injustes, inutiles et non
durables». Oxfam International engage ses moyens moraux, personnels et
financiers pour favoriser (avec d'autres) un courant mondial pour une
équité économique et sociale: «Towards Global
Equity».227
Le travail de NOVIB consiste principalement en un appui
financier et un soutien en terme de services aux populations
marginalisées du Sud, par le biais des organisations locales. L'objectif
principal de ce partenariat est la lutte contre la pauvreté
structurelle. NOVIB défend également les intérêts de
ces populations
auprès des gouvernements du Nord, par des actions de
lobbying notamment. Elle effectue aussi des récoltes de fonds et des
campagnes de sensibilisations auprès du grand public.
NOVIB n'est donc pas, contrairement aux autres OXFAMs, une ONG
opérationnelle sur le terrain. Elle est un "international donor". Le
fait de ne pas avoir de personnel sur place et de ne pas avoir de projets
spécifiques permet, selon Irma Van Dueren, d'être plus
"politique". La démarche de NOVIB est donc clairement politisée
et il ne saurait être question de se rompre un partenariat par peur des
"représailles".
Tout le partenariat est donc basé sur une collaboration
à la fois financière et intellectuelle. NOVIB s'engage notamment
à apporter son soutien tant aux projets (appui financier) qu'au niveau
organisationnel des partenaires (expertise, organisation d'ateliers
consacrés à l'amélioration organisationnelle, etc.).
226 NOVIB notamment a activement participé au dernier
Forum Social Mondial de Porto Alegre, en organisant notamment un
séminaire autour du thème"Un féminisme global, pluriel et
solidaire pour un autre monde".
227 Préambule au Rapport Annuel de NOVIB pour 2000.
La déclaration d'intention de NOVIB est claire et
ambitieuse. Il ne s'agit pas de coopérer au développement mais
bien de travailler à un autre monde, plus juste et respectueux des
différences.
ii. La méthode NOVIB
L'objectif général de NOVIB est de combattre la
pauvreté. Pour cela NOVIB utilise une méthode, dite la
"NOVIB Method".
La méthode NOVIB:
- vise à des résultats spécifiques et
durables;
- complete les initiatives locales;
- implique une coopération avec les organisations
locales;
- encourage les contacts et les échanges entre les
partenaires;
- travaille dans le Nord aux changements
bénéficiant au "Global South";
- accorde une attention spécifique à
l'environnement, les droits humains et les femmes.228
A propos de cette méthode nous noterons l'importance
qui est donnée à la relation avec des organisations locales et
l'échange entre les partenaires dont nous parlions plus haut. Les
partenaires locaux ne sont pas instrumentalisés et sont, au contraire,
sur un pied d'égalité avec NOVIB. Cette volonté de
partenariat actif, tant dans le sens Nord-Sud que dans le sens Sud-Sud, est
basée sur le "Linking and Learning" (mise en
réseau et apprentissage).
iii.Linking and learning
Cette stratégie du "Linking and Learning" vise à
favoriser la mise en réseaux, l'apprentissage réciproque entre
organisations partenaires et ONG de développement. C'est un processus
dynamique et collectif dans l'acquisition et le développement de nouv
eaux savoirs. Dans cette optique, NOVIB soutient l'organisation de groupes de
travails et de formations dans la plupart de ses pays partenaires. NOVIB
fournit également un appui dans le choix et le recrutement de
consultants (voir page 91). Ce processus est important pour les partenaires
autant que pour NOVIB car il permet de disséminer l'information, les
connaissances et les innovations pratiques, notamment en terme de genre et
développement. De plus, les alliances entre les partenaires
(organisations de femmes et organisations mixtes) d'une part, entre les
partenaires et les gouvernements et secteur privé d'autre part, sont
censés permettre aux partenaires d'augmenter les spheres d'influence
politique. Ce processus de "Linking and Learning" s'applique
également à NOVIB et à ses relations avec ses partenaires
hollandais et européens (Eurostep, HIVOS, Oxfam International, etc.).
La première concrétisation de cette
stratégie est le Gender Route Project, que nous analyserons plus
loin.
Iv. organisation interne - organigramme
NOVIB est composée, comme toutes les autres ONG, d'une
assemblée générale, d'un comité fondateur (sorte
de conseil d'administration) et d'une direction. Elle compte au niveau
228 NOVIB, More power, less poverty.
Novib's gender and development policy until 2000, La Haye, 1997, p.
6.
opérationnel sur trois départements principaux:
le département responsable des campagnes, celui des actions des groupes
de pression et de la diffusion de l'information et enfin le département
des projets. Ces trois départements dépendent de l'AG et du
comité directeur. (voir annexe 2)
Nous notons à propos de la structure interne de NOVIB,
l'existence d'un département "recherche et
développement", qui a pour objectif, non pas de créer et
produire des connaissances propres mais plutTMt de servir de "tête
chercheuse". Il est composé de 6 "senior advisors" qui ont des
compétences transversales (par exemple le genre). Ces conseillers
collectent ainsi les informations provenant d'ailleurs, en participant aux
conférences internationales, aux réunions de réseaux (ONG
de développement mais aussi organisations de femmes, de migrants, etc.),
ainsi qu'aux différents groupes de travail.
De ce département central dépendent
différents "Focal Points" répartis dans le reste de la structure
de NOVIB. Le département recherche et développement vit donc
à la fois d'apports internes, provenant des autres services (notamment
celui des projets) et d'apports externes (rencontres avec d'autres
réseaux, ateliers de réflexion, groupes de travail, etc.).
Cette activité de "recherche et développement"
est également basée sur un partenariat étroit avec les
autres membres du Réseau Oxfam. Irma Van Dueren affirme ainsi que "rien
ne se fait sans les autres Oxfams". Les différents membres du
réseaux ont des principes d'actions (working principles)
communs.229
L'objectif de ce département, comme l'ensemble de
NOVIB, est de servir de pont entre les institutions et les partenaires. Il sert
de base à l'activité de lobbying de l'organisation auprès
des institutions internationales (Banque Mondiale, Nations Unies, etc.) ainsi
qu'auprès des gouvernements (Pays-Bas et Union Européenne).
Bien que ne produisant pas de connaissances propres et ne
fonctionnant pas comme un centre de recherche, contrairement à ce qui
existe au sein d'Oxfam-GB, NOVIB, de par sa politique d'échange et de
diffusion actif des connaissances, il contribue à la production d'un
savoir résultant d'une pratique collective et permettant de
redéfinir sans cesse les politiques et stratégies mises en
Ïuvre. Cette politique bénéficie tant à NOVIB
qu'à ses partenaires. NOVIB soutient et finance notamment de nombreuses
publications de ses partenaires.
2. HISTORIQUE DU GENRE AU SEIN DE NOVIB i.
Le genre et NOVIB en quelques dates
1981: L'assemblée générale
décide de mettre l'accent sur la position des femmes au sein de NOVIB,
de la société néerlandaise et dans le Sud.
1981: Constitution de la "Task Force on
Women" (groupe de travail sur les femmes).
1983: Publication du document Femmes et
coopération au développement qui décrit les facteurs
historiques et sociaux qui déterminent la position des femmes et met en
avant quelques recommandations d'actions.
1987: Suite aux conférences des
Nations Unies, la Task Force on Women publie un document décrivant les
principaux points politiques concernant les femmes et le développement
qui seront utilisés dans les différents départements de
NOVIB.
1989: Pour la première fois, les
objectifs initiaux de l'approche "Femmes et développement" sont
insérés dans le document de politique générale.
|
229 Entretien avec Irma Van Dueren, 26 aoilt 2002
1991: 'Countouren
NOVIB-Vrouwenbeleid, werkplan 1991-1993' est publié. Ce plan
d'action contient les objectifs débattus lors de consultations entre les
différents départements de NOVIB. Ces objectifs améliorent
la cohérence entre politiques internes et externes de NOVIB et
pratiques.
1992-actuellement: La mise en oeuvre de la
stratégie 'genre et développement' est intégrée
dans les plans annuels, pluriannuels et le monitoring central de
NOVIB.230
C'est au début des années 1980 que l'importance
de prendre en compte les femmes dans le développement a
été soulignée au sein de NOVIB. Adrie Papma et Ellen
Sprenger racontent qu'en 1980, quatre membres du personnel de NOVIB ont pris
sur leurs vacances (et leurs finances) pour se rendre à Copenhague oil
se tenait le Forum de la Conférence de l'ONU sur les femmes. Ce sont
sans doute gr%oce à ces femmes "rebelles"231 que 'tout a
commencé'.232
Par la suite, la participation de NOVIB aux conférences
internationales sur les femmes et le genre a été prise en charge
par l'organisation et notamment par le groupe de travail sur les
femmes qui fut créé en 1981, à la demande du
Comité Directeur. Les liens que se sont tissés entre les femmes
qui avaient été à Copenhague et certains membres du
Comité Directeur ont été décisifs pour la suite de
l'intégration du genre au sein de NOVIB, meme si on peut parler d'une
réticence d'ensemble envers le genre au sein de NOVIB.
Malgré cette réticence, un texte consacré
aux femmes dans la coopération au développement est
rédigé en 1983. Quatre ans plus tard, un autre document
décrit les points politiques qui fonderont l'intégration du FED
au sein de NOVIB. Ce n'est cependant qu'en 1989 que ces objectifs sont
intégrés dans les documents de politique générale.
Presque dix ans ont donc été nécessaires pour que la
question soit acceptée de facon institutionnelle et officielle dans
l'ONG. Deux ans seront encore nécessaires pour qu'elle fasse l'objet
d'une réflexion sur la cohérence entre politiques internes et
externes. Ce n'est que dans le plan pluriannuel 1991- 1 993 que cette
nécessaire cohésion sera intégrée et
systématisée. Ce changement vient essentiellement du constat que
le genre n'était pas structuré, ni au niveau interne, ni au
niveau des partenaires.
Comme dans la plupart des autres ONG, et comme nous l'avions
déjà noté auparavant, l'intéret porté aux
femmes et au genre dépend largement, du moins dans ses débuts,
des individus (souvent des femmes) qui prennent sur eux de défendre des
idées féministes. Par ailleurs, le fait que beaucoup ne
considerent pas encore les themes de genre comme faisant partie
intégrante des projets, et que pour la plupart il ne s'agisse que d'un
theme générant un surplus de travail rend tres difficile
l'intégration du genre puisqu'il s'agit d'une question qui puise sa
force dans sa globalité. Si elle n'est traitée que de maniere
accessoire, les résultats ne peuvent etre probants.
Ce n'est guere différent au sein de NOVIB puisqu'il a
fallu qu'une féministe arrive à la direction de l'organisation
pour que la question du genre prenne réellement son "envol". En effet,
les véritables changements ne sont apparus qu'en 1995, lorsqu'une femme,
féministe, a été nommée à la direction.
ii. NOVIB et le féminisme
230 NOVIB, More power, less
poverty. Novib's gender and development policy until 2000, La
Haye, 1997, p. 11.
231 Lors de notre entretien, Irma Van Dueren parle de
rebellion pour évoquer l'esprit qui animait les femmes qui ont
été à Copenhague. Entretien avec Irma Van Dueren, 26 aoilt
2002.
232 PAPMA Adrie et SPRENGER Ellen,
NOVIB y género: situaci--n actual y temas de debates, in BARRIG
M. & WEHKAMP A., Sin morir en el intento. Experiencias de
planificaci--n de género en el desarollo, NOVIB, Edici--nes Red Entre
Mujeres, Lima, 1994, pp. 211 -232, p. 218.
Nous avions évoqué le fait qu'ONG et
féminisme ne faisaient pas toujours bon ménage et que dès
lors que les idées féministes entraient dans des structures plus
strictes, elles courraient le risque de se dépolitiser et de perdre
ainsi de leur caractère novateur et dynamique. Cette question a bien
évidemment été soulevée au sein de NOVIB et a
donné lieu à une politique claire à ce sujet: l'objectif
général est de renforcer le "leadership" des femmes et pour y
arriver il faut qu'une réelle perspective féministe soit
adoptée et transversalisée. Les moyens mis en Ïuvre pour y
arrivés sont donc axés sur le partenariat avec, dans la mesure du
possible, des organisations féministes. Ce partenariat est plus simple
dans les régions oü les féministes sont bien
implantées. Il est plus difficile d'avoir des partenaires
féministes en Afrique, oü le terme est encore tabou et
connoté comme étant occidental et oü les femmes ont encore
des réticences à s'affirmer comme féministes, qu'en
Amérique latine oü les femmes sont très bien
organisées et ont une réelle tradition féministe.
L'utilisation du terme "féminisme" ou
"féministe" n'est donc plus tabou, du moins dans le chef de certaines
femmes à NOVIB. A cet égard, nous constatons que les deux
personnes de NOVIB que nous avons rencontrées (Irma Van Dueren et
Liesbeth Van der Hoogte), sont particulièrement engagées et ont
des idées progressistes sur la question. L'apport des féministes
est donc reconnu comme étant important. Elles ont, comme le souligne
Ruiz, "proposé la possibilité de la transformation de
l'oppression de genre, symbolique et structurelle" au sein du
développement.233
En réalité, dire que c'est parce qu'une
féministe est arrivée à la direction de NOVIB que les
choses ont changé, est un peu faux: c'est parce que les choses ont
changé qu'une femmes est arrivée à la direction de NOVIB.
En effet si c'est effectivement gr%oce à l'intégration
progressive des femmes dans les institutions et organisations, que la question
de leur participation a été discutée au sein des
sphères du pouvoir, c'est aussi gr%oce aux pressions incessantes en
dehors de ces structures qu'elles ont pu y faire leur entrée. Le
contexte international et la dynamique mondiale du mouvement des femmes autour
de la Conférence de Pékin en 1995, qui a placé la question
de genre au sommet de l'agenda public a également contribué
à un changement au sein des partenaires de NOVIB. Tant au sein des
organisations de femmes qu'au sein des organisations mixtes en effet, les
femmes sont en demandes de formes de leadership alternatives et
transformatrices, formes qu'elles retrouvent en partie dans la proposition de
NOVIB. Un dialogue a dès lors été entamé entre
NOVIB et les femmes travaillant sein de organisations partenaires afin
d'acquérir plus de connaissances sur les thématiques de genre
d'une part, sur les processus de changement organisationnel d'autre part.
233 RUIZ Carmen Beatriz, No tenemos todas
las respuestasÉ pero las estamos buscando, in BARRIG M.
& WEHKAMP A., Sin morir en el intento. Experiencias de
planificación de género en el desarollo, NOVIB, Edici--nes
Red Entre Mujeres, Lima, 1994, pp. 123-142, p.126.
3. LE GENRE DANS LES TEXTES DE NOVIB
A. Les objectifs généraux de NOVIB
Le genre est l'un des trois thèmes prioritaires de
NOVIB. Les deux autres sont les droits humains et l'environnement. Ces trois
thèmes constituent la base des orientations politiques de NOVIB,
intégrées dans l'objectif fondateur qu'est la réduction de
la pauvreté.234 Il est intéressant de constater la
mise sur un pied d'égalité de ces trois thèmes.
NOVIB promeut, entre autres, l'établissement et le
renforcement des organisations de femmes, leur accès et contrôle
aux ressources ainsi que leur participation au processus de prise de
décision. NOVIB suit ce faisant la tendance perceptible au sein des ONG
qui est de favoriser une stratégie 'de bas en haut' (Down-up)
visant à renforcer le pouvoir des femmes, tel qu'il est décrit
par Razavi et Miller.235 Nous observons également que
l'approche défendue par NOVIB dans l'intégration du genre dans le
développement est celle de l'empouvoirement, son objectif étant
bien de contribuer à ce que les femmes accèdent à des
positions de leadership.236
B. L'approche Genre et Développement - Principes
généraux
Au niveau de l'intégration du genre, la
préférence est clairement donnée à l'approche
"Genre et Développement" plutôt qu'à l'approche "Femmes et
Développement". NOVIB considère en effet que mettre l'accent sur
l'exclusion des femmes de l'accès et contrôle aux ressources ainsi
que sur l'importance de l'intégration économique des femmes
basées sur leur contribution particulière à la
société ne suffit pas. Cette approche Femmes et
Développement doit être dépassée, ce que fait, selon
NOVIB, l'approche Genre et Développement. En allant au delà de la
simple mise en place d'activités spécifiques pour les femmes et
en prenant en compte le rôle des hommes dans le maintien de cette
inégalité entre les deux sexes, l'approche GED fait une analyse
des causes structurelles de cette inégalité. Pour arriver
à empouvoirer les femmes, NOVIB veille à ce que les
différents aspects de leur situation soient pris en compte, mais aussi
à ce que ce soit les femmes elles-mêmes qui décident et
définissent ce dont elles ont besoin.
Deux façons de faire face au fait que les femmes n'ont
pas les mêmes opportunités que les hommes sont utilisées
par NOVIB. La première est l'action affirmative
(affirmative action ), tant dans les politiques internes que
dans le choix des consultants, que dans le choix de thèmes de campagnes
de sensibilisation intégrant le genre ou dans la décision
d'affecter 15 pour cent du budget d'appui aux partenaires à des
organisations de femmes. La seconde est l'analyse et l'action à
partir d'une perspective de genre. C'est selon NOVIB une
nécessité absolue que celle de revoir, de déconstruire et
de reconstruire tous les concepts et façons de travailler en y
intégrant cette nouvelle perspective.237
C. Les plans d'action
234 NOVIB's Mission and Aims, in More Power, less Poverty,
opcit.
235 RAZAVI Shahrashoub et MILLER Carol, From
WID to GAD. Conceptual Shifts in the Women and Development Discourse,
Occasional Paper n°1, UN Fourth conference on Women, février
1995.
236 NOVIB, Novib's gender route
project, Site web Gender at work,
http://www.genderatwork.org/novib.php3.
Voir également la partie consacrée aux objectifs du Gender Route
Project, p. 92
237 NOVIB, More power, less poverty.
Novib's gender and development policy until 2000, La Haye, 1997, p.
12.
Le genre est intégré dans les plans d'actions
pluriannuels sous forme de criteres de base en termes de politiques et
d'objectifs. L'objectif premier et fondateur de NOVIB étant, à
l'instar de celui d'OXFAM, la lutte contre la pauvreté, le fondement de
la politique est, en terme de genre, la reconnaissance de la relation
étroite qu'il y a entre les inégalités entre hommes et
femmes et la pauvreté structurelle. NOVIB soutient donc le renforcement
de la capacité organisationnelle des femmes, dans le but d'augmenter et
de faciliter leur acces aux ressources et services, mais aussi de leur
permettre d'augmenter le contrTMle sur leur corps. Ce développement des
capacités organisationnelles doit également permettre aux femmes
de disposer d'un espace au sein duquel elles pourront développer des
stratégies alternatives dans le but de lutter contre les
inégalités entre hommes et femmes à tous les niveaux.
Parmi les objectifs de NOVIB dans le domaine du genre figuraient,
pour 1997:
n arriver à avoir un dialogue et un echange
d'information sur le genre et le développement avec la
majorité de ses partenaires, et cela avec des résultats
visibles.
n que l'appui financier aux organisations de
femmes soit maintenu et qu'une amélioration qualitative de
l'appui et des services prodigués à ces organisations.
n que le lien entre la diminution structurelle de la
pauvrete et la nécessité d'améliorer la position de
femmes soit partie intégrale des activités de lobby et
de sensibilisation de NOVIB.
n une meilleure formation du personnel dans
le domaine genre et développement238
L'accent est mis, dans les grands principes, sur le dialogue
avec les partenaires, l'information et la formation tant du personnel de NOVIB
que des partenaires. Le dialogue avec les partenaires, du Sud, mais
également du Nord, est une constante de l'action de NOVIB. On pourrait
même dire qu'elle est la clé de voiate de tout le travail de
l'ONG. C'est autour de cette relation que gravitent toutes les
activités. Dans l'intégration du genre, NOVIB veille autant
à l'intégration du genre dans ses structures que dans celles des
partenaires239
4. L'INSTITUTIONNALISATION ET LA TRANSVERSALISATION DU
GENRE
Institutionnellement, la politique de genre et
développement est, selon les termes de Papma et Sprenger,
"consolidee". C'est à dire que les politiques et pratiques
de genre sont un élément fixe dans le travail de l'organisation.
Il y a des fonctionnaires et des experts en genre à différents
niveaux et dans tous les départements. Ces personnes sont
habilitées à prendre des initiatives lorsque l'occasion se
présente, même si, comme les deux auteurs le reconnaissent, les
décisions finales restent du ressort de la direction.240 Une
structure hiérarchique est donc largement maintenue.
Cette institutionnalisation du genre ne s'est pas faite sans
mal. L e groupe de travail sur les femmes, mis en place en 1981, ne disposait
d'ailleurs que d'un mandat limité aux seules actions d'éducation
et de projets et n'avait aucun pouvoir sur la structure interne de
l'organisation.241 Or une politique de genre ne pouvait être
développée de facon cohérente à
238 PAPMA Adrie et SPRENGER Ellen,
opcit, p. 212 (nbp). Voir aussi le Plan d'action pluriannuel de NOVIB,
2001- 2 004.
239 NOVIB (VAN DUEREN Irma): Novib's gender
route project, Site web Gender at work,
http://www.genderatwork.org/novib.php3
240 PAPMA Adrie et SPRENGER Ellen, opcit, p.
213.
241 ibidem, p. 219.
l'extérieur si elle n'était pas appliquée a
l'intérieur. Ce sont les partenaires du Sud de NOVIB (surtout les
sud-américains - nous y reviendrons) qui ont adressé cette
critique a l'ONG.242
Cela aurait tendance a corroborer notre pressentiment selon
lequel les ONG européennes (entre autres) ont tendance a prêcher a
l'extérieur ce qu'elles sont loin d'appliquer a l'intérieur mais
également que le changement structurel nécessaire a
l'intégration du genre ne dépend pas uniquement du bon vouloir de
certaines personnes. Il est limité au pouvoir que ces personnes ont au
sein de leur organisation et ce pouvoir est directement lié a sa
compréhension de l'importance de l'enjeu. Maintenant, savoir si
l'acceptation du genre par les gens disposant du pouvoir d'influer
réellement sur les politiques est dii a une réelle
conscientisation ou si c'est du a un simple effet de mode est une tâche
ardue, voire quasi impossible. En 1993, un séminaire organisé par
EUROSTEP, réseau d'ONG de développement européen, est
consacré a la question du changement institutionnel nécessaire a
l'intégration du genre dans les ONG de développement. NOVIB, en
tant que membre du réseau y participe de manière active. 243
Si l'on se fie aux textes de NOVIB ainsi qu'aux entretiens que
nous avons eus avec deux membres du personnel de l'ONG (Irma Van Dueren -
département Recherches et Développement et Liesbeth Van Der
Hoogte - responsable genre en Amérique latine au département des
projets), les efforts
effectués par NOVIB dans le domaine du changement
organisationnel et de la sensibilisation au genre au sein de ses structures
sont énormes et payants. NOVIB est donc une organisation
considérant le genre comme une pratique, interne et
externe.244
A. La transversalisation du genre par
départements
Dans la politique de genre de NOVIB, la tranversalisation du
genre est un aspect essentiel. Leur conviction est que tous les aspects de
l'organisation doivent être "engendered". Différents objectifs ont
donc été définis pour favoriser, au sein des
différents départements, l'intégration du genre. Ces
objectifs sont décrits dans le documents "More power, less poverty". En
voici les grandes lignes.245
i. Département du personnel
C'est le département du personnel qui, durant les
années 1980, était responsable de la mise en Ïuvre du genre
au niveau interne. S'il a mis du temps a être réellement actif, on
peut considérer qu'un long chemin a été parcouru. Parmi
les objectifs a atteindre en 2000 figurait entre autre l'attribution de la
moitié au moins des postes de cadres moyens et supérieurs aux
femmes.246 Figurent également parmi les objectifs la
recherche d'une plus grande diversité
242 NOVIB, A Framework for Organizational
Gender Diagnosis, Site web Gender at work,
http://www.genderatwork.org/novib.php3.
243 Les résultats de ce séminaire ont
été compilés dans l'ouvrage suivant: MacDONALD
Mandy, SPRENGER Ellen et DUBEL Ireen, Género y Cambio
organizacional. Tendiendo puentes entre las politicas y la practica, KIT,
Institut Royal pour le Tropique, Pays Bas, 1995.
244 Un tableau reprenant la position par rapport au genre de
diverses organisations membres de EUROSTEP différencie les ONG qui
considèrent le genre comme étant "une bonne idée", "une
bonne idée dans les textes", "une pratique". Ces trois positions sont
différenciées selon qu'elles sont appliquées a l'interieur
de l'organisation ou avec les partenaires. MacDONALD Mandy, SPRENGER
Ellen et DUBEL Ireen, Género y Cambio organizacional.
Tendiendo puentes entre las politicas y la practica, KIT, Institut Royal
pour le Tropique, Pays Bas, 1995, p. 31.
245 More power, less poverty, opcit, pp. 15-21.
246 Il est habituellement estimé que le seuil de 30 a
35% de personnel féminin constitue un seuil critique dans
l'intégration du genre dans une organisation(ce seuil est le même
pour l'intégration de toute nouveauté au sein des
organisations).
ethnique ainsi que le respect des différences (genre,
préférences sexuelles, différences ethniques). Enfin, tous
les départements de NOVIB compteront parmi leur personnel des experts en
genre. Parallèlement la politique d'action affirmative sera
étendue à la questions de l'ethnicité et une "Task Force
on Diversity" est mise en place.
ii. Département des projets
Comme nous l'av ions déjà vu plus haut,
l'approche GED est favorisée et transversalisée. Suite, à
une étude effectuée en 1995 montrant que seuls 30% des
partenaires ont une politique de réduction des inégalités
de pouvoir entre hommes et femmes, les critères de sélection des
partenaires sont redéfinis, et durcis. Ils deviennent le "feu de
signalisation" (voir plus loin), ensemble de critères permettant de
mesurer l'intégration du genre au sein des ONG partenaires.
Celles-ci faisant de plus en plus de demandes en terme de
conseil et de soutien organisationnel, NOVIB tentera d'améliorer et de
diversifier le réseau d'experts auquel les partenaires ont accès
(élaboration d'un répertoire des consultants et experts,
diversification des domaines d'expertise du genre dans les domaines suivants:
changement organisationnel, crédit, aide d'urgence, action affirmative,
droits humains et environnement).
La participation des femmes et des personnes sensibilisées
au genre sera systématiquement promue lors des ateliers, formations et
réunions.
La stratégie de "Linking and Learning" sera
augmentée, tant au niveau des organisations de femmes que des
organisations mixtes mais également entre NOVIB et les autres centres de
formation (du Nord et du Sud) ainsi qu'avec les autres bailleurs de fonds
(Eurostep, Oxfam International, Hivos, etc.).
En plus de ces objectifs, des indicateurs sont mis au points
pour permettre aux partenaires d'évaluer leur "sensibilité au
genre". Ces indicateurs de "Good Gender Practice" sont au
nombre de cinq:
· interaction active avec les femmes et apprentissage
à partir des femmes dans les groupes cibles;
· une politique de genre spécifique;
· une expertise de genre "suffisante";
· une stratégie de "linking and learning" avec
d'autres organisations et acteurs actifs dans le GED;
· un dialogue avec NOVIB sur le genre.247
En termes d'objectifs chiffrés, il est prévu
que 50 à 70% des fonds alloués par NOVIB permettent
l'accroissement du contrôle des femmes sur leur propre processus de
développement. Dans chaque pays, une organisation partenaire au moins
(si possible deux) sera une organisation de femmes (15% des partenaires doivent
être de telles organisations).
· Quelques chiffres
En 1996, 17% des partenaires sont des organisations de femmes,
contre 10% en 1990. De plus, 30% des partenaires sont activement engagés
complètement dans les "bonnes pratiques de genre" (les cinq indicateurs
sont vérifiés), tant au niveau interne qu'externe, alors que 30%
sont dans un processus de changement dynamique visible au niveau
organisationnel (ils
247 NOVIB, More power, less poverty.
Novib's gender and development policy until 2000, La Haye, 1997, p.
17.
montrent entre 2 et 4 des cinq indicateurs des "bonnes
pratiques de genre"). Les 40% restant ne montrent aucune volonté
à contribuer à l'augmentation du contrôle des femmes sur
leur propre développement. Cette même année, 40 à
50% des fonds alloués par NOVIB atteignent les femmes
marginalisées et 30% ont contribué à accro»tre le
contrôle des femmes sur leur propre
développement.248
iii. Département des
campagnes
Ce département a deux objectifs: la sensibilisation de
la population néerlandaise à la coopération au
développement et la récolte de fonds. Le point principal qui est
défendu lors de ces campagnes est que, malgré la pauvreté
le rôle des femmes dans la gestion communautaire et familiale est
très important. Il y a une volonté de la part de NOVIB de
démystifier la femme du Sud et de détruire les
stéréotypes de la femme faible, passive et dépendante.
Dans l'avenir NOVIB tentera également, lors des campagnes, de mettre
l'accent sur les relations de pouvoir entre hommes et femmes, soulevant ainsi
la question de la position sociale et légale des femmes. Le
département des campagnes fournira toujours des données par genre
sur les résultats obtenus par NOVIB.
Des lignes directrices concernant la communication de genre
(termes à utiliser, aides visuelles, etc.) seront établies.
iv. Département Information et
lobby
Les trois thèmes prioritaires de NOVIB (environnement,
droits humains et genre) sont intégrés dans le travail
d'information et de lobby de l'ONG. NOVIB est donc présent dans les
forums internationaux, tant ceux des Nations Unies que les forums
altermondialistes (FSM). Des réunions préparatoires à ces
rencontres sont organisées entre les ONG de développement et les
organisations de femmes. NOVIB y joue un rôle de médiation. Les
thèmes de lobby sont tous basés sur une analyse de genre ainsi
que sur des thématiques prioritaires pour les femmes, en mettant
l'accent sur la position socio-économique et la participation politique
des femmes. Parmi les thèmes de lobbying figureront l'éducation,
les soins de santé, les revenus et les ressources productives. Comme
dans le département des campagnes, les stéréotypes
sur les femmes seront défiés. L'expertise sur
l'accès des femmes aux services sociaux de base sera également
accrue. La politique du "Linking and Learning" sera également poursuivie
et renforcée.
La transversalisation du genre n'est donc pas un simple mot
pour désigner son institutionnalisation. Elle signifie bien que "rien ne
sortira de NOVIB, qui ne soit pensé en des termes de genre."
248 idem
B. Les acteurs intervenants dans l'intégration du genre
i. Novib
Le rôle de NOVIB dans l'intégration du genre est
principalement de deux ordres: interne et externe.
Au niveau interne, NOVIB cherche à
appliquer ce qu'elle prône pour ses organisations partenaires: le
changement organisationnel. Dans cette optique, une aide est accordée au
personnel pour qu'il puisse construire les outils nécessaire à
mesurer l'impact de son action. Cela implique de comparer, d'innover,
d'améliorer les différentes expériences. Le
département "recherche-développement" joue ici un rôle
important.
Au niveau externe, le rôle de NOVIB
est de soutenir les femmes dans la mise sur pied de leurs propres organisations
et soutien à l'intégration des objectifs de
l'équité de genre dans les organisations mixtes.
Parallèlement, NOVIB soutient les efforts d'échange d'information
et de mise en réseau entre les organisations de femmes et les
organisations mixtes.
ii. Les consultants
L'un des rôles principaux de NOVIB étant d'aider
les partenaires dans l'acquisition et la mise en commun de nouveaux savoirs
ainsi que dans la formation technique et organisationnelle, le rôle des
experts en genre est primordial. Les experts sont actifs au sein de NOVIB mais
également au sein des organisations partenaires. Ce sont des
indépendants qui sont chargés de promouvoir et de facilité
les processus d'apprentissage de genre. Ils ont un rôle de conseil et de
monitoring. Ils veillent à ce que le genre soit toujours
à l'ordre du jour et que de nouvelles connaissances et capacités
soient disponibles. Ces experts peuvent agir soit de manière
centralisée (une unité "genre" ou "femmes"
spécialisée), soit de manière décentralisée
(experts de genre dans toute la structure). Une combinaison des deux
modèles permet d'agir tant au niveau de l'élaboration des
politiques qu'à leur mise en Ïuvre. 249
iii. Les partenaires
NOVIB travaille avec trois types de partenaires: les
organisations de base (grassroots organisations), les organisations
intermédiaires et pourvoyeuses de services et les réseaux. Le
genre est mis à l'ordre du jour de ces trois types d'organisations
depuis le début des années 80. Lors du séminaire de 1992,
déjà cité, sur l'intégration du genre dans les
organisations, sont soulignés nombre de problèmes pouvant surgir
lorsqu'on travaille autour du genre dans le cadre du développement. Si
pour les ONG du Nord et les institutions internationales, le terme "genre" a
une signification précise et claire (ce qui reste encore à
prouver dans de nombreux cas), ce terme est souvent sujet de perplexité
pour les organisations et populations partenaires du Sud.250 Il ne
s'agit pas d'ignorance mais plutôt d'une incompréhension. Le fait
de travailler avec travailler avec des organisations de femmes (au moins une
par pays) favorise comme nous l'avons vu plus haut la réflexion autour
de la question du genre et des meilleures manières de l'intégrer
au sein des organisations et des projets. 251
249 More Power, less Poverty, opcit, p. 24.
250 MacDONALD Mandy, SPRENGER Ellen et DUBEL
Ireen, Género y Cambio organizacional. Tendiendo puentes
entre las politicas y la practica, KIT, Institut Royal pour le Tropique,
Pays Bas, 1995, p. 56.
251 voir Transversalisation du genre par départements,
département des projets, page 89.
Il est indispensable, selon NOVIB, que les changement en
termes de genre soient voulus et ressentis comme nécessaires par les
partenaires. Si ce n'est pas le cas, les changements ne seront qu'une
façade et ce quelque soit le type de partenaires. Toutefois, ce n'est
qu'en 1995 que NOVIB a commencé à revoir ses procédures
d'attributions de financements en accordant une attention particulière
au genre. C'est à ce moment que le "feu de signalisation" a
été élaboré, avec le concours des partenaires. Il a
été utilisé à partir de 1997.
5. LES PROJETS SPECIFIQUES D'INTEGRATION DU GENRE
Afin d'améliorer l'intégration du genre au sein
de ses structures mais également afin d'aider ses partenaires à
faire de même, NOVIB utilise deux outils. Le premier est d'ordre
organisationnel: le Gender Route Project. Il a pour objectif le changement
organisationnel nécessaire à l'intégration du genre. Le
second est un outil d'évaluation: le feu de signalisation.
A. Le gender route project
i. Description du projet
Parmi les projets spécifiques concernant le genre au
sein de NOVIB, le Gender Route Project est le plus remarquable. Il s'agit d'un
projet de grande ampleur tournant autour du changement organisationnel et
l'égalité de genre, impliquant 35 organisations partenaires et
s'étalant sur une durée de trois ans. Le postulat de base est que
les changements internes dans la structure, les systèmes et la culture
organisationnels sont une pré-condition pour une intégration
effective des objectifs d'égalité de genre dans les programmes de
développement. Plus qu'un réel projet, c'est un processus
d'apprentissage (a learning process) qui tente
de répondre aux trois questions suivantes:
· Quels seraient les bons critères de bonnes
pratiques de genre utilisés dans l'évaluation des demandes de
financement?
· Comment NOVIB peut-il, en tant que bailleur de fonds,
apporter son soutien aux partenaires dans leurs processus de changement vers
les bonnes pratiques de genre?
· Comment les partenaires voient-ils les efforts de NOVIB
pour avoir des bonnes pratiques de genre?
· Les objectifs
Trois acteurs sont impliqués dans ce projet: Novib, les
partenaires locaux et les consultants. Ces acteurs ont un objectif
général à long terme et des objectifs étalés
sur cinq ans. L'objectif à long terme est:
L'empouvoirement des femmes marginalisées et
sans ressources en termes d'organisation, d'accès et contrôle sur
les ressources économiques et écologiques, les services sociaux
de base, la prise de décision (politique), le contrôle de leurs
corps et l'élimination des stéréotypes. Le but ultime est
l'égalité des droits et des opportunités des femmes et des
hommes.252
Les objectifs pour les cinq ans sont:
252 NOVIB, En route, p. 6.
n Pour les partenaires:
- les activites auront ete effectuees avec le groupe cible, et
auront permis d'atteindre l'objectif final ou sont supposes le faire;
- pendant le GRP, les partenaires auront atteint des resultats
concrets dans leur organisation interne;
- les partenaires auront ameliore leurs connaissances et
savoir-faire dans le domaine du genre et du developpement organisationnel.
n Pour Novib:
- une comprehension de comment Novib, dans son rTMle de
donateur, peut au mieux soutenir et promouvoir l'apprentissage de genre et les
'good gender practices' au sein des organisations partenaires. Ceci inclus la
comprehension des strategies et des instruments qui sont le plus adaptés
à des conditions particulieres;
- amelioration des connaissances et des 'skills' (habilites)
dans le domaine du genre et du developpement organisationnel;
- amelioration de la comprehension de comment les partenaires
evaluent
n Pour les consultants:
- Les consultants impliqués dans le GRP auront acquis
de nouvelles compétences et de nouveaux savoir-faire dans le domaine
du genre et du développement organisationnel.
n les phases du projet
Durant les trois années que dure le GRP les
partenaires sont censés suivre un processus leur permettant d'ameliorer
leurs politique et programmes de genre. Le plan de travail ainsi que
l'echeancier a ete defini par le coordinateur de genre. Il a ensuite ete
discute par les bureaux regionaux et approuve par l'equipe de direction. La
mise en Ïuvre du projet est du ressort des bureaux régionaux,
aidés par de Gender Focal Points. Le GRP est divise en quatre phases:
n invitation des partenaires et introduction du projet
n auto-diagnostique de la structure et culture de
l'organisation ainsi que des relations avec les autres organisation. Ce
diagnostique sert à l'elaboration d'un plan d'action adapts à
chaque organisation
n la mise en Ïuvre du plan d'action par les
partenaires
n l'evaluation du processus GRP
Le GRP est considers comme un "package": il est prevu pour un
groupe de participants commencant un projet en même temps, et se deroule
de la meme facon dans le meme laps de temps; et un modele: c'est la
première fois que NOVIB mettait en Ïuvre un projet "linking and
learning". En plus de repondre aux objectifs mentionnes ci-dessus, le GRP
devait egalement generer des lecons sur le processus suivi par NOVIB et ses
partenaires. Ces lecons devant servir pour un processus de réflexion
plus large au sujet de la cooperation entre donateur -partenaire.
Le GRP n'est cependant pas figé et chaque partenaire
est encourage à developper sa propre strategie et d'emprunter "sa propre
route". C'est de cette diversite d'experiences que doit se nourrir le GRP.
ii. Grille d'analyse utilisee pour le diagnostique de
la sensibilite de genre au sein des organisations
Pour effectuer l'auto-diagnostique de sensibilité de
genre préalable à la mise en oeuvre du GRP, NOVIB utilise une
grille connue sous le nom de "Modèle des Neuf Cases". Cette grille,
élaborée doit permettre aux organisations d'auto-évaluer
leur sensibilité au genre au niveau organisationnel. (voir Annexe 3,
page 119). Elle met en rapport trois aspects cruciaux d'une organisation:
· la mission (ou le mandat) indique ce que
l'organisation désire accomplir (objectifs, stratégies, etc.);
· la structure de l'organisation indique
les rTMles, les responsabilités, l'autorité, les méthodes
de travail ainsi que le flux d'information;
· les ressources humaines font
référence aux gens qui travaillent dans l'organisation et
à leurs caractéristiques.
Ces trois aspects sont mis en rapport avec trois niveaux (ou
sous-systèmes) auxquels il faut travailler pour entamer un processus de
changement: les sous-systèmes technique (ressources
sociales, techniques et financières), politique
(allocation du pouvoir organisationnel - qui influence quoi et
comment) et culturel (normes et valeurs de l'organisation,
atmosphère, interactions avec les relations extérieures).
Cette grille permet de voir clairement quels sont les
mécanismes à mettre en Ïuvre pour que le changement soit le
plus efficace possible.
iii. evaluation du GRP
L'évaluation finale du GRP est complexe et remplit
plusieurs objectifs. Elle vise à évaluer les changements qui ont
eu lieu dans les politiques, les programmes et les structures en terme de genre
mais aussi quels ont été les bénéfices tirés
de ce changement par NOVIB et ses partenaires. L'évaluation servira
aussi, plus pragmatiquement, à évaluer si les objectifs ont
été atteints et s'ils sont durables. Elle évaluera
également quels sont les acquis en termes d'égalité de
genre pour les femmes et les hommes des groupes cibles. Un autre point
important dans l'évaluation est celle qui est faite par les partenaires
sur l'action de NOVIB en termes d'intégration du genre.
Toutes les organisations participantes au GRP participeront
à l'évaluation. Deux tiers d'entre elles feront une
auto-évaluation alors que les autres, constituant un échantillon
représentatif seront évalué par un équipe externe.
La méthodologie générale de l'évaluation a
été développée et discutée avec les
partenaires.
B. Le "feu de signalisation"
Le 'feu de signalisation' fait partie d'un arsenal de
critères qui sont utilisés dans l'évaluation des "bonnes
pratiques" (good practices) de genre, principalement pour les
décisions de financements de partenaires du Sud. Alors que la plupart
des partenaires de NOVIB avaient commencé à mettre en place des
projets de femmes ou des départements chargés de FED au sein de
leurs organisations dès le début des années 90, les
rapports d'évaluation montraient que ces programmes ne
répondaient pas aux attentes. C'est suite à ces
évaluations que NOVIB s'est rendu compte que les organisations "ne
regardaient pas la réalité avec des lunettes de genre" qui
rendraient toutes les activités plus sensibles au genre et qui
constituerait une garantie pour un développement équitable au
niveau du genre.253
Le feu de signalisation est un ensemble de sept critères
permettant de rendre
compte de la
dynamique du changement dans l'intégration du genre dont
doivent faire preuve les
253 NOVIB, Novib's gender route
project, Site web Gender at work,
http://www.genderatwork.org/novib.php3
organisations faisant une demande de financement à NOVIB.
Ces sept critères sont les suivants:
1. Il y a un échange actif de connaissances et
information, ou une coopération avec d'autres organisations sur
ces questions et approches.
2. Une analyse de genre est
développée et se reflète dans la politique des
partenaires. Cette politique est incluse dans le développement et la
mise en Ïuvre de toutes les politiques et programmes.
3. Plus de 30% des cadres moyens et supérieurs (middle
and senior management) est composé de femmes et/ ou l'organisation
cherche activement à recruter des femmes pour les postes de
décision .
4. L'organisation récolte des données "gender
disaggregated" et d'outils de monitoring et d'évaluation
5. Il y a une expertise de genre suffisante et
appropriée au sein de l'organisation.
6. Les femmes (et les filles) bénéficiaires
participent au processus de prise de décision lors de la
préparation, la mise en Ïuvre, le 'monitoring' et
l'évaluation des projets et programmes.
7. Les activités 'défient'
(challenge) la division sexuelle du travail existante ainsi
que les stéréotypes sur la masculinité et la
féminité.254
L'existence de ce feu de signalisation nous permet de
comprendre mieux comment travaille NOVIB et surtout, quels sont les points que
l'ONG souhaite mettre en évidence dans son travail avec ses partenaires
du Sud. Plutôt qu'une série de critères coercitifs pour les
partenaires, il s'agit de l'énonciation claire de ce qu'entend NOVIB par
"intégration du genre dans le développement". Ces critères
servent donc à "encadrer" l'intégration du genre
dans les structures, donnant les grandes lignes de ce qui doit
être pris en compte. D'après Irma Van Dueren, plutôt que des
critères potentiellement excluants, il s'agit au contraire de lignes de
conduite directrices. Elles doivent également permettre d'entamer le
dialogue sur le genre avec les partenaires, servant à la fois de point
de départ et d'arrivée du processus d'intégration du
genre.
Suivant qu'elles remplissent tous ou certains critères
les demandes de partenariat sont acceptées ou non. Des partenariats A la
manière du feu de signalisation les organisations sont classées
en trois catégories:
- Verte: l'organisation répond à
6 ou 7 des critères: le partenariat est accepté ou poursuivi
- Jaune: l'organisation répond à
entre 3 et 5 critères: le partenariat est accepté ou poursuivi
mais accompagné de mesures spécifiques.
- Rouge: l'organisation répond à 2
critères ou moins: le partenariat est refusé ou stoppé.
NOVIB a constaté que les partenaires "rouges"
étaient dans la plupart des cas, des partenaires avec lesquels la
relation n'est pas satisfaisante dans tous les autres domaines et que le
partenariat était donc voué à se terminer.
Chapitre III: Le genre en pratique:
réussites et limites en Amérique
latine
254 NOVIB, More power, less poverty.
Novib's gender and development policy until 2000, La Haye, 1997, p.
22.
Après avoir dresse un panorama general de ce que fait
NOVIB dans le domaine du genre, dans ses pratiques et ses projets, nous
observerons ce qui est fait en Amerique latine.
Nous observerons dans un premier temps les tendances generales
de l'action de NOVIB pour ensuite voir quels sont ses partenaires et quels sont
les projets qu'ils developpent individuellement. Nous evoquerons egalement les
trois projets collectifs qui ont eté mis en route avant la mise en
Ïuvre du GRP. Nous analyserons egalement les résultats de ce
dernier dans cette région. 255
1. TENDANCES GENERALES DE L 'ACTION DE NOVIB EN
AMERIQUE LATINE256
En Amerique latine, trois objectifs ou axes de travail sont
poursuivis: la lutte directe contre la pauvrete, le
renforcement de la societe civile et les actions de
lobby .
Le budget consacre à la lutte directe contre
la pauvrete a augmente ces dernieres annees, aux depends des
autres strategies d'intervention. Alors qu'elle n'intervient pas normalement
dans l'aide d'urgence, NOVIB a cependant debloque des fonds, notamment suite
à l'ouragan Mitch et aux inondations au Venezuela.
Dans le renforcement de la societe
civile, l'accent est essentiellement mis sur la
mobilisation des forces pour l'acces aux ressources qui sont disponibles ainsi
que le renforcement de la participation de la populations aux processus
decisionnels (aux niveaux locaux et nationaux). La priorite est egalement mise
sur la democratisation et la decentralisation administrative ainsi que sur la
constitutions de capacite de "contre-pouvoirs" des organisations populaires et
des instituts de connaissance.
Au niveau national et international, le
lobbying s'exerce essentiellement afin d'influencer la politique
des autorites et attirer leur attention lors des forums internationaux sur les
engagements pris auparavant (concernant les droits humains, notamment).
En termes de plans strategiques nationaux, l'accent est mis sur
le droit à l'acces aux services sociaux de base (dans les domaines de la
santé reproductive et de l'education).
En 2000 le nombre de partenaires en Amerique latine etait de
256. Ce nombre est voue à diminuer puisque le nombre de partenariats qui
prennent fin est plus grand que le nombre de liens qui se creent. Cette
situation est due tant à des resultats decevants qu'à la
nonconformite des projets avec le cadre politique de NOVIB. La concentration
geographique croissante contribue egalement à la diminution du nombre de
partenaires. Les programmes sont contrTMlés à 98% par les
responsables locaux.
255 Nous precisons ici que cette partie est
uniquement basee sur les informations discursives que nous avons pu recueillir
sur l'action de NOVIB en Amérique latine. Nous n'avons en effet pas pu
avoir acces à des données plus spécifiques sur ce qui est
fait dans la region. Les seuls contacts que nous avons pu avoir avec des
responsables de NOVIB ont été, bien que tres utiles, pas assez
complets faute de disponibilité de leur part. Nous le regrettons
vivement. Nous estimons néanmoins pouvoir donner un aperçu assez
large que pour pouvoir en tirer quelques conclusions.
256 voir Annexe 2, NOVIB, Rapport
annuel 2000, La Haye, 2001 (version en ligne sur
http://www.novib.nl)..
2. LES PARTENAIRES ET LEURS PROJETS257
Nous examinerons à la suite, quelques projets mis en place
en Amerique latine: trois projets qui sont issus d'une ONG en particulier et
quatre projets collectifs et transnationaux.258
A. Projets de partenaires individuels
Nous avons choisi de decrire brievement la situation de
quelques partenaires de NOVIB (qui participent au GRP) et de montrer quels sont
les projets relatif à l'integration des femmes et/ou du genre qu'ils
avaient mis en place avant leur participation au GRP. Nous pourrons, dans une
certaine mesure, nous rendre compte du chemin qu'ils ont dia parcourir pour
integrer le genre dans leurs organisations et dans leurs pratiques.
CESAT, Bolivie:
Le CESAT est une organisation fournissant une assistance
technique dans le domaine agricole et active dans le renforcement des
organisations paysannes ainsi que dans l'accroissement de la participation
populaire au niveau local. Depuis le début des annees 90 une "unite
Femmes" existe au niveau de la mise en Ïuvre des projets. L'objectif
principal de cette unite etait de rendre les femmes visibles pour le staff
technique. A partir de 1993, suite à une evaluation de son programme
Femmes financee par NOVIB, des ateliers externes et internes sur le genre
ont ete organisés. Cependant, ces ateliers, donnés par une
etudiante anglaise, etaient trop theoriques et les connaissances pratiques sur
les relations de genre dans les communautes andines etaient peu
développées. La transversalisation du genre est restée au
stade du vÏu pieux.
Cet exemple illustre d'une part la difficulte de passer d'une
approche FED à une approche GED, et d'autre part montre la necessite
pour les formateurs et les consultants d'avoir une connaissance approfondie de
la realite des populations et des groupes avec lesquels ils travaillent. Sans
cela, la plupart de tentatives d'integration du genre sont vouees à
l'echec.
LABOR, Perou
Cette organisation est issue du monde syndical,
traditionnellement tres active au niveau public notamment dans l'education et
la formation des organisations de base et des syndicats. Son objectif est de
leur permettre de s'integrer dans les débats publics. Ses programmes
concernant les femmes ont toujours eté complementaires au monde du
travail masculin: activites de subsistance, sante reproductive et defense
legale. En 1987, LABOR a integre une equipe inter-institutionnelle travaillant
avec les organisations de femmes qu'elle a quittée six ans apres pour
des raisons de differences idéologiques et conceptuelles. En 1993, la
perspective de genre a ete adoptée dans le plan strategique. Malgre cet
acquis, l'organisation est peu au fait des conséquences pratiques de
l'adoption de cette perspective de genre. LABOR a egalement mis sur pied un
projet nomme "reunions de couples (maries) visant à diminuer les
tensions domestiques et à identifier entre autres, les programmes
generateurs de revenus.
Cette exemple illustre deux points que nous avions souleves
auparavant: les differences qu'il peut y avoir entre les organisations
travaillant dans le "social" et les mouvements de femmes
257 Pour ce chapitre, nous nous basons
essentiellement sur le document: NOVIB, "En Route".
Evaluation of the Gender Route Project, La Haye, 2001, ainsi que sur les
commentaires qui nous ont été faits par Irma Van Dueren et
Liesbeth Van Der Hoogte.
258 Méthodologie d'analyse: Pour cette
partie concernant les projets en Amérique latine, nous décrirons
briévement le projet et l'ONG pour ensuite faire un commentaire. Cette
façon de faire nous permettra de mettre en exergue les points
principaux, développés auparavant.
ainsi que le risque de reproduire les schémas de
pensée et de structure sociale classique, contraire à
l'intégration du genre (ici la persistance de la vision en termes de
rTMles traditionnels).
FUMA, El Salvador
Cette organisation a commencé par des activités
d'urgence avec les populations urbaines. Depuis les accords de paix en 1992,
elle a diversifié ses actions, en mettant l'accent sur la santé,
l'éducation et la participation communautaire, notamment dans la
conscientisation des populations à ces thématiques. Des 1992, les
membres du personnel (hommes et femmes) de l'organisation on participé
à des ateliers sur le genre donnés par des consultants de genre
locaux, en particuliers des membres de collectif féministe Las
Dignas . FUMA a eu la plupart du temps une directrice. De plus FUM A a
également intégré la perspective dans son projet
"Mother & Children Health Care Project": ce projet stimulait le
recrutement de "volontaires de genre" dans les villages et les sensibilisait
à l'intérêt de disposer d'indicateurs de genre dans les
soins de santé reproductive.
FUMA est certainement dans une dynamique réelle de
formation du personnel et de transversalisation du genre au niveau
organisationnel. Proche de la population elle veille à la
sensibilisation et à la participation. En s'adressant à des
groupes féministes pour la consultance, FUMA fait le lien qui manque
souvent entre les organisations socio- économiques et les
féministes.
Ces trois exemples illustrent la tentative de passage de
l'approche FED à l'approche GED. Cette bonne volonté reste
cependant souvent limité à un changement discursif,
n'étant pas accompagnée d'une réelle volonté de
changement de l'organisation, ni la ma»trise des outils nécessaires
à la mise en oeuvre de cette approche GED dans les projets. Ils montrent
également l'ouverture de NOVIB aux différents types de
partenariats, ainsi que l'importance qui est accordée à
"l'expertise féministe" dans le domaine du GED. Ils illustrent
également la difficulté qu'il y à la création d'une
communauté d'intérêts autour de cette question.
B. Les projets collectifs (hors GRP)
Préalablement à la mise en oeuvre du GRP,
d'autres projets concernant le Genre ont été mis en place en
Amérique latine. Parmi eux, le réseau Entre Mujeres, un
programme d'échange d'expertise et l'Escuela de Género
en Colombie et finalement la Coordinadora de la Mujer en Bolivie. Ces
programmes illustrent les différents axes de la politique de NOVIB et
montre notamment la part qui est accordée à chaque acteur:
partenaires, experts/consultants et NOVIB mais également l'importance
qui est portée à la réflexion, la formation et le
changement organisationnel dans l'intégration de la perspective de
genre.
Reseau Entre Mujeres
En 1987, le réseau Entre Mujeres à
été fondé. L'objectif de ce réseau Sud-Nord,
constitué de NOVIB et de cinq centres de femmes sud -américains,
est d'agir comme groupe de pression au niveau international ainsi que de
promouvoir la sensibilité au genre dans tous les projets soutenus par
NOVIB dans la région. Nous avions souligné que parmi les
objectifs de NOVIB figurait la nécessité, dans chaque pays,
d'avoir au moins une organisation de femmes comme partenaire. Le réseau
Entre Mujeres a pour objectif d'améliorer et de faciliter la prise de
conscience de l'importance de la perspective de genre par les autres
organisations de développement de la région. Cette tentative n'a
pas rencontré le succes escompté. En effet, les organisations de
femmes n'ont pas réussi dans leur t%oche de diffusion de la
sensibilité de genre. En réalité, la t%oche de mettre le
genre à l'ordre du jour à souvent été remplie par
des groupes thématiques faisant partie des plates-formes nationales. Les
différents membres du
reseau n'avaient visiblement pas la même vision des
manieres d'exercer ce rTMle dans la pratique et n'ont donc pas reussi à
etablir des relations de travail positives avec les autres partenaires de
NOVIB.
Cette difficulté confirme ce que nous avions remarque
dans notre partie sur les feminismes en Amerique latine, sur les conflits et
difficultés qui peuvent surgir entre les feministes d'une part, les
mouvements de femmes ou organisations plus axees sur des problematiques d'autre
part. Le fait que ce soient les groupes thematiques sur le genre qui aient le
mieux reussi à introduire le genre dans les differentes organisations
demontre egalement le peu d'influence et de capacite à créer
une communaute d'interet des feministes latino-americaines.
n Programme d'echange d'expertise
En 1991 un programme d'echange d'expertise de genre est mis
en place au niveau regional. Il s'adresse principales aux consultants et autres
experts. NOVIB a organise un atelier avec les differents consultants regionaux
afin de discuter le rTMle de l'evaluation, du monitoring et de la formation des
partenaires dans le domaine du genre. Suite à cet atelier les reseaux
des consultants se sont vu renforces, tant dans leurs relations avec les
organisations partenaires qu'avec le Sistema de Apoyo (bureaux de
mediations mis en place dans differents pays) qui a ete mis en place
ulterieurement. Les resultats de cet atelier ont ete consignés dans un
livre publie par NOVIB et le reseau Entre Mujeres. 259
Ce programme est l'expression de la volonte de NOVIB de
contribuer à la mise en reseau des connaissances mais egalement de sa
diffusion. Comme nous l'avions signalé, NOVIB ne publie pas d'ouvrages
scientifiques en tant que tels mais soutien les initiatives locales allant dans
ce sens. Elle repond egalement à une demande locale en termes de
conseils et de soutien organisationnel. La creation d'un reseau d'experts et de
consultants locaux, recrutes localement, permet de mettre sur pied une reelle
dynamique d'echange de connaissances et de pratiques. Cette dynamique, induite
au niveau local, doit permettre aux partenaires d'être de plus en plus
autonomes dans la gestion de leurs organisations et notamment dans les
changements necessaires pour l'integration du genre.
n Escuela de Genero
L'ecole de Genre a ete mise en place en Colombie, pays ne
participant pas au Gender Route Project. Son objectif est de promouvoir
l'institutionnalisation du genre dans les organisations mixtes par le bien de
l'organisation de formations qui leurs sont specialement adressees.
L'école a ete créée parallelement à la mise en
Ïuvre du GRP en Amerique du Sud. Elle a elaboré des "gender routes"
pour divers partenaires de NOVIB (en dehors du GRP). Un des points forts de
l'Escuela de Genero est sa capacite à organiser des formations sur
mesure et a elaborer du materiel de formation. C'est l'Escuela de Genero qui a
organise la reunion regionale pour le GRP en Amerique du Sud.
Ce projet permet à la fois la diffusion des
connaissances mais egalement la formation du personnel des organisations
locales aux differentes strategies utiles dans l'integration institutionnelle
du genre et dans la facon de developper des bonnes pratiques de genre.
n Coordinadora de Mujeres
La Coordinadora a été mise en place en Bolivie
en 1997, et est financee par le Ministere de la Cooperation neerlandaise et
d'autres agences donatrices. Elle offre egalement des formations sur le genre
aux ONG. Le contenu de ces formations est cependant apparu comme etant trop
theorique et radicalement feministe. Elles n'etaient pas, au contraire des
formations donnees par l'Escuela de Genero, faites sur mesure pour les
organisations auxquelles elles s'adressent. Les resultats sont en realite peu
probants et ses tentatives de sensibiliser les organisations rurales andines,
souvent dirigees et dominees par les hommes, ont donné peu
259 BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin
morir en el intento. Experiencias de planificaci--n de genero en el desarollo,
NOVIB, Ediciones Red Entre Mujeres, Lima, 1994
de résultats, engendrant même plutTMt des conflits
avec une population empreinte de la culture andine traditionnelle d'harmonie et
de complémentarité.
Le manque de résultats probants de la Coordinadora
montre encore qu'il est important, pour que la formation des organisations
locales soient concluante, de conna»tre bien le contexte et la
mentalité des individus et organisations auxquelles s'adressent les
formations. Cette connaissance est d'autant plus impérative que les
cultures sont particulières.
Ces quatre projets montrent la diversité des
problématiques auxquelles sont confrontés tant NOVIB que ses
partenaires locaux dans les actions de sensibilisation au genre
adressées aux autres organisations. Par ailleurs, ils illustrent la
nécessité de développer une stratégie commune et
"transnationales" respectueuse et incluante des diversités culturelles
et sociales locales.
C. Le GRP en Amérique latine
Comme nous l'avons vu auparavant, le GRP est un projet
découlant de la stratégie du "Linking and learning" de NOVIB et a
pour objectif principal la réflexion sur les structures
organisationnelles. Ce projet s'adresse tant aux partenaires qu'à NOVIB.
Nous allons ici nous concentrer sur les résultats du projets au niveau
des partenaires locaux.
i. l'invitation - le choix des
partenaires
En Amérique latine, neuf partenaires ont
emprunté la Route du Genre, cinq en Amérique du Sud et quatre en
Amérique centrale.260 En Amérique du Sud, la mise en
route du projet n'a pas suivi la procédure prévue, en partie
à cause du grand enthousiasme montré par les partenaires
boliviens et péruviens. Au lieu d'organiser un atelier d'introduction au
projet pour tous les partenaires, un contrat individuel a été
fait avec chaque organisation. Le projet a débuté en Bolivie en
1996. En Amérique centrale par contre, des contretemps ont ralenti le
démarrage du projet.
La sélection des partenaires pour le GRP s'est
basé essentiellement sur l'expérience préalable de ces
organisation dans le travail avec les femmes mais aussi sur l'accord des
partenaires sur la définition de genre défendue par NOVIB: un
concept intégral et relationnel qui impliquerait une remise en question
des conceptions préalables des relations hommes- femmes . Il faut
également qu'il y ait un accord de la direction de l'organisation sur la
nécessaire transversalisation de genre. Pour les partenaires, le GRP
représentait une opportunité institutionnelle, pour la formation
de leur personnel surtout.
ii. le diagnostique organisationnel et le plan
d'action
Les premières activités du GRP ont
été initiées à des moments différents: le
processus de diagnostique organisationnel s'est déroulé entre le
début 96 et la fin 97. L'outil mis a disposition des partenaires pour
leur diagnostique interne (le "Nine Box Model")261 n'a
été mis a disposition des partenaires qu'en 1998. Le processus
d'évaluation interne s'est faite
260 En Bolivie: le Centro de Servicios y
Asistencia a la Producci--n Triguera - CESAT et le Centro de Investigaci--n
Apoyo y Campesino - CIAC. Au Pérou: le Centro de
Servicios Agropecuarios - CESA et l'Asociaci--n Civil Labor. Au
Brésil: le Centro Bento Rubiao - CBR. Au
Guatemala: l'Instituto de Investigaci--n y Autoformaci--n Politica -
INIAP. Au Nicaragua: l'Organismo para el Desarollo Economico y
Social Area Urbana y Rural - ODESAR. Au Salvador: la
Fundaci--n Maquilishuatl - FUMA et l'Asociaci--n de Comunidades Rurales para el
Desarollo de El Salvador - CRIPDES.
261 voir Annexe 3
avec l'aide de consultants en genre qui ont egalement, dans la
plupart des cas, contribue à leur monitoring. Certaines organisation ont
fait le diagnostique de la population cible egalement. C'est le cas des ONG
Boliviennes.
Dans les plans d'actions qui sont mis en oeuvre par les
partenaires, certains points, tels la formation du personnel et l'acquisition
de competences theoriques et methodologiques ont recu la priorite. D'autres
thematiques, comme l'augmentation du nombre de femmes au sein de l'organisation
ainsi que leur acces à des positions plus elevees au sein de la
hierarchie sont egalement defendues.
Au niveau des beneficiaires (des organisations partenaires),
quatre champs d'action sont souleves: l'augmentation de la participation des
femmes aux formations et activites d'assistance technique, promotion du
leadership feminin, promotion de relations egalitaires au sein de la famille et
lutte contre la violence domestique et sexuelle envers les femmes.
En general, la transversalisation du genre dans leurs
programmes et la formation/ conscientisation du personnel sont les deux points
les plus importants des plans d'actions elabores par les partenaires.
iii.
la mise en oeuvre et les
resultats
La majorite des partenaires ont commence le projet par des
activites de sensibilisation et de formation du personnel, d'autres ont prefere
commencer par la revision complete de leur programmes et politiques. D'autres
encore ont choisi de mettre sur pied une unite de genre.
n politique et strategie
Avant le GRP, seuls un partenaire sur les neuf participant au
projet avait inclus le genre dans sa declaration d'intention ou son plan
strategique. Ils sont sept apres le GRP. Cinq le font explicitement et ont
approuve une politique de genre institutionnalisee. Cependant, il faut
constater que si beaucoup de strategies differentes ont ete mises en place par
les partenaires, ces strategies n'ont pas toujours portes leurs fruits, pour
des raisons diverses (crise politique nationale, conflits de valeurs au niveau
local,...). D'autres par contre ont mis en oeuvre des projets bases sur la
differenciation des rTMles de genre mais pas sur la reduction de la difference
de genre. A cet egard, tous les partenaires se sont rendus compte qu'il etait
plus difficile de penser des strategies reduisant les differences de genre que
de travailler sur l'approche des besoins differencies avec leurs
partenaires.
n structures et procedures
Au niveau des structures, la plupart des participants au GRP
se sont montres concernes par le besoin de retablir l'equilibre hommes-femmes
au sein du personnel. La plupart ont d'ailleurs termine le GRP avec des
resultats positifs en termes de parite. Il faut cependant nuance ces resultats.
On constate en effet que si le nombre de femmes a effectivement augmente, elles
se sont surtout dirigees dans les t%oches subalternes. On constate egalement
qu'en termes de representation, les femmes sont surtout presentes dans les
instances pour lesquelles ce sont les communautes locales qui elisent leurs
representants.
Par ailleurs, cinq partenaires ont cree une unite de genre,
dont la place a souvent evolue en cours de projet. Dans certains cas elle a ete
evolue de simple projet à un programme pour etre
finalement consideree comme une thématique transversale.
Certains partenaires ont cree des unites mixtes, ou ont designe un coordinateur
de genre, soit pour l'entierete de leur structure, soit par departement.
n formation du personnel et changement culturel
interne
Au niveau de la formation du personnel, très populaire
parmi tous les participants qui ont pour la plupart organises des ateliers
de sensibilisation à la problematique de genre, on
observe néanmoins que des barrières culturelles
subsistent, notamment chez les partenaires ancrés dans la culture
andine, moins enclins à discuter des attitudes et perceptions
individuelles.
· promotion de la participation féminine
et de l'accès/ contrôle aux ressources Il s'agit ici
de promouvoir la sensibilité de genre au niveau des groupes cibles des
partenaires. De nombreuses stratégies ont permis de rendre la
perspective de genre opérationnelle à ce niveau. Parmi elles,
l'accroissement de la participation des femmes dans l'organisation
d'activités publiques de l'organisation (politique locale, débats
publics, etc.), l'organisation de formations adaptées aux femmes, tant
dans le contenu que dans l'accessibilité (augmentation de la confiance
en soi, formations au leadership, réorientation du contenu des
formations vers des thématiques liées aux sphères
publiques et privées et ouvertes à de nouvelles
thématiques, comme la masculinité, création
d'organisations de femmes, etc.).
· les relations
extérieures
Le GRP a favorisé la création de réseaux
relatifs aux thématiques de genre et au féminisme. Le projet a
ainsi permis à des organisations qui auparavant maintenaient une
distance critique avec ce genre de mouvements, de s'en rapprocher. Les
partenaires se sont également impliqués dans diverses
coordinations ou plates-formes au niveau régional.
iv. le support externe
· évaluation par les partenaires du
rôle de NOVIB
Le rôle de NOVIB, déjà limité
à une assistance technique, a été particulièrement
réduit et de peu de soutien pour les partenaires en Amérique
latine. Les outils susceptibles d'aider les partenaires dans leur "route du
genre": le "Nine Box Model" n'a été disponible que longtemps
après que l'évaluation interne soit terminée et le "Feu de
signalisation" n'a pas été diffusé du tout. Les
partenaires sont donc mitigés quant au rôle de NOVIB. Si la
critique est plutôt positive pour les partenaires d'Amérique du
Sud, elle est par contre négative pour les partenaires d'Amérique
centrale. Ceux-ci ont ressenti un manque de réciprocité et
communication de la part de NOVIB, même s'il ont trouvé son
ouverture envers les différentes "routes" engagées "positive et
fertil e".
Par contre les ateliers organisés par NOVIB ont
été un véritable succès. Ils ont permis
l'échange d'expériences, la meilleurs compréhension de
certaines positions, l'élimination des résistances ou de
l'isolement. Ils ont contribué à la mise sur pied d 'un
réseau d'échange et ont permis à chaque organisation de
faire son évaluation (selon le Nine Box Model) ainsi que de faire une
analyse critique du processus du GRP. Lors du deuxième atelier quatre
thématiques ont été abordées: participation
politique et citoyenneté, politiques publiques, transversalisation et
changement organisationnel, diversité culturelle et équité
de genre.
· rôle des consultants
Les consultants ont joué un rôle important dans
la mise en route du projet dans toutes les organisations. Ils ont
également contribué à rendre le genre opérationnel
et ont suscité de nouveaux débats. La cha»ne NOVIB - bureau
locaux - consultants de genre a été cruciale au niveau de la
communication, ainsi qu'à la création d'une concordance entre les
objectifs de NOVIB et ceux des partenaires. Ils n'ont toutefois pas
réussi à effacer toute résistance. Certaines organisations
ont même ressenti les consultants comme étant imposés par
NOVIB.
v. Conclusion et perspectives
Faire l'analyse de l'énorme projet que constitue le
Gender Route Project mériterait qu'on y consacre la totalité
d'une recherche. Nous nous sommes donc limités à évoquer
les traits saillants du projet. Pour aller plus loin dans l'analyse nous
aurions dii en effet, pouvoir rencontrer les organisations partenaires,
d'autant plus que, pour faire une réelle analyse de ce projet
ancré au niveau local, il eut fallu rencontrer les organisations qui ont
suivi cette "route du genre". De plus, les documents en notre possession
provenant principalement de NOVIB, il importe de maintenir un regard critique
sur les résultats de ce projet.
Divers points positifs sont à mettre en avant. Le GRP
a clairement contribué à ce que les partenaires
redéfinissent leurs programmes en y intégrant une vision de
genre. Il a également permis aux organisations locales de se pencher sur
leurs structures organisationnelles en les regardant avec les "lunettes de
genre", générant ainsi une plus grande conscientisation de ce que
ces structures pouvaient avoir d'inégalitaires. En augmentant la
participation des femmes aux activités avec groupes cibles et en
introduisant de nouvelles thèmes de réflexion, le GRP a permis de
faire quelques pas dans la direction des "bonnes pratiques de genre".
3. CONCLUSIONS
L'action de NOVIB en Amérique latine se fait donc sur
plusieurs fronts. D'une part NOVIB participe et soutien des projets
féministes, les soutenant dans leur développement et dans la
diffusion de leurs idées. D'autre part, elle soutient des organisations
de base, mixtes, dans l'intégration du genre dans leurs projets plus
généraux et dans leur structure.
Par ailleurs, l'accent est mis sur le développement et
l'échange des savoirs relatifs à la structure "genrée" de
la société. Dans cette action, NOVIB privilégie la
constitution de savoirs locaux et l'utilisation des "lunettes de genre" dans
l'appréhension de toutes les thématiques. Un travail est
également fait pour rapprocher les différentes cultures
(notamment la culture andine).
L'action générale de NOVIB, divisée en
trois thématiques (réduction de la pauvreté, renforcement
de la société civile et lobbying), est donc toute entière
imprégnée de la perspective de genre.
NOVIB, une ONG engagée dans le genre
Nous avions, pour etablir la grille de lecture que nous
allions appliquer à NOVIB, defini des aspects theoriques et pratique.
Nous voulions en premier lieu comprendre comment le discours de NOVIB (tant
dans les textes fondateurs, que dans les lignes directrices d'action) se
constituait et comment ce discours etait mis en pratique, au quotidien de
l'organisation et dans les projets exterieurs. L'analyse generale de NOVIB nous
a permis de voir qu'en general, l'adequation entre discours et pratique est
etabli, du moins dans les intentions.
Vision politique et objectifs
generaux
L'objectif general exprime dans la declaration d'intentions
NOVIB, si elle semble quelque peu utopiste, montre que l'ONG s'inscrit de facon
claire dans une demarche transformatrice de la societe mondiale.
Les ideaux defendus sont universels, voir universalistes
(justice, egalité, solidarite). Sa vision globale est incarnee par le
choix de ses trois themes prioritaires: genre, droits humains et environnement.
Ces themes s'inscrivent dans une conception du developpement durable et
à visage humain. Loin de se conformer aux exigences de la globalisation,
NOVIB prefere influencer les politiques generales notamment par la creation de
reseaux et le lobbying exerce tant au niveau national qu'international.
Cette action revendicative est riche des propositions et
innovations decoulant des partenariats sur tous les continents. L'implication
de NOVIB dans les divers forums mondiaux (tant dans les grandes conferences des
Nations Unies que dans les Forums alternatifs comme le Forum Mondial Social)
releve de cette double logique de pratiquer le lobbying auprès des
structures existantes tout en continuant de construire en permanence d'autres
pratiques.
Savoirs et reseaux
Pour developper et enrichir sa vision politique en effet, la
mise en réseau et la reflexion sur les pratiques, permettant
l'elaboration de nouveaux savoirs, est essentielle. Sans etre totalement
opposée à l'utilisation des cadres d'analyse existants, NOVIB
prefere, plutTMt que de baser son action sur des savoirs academiques et
figés, apprendre en agissant et à partir de ses relations avec
les autres.
Dans cette construction des savoirs, les consultants ou
experts jouent un rTMle d'accompagnement et de soutien du processus, agissant
plutTMt comme mediateurs ou moderateurs qu' à partir d'une position
d'expertise.
Cette preference de NOVIB pour la recherche action
est concretisee par la strategie du " Linking and
Learning qui oriente les actions de NOVIB dans ses partenariats,
et dans tous les domaines.
NOVIB, comme toute ONG travaillant avec des partenaires
"locaux", doit f aire face à la relation de pouvoir caracterisant les
relations donateurs - beneficiaires. A force de perseverance, mais aussi en
privilegiant les partenariats à long terme, la relation entre NOVIB et
ses partenaires, du Sud mais egalement du Nord, est une relation egalitaire
dans laquelle les deux partenaires peuvent s'epanouir. Il s'agit d'un
partenariat dynamique mettant le lien sur l'echange permanent des connaissances
et des pratiques. L'objectif final est d'arriver à demanteler les
structures existantes pour mettre en place une organisation plus respectueuse
des differences, notamment les differences de genre.
Au niveau de la structure interne de NOVIB, constituée
de plus de 300 personnes, cette introspection est plus difficile mais de
réelles tentatives sont faites dans le sens de l'intégration des
diversités (de race, de sexe, ou de genre).
? GED, transversalisation et
empouvoirement
Pour NOVIB la perspective de genre n'est pas un vain mot. Sa
stratégie est clairement exprimée dans les documents officiels -
principes fondateurs, plan d'action, déclaration d'intentions.
Selon la conception de NOVIB, seule une intégration
transversalisée de la perspective de genre, peut contribuer à
l'élimination des discriminations dont sont victimes les femmes, et
promouvoir leur leadership et empouvoirement. NOVIB défend une vision du
genre clairement influencée par la pensée féministe, y
compris dans ce qu'elle peut avoir de radical.
La prise en compte du genre doit être forcément
accompagné d'une refonte complètes des préjugés et
des schémas de pensée. Les discriminations se situant à
tous les niveau de l'organisation sociale c'est donc partout qu'il faut agir, y
compris (et peut être surtout) au niveau de ses propres structures
(mentales et organisationnelles). Pour arriver à ouvrir les
mentalités et les structures il importe de suivre la stratégie
Linking and Learning.
Le Gender Route Project est symbolique de l'intégration
du genre par NOVIB: un processus, ancré dans la durée, ouvert aux
initiatives locales autonomes, introduisant de nouveaux thèmes de
réflexion et enrichi chaque jour.
Le feu de signalisation quant à lui démontre la
volonté d'avoir une politique dynamique et d'action positive dans
l'évaluation interne d'une part, dans l'évaluation des
partenaires, dans leur structure et leurs projets, d'autre part. Ces
critères (ainsi que les "bonnes pratiques de genre"), en étant le
résultat d'un processus de réflexion interne et externe, sont
déjà profondément ancrés dans la pratique puisque
c'est de celle-ci qu'ils découlent.
Nous avions choisi de nous concentrer sur le travail de NOVIB
en Amérique latine, et avons analysé quelques projets auxquels
NOVIB a participé ou impulsés. Les partenariats tissés
dans cette région touchent des organisations bien différentes et
un des objectifs de NOVIB est justement de contribuer à ce que ces
organisations collaborent et apprennent les unes des autres. Aucun partenariat
n'est écarté d'office (sauf le partenariat gouvernemental). Au
contraire, en favorisant certains partenariats, tant entre les organisations de
même type (Entre Mujeres), qu'en favorisant les rencontres entre
organisations mixtes et féministes (FUMA), NOVIB contribue - du moins
dans les intentions, à créer cette communauté
d'intérêt et cette masse critique qui était indispensable
pour que la question de la subordination des femmes soit abordée de
manière intégrale en Amérique latine.
Pour conclure, nous pouvons constater que NOVIB est
profondément ancrée dans une démarche transformatrice et
globale qui, si elle ne répond pas toujours à toutes les
attentes, est cependant louable. Elle pourrait (et devrait) être celle de
toutes les ONG si leur objectif est de joué un rTMle dans la mise en
place d'une autre "société mondiale".
CONCLUSIONS
Pour une autonomie du développement
Vouloir traiter, en une petite centaine de pages, la vaste
question Genre et Développement, qui plus est en la mettant en lien avec
le Féminisme, était un défi, presque une utopie.
Même si nous avions d'emblée posé nos limites, notamment en
nous concentrant sur l'Amérique latine et sur l'analyse du travail de
NOVIB, la tâche s'est avérée malgré tout
gigantesque. Nous avons toutefois réussi, et c'est heureux, à
tirer quelques conclusions que nous devons remettre en perspective.
Notre ambition était double et découlait, comme
nous l'avions souligné, d'une expérience et d'une vision
personnelle de la question du développement en général, de
la question du genre en particulier. Nous ne partions donc pas "vierge" de
toute prénotions, ni non plus, d'une position de neutralité. On
pourrait même dire qu'au contraire, nous avions la certitude que pour
envisager la question du genre dans le développement, il fallait
soulever la question de la constitution du savoir d'une part, la question du
pouvoir d'autre part. Cette certitude est étayée par le fait que
le genre, en soi, est une remise en question des préjugés
(savoir) et des relations sociales basées sur une domination
(pouvoir).
C'est donc à partir de cette double question que nous
avons abordé notre recherche. En nous appuyant dans notre analyse sur
les notions de dispositif et de gouvernementalité, nous avons
montré le caractère profondément aliénant que peut
revêtir le développement dès lors qu'il est concu en termes
de gestion des populations. On pourrait même dire que le concept est,
à la base, aliénant, puisqu'il pose pour vraie l'existence
même d'un "développement" possible. La question qui était
posée ici était donc celle de l'utilisation d'un certain langage
pour décrire une certaine réalité qui, en étant
décrite était transformée pour répondre à
certains besoins de gestion. Nous avons souligné le danger qui existe
lorsque "le diagramme du pouvoir devient bio-politique des populations prenant
en charge
et gérant la vie." 262 En
décrivant les populations du Sud, et en voulant contribuer à leur
bien-être, c'est une réalité nouvelle qui est
décrite, réalité suscitant des réactions semblant
"appropriées".
Dans le cas précis du genre, cette instrumentalisation
est doublée. De par son caractère transformateur, le genre
implique en effet de déconstruction et reconstruire une autre facon
d'appréhender les réalités. Pour cela, on ne peut se baser
sur les notions habituelles, ni sur les critères et catégories du
réel puisque ce sont celles-là même qu'il faut
déconstruire. Or on a vu que c'était justement en se basant sur
ces notions que les approches "Femmes et Développement" et "Genre et
Développement" étaient basées. Les différents
cadres d'analyse et approches pratiques ne font pas l'essentiel travail
d'analyse à partir d'une autre perspective. En tenant certaines choses
pour acquises, telles la division des rTMles, la nécessité de
s'intégrer à la sphère économique ou aux structures
de pouvoir existantes, on construit donc une approche qui n'est qu'une facon de
réduire les inégalités mais qui ne contribue pas à
détruire les structures qui provoquent (et perpétuent) ces
inégalités.
Même dans les approches plus novatrices, comme celle de
l'empouvoirement, la remise en question d'un système global
profondément inégalitaire n'est pas faite et les notions
utilisées
262 FOUCAULT Michel, Histoire de la
sexualité, la volonté de savoir, Gallimard, Coll. Tel,
Paris, 1976.
comme le pouvoir ou le leadership, sont des notions
clairement "patriarcales" et ne contribuent pas non plus à cette remise
en question. Toutefois, une brèche est ouverte et il nous a
été possible de voir qu'un alternative pouvait être
envisagée, notamment en développant la recherche d'autonomie.
En posant l'autonomie comme étant indispensable si
l'on voulait mettre en place une alternative à la conception du
développement actuel, nous l'envisagions à plusieurs niveaux.
Tout d'abord, l'autonomie au niveau individuel, devant permettre à
chaque individu de se positionner par rapport à lui-même et par
rapport au monde. Ensuite l'autonomie vue au niveau collectif et
organisationnel, comme principe devant mener à la mise en place d'un
système de relations sociales qui serait basé sur le
développement des capacités à "pouvoir faire", à
développer la puissance, plutôt que sur des relations de pouvoir.
Dans ce sens, nous pensons également que "la révolution
mènera à l'égalité automatique entre les sexes".
Seulement la "révolution" telle que nous la concevons ici ne vise pas la
conquête du pouvoir mais à la conquête de l'autonomie et de
la réappropriation de la puissance d'action et de réflexion.
Afin d'illustrer cette analyse, nous avions choisi de nous
attarder plus particulièrement sur la situation en Amérique
latine et, en particulier, sur l'action de NOVIB. Nous avons pu observer que
les femmes ont, en Amérique latine, joué un grand rôle de
cette recherche de changement sociétal et qu'elles ont
développé des pratiques novatrices. En s'intégrant dans la
lutte pour la démocratie et les droits sociaux, elles ont affirmé
la nécessité de repenser les structures. Si pour certaines cette
nécessité se limitait au changement démocratique, d'autres
ont par contre élaborer une critique plus globale, montrant les liens
qu'il pouvait y avoir entre les système politique, économiques et
culturels et la structure patriarcale de la société. Quelles que
soient les modalités qui ont été adoptées dans leur
divers engagements, elle ont montré la nécessité d'avoir
une vue globale pour pouvoir changer quelque chose. Les mouvements de femmes
latino-américains en mettant en avant les processus d'individuations et
de s ocialisations ont mis en avant que la nécessaire adéquation
entre fins, moyens et relations avec l'environnement qui doit prévaloir
dans tout mouvement social. Les tendances récentes de ces mouvements,
qui d'une dynamique nationale sont passés à une dynamique
régionale voire mondiale, ont également mis en exergue les
risques de cette dynamique, notamment lorsqu'elle crée des partenariats
avec l'extérieur, comme dans le cadre de la coopération avec le
Nord. Les critiques de cette coopération sont nombreuses et la
volonté, de la part des mouvements du Sud et des organisations et
associations du Nord, de collaborer dans la recherche du changement n'est pas
sans poser question. La relation qui est créée entre les
mouvements sociaux locaux d'une part, les organisations de développement
d'autre part a tendance à reproduire, malgré les bonnes
intentions, la relation inégalitaire générale qu'il existe
entre le Nord et le Sud et donc a accro»tre la situation de
dépendance du Sud et de ses organisations.
Notre intérêt, en étudiant NOVIB,
était donc de montrer comment une ONG s'intègre dans le
système de la coopération au développement et
particulièrement comment elle gère cette situation ambigu`, entre
autonomie et institutionnalisation, dans laquelle se trouvent toutes les ONG.
Nous voulions voir s'il était possible, dans la pratique, de mettre en
Ïuvre cette alternative au développement structuré et
institutionnel. Et si oui, comment?
D'après l'angle de départ qui était le
nôtre, à savoir la promotion de l'autonomie comme alternative
au dispositif de développement, NOVIB, dans son mode de
fonctionnement, interne et externe s'inscrit dans une stratégie de
recherche-action permanente contribuant à
ce que la relation de plus en plus institutionnalisée
et organisée qui se noue entre le Sud et le Nord ne reproduise pas la
domination. Les différents principes d'action de NOVIB (linking and
learning, contribution à l'échange des pratiques et des savoirs)
favorisent en effet un partenariat équitable. Cependant, NOVIB reste, de
par son statut de bailleur de fonds, reconnu et légitimé par le
système, inscrite dans un dispositif de développement qui a
quelque chose de contraignant.
La question se pose ici de savoir quelle peut être la
valeur d'une relation qui, malgré toute la bonne volonté et les
bonnes intentions, reste basée sur l'argent et le financement. La
répartition inégale des ressources financières
empêche de sortir de cette relation mercantilisée et de mettre en
place un réseau des mouvements sociaux qui ne serait basée que
sur la communauté d'intérêt et pas sur les conditions
matérielles de cette mise en réseau.
Cette recherche a donc soulevé un grand nombre de
questions. C'est, à notre avis, la question du sens qui est principale.
Nous pensons en effet qu'il est indispensable de réfléchir au
sens des actions de développement et de solidarité entre les
mouvements sociaux. Cette réflexion doit dépasser l'analyse
à court terme et se placer dans la perspective de la "durabilité
dans le changement". Elle pose également la question du savoir comme
produit d'une culture mais également comme produit d'une situation
particulière. Nous pensons qu'il serait intéressant notamment, de
se pencher sur la question du rapport à l'objet dans la création
du savoir et en particulier sur l'élaboration d'une pensée
globale.
La question serait donc pour nous d'analyser comment nous
avons, en tant que femme, jeune, universitaire, blanche, de gauche,
écologiste, avec toutes ces caractéristiques qui faconnent notre
individualité, abordé cette recherche. Comment notre vécu
à orienté notre recherche, en quoi notre situation nous a
menée à tirer certaines conclusions, et en particulier, comment
en tant que femme, on peut aborder la question du genre. Cette introspection du
chercheur et cette réflexion par rapport à son objet de recherche
est particulièrement difficile, mais la perspective de
réfléchir à la question est particulièrement
exaltante.
Annexe 1: Interview de Irma Van Dueren,
responsable du genre dans le
développement de NOVIB.
How Can NGOs Improve Their Work in Gender and
Development?
Novib recently completed an evaluation of its Gender
Route Project. This project worked with several of NOVIB's NGO partners to help
them improve their work in promoting gender equality.
Can you give me an overview of the project?
Twenty-five of our partner organizations participated in the
project. All went through the same process. First, they completed a gender
self-diagnosis using various gender analysis tools we provided them. That would
then give them an idea of where their strong and weak points lie in regards to
gender equality. This would be the departure point for the whole project. After
that, they would write up a work plan detailing where they wanted to start and
where they wanted to end. Some started with their weak points while others
started with their strong points. Initially most of the work was concentrated
at the organizational level. However, others then moved on to improve their
work at the target group or beneficiary level. They all received funding from
NOVIB to allow them to implement the plan over 3 to 5 years. Each year there
would be workshops where they could exchange experiences, learn and receive
more training.
Why did NOVIB begin this project?
NOVIB is a donor. We fund at least 1 000 partners worldwide
and we pay a lot of attention to gender issues. We have 7 criteria that all
partners are evaluated against. These criteria involve gender equality, of
course. So, an important goal was to support partners in developing good gender
policies. Before the Gender Route project, we would provide training sessions
and consultancy assistance to partners as well as other interventions. But we
didn't do it very systematically so the learning was quite limited. The
partners asked for more systematic support over a longer period of time. That's
when we decided to initiate this project which would involve more partners from
all over the world going through the same process. At the end, we would be able
to analyze the results and see what types of gender interventions work in
particular circumstances. Along the road, partners could learn from each other
and exchange experiences.
What types of interventions took place at the
beneficiary level?
Most of the work was at the organizational level. So, a lot
of the activities involved analyzing their decision-making procedures and their
organizational cultures, for example, to make them more gender friendly. At the
same time, they would try to improve their services to beneficiaries. For
example, some of them would do a gender analysis before beginning projects or
have more women participate in planning and monitoring. Others would look more
critically at how men and women are involved in their programs. So, they might
look at countering gender stereotypes in their activities or involving women in
leadership roles.
What were some of the successes?
It's quite difficult to summarize them. There were lots of
achievements. At the organizational level, some of them completely restructured
their structures to make them more women -friendly . So, they might have looked
at the organization's infrastructure and facilities or policies around child
care and maternity benefits. Others might have changed their sexual harassment
policies to make the organization safer for women. These changes would make it
easier for women to keep on working with the organization and also increase
their involvement in decision-making. All organizations did different things,
but I can say that all organizations became more gender sensitive. In all of
them women became more visible and in some of them we saw that more women staff
were hired. We also saw more women in leadership positions. A lot also happened
around organizational culture wher e men were trained to be more gender
sensitive.
At the program level, in all organizations we saw more women
participating in programs. Also, they would have greater decision-making roles.
There would be more gender sensitivity in the programs as well as awareness
raising and training activities.
What were some lessons learned?
It was meant to be a linking and learning project through
which we tried to take lessons from experiences from all over the world. It was
done in all the regions where NOVIB works. It worked better in some regions
than others. In some places, there were workshops every year where the partners
would share their experiences and give feedback to each other. This happened in
South Asia, for example.
Another strong point is that it was over a period of 5 years.
So, partners could grow as they tried new things. It would be very difficult to
measure results over a short period of time. Even now, partners are asking for
more time to do more work.
So for now we can say that the project has been positive in
terms of allowing organizations to share information and develop over time. And
the organizations really have changed. In all the organizations gender has
become much more visible. In some cases, we can say that at least gender hasn't
fallen off the agenda while in others there really has been radical change. In
the workshops we didn't just involve the gender coordinators but also the
directors of the organizations. So, the leadership would become much more aware
of the project and the issues. If you only involve the gender coordinators, it
can be very lonely for them when they come back from a workshop. So, one thing
we've found is that management has to be behind it for it to work.
Were you able to see impacts at the beneficiary
level?
It's difficult to say. The major focus was at the
organizational level under the assumption that changes there would eventually
work down to the beneficiary level. Most partners now say they would like to
continue at the target group level. A lot of activities took place at that
level but if you talk about what the actual impact was on their daily lives, I
think it's too early to say. In fact, we've recently discussed follow-up for
the project and we've decided that we would like to continue it at the
beneficiary level.
Beyond continuing the work at the beneficiary level,
what are the next steps?
For the partners that were involved, many want to disseminate
the lessons learned to others. For example, in South East Asia there is going
to be a new Oxfam International project on gender mainstreaming whereby all the
lessons from the Gender Route will be shared with a much bigger group of NGOs.
Some other groups are going to write a book about their own cases. At the NOVIB
level, we are going to start a Gender Tools project documenting cases and
instruments we have used over the years. This will involve our own people in
NOVIB as well as other donors.
How has thinking about gender and development changed
since you began the project?
A lot of things have changed since we began the project. Our
thinking has changed. We're now just talking about a rights-based approach to
gender and development and we're talking a lot more about gender and diversity.
The Gender Route has been part of this change. During the Gender Route, as
discussions took place on gender issues, we saw for example that talk of
violence against women kept coming up. So, we've now started a violence against
women project. The issue of gender and ethnicity kept arising so that has
helped us formulate our gender and diversity policies.
What is the idea of a rights-based approach?
NOVIB and all the other Oxfams have decided that we will now
work under a rights-based approach which means that all people we work with
should have access to 5 basic rights. These include the right to a sustainable
livelihood, the right to safety and the right to basic social services among
others. Through this rights-based perspective, we talk about how people can
work towards obtaining these rights. Before, we talked about sustainable
development which was quite vague. So, now we look at the law to see which
rights people should have access to and how we might help them achieve them.
In terms of gender, how does that change what you would
do?
We take the international and national rights framework as a
starting point. For example, we recently participated in a justice and
accountability conference to follow up on the Tokyo Tribunal judgement.
This judgement dealt with rights for women abused in war
situations. In this case, we would analyze what kinds of legal mechanisms are
there and what needs to be changed to make them work for women. So, it's much
more concrete. Before, we would talk about supporting victims by intervening in
the home but now we've expanded that work by focusing on their rights in the
national and international contexts. We want to work at all levels including
the home and the community as well as the national and international
frameworks.
Information on the Gender Route Project can be found at
www.novib.org.
From: Resource Net /Friday File / Issue 62
Posted Saturday February 02, @08:38AM
http://www.awid.org/article.pl?sid=02/02/02/1947256&mode=nocomment
Annexe 2: Extraits du rapport annuel de
NOVIB (2000)263
Gender et développement
Dans les plans régionaux qui ont été
formulés en 2000 sur base des cinq objectifs principaux, le thème
du gender a été repris de facon explicite et implicite.
En 2000, 16 pour cent des partenaires de Novib étaient des organisations
de femmes. En 2000, cinquante-sept pour cent des fonds de Novib ont
été consacrés à l'augmentation des chances et des
possibilités de choix des femmes. Cet objectif a été
concrétisé par le «feu de signalisation», qui mesure,
sur base de 7 critères, la dynamique de changement d'un partenaire et
vérifie si une organisation fonde ses activités sur une analyse
du gender. Trois catégories de partenaires ont
été distinguées. Premièrement, les partenaires qui
travaillent en tenant compte du gender et sont systématiquement
attentifs à l'égalité des droits, des chances et des
possibilités de choix pour les femmes. En 2000, ce pourcentage a
augmenté d'un tiers pour atteindre près de 40 pour cent. La
deuxième catégorie se compose de partenaires qui portent un peu
moins d'attention au gender . Cette catégorie se composait en
2000 d'un petit 60 pour cent des partenaires (par rapport à 55 pour cent
en 1999). Une troisième catégorie (les partenaires classés
"feu rouge") présente des résultats insatisfaisants.
Conformément à la politique Novib de gender, les
relations avec ces partenaires ont progressivement été
portées à leur terme en 2000, sauf pour ceux qui ont
réussi à passer << au feu jaune È gr%oce à
des interventions spécifiques. La <<route du genderÈ
a été inaugurée pour soutenir les partenaires dans
l'amélioration de leur fonctionnement dans le domaine du gender
. Novib permet aux partenaires de renforcer leur pratique en matière de
gender, gr%oce à des fonds et de l'expertise
supplémentaires.
Amérique latine
Investissements en Amérique latine
Tableau 10: budget selon l'objectif de lutte
structurelle contre la pauvreté en pourcentage
Amérique latine
|
|
1998
|
1999
|
2000
|
Lutte directe
pauvreté
|
contre la
|
57
|
66
|
65
|
Renforcement de civile
|
la société
|
28
|
23
|
25
|
Lobby
|
|
15
|
11
|
10
|
|
Dans le programme d'Amérique latine, les
investissements dans la lutte directe contre la pauvreté
ont été augmentés, aux dépens des deux
autres stratégies d'intervention. Une certaine distorsion des projets de
réhabilitation après l'ouragan Mitch a joué un rTMle
à cet égard. Certains projets de réhabilitation en
Amérique centrale ont recu cette année un ultime versement.
Même si "l'aide d'urgence" faisait partie en 2000 des
investissements de la lutte directe contre la pauvreté, l'année a
été assez calme en ce qui concerne les situations d'urgence dans
la région. Ha ·ti, dont la situation sur le plan du
développement économique et politique est manifestement pire que
celle des autres pays dans la région, a été
confronté à la fin de l'année par de graves inondations.
Dans un premier temps, Novib n'a pas accordé de fonds pour une aide
d'urgence. Des fonds issus de la contribution de Novib au programme commun des
organisations membres d'Oxfam ont pu y être consacrés.
Ha ·ti est confronté à une expansion du SIDA, et ceci
pourrait constituer une "situation d'urgence" d'un autre ordre.
Après les inondations de janvier 2000 au Venezuela,
Novib a contribué à un projet d'aide d'urgence,
réalisé par son partenaire Intermóns `Fé y
Alegr'a'. En septembre, Novib a participé aux activités d'aide
d'urgence dans le Nord du Brésil.
263 NOVIB, Rapport annuel 2000, La
Haye, 2001 (site internet:
http://www.novib.nl)
L'accent sur le renforcement des
sociétés civiles dans les investissements
consacrés a l'Amérique latine sera redéfini durant les
prochaines années. Cette tendance appara»t dans les plans
stratégiques d'OI établis en 2000 pour les sous régions et
s'intègre dans la nouvelle analyse sur la problématique en
Amérique latine. Quand le thème d'inégalité en
matière de propriété et de revenus est a ce point
flagrant, il s'agit surtout de faire valoir la mobilisation des forces pour
l'accès aux ressources qui sont disponibles. Le renforcement de la
participation de la population dans les processus décisionnels aux
niveaux local et national, la démocratisation et la
décentralisation administrative et la constitution de counterveiling
power d'organisations de population et d'instituts de connaissance,
deviennent dès lors prioritaires.
Au Mexique, le climat favorable a la participation
d'organisations de la société civile se traduit par
l'établissement et la réalisation de plans de
développement régionaux et locaux. En supprimant la domination du
PRI, la situation est également en train de changer au niveau
des états fédérés. Au Chiapas, un nouveau
gouverneur a été élu. A la demande des partenaires de
Novib, une mission a été mise sur pied avec Oxfam GB afin
d'analyser les possibilités de collaboration sur différents
thèmes entre les autorités du Chiapas et les ONG. Les parties
sont visiblement intéressées par l'essai au Chiapas d'un
modèle de `co-gestion', semblable a celui qui a
été mis en place au Mexique entre le gouvernement
fédéral et les ONG. Outre les autorités publiques, Novib,
Oxfam GB et d'autres bailleurs de fonds pourraient également contribuer
financièrement a ce type de modèle.
Les services financiers dans le programme de Novib en
Amérique latine commencent a prendre des formes plus importantes. Cette
année, quelques Ä 3.950.000,- de crédits ont
été accordés et un montant de É400.000,- a
également été mis a la disposition de l'organisation
COPIDER au Mexique, qui pourra acquérir avec ses fonds un montant dix
fois supérieur par l'intermédiaire d'un programme spécial
de la Banque Centrale Mexicaine. L'accord de crédits a des institutions
spécialisées dans le domaine de l'octroi de crédits semble
un bon moyen pour stimuler l'économie locale, les formes
d'épargne et de capitalisation, et les micro et petites entreprises.
L'octroi de crédits a des partenaires qui offrent des services autres
que des services financiers aux groupes cibles reste délicat, notamment
a cause de l'imbrication interne et organisationnelle et les différents
objectifs qui sont difficiles a distinguer. Il reste cependant important
d'étudier les formes dans lesquelles les différents objectifs
sociaux et financiers peuvent cohabiter. L'étude des possibilités
d'octroi de crédits au Guatemala aux partenaires existants a permis
d'identifier une possibilité pour l'octroi de crédits, les
institutions spécialisées semblent en outre ouvertes a d'autres
possibilités. Au Salvador, deux organisations ont introduit une demande
et des missions d'étude ont été entreprises, ce qui
s'applique également a d'autres initiatives en Amérique du
Sud.
Aux niveaux national et international, un lobby a
été exercé par des partenaires pour influencer la
politique des autorités et attirer leur attention lors de
forums internationaux sur le respect des engagements pris
précédemment (Red SAPRIN, Social Watch, CEDLA, Plataforma
Interamericana de Derechos Humanos, Democracia y Desarrollo, Corporación
Region, IBASE, etc.). Dans le cadre d'Oxfam International, les initiatives de
ce type prises par les partenaires et les réseaux dont ils font partie,
continuent d'être soutenues.
Dans le cadre de l'établissement des plans
stratégiques régionaux d'OI pour l'Amérique du Sud,
l'Amérique centrale, le Mexique et les Cara ·bes, l'accent de la
lutte directe contre la pauvreté a atteint vers l'objectif 2, le droit a
l'accès aux services sociaux de base: la santé
reproductive et l'enseignement aux groupes de population marginalisés, a
prédominance autochtone. Les investissements suivent cette tendance mais
dans les prochaines années, ce choix va se concrétiser plus
clairement dans les chiffres d'investissement.
Dans le domaine du gender, des
progrès importants ont été enregistrés dans les
programmes en Amérique latine. Outre la poursuite des projets
liés au gender dans les programmes des partenaires,
également alimentés par les trajets pratiquement aboutis en cette
matière, de nouvelles initiatives sont continuellement
formulées.
Le constat en ce qui concerne la reconnaissance des droits
reproductifs des femmes est moins positif. Dans certains pays, il faut
plutôt parler de reculs que de progrès. Le nouveau
Président mexicain n'a par exemple jamais caché son opposition a
l'avortement. De même, au Nicaragua, le thème est de nouveau
tabou.
Les partenaires du Nicaragua et du Guatemala, qui se
définissent explicitement comme des organisations ayant une
politique sur la sécurité alimentaire, se sont
rencontrés a la mi 2000 pour un atelier, préparé et mis
sur pied par l'INCAP, spécialiste guatémaltèque. Lors de
l'étape préliminaire,
des organisations ont été visitées et
après l'atelier, la possibilité d'un soutien spécifique a
été offerte pour donner au thème une fonction plus
centrale dans le planning et le suivi institutionnel.
En ce qui concerne la situation des droits de
l'homme, il semble que l'exemple de l'inculpation de Pinochet ait eu
un effet stimulant au Guatemala. Rigoberta Menchoe a osé déposer
en Espagne une plainte contre le président du parlement et ex-dictateur
Rios Montt. Des procès semblables ont par ailleurs été
intentés par quelques organisations contre d'autres dictateurs au
Guatemala. A l'exception des organisations des droits de l'homme, dont le
GAM, partenaire de Novib, peu de personnes ont soutenu l'initiative de
Menchoe au Guatemala, mais le geste a recueilli un soutien au niveau
international. Aux Pays-Bas, Novib a pris l'initiative de concerter les autres
partenaires GOM, Amnesty International, Solidaridad et le Guatemala
Komité Nederland, pour rejeter les activités autour de la
question Menchoe. Cette idée a été accueillie
favorablement par les autres participants.
Dans le domaine de l'environnement, les
conséquences dévastatrices de l'ouragan Mitch, qui a
touché l'Amérique centrale fin 1998 et qui a de nouveau
démontré la vulnérabilité écologique de
cette région, ont donné lieu à un courant
d'activités axées sur la prévention et la
problématique de l'environnement en général.
L'année dernière, l'accent était mis sur la
problématique de l'eau, qui a été stimulée par le
"tribunal de l'eau" qui s'est tenu à La Haye. PRISMA,
partenaire de Novib au Salvador, entendait mettre à l'ordre du jour
le thème de la gestion des bassins fluviaux dans le pays et dans la
région. Par ailleurs, des partenaires tels que Fundación
Solar au Guatemala, LINES au Salvador et le partenaire
régional Red Saprin ont également voulu apporter un
nouvel éclairage en ce qui concerne la politique officielle actuelle
dans le domaine de l'eau, la formulation de propositions (de loi) alternatives
et le développement d'une méthodologie visant à impliquer
activement la population dans la gestion de l'eau. Au Pérou, un accord
de coopération entre les différents partenaires concernant la
gestion de bassins fluviaux a pris la forme de deux publications. La demande
semble considérable à ce propos.
Politique à l'egard des partenaires
En 2000, le nombre de partenaires en Amérique latine
était de 256. La politique de No vib à l'égard des
partenaires de la région se caractérise par une concentration
toujours croissante. Les relations de financement qui se terminent sont plus
nombreuses que les liens qui se créent. A l'origine de ces ruptures: des
résultats décevants, la non conformité au cadre politique
de Novib et la concentration géographique croissante. De nouvelles
initiatives apparaissent dans le domaine du microfinancement et de la
santé. L'an 2000 a signifié (l'annonce de) la fin de la relation
avec 29 partenaires au total, alors que 16 nouvelles organisations ont pris
leur place. En Amérique centrale également, la rationalisation de
la politique envers les partenaires et le processus d'harmonisation d'OI a
également commencé.
Le pourcentage de programmes contrôlés par les
responsables locaux représente plus de 98 pour cent des
budgets octroyés aux bureaux d'Amérique latine, soit une
augmentation d'1 pour cent par rapport à l'année
précédente.
En Amérique centrale, le processus de
renforcement des capacites entamé
précédemment par les partenaires de Novib se poursuit. Les
organisations intègrent de plus en plus les activités dans le
domaine du développement organisationnel et du renforcement
institutionnel dans leur planning pluriannuel. En Amérique latine,
indépendamment des processus de renforcement organisationnel des
partenaires individuels, un projet a été lancé au
Pérou pour toutes les organisations intéressées dans le
domaine du planning, du suivi et de l'évaluation. Une discussion a
également été entamée avec différents
bureaux de consultance à propos de la redéfinition de la
politique de consultance de Novib.
En 2000, des investissements ont également
été consentis pour la capacité des organisations locales
et des groupes de population afin d'exercer un contrôle plus efficace sur
la qualité et l'accessibilité des services.
Annexe 3: Organigramme de NOVIB
Annexe 4: Grille d'auto-évaluation
organisationnelle
|
MISSION/MANDATE
|
ORGANIZATIONAL STRUCTURE
|
HUMAN RESOURCES
|
TECHNICAL POINT OF VIEW
|
POLICIES AND ACTION: (1)
- analysis - policy - activity plan
- budget
- monitoring and evaluation
- impact
|
TASKS AND RESPONSIBILITIES
(4).
- tasks and responsibilities - coordination/consultation
- information system
- gender infrastructure
|
EXPERTISE: (7) - quantity
- quality/recruitment - wages
- job description
- appraisal
- training
|
POLITICAL POINT OF VIEW
|
POLICY INFLUENCE: (2) - role of
management
- people influencing the organization from within
- people who influence the organization from the
outside
|
DECISION MAKING: (5) - adequate
information
- participation in discussion and decision making
- conflict management
|
ROOM FOR MANEUVER (8). - space for
organizing
- physical infrastructure
- reward/incentive systems - diversity of styles
career opportunities
|
CULTURAL POINT OF VIEW
|
ORGANIZATIONAL CULTURE (3):
- image
- ownership
- woman friendliness
- reputation
|
COOPERATION AND LEARNING (6):
- teamwork - support
- networking outside of organization
- reflection/innovation
|
ATTITUDE: (9) - enthusiasm
- commitment
- willingness to change
- stereotyping
|
|
Cette grille d'analyse a été
développée par N. Tichy. dans "Managing strategic change -
technical, political and cultural dynamics, University of Michigan, John Wyley
& Sons Publications, 1983.
Elle a été adaptée par NOVIB pour son
Gender Route Project en 1996.
voir: NOVIB, "En Route". Evaluation of the
Gender Route Project, La Haye, 2001, p. 8.
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· NOVIB, Rapport annuel 2000, La
Haye, 2001 (version en ligne sur
http://www.novib.nl).
· OXFAM, Gender Training, Oxfam
Publications, London, 1991.
· OXFAM, The Oxfam Gender Training
Manual, Oxfam, Oxford, 1994.
· OXFAM, Vers l'équité
mondiale. Plan stratégique 2001-2004, Oxfam International, 2000.
· BARRIG M. & WEHKAMP A., Sin
morir en el intento. Experiencias de planificación de género en
el desarollo, NOVIB, Ediciones Red Entre Mujeres, Lima, 1994
· MacDONALD Mandy, SPRENGER Ellen et DUBEL
Ireen, Género y Cambio organizacional. Tendiendo puentes
entre las politicas y la practica, KIT, Institut Royal pour le Tropique,
Pays Bas, 1995.
· O' CONNELL H., Women and
Conflict, Oxfam Focus on Gender Series, n°2, OXFAM Publications,
Oxford, 1993.
· ORDONEZ Amado, TRUJILLO Monica et HERNANDEZ
Rafael, Mapeo de riesgos y vulnerabilidad en Centroamérica
y México. Estudio de capacidades locales para trabajar en situaciones de
emergnecia, Oxfam, Managua, 1999.
· PORTER Fenella, SMYTH Ines et SWEETMAN
Caroline, Gender Works! Oxfam experience in policy and
practice, Oxfam Publications, Oxford, 1999.
· SWEETMAN Caroline (Editeur), North -
South Co-operation, Coll. <<Oxfam Focus on Gender>> n° 6,
Oxfam Publications, Oxford, 1994.
· VAN DUEREN Irma: How can NGOs
improve their work in gender and development, NOVIB.
· WALKER Bridget (Editeur), Women and
Emergencies, Coll. <<Oxfam Focus on Gender>> n° 4, Oxfam
Publications, Oxford, 1994.
Documents d'ONG et organisations féministes
latino-américaines
· CENTRO DE ESTUDIOS DE LA MUJER,
Encuentro Centroamericano: Las mujeres en la
Reconsctrucción - Honduras, Tegucigalpa, 2000.
· Feminismo y cooperación para la Democrac'a y
el Desarrollo en América Latina. Un llamado a las mujeres, Red
Entre Mujeres. género y Cooperación al Desarollo, Mexico,
1998.
· Hacia el VII encuentro feminista Latinoamericano y
del Caribe, La Correa feminista n°16-17, CICAM, Mexico,
1997.
· II Encuentro Centroamericano de Mujeres para el
seguimiento a Estocolmo: Centroamérica también es nuestraÉ
Y la queremos plena de igualdad y justicia, Managua, 2000.
· Lo que siempre quisiste saber sobre feminismo en
Centroamérica y que no te atreviste a preguntar, Programa Regional
La Corriente, Centro Editorial de la Mujer, Managua, 1994.
· Permanencia voluntaria en la Utopia: El feminismo
autonomo en el VII encuentro feminista latinoamericano y del Caribe,
Colección Feminismos Complices, Editorial La Correa Feminista, Mexico,
1997.
· VI Encuentro feminista latinoamericano y del Caribe,
Memorias, Centro Editorial de la mujer, Managua, 1994.
Documents d'ONG européennes
· DEUTSCHE WELTHUNGERHILFE, Gender
Training for GAA Staff, Bonn, 1997.
· EUROSTEP, Poverty Eradication and
Gender Equality, a benchmark for the successor agreement between the EU and the
ACP, Brussels, 1999.
· Integrating Gender issues in development
co-operation, preliminary progress report 1997, 1st August 199.
· MACDONALD Mandy, Gender Mapping the
European Union, EUROSTEP/WIDE, Brussels, 1995.
· SCHALKWYK J., THOAMS H. & WORONIUK B.,
Mainstreaming. A strategy for achieving equality between women
& men. A think piece, SIDA Department for polic and
legal services, juillet 1996.
Table des matières
FEMINISME, GENRE ET DEVELOPPEMENT EN AMERIQUE
LATINE: LE TRAVAIL DE NOVIB INTRODUCTION 5
Introduction 6
1. Plan de travail 6
A. Première partie: Savoir, genre et pouvoir 7
B. Deuxième partie: Femmes et développement -
genre et développement 9
C. Troisième partie: Féminisme et
développement en Amérique latine 10
D. Quatrième partie: NOVIB: un exemple d'ONG
engagée dans le genre 10
2. Quelques précisions méthodologiques
générales 11
A. Les sources: 11
B. La méthode et ses limites: 11
FEMINISME ET DEVELOPPEMENT: A L'INTERSECTION DU SAVOIR ET
DU
POUVOIR
|
13
|
|
|
Introduction: Définitions
et méthodologie
|
14
|
|
|
1. De la constitution du savoir et du rapport à l'objet
|
14
|
2. Quelques définitions du genre
|
---14
|
3. Quelques définitions du développement
|
16
|
4. Méthodologie:
|
17
|
Chapitre I: Savoir féministe Savoir de
femmes
et
|
18
|
|
|
1. Les Racines -
|
18
|
2. La recherche de "l'ennemi principal"
|
20
|
A. Les tendances
|
20
|
B. Les approches dans la constitution du savoir
|
21
|
3. Le genre: un big bang conceptuel
|
21
|
A. Genre et féminisme
|
22
|
B. "Homme public, femme privée"
|
23
|
4. Le Féminisme: "recherche-action" collective permanente
|
24
|
Chapitre II: Savoir du développement: le
Dispositif
|
26
|
|
|
1. Discours et langage --
|
26
|
2. Qui développe le savoir du développement?--
|
27
|
3. L'utilisation politique du savoir féministe et du
savoir du développement
|
28
|
A. La gestion et l'instrumentalisation du savoir
|
28
|
B. Utilisation du savoir à des fins de gestion du social
|
29
|
|
4. Le dispositif de développement
|
-30
|
5. Le dispositif de développement appliqué aux
femmes
|
---31
|
6. En forme de conclusion 33
DU FED AU GED: L'EVOLUTION DU DISPOSITIF DE DEVELOPPEMENT
34
Chapitre I: Des Femmes dans le développement (FED)
au Genre et développement (GED)
35
|
|
|
1. Développement et coopération au
développement: une introduction--
|
35
|
A. Coopération et Développement: un bref historique
|
36
|
B. Les femmes font leur entrée comme actrices du
développement
|
36
|
2. L'évolution du 'dispositif' femmes et
développement
|
39
|
A. Les cadres théoriques
|
40
|
B. Les approches pratiques
|
44
|
3. Genre et développement
|
48
|
A. L'analyse des relations sociales (ARS)
|
49
|
B. Empouvoirement (Empowerment)
|
50
|
C. La transversalisation de la perspective de genre
|
51
|
4. Conclusions
|
52
|
Chapitre II: L'autonomie dispositif de
Développement
comme alternative au
|
54
|
|
|
1. L'institutionnalisation: risques et profits
|
54
|
2. Autonomie: un mode d'action
|
---56
|
A. La constitution d'autres savoirs
|
56
|
B. L'autonomie comme réappropriation de soi --
|
57
|
C. L'autonomie comme redéfinition de l'action collective
|
57
|
3. Mouvements sociaux, pouvoir et puissance
|
58
|
4. Femmes, autonomie et puissance
|
59
|
FEMINISMES ET GENRE EN AMERIQUE LATINE
|
----61
|
Chapitre I: Les féminismes
latino-américains: des mouvements en questionnement------62
|
1. Contexte sociopolitique Latino-américain
|
63
|
2. Les féministes latino-américaines: tendances et
perspectives
|
64
|
A. Les revendications à la base du féminisme
latino-américain
|
64
|
B. Organisation et action: évolution, clivages et
tendances récentes
|
68
|
C. Tendances récentes et perspectives
|
71
|
|
Chapitre II: ONG de Amérique Latine
et perspective genre en
|
---71
|
|
|
1. ONG, femmes du Sud et féminismes
|
72
|
2. Perspective de Genre et ONG en Amérique latine
|
74
|
NOVIB, UNE ONG "ENGAGEE DANS LE GENRE": ANALYSE DE CAS
---------
|
76
|
Chapitre I: Grille de lecture d'analyse
et méthodologie
|
77
|
|
|
1. Cadre conceptuel
|
77
|
2. La grille d'analyse
|
78
|
A. Au niveau théorique
|
78
|
|
Table des matières
|
B. Au niveau pratique--
3. Pourquoi NOVIB?
4. Méthodologie d'analyse
|
79
80
80
|
Chapitre II: NOVIB le
|
81
|
et genre
|
|
1. Principes fondateurs et Organisation interne --
|
81
|
2. Historique du genre au sein de NOVIB
|
83
|
3. Le Genre dans les textes de NOVIB
|
86
|
A. Les objectifs généraux de NOVIB
|
86
|
B. L'approche Genre et Développement - Principes
généraux
|
86
|
C. Les plans d'action
|
86
|
|
4. L'institutionnalisation et la transversalisation du genre
|
87
|
A. La transversalisation du genre par départements
|
88
|
B. Les acteurs intervenants dans l'intégration du genre
|
91
|
5. Les projets spéc ifiques d'intégration du genre
|
92
|
A. Le gender route project
|
92
|
B. Le "feu de signalisation"
|
94
|
|
Chapitre III: Le genre en pratique: réussites et
limites en Amérique lati ne
|
95
|
|
1. Tendances Générales de l'action de NOVIB en
Amérique Latine
|
96
|
2. Les partenaires et leurs projets
|
---97
|
A. Projets de partenaires individuels
|
97
|
B. Les projets collectifs (hors GRP)
|
98
|
C. Le GRP en Amérique latine
|
100
|
NOVIB, ONG dans le
|
104
|
une engagée genre
|
|
CONCLUSIONS
|
106
|
|
|
Pour du développement
une autonomie
|
107
|
|
|
ANNEXES
|
110
|
|
|
Annexe 1: Interview de Irma Van Dueren, responsable du
genre dans le développement de NOVIB. 111
Annexe 2: Extraits du rapport annuel de NOVIB (2000)
114
Annexe 3: Organigramme de NOVIB 117
Annexe 4: Grille d'auto-évaluation
organisationnelle 119
BIBLIOGRAPHIE 120
Bibliographie 121
TABLE DES MATIERES 126
Table des matières 127
|