IV- ANALYSE DE LA CONTRIBUTION DES FACTEURS DE
PRODUCTION A L'AMELIORATION DE LA
CROISSANCE AGRICOLE ET RECOMMANDATIONS
Dans cette partie, nous analysons la contribution du capital
humain à la croissance de l'agriculture par l'approche de la
comptabilité de la croissance sur la période de 1990 à
2009, aussi nous nous intéressons à la causalité
unidirectionnelle entre la croissance des variables explicatives et de la
variable expliquée.
4.1. COMPTABILITE DE LA CROISSANCE >
Survol de la théorie :
La théorie de la comptabilité de la croissance
remonte à Solow. En effet dans son article de 1957, Solow cherche
à déterminer la part de la croissance américaine, entre
1909 et 1949, expliquée par l'accumulation factorielle. Il décrit
la production par une fonction agrégée où interviennent le
stock de capital physique, la main d'oeuvre et le progrès technique
supposé neutre. A partir de séries temporelles sur la production
totale, sur le stock de capital et sur la force de travail, il définit
le progrès technique comme étant la part de la variation du
produit non expliquée par l'accumulation des facteurs. Il constate alors
qu'environ 1/8 des variations du produit par tête peut être
expliqué par l'évolution du stock de capital par tête et
que les 7/8 restants sont donc imputables à l'amélioration du
progrès technique. L'importance du résidu de Solow et le
fait que son identification au progrès technique ne trouve pas de
justification objective laissent donc la porte ouverte pour d'autres
recherches. Dans cette perspective, Denison propose
une procédure un peu plus élaborée afin de réduire
la contribution du résidu. Le principe général de cette
méthode, référencée sous le vocable
«comptabilité de la croissance » consiste à ajuster la
contribution des inputs suivant des aspects qualitatifs et structurels. Par
exemple, la main d'oeuvre est décomposée en fonction de son
niveau de qualification pour rendre compte des variations du niveau
général de compétence. Dès 1962, Denison
présente une application aux Etats-Unis. Il étudie la croissance
entre 1929 et 1957 et constate que 54% de celle-ci est imputable au
développement des facteurs humains. (Quantitatif et qualitatif). Dans
ces 54%, 23% proviennent directement de l'amélioration du niveau
d'éducation de la main d'oeuvre. Le résidu reste toutefois,
relativement important puisqu'il correspond à environ 30% de la
croissance observée. Dans la même veine, JORGENSON & GRILICHES
(1967) parviennent quant à eux à expliquer jusqu'à 96% de
la croissance observée aux Etats-Unis entre 1945 et 1965. Denison (1967)
présente également une analyse comparative de la croissance dans
9 pays développés (les Etats-Unis et 8 pays européens)
entre 1950 et 1962 qui permet d'évaluer la robustesse de la
méthode et qui démontre que la contribution de l'éducation
à la croissance est assez variable, mais relativement faible
malgré la diversité des expériences nationales. Dans cette
lignée, Denison développera une longue série de travaux
(Denison 1974, 1979, 1985) au cours de laquelle la méthodologie et les
résultats seront peu à peu affinés. On notera par exemple
que l'auteur tient
compte du facteur sanitaire en se basant sur l'indicateur
construit par CORREA (1963) qui lie apports caloriques et capacité
à travailler, ou en intégrant un facteur de productivité
lié à la Recherche & Développement sur la base des
travaux de Mansfield (1965). Ces analyses suscitent une longue tradition dans
laquelle s'inscrivent, entre autres, les travaux de SELOWSKY (1969), GRILICHES
(1970), Daly (1982) ou JORGENSON (1984) ou de Carré, Dubois &
Malinvaud (1972). On pourra se référer à GRILICHES (1995)
pour une revue de littérature et une mise en perspective historique. Sur
la période récente, quelques auteurs ont poursuivi les efforts
engagés en profitant de nouvelles bases de données, plus fiables
et plus complètes. Les estimations sont donc plus précises et
portent en général sur des périodes plus étendues.
C'est notamment le cas de JORGENSON&FRAUMENI (1992) qui utilisent des
données américaines pour la période 1948-86. Dans cette
étude, les auteurs estiment le stock de capital humain à partir
d'une analyse des revenus sur le cycle de vie et valorisent même une
partie des activités non marchandes. Ils trouvent alors un résidu
comptant pour environ 30% de la croissance et estiment la contribution de
l'éducation à environ 7%. Maddison (1991, 1995)
propose quant à lui une analyse de la croissance sur une très
longue période pour une vingtaine de pays riches depuis 1870. On peut
également citer DOUGHERTY&JORGENSON (1996) qui
développent une étude comparée pour 7 pays de l'OCDE entre
1960 et 1989. Cette dernière conduit à montrer que la part de la
croissance expliquée par la qualité de la main d'oeuvre est
comprise entre 18,5% pour les Etats-Unis et 3,4% pour l'Italie (respectivement
14,6%, 11,4%, 14,5%, 11,4% et 8,9% pour le Canada, le Japon, la France, le
Royaume-Unis et l'Allemagne). Bien que dans les pays en développement,
les données sur les facteurs de production soient bien moins accessibles
et très peu fiables, certains auteurs ont tenté d'y appliquer
cette méthode. Ainsi, dès 1968, Ann Kreuger
procède à une analyse où elle estime la perte de
production imputable aux différentiels de disponibilité du
capital humain entre les Etats-Unis, le Canada et une vingtaine de pays en
développement. De par son caractère statique, ce travail ne peut
être considéré comme à proprement parler dans la
lignée des travaux précédents; toutefois, l'inspiration
est similaire. Toutes choses égales par ailleurs, en se basant sur
l'évaluation de la productivité marginale des facteurs aux
Etats-Unis, l'auteur peut donner une majoration des pertes de production
liées à la moindre accumulation factorielle observée dans
les pays en développement. Elle trouve que le déficit
d'investissement éducatif contribue en moyenne à réduire
d'au moins 23,7% le revenu par tête qui peut être atteint dans les
pays en
développement. Dans une revue de la littérature
sur la comptabilité de la croissance, CHENERY (1986)
constate qu'en moyenne, le résidu explique environ 30% de la croissance
dans les pays en développement alors que pour les pays
développés, ce chiffre est de l'ordre de 50%. De
Gregorio (1992) procède pour sa part à une estimation
pour un ensemble de 12 pays sud-américains entre 1950 et 1985. Ces
calculs font ressortir une contribution plus faible encore du résidu qui
n'est plus que 19% contre 51% pour les investissements, 30% pour la main
d'oeuvre. La Banque Mondiale (1991), dans le cadre du «Rapport annuel
sur le développement dans le Monde», présente elle
aussi une analyse comptable de la croissance, distinguant 5 groupes de pays en
développement et 4 pays industrialisés sur la période
1960-1987.
PSACHAROPOULOS (1984) recense plus de 29
études en comptabilité de la croissance qui tiennent compte
explicitement de l'hétérogénéité de la main
d'oeuvre dont 16 concernent des pays en développement. Pour les trois
pays d'Afrique subsaharienne cités, le Ghana, le Kenya et le Nigeria,
les contributions respectives de l'éducation à la croissance sont
estimées à 23,2%, 12,4% et 16%. Pour les pays d'Amérique
latine, NADIRI (1972) trouve des résultats plus
contrastés puisque, en dehors de l'Argentine pour laquelle on trouve une
contribution de l'ordre de 16%, pour les huit autres pays testés les
valeurs sont nettement plus faibles (inférieures à 5%).
> La méthode d'estimation de la PGF
La plupart des études empiriques ont utilisé une
fonction de production à deux facteurs. La démarche usuelle de
ces dernières provient des travaux de DENISON qui visaient, au
début des années soixante, à expliquer le «
résidu » pour les pays de l'OCDE. La démarche vise à
réécrire la fonction de production en taux de croissance : Ces
travaux intégrés dans la logique néo-classique font les
hypothèses de la perfection de la concurrence et la constance des
rendements d'échelle. Ils utilisent la référence suivant
laquelle les facteurs de production sont rémunérés au
niveau de leur productivité marginale. Toutes ces considérations
imposent d'écrire :
Y( )
Y( ) ( ) ( )
( ) ( -- ( )) ( )
( ) ( )
( )
Le produit Y( ) est directement lié à
l'évolution des facteurs de production pris séparément
et à leur interaction, plus techniquement nommée
productivité
globale des facteurs, PGF pour simplifier. Le point
délicat repose sur le fait que ( ) peut en effet
représenté l'effet d'interaction, mais beaucoup d'autre chose,
comme par exemple :
- une erreur de mesure sur les facteurs ou le produit,
- une externalité uniquement liée à l'un des
facteurs, la forme exacte serait alors V( ) ( ( ). ( ) ( ))
ou V( ) ( ( ) ( ). ( )) Avec un impact multiplicateur,
externalité, ou minoratif dans le cas de goulot de
production ou de difficulté de mise en oeuvre de l'un des facteurs,
- l'absence de prise en compte dans le modèle d'un
facteur «effet résiduel»
Après cette présentation de la théorie,
sa méthode et ces insuffisances, nous nous inspirons des
résultats de la théorie basée sur deux facteurs pour
l'application à notre modèle qui comporte trois facteurs
> Résultats de l'application de la
méthode
L'application part de la linéarisation de la fonction de
production utilisé dans ce mémoire, et en dérivant par
rapport au temps, on obtient,
? L?
L
^
?
4
V? V
4 Sont les élasticités
estimées par le
MCE.
Tableau 12 : Analyse de la contribution de la PGF
et des inputs à la croissance du PIB agricole
ANNEE
|
v? /
y
|
?
/
|
? /
|
L? /
~
|
^
|
1990
|
ND
|
ND
|
ND
|
ND
|
ND
|
1991
|
0,08093427
|
0,00012238
|
0,03456077
|
0,00438005
|
0,04187106
|
1992
|
0,00653266
|
0,00077575
|
0,0308074
|
0,00423625
|
-0,02928674
|
1993
|
0,10134798
|
0,00013577
|
0,0738485
|
0,00120219
|
0,02616153
|
1994
|
0,03263826
|
2,2007E-05
|
0,06457262
|
0,00119109
|
-0,03314746
|
1995
|
0,05794557
|
0,0003496
|
0,05795346
|
0,0011802
|
-0,00153768
|
1996
|
0,0560166
|
0,00025977
|
0,05292586
|
0,0011695
|
0,00166147
|
1997
|
0,06090373
|
4,7853E-05
|
0,04854329
|
0,00115899
|
0,0111536
|
1998
|
0,05222222
|
6,607E-05
|
0,04405778
|
0,00114868
|
0,0069497
|
1999
|
0,05983809
|
-8,0917E-06
|
0,0394121
|
0,00113854
|
0,01929554
|
2000
|
0,04516772
|
0,00026292
|
0,03445198
|
0,00112858
|
0,00932424
|
2001
|
0,06387035
|
0,0001363
|
0,02995771
|
0,0011188
|
0,03265754
|
2002
|
0,02449223
|
0,00036603
|
0,02622655
|
0,00110918
|
-0,00320952
|
2003
|
0,02244898
|
-0,00025535
|
0,02327062
|
0,00109973
|
-0,00166602
|
2004
|
0,06301682
|
0,00011073
|
0,02098335
|
0,00109043
|
0,04083231
|
2005
|
-0,00831545
|
0,00025584
|
0,01938192
|
0,00108129
|
-0,02903451
|
2006
|
0,05545037
|
0,01312611
|
0,01805781
|
0,00107231
|
0,02319414
|
2007
|
0,04228601
|
0,01094377
|
0,01666763
|
0,00106347
|
0,01361113
|
2008
|
0,03565282
|
0,00263742
|
0,01551401
|
0,00105478
|
0,0164466
|
2009
|
0,02503667
|
-0,00748516
|
0,01447154
|
0,00104623
|
0,01700405
|
MOYENNE DE LA PERIODE
|
0,04618347
|
0,00115104
|
0,035035
|
0,00145633
|
0,0085411
|
CONTRIBUTION A LA CROISSANCE EN %
|
100
|
2,49231533
|
75,8604691
|
3,15335981
|
18,4938558
|
Source : calculs de l'auteur
sur EVIEWS à base des données collectées
La première colonne montre la croissance du PIB
agricole, les trois colonnes suivantes montrent respectivement la
contribution du capital physique, du capital humain et de la main d'oeuvre
à la croissance. La dernière colonne
montre la contribution de la PGF. On constate que la
croissance du PIB est en moyenne de 4,62%, ce qui est inférieur au 6,7%
reconnu nécessaire par les instances internationales, notamment par les
études de l'IFPRI pour que l'agriculture assure tous les rôles qui
lui sont attribués. La contribution du capital humain est la plus
élevée (76%), ce qui montre l'importance de ce facteur pour la
croissance durable de l'agriculture. La faiblesse du capital physique peut
être expliquée par le fait que l'agriculture béninoise est
encore fortement dépendante du petit outillage et du faible
investissement privé presque négligeable du secteur. La PGF quant
à elle occupe 18,5% de la croissance agricole. Ce pourcentage
attribué à tort ou à raison13 au progrès
technique montre la faiblesse de la technologie utilisée par
l'agriculture béninoise à l'ère du renouveau
démocratique.
4.2. Analyse de l'amélioration de la croissance
du PIB agricole par les facteurs de production
Cette analyse se fera par l'approche de la causalité au
sens de Granger. > Définition de la
méthode
En économétrie, la causalité entre deux
chroniques est généralement étudiée en termes
d'amélioration de la prévision selon la caractérisation de
Granger, ou en termes d'analyse impulsionnelle, selon les principes de SIMS. Au
sens de Granger, une série « cause » une autre série si
la connaissance du passé de la première améliore la
prévision de la seconde. Selon SIMS, une série peut être
reconnue comme causale pour une autre série, si les innovations de la
première contribuent à la variance d'erreur de prévision
de la seconde. Entre ces deux principaux modes de caractérisation
statistique de la causalité, l'approche de Granger est certainement
celle qui a eu le plus d'échos chez les économètres ; elle
sera donc retenue dans le cadre de cette étude.
Le fondement de la définition de Granger est la
relation dynamique entre les variables. Comme indiqué, elle est
énoncée en termes d'amélioration de la
prédictibilité d'une variable. Chez Granger, la succession
temporelle est centrale et on ne peut discuter de la causalité sans
prendre en considération le temps (Sekkat, 1989).
13 Les insuffisances de ce facteur sont
exposées plus haut
> Présentation du test
Pour que la définition de la causalité
proposée ci-dessus soit opérationnelle, il faudrait (Pizzaro
Rios, 1993) que les variables soient des variables pertinentes. Dans le cas
contraire, on obtiendrait des régressions fallacieuses (spurious
regressions) selon la terminologie de Granger et Newbold (1974) ; le
prédicteur optimal doit être un prédicteur linéaire
; les séries soient stationnaires ou rendues stationnaires par
transformation linéaire (variables intégrées) ou non
linéaire (transformation de Box-Cox). Le test de Granger propose
d'estimer par la méthode des moindres carrés les deux
équations suivantes :
?(i ? iY i
i= i=
i
Y ? XiY i ? i i
i= i=
Un test d'hypothèses jointes permet de conclure sur le
sens de la causalité. Ainsi causey au sens de Granger si
l'hypothèse nulle définie ci-dessous peut être
rejetée au profit de l'hypothèse alternative :
2
u oi u e i #
De façon analogue, y cause au sens de Granger si
l'hypothèse nulle définie cidessous peut être
rejetée au profit de l'hypothèse alternative :
2
u oi u e i #
Ce sont donc des tests de Fisher classiques. Par ailleurs, si
l'on est amené à rejeter les deux hypothèses nulles, on a
une causalité bidirectionnelle, on parle de boucle rétroactive
(feedback effet). L'hypothèse nulle est acceptée si la
probabilité ou P-value associée au test est supérieure
à 5%.
Tableau 13 : Résultats du test de
causalité au sens de GRANGER
HYPOTHESE NULLE AU SENS DE GRANGER
|
STATISTIQUE DE FICHER
|
P- VALUE
|
D(LOG(SKP_A)) ne Cause pas D(LOG(PIBK_A))
|
0.13923
|
0.71427
|
D(LOG(PIBK_A)) ne Cause pas D(LOG(SKP_A))
|
1.06861
|
0.31764
|
|
|
|
D(LOG(SKHA)) ne Cause pas D(LOG(PIBK_A))
|
9,71684
|
0.00706
|
D(LOG(PIBK_A)) ne Cause pas D(LOG(SKHA))
|
3,39037
|
0,08544
|
|
|
|
D(LOG(PAO_A)) ne Cause pas D(LOG(PIBK_A))
|
0.25951
|
0.61787
|
D(LOG(PIBK_A)) ne Cause pas (LOG(PAO_A))
|
5.27371
|
0.03647
|
|
|
|
D(LOG(SKHA)) ne Cause pas D(LOG(SKP_A))
|
0,00437
|
0 ,94819
|
D(LOG(SKP_A)) ne Cause pas D(LOG(SKHA))
|
0.10242
|
0,75336
|
|
|
|
D(LOG(PAO_A)) ne Cause pas D(LOG(SKP_A))
|
0.00001
|
0.99743
|
D(LOG(SKP_A)) ne Cause pas D(LOG(PAO_A))
|
0.04296
|
0.83860
|
|
|
|
D(LOG(PAO_A)) ne Cause pas D(LOG(SKHA))
|
11,6868
|
0,00381
|
D(LOG(SKHA)) ne Cause pas D(LOG(PAO_A))
|
0,09395
|
0,76343
|
Source : calculs de l'auteur
sur EVIEWS à base des données collectées
Les P-values mis en gras sont tous inférieurs à
5%, les hypothèses nulles correspondantes sont toutes rejetées,
on en déduit que dans l'agriculture béninoise :
- L'amélioration du capital humain cause
l'amélioration de la valeur ajoutée (PIB)
- L'amélioration de la valeur ajoutée cause
l'amélioration de l'emploi effectif
- L'amélioration de l'emploi effectif cause
l'amélioration du capital humain Ainsi, la croissance de ces trois
variables forme une boucle rétroactive quiinspire quelques
recommandations de politique économiques pour le secteur.
|
|