CHAPITRE 4 : LA FONCTION DE REACTION DE LA BEAC : UN
COMPOSITE DE REGLES MONETAIRES SIMPLES
Les estimations précédentes nous ont conduits
à conclure sur une non adéquation des règles
monétaires simples (Taylor et McCallum) dans l'explication de la
politique monétaire de la BEAC. Raison pour laquelle nous nous sommes
attelés à rechercher une fonction de réaction pour la BEAC
qui a les capacités de se constituer en règle monétaire
pour cette institution. En fait, afin de tenir compte des
spécificités de chaque économie, il est nécessaire
d'apporter des modifications supplémentaires à la règle de
Taylor originale. Il s'agit en clair de l'intégration d'arguments
supplémentaires comme variables explicatives, lesquelles peuvent avoir
un impact sur la prise des décisions des autorités
monétaires lors de la fixation des taux directeurs. Ainsi, l'objectif de
ce chapitre est de mettre sur pied une règle monétaire permettant
de traduire fidèlement le comportement de la BEAC en termes de conduite
de la politique monétaire. Pour cela, nous présentons dans une
première section les spécificités de la zone CEMAC ainsi
que les variables que nous devons ajouter à la fonction de Taylor en vue
d'obtenir la meilleure règle pour la BEAC. Dans une seconde section,
nous estimons la règle de la BEAC et présentons ses
implications.
Section 1 : SPECIFICITES DE LA ZONE CEMAC ET
VARIABLES
ADDITIONNELLES
Chaque pays ou chaque zone monétaire a des
spécificités qui lui sont propres. Et ces particularités
sont d'une importance capitale dans la détermination des fonctions de
réactions voire des règle monétaires des banques
centrales. En fait, dans l'histoire monétaire de chaque pays ou de
chaque zone monétaire, on note de nombreux évènement qui
ont entrainé un tournant majeur dans la conduite de la politique
monétaire. La BEAC n'est pas épargnée par ce
phénomène et ceci nous amène donc dans un premier temps
à présenter l'évolution de la politique monétaire
de la BEAC ainsi que les différents évènements majeurs qui
ont marqué son histoire monétaire. Suite à ces
différents aspects de la politique monétaire de la BEAC, nous
retenons des paramètres que nous ajoutons à la fonction de
Taylor. Ainsi, dans un deuxième temps, nous présentons les
résultats d'estimations de la règle résultante et nous
interprétons ses résultats en vue de déterminer les
limites et les perspectives de cette étude.
A. Evolution de la politique monétaire de la
BEAC
L'objectif ici est de nous rafraichir la mémoire sur
l'histoire monétaire de la BEAC. L'importance d'une telle partie est
qu'elle nous permet de saisir en quoi la zone franc est différentes des
autres zones monétaires. En plus, la segmentation de cette histoire en
deux sous périodes nous permet de cerner sans beaucoup de
difficultés les différentes évolutions observées
dans la gestion monétaire en Afrique Centrale. Ainsi, nous analyserons
la politique monétaire de la BEAC avant 1990 et après 1990.
1. La politique monétaire de la BEAC avant
1990
Le 21 décembre 1853, un décret impérial
autorisait la Banque du Sénégal à traiter des
opérations de banque, de prêts, d'escompte et d'émission en
Afrique Française. Quelques années plus tard, le privilège
d'émission pour les territoires français d'Afrique Occidentale et
équatoriale sera conféré à la Banque de l'Afrique
Occidentale (BAO) par décret signé le 29 Juin 1901. Cette banque
d'émission va s'installée au Cameroun et en Afrique Equatoriale
Française (AEF) respectivement en 1921 et 1925. Suite au ralliement de
l'AEF et du Cameroun au Général de Gaulle en Août 1940, la
Caisse Centrale de la France Libre fut créée par ordonnance du 2
décembre 1941. Par la suite, l'ordonnance du 2 Février 1944
change la Caisse Centrale de la France Libre en Caisse Centrale de la France
d'Outre-Mer. Jusqu'ici, l'Afrique Centrale ne possède pas encore un
institut d'émission qui lui est propre et le FCFA à cette
époque n'a pas encore vu le jour. Il faut attendre le 26 décembre
1945 pour voir la zone Franc et les Francs coloniaux18 êtres
officiellement créés. Un aspect à noter ici est la
parité fixe qui existe entre le CFA et le Franc Français (FF)
d'où 1 FCFA = 1,70 FF (ancien). Jusqu'à cette date l'Afrique
Centrale (dénommée AEF et du Cameroun) ne possède pas
encore d'un institut d'émission autonome et donc n'a pas une autonomie
monétaire. Le 18 Octobre 1948, la parité passe à 2 FF
(ancien). La réforme du régime de l'émission en AEF et au
Cameroun par décret du 20 Janvier 1955 conduit à la
création de l'institut d'émission de l'AEF et du Cameroun. La
convention d'ouverture du Compte d'Opérations intervient le 29
décembre 1955. Cet Institut d'Emission deviendra la Banque Centrale des
Etats de l'Afrique Equatoriale et du Cameroun (BCEAEC) par ordonnance du 4
Avril 1959 suite au regroupement de cinq (05) Etats d'Afrique Centrale à
savoir : le Cameroun, la République Centrafricaine, le Congo, le Gabon
et le Tchad. Parallèlement, il est décidé que la monnaie
émise sera le FCFA (défini comme le Franc de la Communauté
Financière Africaine) dont la parité, à l'égard du
Franc Français19 est de 1FCFA = 0,02 FF. A partir de cette
date nous voyons déjà se dessiner l'arriver de la BEAC et d'une
politique monétaire propre à la sous région CEMAC. C'est
ainsi qu'une dizaine d'années après les indépendances, le
22 novembre 1972 à Brazzaville, les hautes autorités des cinq
Etats de la Sous-région cités ci-dessus signèrent une
Convention de Coopération monétaire, donnant ainsi naissance
à la Banque des Etats de l'Afrique Centrale (BEAC), qui est l'institut
multinational chargé notamment d'émettre la monnaie commune, le
Franc de la Coopération Financière Africaine (FCFA), et de
gérer donc par là le pool commun des réserves de change et
ainsi conduire la politique monétaire de la sous-région CEMAC
même si nous ne sommes pas encore à cette appellation. Cependant,
il faut encore attendre le 2 Avril 1973 pour voir la BEAC fonctionner sur le
terrain. La signature de la Convention de Coopération monétaire
le 23 Novembre 1972 à Brazzaville au Congo, va entrainer cinq (05) faits
majeurs parmi lesquels :
+ La liberté des transferts en Zone Franc ;
+ La convertibilité illimitée entre les
différentes monnaies de la Zone Franc et l'harmonisation des
règlementations de change ;
+ Les parités fixes entre les différentes monnaies
de la Zone Franc ;
18 FCFA qui signifie à cette époque
Franc des Colonies Françaises d'Afrique
19 Il est important ici de noter qu'au 1er
janvier 1960 (date de proclamation de l'indépendance du Cameroun), il
sera créé en France un nouveau Franc Français. Il s'agit
donc de la parité avec ce nouveau Franc Français.
+ La garantie du trésor Français à la
monnaie émise par la BEAC ;
+ La centralisation des réserves de change dans un
compte spécial appelé « Compte d'opérations »
ouvert par la BEAC auprès du Trésor Français. Ce compte
est destiné à recevoir au moins 65% des réserves de la
BEAC.
Ce bref rappel historique nous permet de dire que
l'organisation monétaire actuelle trouve son origine dans la
période coloniale, puis a évolué en relation avec les
changements politiques intervenus dans les Etats membres à partir de
leur indépendance.
A ces évènements nous pouvons ajouter d'autres
tel le passage au 29 Avril 1974 de la durée maximum des crédits
à moyen terme de sept (7) à dix (10) ans. En outre, en date du 27
Juillet 1977, il sera instituée une nouvelle procédure de
mobilisation simplifiée des crédits à l'économie
(préfiguration de la procédure de mobilisation en compte
courant), en remplacement de la procédure de réescompte. Le
nouveau système suppose l'ouverture à chaque banque d'un compte
courant garanti par le dépôt d'effets à six mois
d'échéance maximum. Les effets admis sont ceux souscrits par des
entreprises éligibles au réescompte. Notons que le 1er
Juillet 1981 avait été retenu comme la date d'entrée en
vigueur de la procédure de mobilisation en compte courant. Tout comme la
procédure de réescompte, ce mode de refinancement des banques
primaires repose sur le système de plafond de réescompte
individuel par banque (cotes obligatoires). Toutes ces réformes ont pour
objectif de crédibilisé la politique monétaire telle
qu'elle est menée par la BEAC. Ce qui semble porter ses fruits car,
cette coopération monétaire va s'élargir à six pays
dorénavant avec l'adhésion de la Guinée Equatoriale en
date du 1er janvier 1985 au taux de 1FCFA = 4 Bipkwelés
(monnaie guinéenne). Un an plus tard, et plus précisément
le 25 Mars 1986, il est admis le principe d'un réaménagement plus
régulier que par le passé des taux d'intervention de la Banque.
Cette dernière règlementation nous conduit de plus en plus
à une modification de la gestion des taux d'intervention de
l'institution. Ce qui se concrétisa le 16 Octobre 1990 avec l'ouverture
du débat sur les réformes monétaires à
Yaoundé. Et ce débat aboutit à la décision de
suppression du taux d'escompte privilégié de la Banque tout en
donnant délégation permanente au Gouverneur pour la
révision des taux d'intervention de la BEAC, les opérations
initiées par le système bancaire, chaque fois que l'exige la
situation économique monétaire.
Dans cette perspective et pour favoriser l'intégration
des Trésors Nationaux aux conditions du marché, il est
décidé d'opérer la jonction entre le taux des avances aux
Trésors nationaux jugé anormalement bas (il était de 4% de
1977 à 1987) et le taux normal. A cet effet, le mécanisme
d'alignement automatique du taux des trésors nationaux, sur le taux
normal des interventions de la BEAC, prévoyait l'augmentation du taux
des avances aux trésors d'un point tous les six mois, à compter
de Mars 1991 (jusqu'à ce qu'il rattrape le taux directeur de la BEAC).
De même, il a été décidé que le taux de
pénalité applicable aux avances aux Trésors doit
être relevé dans les mêmes conditions jusqu'à ce
qu'il atteigne le taux de pénalité aux banques. Dans tous les
cas, la révision des taux applicables aux avances aux Trésors
nationaux continue de relever de la compétence du Conseil. Il en est de
même de la fixation du taux directeur qui est faite de la même
manière. Ce mécanisme de fixation ne tient pas compte du niveau
de l'activité ou de la production de la sous région. Ce qui est
visible par une courbe de taux d'intérêt en forme d'escalier.
81 82 83 84 85 86 87 88 89 90 91 92 93
TIAO
Source : graphique obtenu
à l'aide des données publiées par la BEAC
Figure n°6 : évolution du
TIAO avant la mise sur pied du marché monétaire en zone
BEAC
Ce schéma montre clairement que le taux
d'intérêt directeur de la BEAC était fixé par un
Conseil qui ne tenait pas compte de la conjoncture interne de la sous
région. Ce qui traduisait donc une inadaptation de la politique
monétaire menée par la BEAC aux conditions de la zone.
D'où la vague de réforme observée dans la conduite de la
politique monétaire à compter des années 1990.
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