2.2. Etat de la question
L'objectif du présent travail est d'étudier la
relation qui pourrait exister entre les types d'attachement et les conduites
addictives. Pour ce faire, nous passons en revue les travaux ayant un lien avec
les types d'attachement aux figures parentales et / ou les conduites addictives
en vue de la spécification de notre problème.
Bowlby (1954) expérimentait
l'existence de liens entre les séparations précoces
prolongées et les futurs comportements délinquants et agressifs
avant la mise au point de sa théorie de l'attachement. Bowlby
(1960) décrivait les peurs phobiques de l'enfant comme des
conséquences possibles de l'angoisse de séparation. En 1969,
plusieurs recherches effectuées sur certains échantillons
psychiatriques montrèrent que la personnalité psychopathique et
la dépression, suivies de délinquance accentuée et d'une
propension au suicide, étaient associées à de
fréquentes ruptures de liens affectifs durant l'enfance. Toutes les
formes d'anxiété seraient d'après Bowlby
(op.cit.) en relation avec l'attente de disponibilité de la figure
d'attachement. En 1980, une étude (Bowlby, Spitz &
Goldfarb) a démontré l'existence de lien entre
psychopathologies de l'adulte et dysfonctionnements plus ou moins
précoces de l'attachement.
Ces différents travaux montrent l'existence d'un lien
entre les difficultés de l'attachement et les troubles de comportements
mais ne déterminent pas la présence des addictions dans ces
troubles de comportements.
Hall et coll. (1990) ont
réalisé une étude prospective auprès des
alcooliques. Dans leurs explications, les alcooliques ont associé leur
rechute à un état de stress. Cette étude,
s'intéressant également aux situations ou
événements qui peuvent déclencher la rechute des
alcooliques, relève la prudence avec laquelle il faut considérer
les explications des toxicomanes. Cela signifie qu'il peut avoir d'autres
variables intrinsèques à la personnalité du toxicomane que
lui-même peut ignorer.
Il s'agit là d'une étude qui a établi une
relation entre l'état de stress et la rechute dans l'alcoolisme. Nous
voulons dans la présente étude prendre en compte les types
d'attachement aux figures parentales et étendre les addictions aux
différentes drogues.
Goldberg (1990) met en évidence que
les nourrissons (suivis jusqu'à l'âge de huit ans), qui
présentaient un lien sécurisant étaient plus
compétents intellectuellement et socialement que ceux dont l'attachement
était anxieux.
L'expérience de Goldberg conduit
à admettre l'existence d'une relation entre la qualité de
l'attachement en bas age et les problèmes de comportement à la
période scolaire. Notre étude considère les conduites
addictives comme étant les problèmes de comportements liés
à la qualité de l'attachement contrairement aux
difficultés scolaires.
Harris, Brown et Bifulco (1990) ont
mené une étude auprès de femmes qui avaient perdu leur
mere dans l'enfance. Le taux de dépression dans ce groupe était
significativement plus élevé que dans
le groupe témoin : 30% au lieu de 10 %. Sur le plan
social, ces femmes avaient eu une carence de soins dans l'enfance ; cela
conduisait fréquemment à des grossesses qui survenaient hors
mariage et à un choix de partenaire peu étayant, ainsi
qu'à des conditions de vie défavorisées. La composante
psychologique retrouvait un sentiment de désespoir (hopelessness)
important, qui avait débuté dans l'enfance au moment de la perte,
associé à un sentiment de manque de maîtrise.
Harris, Brown et Bifulco (op.cit.) ont recherché, en
plus de ces difficultés, l'existence de styles d'attachement
vulnérables (vulnerable attachment styles), c'est-à-dire des
difficultés dans les relations interpersonnelles. Ils ont trouvé
que c'était ce dernier point qui était relié le plus au
risque dépressif.
Il ressort de cette étude que le style d'attachement
vulnérable est à l'origine de la dépression mais cette
étude n'a pas révélé la possibilité de
tomber dans les addictions face à ce style d'attachement
vulnérable.
Marlatt et Larimer (1990) dans leur
étude initiale sur les alcooliques, ont demandé aux personnes qui
avaient rechuté de décrire les situations qui avaient
déclenché cette rechute, au moment du suivi. Ils ont
constaté que les situations relevées par les alcooliques
pouvaient être classées en catégories et que près
des trois quart des rechutes étaient associés à trois
d'entre elles : les états émotifs désagréables, la
pression sociale et les conflits interpersonnels.
Cette étude a bien pu noter certains facteurs
psychologiques et psychosociaux provoquant la reprise des conduites de
consommations. Mais, elle n'a pas lié ces facteurs
expliquant la reprise des consommations aux types d'attachement parental.
Loeber (1991) affirme qu'il existe une
période critique durant l'enfance où des évènements
comme la séparation d'avec la mere, une succession de figures
maternelles ou une pauvre qualité des soins, font le lit de
comportements antisociaux.
Carlson et coll. (1998) ont pu montrer les
liens directs entre attachement désorganisé dans l'enfance et
risque de troubles dissociatifs à la fin de l'adolescence. C'est dire la
gravité d'un tel attachement qui pourrait à lui seul servir de
critère de recherche dans ce domaine. Les troubles de l'attachement
installés précocement peuvent générer des troubles
irréversibles qui vont persister chez l'adolescent puis chez l'adulte
sous la forme de difficultés d'adaptation aux évènements
et au milieu de vie. En cas d'attachement insatisfait, l'enfant reste
collé à sa mere, n'ose pas s'en éloigner, n'ose pas
explorer le monde, ce qui altère ses capacités d'apprentissage et
peut même dans certains cas entraîner une déficience
intellectuelle.
Les études de Loeber et
Carlson mettent en évidence une corrélation
entre les types d'attachement parental et les comportements délinquants,
les problèmes comportementaux de type « internalisation »
(dépression, anxiété, incapacité à
gérer le stress) mais n'explorent pas les conduites addictives dans les
modes de vie des sujets.
Sur la base de leur méta-analyse, Van
Izendoorn, Schuengel, Bakermans-Kranenberg, (1999) soulignent que les
jeunes dont
l'attachement est insécure désorganisé /
désorienté auraient beaucoup de difficultés à
gérer le stress et courent un risque élevé de troubles du
comportement externalisés.
Le travail de Van Ijzendoorn et coll. met en
relation le type d'attachement parental et la vulnérabilité aux
troubles de comportements externalisés mais n'extrapole pas ces troubles
de comportements pour constater les conduites addictives dans lesquels affalent
ces sujets.
En 2001, une étude (Nardeau & Bertrand)
menée à Montréal dans le cadre d'un projet sur
l'inadaptation grave et persistante chez les toxicomanes, a montré que
pratiquement, les rechutes sont fréquentes et font partie
intégrante du processus de rémission. Les auteurs ont ainsi pu
identifier, suite aux entrevues de deux heures avec chacune de ces femmes
toxicomanes, que ces rechutes sont dues aux mêmes facteurs
associés que l'on retrouve dans la progression de la consommation, mais
aussi au contexte qu'évoquent les situations de traumatisme dans
l'enfance.
Il s'agit là d'une recherche qui met en relation les
situations de traumatisme vécues et la toxicomanie, certes, mais qui ne
s'attelle pas pour définir les types d'attachement parental liés
à ces traumatismes vécus dans l'enfance.
Djassoa (1990) a travaillé sur le
phénomène de la marginalité juvénile à
Lomé. Il aborde l'importante question des conséquences à
long terme de perturbations de l'attachement chez les jeunes. Il
illustre, l'insécurité affective que connaissent
les jeunes qui ont subi des carences précoces.
En effet, il parvient à la conclusion selon laquelle
toute perturbation du milieu familial n'est pas la cause directe ni
nécessaire de la délinquance juvénile. C'est le
bouleversement psychique qu'il est susceptible d'engendrer chez le jeune qui
rend compte de la marginalité. Ainsi à partir de l'analyse de
contenu d'un échantillon de dossiers de 20 mineurs au Centre
d'Observation et de Réinsertion Sociale de Cacavelli à
Lomé, il a isolé certains facteurs pouvant conduire à la
marginalité juvénile à Lomé :
Les facteurs sociologiques tels que l'éclatement de la
cellule familiale auxquels s'associent la désintégration de la
cellule familiale traditionnelle et l'éveil du besoin d'argent par
l'introduction de l'économie de marché, entraînant des
conflits insurmontables entre la vie de famille et les activités
financièrement rentables.
Les facteurs psychologiques : le milieu familial
perturbé est vécu comme une situation d'insécurité
affective. Une telle insécurité se traduit par divers processus
psychologiques de manières diverses qui peuvent se combiner, s'intriquer
: le sentiment d'abandon affectif, la carence d'objets identificatoires,
l'angoisse de morcellement, l'intolérance à la frustration.
Les facteurs psychopathologiques : ils se résument
à un trouble relationnel précoce qui serait de type abandonnique,
et s'exprimant sous forme de carence affective.
Cette étude s'est résumée à
évaluer le bouleversement psychique que peut engendrer la perturbation
du milieu familial sur certains sujets et le phénomène de
marginalité juvénile qui peut en résulter. Notre
étude vise plutôt à estimer l'indice de relation entre les
types d'attachement et les addictions aux drogues.
Sévon (2001), dans son étude
sur « l'impact du climat affectif familial sur la personnalité de
l'enfant : cas des toxicomanes de Lomé », a montré que
l'âge actuel, le type de famille et la position occupée dans la
fratrie ne sont pas des facteurs déterminants dans l'explication de
l'étiologie de la toxicomanie. Cependant, il ressort que le
phénomène est essentiellement masculin, que la consommation se
fait en groupe et la plupart des toxicomanes le sont devenus lorsqu'ils
vivaient encore avec leurs parents géniteurs. D'après les
facteurs subjectifs, le désir d'attirer l'attention des parents
constitue un facteur déterminant. Enfin, parmi les facteurs
psychologiques, la disqualification du père (absence physique et / ou
psychique) et la surprotection maternelle sont les facteurs
prépondérants entraînant le trouble de l'organisation de la
personnalité pouvant déboucher sur la dépendance à
la drogue.
Cette étude s'est particulièrement
intéressée au climat affectif familial des toxicomanes. Nous
voulons dans la présente étude nous intéresser aux types
d'attachement parental que les jeunes toxicomanes ont connu suite à leur
climat familial.
Hattah (2007), a fait ressortir les
situations et les effets tirés des substances psychoactives qui
maintiennent la conduite de
consommation, en dépit de la connaissance des
conséquences néfastes que ces produits engendrent.
Son travail a porté sur les toxicomanes en
détention et n'a pas identifié les types d'attachement de ces
sujets. La présente recherche vise un cadre hospitalier pour mettre en
exergue les différents types d'attachement parental des sujets
addicts.
Allouky (2008) dans une étude portant
sur 38 alcooliques au Centre Hospitalier Universitaire de Kara a relevé
les conséquences organiques et psychologiques que peuvent
entraîner l'alcoolisme. Il a trouvé que la dépendance
à l'alcool conduit à des décompensations
psychopathologiques (troubles anxieux, dépressifs et psychotiques). Il a
également relevé que l'addiction à l'alcool est
liée à des facteurs externes et internes et que les facteurs
internes rendent compte de la vulnérabilité de l'individu. Il a
en effet identifié les traits de personnalité associés
à l'abus de l'alcool. Il a en outre identifié chez ces sujets de
nombreuses complications neurologiques de l'alcoolisme chronique.
Ce travail s'est limité à l'alcoolisme et n'a
pas identifié les catégories d'attachement comme facteurs
internes rendant compte de la vulnérabilité des sujets.
Bohm (2008), a mené une étude
prospective au Centre Hospitalier National Spécialisé
d'Aného portant sur les toxicomanes présentant des troubles
psychiatriques, et réadmis dans ledit centre. La présente
étude portant sur 42 patients toxicomanes avait pour objectif
d'identifier les facteurs psychologiques et / ou psychosociaux qui
provoquent la rechute. Il a également cherché
l'impact de certaines faiblesses dans la prise en charge sur cette rechute.
Ainsi, au terme de l'étude, les résultats suivants ont
été obtenus : les difficultés relationnelles, d'adaptation
et de réinsertion, les états émotionnels négatifs
de même que certains traits de personnalités des toxicomanes sont
autant de facteurs associés à la reprise des conduites
addictives. A ces facteurs s'ajoute l'influence d'une prise en charge
inadéquate.
Il s'agit d'une recherche qui a identifié que les
traits de personnalité sous-jacents et les difficultés
interpersonnelles étaient les facteurs associés à la
reprise des conduites addictives et qui n'a pas tenu compte de l'attachement
parental.
Yougbaré (2008) dans une étude
prospective à propos de 38 cas de mineurs délinquants pris en
charge par le Bureau International Catholique pour l'Enfance de Lomé, a
montré que les catégories d'attachement dans leur modalité
de « attachement insécure » étaient des facteurs
associés aux troubles psychologiques observés chez les mineurs au
Togo notamment la dépression, les troubles de la sexualité, les
troubles de la mentalisation, les troubles du sommeil, les troubles des
conduites et même la toxicomanie.
|