III-2 Les conflits liés à l'eau et leurs
types
On parle de conflit, litige ou différend lorsque l'on
est en présence de deux ou plusieurs prétentions contradictoires
ou inconciliables sur un objet déterminé, ici l'eau. Une partie
avance une prétention qui est contestée par l'autre. Tant que la
prétention d'une partie n'a pas fait l'objet de contestation par l'autre
partie, il n'y a pas de conflit mais simplement un risque de conflit. Le risque
de conflit désigne la situation qui précède la naissance
d'un conflit [GARANE, 2008].
On note deux types de conflits liés à l'eau :
- Les conflits d'usages : dans ce cas de figure,
une partie s'oppose à l'utilisation de l'eau par une autre. C'est
l'utilisation concurrente.
- Les conflits liés à la protection de
l'eau : ce type de conflit est noté lorsque, par exemple, la
population voisine d'une usine s'insurge contre la pollution occasionnée
par celle- ci.
III-2-1 Les causes des conflits liés à
l'eau
Les causes de conflits liés à l'eau sont
nombreuses. Parmi elles, on y dénombre : la mauvaise organisation, la
mauvaise répartition des ressources, les intérêts
égoïstes des parties lors de la construction des ouvrages, le
manque d'eau dans les agglomérations, la cherté des factures
d'eau, la corruption qui gangrène la société de gestion de
l'électricité (Electricité de Guinée - EDG) et les
branchements clandestins.
III-2-2 Acteurs et usages de l'eau
En Guinée, plusieurs acteurs interviennent dans le
secteur de l'eau. On peut citer parmi ces acteurs : les départements
ministériels (Hydraulique et Energie, Environnement, Agriculture et
Elevage, Mines et Géologie, Santé publique, Défense
Nationale, Eaux et Forêts ....), les collectivités locales, les
ONG. Cette gestion sectorielle de la ressource entraîne des gaspillages
à cause du manque de coordination. Cette situation, renforcée par
le caractère embryonnaire du processus GIRE engagé depuis avril
2010, conduit le plus souvent à des conflits d'usages entre les
différents acteurs. La gestion de l'eau est
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donc très difficile dans ce cas de figure à cause
du fait que les responsabilités des acteurs chevauchent le plus
souvent.
III-2-3 Typologie des conflits
Les conflits liés à l'eau résultent d'une
interaction entre la ressource elle-même et les pratiques liées
à son utilisation. En Guinée, la présence de plusieurs
acteurs caractérisés chacun par des comportements
différents les uns des autres et des besoins souvent antagoniques font
que la ressource constitue une source potentielle de conflit si cette situation
perdure.
De façon générale, Il existe en effet,
plusieurs types de conflits liés à l'eau. Ce sont :
+ les conflits entre personnes publiques (Etats,
Etats fédérés, Collectivités locales,
établissements publics) ;
+ les conflits entre personnes publiques et
personnes privées (Etat- personnes privées, collectivité
locale- personnes privées, établissements publics-personnes
privées) ;
+ les conflits entre personnes privées
(individus, associations, entreprises, ONG) [GARANE, 2008].
Les conflits liés à l'eau en Guinée
obéissent à cette classification générale.
III-2-4 Causes des conflits internes :
' Les barrages : la construction de ces ouvrages
de grande envergure entraine
toujours des contradictions. En effet, les populations qui
vivaient aux abords du site sont délogées avec toutes les
conséquences que cela comporte pour leur culture et leurs conditions de
vie. Cela conduit le plus souvent à un appauvrissement de la population
concernée. Lors de la construction du barrage de Garafiri dans la
Région de Kindia, les populations environnantes avaient
été déplacées mais les conditions de leur
relocalisation n'ont guère été satisfaisantes pour
elles.
' Accès des femmes au niveau des points d'eau :
A Conakry et dans certaines
agglomérations à l'intérieur du pays, les
populations sont obligées de faire le rang autour des forages et les
quelques rares robinets de la Société des Eaux de Guinée
(SEG) pour l'obtention d'une quantité minimale d'eau. On y rencontre le
plus souvent les femmes et les enfants. Le non respect du tour, la mauvaise
organisation et les frustrations sont les principales causes du
déclenchement des conflits. Ces derniers se manifestent d'abord par des
disputes banales et se terminent par des coups de poing. Ces frustrations et
bagarres sont observées le plus souvent dans les quartiers pauvres de la
capitale.
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v' Pollution des eaux : les eaux
guinéennes sont protégées contre la pollution au
sens des articles 31 et 32 du chapitre 9, du Code de l'Eau.
L'évacuation et le déversement dans les eaux, l'immersion ou
l'élimination de déchets dans les eaux continentales sont
soumises à l'autorisation préalable du Ministre chargé de
l'Environnement en concertation avec celui de l'Hydraulique et de l'Energie
[Loi n°L/94/ 005/CTRN du 15 février 1994].
Le manque de signature des décrets d'application de ce
code fait que les entreprises évoluent souvent sans une grande
considération pour la protection des eaux. Par exemple, on note des
problèmes de pollution des eaux à l'aval de l'Usine d'alumine de
Fria. On retrouve dans les eaux de la soude issue des fuites
enregistrées lors du processus de fabrication de l'alumine. En
conséquence, les animaux sont victimes ainsi que les populations
utilisant ces eaux. Les eaux souterraines sont également
contaminées à certains endroits. Si cette pollution n'est pas
maîtrisée, elle pourrait être source de conflits entre les
populations et l'usine.
En Haute Guinée notamment à Siguiri (environ 800
Km au Nord Est de Conakry), à cause de l'exploitation artisanale d'or et
de diamant, les eaux sont polluées dans ces endroits et entrainent des
maladies au sein des populations.
A Kamsar, dans la Préfecture de Boké, la
Compagnie des Bauxites de Guinée avait causé en 2008 une grande
pollution de la mer à cause d'une importante fuite au niveau de
l'usine.
v' La distribution de l'eau : l'Organisation des
Nations Unies a indiqué que « le
droit à l'eau consiste en un approvisionnement
suffisant, physiquement accessible et à un coût abordable, d'une
eau salubre et de qualité acceptable pour les usages personnels et
domestiques de chacun » [ONU ; 2002]. Malgré cette prescription,
l'on constate que « dans les zones urbaines, la source d'eau la moins
coûteuse et la plus fiable est souvent celle disponible auprès du
service d'approvisionnement qui entretien le réseau. Les ménages
pauvres sont moins susceptibles d'être raccordés à ce
réseau et courent un risque plus grand d'obtenir leur eau à
partir de diverses sources non potables » [PNUD ; 2006]. C'est le cas de
la banlieue de Conakry laissée pour compte depuis la fin des
années 1990. Les marges de manoeuvres des populations sont
limitées. Soit elles se procurent de l'eau à partir de forages
privés, soit elles utilisent des puits traditionnels avec tous les
risques que cela comporte, soit elles achètent au niveau des rares
robinets qui laissent passer encore quelques gouttes d'eau, soit elles
achètent des camions citernes pour les constructions.
Cette distribution mal organisée augmente la frustration
des populations et leur hostilité vis- à- vis de la
Société des Eaux de Guinée.et soulèvent des
conflits.
v' Les coûts élevés de l'eau :
la distance qui sépare les populations du lieu
d'approvisionnement fait gonfler les prix. A mesure que l'eau
passe par les intermédiaires, qui ajoutent leurs propres coûts
de transport et de commercialisation, les
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prix montent. Les personnes pauvres habitant les bidonvilles
payent généralement 5 à 10 fois plus cher le litre d'eau
que les personnes riches habitant la même ville [PNUD ; 2006]. Il
convient de noter que les coûts d'abonnement sont très
élevés en Guinée vu le niveau de vie des populations. A
ces coûts, il convient d'ajouter les lenteurs dans la mise en place des
branchements. Cette situation entraîne des fraudes sur le réseau.
De nos entretiens, nous avons relevé plusieurs formes. Ce sont :
a) Le vol des compteurs : pour pouvoir
bénéficier de la facturation forfaitaire, la majeure partie des
populations de la banlieue de Conakry a entrepris le
démantèlement systématique des compteurs sous la
complicité de certains agents de la SEG. Cette facturation forfaitaire
permet aux populations d'utiliser de manière abusive l'eau créant
des déficits énormes dans le recouvrement des investissements
;
b) Les abonnements clandestins : certaines
personnes, en complicité avec des plombiers qui parfois sont
bénévoles, parfois des agents de la SEG, font des piquages sur le
réseau pour l'approvisionnement en eau de leurs domiciles. Ces
opérations se font le plus souvent nuitamment à l'abri des
regards indiscrets.
c) Les by pass : certains individus
utilisent des by pass pour contourner le compteur pendant une bonne partie du
mois pour réduire ainsi les coûts qu'ils doivent payer à la
SEG ;
d) Le calage et le camouflage des compteurs :
pour réduire leurs factures, certains abonnés font
recours à cette pratique. Certains enterrent les compteurs rendant ainsi
difficile la lecture des données par les agents de la SEG.
v' L'eau, ressource sacrée : dans
certaines régions de la Guinée, les têtes de
source sont protégées. Ainsi, l'accès
à ces têtes de source passe par un rituel digne de nom. Par
exemple, la tête de source du Bafing en Guinée (Mamou) est sous la
garde des sages de la localité. La succession au niveau de la chefferie
se fait de manière héréditaire. Pour dissuader les plus
récalcitrants, des croyances sont développées autour de la
profanation des sources. L'on entendrait dire par exemple, celui qui profane
cette source se retrouvera aussitôt aveugle.
Du point de vue culturel, l'eau est aussi utilisée pour
les ablutions, les baptêmes des nouveaux nés, les mariages, ....
Elle intervient aussi dans l'initiation. Si de ce point de vue, elle
présente des avantages pour la société, du
côté de l'éducation, elle présente des contraintes.
En effet, à cause du manque d'eau, beaucoup hésitent à
envoyer leurs enfants à l'école, c'est le cas surtout de leurs
filles. Ces cas sont notés très souvent dans les zones rurales
où le taux d'analphabétisme est élevé.
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