I.3.2. La théorie des biens publics locaux
Parmi les contributions sur les biens publics,
l'hypothèse de Tiebout (1956) constitue une avancée significative
par rapport au modèle antérieur de Samuelson (1954). Tiebout
(1956) s'est intéressé au problème du découpage
optimal d'un territoire en sous-ensembles pertinents. Il reprend l'introduction
de la notion de bien public pur au modèle d'équilibre
général. Il s'en dégage, cependant, en privilégiant
la dimension spatiale des biens publics.
L'hypothèse centrale de son modèle est double,
elle énonce à la fois l'existence d'une information parfaite et
la parfaite mobilité spatiale des ménages. Cette mobilité
s'exprime comme une fonction des différences entre les niveaux de
revenu, d'imposition et de dépense entre les collectivités
territoriales. Nous rappelons la définition à partir des
caractéristiques spatiales des biens publics.
Les biens publics locaux sont définis comme des biens
publics plus ou moins divisibles - autrement dit des biens mixtes - à
effets géographiques relativement circonscrits à un territoire
donné et à qualité variable selon l'intensité
d'utilisation. Trois propriétés exposées dans l'ouvrage de
Derycke et Gilbert (1988) permettent de spécifier les biens publics
locaux (BPL). Il s'agit du principe de divisibilité, des effets
géographiques limités et effets de débordement, et les
phénomènes de congestion et d'encombrement. Cette dernière
propriété est également propre aux biens mixtes. Nous
rappelons simplement que le phénomène de congestion existe dans
la gestion des déchets ménagers sous la forme d'une fonction
croissante. La qualité du service dépend du nombre d'usagers.
Examinons alors les deux premières propriétés. Le principe
de divisibilité connaît quelques approfondissements.
L'auteur considère que la quantité
demandée (Qid ) de BPL exprimée par les
ménages
dépend de la quantité offerte (Qo) et du nombre
d'usagers (N). La demande de
service s'exprime donc sous la forme d'une fonction dont les
arguments sont
le nombre d'usagers (N) et la quantité offerte (Qo). La
gestion des déchets ménagers étant un bien mixte, elle
présente des caractéristiques plus ou moins divisibles selon les
étapes du service. Ces caractéristiques ont déjà
été exposées en terme de rivalité et d'exclusion
La fonction d'équilibre s'écrit dés lors
sous la forme suivante :
Qi
d = Qo N - a avec 0 < a <
1
Où a est le paramètre de
divisibilité,
N :le nombre d'usagers du bien public,
Qi
d :la quantité demandée de service,
Qo : la quantité offerte de service.
Au niveau de la collecte le bien est parfaitement divisible
alors que pour les étapes suivantes, le transport et le traitement, la
divisibilité est partielle. Ce caractère peut être
expliqué par la portée spatiale. Le service de transport et de
traitement concerne de manière différente les individus selon
leur localisation par rapport à l'endroit où ces biens sont
disponibles. La zone
géographique ici évoquée est une rue ou
un quartier desservis par les camions de collecte. Une fois les déchets
ménagers collectés, ils sont transportés vers le lieu de
traitement. Etant donnée la capacité de contenance limitée
des camions de collecte, le transport est effectué pour une rue ou un
quartier, d'où la dimension géographique du transport. Ensuite,
le lieu de traitement accueille en général les déchets
d'une zone géographique bien délimitée, au
niveau d'une ville ou d'une communauté urbaine. Cette
dimension spatiale du service peut se traduire par des inégalités
dans la mesure où les quartiers non accessibles par les camions de
collecte seront moins bien desservis que les quartiers bien structurés
où les rues sont
facilement accessibles. Dans la plupart des villes ouest
africaines le centre ville est ainsi favorisé pour la collecte alors que
les quartiers périphériques dont les rues ne sont pas toujours
bitumées et accessibles aux camions sont désavantagés.
Dans le meilleur des cas la collecte y est effectuée par apport
volontaire dans des bacs publics disposés dans des endroits accessibles
aux camions de collecte. A propos du traitement la dimension spatiale entre
également en considération puisque pour les
quartiers situés loin du lieu de traitement, la décharge le plus
souvent, ont un coût de transport supérieur aux quartiers les plus
proches.
La seconde propriété porte sur les effets
géographiques limités et les effets de débordement.
Souvent un équipement municipal construit par une commune au centre
d'une agglomération, profite en partie aux habitants de communes
voisines sans que celles-ci offrent symétriquement un bien dont
pourraient profité les habitants du centre. Ce phénomène
est désigné par l'effet de débordement non
réciproque (Benefits Spillovers). En sens inverse, il
existe des effets de débordement réciproques
mais non symétriques lorsque les habitants de la
périphérie jouissent davantage des services collectifs offerts au
centre et que les habitants du centre ne profitent des équipements de la
périphérie. Face à de telles manifestations, la
théorie des biens publics locaux propose des subventions correctrices
car la production du bien n'est
plus optimale. De la même manière, les
phénomènes d'encombrement sont traités en terme de
tarification de l'usage des infrastructures. De manière
générale la théorie des biens publics locaux
débouche sur des analyses de la fiscalité de l'économie.
La dimension locale ou spatiale de la gestion des déchets
ménagers peut ainsi être spécifiée à partir
de la notion d'effet géographique limité et de la notion d'effet
de débordement. L'effet géographique limité a
déjà été mis en évidence. La collecte, le
transport et le traitement des déchets ménagers sont
effectués pour une zone géographique bien
déterminée, la rue ou le quartier,
compte tenu des contraintes techniques telles que la
contenance des camions de collecte. A savoir si ces effets géographiques
donnent lieu à des effets de débordement symétriques ou
non, il convient d'établir une comparaison de différentes zones
géographiques pour chacune des étapes du service. La collecte et
le transport en tant que tels ne correspondent à aucun
effet de débordement. Le fait d'enlever et de
transporter les déchets ménagers d'un ménage ne semble pas
de prime abord profiter à un autre usager quelle que soit la zone
géographique considérée. Cependant en tenant compte de la
suppression des effets externes négatifs alors l'effet de
débordement apparaît. En revanche, le traitement des
déchets ménagers appelle sur ce point quelques
précisions.
Dans la grande majorité des villes en Afrique, la mise
en décharge constitue le mode de traitement des déchets
ménagers, comme dans la plupart des pays en développement. La
décharge accueille les déchets ménagers collectés
dans l'ensemble de la ville, en ce sens elle profite à tous les
ménages et pourtant les nuisances (odeurs, pollution...) qu'elle
dégage sont essentiellement subies par les ménages riverains.
L'effet de débordement est asymétrique dans la mesure où
les ménages situés au centre d'une agglomération
bénéficient d'un lieu de traitement et des nuisances
associées, éloignés.
De nouvelles propriétés ainsi définies
permettent de qualifier la gestion des déchets ménagers comme un
bien public local. Outre la reformulation de la propriété de
divisibilité du service, l'existence d'effets géographiques
limités pour l'ensemble des étapes du service et l'existence
d'effets de débordement surtout au niveau du traitement soulève
de nouveaux aspects du service non négligeables. Notamment, des
inégalités susceptibles de résulter des effets de
débordement soulèvent des interrogations sur les
questions d'équité et d'efficacité.
|