E nseignant.e.s et animateur .e.s
face a la socialisation genrée
des jeunes
Mémoire de master 2, parcours «
Ingénierie et intervention sociales »,
Dans le
cadre d'un stage au service du Développement Social Urbain à la
mairie de Bordeaux
Par Noémie Lequet
Sous la
direction d'Agnès Villechaise
Juin 2012
Illustration : Aurélien Moser
Remerciements
Je tiens à remercier l'ensemble des professionnel.le.s
qui m'ont accordé de leur temps, et sans qui ce travail aurait
été amputé de ses précieux témoignages.
Merci à Yves Raibaud qui a su se rendre disponible pour
me recevoir et me conseiller.
Je remercie également Agnès Villechaise,
directrice de recherche, et Eléonore Bécat, directrice de stage,
qui m'ont accompagné et guidé chaque fois que le besoin s'en
faisait sentir.
Une pensée toute particulière à mes proches
m'ayant soutenue, relue et conseillée.
TABLE DES MATIERES
INTRODUCTION 5
La commande de la mairie de Bordeaux 5
Problématique et hypothèses 6
PARTIE 1 - CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
8
I-
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Cadre théorique : les « gender studies
»
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9
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1-
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Le genre : concept issu des luttes féministes
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9
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2-
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La socialisation de genre
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11
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3-
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Un modèle hétéronormatif
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12
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II-
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Description de la méthode et du panel
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13
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1-
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Cadre méthodologique
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13
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Une méthode qualitative
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13
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Les territoires d'étude
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14
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|
2-
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Description du panel des enquêtés
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15
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PARTIE 2 - PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS
17
I-
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|
L'organisation des structures : mettre en place et
gérer la mixité
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18
|
|
1-
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Mettre en place la mixité
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18
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|
Chantecler et l'espace Lagrange : une organisation
genrée non problématisée
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18
|
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|
Les centres sociaux du quartier Bastide : une prise de
conscience in-extremis
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21
|
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2-
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Gérer la mixité
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25
|
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L'école et les lieux de loisirs : des espaces
genrés
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25
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|
La mixité scolaire de fait : pour ou contre
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27
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|
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Prévenir et réagir aux situations de sexisme et
d'homophobie
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28
|
II-
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|
Les représentations genrées des
professionnel.le.s
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33
|
|
1-
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Une non-sensibilisation au genre
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33
|
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Le genre absent des formations initiales
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33
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Une sensibilisation tardive mal répartie sur le
territoire
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36
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2-
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Leurs regards sur les jeunes
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38
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Des différences garçons / filles observables
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38
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Des relations plus ou moins tendues
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40
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Un discours sur les représentations des jeunes
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41
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Le sexisme, l'homophobie : ailleurs, mais pas ici
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43
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De l'importance de la variable adolescence
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45
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|
La pression du groupe à la conformité
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47
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|
3-
|
Les représentations de genre : des regards sur l'homme et
la femme
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48
|
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|
La répartition des rôles et des tâches : des
différences complémentaires
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48
|
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|
Une essentialisation des différences de sexe et de genre
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51
|
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L'inné et l'acquis
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52
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Des valeurs changeantes
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54
|
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|
|
3
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Images de la féminité et de la virilité
55
Pouvoir et soumission : des sensibilités
différentes 58
Hétéronormativité, homosexualité,
homoparentalité 62
III- Des institutions génératrices de
différenciation 64
1- Produire des hommes et des femmes 65
2- Sexisme et homophobie 66
3- Un destin sexué 67
PARTIE 3 - ENJEUX OPERATIONNELS ET SCIENTIFIQUES
69
I- Enjeux pour le commanditaire : l'offre de formation
70
1- Evaluation des participants à « Cet autre que moi
» 70
2- La formation au genre 73
II- Enjeux scientifiques 74
1- Intersections 74
2- « Gender mainstreaming » 77
CONCLUSION 79
BIBLIOGRAPHIE 81
ANNEXES 84
INTRODUCTION
Malgré les larges évolutions dans
l'égalité entre hommes et femmes - en droit et dans les
représentations - qui ont eu lieu au cours du dernier siècle,
certaines inégalités existent toujours (salaires, accès au
monde politique, accès à certains métiers...), et beaucoup
de stéréotypes sont encore présents (sexisme,
homophobie...).
Cette persistance interroge dans le sens où
l'égalité de traitement est généralement
prônée par une large majorité des individus. Si,
finalement, les inégalités persistent « malgré nous
», c'est peut-être qu'elles se reproduisent par le biais de ce que
l'on peut appeler la socialisation genrée.
Ainsi, ce travail propose de s'intéresser à la
reproduction des inégalités de genre chez les jeunes adolescents
dans les espaces de socialisation en groupe que sont l'école et les
loisirs organisés en périphérie de l'école. Ils ont
en effet reçu une socialisation primaire au sein de leur famille, qui
s'articule avec cette socialisation secondaire. Si la famille est hors
d'atteinte pour les pouvoirs publics, l'école et les lieux de loisirs
peuvent être considérés comme une cible
privilégiée de la mise en place de politiques publiques visant
à lutter contre le sexisme et l'homophobie.
Comment sont organisées les structures d'accueil ?
Quelles représentations de genre ont les professionnels travaillant
auprès des jeunes ? En quoi cela peut-il avoir un effet sur la
socialisation des jeunes ? Comment adapter l'offre de formation afin
d'éviter le sexisme et l'homophobie ?
La commande de la mairie de Bordeaux
Le service du Développement Social Urbain de la mairie
de Bordeaux a proposé depuis quelques années des formations sur
la thématique du genre pour les enseignants et/ou les professionnels de
l'animation socioculturelle, et ce principalement dans les quartiers
considérés comme particulièrement sensibles à cette
question. Le but de ces formations est de lutter contre le sexisme et
l'homophobie chez les jeunes et les adultes qu'ils seront.
Il s'agissait donc pour le commanditaire à la fois
d'évaluer l'impact que peut avoir ce
genre de formation sur les professionnels, mais aussi de
comprendre l'expérience que ceux-ci peuvent avoir du terrain - ou des
terrains. En effet, bien que certains quartiers aient été
ciblés lors des formations qui ont eu lieu précédemment,
il s'agissait également dans cette étude de comparer les
expériences des professionnels de deux territoires très
différents de la ville de Bordeaux : un quartier dit « sensible
» ayant fait l'objet de plusieurs politiques de sensibilisation et un
quartier de centre ville favorisé ; le but in fine étant
d'adapter et d'étendre l'offre de formation afin de luter contre le
sexisme et l'homophobie sur l'ensemble de l'agglomération, en
évitant la stigmatisation de certains quartiers.
Problématique et hypothèses
· Problématique
Dans quelle mesure une sensibilisation des professionnels de
l'école et des lieux de loisirs aux thématiques du genre
peut-elle éviter la reproduction du sexisme et de l'homophobie ?
· Hypothèses
H1 : Le sexisme et l'homophobie sont les conséquences de
la reproduction des schémas hétéronormatifs à
travers la socialisation de genre.
H2 : L'organisation des structures d'accueil, des enseignements
et des activités participe à cette socialisation
genrée.
H3 : La faible sensibilisation à cette thématique
et les représentations que peuvent avoir les profesionnel.le.s de
l'école et des loisirs encouragent cette reproduction.
H4 : Former les professionnel.le.s sur les thèmes du
genre, de la mixité, et de leur gestion est un moyen de lutter contre le
sexisme et l'homophobie.
Ce rapport est divisé en trois parties. Le cadre
théorique et méthodologique sera d'abord donné, afin de
placer la présente étude et le lecteur au coeur des
réflexions et du
travail de terrain qui ont permis l'analyse.
Les résultats seront ensuite présentés et
analysés. L'intérêt se portera sur l'organisation des
structures étudiées, sur les diverses formations qu'ont pu
recevoir les professionnel.le.s rencontré.e.s, sur leurs visions des
relations de genre chez les jeunes et dans la société en
général afin de déterminer s'ils peuvent être les
vecteurs d'une reproduction de la socialisation genrée.
Enfin, les enjeux opérationnels d'adaptation de l'offre de
formation pour la mairie de Bordeaux seront discutés, ainsi que les
enjeux scientifiques que ce travail soulève.
PARTIE 1 - CADRE THEORIQUE ET METHODOLOGIQUE
« La méthode, c'est le chemin, une fois qu'on l'a
parcouru. »
Marcel Granet
I- Cadre théorique : les « gender studies
»
Cette étude s'appuie et s'inspire fortement des
théories et des réflexions nées des études sur le
genre. Il est donc apparu nécessaire d'en donner ici les contours.
Thomas Laqueur, dans La fabrique du sexe (Bereni et
al., 2008), distingue deux formes de patriarcat1. Le patriarcat
pré-moderne, ou cosmologique, pour lequel il n'y a qu'un seul sexe, les
différences génitales observées seraient alors dues au
fait que ce que certains ont dehors, d'autres l'ont dedans. Il s'agit donc
plutôt d'un continuum. Le genre définissant alors le sexe, il
s'agit de maintenir l'économie de distinction entre les genres.
La modernité occidentale apporte une rupture avec ce
patriarcat cosmologique prémoderne. En effet, les scientifiques
inventent la rupture entre nature et culture. La différence entre les
sexes s'explique désormais par la science et devient incontestable. Avec
cette naturalisation, le sexe devient central puisqu'il fait le genre. Comme le
souligne Françoise Héritier, cette binarité
essentialisée est hiérarchisée. « Dans le monde
entier, les systèmes conceptuels et les systèmes langagiers sont
fondés sur ces oppositions binaires, qui opposent des caractères
concrets ou abstraits et qui sont marquées toujours du sceau du masculin
ou du féminin [...] : chaud/froid, lourd/léger, dur/mou,
actif/passif, rapide/lent, fort/faible, [...] rationnel/irrationnel,
transcendant/immanent ou même culture/nature... »
(Héritier, 2002). C'est avec la volonté de lutter contre cette
hiérarchisation que les féministes vont développer le
concept de genre.
1- Le genre : concept issu des luttes
féministes
Le terme de genre est né de la volonté de
distinguer le social du biologique, de rendre compte de l'idée de
construit social. En effet, les premières études sur le genre
entre les années 1930 et 1970 ont développé cette
théorie afin que « le "genre" [soit] distingué de la
notion commune de "sexe" pour désigner les différences sociales
entre hommes et femmes qui n'étaient pas directement liées
à la biologie » (Bereni et al., 2008). Il s'agissait donc d'un
processus de dénaturalisation des différences. Ainsi, les
comportements typiques de l'homme et de la femme deviennent le résultat
d'un construit social. L'anthropologue Margaret Mead
1 « Système de subordination des femmes qui
consacre la domination du père sur les membres de la famille »
(Bereni et al., 2008)
montre que dans certaines sociétés
océaniennes, les qualités considérées comme
naturelles chez l'homme et chez la femme peuvent être très
différentes de celles que nous y associons en occident (Mead, 1963).
Simone de Beauvoir clame que l' « on ne nait pas femme, on le
devient ».
Cette articulation entre sexe et genre sera ensuite
critiquée. Ainsi, dans les années 1990, Judith Butler soulignera
que cette conception du rapport entre sexe et genre contribue à
renforcer l'apparente naturalité de la division mâle/femelle, en
confirmant la binarité naturelle du sexe. Dans la même
idée, pour l'historien américain Thomas Laqueur, « non
seulement le genre - sexe social - n'est pas déterminé par le
sexe, mais le sexe lui-même n'est plus appréhendé comme une
réalité naturelle » (Bereni et al., 2008). Il y a donc
remise en question d'une base naturelle et biologique du sexe, et de la
séparation en deux genres hiérarchisés l'accompagnant.
Pour les féministes matérialistes2,
le genre n'est pas un simple fait social, il est un rapport social
dichotomisant. Ainsi, il s'agit d'analyser comment « le genre, non
seulement divise l'humanité en deux groupes distincts, mais le fait en
outre de manière hiérarchique » (Bereni et al., 2008).
Alors, le genre n'est plus une conséquence du sexe mais le
précède et le détermine. Le concept de patriarcat est
central dans cette analyse, puisqu'il est la réalisation d'une
domination non pas naturelle, mais matérielle d'un groupe sur un
autre.
Le post-féminisme queer3,
développé par Judith Butler, cherche à déconstruire
les catégories de genre, de sexe. Cependant, l'horizon n'est pas
l'abolition du genre mais la multiplication des formes de genre. Cette
multiplication aurait un effet subversif sortant l'individu de l'obligation
d'être conforme à une norme binaire.
2 Le féminisme matérialiste est un
courant du féminisme qui s'est développé dans les
années 1970. Pour les féministes matérialistes, «
il n'existe pas de dominations naturelles, il n'existe que des dominations
matérielles motivées qui expliquent la constitution de groupes
dominants et dominés » (Bereni et al., 2008).
3 « Terme anglais signifiant "étrange",
fréquemment utilisé comme une insulte visant à stigmatiser
les homosexuels ou toute autre catégorie de personne n'entrant pas dans
la norme du genre. C'est par une opération de "retournement du stigmate"
qu'avec ironie s'est créé un mouvement politique queer, à
la fin des années 1980 et au début des années 1990,
revendiquant un positionnement politique contestataire. Tout en
considérant les identités comme non-essentielles, ce mouvement
s'affirme par une revendication identitaire stratégique visant à
faire des minorités et des identités sexuelles le lieu de la
contestation des normes dominantes » (Bereni et al., 2008).
2- La socialisation de genre
La sociologie du genre, de son côté, s'est
intéressée aux processus d'intériorisation du genre par
les individus. La socialisation de genre est une contrainte sur l'individu,
mais aussi « le cadre dans lequel les individus sont "produits" et
deviennent des "sujets" » (Bereni et al., 2008). De cette
manière, le genre traverse l'ensemble de la société. Il
est l'apprentissage de gestes, de réflexes, de sentiments, de
manières de se tenir, d'éprouver le monde. Il est un construit
social, mais pas une réalité fixe et éternelle : le genre
appris aujourd'hui n'est pas le même que celui des
générations précédentes. Le genre appris ici n'est
pas le même qu'ailleurs.
Le processus de socialisation de genre commence pour un
individu avant même sa naissance par le biais d'actions
performatives4, lorsque ses parents préparent la chambre qui
va l'accueillir ou lui choisissent un nom. Il a également lieu lorsque
l'enfant n'est encore qu'un bébé. Par exemple, Elena Gianini
Belotti décrit les manières différentes qu'ont les
mères d'allaiter leur enfant qu'il soit un garçon ou une fille ;
on attendra d'un petit garçon qu'il se nourrisse goulument alors qu'on
attendra d'une petite fille beaucoup plus de retenue. Ainsi, « tous
les comportements de l'enfant sont, dès son plus jeune âge, "lus"
et interprétés différemment selon son sexe, par les
adultes » (Elena Gianini Belotti, 1974).
Le sociologue Pierre Bourdieu étend ses concepts
d'habitus, de violence symbolique et de domination au champ du genre dans
La domination masculine (Bourdieu, 1998). Ainsi, il met en exergue non
seulement la socialisation des femmes en tant que dominées, mais
également celle des hommes en tant que dominants : « Si les
femmes, soumises à un travail de socialisation qui tend à les
diminuer, à les nier, font l'apprentissage des vertus négatives
d'abnégation, de résignation et de silence, les hommes sont aussi
prisonniers, et sournoisement victimes, de la représentation dominante.
Comme les dispositions à la soumission, celles qui portent à
revendiquer et à exercer la domination ne sont pas inscrites dans une
nature et elles doivent être construites par un long travail de
socialisation, c'est-àdire, comme on l'a vu de différenciation
active par rapport au sexe opposé » (Bourdieu, 1998).
Cependant, et c'est ce qui fait la force de reproduction de ce système
de domination, « le propre des dominants est d'être en mesure de
faire reconnaître leur manière d'être
4 Performance de genre : L'établissement
d'une exécution de performance « obligatoire » de la
féminité et la masculinité produiraient la fiction
imaginaire d'un genre « naturel » aussi bien que la distinction entre
le sexe extérieur et biologique et le « genre intérieur
».
particulière comme universelle » (Bourdieu,
1998).
Dans L'arrangement des sexes, Erving Goffman prend un
positionnement de situationnisme méthodologique afin de rendre compte de
diverses situations dans lesquelles les performances de genre sont à
l'oeuvre. Il s'agit des « matériaux utilisés dans les
situations sociales de la vie quotidienne pour signifier le genre, pour mettre
en scène le féminin et le masculin ainsi que leurs relations
structurelles » (Goffman, 1977). Ainsi, une police de genre se met en
place, pour stigmatiser comme déviants ceux qui ne performent pas leur
genre conformément à leur sexe.
3- Un modèle hétéronormatif
De là, nait un modèle
hétéronormé et hétéronormatif. Le sexisme
transforme une différence physiologique en une hiérarchie sociale
et culturelle. Mais aussi, la sexualité devient l'objet de
préoccupations. La société moderne occidentale a
créé les catégories d'hétérosexualité
et d'homosexualité. Dans ce modèle, l'homosexualité est
perçue comme une déviance de genre. En effet, « l'
"orientation sexuelle" moderne ne dépend pas entièrement des
pratiques : elle est considérée comme une disposition
intérieure qui n'a pas besoin de se réaliser pour "exister"
» (Bereni et al., 2008). Le genre en arrive alors à être
lié à la sexualité, comme si ne pas se plier à la
police de genre était révélateur d'une sexualité
considérée comme déviante.
En ce sens, la féminité et la masculinité
(ou le virilisme5) apparaissent comme les vecteurs de la persistance
du sexisme. Ils sont liés à la norme hétérosexuelle
en ce que « les rapports de domination des hommes sur les femmes sont
d'abord structurés dans des rapports de domination entre hommes,
reposant sur l'hétérosexisme et l'homophobie »
(Welzer-Lang, 2010). Finalement, si pour performer leur genre, les femmes
doivent apprendre à être dociles, et les hommes à dominer
(les femmes, et les hommes moins virils), il n'y a pas de voie de sortie du
schéma hétérosexiste sans remise en cause des
stéréotypes de genre. Ainsi, le virilisme, le sexisme et
l'homophobie qui découlent de ce système
hétéronormatif « ne seraient pas les conséquences
d'une condition masculine naturelle mais des construits sociaux,
encouragés implicitement par la communauté éducative afin
de fabriquer des "vrais" garçons » (Ayral et Raibaud,
2009).
5 « L'exacerbation des attitudes, représentations
et pratiques viriles » (Welzer-Lang, 2004)
II- Description de la méthode et du panel
1- Cadre méthodologique
Une méthode qualitative
La méthode choisie pour cette étude est
principalement d'ordre qualitative. En effet, elle s'appuie sur des entretiens
semi-directifs menés auprès de professionnels de l'école
et des lieux de loisir. Ces entretiens visaient à aborder quatre
thèmes principaux avec les personnes interrogées6. Il
s'agissait, dans un premier temps, de comprendre l'histoire professionnelle et
le parcours de formation initiale des interviewé.e.s ; puis
d'accéder à leur expérience des rapports de genre chez les
jeunes qu'ils.elles côtoient au quotidien ; de tenter avec eux.elles une
évaluation des différentes formations auxquelles ils.elles ont pu
participer ; et enfin de recueillir leurs représentations de genre dans
une perspective plus large.
Il faut bien sûr noter que la méthode des
entretiens présente un certain nombre de biais, notamment du fait que
l'on interroge directement la personne sur ses propres agissements et choix. En
effet, l'échange lors de l'entretien formel est basé sur les
souvenirs et l'analyse de son propre vécu. Or, on sait que la
mémoire présente un risque de reconstruction a
posteriori. Ainsi, il faut prendre en compte les logiques et les processus
dans lesquels les acteurs peuvent être pris. De même, on peut se
demander dans quelle mesure le chercheur doit faire confiance au discours
produit par l'acteur. La connaissance de ces biais, loin d'empêcher
l'analyse, doit rester présente tout au long de cette dernière
afin de les éviter au maximum.
De la même manière, les caractéristiques
du chercheur qui prend place face à la personne enquêtée
peuvent entraîner des biais quand au discours que ce dernier produit.
Particulièrement lorsqu'on aborde le sujet du genre, le fait que la
chercheure ait été une femme a pu induire des formes de discours
de la part des personnes interrogées, une forme de connivence avec les
femmes parfois, une position défensive de la part des hommes, quelques
fois. Comprendre ces mécanismes lors de l'entretien pour les
éviter, puis après, dans le but de les analyser, est alors
nécessaire.
6 Voir le guide en annexe 2.
Cette étude s'est également appuyée sur
une méthode de sociologie visuelle, associée aux entretiens. En
effet, afin d'accéder aux représentations des personnes
interrogées, il leur a été présenté des
photographies permettant d'aborder certains sujets d'une manière plus
fluide. Ces supports photographiques sont reproduits en annexe 3.
D'autres outils sociologiques ont également
été utilisés pour cette étude, que l'on pourrait
regrouper dans une méthodologie d'observation. En effet, la
participation à la formation « Cet autre que moi »7
a permis d'observer les professionnel.le.s de l'école et des loisirs
organisés en périphérie de l'école lors de temps de
réflexion. Venant de différentes structures, ayant des postes
très divers, mais appartenant au même quartier, ces
professionnel.le.s y ont échangé leurs opinions, leurs cultures
professionnelles, leurs avis et différends. De plus, bien que les jeunes
n'aient pas été interrogés dans cette étude puisque
la volonté était de mettre l'accent sur l'expérience et
les représentations des professionnel.le.s, ils sont tout de même
présents à travers diverses occasions d'observation. En effet,
ayant suivi la formation « Cet autre que moi », il a
été possible d'intervenir au sein de la campagne ayant lieu sur
le collège Edouard Vaillant de Bordeaux, et donc d'assister aux
réactions et à l'expression du discours des jeunes. Le fait que
la chercheure travaille depuis plusieurs années en tant qu'assistante
d'éducation dans un des collèges enquêtés du
quartier Bastide, puis dans un lycée professionnel de
l'agglomération bordelaise a également pu être un vecteur
de questionnements et d'observation des jeunes en situation.
Les territoires d'étude
Le quartier de la Bastide est un quartier traditionnellement
populaire et ouvrier, ainsi décrit par le collectif Victoire (Victoire
et al., 2007) : « [...] la rive droite de la ville devient une enclave
ouvrière que, longtemps, les "vrais" bordelais tiendront pour un peu
étrangère à la cité. Ainsi, le fleuve tracera
durablement une frontière sociale séparant la ville bourgeoise de
la "plèbe" ouvrière [...] ». Depuis peu, le tramway
relie les deux rives et redynamise l'artère centrale de la rive droite,
mais celle-ci reste encore marquée socialement.
On peut découper ce quartier en deux zones8,
une première s'étendant du long des
7 Formation au support « Cet autre que moi
» de l'association « Je, tu il... », proposée
conjointement par la mairie de Bordeaux et l'association Remue-Méninges
de Bègles. Elle s'est déroulée en trois séances
à l'Athénée municipal de Bordeaux, réparties sur
les mois de novembre et décembre 2011.
8 Voir carte des zones en annexe 1.
quais de Queyries à l'Eglise Sainte-Marie de la
Bastide, que l'on appellera Bastide-Queyries, et une seconde plus à
l'intérieur des terres, décrivant un cercle autour du quartier
d'habitat social de la Benauge (Bastide-Benauge). Quatre structures ont
été enquêtées sur ce quartier. Dans la zone
Bastide-Queyries, des entretiens ont été menés au
collège Léonard Lenoir et au centre social Queyries. De la
même manière, à Bastide-Benauge, le collège Jacques
Ellul et le centre social Benauge ont été enquêtés.
Ces quatre structures travaillent toutes plus ou moins en partenariat. Les deux
collèges sont classés établissements de ZEP. Un entretien
a également été mené au sein du lycée
professionnel accueillant des élèves du quartier dans une classe
de troisième d'insertion professionnelle.
Le quartier du Jardin Public est un quartier de centre ville
aisé, dans la continuité de ce que l'on appelle le Triangle d'Or
(Place Gambetta - Allées de Tourny - Grand Théâtre),
regroupant historiquement les familles de la bourgeoisie bordelaise. Même
si aujourd'hui, il ne s'agit plus de la bourgeoisie marchande qu'à connu
Bordeaux autrefois, ce quartier accueille « une classe administrative
et politique, un monde composite d'élus, d'entrepreneurs, de
fonctionnaires et de professionnels de la médecine et de
l'Université » (E. Victoire, 2007).
Deux structures ont été enquêtées
pour ce quartier, le collège Cassignol, établissement
favorisé et demandé (la carte scolaire apparait en
première page de leur site internet) et la maison de quartier
Chantecler, se divisant en plusieurs pôles (le pôle centre de
loisir et sports dans les locaux de la maison de quartier, et le pôle
culturel à l'Espace Lagrange, bâtiment neuf se trouvant à
quelques centaines de mètres de la maison mère). Nous n'avons pas
pu y trouver de centre social, sans doute du fait du caractère
favorisé de ce quartier.
2- Description du panel des enquêtés
Les professionnels interrogés pour cette étude
sont répartis équitablement entre trois critères : le
quartier (Bastide ou Jardin Public), le secteur « d'activité »
(scolaire ou loisir), et le sexe. En effet, malgré une présence
majoritaire des femmes dans ces métiers (Djaoui et Large, 2007), il a
été décidé d'interroger un même nombre
d'hommes et de femmes, afin que les deux points de vue puissent être
présents, l'expérience des unes des autres étant tout
aussi nécessaire à comprendre. En d'autres termes, 10
professionnels ont été rencontrés sur la Bastide, et 10
sur Jardin Public ; 10 hommes et 10 femmes ; 10 professionnels du secteur
éducatif, et 10 professionnels de l'animation ; pour un
total de 20 entretiens.
La grande majorité des professionnel.le.s du quartier
Bastide ont été rencontré.e.s par le biais de la formation
proposée par la mairie de Bordeaux au support « Cet autre que moi
». A la fin de la formation, il leur a été proposé de
contribuer à une étude sur leurs expériences des relations
de genre. Les professionnel.le.s du quartier Jardin Public, n'étant pas
concernés par une formation sur ce thème, ont été
plus difficiles à contacter. Au sein du collège Cassignol, une
rencontre avec la CPE parrainée par la mairie a pu être à
l'origine d'un envoi groupé de mails expliquant le contenu de
l'étude à l'ensemble de l'équipe éducative. Deux
enseignant.e.s ont alors répondu à cet appel. Les trois autres
enseignant.e.s ont accepté l'entretien après qu'une note ait
été déposée dans leur casier reprenant le contenu
du premier mail. Le contact avec les professionnel.le.s de la maison de
quartier Chantecler a été pris par prospection
téléphonique au départ, puis par le biais des premier.e.s
enquêté.e.s.
Les entretiens avec les professionnel.le.s ont
été menés sur leur lieu de travail. Il est donc parfois
arrivé que certaines contraintes interfèrent avec le
déroulement de la discussion. D'une part, une contrainte de temps est
apparue. En effet, pour les enseignant.e.s, les rendezvous ont
été essentiellement pris entre deux heures de cours. De la
même manière, les animateur.e.s socioculturel.le.s ont la plupart
du temps été rencontré.e.s avant que les jeunes n'arrivent
sur la structure le matin ou à la pause méridienne. De ce fait,
il était important pour la chercheure de guider peut être plus
qu'il ne l'aurait fallu le déroulement de l'entretien afin que tous les
thèmes puissent être traités dans le temps imparti. D'autre
part, la difficulté de trouver un espace d'isolement au sein des
structures a pu parfois entrainer une moins grande liberté de parole. En
effet, les entretiens se sont souvent déroulés dans la salle des
professeurs pour les enseignant.e.s ou dans une salle d'accueil vide de jeunes
pour les animateur.e.s, entraînant pour certains une agitation faite
d'allées et venues, ou même une présence permanente de
collègues durant la discussion. Cependant, les entretiens ont
duré en moyenne environ une heure, et ont été faits
d'échanges riches et animés.
PARTIE 2 - PRESENTATION ET ANALYSE DES RESULTATS
« Le mystère de l'Autre se trouve
résolu. L'Autre est celui que l'Un désigne comme tel. L'Un c'est
celui qui a le pouvoir de distinguer, de dire qui est qui : qui est "Un",
faisant partie du "Nous", et qui est "Autre" et n'en fait pas partie [...].
»
Christine Delphy
I- L'organisation des structures : mettre en place et
gérer la mixité
1- Mettre en place la mixité
Si l'école est un espace de socialisation des jeunes
où une mixité de fait est présente, ce n'est pas le cas
pour les lieux de loisirs. En effet, avec les exemples des trois structures
réparties sur les deux quartiers d'études, on peut voir que cette
mixité n'est pas donnée, et que la mettre en place requiert un
vrai travail de réflexion et d'action.
Chantecler et l'espace Lagrange : une organisation
genrée non problématisée
La maison de quartier Chantecler était à
l'origine séparée en de nombreux pôles, du fait d'un manque
de place dans le bâtiment de la maison mère. De ce fait, le centre
de loisirs et les activités sportives avaient lieu sur place, l'ensemble
des autres activités étaient disséminées dans des
salles plus ou moins éloignées (dojo, salle de musique, salle de
danse...).
Depuis environ trois ans, l'association a
récupéré un bâtiment situé à quelques
mètres de la maison de quartier, et formant un second pôle
artistique, l'espace Lagrange, regroupant les activités de danse, de
gymnastique, de chant et de musique. Depuis l'inauguration de ce nouvel espace,
l'organisation de la structure apparait être genrée. En effet, la
maison de quartier Chantecler accueille une majorité de garçons,
la plupart des animateur.e.s et des entraîneur.e.s sportifs sont des
hommes, à l'exception du public et du personnel encadrant l'accueil de
la toute petite enfance. Le bâtiment est peint en bleu.
« Au niveau des entraineurs sportifs, ouais, il y a
beaucoup d'hommes, mais enfin, il y a quelques filles quand même, mais
enfin oui, c'est une majorité d'hommes. Dans l'animation, on a une
grosse sectorisation, c'est-à-dire que chez les 3-5 ans, c'est 95%
d'animatrice, chez les grands, ou multi-sport, c'est l'inverse. [...] Ça
fait un peu cliché, mais malgré tout, c'est ça, à
la salle de gym à côté [l'Espace Lagrange], c'est presque
que des filles qui animent les activités. Alors que quand c'est foot,
basket, tout ça, c'est plutôt des garçons. » (J4,
entraineur badminton)
A l'inverse, l'espace Lagrange accueille une majorité
de filles, et la plupart des professionnel.le.s sont des femmes, à
l'exception d'un certain nombre de cours de musique
(guitare, basse, batterie), qui apparaissent comme une enclave
masculine à l'intérieur d'un espace féminin. Les murs
extérieurs et les fléchages des salles à
l'intérieur du bâtiment sont peints en rose fuchsia.
« Ici, en gym et en danse, il y a plus de filles. Il
y a chorale, où là, effectivement, il y a plus de filles. Bon,
après, il y a plus de garçons en guitare électrique, en
batterie. Il y a plus de filles en piano que de garçons. [...] Et
souvent, ceux qui commencent à avoir envie de faire de la musique
à plusieurs, ce sont les groupes de batterie, basse, guitare
électrique. » (J1, responsable Espace Lagrange)
« La prof de chant, c'est une femme. Il y a trois
profs de guitare, il se trouve que ce sont trois hommes. Il y a deux profs de
piano, une femme, un homme. Le prof de violon, c'est une femme. Le prof de
saxo, c'est une femme. Le prof de batterie, c'est un homme. » (J1,
responsable Espace Lagrange)
« C'est surtout des filles les lycéennes, j'ai
des hommes mais adultes. Il
n'y a pas de jeunes hommes qui viennent. » (J5,
entraineuse cardio-boxe)
A partir du moment où elle n'est pas volontaire de la
part de la structure, cette polarisation et la non-mixité qui
l'accompagne ne sont pas problématisées. Elles ne sont, pour les
professionnel.le.s, que le résultat de choix personnels des jeunes
accueilli.e.s.
« (Question) : Est-ce que la mixité est
quelque chose de facile à mettre en place ici ? - (Elle) : Oui, puisque
la question ne s'est pas posée. Après, vous allez me dire, pour
les cours de danse, c'est difficile dans la mesure où c'est les
garçons qui ne sont pas intéressés, ce ne sont pas les
filles qui ne veulent pas qu'il y ait de garçons. - (Question) : Et en
musique alors, en guitare par exemple, les filles ne veulent pas y aller ? -
(Elle) : Non, c'est parce qu'elles ont envie de faire autre chose. Il y en a,
des filles, hein, mais plus de garçons. Parce que leur trip, c'est quand
même d'avoir un groupe de copains et de jouer entre eux. [...] La
question ne se pose pas comme ça en fait, ce n'est pas exclusif.
Personne n'exclue personne. » (J1, responsable Espace Lagrange)
« Moi je travaille beaucoup avec les
collégiens notamment, ils sont beaucoup dans les rapports, pas de
séduction, mais ils commencent à s'amuser, à être
là-dedans. Mais par contre ils ne se mélangent pas. Quand on leur
demande de faire des groupes, ils font des groupes de garçons et des
groupes de filles. » (J4, entraineur badminton)
Sur le centre de loisirs, l'organisation, malgré un
projet pédagogique axé sur la mixité, ne permet pas
qu'elle se réalise. En effet, deux activités sont
proposées aux enfants et aux jeunes chaque matin : une activité
sportive et une activité de « centre de loisirs classique »
(activités manuelles...). Le choix leur est
laissé de participer à l'une ou l'autre des activités. Le
fait que l'après-midi soit réservé à une
activité unique où l'ensemble des jeunes se retrouvent
n'enlève pas le caractère genré de l'organisation :
« Et j'ai, on va dire, 90% de filles au centre de
loisirs classique, et 90% de garçons au multi-sport [...] On est quand
même sur un choix, sur une volonté, sur l'envie de l'enfant, on ne
va pas forcer. Donc souvent, on se retrouve avec les garçons au sport...
enfin, c'est un cliché, mais c'est souvent ça à 90 ou 95%.
Mais l'après-midi, on fait une seule activité, soit une sortie,
soit un grand jeu, et là ils se retrouvent. Voilà, ça
c'est notre projet pédagogique, d'essayer de travailler sur la
mixité. » (J4, entraineur badminton)
Au sein de la structure, parmi les activités dont le
public est majoritairement masculin, certaines ont tendance à se
masculiniser de plus en plus, et d'autres, au contraire, à s'ouvrir aux
filles. Ces tendances inverses semblent être liées principalement
aux professionnel.le.s et à leur vision des relations entres filles et
garçons et de leurs différences. Ainsi, cet entraineur sportif en
football à Chantecler qui explique ne vouloir entraîner que des
garçons, car il trouve les filles plus difficiles à
entraîner (plus douillettes, moins performantes, réclamant plus
d'attention).
« J'ai entraîné des filles ici, aussi,
mais ça ne s'est pas bien passé. Enfin, j'ai
entraîné une équipe mixte, dans laquelle se trouvaient les
filles et les garçons. Et, c'était difficile pour les filles.
[...] On a essayé au premier trimestre, ça n'a pas tellement bien
marché, parce que les garçons jouent entre eux, les filles ne
sont pas bonnes. [...] J'ai pas mal de filles au collège qui me
demandent si je ne veux pas faire une équipe de filles. Mais moi,
entraîner des filles... C'est un peu trop féminin, ça
revendique trop, il faut s'occuper d'elles... Les garçons n'ont pas
besoin que l'on s'occupe d'eux. Les filles ont envie que l'entraîneur les
voient, elles sont bien maquillées, elles ont de jolies robes. Mais tout
le monde me demande de faire une équipe de filles, même la
responsable à la mairie de Bordeaux. Il y a des demandes, mais
franchement, ça ne m'intéresse pas. Ce n'est pas le même
rapport. » (J7, entraineur football)
« J'aurais bien aimé entraîner une
équipe mixte, mais on passe plus de temps sur l'extra-sportif que sur le
sportif. Il faut discuter, les rassurer, elles ont un manque de confiance que
les garçons n'ont pas. [...] Bon, si une fille entre en classe sportive
au collège, j'essaie de la supporter jusqu'à la fin de la saison
! En lui mettant un peu la pression sur le scolaire. » (J7,
entraineur football)
A l'inverse, un des professeurs de guitare de l'espace Lagrange
se réjouit d'accueillir dans son cours plus de filles aujourd'hui
qu'hier.
« Suite à notre conversation, je me demandais
combien j'avais de filles. Et donc, j'en ai pas mal en fait. 9. Ça veut
dire que je dois avoir 40% de filles, non, 30% de filles à peu
près. » (J10, professeure de guitare)
« Mais je crois que c'est une évolution en
fait, puisque j'ai de plus en plus de filles. Et je crois qu'on tend, quand
même, à avoir plus d'égalité, à ce que les
filles se disent qu'elles peuvent faire des trucs, autant que les
garçons, et qu'il n'y a pas de problème, en fait. »
(J10, professeur de guitare)
A la maison de quartier Chantecler, on a donc à faire
à une organisation genrée qui n'est pas vécue comme telle
puisqu'elle n'est le fait « que » du choix d'activité des
jeunes. On remarque cependant que les choix des professionnels quand à
la façon dont ils entendent mener leur activité peut accentuer ou
infléchir ces tendances.
Les centres sociaux du quartier Bastide : une prise de
conscience in-extremis
Il est important ici de préciser le déroulement
temporel des entretiens. En effet, ceux des animateur.e.s du centre social
Bastide-Queyries se sont déroulés pendant les vacances de
Noël, ceux des animateur.e.s du centre de la Benauge entre les vacances
d'hiver et les vacances de printemps. Or, visiblement, des efforts pour
installer la mixité ont été faits et ont porté
leurs fruits durant ce laps de temps.
Le secteur jeune du centre social de Bastide-Queyries est
animé par deux animatrices. La direction du centre est occupée
par une femme. Les deux animatrices ont été interrogées
pour cette étude, et décrivent une polarisation genrée des
centres sociaux. En effet, le centre d'animation de la Benauge est
montré comme accueillant un public exclusivement masculin ; le centre
Queyries comme étant moins marqué mais accueillant tout de
même une majorité de filles. Elles expliquent cela à la
fois par le caractère genré des équipes d'animation mais
aussi par la non prise en compte de la mixité du côté
Benauge.
« Par contre, nous on est deux filles, on a beaucoup
plus de public féminin. Eux, ils ont un public plus masculin, mais ce
qui est logique, qu'on le veuille ou non, en tant qu'animateur, on a un certain
rôle d'exemple. Du coup, forcément, quand tu es un garçon
ou une fille et que tu te cherches, tu vas aller plus facilement vers une
personne de ton sexe pour discuter. Donc oui, je pense que d'être deux
filles sur un secteur jeune, ça implique qu'on ait un public beaucoup
plus féminin. » (B7, animatrice)
« Je me suis interrogée sur le fait
d'être une équipe de filles sur un secteur jeune, plus une
équipe de filles à la direction. Je me suis dit qu'on n'allait
attirer que les filles. Et pas du tout. [...] Je ne sais pas si le fait
d'être deux filles, on n'aurait pas une influence complètement
inconsciente sur ce que l'on met en place. Il me semble que non. On essaie de
s'inscrire dans des choses plutôt près du public que l'on a que
spécifiquement auprès de filles ou de garçons. [...] Nous,
on a de moins en moins de gamins qui viennent de manière
spontanée sur de l'accueil. On a beaucoup d'inscrits sur les animations,
sur les projets. Mais sur l'accueil jeune, on en a presque plus. »
(B6, animatrice)
« Là, par exemple, pour Noël, il y a le
footsal à la Benauge. On sait que notre petit public habituel ne voudra
pas faire un tournoi de foot. Faire du foot, ok, ce n'est pas un
problème, fille ou garçon, mais un tournoi tel qu'eux le
présentent là-bas, je ne pense pas. La première chose
qu'on leur a demandé c'est si c'était mixte. Et personne n'a su
nous répondre à la Benauge. Au final, ils nous ont dit pourquoi
pas, mais sous-entendu, il n'y aura pas de filles de chez eux. Mais ce
n'était pas précisé, pour moi c'était
évident que ce soit mixte. » (B6, animatrice)
Les discours de deux interviewé.e.s sont
également intéressants pour comprendre la situation des centres
d'animation du quartier Bastide. De la même manière que pour les
entretiens menés auprès des animatrices du centre d'animation
Queyries, ces entretiens se sont déroulés très en amont
des entretiens avec les professionnels du centre de la Benauge. En effet, deux
éducateur.e.s de rue (ou éducateur.e.s
spécialisé.e.s) interviennent sur le quartier, et principalement
au centre social de la Benauge. Si la méthode de travail de
l'éducateur ne semble en rien favoriser la mixité,
l'éducatrice, quand à elle, dénonce ce fonctionnement.
« Les filles fréquentent peu le centre social.
Et quand nous, on s'adresse à un groupe pour faire des sorties, on
s'adresse à un groupe naturel, et donc bien souvent groupe de
garçon ou groupe de fille. Je commence à avoir un peu
d'expérience en prévention spécialisée et je n'ai
quasiment jamais fait de sortie mixte. Alors après, pas forcément
parce que les jeunes ne veulent pas, mais aussi parce qu'avoir de la
mixité dans un groupe en sortie, ça sous-entends que ça va
se travailler, il va y avoir des choses à mettre au travail et qu'on ne
va pas pouvoir laisser passer... et que, quand je fais une sortie, j'ai
d'autres objectifs derrière. » (B2, éducateur
spécialisé)
« Déjà, on a beaucoup de
difficultés à travailler la mixité. Moi je ne travaille
que dans la mixité. Mais mon collègue de travail, que tu connais,
lui il a beaucoup de mal à travailler dans la mixité. Ça
me parait... c'est tellement une évidence. Mais parfois, même les
professionnels ont du mal à travailler de cette façon là.
Les filles, on a beaucoup de mal à les rencontrer dans l'espace public,
mais en même temps c'est à nous d'aller à leur rencontre.
[...] Si tu ne les incites pas à
se mettre en groupe mixte, ça ne se fait pas du tout
naturellement. » (B4, éducatrice spécialisée)
« Nous, on ne travaille pas directement au centre
d'animation, mais en partenariat avec eux. Après, même sur le
centre, 100% des sorties ce ne sont que des garçons sur le public
préados / ados. Ou alors, cet été, il devait y avoir 2
filles sur un groupe de 12. Et ce sont des filles un peu garçon
manqué, qui ont du caractère, qui en impose dans le quartier,
qu'on ne considère pas comme des filles. [...] Les autres, elles n'y
trouvent pas leur place au centre. Si je ne vais pas les chercher, elles ne
viendront pas. [...] Mais elles ne seraient pas venues si je ne leur avais pas
donné cette place, j'ai l'impression. Du coup, ça ne se fait pas
automatiquement. Pour elles, le centre, c'est la place des garçons.
Peutêtre le fait aussi qu'il n'y ait que des animateurs hommes pour les
ados et préados. » (B4, éducatrice
spécialisée)
Les deux animateurs du secteur jeune au centre social de la
Benauge ont été rencontrés lors d'un entretien un peu
particulier. En effet, les deux animateurs étaient présents sur
le centre au même moment. Après avoir commencé l'entretien
avec l'un des deux, le second s'est inséré dans la conversation.
Avec le premier d'entre eux, ont été abordés les trois
premiers thèmes de l'entretien (soit l'histoire professionnelle,
l'expérience des relations de genre sur la structure, et la formation),
les deux étaient présents pour le quatrième thème
des représentations, mais c'est essentiellement le second animateur qui
s'est exprimé.
Tous deux, des « grands du quartier » en
poste dans d'autres centres sociaux de la ville de Bordeaux, ont
été appelés en alerte à la Benauge après que
le centre ait été « attaqué » par les jeunes, en
2008.
« C'était des jeunes du quartier qui
revendiquaient des choses, comme quoi il n'y avait pas d'espace pour eux, pas
d'accueil pour eux, qu'ils étaient abandonnés dans un centre qui
ne leur correspondait pas, personne n'avait d'attention pour eux, ils
étaient livrés à eux-mêmes dans le centre. »
(B8, animateur)
Alors, le travail de (re)construction du centre et de la
mixité a pu commencer. L'entretien suivant a donc été
mené après les vacances d'hiver, qui semblent avoir
été une étape charnière de cette mise en place.
« Il y a eu un règlement intérieur qui
a été fait avec eux. Donc moi, j'étais responsable du
secteur ado, les 12-16, et mon collègue était responsable des
plus grands, des 16-25. Il y a eu un gros travail d'écoute des jeunes.
Ils voulaient un espace dans le centre, donc on a créé une salle
pour l'accueil jeune. Parce qu'en fait, avant, ils n'avaient pas
d'espace, donc ils étaient partout dans le centre, ils
n'étaient nulle part. » (B8, animateur)
« Il y avait aussi les filles du quartier qui
voulaient rentrer dans le centre, qui n'y avaient pas accès. Il n'y
avait que des garçons. Nous, dès l'ouverture, on a invité
toutes les filles du quartier, on a fait une réunion avec elles. Au
début, on a fait les garçons seuls, et les filles seules. On ne
pouvait pas arriver du jour au lendemain, et les mettre tous ensemble.
Ça n'aurait pas été possible. On les a pris
séparément, on a discuté, on a fait deux ou trois sorties
avec chaque groupe. Et puis on a commencé à leur dire qu'on ne
pourrait plus faire ça, qu'après ce serait des sorties pour les
garçons et les filles. Bon, il y a eu des petites réactions.
» (B8, animateur)
« Maintenant, où il n'y a plus de sorties
filles et de sorties garçons, comme avant où on était
obligé d'avoir deux programmes, un pour les garçons et un pour
les filles. Là, sur les vacances de février, un exemple,
où on était submergé de personnes, et justement, on a eu
plus de filles que de garçons. [...] On a fait un gros travail
là-dessus, on a pris sur nous aussi, parce qu'il y avait des parents qui
nous disaient que ce n'était pas bien ce qu'on faisait. Il y en a qui
mettaient ça au niveau des religions ou des coutumes, aux règles
de vie de leur famille. Mais on leur a dit qu'au centre, il y a un
règlement qui peut ne pas être le même que celui de leur
famille. [...] Et puis, on ne va pas se plaindre, aujourd'hui, il y a 40 gamins
qui viennent au centre, c'est que ça marche, c'est que les jeunes ont
envie de venir. Et puis, il y a une belle mixité. Ça fait
plaisir. On récolte ce qu'on a semé. » (B8,
animateur)
Visiblement, la mixité au centre social de la Benauge
est aujourd'hui établie. Cependant, les animateurs en sont conscients,
être deux hommes sur un secteur jeune peut se révéler
être un handicap.
Et donc oui, aujourd'hui, je le dis à ma direction,
il nous faut une fille. Il faut que l'on recrute une fille. [...] Après,
concernant le manque d'animatrice fille, on a quand même la chance
d'avoir l'éducatrice du CALK qui est présente pendant toutes les
vacances. C'est un appui féminin pour nous. Les filles, maintenant, de
plus en plus, se confient à elle, qui n'est pas animatrice, qui est
éducateur de rue. Elle comble ce manque que nous on a, c'est pour
ça qu'on a créé un partenariat avec le CALK. »
(B8, animateur)
Ainsi, même si des changements et une volonté
d'évolution apparaissent parfois, les espaces de loisirs
organisés en périphérie de l'école apparaissent
comme genrés. Yves Raibaud parle alors des maisons-des-hommes : «
La maison-des-hommes est ce lieu où les hommes, les garçons,
se livrent à une compétition entre eux qui leur permet de
désigner les leaders qui représenteront leur camp, et, par
l'intermédiaire de ces "champions", d'assurer
leur position dominante d'homme et les privilèges
qui y sont attachés » (Raibaud, 2011). Ces lieux participent
à la construction de genre des individus en créant un entre-soi
où les valeurs attachées au sexe sont mises en valeurs et
développées chez chaque individu. On pourrait décrire de
la même manière certains espaces des lieux de loisirs
étudiés (comme les cours de gymnastique de l'Espace Lagrange par
exemple) comme des maisons-des-femmes.
2- Gérer la mixité
Que ce soit à l'école ou dans les lieux de
loisirs, une fois que la mixité (entendre le mélange formel entre
jeunes des deux sexes) est mise en place, il s'agit à la fois de la
maintenir et de la rendre effective sur le terrain, en évitant les
situations de sexisme, d'homophobie, le développement des
stéréotypes et autres tensions dans les relations entre les
jeunes.
L'école et les lieux de loisirs : des espaces
genrés
On remarque, au fil des entretiens, que la majorité des
professionnel.le.s rencontré.e.s sont conscients de la nature
genrée des relations qui se nouent dans leurs structures. Ainsi, la
moitié d'entre-eux.elles remarque que les rapports qu'ils.elles ont avec
les jeunes ne sont pas forcément de la même nature que
ceux.celles-ci soient des garçons ou des filles. Dans la même
idée, ils.elles sont conscients que le fait d'être un enseignant
ou une enseignante (un animateur ou une animatrice) a des implications dans la
manière dont les voient les jeunes et dont ils.elles interagissent avec
eux.
« Les jeunes filles et les jeunes garçons
projettent des choses sur moi, qui ne sont pas les mêmes qu'ils
projettent sur ma collègue ; et inversement, ce que moi je projette sur
les jeunes, ce que je projette sur les garçons n'est pas la même
chose que ce que je projette sur les jeunes filles. Donc le travail n'est pas
le même. Après, je sais que j'essaie au maximum de ne pas rentrer
dans leurs codes et de leur présenter une autre image de ce que peut
être un adulte de sexe masculin. Bon, au départ je rentre un peu
dans leur jeu, parce qu'il y a quand même un... dans la création
du lien, dans les codes. Mais après, j'essaie de m'en écarter.
Et, de toute façon, je pense que je leur présente une figure, de
par ce que je suis de manière naturelle, qui est différente de ce
qu'ils ont l'habitude de voir. » (B2, éducateur
spécialisé)
« Même avec moi, ça joue quand même
pas mal, je n'ai pas le même
rapport avec des garçons qu'avec des filles. »
(J2, professeure d'anglais)
Ce constat est souvent lié à l'idée que,
dans les représentations des jeunes, hommes et femmes ont des
rôles bien distincts. Les enseignants et animateurs hommes seraient les
dépositaires de l'autorité, tandis que les enseignantes et les
animatrices femmes seraient plus dans le soutien affectif avec les jeunes. En
effet, « l'autorité - du moins celle que l'on confère
à une personne - serait donc un attribut, une disposition
considérée naturelle chez l'homme, de même nature que la
sollicitude, disposition qui serait spécifiquement féminine
» (Vari, in Raibaud et al., 2006). Ainsi, les attentes des jeunes
divergeraient en fonction du sexe (du genre) de l'adulte qu'il.elle a en face,
et il serait difficile de s'en écarter.
« C'est quand même plus difficile pour une
femme d'enseigner que pour un homme. Moi, j'ai plus de mal que mes
collègues à asseoir mon autorité. Et pourtant, j'ai plus
de 30 ans de carrière. Tous les ans, ce n'est pas facile. [...] Nous,
l'autorité, il faut qu'on la gagne. Et ce n'est pas simple. »
(J3, professeure de mathématiques)
« L'équilibre... J'ai presque envie de le
comparer à celui d'un foyer mais, en tous cas, dans les attentes des
élèves, dans les différences de traitement des
différentes situations, que l'on soit un homme ou une femme, on le
traite de manière différente, ça équilibre aussi
pour les élèves. C'est une sorte de
complémentarité. Je pense qu'à un moment donné il y
a de fait, malgré tout, une différence de traitement et de
sensibilité sur certaines choses que l'on soit un homme ou une femme.
» (J6, professeur d'EPS)
« De manière très simpliste, l'homme
représente d'avantage l'autorité, la femme c'est l'affectif.
Même si les deux ont des rôles qui se rejoignent, j'ai l'impression
que ça reste quand même bien encré. [...] C'est le mode
relationnel qu'ils vont avoir avec le professeur qui va être
différent. » (J9, professeur de lettres-musique)
« Même si on est là pour leur
transmettre quelque chose et les faire devenir des citoyens, c'est bien que
l'on ait différentes approches. Quand vous êtes un enseignant
homme, je ne pense pas que vous ayez les mêmes approches que quand vous
êtes un enseignant femme. » (J8, professeure
d'histoire-géographie)
Certains professionnel.le.s disent même transgresser ou
utiliser les codes de genre afin d'entrer dans leur rôle d'enseignant.e
ou d'animateur.e.
« Moi, quand je fais la cardio-boxe, je dirais que
j'ai un rôle un peu plus dans la virilité, même si je ne le
suis pas, parce que je dois être assez carré et raide parce que
c'est quelque chose qui est difficile. C'est
ludique, et en même temps c'est un métier
d'homme la boxe, donc j'amène quelque chose qui est homme avec moi, il
faut que j'ai un peu ce rôle là. » (J5, entraineuse
cardio-boxe)
« C'est là que vous comprenez que vous devez
instrumentaliser votre apparence en fait, pour pouvoir gagner en
autorité, tout simplement. Un homme, beaucoup moins. » (J8,
professeure d'histoire-géographie)
Ainsi, la plupart des professionnel.le.s sont conscient.e.s
que l'école ou le centre d'animation sont des espaces genrés.
Cependant, cela n'implique pas forcément qu'ils.elles soient conscients
que le fait que ces espaces soient genrés construise en partie les
jeunes qu'ils accueillent.
La mixité scolaire de fait : pour ou contre
Même si ce n'est parfois plus le cas au lycée,
les classes de collège sont mixtes. Cependant, on sait que cette
mixité apparente ressemble le plus souvent à une
co-présence ou à une co-éducation (Ayral et Raibaud,
2010). De leur côté, les enseignant.e.s de collège
interrogé.e.s sur le sujet défendent majoritairement cette
mixité de l'école républicaine. Ainsi, elle serait garante
du mélange des sexes et permettrait de découvrir et d'apprendre
à connaître l'autre, même si les jeunes fréquentent
l'école mixte depuis un très jeune âge.
« La mixité, je pense que c'est indispensable.
On ne peut pas, si on veut apprendre à se connaître... Il faut en
passer par là, et puis il faut avoir des adultes sur la route qui
remettent un peu les choses au point, qui fassent réfléchir en
tous cas s'il y a des situations difficiles. Mais je crois qu'il faut en passer
par là. Si on n'est pas ensemble, on n'apprendra jamais à se
connaître. [...]Le truc où on les met séparément
pour pouvoir parler de ci, de ça, moi je n'y suis pas très
favorable. Je pense que c'est très bien qu'on entende ce que les
garçons pensent et ce que les filles pensent. C'est indispensable. Ce
serait un retour en arrière. On travaille bien garçons et filles
ensemble. » (B1, infirmière scolaire)
« La mixité, oui, ça fait partie de la
socialisation. C'est une forme de socialisation comme une autre. Il faut que
les garçons et les filles se mélangent, pour se dire des choses,
pour s'écouter, pour apprendre des autres. Ça fait partie, pour
moi, de la socialisation. C'est obligatoire pour moi. C'est comme ça que
l'on se construit aussi, la construction ne se fait pas forcément dans
la facilité. » (B5, professeur en Segpa)
Cette entraîneuse de cardio-boxe à l'Espace
Lagrange précise même les conditions dans lesquelles cette
mixité doit se faire. Racontant une anecdote vécue à
travers sont fils, elle
explique les risques de se voir confronté, à
l'âge du collège, à l'autre sexe, de manière
individuelle.
« Et puis bon, il y avait cette fête
organisée, et j'ai dit que je ne voulais pas qu'il [son fils] soit
isolé en tant que garçon, que toutes les filles lui saute dessus,
et puis qu'il le vive mal en fait, parce qu'il n'a pas l'habitude d'être
juste avec des filles. Donc la mixité oui, filles et garçons
ensemble, mais qu'un garçon avec que des filles, hors de question. Je
trouve que ce n'est pas sain en fait, dans ce sens ou dans l'autre, ce n'est
pas sain. [...] On a des comportements complètement différents
les filles et les garçons, donc il faut apprendre à se
connaître en se mélangeant, mais en groupe. On se compare, on se
regarde, mais toujours en n'étant pas isolé, je pense que c'est
important. » (J5, entraineuse cardio-boxe)
D'autres, cependant, envisagent l'idée d'une
séparation pour remédier aux problèmes d'indiscipline,
soit que les filles (sages) soient dérangées par les
garçons (agités), soit que les filles empêchent
inconsciemment les garçons de se concentrer.
« (Question) : Qu'est-ce que vous pensez de la remise
en cause de la mixité ? - (Elle) : Oui, il faudrait essayer. Il y en a
qui disent que les garçons, surtout à l'adolescence commencent
à avoir des vues sur les filles, qu'ils commencent à regarder les
filles et que du coup, ça les disperseraient. [...] Du côté
des filles, ce serait une classe tranquille. Quelques conflits
évidemment, mais ça serait facile à gérer. Une
classe de garçons, avec une femme enseignante... Je ne sais pas, hein.
Ça ne serait pas simple. Non, je n'aimerai pas enseigner dans une classe
que de garçons. Ça ne m'est jamais arrivé. »
(J3, professeure de mathématiques)
Même si l'argument mis en avant ici est celui d'un
problème de discipline, d'autres arguments, scientifiques cette fois,
peuvent être avancés. Ainsi, d'après Marie Duru-Bellat
(2010), la mixité renforcerait « l'expression d'un soi
dépendant de l'appartenance au groupe de sexe ».
Prévenir et réagir aux situations de sexisme et
d'homophobie
Quoi qu'il en soit, la mixité est bel et bien
présente sur le terrain, dans les collèges et les centres de
loisirs étudiés. Comme le décrivent les
professionnel.le.s, elle peut créer des situations de sexisme et
d'homophobie dans la classe ou dans l'activité. Alors, différents
niveau d'action peuvent permettre de prévenir ou de réagir
à ces situations.
· L'organisation de la classe
Les enseignant.e.s ne se livrent pas facilement sur ce qu'il
se passe à l'intérieur de leur salle de classe, lorsqu'ils.elles
font leur cours. Cependant, si aucun.e d'entre eux.elles ne dit oeuvrer
délibérément à l'effectivité de la
mixité dans ses classes, trois d'entre eux.elles décrivent des
fonctionnements qui auraient plutôt tendance à renforcer soit une
sorte de ségrégation spatiale, soit un sentiment de
différence.
« Alors, au départ, ils s'installent où
ils veulent. Après, je les déplace plus ou moins en fonction de
comment ça se passe. Ils sont chacun à un bureau, sauf si on fait
un travail de groupe. [...] En même temps, si je les changeais de place,
ils râleraient pour la forme, mais ça ne poserait aucun
problème pour le fonctionnement de la classe. » (B5,
professeur en Segpa)
« Moi, je les mets tout à fait à
l'aise. Filles, garçons, je ne vois pas de différence. Ce sont
des classes mixtes, donc entre eux, on est le plus neutre possible. C'est
sûr que les filles ont tendance à se mettre avec les filles. Je
tiens compte de leurs préférences pour faire mon plan de classe.
» (J2, professeure d'anglais)
« Je ne les encourage pas sur les mêmes
critères. Un garçon veut se mettre en valeur, donc prendre la
parole, se faire remarquer à l'oral. Alors qu'une fille va demander sur
quoi elle est notée. » (J2, professeure d'anglais)
« Mais avant de gérer une mixité, je
gère davantage un groupe-classe. La mixité, j'ai toujours
vécu avec, elle est dans l'ordre des choses, c'est comme ça.
» (B5, professeur en Segpa)
Le cours d'EPS (Education Physique et Sportive), en ce sens,
est un espace particulier de l'école. En effet, « le corps se
situant au coeur des processus de construction du genre, les cours d'EPS
constituent donc un lieu privilégié d'expression et de production
des différences entre les sexes » (Guérandel et Beyria,
2010). Pour cette étude, un seul professeur d'EPS a pu être
interrogé, les autres enseignant.e.s des trois collèges
étudiés ne souhaitant pas participer. Ainsi, même si tous
les élèves suivent les mêmes enseignements, ils.elles sont
séparé.e.s par niveaux, ce qui revient, pour l'enseignant,
à les séparer par sexe.
« Ils doivent répondre à une
programmation, et chaque élève vit les mêmes
activités chaque année, qu'il soit fille ou garçon. [...]
Alors, sur les sports collectifs, le prof peut opter pour, ça c'est des
stratégies d'enseignements hein, soit des équipes
hétérogènes en leur sein avec différents niveaux au
sein de la même équipe, auquel cas, là, la
mixité
elle se retrouve assez facilement. Ou après,
effectivement, plus on monte dans les niveaux de classe, plus on a quand
même une différence physique, et effectivement, si on se retrouve
par différence de niveaux, on va souvent se retrouver avec des groupes
plus a connotation masculine, et des groupes plus féminins. »
(J6, professeur d'EPS)
Cette constatation vaut pour une majorité de cours
d'EPS : « Quel que soit le niveau de la classe et son profil
d'options, l'observation des cours d'EPS témoigne de rapports sociaux de
sexe structurés autour du principe de séparation,
résumé par la formule "ensemble-séparé"
empruntée à Goffman » (Guérandel et Beyria,
2010). L'enseignant rencontré justifie d'ailleurs son choix en
renforçant l'idée d'une différence naturelle de niveau et
de force entre garçons et filles. Par là, il produit une attente
de comportement de la part de ceux-ci et de celles-ci qui a toutes les chances
de se concrétiser.
« C'est souvent quelque chose que j'explique aux
filles d'ailleurs, pourquoi, à un moment donné, je vais mettre
les filles d'un côté et les garçons de l'autre. Dans un
premier temps, elles sont un peu véhémentes, mais quand on le
fait, elles se rendent vite compte de l'intérêt qu'elles ont
à ne pas être avec les garçons, pour évoluer entre
elles et pour être à leur niveau. » (J6, professeur
d'EPS)
[Photo 3 : galanterie] « C'est-à-dire que
systématiquement, quand on a du matériel à porter, je fais
plus appel aux garçons, plutôt les garçons costauds, qu'aux
filles. Et quand les filles, paradoxalement, me reprochent de ne pas les
mélanger aux garçons, je leur fait remarquer que je fais plus
porter le matériel aux garçons. » (J6, professeur
d'EPS)
· Réagir à l'insulte
De la description que font les professionnel.le.s des jeunes,
ce qu'ils.elles remarquent le plus souvent, ce sont les insultes à
caractère sexiste ou homophobe qu'ils.elles peuvent s'échanger.
Alors, on doit se pencher sur la réaction, qu'en tant qu'adultes,
ils.elles apportent à ces insultes. Certains d'entres eux.elles,
considèrent que ce n'est pas nécessaire, ou trop
compliqué.
« Après, c'est dur, parfois à chaud,
c'est difficile. Se mettre en porte-àfaux par rapport à l'autre,
ce n'est pas toujours facile. » (B2, éducateur
spécialisé)
« Ça dépend de la façon dont
c'est fait, parce que souvent c'est plus du ressort de la blague, justement
pour... qui aime bien châtie bien on dit, donc ils aiment bien se, comme
ils diraient, se casser un petit peu, pour
le contact. Donc voilà, si c'est comme ça, bon
voilà... » (J4, entraineur badminton)
Pour d'autres, l'important est de faire émerger les
représentations des jeunes en apportant le débat. Ainsi,
ils.elles peuvent comprendre les implications que leurs mots peuvent avoir.
« J'essaie de faire un travail de médiation.
Je rencontre d'abord la jeune fille, ensuite je rencontre le jeune homme. [...]
Il faut vraiment que la parole se libère, et que l'autre puisse entendre
le ressenti et ce qu'attend l'autre, ce qui n'est pas du tout dans la logique.
Et c'est vrai qu'ils n'ont pas vraiment de lieu. » (B3, assistante
sociale)
« C'est-à-dire qu'il y a des fois où
c'est vraiment "Sale PD", bon, des fois je vais laisser passer. Après,
quand ça va plus loin ou que c'est lié à une situation qui
fait que l'on dit "sale PD" parce que, à un moment donné, il a eu
un geste affectueux avec un garçon... Donc oui, là je vais
réagir. On part sur le débat. Parce que de toute façon,
ça les questionne l'homosexualité. Pour eux, ce n'est même
pas que ce soit interdit, mais c'est sale. Voilà, ça ne se fait
pas, ce n'est pas dans la normalité des choses. Notre boulot, il doit
être de pouvoir les rassurer par rapport à ça. »
(B6, animatrice)
Enfin, certains professionnel.le.s ont pour objectif de ne pas
« laisser passer » ce genre de comportement de la part des jeunes
auprès desquel.le.s ils.elles travaillent.
« Moi, j'y vais du tac au tac ! Je les mets en face
à face. Quand il y a un souci, je suis toujours... Et puis en fait, sur
le quartier, les nanas, les petites gamines, elles ont vachement de
caractère. Il ne faut pas croire, hein ! [...] Elles ne se laissent pas
faire, et tant mieux, et je fais en sorte qu'elles ne se laissent pas faire.
Parce que dès qu'il y a un souci, il faut que ça se règle
tout de suite. Et puis on peut aussi amener une discussion sur ce qui pourrait
les faire ne pas s'entendre. On essaie de désamorcer les conflits.
» (B4, éducatrice spécialisée)
· Une posture
Certains professionnel.le.s estiment qu'une certaine posture
prise par l'enseignant.e ou l'animateur.e peut éviter de créer ce
genre de situation. Ainsi, pour certain.e.s, il s'agit de montrer aux jeunes
qu'on les traite de la même manière, qu'ils.elles soient des
filles ou des garçons.
« Si on est aussi à l'aise avec les
garçons et les filles, si on s'adresse à
eux de la même manière, si on attend d'eux les
mêmes choses, j'ai
l'impression qu'on se retrouvera moins confronté
à ce genre de problèmes. » (B7, animatrice)
« Après, je pense que c'est un positionnement
que l'on peut avoir nous, en tant qu'adultes. Je n'ai pas de difficultés
à aller voir des garçons, à être avec un groupe de
garçons et à discuter avec eux de choses tout à fait
classique, et en même temps à garder mon statut de femme. »
(B6, animatrice)
Il peut aussi s'agir, dans une posture plus militante, de
donner à voir aux jeunes d'autres modèles des rôles que
peuvent jouer animateurs et animatrices, adolescents et adolescentes, hommes et
femmes.
« En séjour, où la vie quotidienne
prend beaucoup de place, je vais être toujours attentive à ce que
les garçons et les filles en fassent autant, et à ce que les
garçons ne montent pas les tentes et les filles ne fassent pas à
manger. Parce que ça ne tient qu'à nous... Mais même moi en
tant qu'animatrice, qui représente donc une fille, je ne vais pas me
mettre chargée de cuisine. » (B7, animatrice)
« Et dire qu'une nana elle peut aussi aller au
footsal, et qu'un mec peut mener un atelier de cuisine, par exemple. Dès
l'instant où les jeunes voient ça... ça ne les choque pas,
ils ne se posent pas la question. » (B6, animatrice)
Enfin, amener les jeunes à avoir une réflexion
sur ces rôles et sur les stéréotypes qu'ils peuvent avoir
est une posture proposée par une animatrice du centre social de
BastideQueyries. Elle précisera par ailleurs avoir justement
trouvé dans la formation « Cet autre que moi » des outils lui
permettant d'amener les jeunes à cette réflexion.
« L'adulte, ce n'est pas celui qui détient la
vérité, enfin, moi ce n'est pas comme ça que j'ai envie de
poser l'autorité. [...] On n'est pas là pour apporter des
réponses, on est là pour mener les jeunes vers une
réflexion, vers une autonomie. » (B7, animatrice)
Certaines postures que prennent les professionnel.le.s, on l'a
vu, peuvent aller vers une prise de conscience des stéréotypes de
genre et une remise en question des rôles habituellement assignés
aux deux sexes. A l'inverse, lorsque la mixité n'est pas
problématisée et que ces stéréotypes et rôles
sexués sont invisibilisés, on peut avancer que l'école et
les lieux de loisirs viennent les conforter.
L'organisation des structures d'animation, ainsi que les
manières de gérer la mixité, lorsqu'elle est
présente, peuvent donc apparaitre comme des facteurs d'aggravation ou
d'amenuisement de la construction genrée des jeunes, et
donc, des tensions sexistes et homophobes.
II- Les représentations genrées des
professionnel.le.s
Cette partie cherche à donner à voir les
rapports que peuvent entretenir les professionnel.le.s interrogé.e.s
avec la thématique du genre dans leur métier, mais aussi d'une
manière plus générale. Ainsi, ils.elles ont
été interrogé.e.s sur les diverses formations et
sensibilisations qu'ils.elles ont pu recevoir au cours de leur vie
professionnelle sur ce sujet. Ils.elles ont ensuite pu donner leur point de vue
sur leur expérience quotidienne des rapports entre les filles et les
garçons qu'ils.elles accueillent dans leur structure, puis, entre les
hommes et les femmes dans la société.
Les pages qui suivent rendent donc compte des regards de ces
professionnel.le.s de l'école et des lieux de loisirs, et non
forcément de pratiques effectives des jeunes qu'ils.elles
accueillent.
1- Une non-sensibilisation au genre
Le genre absent des formations initiales
La grande majorité des professionnel.le.s
rencontré.e.s ne sont pas ou très peu formé.e.s ou
sensibilisé.e.s à la thématique du genre, dans son
acceptation théorique ou pratique. En effet, les formations initiales
qu'ils.elles ont suivi ne leur ont pas permis d'avoir une réflexion sur
ce sujet ou d'acquérir des connaissances pratiques à mettre en
place sur le terrain.
Certains des professionnel.le.s rencontré.e.s ont tout
simplement suivi une formation initiale qui ne correspond pas au poste
qu'ils.elles occupent actuellement et qui ne touchait donc pas à la
gestion d'adolescents, d'élèves, ou de jeunes en groupes. Cette
situation concerne 3 des 20 professionnel.le.s rencontré.e.s. Ainsi, ces
deux enseignant.e.s qui ont eu une carrière en entreprise avant de
rejoindre l'Education Nationale.
« Je suis contractuel pour l'éducation
nationale, c'est-à-dire que je ne suis pas un véritable
professeur. Je suis commerçant à l'origine, j'ai
été commerçant pendant plus de 20 ans, chef d'entreprise
pendant 11 ans. Et j'ai décidé, pour faire un changement
professionnel, d'enseigner mon métier, donc la vente, le commerce en
général, le droit et l'économie, qui font partie du
même registre. » (B10, professeur principal 3e
insertion)
« Moi, je n'ai pas été professeure
toute ma vie puisque j'ai 10 ans de carrière en entreprise avant, en
tant que responsable marketing sur des filières internationales.
Aujourd'hui, on vous recrute si vous avez un master. Moi, je l'avais
déjà. » (J2, professeure d'anglais)
La majorité des professionnel.le.s rencontré.e.s
(13 sur 20) ont bien suivi une formation en adéquation avec leur actuel
métier, mais qui ne comportait aucune sensibilisation à la
thématique du genre. C'est le cas de l'infirmière scolaire, de
l'assistante sociale, de l'ensemble des animateur.e.s socioculturel.le.s et des
éducateur.e.s spécialisé.e.s, et d'une très large
majorité des enseignant.e.s rencontré.e.s.
« Quand on veut passer infirmière scolaire, on
passe un concours. Une fois que l'on a passé ce concours assez
sélectif, on a quinze jours de formation, c'est tout. On y aborde un peu
la psychologie de l'adolescent. » (B1, infirmière scolaire)
« Sur le genre ? Non. Alors moi, ça fait un
petit moment que je l'ai fait ma formation, mais très peu. A
l'époque, ce n'était pas la priorité. » (B3,
assistante sociale)
« Non, je ne crois pas avoir eu une formation sur les
rapports de genre. Mais moi, mon école, je l'ai passée en 2000.
Je n'y ai pas trop trouvé ma place d'ailleurs, j'avais l'impression de
ne rien apprendre. » (B4, éducatrice
spécialisée)
« Moi, j'ai fait un IUT carrières sociales, je
suis partie dans le Nord pour le faire. J'ai eu un prof de philo qui, je pense,
était exceptionnel. Il nous a parlé de l'excision une fois. Mais
sur le genre, sinon... » (B7, animatrice)
« Je suis passée par le parcours normal,
c'est-à-dire BAC, après j'ai fait une année de maths sup.
A la suite de ça, j'ai vu que maths spé, c'était trop
difficile, donc j'ai passé le concours des IPES à
l'époque. Mais je trouve que ça manque quand même dans la
formation. » (J3, professeure de mathématiques)
« J'ai fait un master 2 recherche, en histoire.
Ensuite, j'ai commencé à préparer les concours du CAPES,
et en même temps j'ai décidé d'être contractuelle de
l'Education Nationale pour pouvoir commencer à
enseigner. Les IUFM ont été
supprimés, donc il n'y a plus aucune formation pédagogique. Il
n'y a rien sur les questions de genre, il n'y a rien sur... C'est dommage que
les sciences de l'éducation ne soient pas incorporées au
concourt, c'est dommage que le concours soit totalement
déconnecté de la réalité sur le terrain. »
(J8, professeure d'histoiregéographie)
« J'ai fait une formation professionnelle au CIAM. Non,
aucune formation sur le genre. » (J10, professeur de guitare)
Quelques enquêté.e.s (4 sur 20) ont
bénéficié d'une sensibilisation au genre, mais souvent
très théorique, et donc particulièrement difficile
à lier, dans la pratique, avec leurs actions quotidiennes auprès
des jeunes.
« En fac de sport, il n'y a pas plus
éclectique comme formation. Tu fais de la psycho, de la socio, de la
psycho-péda, des statistiques, de l'anatomie, de la physiologie...
Enfin, tu fais plein de choses. Pendant mes deux premières
années, j'ai appris pleins de choses. Donc oui, t'en entends... Dans la
psycho, tu fais les stades de développement de l'enfant, les
caractéristiques de chaque... Piaget et compagnie. Tu fais de la
sociologie, donc les rapports hommes / femmes, et tu étudies tout ce
qu'il s'est passé en allant du droit de vote de la femme à...
Voilà, ça te place dans un contexte socio-historique, mais tout
en parlant de l'homme et de la femme. J'ai eu une disert' à faire en
socio où l'on me parlait du statut des femmes de 1940 à nos jours
dans le sport. » (B5, professeur en Segpa)
« J'ai fait des études tout ce qu'il y a de
plus classique, de sciences. Après, j'en ai eu marre des sciences donc
j'ai fait une licence en sciences de l'éducation pour être instit.
Et puis, j'ai découvert ce métier d'éducateur, animateur
sportif, et ça m'a plus intéressé, du coup j'ai
lâché le côté professoral et je me suis lancé
dans l'animation, l'éducation sportive. [...] Quand j'étais en
sciences de l'éducation, j'avais fait mon rapport sur la mixité,
j'avais un peu travaillé sur ça. Mais c'était sur le
milieu scolaire, pas socio-éducatif. C'était plus sur les
enseignements, pourquoi les filles sont souvent plus sur les matières
littéraires et les garçons sur les matières scientifiques.
C'était intéressant. Mais ce n'était pas un gros truc.
» (J4, entraîneur badminton)
« J'avais fait un parcours sociologie, travail
social, et finalement, je me suis réorientée vers la danse. [...]
J'ai été sensibilisée à ces questions-là,
puisque moi j'ai fait une très courte formation en sociologie en
relations interethniques et immigration. C'est très fort au
Québec, parce que nous on a des grandes vagues d'immigration, beaucoup
d'ethnies se sont installées, ça a formé des villages, des
ghettos. Nous, c'était ça que l'on étudiait surtout. Et
puis, tout ce qui est traditionnel, c'est hyper sexiste, très machiste,
donc... » (J5, entraîneuse cardio-boxe)
« Nous, en EPS, on a une formation très
pragmatique, très empirique. Donc effectivement, dès le
départ, on est sensibilisé au dé-mixage ou pas, à
la gestion des niveaux... Mais pas plus que ça, ce n'est pas un point
central, non. » (J6, professeur d'EPS)
On peut donc noter que la sensibilisation au genre, à
la mixité dans les espaces scolaires ou de loisirs est quasiment absente
des formations initiales des professionnel.le.s des deux quartiers
étudiés.
Une sensibilisation tardive mal répartie sur le
territoire
Cependant, certains professionnel.le.s ont pu
bénéficier de formations continues sur ces thématiques. On
remarque d'ailleurs que l'accès à ces formations continues
abordant le genre ou la mixité n'est pas équitable selon les
territoires. Ainsi, les professionnel.le.s de Bastide sont-ils.elles finalement
plus sensibilisé.e.s que les professionnel.le.s du Jardin Public.
Ils.elles se voient, en effet, proposer plus de formations courtes par la
mairie de Bordeaux ou des organismes de formations, et sont plus enclins
à se renseigner par eux.elles-mêmes.
« Après, à nous de... c'est des
colloques, des formations comme ça, des cours du soir. [...] C'est
à nous de lire aussi. [...] J'ai été au colloque sur la
mixité. J'ai acheté le bouquin mais je n'ais pas eu le temps de
le lire. J'ai trouvé ça très intéressant parce
qu'ils disaient que même dans l'image des professeurs, il y avait
toujours une différence entre les filles et les garçons. »
(B1, infirmière scolaire)
« J'ai participé à la formation "Cet
autre que moi", et j'en ai fait une autre. C'était un groupe de travail
sur les questions de genre, organisé par la mairie il y a 6 mois. »
(B2, éducateur spécialisé)
« Après, moi j'ai fait une formation sur
l'analyse systémique qui m'a permis aussi d'avoir un autre regard des
groupes. Ça, c'était vraiment intéressant. Mais autrement,
après, ça s'est fait naturellement, j'étais
intéressée, j'ai cherché, j'ai bouquiné. Si, j'ai
eu une formation sur la vie relationnelle et sexuelle par le centre de
formation, c'était il y a 5 ou 6 ans. Mais bon, c'était une
journée, c'était léger quand même. » (B3,
assistante sociale)
« Par principe, dès qu'il y a des formations,
j'y vais, dans la mesure où je peux. Moi, c'est donc déjà
une démarche intellectuelle en premier. [...] Je fais des formations,
comme "Cet autre que moi", où là aussi, on va être
amené à évoquer l'adolescence et les rapports filles /
garçons. » (B5, professeur en Segpa)
« Par contre, je suis le projet depuis le
début dans le quartier. C'est-àdire depuis les première
fois où l'on a eu Jean-Philippe Guillemet qui est venu pour dire que
dans le cadre du Projet Social, il y avait un travail sur le sexisme. Parce
qu'apparemment c'était le quartier qui avait été un peu
repéré pour avoir des soucis avec ça. » (B6,
animatrice)
« En tout premier, le DSU avait organisé une
formation sur le sexisme qui était vachement intéressante parce
qu'on avait eu des intervenants. On avait eu une association de
féministes, une ethnologue, un intervenant par le sport. Et du coup, on
nous avait présenté l'outil "Cet autre que moi". » (B7,
animatrice)
On peut d'ailleurs noter le cas particulier de cet animateur
du secteur jeunes du centre social Bastide-Benauge qui a
bénéficié d'une formation assez longue sur la mise en
place de la mixité et sa gestion.
« Moi, je suis entré en formation
l'année dernière, et avec ce que j'ai appris... Bon, j'avais
déjà du terrain parce que ça fait 8 ans que je fais de
l'animation, mais ce que j'ai appris en formation, en théorie,
c'était vraiment intéressant. Pour moi, ça a
été une superbe expérience. Cette formation a duré
un an et demi, 18 mois. Oui, on a été formé par rapport
à la mixité. On a eu de la théorie, de la pratique. On a
eu des cours avec des sociologues, on a eu aussi un psychologue qui est venu,
on a eu des personnes qui travaillaient depuis de longues années dans
des territoires où il n'y avait pas de mixité. On a fait des
groupes de travail, ça s'est super bien passé. » (B8,
animateur)
En revanche, sur le quartier du Jardin Public, aucun.e
professionnel.le n'a participé à une formation sur le genre, la
lutte contre le sexisme ou la mixité. Deux cas de figures sont possibles
: soit ils.elles ne se sont pas vus proposer ce type de formation, soit
ils.elles n'y assistent pas, ne se sentant pas concerné.e.s.
« Non, on n'a pas du tout eu de formation
là-dessus. Sur la mixité intergénérationnelle oui,
sur la mixité sociale oui, mais sexuelle non, parce qu'il n'y a pas de
problème ici. » (J1, responsable Espace Lagrange)
« J'avais vu passer des choses sur la mixité,
mais je ne sais pas par qui c'était. Mais je n'ai jamais
participé. » (J4, entraîneur badminton)
Finalement, on peut dire que, même si les
professionnel.le.s qui ont accepté l'entretien sont surement ceux.celles
qui se sentent le plus touché.e.s par ces thématiques, ils.elles
ont été très peu sensibilisés à la
problématique du genre dans ce qu'elle peut avoir de concret pour
eux.elles : la gestion de la mixité, la lutte contre le sexisme et
l'homophobie. En ce sens, on
peut se demander quelle vision ils.elles ont de ces
problématiques sur le terrain. La mixité fait-elle
problème pour eux.elles au quotidien ? Evaluent-ils.elles le rôle
que peut avoir leur structure dans la construction de l'identité
genrée des jeunes qu'elle accueille ?
2- Leurs regards sur les jeunes
Lorsqu'on les interroge sur les relations entre les
garçons et les filles dans leurs structures d'animation ou dans leurs
collèges, les professionnel.le.s nous livrent à la fois leurs
expériences de terrain et leurs représentations. Comprendre la
manière dont ils.elles vivent ces relations au quotidien et le regard
qu'ils.elles posent dessus est le but recherché ici.
Des différences garçons / filles
observables
Au fil des entretiens, les interrogé.e.s nous donnent
à voir des jeunes qui ont des comportements ou des sentiments
différenciés selon qu'ils sont des garçons ou des filles.
En effet, dix entretiens sur les vingt menés comportent une assez longue
description des différences observées au quotidien. Il faut noter
qu'une majorité de ces discours sont le fait de professionnel.le.s du
quartier Jardin Public, les professionnel.le.s de Bastide cherchant
probablement à ne pas conforter un stéréotype
déjà présent concernant leur quartier. Ces
différences notées peuvent être regroupées sous
divers registres.
- Ils sont extravertis, elles sont plus effacées :
« J'ai remarqué, quand on a fait des tables
rondes, les garçons sont très bavards. Les filles ne disent rien
au collège, elles sont très effacées. Les garçons,
justement, pour parler des rapports filles/garçons autour de la
sexualité, alors là, c'est du non-stop, ils sont intarissables.
Et les filles sont toujours très en retrait. Donc c'est bien qu'elles
entendent. Ce qui serait bien c'est qu'elles puissent elle aussi un peu parler.
» (B1, infirmière scolaire)
- Les garçons sont violents, les filles jouent plus sur la
psychologie :
« Les filles, elles ne dépassent pas le cadre
de l'insulte ou du tutoiement. C'est une façon de provoquer l'adulte, le
tutoiement. La jeune fille va tutoyer. En même temps, c'est la
défense facile chez les jeunes filles. Les garçons vont balancer
une trousse, vont se renfermer, baisser la tête, maugréer un peu
dans leur barbe. J'ai eu plus souvent à
faire sortir des filles que des garçons. [...] Les
garçons, ils se calment, les filles, elles reviennent à la
charge, toujours. Les garçons comprennent mieux. Il y a un clash une
fois, et après, c'est terminé, on en parle plus. Les filles, non.
» (B5, professeur en Segpa)
- Elles sont sérieuses, ils sont plus agités :
« Les filles sont plus sérieuses, plus
travailleuses que les garçons. Le garçon, il veut aller droit au
but lui. Et puis, pas trop détaillé. La fille est plus studieuse,
elle y va pas à pas. Elle a moins confiance en elle que les
garçons je trouve. Elles sont plus fragiles que les garçons. Et
puis, les garçons, la maturité qui n'est pas du tout la
même aussi. » (J3, professeure de mathématiques)
« Après, dans ce collège là, les
élèves qui bougent beaucoup ce sont des garçons. Les
filles, elles, sont assez sages on va dire. Mais sur le comportement oui, les
garçons sont plus agités en classe, ils ont plus de mal à
se concentrer que les filles qui, elles, vont plus papillonner ou être
passives, même si elles sont présentes physiquement, mais elles ne
sont pas là intellectuellement. Alors qu'un garçon, lui, il est
présent, il se manifeste. Ils ont besoin de bouger, de monopoliser
l'attention. » (J8, professeure d'histoire-géographie)
« Les filles sont d'avantage dans une retenue, peut
être dans la réflexion. Alors que les garçons, c'est
l'impulsivité, et puis éventuellement, on réfléchit
après. » (J9, professeur de lettres-musique)
- Elles sont fragiles, ils sont plus forts :
« Un garçon va prendre un coup. C'est un sport
de contact, c'est normal qu'on prenne des coups. Un garçon, un coup de
bombe magique, et ça passe. La fille, il faut la porter, la rassurer...
Ce n'est pas moi. Il faut passer beaucoup plus de temps sur les filles que sur
les garçons. Nous, on n'a pas ce temps à perdre. C'est pour
ça que ça m'embête d'entraîner des filles. »
(J7, entraineur football)
- Elles sont dynamiques, ils sont plus difficiles à
convaincre :
« Moi, j'aime bien quand il y a des filles quand
même, parce que je trouve qu'elles sont plus dynamiques que les
garçons. Souvent. Et puis, ce n'est pas la même ambiance. Comment
je pourrais expliquer ça ? Il faut plus négocier avec les filles
pour leur faire faire des choses, quand même. Mais on sent qu'il suffit
de pas grand-chose pour qu'elles le fassent. Et les garçons, pour les
faire chanter par exemple, ou pour les faire jouer, c'est plus difficile. On y
arrive même assez rarement. » (J10, professeure de guitare)
Finalement, même s'ils.elles précisent souvent
que ces descriptions sont des généralités et qu'il existe
évidemment des exceptions, ces « profiles types » nous donnent
une idée de leur compréhension quotidienne du monde qui les
entoure. La distinction entre garçons et filles en fonction du
caractère participe donc d'une catégorisation leur permettant
d'interagir avec eux. Or, on sait que les différences entre les
individus à l'intérieur des catégories de sexe sont
souvent plus importantes qu'entre ces catégories.
Des relations plus ou moins tendues
Les professionnel.le.s interrogé.e.s décrivent
des relations entre les jeunes des deux sexes qu'ils ne qualifient pas de
tendues. En effet, s'ils.elles sont parfois mal-à-l'aise par rapport
à certaines situations, le sexisme est décrit comme n'appartenant
pas à leur monde, mais à celui des adultes.
« Forcément, ils se jettent des regards quand
on parle de l'obésité, des règles des filles. Mais en
même temps, il faut bien en parler. Et puis à côté de
ça, il faut arrondir les angles. Voilà, des petites insultes...
Sexisme, non. C'est plutôt sur l'aspect physique. » (B5,
professeur en Segpa)
« Ils sont quand même plus dans l'envie de
plaire, dans ce petit jeu, que dans le truc de dire "va faire la cuisine" ou
des choses comme ça. Mais il y a des petits relents parfois... »
(J4, entraineur badminton)
« On sent chez certains garçons... on ne va
pas parler de virilité encore à cet âge là, mais le
côté masculin qui commence à l'emporter. [...] Mais,
sexiste... Je ne sais pas. Non, pour moi, sexiste, ce sont d'avantage des
comportements d'adultes, pour lesquels il y a eu un passé ou une
sociabilisation particulière. Bon, il peut y avoir, comme ça, des
petites réflexions, mais ça reste très limité.
» (J9, professeur de lettre-musique)
Le cas particulier de l'assistante sociale scolaire du
quartier Bastide montre des relations plus difficiles, sûrement du fait
de ce statut particulier qui lui fait connaitre les histoires les plus
délicates qu'ont pu vivre les élèves de
l'établissement.
« Ils ne se connaissent pas, c'est assez tabou.
Alors, ils se bousculent, ils passent une petite main de temps en temps
comme-ci comme-ça. Bon, il y en a quand même qui sont dans la
tendresse mais c'est assez brut de décoffrage leurs relations.
Après, j'ai eu une autre situation où des gamines
s'étaient retrouvées à la médiathèque et des
garçons leur avaient demandé de venir dans les toilettes. Il y en
a une qui ne voulait pas, mais l'autre l'a motivée. Elles y sont
allées, elles ont été obligées de
leur faire des fellations. Et après, comme si de
rien n'était. C'est ça qui est assez étrange, c'est
vraiment de la consommation. Là, j'ai senti dans cette situation que
c'était de la consommation, et ils ne voyaient pas la gravité,
sauf la petite qui avait subi. » (B3, assistante sociale)
De ce premier point de vue, la mixité n'apparait donc
pas particulièrement difficile à gérer, sauf dans
certaines situations exceptionnelles, même si, bien sûr, cette
constatation n'empêche pas que l'école et les lieux de loisirs
soient le théâtre d'une reproduction de la socialisation
genrée.
Par contre, ce que les professionnel.le.s remarquent souvent,
ce sont les insultes à caractère sexiste ou homophobe que peuvent
s'échanger assez régulièrement et assez violemment les
jeunes. Dans la plupart des cas, ces insultes ne sont vues que comme des
problèmes de discipline à gérer comme tels. Or, «
pourquoi croire que ce langage n'est que de la vulgarité, alors que
les garçons interrogés savent tous expliquer ce dont il s'agit ?
Ce vocabulaire participe à la connaissance et à la
définition des rapports de sexe » (Ayral et Raibaud, 2010).
« Des petites choses très basiques, ce sont
déjà les insultes entre garçons et filles. [...]
Après, il y a souvent des insultes qui deviennent... qui paraissent
normales : "Sale pute !", "Espèce de gros pédé !", ces
choses là. » (B3, assistante sociale)
« Les mots, l'autre ne l'entend pas toujours comme
ils veulent être dits par le garçon, ou la fille d'ailleurs. Moi,
je crois qu'il faut intervenir. On est professionnels quand même, on
sait. On ne va pas laisser un garçon traiter une fille de salope. On ne
peut pas. Même si pour lui... Même le mot "biatch"... Alors, tout
ça parce que c'est dans la bouche de Djamel, alors d'accord, on peut le
dire en... mais c'est toujours pareil, comment c'est dit, à quel moment
c'est dit ? Si c'est effectivement dans le cadre d'une blague à la
Djamel, ok. Mais quand c'est dit : "Ouais, celle-là...", on peut
reprendre. » (B1, infirmière scolaire)
« Après, c'est toujours pareil, quid de la
réflexion qui est vraiment censée faire mal, ou la
réflexion qui est rentrée dans le langage commun. »
(J6, professeur d'EPS)
Un discours sur les représentations des jeunes
Cependant, les jeunes sont décrits comme ayant des
représentations assez stéréotypées de ce que
peuvent être une fille ou un garçon. Sur le quartier de la
Bastide, lorsque ces différences de représentation sont
évoquées, elles sont souvent liées par les
professionnel.le.s
à la culture, ou à la précarité du
public.
« On travaille avec une population en grande
précarité avec des représentations sur les places que
peuvent occuper dans la société l'homme et la femme. Et dans le
discours quotidien des jeunes, on peut relever des traces de ce que peuvent
être les discriminations liées au sexisme. Ça va de la
petite chose bête de la réflexion d'un gamin : "Non, je ne fais
pas la cuisine, c'est un truc de fille" au regard que posent les jeunes sur
leurs soeurs, sur leurs mères, et sur les autres filles. »
(B2, éducateur spécialisé)
« Le manque de respect par rapport aux filles, c'est
aussi lié, je pense, à une certaine culture. Enfin, ça
accentue. [...] Il y a un truc qui n'est pas du tout accessible, ils ne peuvent
pas y accéder ces garçons là, et donc ils ont la haine,
quitte à être vachement violents verbalement et physiquement
parfois. » (B3, assistante sociale)
Sur le même quartier, l'assistante sociale scolaire
évoque le fait que ces stéréotypes du masculin et du
féminin sont aussi bien présents chez les garçons que chez
les filles. Ainsi, se construire en tant que femme apparait comme une
épreuve.
« J'ai l'impression que certaines gamines
intègrent complètement leur position de femme soumise à
accepter la règle du garçon. Ces gamineslà ont
complètement intégré le fait qu'il ne faut pas être
en jupe parce que sinon on va attirer les garçons, et ce sera bien fait
pour nous si on est violée. [...] Une fois, j'ai du virer une gamine
d'un groupe de parole parce qu'elle interdisait aux autres de parler parce
qu'on ne parle pas de sexe. Elle avait complètement verrouillé
toute discussion avec son regard, elle enfermait tout le monde. »
(B3, assistante sociale)
A ces stéréotypes et représentations, les
jeunes adaptent leurs comportements en groupe. Ainsi, les garçons, en
cours de guitare, évitent de choisir des chansons qu'ils jugent
féminines pour affirmer leur virilité.
« Les choix des morceaux ne sont pas du tout les
mêmes. C'est vrai que les garçons vont quand même sur des
morceaux un peu plus rock, plus masculins, entre guillemets, que les filles.
C'est vrai que dans leur choix, ça va quand même sur des morceaux
un peu plus rock, de garçons, plus rentre dedans, avec de la guitare
très saturée, un gros son. C'est vrai qu'il y a un petit peu ce
côté garçon, où ils font jouer la virilité.
Et d'ailleurs, je m'amuse parfois à essayer de leur faire jouer des
morceaux avec les filles, et c'est vrai qu'ils ont du mal à faire
ça, surtout quand ils sont en groupe, effectivement. » (J10,
professeur de guitare)
Les jeunes sont également décrits comme ayant des
stéréotypes sur la sexualité.
Certain.e.s interviewé.e.s parlent de la pornographie
et de l'image de la femme que peuvent en tirer les jeunes garçons. Une
animatrice du centre Bastide-Queyries décrit également des jeunes
ancré.e.s dans le modèle du couple hétérosexuel.
« Ou alors des gamins qui sont complètement
collés à l'image de la
sexualité pornographique, et la femme c'est ça.
» (B3, assistante sociale)
« J'ai l'impression que pour eux, la fille, elle est
considérée comme un objet. Alors que ce sont des garçons
qui ont 12-14 ans. Moi, ça m'a halluciné. » (B4,
éducatrice spécialisée)
« C'est hyper compliqué les rapports
garçons / filles sur les quartiers. Cette espèce de
sexualité débridée. Ils ont une vision des filles et ils
sont capables de tout pour pouvoir coucher avec, c'est un challenge. Les filles
sont des proies. » (B2, éducateur spécialisé)
« Mais de toute façon, ça les
questionne l'homosexualité. Pour eux, ce n'est même pas que ce
soit interdit, mais c'est sale. Voilà, ça ne se fait pas, parce
que c'est à l'encontre, quelque part, quand tu es pré-ado, d'une
normalité. Je crois que les pré-ados, ils cherchent aussi
ça, à être comme tout le monde, à se fondre dans la
masse, à travailler, à être mariés, avec des
enfants. Ce n'est pas l'idée du prince charmant, c'est juste
l'idée du couple qui est fait comme ça. » (B6,
animatrice)
Ainsi, les jeunes sont décrits comme ayant des
stéréotypes de genre, qu'ils.elles projettent
nécessairement sur les adultes qui les entourent, notamment les
enseignant.e.s et animateur.e.s. Or, « le fait de se
représenter les attentes des enfants comme
stéréotypées peut venir renforcer la mise en oeuvre de
compétences relationnelles différenciées chez les
animateurs et les animatrices » (Herman, in Raibaud et al., 2006).
Le sexisme, l'homophobie : ailleurs, mais pas ici
Quel que soit le quartier d'intervention des enseignant.e.s et
animateur.e.s entretenu.e.s, une grande majorité d'entre-eux.elles a
tendance à décrire ce quartier (ou cette zone) comme non
touchée par ce phénomène. C'est ce que l'on appelle le
« gender blindness », le fait d'être aveugle à
l'effectivité des rapports sociaux en termes de genre. Ainsi, les
professionnel.le.s du Jardin Public indiquent que leur quartier est très
peu touché par les tensions de genre, en comparaison aux quartiers
d'habitat social ou aux établissements classés en ZEP, par
exemple.
« On a moins de choses comme ça dans ce
secteur là qu'au Grand Parc, où quand même il y a beaucoup
de familles maghrébines, et c'est quand même l'image de la femme
ce n'est pas toujours très valorisé, donc il y a parfois des
reproductions. » (J4, entraineur badminton)
« Ils se connaissent depuis petits
généralement, depuis la maternelle ou la primaire, les familles
se connaissent aussi entre elles. Une forme, voilà, de presque de
consanguinité comme ça, sans être péjoratif. Du
coup, j'ai presque envie de dire que certains ont des rapports
fille/garçon qui sont quasiment parfois frère/soeur ou
cousin/cousine. C'est vrai qu'ils se connaissent très très bien.
C'est un peu comme une grande famille, avec les avantages et les
inconvénients que ça peut avoir. Non, ils ne sont pas dans ce
conflit sexué je trouve. » (J6, professeur d'EPS)
« A première vue, du point de vue d'un
enseignant, il n'y a pas vraiment de problèmes entre garçons et
filles dans cet établissement. [...] A la différence, mettons,
quand vous travaillez en ZEP. » (J8, professeure
d'histoire-géographie)
De la même manière, les professionnel.le.s du
quartier Bastide-Queyries ont tendance à comparer leur quartier à
celui de la Benauge, jugé moins mixte, et plus tendu concernant les
relations entre filles et garçons.
« Pas du tout. Est-ce que c'est parce que c'est
Queyries ? Après, je sais un peu d'où ça émanait au
départ ce souci, de quel partenaire... Alors, je peux l'entendre, et je
trouve ça bien que l'on en parle. Je trouve ça intéressant
que l'on se pose la question de la relation filles / garçons, mais de
manière générale... Le sexisme, heu... [...] C'est ce
quartier peut-être, je pense qu'il y a des quartiers plus difficiles.
» (B6, animatrice)
« Moi, je suis une fille bien dans ma peau, du coup,
il y a des choses que peut être d'autres filles verraient, des
problèmes de genre, moi, ici, pas du tout. Je ne me sens pas
confrontée vraiment sur le quotidien à des problèmes de
genre. [...] Non, sur Queyries, je ne peux pas dire que je me sois
confrontée à... Mais en essayant de travailler avec la Benauge,
où là on s'est trouvé confrontées à
certaines représentations. » (B7, animatrice)
Enfin, les animateur.e.s et enseignant.e.s de Bastide-Benauge,
quant à eux.elles, dénoncent l'image sexiste qui colle au
quartier et mettent en avant les efforts qui ont été faits.
« Parce que quand notre directeur
général, en réunion devant les 200 salariés, a
demandé qui voulait aller à la Benauge en urgence... Moi, je ne
voulais pas y aller, parce que je suis né ici, je suis comme leur
grand-
frère avant tout. Mais quand j'ai vu que sur 200
personnes, il n'y en a pas un qui a levé la main. Ils avaient une image
de la Benauge comme quoi c'était la racaille, plein de mecs, m'as-tu-vu,
plein de sexisme. Personnellement, ça m'a touché. C'est quoi
cette image qu'ils ont ? » (B8, animateur)
Mise à part les quelques cas évoqués plus
haut de professionnel.le.s qui mettaient en avant la culture ou la
précarité associées à leur quartier pour expliquer
les tensions entre filles et garçons, un seul des entretiens
décrit un sexisme et des stéréotypes plus fort dans son
quartier. Ce qui est à relever, c'est qu'il s'agit d'un professeur de
guitare du quartier Jardin Public. Il évoque notamment la place de la
religion catholique et le manque d'ouverture du quartier.
« Ça faisait vraiment une réflexion
très archaïque en fait. Il y a quand même ce
côté-là qui reste, malgré que ça avance. Et
ça, ça arrive souvent quand on propose des morceaux un peu
plus... un peu de fille, oui, je suis obligé de dire ça, mais un
peu plus pop, un peu plus sucrés, un peu plus soft. [...] Bon, c'est ici
que ça s'est passé. Le quartier, on a quand même une
population de profs, d'instits... ce n'est pas le milieu le plus rock'n'roll
qui soit. C'est ces enfants-là qui viennent quand même. Ici, c'est
quand même un quartier où il y a beaucoup de cathos, il y a des
écoles cathos... Je pense que ça vient de là. Parce que ce
n'est pas des trucs que je retrouve ailleurs ça. » (J10,
professeur de guitare)
Ainsi, les problématiques liées au genre
semblent plutôt invisibilisées par les professionnel.le.s.
Lorsqu'il.elles sont interrogé.e.s sur la place du genre dans leurs
structures, ils.elles se défendent de tout sexisme en soulignant qu'il
n'y a que peu de tensions. L'idée que l'école et les lieux de
loisirs puissent être des institutions reproductrices d'une socialisation
genrée n'est pas problématisée.
De l'importance de la variable adolescence
Les professionnel.le.s rencontré.e.s expliquent de deux
manières différentes, qui se combinent parfois, pourquoi les
jeunes garçons et les jeunes filles peuvent avoir des comportements
différenciés, s'éviter, ne pas se comprendre ou
s'insulter. Une de ces deux raisons est le fait que ces jeunes entrent dans une
période vue comme difficile, celle de l'adolescence. En effet, ce moment
de leur vie, perçu comme celui des changements, de l'évolution du
corps, de la féminisation ou de la masculinisation explique pour
beaucoup de profesionnel.le.s la particularité des rapports entre
adolescents et adolescentes. Pour Y.
Raibaud et S. Ayral (2009), cette « croyance que
l'adolescence est un âge indécis sur le plan de la
sexualité renforce la crainte que plus tard, l'enfant ne "bascule" dans
l'homosexualité, risque pour sa santé psychique et physique
[...] ». Les enseignant.e.s et animateur.e.s apparaissent alors comme les
garants de la différenciation genrée.
« On est dans l'âge de la
préadolescence. C'est une période fragile, il se passe de plus en
plus de choses chez ce genre de public, donc c'est moins facile à
gérer. C'est un moment charnière de la scolarité et de
l'âge. » (B5, professeur en Segpa)
Certains mettent en avant l'idée que filles et
garçons, à cet âge, ne se connaissent pas, et donc
commencent à se découvrir. Les tensions et comportements
différenciés seraient alors liés à cette
étape de transition.
« Moi, ce que j'ai pu voir, c'est vraiment cette
incompréhension. "Les garçons, ils sont bêtes. Ils ne
pensent qu'à ça". Bon, c'est un peu une réalité
aussi, les hormones les travaillent peut être plus que les filles,
à cette période là en tous cas. » (B3,
assistante sociale)
« Avec les plus petits c'est différent aussi,
avant 10 ou 12 ans, on n'est pas dans le besoin de se confronter avec l'autre
sexe. » (B6, animatrice)
« L'incompréhension aussi, ils sont dans des
fonctionnements complètement différents souvent, parce qu'ils ne
se connaissent pas en réalité. Ils fantasment l'autre, je crois.
» (B3, assistante sociale)
D'autres relèvent que cette période transitoire
n'a pas les mêmes conséquences chez les jeunes des deux sexes. La
différence de maturité, stéréotype très
répandu, est notamment évoquée.
« L'adolescence ne se caractérise pas de la
même manière chez les filles et chez les garçons. »
(J8, professeure d'histoire-géographie)
« Est-ce qu'on est, au niveau du collège, sur
une différence de maturité ? Les filles, dès le
départ, ont compris qu'il y avait des attentes ici, un règlement
qu'il faut respecter. Je pense qu'il y a une part de ça, à un
moment donné. Il y a ce petit décalage. Les garçons ont
cette maturité souvent un peu plus tard. » (J6, professeur
d'EPS)
Enfin, pour d'autres, c'est l'entrée en jeu de la
variable « sexualité » qui fait de l'adolescence ce moment si
particulier. Lié à l'idée que filles et garçons ne
grandissent pas de la même manière et à la même
vitesse, l'innocence des filles et l'apparition des premiers
désirs sexuels chez les garçons
entraîneraient un décalage.
« Je pense que c'est lié au
développement psychologique des garçons et des filles. On a
l'habitude de dire que les garçons murissent un peu moins vite que les
filles. [...] On va parler d'innocence, mais en même temps il y a ce
comportement sexué qui arrive progressivement. Donc il y a
décalage. Une fille peut avoir envie de s'habiller avec une jupe
très courte tout simplement parce qu'elle se sent bien dedans, et les
garçons, à cause de ce comportement sexué, vont avoir un
autre regard, moins innocent. » (J9, professeur de
lettres-musique)
La pression du groupe à la conformité
La deuxième raison invoquée pour expliquer les
difficultés entre garçons et filles, directement liée
à la première, est l'importance du groupe chez les adolescents et
prend une place non négligeable dans le discours des profesionnel.le.s.
En effet, les comportements sexistes que l'on remarque chez les adolescent.e.s
(insultes, stéréotypes...) ne seraient en fait que le
résultat de la volonté de se fondre dans le groupe, de ne pas se
démarquer, pour se sentir intégré.
« Et puis, ils disent ça, mais en même
temps le collège c'est les premiers amours, les premiers émois de
leur vie d'adolescents. [...] Mais je crois que c'est le propre de
l'adolescent, de ne pas se démarquer dans le groupe, d'être dans
les idées reçues un peu. » (B1, infirmière
scolaire)
« On a quand même toujours des images en groupe
: "Les filles c'est comme ça", "Les garçons c'est comme
ça". "Les filles, elles vont être avec les profs, elles sont
lèche-culs, elles veulent se faire bien voir, elles racontent des
histoires", et puis "Les garçons, ça bouscule, c'est violent,
ça se moque". Oui, ces images. [...] Donc, on se moque, mais finalement,
derrière, quand on les voit seul, il y a d'autres rapports
filles/garçons. » (B1, infirmière scolaire)
« Au-delà du rapport garçon / fille,
c'est plus la dynamique de groupe qui intervient. Même si, de tout temps
et à jamais, les relations filles / garçons... [...] La
problématique, c'est plus le phénomène de groupe, que le
jeune individuellement. » (B5, professeur en Segpa)
« Après, c'est le problème de
l'adolescence, où tu as le poids du groupe. Mais il ne faut pas
raisonner sur le groupe... Je ne sais pas comment dire, un groupe, il est en
représentation, du coup, quelque part, des fois ils nous donnent ce que
l'on attend d'eux. Il ne faut pas hésiter à provoquer ces
situations individuelles, où justement, là tu parles vrai. [...]
Moi j'arrive à comprendre qu'un ado devant ses potes il veut montrer une
image, et nous, on n'a pas à tout démolir, ça peut
être très
dangereux. Ça ne sert à rien de mettre les gens
en difficulté pour qu'ils évoluent, je pense. » (B7,
animatrice)
Les garçons et les filles sont donc vus comme
différents, comme ayant des représentations et des
stéréotypes de ce qu'est l'autre sexe, mais leurs relations ne
sont pas décrites comme tendues ou relevant du sexisme ou de
l'homophobie (ils.elles ne comprennent pas le sens de leurs insultes...). En
même temps, si tensions il y a, elles ont lieu ailleurs, ou sont dues
à la difficulté de la période adolescente ou à
l'effet de groupe. Sexisme et homophobie semblent être vus comme des
comportements pathologisés de l'adulte, mais jamais transposés en
latence aux jeunes, comme si le sexisme des adultes n'était pas
lié au sexisme des adolescents qu'ils ont été, et
inversement.
3- Les représentations de genre : des regards
sur l'homme et la femme
Cette partie développe les regards que portent les
professionnel.le.s sur l'homme et la femme dans la société, leurs
positions, leurs différences. Il s'agit, en effet, de comprendre leurs
positionnements par rapport à ces différences : Sont-elles
innées ou acquises ? Quelle est la place de l'éducation ? Dans
quelle mesure adhèrent-ils.elles au schéma
hétéronormé ?
La répartition des rôles et des tâches :
des différences complémentaires
D'une manière générale, l'homme et la
femme sont présenté.e.s comme ayant des rôles
différents (qu'il s'agisse des tâches qui leur incombent ou des
qualités qu'ils.elles peuvent développer), que les
professionnel.le.s considèrent cet état de fait comme naturel ou
construit.
L'homme et la femme sont d'abord présenté.e.s
comme étant différents, ou plutôt comme ayant quand
même quelques différences, qu'elles soient des attributs physiques
ou de caractère.
[Photo 3 : galanterie] « J'aime beaucoup la
galanterie. Pour moi, ce n'est pas du sexisme, c'est faire attention à
l'autre, comme moi je pourrais faire attention à l'autre aussi. [...] Je
ne trouve pas que ce soit s'abaisser à l'homme, on est un peu
différents quand même, hein. » (B6, animatrice)
« Après, moi, je pense que la femme et l'homme
ne sont pas égaux, physiquement. Il y a des choses que je trouve normal
que ce soit l'homme qui les fasse plutôt que la femme. Je ne suis pas
pour l'égalité des sexes... intellectuellement peut-être,
mais physiquement, on est quand même différents. » (J3,
professeure de mathématiques)
Pour certains, et notamment lorsque le thème des
tâches ménagères est abordé, la répartition
doit en être complémentaire. En effet, hommes et femmes sont
supposés ne pas avoir les mêmes qualités physiques et
psychologiques. La répartition des tâches entre donc dans une
logique d'habilités supposées.
[Photo 10 : fer à repasser] « Je suis de la
génération où effectivement toutes les tâches
ménagères nous incombent. Mais, pour moi, c'est une harmonie, une
entente aussi. Chacun vit sa vie de couple comme il l'entend. [...]
Voilà, ça ne me choque pas. Moi, j'ai toujours repassé,
mon mari fait autre chose que je ne fais pas. » (B1,
infirmière scolaire)
[Photo 10 : fer à repasser] « Vu les
journées que je me tape, il n'est pas question à la maison que
j'en fasse plus que l'autre. Mais il y a des trucs tout cons au niveau de la
force. On a beau dire, les garçons, ils sont plus forts, ils sont plus
forts. Et donc du coup, dans le partage des tâches, s'il y a
déplacer des bûches ou faire la vaisselle, je n'irais pas
forcément déplacer des bûches où je vais me faire
mal au dos. » (B7, animatrice)
[Photo 10 : fer à repasser] « Non, non, je
crois qu'aujourd'hui on est dans une société, pour la classe
moyenne, de taches partagées, ou de taches négociées
d'ailleurs. » (B2, éducateur spécialisé)
Certain.e.s professionnel.le.s, en précisant
qu'ils.elles dépassent ce lien, rappellent à quel point cette
notion de partage des tâches est liée aux idées de
féminité et de masculinité.
[Photo 10 : fer à repasser] « Je suis pour la
répartition des tâches. Moi, je cuisine tous les soirs pour ma
petite famille. J'aime ça, ce n'est pas un souci. En fait, avec moi, tu
es bien tombée pour ton entretien, j'ai une grande part de
féminité ! » (B5, professeur en Segpa)
[Photo 10 : fer à repasser] « Le fer à
repasser, ça ne me dérange pas, je me mets devant la
télé, je regarde le match, comme quoi ! » (J4,
entraîneur badminton)
Une part importante des femmes interrogées (4 sur 10,
dont 3 sur 5 du quartier Jardin Public) indique, toujours concernant les
tâches ménagères, en faire bien plus que leur conjoint.
Aucune d'entre-elles n'attribue cette situation à un choix
volontairement égoïste de la part de celui-ci : il travaille plus,
a été mal élevé par sa mère, les femmes sont
maniaques...
L'une d'entre elles considère même qu'elle l'a
empêché d'y contribuer.
[Photo 10 : fer à repasser] « A la maison, je
râle parce que c'est souvent moi qui fais le ménage. [...] Ce
n'est pas une question de mec. Je n'ai pas ce rapport d'opposition, pour moi
c'est une question de personne. [...] Alors, on pourra dire que c'est sexiste,
mais les nanas, on a un seuil de tolérance, pour la plupart, beaucoup
plus limité à la poussière que les hommes. Et les mecs la
voient moins. » (B6, animatrice)
[Photo 10 : fer à repasser] « Moi, avec mon
mari, on s'est partagé les tâches dès le début.
Après, lui, il avait un métier qui était très
prenant, donc il fallait bien qu'il y en ait un qui fasse un petit peu plus.
» (J3, professeure de mathématiques)
[Photo 10 : fer à repasser] « Chez nous, mon
mari est loin d'être macho, mais il s'en fiche. C'est le strict minimum.
[...] Et puis chez nous, c'est particulier, parce que mon mari n'est pas le
père de mon fils, donc je me suis un peu obligée à faire
tout ça, pour pas qu'il n'ait à supporter... Je m'en suis trop
mis sur les épaules, j'en suis bien consciente. » (J5,
entraîneuse cardio-boxe)
[Photo 10 : fer à repasser] « Je vis avec
quelqu'un qui gagne très bien sa vie, et qui donc n'a pas le temps pour
les tâches ménagères. Ça a été
très difficile pour moi. Ce n'est pas une question que ce soit un
garçon ou que ce soit une fille, parce que sa soeur c'est exactement
pareil, leur mère ne voulait pas de conflit, donc du coup, elle les a
servi, et elle continue. [...] Au début, vous lui apprenez, et puis en
même temps, le soir, il rentre de bosser il est 22h, donc vous n'allez
pas lui tendre l'aspirateur. Donc, vous le faites. » (J8, professeure
d'histoiregéographie)
Deux des dix hommes rencontrés (1 sur Bastide, 1 sur
Jardin Public) développent un discours clairement axé sur une
répartition des tâches entre hommes et femmes liée à
la distinction entre public et privé, entre production et reproduction.
Les femmes doivent s'occuper de la maison, des enfants, et de leur conjoint -
leur mari - lorsqu'il rentre le soir. L'homme doit aller travailler.
« Je connais des femmes qui disent ce qu'elles
veulent à leur mari, qui bavardent, qui font les courses quand elles
veulent, qui font à manger quand elles veulent, qui font l'amour quand
elles veulent. Non, non ! Pourquoi on ne parle que des femmes
maltraitées ? » (J7, entraîneur football)
« On dit que sur les salaires, il y a une
différence de 30% entre
l'homme et la femme, sauf que nous, on n'a pas 9 mois de
maternité
aussi. On ne porte pas les enfants, donc tous les jours on
est au travail. Ça fait depuis 1987 que je travaille ici, je n'ai jamais
été absent pendant 1 jour. Une femme ne pourra pas dire la
même chose. » (J7, entraîneur football)
[Photo 10 : fer à repasser] « On est en
France, mais on va trouver aussi des femmes qui assument leur position de femme
au foyer, qui assument leur ménage, l'entretien de leurs enfants et de
leur mari. Ce n'est pas du tout imposé, elles assument. C'est un accord.
[...] Il y a des femmes qui aiment bien avoir un homme à la maison, et
quand on veut avoir un homme à la maison, il ne faut pas demander
à un homme de devenir une femme. Il y a des femmes qui aiment les hommes
virils. » (B9, animateur)
Finalement, si la plupart des professionnel.le.s apparaissent
être en faveur d'une certaine égalité de répartition
des tâches et des rôles, on voit bien que ce n'est pas toujours le
cas dans la réalité de leurs foyers. On peut tout à fait
envisager que, dans les équipes d'animations, où il est
demandé aux professionnel.le.s de « mettre de soi »
(Herman, in Raibaud et al., 2006) dans leurs activités, la même
séparation soit produite.
Une essentialisation des différences de sexe et de
genre
Dans une large majorité d'entretiens, les
différences observées entre garçons et filles, entre
hommes et femmes sont liées à une différence de nature
entre ces derniers, qu'il s'agisse d'une nature physique ou psychologique.
L'essentialisation des différences, ou l'illusion naturaliste «
vise à trouver coûte que coûte à
l'inégalité socialement constatée une justification
biologique qui serait tapie dans les corps, et qu'il serait donc illusoire de
vouloir nier » (Héritier, 2005).
« Il y a ça aussi : ces jeunes filles qui
interdisent aux autres d'exister en tant que jeunes filles. Elles sont pires
que les mecs. Elles sont limite asexuée. Je suis vachement
inquiète pour ces filles là, qui sont très en
colère. Je pense que c'est le moyen qu'elles ont trouvé aussi
pour exister, pour ne pas être embêtées par les
garçons. Mais elles sont dans l'extrême. Je ne pense pas qu'elles
s'éclatent, je ne pense pas qu'elles soient très heureuses comme
ça, à renier une partie d'elles. » (B3, assistante
sociale)
« C'était des hommes robustes qui
travaillaient avec leur corps, leurs muscles. C'est le propre de l'homme. On
est dans des sociétés modernes aujourd'hui, où toutes les
tâches sont réparties et l'homme ne veut plus forcément...
a trouvé d'autres terrains qui l'intéressent plus. Mais
sa
propre nature, ce n'était pas ça. »
(J2, professeure d'anglais)
« Physiologiquement, ils sont faits comme ça,
point barre. [...] Je pense que c'est dans leur nature quand même, ils ne
peuvent pas lutter. » (J5, entraîneuse cardio-boxe)
« Après, est-ce qu'on parle déjà
ici de testostérone et d''hormones qui... Enfin, on sait que les filles
et les garçons ont des développements totalement
différents, donc ça joue. » (J6, professeur d'EPS)
« Chez l'homme, c'est le système du trop
plein, alors que chez la femme il y a ce cycle, cette période qui
revient. Donc les relations ne peuvent pas être égales,
identiques. » (J9, professeur de lettres-musique)
L'inné et l'acquis
La question de savoir si les différences entre hommes
et femmes, entre filles et garçons, dont parlent les professionnel.le.s
sont pour eux.elles des caractéristiques innées ou acquises est
fondamentale. En effet, si ces différences sont acquises, il convient de
se demander à la fois comment, à quel moment, et par qui elles
sont transmises. Le rôle du professionnel.le dans cette transmission est
alors questionné (même s'ils.elles considèrent
généralement que cet apprentissage se fait auprès des
parents dans la petite enfance).
Evidemment, d'un point de vue sociologique, ces
différences sont considérées comme acquises au travers de
la socialisation de genre (dans la famille, à l'école, dans le
groupe de pairs...). Comme le souligne l'anthropologue Françoise
Héritier, la seule véritable différence de nature est
celle de la reproduction. En effet, « alors que les hommes ne peuvent
se reproduire dans leur mêmeté, les femmes ont la capacité
incompréhensible de produire des corps différents
d'elles-mêmes » (Héritier, 2005).
Un certain nombre de professionnel.le.s interrogé.e.s,
sans forcément soulever la question de l'inné et de l'acquis,
relèvent la place de l'éducation dans la différenciation
entre garçons et filles. Dans ce cadre, l'action des parents dans la
petite enfance est considérée comme déterminante.
« On n'est pas sorti, de la petite fille qui joue
à la poupée et du petit garçon qui joue à la
bagarre, ou à des choses viriles en tous cas. On n'est pas encore sorti
de tout ça, le rose, le bleu. Et je pense que tout ça, ça
ressort aussi. » (B1, infirmière scolaire)
« Je pense que c'est l'éducation. Je pense que
quand on est parent, peut être qu'on est plus patient avec un
garçon qui est turbulent en se disant que c'est normal, parce que c'est
un garçon. Alors qu'il n'y a aucune raison. Et que quand c'est une
fille, on est peut être un peu moins patient, tout simplement. »
(J8, professeure d'histoire-géographie)
[Photo 9 : coeurs d'adolescente] « C'est un peu un
truc, bizarrement, que l'on hérite et que l'on transmet sans y faire
gaffe. Qu'on soit un garçon ou une fille, on a l'impression d'être
élevés de la même manière, mais pas du tout en
réalité. [...] Oui, finalement, que l'on transmet malgré
nous, parce qu'on est là-dedans nous, et que finalement, le
schéma reste quasiment le même. » (J1, responsable
Espace Lagrange)
[Photo 9 : coeurs d'adolescente] « Ah, l'inné
et l'acquis là-dessus c'est compliqué parce que je pense aussi
que si l'on élève sa fille comme le garçon que l'on n'a
jamais eu, et qu'on ne lui fait faire que des choses de garçon, on va la
modifier. Je fais partie de ceux qui disent que l'acquis est une part hyper
importante de la personnalité d'un individu. Mais globalement, c'est
vrai aussi que lorsqu'on élève une petite fille on a plutôt
envie, schématiquement, qu'elle fasse de la danse plutôt que de la
boxe. Et ça, que l'on soit un homme ou une femme. Donc, une fois que
l'on a induit ces choix pour elle, elle va s'imprégner et donc elle va
se "fillifier" de plus en plus. » (B6, professeur d'EPS)
Nombre de professionnel.le.s avouent tout simplement ne pas
savoir quelle est la part d'inné et d'acquis dans les différences
de genre qu'ils.elles observent au quotidien. Il est alors impossible pour
eux.elles de déterminer la place que leur institution - et donc
eux.ellesmêmes - peut prendre dans la construction du genre.
[Photo 9 : coeurs d'adolescente] « La question serait
: est-ce que c'est de l'acquis ou de l'inné ? Est-ce que c'est la
société qui amène à faire penser aux jeunes filles
qu'elles ont le droit de pleurer, qu'elles doivent être romantiques,
faire des petits coeurs, tomber amoureuse, que la sexualité... qu'elles
n'ont pas accès à la sexualité des garçons,
qu'elles n'ont pas le même désir ? Je ne sais pas trop. J'aurais
tendance à dire que oui, les filles sont plus fleur-bleue que les
garçons, la question c'est de savoir si elles le sont de façon
intrinsèque ou si elles le sont devenues parce que la
société les a fait grandir au milieu d'histoires de princesses et
de princes charmants. Je n'en sais trop rien. Après, il y a plein de
garçons qui aujourd'hui sont aussi romantiques. Et puis il y a des
filles qui sont aussi prédatrices. » (B2, éducateur
spécialisé)
« Il y a une histoire de père et de
mère. Ça doit être daté de... C'est inconscient
à mon avis et puis ça vient de notre culture où le
père, au début, c'est lui qui travaillait. La mère, elle
était là pour organiser la famille. On pensait que le père
avait des connaissances et que la mère en avait moins. Peut-être
que ça vient de là. Mais je n'en sais rien. Je pense
qu'il y a des choses qui sont dans la culture et qui sont
ancrées depuis très longtemps, qui sont inconscientes. »
(J3, professeure de mathématiques)
« Il y a une différence, je pense, qui est
plus profonde, je dirais sociétale, dans l'éducation familiale
entre la fille, caricaturalement, que l'on va faire jouer à la
poupée et le petit garçon que l'on va faire jouer au petit
soldat. Voilà, l'éternel cliché, que l'on va retrouver
dans l'expansion d'énergie et dans le fait de savoir se tenir ou pas en
société ou dans un groupe, et s'insérer dans un cadre.
» (J6, professeur d'EPS)
[Photo 10 : fer à repasser] « Normalement,
ça ne devrait pas être lié au sexe. Mais ça l'est,
même de ma part. Est-ce que c'est quelque chose d'inné qui est
lié au sexe, est-ce que c'est quelque chose d'acquis ? » (J9,
professeur de lettres-musique)
Une seule des personnes interrogées, une animatrice du
quartier Bastide, affirme que les différences de sensibilité et
de caractère qu'elle observe chez les jeunes et dans la
société entre femmes et hommes sont déterminées par
le sexe.
[Photo 9 : coeurs d'adolescente] « Je ne pense pas
qu'on apprenne à être des filles. On ferait des coeurs quand
même, on ramasserait des coquillages sur la plage, et on attendrait le
prince charmant pareil. Je me dis que c'est ce qui fait qu'on est une fille ou
un garçon. [...] Je reste persuadée qu'il y a des choses qui sont
innées. Ce côté un peu gnangnan de la fille, et le
garçon un peu plus dur. Je pense que ça, ça peut
être déterminé par ton sexe. » (B7,
animatrice)
Les professionnel.le.s qui s'expriment ici semblent donc
être assez partagé.e.s et indécis quand à la part de
l'inné et de l'acquis dans les différences de sexe et de genre
qu'ils.elles observent au quotidien. En effet, soit qu'ils.elles soient
convaincu.e.s de la place de l'inné, soit qu'ils.elles se retrouvent
perdus face à ce dilemme, soit qu'ils.elles considèrent que
l'acquis a bien une place, mais que cela se joue bien avant que les jeunes
entrent dans leur classe ou dans leur centre d'animation, les enseignant.e.s et
animateur.e.s ne se sentent pas acteur.e.s d'une socialisation
genrée.
Des valeurs changeantes
Quelques unes des photographies présentées aux
professionnel.le.s leur ont permis d'exprimer une forme
d'insécurité quant aux valeurs liées aux
différences de sexe. Ainsi, certain.e.s sont perdu.e.s quant aux codes
de la galanterie : s'agit-il d'une forme de
reconnaissance des femmes, ou, au contraire, de leur
relégation séculaire à un statut de plus grande faiblesse
?
[Photo 3 : galanterie] « C'est vrai, on est mal
à l'aise par rapport à ça. Parce qu'en fait on veut aussi
cette égalité un petit peu et puis en même temps on
s'offusquerait presque qu'un homme nous passe devant. Alors, je ne sais pas
trop, je n'arrive pas trop à me situer. L'air du temps... »
(B1, infirmière scolaire)
[Photo 3 : galanterie] « Il y a quelque chose de
désuet dans la galanterie, et en même temps qui fait partie je
pense des symboles de la séduction. Oui, ça interroge sur la
place de la femme, et en même temps j'ai l'impression que c'est dans les
codes, dans nos codes. [...] Je pense que ça se perd, mais ça se
perd aussi parce que la place de l'homme et de la femme bougent. »
(B2, éducateur spécialisé)
[Photo 3 : galanterie] « C'est quand même
laisser la femme dans une position de nunuche et le mec dans le pouvoir. Et
à côté de ça, c'est complètement ambivalent,
c'est agréable aussi. » (B3, assistante sociale)
Un professionnel du quartier Bastide confie même ses
doutes quant aux identités et places respectives des hommes - donc, la
sienne - et des femmes dans la société.
[Photo 6 : mariage homosexuel] « Quand on parle de la
place de l'homme dans la société, c'est intéressant de le
lier à l'homosexualité, aux représentations. Parce que
l'homme s'est en partie féminisé, dans nos représentations
de ce qu'est la féminité, c'est-à-dire qu'il prend soin de
lui physiquement, dans ses habits, ce qui jusque là était un
attribut de la femme mais pas de l'homme. [...] Et dans mes
représentations, l'homme a tellement bougé que les femmes
aujourd'hui sont un peu perdues. Et du coup, j'ai l'impression que l'homme a
une place un peu compliquée aujourd'hui parce qu'il ne sait plus
très bien où se situer. Est-ce qu'il doit être doux et
tendre ou quand même cet arbre solidement ancré qui résiste
au vent, qui sécurise la famille, la femme. » (B2,
éducateur spécialisé)
Finalement, cette partie et la précédente ne
font que refléter l'idée que les professionnel.le.s ne sont pas
sensibilisé.e.s aux questions du genre et qui donc, ayant
été socialisé.e.s dans une société où
les normes de genre évoluent et se multiplient, ont peu de
repères.
Images de la féminité et de la
virilité
Sont explorées ici les représentations des
professionnel.le.s quant à la féminité et la
masculinité. Comment faut-il se comporter, se vêtir
lorsqu'on est un homme ou une femme ?
· Etre pudique et séduire : la femme sous le
regard du « male gaze »
Un nombre important de professionnel.le.s rencontré.e.s
s'expriment, lorsque, le plus souvent, les photographies d'une femme en burqa,
d'une prostituée, ou du collectif Femen9 leur sont
présentées, sur les façons de s'habiller et de se
présenter des femmes. Il s'agit de cet aspect capital de la domination
masculine qui est de constituer « les femmes en objets symboliques
dont l'être est un être perçu », puiqu' «
elles existent par et pour le regard des autres » (Bourdieu,
1998).
Duits et Van Zoonen (2006) parlent de « regulation of
female sexuality » à travers le « male gaze
», ce regard de l'homme auquel la femme ne doit ni trop se soumettre, ni
trop se soustraire. « The task for a girl is to find a place somewhere
in the middle of this decency continuum, between visible G-strings and
headscarfs, in order to satisfy the contradictory requirements of western
modernity and feminism. » (Duits and van Zoonen, 2006).
[Photo 2 : action du collectif Femen] « Parce que
quand les filles sont voilées, c'est une chose, mais quand les nanas
sont en string, ça me choque tout autant. » (B3, assistante
sociale)
Ainsi, les femmes doivent se plier à des
critères de décence, ne pas trop montrer leur corps, au risque
qu'il soit sexualisé par ce « male gaze ».
[Photo 2 : action du collectif Femen] « Mais
ça ressemble à quoi ? A rien. Non, honnêtement, c'est
provoquer pour provoquer. » (B1, infirmière scolaire)
[Photo 2 : action du collectif Femen] « Qu'est-ce
qu'elles donnent à voir là ? Cette photo est quand même
assez hallucinante, on voit la moitié des fesses des deux jeunes filles
et heureusement que la troisième a de longs cheveux sinon on verrait son
décolleté... [...] Elles donnent à voir une position de
femme qui va à l'encontre de... » (B2, éducateur
spécialisé)
[Photo 2 : action du collectif Femen] « Outre
l'aspect plutôt sympathique de voir des seins nus exhibés, c'est
aussi une réaction qui me semble extrêmement excessive et qui, je
dirais brutalement, défavorise la condition féminine. »
(B10, professeur 3e insertion)
9 Voir photographies en annexe 3.
[Photo 2 : action du collectif Femen] « Je trouve
ça nul ! Franchement, c'est honteux. C'est choquant en plus.[...] Elles
montrent une image de la femme dégradante. » (J3, professeure
de mathématiques)
[Photo 4 : Ilham Moussaïd] « Les
décolletés aussi... A partir de quel moment, nous, on doit
considérer que le décolleté est trop plongeant ? Par
rapport à nous, adultes, hommes en plus ou à leurs camarades,
congénères, par rapport aux filles qui ne sont pas encore
développées, qui ne sont pas encore pubères. Oui,
ça pose souci. C'est délicat d'intervenir là-dessus.
» (J6, professeur d'EPS)
A l'inverse, elles ne doivent pas non plus se cacher, se
soustraire au regard des hommes, et des autres femmes.
[Photo 5 : femme en burqa] « Ah ça !
Là, je ne comprends pas. Je ne supporte pas, je ne peux pas. Alors pour
moi, elle se cache, ce n'est pas possible. (...) Il y a des moments où
l'on n'est pas tolérant, je suis honnête. Je ne peux pas. Pour
moi, c'est une façon de se cacher. Ça représente quoi
ça ? Non. J'ai écouté leurs témoignages à la
télé. Non. Cette soumission aux hommes... » (B1,
infirmière scolaire)
[Photo 5 : femme en burqa] "Comme je t'ai dit, je suis
musulmane, et je ne comprends pas qu'on puisse vouloir absolument se
protéger ou se cacher de cette manière là. »
(B4, éducatrice spécialisée)
[Photo 5 : femme en burqa] « Je me dis mince, elle
est cachée de tout, elle se cache. Ce que je ne comprends pas, c'est
pourquoi on ne cache pas l'homme, à la limite ? Pourquoi que la femme ?
» (B6, animatrice)
[Photo 5 : femme en burqa] « J'aime les belles
femmes, alors quand je vois une femme, comme ça, qui cache son visage,
une partie que l'on doit admirer, que l'on doit adorer, je me dis qu'il manque
quelque chose. [...] Il manque quelque chose, il manque sa beauté. Je me
demande si elle se méfie de moi. [...] J'aime draguer les femmes, mais
quand je vois une femme comme ça, je n'ose même pas. »
(J7, entraîneur football)
Une des animatrices du quartier Bastide interviewée
dénonce cet état de fait en rappelant la catégorisation en
deux types de femmes (la mère et la putain), en substituant au
modèle de la mère celui de la bonne musulmane.
[Photo 4 : Ilham Moussaïd] « Quand tu le vois
comme ça, tu te dis que c'est plutôt sympa aussi, de ne pas tout
montrer, de se réserver à un milieu intime et familial. Ce qu'il
y a, c'est que c'est très mal perçu. Dès l'instant
où tu te dis que telle personne elle est habillée comme
ça, donc... Ouais, tu portes une mini-jupe, t'es une pute. Tu portes un
foulard, t'es une bonne musulmane. » (B6, animatrice)
· De la virilité
La virilité semble plus difficile à
définir pour les interviewé.e.s, sûrement du fait de l'
« androcentrisme qui nous fait penser le masculin comme le normal, le
général, et les femmes comme le particulier, le
spécifique » (Welzer-Lang, 2010). Les descriptions de la
virilité qui suivent parlent d'une façon d'être, d'une
physionomie. L'homme est viril parce qu'il est homme, parce qu'il est
lui-même.
[Photo 7 : Sébastien Chabal] « Ce n'est
même pas de l'autorité, ce n'est même pas de l'apparence,
c'est surement une impression plutôt, une façon d'être.
» (J1, responsable Espace Lagrange)
[Photo 7 : Sébastien Chabal] « Il est viril
parce que nous on n'a pas autant de poils, nous on n'est pas viriles, donc oui,
forcément c'est le contraire de nous. [...] C'est quelqu'un qui est bien
avec lui-même. L'homme, de toute façon, va être viril dans
ses comportements, s'il est ce qu'il est, bon ben voilà. »
(J5, entraîneuse cardio-boxe)
[Photo 7 : Sébastien Chabal] « Je ne me suis
jamais posé la question de ce que c'est être viril. Après,
il y a peut-être une question de puissance aussi liée à la
virilité, mais bon, c'est induit de fait par la morphologie. »
(J4, entraîneur badminton)
[Photo 7 : Sébastien Chabal] « Je pense que
c'est plus dur pour un homme que pour une femme de répondre à
ça. Est-ce qu'il est viril ? Moi, je suis hétérosexuel, et
c'est vrai que ce n'est pas forcément évident pour moi de dire
s'il est viril ou pas. [...] C'est quoi être un homme pour moi ou pour
une femme qui veut être séduite par un homme ? [...]
Pilosité, masse musculaire, carrure, force physique. C'est
peut-être ça la virilité. » (J6, professeur
d'EPS)
Pouvoir et soumission : des sensibilités
différentes
Directement liées aux images de la
féminité et de la masculinité dans le discours des
interviewé.e.s, se trouvent les représentations qu'ils.elles ont
de leur « tempérament ». Ainsi, l'homme serait un
prédateur sexuel avide de pouvoir, et la femme un être à
protéger, même si, bien sûr, les professionne.le.s, pour la
plupart d'entre eux.elles, apportent des nuances à cette première
description.
· Pouvoir et prédation sexuelle de l'homme
Ainsi, si la régulation de la sexualité
féminine contraint les femmes à ne se montrer ni trop, ni trop
peu, ce serait du fait d'une sexualité masculine débordante,
incontrôlable, nécessaire.
[Photo 5 : femme en burqa] : « J'ai envie de dire
non, question de respect pour la femme, de sa place dans la
société, ce n'est pas possible. Et même, vis-à-vis
de l'homme, parce que la burqa est présente sur les femmes parce que les
hommes sont des animaux et qu'ils ne sont pas capables de se contenir. »
(B2, éducateur spécialisé)
[Photo 8: prostituée] « Ça interroge
sur la place de la femme et aussi de l'homme du coup... Parce que ça
ramène quand même l'homme à une place de prédateur
qui a besoin de sexualité, qui est prêt à payer pour le
faire, et la femme qui, elle, n'est pas du tout là-dedans. »
(B2, éducateur spécialisé)
[Photo 8: prostituée] « Peut-être parce
que la personnalité masculine, cet aspect qu'on a évoqué
de puissance, passe aussi par cette puissance sexuelle. Alors, outre le fait de
satisfaire des besoins ou des envies, cette puissance passe aussi par la
puissance sexuelle. Et peut être que l'homme a besoin, sexuellement, de
s'épancher plus que la femme. Ils n'ont pas forcément les
mêmes besoins. » (B10, professeur 3e insertion)
[Photo 8 : prostituée] « Je pense qu'il y a
des hommes qui en ont besoin, parce qu'ils n'ont pas d'autres moyens. Donc je
pense que... je l'ai entendu dire par des psychologues ça, mais bon, je
le pense aussi... je pense que ça peut empêcher des choses un peu
plus... des viols, des choses comme ça. » (J4,
entraîneur badminton)
[Photo 5 : femme en burqa] « Le fait de cacher la
femme... Ça sous entend que l'homme n'est pas capable de maîtriser
ses pulsions, donc il doit absolument cacher ces objets de désir. »
(J9, professeur de lettresmusique)
Cette sexualité débordante est liée
à la notion de pouvoir. En effet, l'homme qui a du pouvoir dans son
travail aurait besoin de se défouler, de trouver un exutoire. A
l'inverse, l'homme qui manque de pouvoir - et qui a donc du mal à
asseoir sa masculinité - aurait besoin de cette sexualité
abondante pour se sentir homme.
[Photo 1 : DSK] « On ne sait pas ce que c'est d'avoir
ce genre de responsabilités. J'aurais autant de pouvoir de
décision, je ne sais pas de quoi j'aurais besoin pour
décompresser. [...] Mais je crois que les gens qui ont
énormément de responsabilités, la société
fait que ce sont les hommes, mais je suis sûre que si c'était les
femmes ce serait pareil, ce n'est pas vraiment lié au sexe... Le sexe,
c'est quand même un rapport de
force, c'est quand même un exutoire, il y a une
notion de plaisir, et ce n'est pas de la drogue, dont on sait que c'est mauvais
pour la santé. » (B7, animatrice)
[Photo 1 : DSK] « Je pense que des hommes comme lui
sont de toute façon mégalos, sont de toute façon des gens
à fort caractère, et pourquoi pas avec une forte libido
directement liée à toutes ces capacités à encaisser
ce stress, cette vie incroyable. » (J6, professeur d'EPS)
[Photo 8: prostituée] « Et je pense que les
hommes, ils sont dans cette recherche de pouvoir, qu'ils ne peuvent pas
forcément trouver ou dans leur boulot parce que peut-être qu'ils
sont subalternes, ou à la maison parce que leur femme a pris une
position... Et ce pouvoir, ils le trouvent dans les prostituées, et ils
payent, et ils trouvent naturel de payer. » (B3, assistante
sociale)
Ce « caractère » de l'homme est bien sur un
effet de la socialisation de genre, où les garçons apprennent,
parfois dans la douleur, à se positionner en tant que dominants. C'est
ce que Daniel Welzer-Lang (2007) appelle le « dressage à la
libido dominandi ».
· Soumission de la femme, désir de
sécurité
Le pouvoir et la sexualité débridée de
l'homme est souvent associé au risque de soumission pour la femme et
à un désir de sécurité. Ainsi, la femme serait
quelqu'un - ou quelque chose - à protéger (de cette
sexualité masculine, en fondant un foyer où un homme assurerait
cette protection).
[Photo 3 : galanterie] « Il y a ce côté
protecteur. Forcément, on est fait différents, et ça,
ça va toujours rester, la femme un peu plus faible, entre guillemets,
que l'homme. » (J5, entraîneuse en cardio-boxe)
Ainsi, on en revient au contrôle de la sexualité
et de l'apparence des femmes. Porter la burqa pour une musulmane est vu comme
un acte de soumission (et jamais comme un acte de parole).
[Photo 5 : femme en burqa] « C'est le manque de
connaissance qui fait qu'elles se soumettent. Elles n'ont pas de sens critique,
elles n'ont pas assez d'ouverture sur le monde, donc le premier qui va leur
dire de se mettre ça, et bien elles vont le mettre. » (J3,
professeure de mathématiques)
[Photo 5 : femme en burqa] « Je ne suis pas sûr
qu'une femme prenne
la décision de s'habiller comme ça
d'elle-même. Elle doit subir certaines pressions qui font qu'elle
s'habille comme ça pour ne pas plaire à d'autres, elle doit
appartenir à... C'est une femme objet. » (J7, entraineur
football)
Se prostituer, vendre son corps, qui devrait être
protégé, est vu comme un acte de soumission.
[Photo 8: prostituée] « L'image de la femme,
la façon dont elle traite son corps qui nous renvoie à quelque
chose de dégradant que l'on a envie de protéger. [...] J'ai envie
de dire non, pas de prostitution pour protéger les femmes. »
(B2, éducateur spécialisé)
Dans le même ordre d'idée, et pour justifier
cette nécessité de protéger la femme, certains des
interviewé.e.s rappellent qu'hommes et femmes ont des caractères
et des attentes bien différents : si l'un, comme on l'a vu, recherche la
sexualité, l'autre attend amour et protection.
[Photo 8: prostituée] « La femme, avant tout,
c'est une douceur. L'homme, il va consommer comme si, je ne sais pas, il allait
voir une pièce de théâtre ou voir un film. Là, il va
passer un moment avec une femme. [...] Une femme qui fait de la prostitution,
je dirais que c'est par obligation financière. L'homme, il peut
consommer sans amour. Mais la femme, normale, qui n'a pas de problèmes,
elle ne peut pas consommer sans amour. La femme, qu'on le veuille ou non, elle
a quand même cette dignité en elle. Elle vend son corps, mais au
fond d'elle, elle est dégoutée. Lui, le désir, il l'a,
avec amour ou sans amour, c'est le désir. C'est pour ça qu'on
parle de viol. Un homme qui viole, il a un désir, la femme qui se fait
violer, non. Parce que la femme, elle a une pudeur par rapport à son
corps qui est plus valorisante. » (B9, animateur)
[Photo 9 : coeurs d'adolescente] « Les filles sont
romantiques... Je ne sais pas pourquoi. On a un cerveau qui
réfléchit en pensant à la protection parce qu'on est
formatées pour avoir des enfants aussi. On imagine un foyer, on imagine
une maison, et de l'amour. » (J2, professeure d'anglais)
Or, ces désirs, lorsqu'ils existent, chez les femmes,
sont le résultat de la socialisation genrée. Comme l'explique
Daniel Welzer-Lang (2007) : « les filles sont socialisées dans
le travail de la beauté, la quête du Prince Charmant, les
apprentissages à leur (futur) rôle de mère par
l'incorporation de la maternitude, de la libido maternadi [...]
».
Hétéronormativité, homosexualité,
homoparentalité
Lorsque l'on s'intéresse au genre, à la
construction des normes genrées, l'homosexualité et
l'hétéronormativité ont une place particulière. En
effet, comme le précise Welzer-Lang (2007) : « j'ai
proposé de définir l'homophobie comme la discrimination envers
les personnes qui montrent, ou à qui l'on prête, certaines
qualités (ou défauts) attribués à l'autre genre.
L'homophobie bétonne les frontières de genre. »
Parmi le panel des interrogé.e.s, un quart se dit
favorable au mariage homosexuel et à l'homoparentalité. Pour eux,
il s'agit d'un droit.
[Photo 6 : mariage homosexuel] « Au niveau civil, je
n'y vois aucun inconvénient. Je crois que la société, il
faut inévitablement qu'elle soit plus ouverte à ça. Ce
n'est pas une maladie, l'homosexualité. [...] Je crois que quand ils ont
cette dynamique là de vraiment avoir envie de donner, d'élever un
enfant, ils sont encore beaucoup plus motivés qu'un couple
hétérosexuel. Alors oui, ça ne me gêne pas du tout.
» (B1, infirmière scolaire)
[Photo 6 : mariage homosexuel] Super, moi je suis pour le
mariage des homosexuels. [...] Voilà, il a deux papas. Mais ce n'est pas
pour autant que l'enfant sera en danger moral, sexuel ou éducatif.
» (B3, assistante sociale)
[Photo 6 : mariage homosexuel] Alors ça, moi, je
suis archi-pour. C'est con, déjà, de devoir se marier pour
justifier que l'on soit un couple. [...] Moi, je suis pour l'adoption, pour que
des homosexuels puissent adopter. Franchement, pour moi, c'est évident.
Je suis d'accord pour dire qu'il faut qu'un enfant ait une relation avec un
homme et une relation avec une femme, mais dans un environnement, on a tout
ça. » (B6, animatrice)
[Photo 6 : mariage homosexuel] « Quand on dit
mariage, on dit adoption, ça ne me pose pas de problème non plus.
En plus, eux, ils savent qu'ils sont regardés, donc je pense qu'ils
feront plus attention que n'importe quels parents. [...] Il y a un moment
où il y a des enfants qui n'ont pas de parents, et ce dont a besoin un
enfant, c'est de parents. Je préfère qu'ils soient adoptés
par des homosexuels plutôt qu'ils restent croupir dans un foyer. »
(B7, animatrice)
[Photo 6 : mariage homosexuel] « Je trouve ça
bien qu'ils aient les mêmes droits. Je pense même qu'ils peuvent
adopter des enfants, comme tout le monde, qu'ils ont exactement les mêmes
droits que les hétérosexuels en fait. » (J10,
professeur de guitare)
Cependant, au moins autant de professionnel.le.s
rencontré.e.s s'opposent à l'idée de
l'adoption. Pour eux.elles, elle remet en cause la norme du
couple hétérosexuel comme seul modèle de
parentalité, et, en ce sens, met en danger la stabilité de la
construction des enfants, puisque cette construction est liée à
l'apprentissage des normes de genre, données en exemple par les
rôles du père et de la mère.
[Photo 6 : mariage homosexuel] «
L'homosexualité, c'est un comportement qui personnellement ne me choque
pas. [...] Par contre, je suis père de famille, j'ai une idée
assez définie de la conception de l'enfant et de la manière dont
il doit être élevé, de son équilibre. »
(B10, professeur 3e insertion)
[Photo 6 : mariage homosexuel] « S'ils ont le droit
d'être ensemble, ils ont le droit de se marier, ils ont le droit
d'adopter. Alors après, au niveau des enfants, il y a peut être un
souci qui se pose. Après, moi, je ne suis pas psychologue. Il y a
peut-être un souci qui se pose au niveau de la psychologie. »
(J4, entraîneur en badminton)
[Photo 6 : mariage homosexuel] « Ils sont bien
mignons mais... J'accepte ça, je veux dire... je les comprends, de
s'aimer, de vouloir sceller leur union... Mais au point de se marier, je ne
sais pas. Je ne trouve pas ça... Je ne dis pas que c'est
réservé juste aux femmes et aux hommes, mais... je ne sais pas,
c'est l'aspect homme-homme ou femme-femme carrément, c'est un peu... Je
ne sais pas, je suis un peu mitigée sur l'homosexualité de toute
façon. [...] - (Question) : Et l'adoption ? - (Elle) : Ah, encore moins,
ça je trouve ça aberrant complètement. Tu imagines les
repères ? Complètement faussés ! Déjà que
c'est difficile avec cette société capitaliste trop
sexuée, tu imagines là ? Le flop total. » (J5,
entraîneuse cardio-boxe)
[Photo 6 : mariage homosexuel] « Est-ce qu'on n'a pas
quand même intérêt à avoir comme
référent encore la bulle, le foyer nucléaire avec un homme
et une femme, ou est-ce qu'on peut se permettre de proposer un couple
homosexuel pour l'éducation d'enfants ? » (J6, professeur
d'EPS)
[Photo 6 : mariage homosexuel] « Pour avoir
l'équilibre d'un enfant, je crois qu'il faut qu'il ait un papa et une
maman. Quand même, je m'occupe d'enfants, et je connais pas mal de gamins
qui sont un peu déboussolés, ne serait-ce que par le divorce des
parents. Si maintenant, à la maison, ils ont pour parents naturels deux
hommes, franchement, ils ne s'en sortent pas, je ne crois pas. » (J7,
entraineur football)
Deux des enseignant.e.s et animateur.e.s interviewé.e.s
exposent, quant à eux, des propos clairement homophobes. En effet, pour
eux, la sexualité et l'union homosexuelles vont à l'encontre
d'une nature des relations sexuelles qui serait nécessairement
hétérosexuelle et menace donc l'ordre établi.
[Photo 6 : mariage homosexuel] « Moi, je ne cautionne
pas ça, parce qu'en fait, derrière ça, il y a autre chose,
l'adoption. Ça, ça me gêne. Après, que leur boite
à caca fasse commerce, c'est leur problème. Qu'ils se marient,
ça ne me dérange pas, mais après, il faut s'arrêter
là. Il faut s'arrêter au sexe, il ne faut pas aller
au-delà. Il ne faut pas confondre une famille normale avec des
homosexuels. [...] Depuis la nuit des temps, depuis que l'homme et la femme
existent, ça a toujours été un homme avec une femme, une
famille. C'est ça, la société. Sinon, il n'y a plus de
société. » (B9, animateur)
[Photo 6 : mariage homosexuel] « Alors, les
homosexuels. Moi, tant qu'ils ne m'embêtent pas, ils font ce qu'ils
veulent. Dès qu'ils vont venir influer sur ma façon de vivre, je
ne serais pas d'accord. Mais là, je m'en fiche. Qu'ils vivent entre eux.
» (J3, professeure de mathématiques)
S'il faut relever qu'un quart des professionnel.le.s adopte
une position progressiste sur l'homosexualité, plus nombreux sont ceux
qui adhèrent au modèle hétéronormé, surtout
lorsqu'on aborde l'éventualité de l'homoparentalité.
Les représentations qu'ont les professionnel.le.s des
différences et des rapports entre hommes et femmes apparaissent donc
comme fortement ancrées dans les schémas
hétéronormés et hétérosexistes, même
s'ils revendiquent généralement un idéal
d'égalité, et que certains d'entre-eux.elles semblent, sur
certains points, chercher à s'en détacher.
III- Des institutions génératrices de
différenciation
Les
professionnel.ls.s de
l'école et des lieux de loisirs ont donc des représentations
genrées qui entrent dans le cadre de
l'hétéronormativité et de la naturalité. De plus,
ils.elles considèrent généralement que les filles et les
garçons qu'ils.elles côtoient au quotidien, même si les
relations ne sont que relativement tendues, ont des façons de se
comporter, de penser, et d'agir qui sont différentes.
Cependant, la grande majorité de ces professionnel.le.s
considère qu'aller vers une plus grande égalité entre les
sexes et vers des relations moins sexistes et moins homophobes est un but pour
la société, et plus particulièrement pour l'institution
dont ils.elles font partie.
Il s'agit ici d'exposer en quoi le fonctionnement de
l'école et des lieux de loisirs peut participer au maintien du
système catégoriel asymétrique des sexes, malgré le
fait que les
professionnel.le.s prônent une égalité de
traitement et de considération, et de comprendre ce que cela produit
chez les jeunes filles et les jeunes garçons qui fréquentent ces
institutions socialisatrices.
1- Produire des hommes et des femmes
Si l'école, et par extension, les lieux de loisirs
organisés à sa périphérie, ont pour rôle
d'éduquer, d'instruire, de produire des individus, on peut penser qu'ils
produisent en réalité des hommes et des femmes, sans que cela ne
soit un choix délibéré des acteur.e.s qui les composent.
Pour Marie Duru-Bellat (2008), « dans ses routines quotidiennes, il
suffit que l'école fonctionne comme un milieu social "normal", où
s'expriment par des voies multiples les rapports de "domination ordinaire" qui
prévalent dans la société, pour que des
inégalités sexuées (comme d'ailleurs sociales) y soient
continûment fabriquées. »
Ainsi, à travers les attentes des adultes, les
interactions pédagogiques, les contacts avec les pairs ou la
confrontation aux contenus des programmes et des manuels, les jeunes continuent
d'apprendre chaque jours qu'ils.elles sont soit un garçon, soit une
fille, et que cela a des implications sur ce que la société
attend d'eux.elles et sur ce qu'ils.elles doivent être dans leurs
interactions au quotidien. En effet, « à l'école comme
dans les familles ou dans la société toute entière, les
attentes envers chaque sexe sont différentes ; or l'attente fait advenir
son objet » (Ayral, 2011).
Cela explique en partie le constat de plus grande
réussite scolaire des filles fait depuis quelques années. En
effet, pour les filles, « les comportements féminins prescrits
étant en adéquation avec les attentes de l'institution
(obéissance, soumission, calme, conformisme, attention...), elles
exercent correctement leur métier d'élève ». En
revanche, « les garçons se heurtent, quant à eux,
à une contradiction entre les caractéristiques masculines
socialement reconnues (indépendance, comportements moteurs...) et les
attentes scolaires » (CourtinatCamps et Prêteur, 2010).
Sylvie Ayral (2011) donne à voir le caractère
paradoxal de cette socialisation différenciée à
l'école. En effet, elle s'intéresse aux sanctions données
aux élèves de collège et constate que les garçons
représentent environ 80 % des élèves punis, et ce quel que
soit le type d'établissement étudié. Ces derniers, moins
bien préparés à la discipline scolaire que
leurs consoeurs, et socialisés à la violence et
à la domination, franchissent beaucoup plus facilement les
règles, et se voient sanctionnés plus souvent. La sanction se
transformerait alors en une sorte de « médaille de
virilité » et participerait des rites d'initiation à
devenir un homme.
Il a également été constaté dans
cette étude que l'organisation genrée des centres sociaux et de
la maison de quartier étudiés en fait des maisons-des-hommes et
des maisonsdes-femmes. Or, étant entendu que le masculin est toujours vu
comme neutre, et ceci probablement du fait de la quasi absence d'études
sur la construction du masculin et son pendant, la victimologie à propos
des femmes qui existe parfois dans le social et ailleurs dans la
société, l'école et les lieux de loisirs, sous
l'égide de la neutralité républicaine, cherchent à
produire des hommes, et non pas des individus. « Cet entre soi des
garçons dans la maisondes-hommes est fortement encouragé et
soutenu par les institutions, à l'école ou dans les lieux de
loisirs périphériques à l'école où l'on met
un soin considérable à donner des moyens aux garçons
d'être eux-mêmes, c'est-à-dire de "ne pas être des
homosexuels". On voit bien qu'il y a une continuité (c'est donc bien un
problème politique) entre un système androcentrique,
hiérarchique, patriarcal, et un système d'éducation qui
vise à faire des "vrais" garçons » (Raibaud, 2011).
2- Sexisme et homophobie
Parce que cette identité genrée se construit
justement sur la naturalisation des différences et la
hiérarchisation des sexes, elle ne peut qu'être à l'origine
de stéréotypes et de comportements tels que le sexisme et
l'homophobie. En effet, ces identités font partie de ce que Bourdieu
appelle la violence symbolique liée à la domination masculine.
« Alors que, loin d'affirmer que les structures de dominations sont
anhistoriques, j'essaierai d'établir qu'elles sont le produit d'un
travail incessant (donc historique) de reproduction auquel contribuent des
agents singuliers (dont les hommes, avec des armes comme la violence physique
et la violence symbolique) et des institutions, familles, Eglise, Ecole,
Etat » (Bourdieu, 1998).
Si le sexisme est le fait de considérer qu'hommes et
femmes sont différents par nature et de ce fait de leur accorder un
traitement différencié, l'homophobie s'inscrit dans la même
économie de la domination masculine puisqu'elle remet en cause les
attributions de genre. Ainsi, l'école et les lieux de loisirs, en
produisant des filles et des garçons genré.e.s,
encouragent les attitudes de défiance vis-à-vis
de ceux.celles qui sont assigné.e.s à être
dominé.e.s, les individu.e.s vu.e.s comme femmes, et de ceux.celles qui
subvertissent les normes du genre, les individu.e.s vu.e.s comme
homosexuel.le.s, entre autres.
La participation de ces institutions à la socialisation
genrée des garçons a une place importante dans ce
phénomène. En effet, comme il a été souligné
plus haut, l'apprentissage de la masculinité se construit par le rejet
de tout ce qui n'est pas viril : femmes, homosexuel.le.s, hommes pas assez
masculins.
3- Un destin sexué
Si les filles réussissent généralement
mieux à l'école, elles n'accèdent pas à tous les
domaines du savoir et rentabilisent moins bien leur bagage scolaire que les
garçons. Marie Duru-Bellat (2008) souligne le handicap appris des
filles, celui de développer une plus grande dépendance
vis-à-vis des adultes. « Le ver de la confiance en soi
(inégale) est donc dans le fruit, et même si, à court
terme, les filles réussissent mieux à l'école, on peut
estimer que les inégalités ne sont que différées
[...] ».
Ainsi, les différences de socialisation entrainent des
différences de volonté d'orientation et de degrés
d'ambition, ou d'objectif à atteindre pour les filles et pour les
garçons. Il en découle une reproduction des positions
sexuées, l'école étant « l' "agence
d'orientation" qui fabrique des itinéraires masculins et
féminins » (Duru-Bellat, 2008). Bien sûr, ce n'est pas
l'école qui décide que certains métiers ou secteurs sont
difficilement accessibles pour une fille, ni même que les professions les
plus valorisées sont généralement réservées
aux hommes, mais le marché du travail.
Dans une autre mesure, Sylvie Ayral montre que, parce que les
sanctions scolaires sont des rites différenciateurs de sexe qui
consacrent la virilité, elles ont pour effet d'encourager les
garçons dans « une identité masculine caricaturale qui
s'exprime par le défi, la transgression, les conduites sexistes,
homophobes et violentes » (Ayral, 2011), ce qui a
nécessairement des conséquences au-delà de
l'école.
Finalement, si les stéréotypes
hétérosexistes sont reproduits par l'école et les lieux de
loisirs, cela encourage les représentations et les comportements
sexistes et homophobes dans ces institutions, mais aussi en dehors d'elles, et
a des implications tout au long de la vie des
individu.e.s qui y sont socialisé.e.s.
PARTIE 3 - ENJEUX OPERATIONNELS ET SCIENTIFIQUES
« La seule manière de sortir de la violence
consisterait à prendre conscience des mécanismes de
répulsion, d'exclusion, de haine ou encore de mépris afin de les
réduire à néant grâce à une éducation
de l'enfant relayée par tous. »
Françoise Héritier
I- Enjeux pour le commanditaire : l'offre de
formation
L'ensemble des professionnel.le.s entretenu.e.s apparaît
donc comme très peu sensibilisé aux effets de leurs actions
(même passives et inconscientes) sur l'entretien et la reproduction des
stéréotypes de genre chez les jeunes qu'ils.elles côtoient
au quotidien. Dans la perspective d'une formation courte que pourrait proposer
la mairie de Bordeaux afin de luter contre le sexisme et l'homophobie, il faut
alors se demander comment leur permettre de prendre conscience de cette
responsabilité et de leur offrir les moyens de modifier leurs pratiques
dans ce sens.
Il ne s'agit pas ici de remettre en cause complètement
la socialisation genrée et la différenciation entre
garçons et filles, mais d'en comprendre les conséquences pour
l'un et l'autre sexe afin d'atténuer les stéréotypes et
les inégalités.
1- Evaluation des participants à « Cet
autre que moi »
Sept des vingt professionnel.le.s rencontré.e.s pour
cette étude ont pu participer à la formation à l'outil
« Cet autre que moi », organisée par la mairie de Bordeaux en
fin d'année 2011. Cette formation se déroule sur trois
séances d'une journée chacune. L'outil présenté est
à la fois un DVD comportant quatre courts métrages mettant en
scène des adolescent.e.s (des
collégien.ne.s) dans diverses
situations concernant la vie sexuelle et affective, et une méthode
d'utilisation de ces supports vidéo avec les jeunes. En effet, l'accent
est mis sur la discussion, sur l'expression des différents points de vue
des adolescent.e.s, sans l'intervention d'une éventuelle autorité
porteuse et garante d'une vérité. L'animateur.e (
le.la professionnel.le formé.e), en
organisateur du débat, questionne les jeunes pour les encourager
à s'exprimer, mais ne doit pas se positionner en juge.
En formant ces professionnel.le.s, le but est à la fois
qu'ils.elles puissent mettre en place l'outil sur leur structure ou leur
quartier, mais qu'ils.elles puissent également intervenir lors de
l'animation du support sur d'autres quartiers ou structure de la ville de
Bordeaux, afin de permettre aux jeunes d'échanger et de
réfléchir sur leurs représentations.
Les entretiens menés pour cette recherche ont tous eu
lieu après que la chercheure ait participé, en tant qu'assistante
d'éducation dans un lycée professionnel de
l'agglomération
bordelaise, au même groupe de formation que les
interviewé.e.s. Ils.elles livrent donc ici leur avis sur la formation
à une co-membre de la communauté éducative plus
qu'à une étudiante en sociologie.
Pour deux des professionnel.le.s interrogé.e.s, cette
formation et cet outil leur ont apporté une réflexion, un
échange avec d'autres professionnel.le.s, chose qu'ils.elles
attendaient. Il faut noter que ces deux professionnelles sont l'assistante
sociale et l'infirmière scolaire, qui ont un statut un peu particulier
à ce niveau-là à l'intérieur de l'école.
« (Question) : Est-ce que tu y trouves ce que tu
attends à ce colloque ou à la formation ? - (Elle) : Oui, quand
même, parce que ça fait réfléchir. [...] Mais ce qui
est intéressant dans ces formations, c'est que tu n'es pas tout seul
dans ton coin à essayer de régler tes petits problèmes. On
est dans une autre réflexion. Ça nous donne une autre dimension.
Non, c'est super intéressant, surtout quand on est dans son petit
environnement. Moi, je suis soute seule professionnelle. [...] Ça m'aide
à comprendre certaines réactions des élèves, et
puis la façon de l'aborder. » (B1, infirmière
scolaire)
« Je me rends compte avec cette formation que la
mixité peut être vraiment très importante, à part
justement si elle bloque, moi c'est ce qui m'inquiète. Nous, on a
toujours travaillé avec les garçons d'un côté et les
filles de l'autre. Et je me rends compte que ça manque qu'il y ait cet
échange. [...] Je pense que, quelque part, j'étais dans la
non-mixité. Je me cachais en me disant que ça leur permettait de
parler, que la parole se libère d'avantage. Mais en même temps,
c'était peut être un moyen d'être moins en
difficulté. [...] Ça faisait plusieurs années que je
recherchais vraiment un autre outil. C'était important pour moi. »
(B3, assistante sociale)
Pour deux autres, la formation leur a apporté quelque
chose, mais pas concernant le genre ou la mixité. En effet, c'est par la
méthode de discussion avec les adolescents que ces deux animatrices ont
été convaincues. Toute deux précisent justement qu'elles
cherchaient un outil pour le débat, sans jugement.
« Moi, j'ai trouvé ça super, ça
m'a fait du bien de savoir que l'on pouvait avoir des débats comme
ça, depuis le temps que... Moi, je crois en ça. Et quand tu ne
peux pas le faire, c'était plutôt la frustration qu'autre chose.
C'est plutôt dans la discussion que je trouve que l'on construit. Donc
là, on a des outils. C'est une bonne formation. Ça manque un peu
d'entrainement évidemment, mais ce n'est que quand on se jettera
à l'eau qu'on y arrivera... » (B6, animatrice)
« Et du coup, on nous avait présenté
l'outil "Cet autre que moi". Ce qui
m'a plu, direct, dans cet outil, c'est ce
côté... Parce que moi, dans le monde du travail social, je souffre
de cette idée selon laquelle l'adulte détient l'autorité,
la vérité. [...] Ça, c'est quelque chose qui a fait tilt
tout de suite dans ma tête. Et donc, c'est vraiment ça que je
venais chercher dans l'outil "Cet autre que moi". J'aurais des tas de gens
à y envoyer ! » (B7, animatrice)
Enfin, trois des sept personnes interrogées sur la
formation « Cet autre que moi », n'y ont pas trouvé ce
qu'ils.elles étaient venu.e.s y chercher. Pour deux d'entres eux.elles,
la formation ne les aide pas assez à comprendre les questions et les
problèmes que pose le genre aujourd'hui et à adapter leurs
pratiques sur le terrain. Le troisième professionnel, en tant
qu'enseignant, ne se sent pas concerné.
« Ça n'a répondu à aucune de mes
questions. La difficulté quand on travaille la question de genre... Pour
moi, la question de genre, c'est la place de l'homme et de la femme dans la
société et ce n'est pas la même chose que les
discriminations liées à la sexualité, que le
féminisme... Voilà, dans nos société à
l'heure actuelle, les femmes ont un rôle qui n'est pas le même que
ce qu'il a été par le passé, que ce qu'il sera dans le
futur. Et c'est ça, la question de genre. Quelle est la place de l'homme
aujourd'hui ? Comment est-ce qu'il peut reprendre un rôle dans la cellule
familiale ? Quel est ce rôle ? Voilà, c'est toutes ces questions
là. Moi, ce que j'ai ressenti à la formation... Il y a aussi
plein de choses à dire sur ce que les gens vivent à titre
personnel en tant qu'homme et en tant que femme dans cette
société. Et d'abord, il faut balayer ça, pour ensuite
travailler les représentations que l'on a, et ensuite travailler la
question de genre. C'est assez compliqué. Même là, j'essaie
de la définir, et je n'y arrive pas. Est-ce qu'on autorise un
garçon à jouer à la dinette ? Voilà, c'est vraiment
ça la question de genre pour moi. Et du coup, on n'a pas parlé de
la question de genre, on a parlé de la place de la femme
compliquée dans la société, de la place
prédominante de l'homme dans la société. Alors, certes, on
a travaillé des choses, à titre personnel ce n'est pas
inintéressant, mais ça n'a pas été assez loin pour,
moi, m'aider à travailler quelles sont les représentations de la
société aujourd'hui vis-à-vis de l'homme et de la femme,
et dieu sait qu'elles ont bougées. Et ça, j'ai l'impression qu'on
n'a pas réussit à le travailler. Et pourtant, c'est ce qu'il faut
qu'on arrive à travailler avec les jeunes. » (B2,
éducateur spécialisé)
« Moi, je préfère que l'on travaille
sur des cas pratiques. Qu'est-ce qu'on pourrait dire, comment on pourrait
répondre face à cette situation là ? Moi voilà, je
préfère qu'on nous forme sur vraiment des cas pratiques. Moi je
ne m'y retrouve pas, non, dans la formation. » (B4, éducatrice
spécialisée)
« Par principe, dès qu'il y a des formations,
j'y vais, dans la mesure oàje peux. Moi, c'est donc
déjà une démarche intellectuelle en premier.
Après, oui, le contenu... [...] - (Question) : Et
t'en es satisfait de ce contenu ? - (Lui) : Est-ce que je vais m'en servir au
quotidien dans mon activité d'enseignement, non, parce que les supports,
ce sont des situations de l'extérieur, et moi je gère du
collège. Ça me concerne moins, en tant qu'enseignant. »
(B5, professeur en Segpa)
Finalement, les avis sur la formation à l'outil «
Cet autre que moi » sont mitigés. Ce qu'il est important de noter,
c'est que la plupart des professionnel.le.s ayant suivi cette formation
développent une demande par rapport à d'éventuelles autres
formations sur le genre. En d'autres termes, les déçus et les non
satisfaits le sont plutôt parce qu'ils avaient de nombreuses attentes.
Les professionnel.le.s satisfaits sont d'autant plus curieux d'en apprendre
plus.
2- La formation au genre
Les entretiens effectués pour cette étude
montrent que les professionnel.le.s ne sont pas sensibilisé.e.s et ne
sont pas à l'aise avec la thématique du genre. Or, les formations
qui leur ont été proposées jusque là - lorsque des
formations leur ont effectivement été proposées - ne leur
permettent pas d'améliorer leur compréhension du monde
genré. En effet, ces formations, et notamment la formation à
l'outil « Cet autre que moi », même si elles leur proposent
d'apporter le débat auprès des jeunes, supposent que certaines
notions, certaines représentations et certaines valeurs font consensus
auprès des professionnel.le.s et que le sexisme et l'homophobie ne font
pas partie du monde des adultes.
En ce sens, une formation cherchant à diminuer les
comportements sexistes et homophobes passerait d'abord et avant tout par la
sensibilisation des adultes qui travaillent auprès des jeunes. Elle
comporterait deux phases, deux points essentiels afin que les
professionnel.le.s s'interrogent sur les notions de socialisation genrée
et de reproduction des inégalités et qu'ils.elles apprennent des
méthodes, des outils qui leur permettraient de faire évoluer
leurs pratiques dans le sens d'une moins grande reproduction de cette
socialisation et de ces inégalités.
Une telle formation s'adresserait à l'ensemble de la
communauté éducative et aux professionnel.le.s du loisir. En
effet, « les représentations sexuées et genrées
traversent les élèves, comme les enseignants ou les responsables
pédagogiques. La résolution de difficultés ne peut
qu'être interactive, intégrant tous les acteurs du système
scolaire, institution totale
s'il en est. » (Welzer-Lang, 2010). Evidemment,
le même principe s'applique pour les centres sociaux et les maisons de
quartiers, tant leur organisation participe de cette reproduction.
En ce sens, une telle formation devrait s'adapter aux divers
enjeux et problématiques que peuvent rencontrer les professionnel.le.s
selon leur rôle, leur position, leur poste. En effet, même si les
réflexions théoriques à la base de la formation seraient
les mêmes, un.e directeur.e de centre de loisirs, un.e éducateur.e
spécialisé.e dans un quartier d'habitat social, un.e professeur.e
de français et un.e professeur.e d'EPS n'ont pas les mêmes besoins
d'apprentissages pratiques. Dans les loisirs, si les un.e.s devront se
concentrer sur la mise en place de la mixité et l'évitement d'une
organisation genrée, les autres devront travailler sur les
représentations - les leurs, et celles des jeunes. A l'école, si
les un.e.s devront se questionner sur le contenu des lectures de
référence (Brugeilles, Cromer et Panissal, 2009), les autres
devront remettre en cause l'organisation sexuée des groupes de niveau
(Guérandel et Beyria, 2010). A ce titre, des études plus
poussées cherchant à adapter le contenu de la formation à
chaque situation seraient les bienvenues.
Dans une perspective à plus long terme, on peut
également espérer que les formations initiales que suivront les
différents futur.e.s professionnel.le.s de l'école et des loisirs
intègrent cette thématique afin qu'un véritable consensus
se crée au sein de la communauté éducative et de loisir
autour de la notion de genre et de la reproduction de la différenciation
inégalitaire. Cela impliquerait une véritable prise de conscience
au sein des institutions concernées.
II- Enjeux scientifiques
1- Intersections
Si les politiques de lutte contre le sexisme et l'homophobie
se sont dans un premier temps tournées vers les quartiers d'habitat
social ou populaires, c'est bien parce que les jeunes hommes de ces territoires
sont considérés comme plus sexistes et ayant des comportements
à risques vis-à-vis des jeunes femmes et des autres hommes
(monopolisation de l'espace public, virilité exacerbée, viols
collectifs...). Or, on peut penser qu'il s'agit partiellement d'une
construction de l'imaginaire collectif, largement relayée par les
médias sensationnalistes (Mucchielli, 2001).
Bien sur, il ne s'agit pas de nier la recherche du «
capital guerrier » que décrit Thomas Sauvadet (2006) :
« les groupes de jeunes de cité constituent des univers
hautement concurrentiels où le mode principal de hiérarchisation
renvoie à l'intimidation et à l'affrontement physiques. Dans ce
contexte, l'accumulation de capital guerrier rend accessibles toutes sortes de
ressources symboliques et matérielles ». En ce sens, le
capital guerrier peut être vu comme un capital de masculinité.
Si cette course à la virilité décrite par
Thomas Sauvadet peut-être expliquée par le contexte difficile de
la cité, elle peut également être liée à la
socialisation genrée et à « l'appel » à devenir
un homme. Ainsi, dans un contexte social paupérisé, où
nombre de ces jeunes hommes se retrouvent au chômage, ils chercheraient
à construire et à revendiquer leur identité de mâle
par d'autres moyens que le travail ou l'indépendance financière.
Daniel Welzer-Lang décrit ce phénomène : «
D'autres, en particulier ceux exclus des privilèges de
virilité, ceux qui ne peuvent afficher les signes et les grades de
virilité (argent, belle compagne, grosse voiture, pouvoir.), ceux qui
n'apparaissent pas désirants dans les injonctions de séduction
qui guident nos rapports de genre... ceux-là, ont tendance à se
replier dans des comportements virilistes qui se traduisent par des violences,
souvent suicidaires, entre eux, contre eux et envers les femmes »
(Welzer-Lang, 2007).
De plus, la recherche d'une masculinité chez les jeunes
de banlieue peut être considérée comme un retour du
stigmate de la colonisation. En effet, si une part importante des jeunes vivant
dans les quartiers populaires est d'origine immigrée (le plus souvent,
des pays du Maghreb), ces quartiers et les jeunes qui s'y trouvent s'en sont
trouvés « orientalisés »10 (Said,
1978), c'est-à-dire vus comme différents du
référentiel neutre qu'est le reste de la société,
cette différence étant largement associée à la
religion musulmane ou à la descendance d'immigré.e.s
maghrébin.e.s. Ainsi, les jeunes des cités, même
lorsqu'ils.elles ne sont pas d'origine « orientale » se retrouvent
dans ce sentiment d'être « Autre », avant tout parce
qu'ils.elles sont perçus comme tel.le.s.
A cela s'ajoute l'idée défendue par Christine
Delphy et Christelle Hamel qu'à travers la colonisation, l'homme
oriental a été construit comme sexiste. En effet, «
dès le début de la colonisation, la question du sexe, ou du
genre, est posée comme la ligne de partage entre les deux
"communautés" ainsi créées. Dans le
stéréotype raciste créé par le colonisateur,
les
10 Orientalisme : Idée que l'Orient ait
été créé par l'Occident comme différent,
notamment par le biais de la colonisation, l'Occident et ses valeurs
étant vus comme le référentiel neutre.
indigènes ne "traitent pas bien les femmes"
» (Delphy, 2008). Le sexisme que développeraient les jeunes arabes
de cité, et par extension, les jeunes hommes des cités, serait
« un sexisme exacerbé par le contre-racisme,
c'est-à-dire la revendication par les garçons du machisme qu'on
leur reproche » (Hamel, 2005).
Ces processus sont décrits par nombre de chercheurs
comme des effets d'intersections race/classe/genre. Didier Lapeyronnie (2008),
en dépeint les effets : « chez ces jeunes garçons
arabes, le racisme et la discrimination cumulent le genre et la race mais aussi
l'âge (la jeunesse) et en font le signe d'une sexualité agressive
et d'une masculinité violente ».
Quelques professionnel.le.s, majoritairement provenant du
quartier Bastide, montrent qu'ils.elles sont conscient.e.s de ces enjeux, qu'il
s'agisse de l'intersection entre genre et race ou entre genre et classe
sociale.
[Photo 7 : Sébastien Chabal] « Quand c'est
Chabal la barbe, c'est de la virilité, et quand c'est un jeune de
banlieue avec la barbe, on parle de terrorisme. Ça dépend qui la
porte. A l'époque des Vikings, c'était des combattants,
c'était viril. Et aujourd'hui, quand c'est des maghrébins, c'est
des Djihadistes. Ce n'est pas vu pareil par les gens. » (B9,
animateur)
[Photo 1 : DSK] « J'espère que sa position
sociale ne fera pas oublier cette affaire. » (B1, infirmière
scolaire)
[Photo 1 : DSK] « Et les sanctions, pareil, que ce
soit lui ou pas, que ce soit les mêmes sanctions que ce soit le petit
arabe de cité, ou le petit français qui n'a rien. Comme, c'est
pareil, là, il est sorti. Si ça avait été un jeune,
il serait resté en prison, en attendant. » (B8, animateur)
[Photo 1 : DSK] « Mais c'est plus sur après ce
qui se passe, les moyens qu'ils ont de se protéger, d'avoir des avocats
très forts... Un lambda, pour la même chose sera très vite
accusé. » (B4, entraîneur en badminton)
[Photo 1 : DSK] « J'ai l'impression quand même
qu'il y a une culpabilité évidente et qu'il y a des passe-droits,
qu'il y a le tout puissant politique, ou en tout cas homme en
général, ou femme en général, avec des passe-droits
terribles et qu'il n'y a pas une justice qui soit la même pour tout le
monde. » (J6, professeur d'EPS)
Finalement, ne vouloir luter contre le sexisme et l'homophobie
que dans les quartiers populaires renforce la stigmatisation de ces quartiers,
des jeunes hommes qui y grandissent, des jeunes femmes également, et
donne à penser que le reste de la société française
(dont ils
ne font pas réellement partie, étant
relégués dans ces quartiers orientalisés) est exempte de
tout sexisme.
En ce sens, la volonté de la mairie de Bordeaux de
s'intéresser à d'autres quartiers que les quartiers populaires
quant il s'agit de sexisme et d'homophobie participe d'une
déstigmatisation des jeunes hommes des cités. En ce qui concerne
les jeunes, filles et garçons, cette étude ne permet pas de
déterminer s'il y a de véritables différences dans les
représentations qu'ils.elles peuvent avoir des rapports entre hommes et
femmes selon les quartiers. En revanche, elle montre que, concernant les
professionnel.le.s qui travaillent à leur côté au quotidien
et qui participent donc de leur socialisation de genre, les
représentations et les stéréotypes sont sensiblement les
mêmes : l'idéal d'égalité prédomine
largement, même si les valeurs sont floues et ancrées dans le
schéma hétéronormé et essentialiste.
Si l'on veut espérer luter contre le sexisme et
l'homophobie, quel que soit le « degré de sexisme » des jeunes
considéré, l'école et les lieux de loisirs sont les
institutions les plus à même de faire l'objet de politiques
publiques allant dans ce sens, les autres instances de socialisation (famille,
groupe de pairs,...) n'étant pas accessibles. Alors, que ces politiques
publiques ne se concentrent pas uniquement sur les quartiers de
relégation apparaît comme une nécessité.
2- « Gender mainstreaming »
Dans une perspective plus globale, l'école et les lieux
de loisirs sont un des domaines, parmi d'autres, où les rapports de
genre sont construits, reproduits et réaffirmés. En ce sens, ils
peuvent également être un des domaines de leur reconfiguration et
de leur contestation.
Alors, une réflexion menée sur la
problématique du genre dans ces institutions dans le but d'adapter les
politiques publiques - et, par là, les formations - à une
volonté d'égalité entre les sexes pourrait être
intégrée dans une politique plus générale de «
gender mainstreaming ». Le gender mainstreaming, en
politique, est le « principe selon lequel l'égalité des
sexes doit devenir une préoccupation de tous les responsables
politiques, et pas seulement des instances spécifiquement
chargées de cette question. Puisque toutes les politiques publiques ont
une incidence sur les rapports de genre, il s'agit d'intégrer de
façon systématique, dans l'élaboration des politiques, une
analyse de leurs effets attendus du point
de vue du genre [...] » (Bereni et al., 2008).
Malgré un risque de remise en cause de l'utilité
et de la légitimité des instances spécifiques que peut
amener la mise en place d'une telle politique de préoccupation
transversale, elle permettrait un réel changement cognitif sur le long
terme, dont on peut espérer une diminution des inégalités
entre hommes et femmes, du sexisme et de l'homophobie.
CONCLUSION
Avec cette étude, il s'agissait de répondre
à la problématique suivante : Dans quelle mesure une
sensibilisation des professionnel.le.s de l'école et des lieux de
loisirs aux thématiques du genre peut-elle éviter la reproduction
du sexisme et de l'homophobie ?
Il a été préalablement établit que
la notion de genre a d'abord été utilisée pour
différencier les caractéristiques construites socialement du
sexe, variable anatomique (sexe social) puis pour désigner
l'essentialisation et la hiérarchisation construite des sexes. Cette
notion permet donc d'éclairer et d'analyser un rapport social, celui qui
existe entre les hommes et les femmes. L'apprentissage de cette
différentiation par les individu.e.s se fait au travers de la
socialisation de genre, processus d'intériorisation d'une police et
d'une performance de genre, se préparant dès avant la naissance,
se réalisant pleinement pendant l'enfance au sein de la famille, et se
consolidant à l'adolescence à l'école, dans les lieux de
loisirs, et au contact des pairs. En ce sens, les comportement et
représentations sexistes et homophobes des adolescents au sein de ces
institutions sont les conséquences de la reproduction des schémas
hétérosexistes à travers la socialisation de genre.
Il a ensuite été montré que
l'organisation des structures de loisirs étudiées était
genrée. En effet, on remarque qu'au niveau de la maison de quartier du
Jardin Public, les activités sont réparties sur deux lieux qui
sont finalement polarisés en fonction du genre. De la même
manière, à la Bastide, les deux centres sociaux accueillent
chacun respectivement un public largement masculin ou un public largement
féminin, notamment du fait que les équipes d'animation sont
elles-mêmes non mixtes et polarisées en fonction du genre selon
les centres. Cette « séparation » - involontaire - entre
garçons et filles crée ce que l'on peut appeler des
maisons-des-hommes et des maisons-des-femmes, lieux privilégiés
d'apprentissage des codes de genre. De plus, ce qu'il se passe à
l'intérieur des activités ou des cours de collège peut
renforcer cet apprentissage (séparation en cours d'EPS,
stéréotypes de genre dans les lectures de
référence...). Finalement, l'organisation des structures
d'accueil, des enseignements et des activités participe à la
socialisation genrée.
Les représentations de genre des professionnel.le.s de
l'école et des loisirs ont ensuite été interrogées.
Ainsi, malgré le fait qu'ils.elles prônent
généralement une égalité en droit et
de traitement entre les garçons et les filles,
ils.elles restent largement ancré.e.s dans le schéma
hétérosexiste, probablement du fait qu'ils.elles soient
très peu sensibilisé.e.s à ces thématiques. En
effet, ils.elles considèrent majoritairement que les garçons et
les filles, mais aussi les hommes et les femmes, sont différents dans
leurs comportements et dans leurs modes de pensée. Même si
quelqu'un.e.s considèrent que ces différences sont acquises,
ils.elles assument généralement que cet apprentissage se fait
dans la famille, et donc que l'école ou les lieux de loisirs n'ont pas
leur place dans cette construction. La faible sensibilisation à cette
thématique et les représentations que peuvent avoir les
profesionnel.le.s encouragent donc la reproduction de la socialisation
genrée. Ces institutions seraient finalement sexistes par abstention.
Il apparait donc important de pouvoir former les
professionnel.le.s sur les thèmes du genre, de la mixité, et de
leur gestion dans le but de pouvoir lutter contre le sexisme et l'homophobie,
conséquences directes de la socialisation différenciée de
genre, et de la reproduction du schéma hétérosexiste qui
l'accompagne, et ce quel que soit le territoire concerné.
Dans ce sens, une poursuite de la recherche dans le but de
comprendre les enjeux liés à chaque situation (territoires,
nature de la structure, garçons et filles, poste et rôle du
professionnel.le...) est envisageable et souhaitable.
On peut également espérer que cette politique de
formation des professionnel.le.s de l'école et des lieux de loisirs des
jeunes s'inscrive dans une volonté plus large d'intégrer un
questionnement sur le genre à l'ensemble des politiques publiques et au
fonctionnement de chaque institution.
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ANNEXES
Table des annexes
Annexe 1 : Plan de la ville de Bordeaux 86
Annexe 2 : Guide d'entretien 88
Annexe 3 : Supports photographiques aux entretiens
91
Annexe 4 : Illustrations photographiques 97
Annexe 1 : Plan de la ville de Bordeaux
Annexe 2 : Guide d'entretien
1. Parcours professionnel et
personnel
Enjeux : On tente ici de comprendre quel parcours
personnel et professionnel a suivi la personne interrogée.
? Pourquoi avoir choisi le
travail social / ce métier ? Pourquoi auprès de ce public en
particulier ? Quelles études ou formation ont été suivies
? Quels choix d'orientation et de carrière ont-ils été
faits ? Pour quelles raisons ? Quelles projets / rêves d'évolution
professionnelle ? Sont-ils fiers d'exercer ce métier ? Pourquoi
?
2. Expérience quotidienne des rapports de
genre
Enjeux : Le but est ici d'accéder à
l'expérience de la personne interrogée de ce que sont les
rapports de genre au quotidien et de la manière dont elle y est
confrontée dans son travail auprès des jeunes.
? Comment se passent les
relations entre filles et garçon de votre public ? Avez-vous
déjà été témoin de scènes que vous
avez jugé inégalitaires / sexistes / injustes concernant les
rapports entres hommes et femmes ? Si c'est le cas, comment avez-vous
réagi ? Pensez-vous que vous avez les « armes »
nécessaires pour lutter contre ce genre de comportements ? La
mixité sexuelle est-elle facile à mettre en place ? Dans votre
quartier en particulier ?
? Votre équipe est-elle
mixte ? Est-ce une bonne chose ? Que pensez-vous d'une équipe nonmixte /
mixte ? Quel rôle avez-vous dans votre équipe ? Est-ce la
même chose d'être un animateur ou une animatrice ? Un professeur ou
une professeure ?
3. Les effets de la politique mise en
place
Enjeux : Si la personne interrogée a
été en contact avec la politique de sensibilisation mise en
place, on cherche à comprendre en quoi cela à fait évoluer
ses pratiques et représentations. Si elle n'a pas été en
contact avec cette sensibilisation, on interroge sa sensibilité par
rapport à cette problématique.
? Avez-vous été
concerné par la politique de sensibilisation au sexisme mise en place ?
Si
oui, que vous a-t-elle apporté ? Vous sentez-vous
mieux armé ? Des choses ont-elles évoluées depuis ? Si
non, auriez-vous aimé ? Pourquoi ?
? Avez-vous été
formé à la problématique du genre lors de votre formation
initiale ? Ensuite ?
4. Représentations des identités
genrées (photographies)
Enjeux : On questionne les représentations des
identités genrées et le positionnement personnel de
l'interrogé face à ces identités.
? Que pensez-vous des rapports
entre hommes et femmes chez votre public de jeunes ? Et avec vos
collègues ? Dans la société en général ?
Pensez-vous que cela peut évoluer ? Comment et à quelles
conditions ? Que pensez-vous de l'enseignement de la théorie du genre
dans les manuels de SVT ? Qu'est-ce qu'un homme, une femme ?
5. Infos : âge, sexe, poste
occupé, public, structure, quartier, temps passé à ce
poste, dans cette structure, sur ce quartier, coordonnées.
Annexe 3 : Supports photographiques aux entretiens
Dominique Strauss-Kahn,
Les féministes de FEMEN devant chez
D
Le baisemain , la galanterie.
Ilham Moussaïd, candidate NPA aux
élections régionales de 2010.
Femme en burqa.
Le mariage homosexuel.
Sébastien Chabal, image de la
virilité.
Prostituée dans la rue.
Adolescente dessinant des coeurs.
Fer à repasser, les tâches
ménagères.
Annexe 4 : Illustrations photographiques
QUARTIER BASTIDE
Place Stalingrad, porte du quartier
Habitat social de la Benauge.
Collège Léonard Lenoir,
Bastide
Collège Jacques Ellul,
Bastide
Centre social Bastide-Benauge.
Centre social Bastide-Queyries.
QUARTIER JARDIN PUBLIC
Rue du quartier.
Entrée de l'espace Lagrange, annexe de la
maison de quartier.
Maison de quartier Chantecler.
Collège Cassignol, Jardin
Public.