I.2. Les facteurs de la puissance des États
Plusieurs éléments contribuent à
donner à l'État son assise sur la scène internationale.
Ainsi, en faisant référence aux dictatures qui se sont
multipliées après les indépendances, les États
africains ont parfois été qualifiés d'États forts.
C'est en ce sens que différentes approches et conceptions des facteurs
de puissance des États ont été développées
par différents auteurs sur tel ou tel autre plan. C'est par exemple le
cas du géographe américain Nicholas JOHN SPYKMAN (1942) qui en
retenait 1020 : la surface du territoire, la nature des
frontières, le volume de la population, l'absence ou la présence
des matières premières, le développement économique
et technologique, la force financière,
l'homogénéité ethnique, le degré
d'intégration sociale, la stabilité politique et l'esprit
national. Hans MORGENTHAU, quant à lui, l'un des fondateurs de la
pensée réaliste au lendemain de la seconde guerre mondiale,
préconise que la puissance est avant tout militaire et
économique21. Il la définit comme le résultat
de la capacité à combiner au mieux huit critères
essentiels : les ressources militaires (capacité de transformer
rapidement des ressources en force militaire, état de la
préparation de l'armée...), les capacités industrielles,
la possession ou la maîtrise des matières premières, des
avantages géostratégiques (géographie...), une
démographie favorable, des caractéristiques culturelles fortes
(caractère national...), un bon moral national (dont CLAUSEWITZ
lui-même faisait grand cas...) et des qualités diplomatiques et
gouvernementales (qualité des élites...).
Raymond ARON résume ces critères autour
des trois éléments : l'espace, les ressources et les
capacités d'action collective22. A l'heure actuelle, les
ressources naturelles dont disposent les États sont (...) devenues un
atout stratégique véritable. (...) Elles sont à l'origine
de bien de choix géopolitiques des gouvernements, et surtout des
États les plus puissants
20 E. AKONO ATANGANE, Cours de
géopolitique, Inédit, L1 RI, F.S.S.P.A., U.O.B., 2008-2009,
P. 51.
21 J.-G CONTAMIN et al. S/dir., Dictionnaire de
sciences politiques et sociales, Paris, Dalloz, 2004, P. 280.
22 R. ARON, Paix et guerre entre les nations,
Paris, Calmann-Lévy, 1964, P.40.
que sont les pays industrialisés, qui en sont
dépendants pour assurer le maintien de leur niveau de vie et de leurs
instruments de domination. Ces ressources peuvent en effet s'avérer
décisives, puisque de leur détention dépend la puissance
des pays23. Dans le cadre de ce travail, nous développerons
ces facteurs en les regroupant successivement dans les conditions
géographiques, les conditions démographiques, les
intérêts économiques et financiers, les facteurs militaires
et technologiques, les traits de la mentalité collective ou les grands
courants sentimentaux et les qualités liées au chef de
l'État comme les forces profondes des États sur la scène
internationale.
I.2.1. Les facteurs géographiques
D'abord il est reconnu qu'il ne peut exister un
État sans territoire ou, de façon plus générale,
sans un espace sur lequel il exerce, à l'exclusion de tout autre, son
contrôle, un espace dit national. « En politique
étrangère, c'est la géographie bien plus que les hommes
qui commande24 ».
Par espace national, il faut entendre à la fois
l'espace terrestre, l'espace maritime et l'espace aérien surjacent. Cet
espace doit regorger certaines potentialités pour conditionner la
politique des États et permettre ainsi leur déploiement sur la
scène internationale. Citons entre autres : l'influence du climat, du
relief, de l'hydrographie, de la qualité des sols et de la nature du
sous-sol qui déterminent les caractères de la
végétation et de l'état des ressources
minérales25.
En elle-même, l'étendue de l'espace
national est dépourvue de signification en tant que facteur de puissance
de l'État. Marcel MERLE écrit cependant que : « les petits
États qui ne contrôlent qu'une portion limitée de l'espace
sont, de ce fait, réduits à jouer les seconds rôles sur
la
23 S. CHAUTARD, Comprendre la
géopolitique, sl, Studyrama perspectives, sd, P.49.
24 B. BOUTROS GHALI, cité par P.-F. GONIDEC,
Relations Internationales Africaines, Paris, LGDJ, EJA, 1996, P.12.
25 G. NGOIE TSHIBAMBE, &1XLVDIKZMIZLe
DZSGoPDZqXe, Inédit, G2 R.I., F.S.S.P.A, U.O.B., 2007- 2008.
scène internationale26 ».
Toutefois, il ajoute qu'il faut tenir compte d'autres données : <<
contenu de l'espace, équipement technique, capacité des hommes
», ce qui le conduit à relativiser l'importance de l'étendue
de l'espace national. « Une corrélation étroite ne peut donc
être établie entre la superficie et la puissance
».
Dans la mesure où l'espace n'est pas seulement
une réalité matérielle, mais également mentale, on
peut en tirer la conclusion que les << petits » États peuvent
ressentir un sentiment de frustration par rapport aux << grands »
États, ce qui n'est pas de nature à faciliter leurs relations.
Cependant, la possession d'une vaste étendue d'espace n'est pas, non
plus, sans inconvénients. Il est évident que plus cette
étendue est importante, plus l'État éprouvera de
difficultés à étendre son contrôle effectif à
l'ensemble de son espace, à réaliser l'intégration
territoriale, c'est-à-dire à relier le centre à la
périphérie. En outre, une grande étendue d'espace
s'accompagnant de frontières vastes, la défense de ces
frontières et le contrôle des mouvements de personnes et de
marchandises à travers les frontières se trouvent
nécessairement plus malaisés.
Donc, le sol occupé par un État peut lui
être un avantage ou un désavantage27. Lorsque l'espace
occupé est un désavantage, l'État est limité dans
son déploiement, il ne peut agir correctement sur la scène
internationale.
Par contre, un État peut considérer sa
géographie comme un capital, c'està-dire un avantage
stratégique qui lui donne des possibilités et des
virtualités qui lui permettent de se déployer sur la scène
internationale. Actuellement, l'espace géographique a une valeur
neutre.
1. la position de l'État : c'est la
place qu'il occupe sur la carte du monde. L'État ayant l'accès
à la mer ou une position favorable à la recherche d'un
accès à la mer a donc un mobile de toute première
importance dans l'orientation de la politique extérieure des
États. Friedrich RATZEL avance
26 M. MERLE, cité par P.-F. GONIDEC,
Relations Internationales Africaines, Paris, LGDJ, EJA, 1996, P.
12. 27 G. NGOIE TSHIBAMBE, Cours de Relations Internationales
II, Inédit, G2 R.I., F.S.S.P.A., U.O.B., 2007- 2008.
20
que les peuples les plus forts ont toujours
cherché à occuper les zones littorales, en reléguant vers
l'intérieur les populations les plus faibles28. Un
État puissant, lorsqu'il possédait, dans une mer une dimension
relativement restreinte, une portion du littoral, a eu souvent le dessein
d'étendre son contrôle à la majeure partie ou même
à la totalité des côtes. C'est dans ce contexte par exemple
que la Bulgarie luttera pour obtenir en 1912-1913, l'accès à la
mer Egée qu'elle perdra en 1920 ; la revendication par la Serbie d'une
fenêtre sur l'Adriatique au cours de la première guerre mondiale ;
l'Éthiopie, devenue un État enclavé à la suite de
la sécession de l'Érythrée, a obtenu de cette
dernière la faculté d'accéder aux ports
érythréens.
Le géographe Halford J. MACKINDER, simplifie et
déforme la pensée de Ratzel. D'après MACKINDER, la balance
des forces politiques ne dépend pas uniquement des conditions
géographiques, car la virilité et la capacité
d'organisation des groupes humains ont aussi leur rôle, mais ce sont les
éléments géographiques qui exercent une influence
coercitive parce qu'ils sont plus mesurables et plus constants29.
Les corrélations entre la géographie et l'histoire doivent donc
être le thème essentiel de réflexion.
2. Le contrôle des voies de passage :
l'État dont le territoire est traversé par une voie
naturelle de passage prend, lorsqu'il est assez fort pour en interdire l'usage,
une place singulière dans les R.I. : tous les étrangers qui
utilisent ce passage ont besoin de sa complaisance, fort
intéressés car le transit peut donner lieu à la perception
de taxes ; la circulation des hommes ou des marchandises est donc une occasion
de profits pour les habitants de la région. La voie naturelle de passage
peut devenir donc un point d'attraction, un centre de fixation qui consolide
l'État. Mais cette ligne de circulation commerciale peut être
aussi une voie d'invasion : si l'État est faible et s'il y a des voisins
puissants, il risque de devenir la victime de sa situation géographique
favorable.
28 G. NGOIE TSHIBAMBE, Op. Cit., P. 18.
29 P. MOREAU DEFARGES, Introduction à la
géopolitique, Paris, Seuil, 1994, Pp. 46-55.
La puissance continentale est toujours, la plus forte,
surtout lorsqu'elle occupe une position stratégique centrale qui lui
permet d'agir dans toutes les directions. Mais dans ses analyses, l'amiral
américain Alfred THAYER MAHAN insiste sur l'importance de la puissance
maritime dans la vie des nations (sea power), en estimant qu'elle a un
statut spécial pour s'agrandir vite par rapport à ce que pouvait
s'agrandir une puissance continentale. Par ailleurs, il reconnaît
qu'aucune nation, si forte soit-elle, ne peut maintenir sa puissance si elle a
d'autres voisins puissants qui l'empêcheraient de contrôler les
mers et les océans30.
L'école allemande de la GEOPOLITIK dont
l'animateur est le général Karl HAUSHOFER se préoccupe de
donner à la science politique une base géographique. Elle doit
montrer comment la politique est déterminée par les
données géographiques. Cette analyse qui établira des
faits palpables et des lois démontrées donnera aux hommes
d'État les bases nécessaires pour construire une politique
pratique, elle leur indiquera en même temps les limites du possible :
tout ce qu'un gouvernement pourrait réaliser audelà de la
géopolitique ne serait pas durable. Dans son ouvrage : <<
frontières et leur signification », Karl
HAUSHOFER précise que les frontières ne sont en aucun cas des
lignes de partage juridiques (en allemand scheidende
rechtsnorm), mais au contraire, l'enjeu d'un combat pour
l'existence dans un monde fini31.
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