Paragraphe 2: Revue de littérature
Cette section consistera à passer d'abord sur la
clarification des concepts, afin de mieux les cerner, ensuite, sur la revue
théorique et les prolongements empiriques des zones monétaires
optimales, et enfin, à un réexamen de la théorie.
A) La clarification des concepts.
· Zone monétaire :
C'est l'ensemble des pays regroupés autour d'un pays
central et respectant les règles monétaires suivantes :
· parité fixe entre monnaies des pays et celle du
pays central ;
· convertibilité des monnaies ;
· mise en commun des réserves de change ;
· harmonisation des règlementations de change.
A titre illustratif, on peut citer la zone franc, la zone euro,
la zone sterling2...
· Zone monétaire optimale
:
Théorie économique fondée sur les
travaux de Mundell R. (« A theory of optimum currency
areas », AER, 51, 1961) et de Mckinnon R. (« Optimum
currency areas », AER, 53, 1963).
Selon Mundell, une ZMO est un espace
monétaire à l'intérieur duquel, les régions qui le
composent n'ont pas besoin du taux de change (TC) commun, comme instrument
d'ajustement pouvant être utilisé pour les résorptions des
déséquilibres consécutifs à des chocs
asymétriques internes et externes qui frapperont les Etats membres de la
zone. L'adoption d'un taux de change fixe et irréversible et d'une
monnaie unique entre les pays est la condition sine qua non d'appartenance
à une union monétaire (UM).
· Intégration
2 La zone sterling est une zone monétaire de
1931 à 1967, date à laquelle la livre a été
dévaluée sans que les autres monnaies ne la suivent.
Regroupement, unification ou articulation et coordination
d'éléments antérieurement séparés en vue de
constituer un élément cohérent. En économie
politique, on distingue, notamment, l'intégration économique.
· Intégration économique
C'est l'ensemble des procédés par lesquels deux
ou plusieurs nations créent un espace économique commun.
Balassa B. retient cinq formes d'intégration par
degré d'intensité croissante :
ü la zone de libre-échange :
c'est une zone oCI les droits de douane et les restrictions
quantitatives aux échanges sont abolis entre les pays de la zone mais,
oCI les politiques extérieures de chaque Etat vis-à-vis des pays
tiers restent libres ;
ü l'union douani1re : il s'agit d'une
union tarifaire (zone de libreéchange dotée d'un tarif
extérieur commun) où les législations nationales en
matière de douane sont harmonisées ;
ü le marché commun : c'est une
union douanière où, en outre, la libre circulation des personnes
et des capitaux est réalisée ;
ü l'union économique : il s'agit
d'un marché commun qui a, en outre, réalisé une
harmonisation des politiques économiques nationales, aussi bien
conjoncturelles que sectorielles (énergie, monnaie, agriculture,
industrie, social, etc.).
ü l'union monétaire ou intégration
monétaire : c'est une union économique avec une banque
centrale unique, harmonisation des politiques monétaires et utilisation
d'une monnaie commune ou une monnaie unique. Elle apparaît comme un
préalable à l'union économique ;
ü l'intégration économique
totale : c'est l'étape finale de l'intégration qui
consiste en l'unification des politiques conjoncturelles, sectorielles,
structurelles sous l'égide d'une autorité supranationale.
· Convergence
C'est une évolution vers un même horizon ou une
même valeur pour deux ou plusieurs variables. Dans le domaine du
développement économique, on distingue plusieurs formes de
convergences :
V1 convergence absolue
Dans le modèle de croissance de
Solow, la thèse de la convergence absolue affirme que
les économies initialement pauvres connaissent des taux de croissance
par tête plus élevés que les économies initialement
riches. Donc, les pays pauvres vont rattraper les pays riches (effet de
rattrapage). Mais, les travaux empiriques, notamment, ceux de Barro R.
et Sala-I Martin portant sur un grand nombre de pays
et sur une période de près de quarante ans rejettent cette
hypothèse donnant ainsi lieu à la convergence conditionnelle.
V1 convergence conditionnelle ;
Les économies qui ont un certain nombre de
caractères proches, (comme, par exemple, la croissance
démographique, le taux d'épargne...) valident la
prédiction de convergence du modèle solovien qui
est donc une approximation acceptable de la réalité, à
condition, de prendre en compte le capital humain. Autrement dit, la
convergence ne s'opère qu'entre pays partageant les mêmes
caractéristiques structurelles.
V1 Club de convergence ;
On parle de club de convergence pour les pays ayant un
modèle de croissance commun. Il pourrait exister plusieurs clubs de
convergence ; ce qui signifie qu'il puisse ne pas y avoir de convergence entre
les pays appartenant à différents clubs.
B) Revue théorique de littérature
L'architecture de l'économie mondiale contemporaine,
notamment, avec l'éclosion des regroupements régionaux, a fait
renaître le débat sur les zones monétaires optimales.
Ainsi, la théorie économique, depuis plus d'une
quarantaine d'années, s'efforce de répondre
à la question de savoir : à partir de quels critères,
peut-on considérer que, des espaces monétaires nationaux ont
intérêt à se rassembler et à ne former qu'une seule
zone monétaire marquée par l'existence, soit d'une monnaie
unique, soit d'une structure de parité fixe et irrévocable. Cette
théorie des zones monétaires optimales s'inscrit dans le cadre de
la macroéconomie keynésienne des années 60. Elle est
née du débat en cours sur les avantages et coûts
liés à un régime de change (change fixe et flexible).
Deux types d'analyse prévalent jusqu'à ce jour
pour tenter de définir une zone monétaire optimale : les
traditionnelles sont formulées par Mundell (1961),
McKinnon (1963) et Kenen (1969). Après
eux, un nouveau type d'analyse dite analyse coûts-bénéfices
est apparue en complément et est menée par d'autres
économistes. La problématique était de savoir, à
partir de quel moment, deux pays ont intérêt à se lier
entre eux par un système de change fixe. En d'autres termes, la
théorie cherche à identifier le critère qui permettrait de
réduire les coûts de l'autonomie de l'abandon monétaire. En
effet, Mundell identifie la mobilité des facteurs de production comme
substitut à la fonction d'équilibre du système de change.
Ainsi, sous l'hypothèse de flexibilité des prix et des salaires,
une mobilité de travail entre pays et une immobilité des
capitaux, rendent moins nécessaires les modifications du taux de change
pour restaurer la compétitivité internationale et
l'équilibre extérieur. Pour lui, l'ajustement des
déséquilibres se réalise par un transfert de ressources
humaines d'une région A en récession vers une région B en
expansion. Ce qui permet, dans un système de change fixe, la
résorption du chômage et le déficit commercial en A. Par
contre, il est observé une hausse des salaires dans la région B
sans faire recours à l'usage du taux de change. Par exemple, le passage
des travailleurs d'une région A à chômage
élevé vers une région B à faible chômage tend
à uniformiser les salaires et les coûts. Ainsi, des Etats auront
intérêt à former une union monétaire, lorsque la
mobilité de leurs facteurs est avérée.
Pour compléter l'analyse de Mundell,
McKinnon (1963) va proposer de son côté, à
travers ses travaux intitulés « le degré
d'ouverture des économies » (mesuré par le
rapport des biens échangeables et les biens non échangeables)
comme critère à l'établissement d'une zone
monétaire. Autrement dit, les coûts liés à l'abandon
du taux de change comme instrument de politique économique diminuent en
fonction du degré d'ouverture des économies et de l'importance de
leurs échanges réciproques. En effet, plus une économie
est ouverte, plus les prix nationaux sont soumis aux effets de variations du
TC. Ces effets peuvent provoquer des modifications des coûts, notamment,
celui de la main d'oeuvre. Les variations de change auraient un fort impact sur
les prix relatifs des biens échangeables/biens non échangeables,
exprimés en monnaie locale pour les pays relativement ouverts. En effet,
si l'ouverture est forte, toute dépréciation du change qui
interviendrait en cas de changes flexibles aura un impact significatif sur le
rapport demande locale/demande externe. L'affectation des ressources sera ainsi
fortement perturbée et l'impact des variations de change par la
modification des prix relatifs sera très sensible. Par contre, si
l'ouverture est faible, le secteur des biens non échangeables dominera ;
ce qui aura pour effet d'atténuer le rôle perturbateur des
variations de prix relatifs dues au change. Une parité fixe est donc
préférable pour les économies ouvertes du fait que les
variations du taux de change nominal auraient, sans doute, des effets sensibles
sur leur compétitivité réelle. Par conséquent,
(selon McKinnon (1963)), les économies
ouvertes ont intérêt à constituer une zone monétaire
afin d'éliminer les risques de change qui sont sources de fortes
instabilités financières et économiques.
Kenen (1969), quant à lui,
contrairement à l'analyse de Mundell et de
McKinnon, va se focaliser sur « le
degré de diversification des productions ». Il montra
que la mobilité du travail n'est pas un critère satisfaisant de
la zone monétaire optimale car, elle est rarement parfaite. Pour lui,
les économies diversifiées peuvent, plus facilement, adopter des
changes fixes et s'intégrer à une
zone monétaire que celles qui se caractérisent
par une diversification modeste. En effet, si la structure de production est
diversifiée, un choc négatif sur la demande d'un type de bien ou
d'un secteur d'activité, aura un effet moindre. Ceci résulte
d'une faible fraction d'emplois détenue par chaque type de bien ou de
secteur dans l'économie. Un choc n'aura donc que peu de
conséquences sur l'agrégat et affectera les pays de
manière similaire. De même, les chocs ne peuvent atteindre
simultanément tous les secteurs de l'économie. Si le taux de
change est utilisé comme instrument de stabilisation, les variations
seraient plus importantes dans une économie non diversifiée. Dans
une économie diversifiée, les chocs extérieurs se
compensent plus facilement et l'instrument du taux de change sera moins
utilisé. La diversification et la similarité de la production
réduisent le besoin de politique de change et donc des coûts de
son abandon.
L'analyse de ces trois auteurs sur les critères
d'optimalité d'une zone monétaire optimale constitue le socle de
la théorie traditionnelle des zones monétaires optimales
(Mongelli, 2002). Néanmoins, le renouvellement de la
théorie des zones monétaires optimales, notamment basé sur
d'autres critères de convergences (la flexibilité des prix et des
salaires, le degré d'intégration des marchés financiers et
la similarité des taux d'inflation) va être formulé
à partir de la fin des années 60, pour renforcer cette
théorie traditionnelle.
Ainsi, pour Ingram et al
(1969), l'intégration financière rend moins nécessaire les
modifications des coüts relatifs entre pays via l'ajustement du taux de
change. La libéralisation financière permet de corriger les
déséquilibres de la balance des paiements sans pression sur le
taux de change et les taux d'intérêt. Cette approche se fonde sur
le fait que les capitaux sont plus mobiles que la main d'oeuvre pour financer
les déséquilibres intra régionaux. Si la fluidité
des capitaux entre pays excédentaires et pays déficitaires est
assurée dans le même espace, cette zone monétaire est
optimale. Ici, l'optimalité d'une union monétaire est
appréciée lorsqu'elle est totalement intégrée
financièrement.
Par contre, pour Fleming
(1971), la similarité des taux d'inflation sur une
certaine période de temps entre différents pays induit des
conditions d'échange stables et par conséquent réduit le
besoin d'ajustement du taux de change. Pour lui, des taux d'inflation
sensiblement différents selon les pays, pourraient être source de
pouvoirs d'achats divergents et entraîner le recours à
l'instrument taux de change pour corriger les écarts. Il suggère
un changement macroéconomique caractérisé par une
convergence de certains indicateurs tels que : les taux d'inflation, les
institutions du marché de travail, les politiques économiques ou
les préférences sociales. Giovanni et al
(1973) soutiennent la similarité des taux d'inflation entre les
pays comme une condition d'optimalité d'une zone monétaire. En
effet, cette similarité rend moins nécessaires les modifications
du taux de change (réévaluation ou dévaluation)
vis-à-vis des autres monnaies pour restaurer la
compétitivité internationale.
D'autres critères tels que la notion de bien public
qu'est l'espace intégré (Kindleberger, 1986) ;
le rôle des stratégies et des biens finals respectifs des
autorités en présence (Hammada et
al, 1980) ; l'identité dans les
préférences de structures qui expliquerait que même sans
structures économiques identiques, les préférences
communes en vues de les construire suffisent à justifier la perspective
d'intégration (Bourguinat, 1973) et enfin la
symétrie dans l'absorption des chocs sont identifiés comme
pouvant expliquer la construction de zones monétaires.
Quand bien même la théorie des zones
monétaires optimales offre un tremplin valable pour apprécier une
zone monétaire, elle n'en constitue cependant pas un cadre
opérationnel pour la construction de zones monétaires. C'est
à ce constat qu'est parvenu Tavlas (1994), pour qui la
théorie des zones monétaires optimales n'offrait pas un cadre
unifiant. La théorie traditionnelle des zones monétaires
optimales a pour avantage l'élimination du risque de change et pour
inconvénient la perte de la souveraineté monétaire. Elle
surestime le rôle du taux de change dans l'ajustement des chocs. Ces
auteurs de la phase pionnière ont posé la question de l'arbitrage
entre le taux de change fixe et flexible pour un espace
économique. Ils concluent qu'une union
monétaire ne serait concevable de manière optimale que pour les
régions affectées par des chocs symétriques et qui
disposent face à des chocs asymétriques, des mécanismes
d'ajustement automatiques.
La théorie traditionnelle des zones monétaires
optimales n'offre donc pas un cadre global pour juger de l'ensemble des
coüts et bénéfices de l'union monétaire. Elle se
concentre sur les coüts macroéconomiques qu'engendre l'abandon de
l'instrument du taux de change. De même, elle ne permet pas de
déterminer un seuil à partir duquel l'union monétaire est
bénéfique pour un pays. Ces limites de la théorie
renforcent l'option d'un prolongement empirique de cette théorie des
zones monétaires optimales par certains auteurs.
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