Les contes égyptiens anciens et les contes de l'Afrique subsaharienne: essai d'une analyse comparée( Télécharger le fichier original )par David Elysée Magloire TESSOH Université Yaoundé 1 - Master en littérature et civilisations africaines 2011 |
ANNEXES
LE CORPUS
Conte n° 1 : La légende des deux frères Il y avait, dit-on, deux frères nés d'une seule mère et d'un seul père. Anoup (Anoupou = Anubis) était le nom de l'aîné, tandis que Bata (Baîti / Bêti / Bouti) était le nom du plus jeune. Anoup avait une maison, ainsi qu'une femme, tandis que son frère cadet vivait avec lui comme s'il eût été son fils ; c'est lui, le cadet, qui fabriquait les vêtements et qui menait le bétail aux champs, lui qui moissonnait et qui labourait, lui qui faisait tout le travail qu'il fallait accomplir aux champs. Car son frère cadet était un bel enfant viril et il n'existait pas son pareil dans le pays tout entier : la force d'un dieu était en lui. Et tous les jours il revenait des champs, marchant derrière ses vaches, chargé d'un lourd fardeau d'herbes coupée, comme on fait au retour des champs pour la nourriture des bêtes pendant la nuit. Il déposait ce faix devant son frère, qui était assis avec sa femme, puis il allait dans son étable, avec las vaches, boire, manger et dormir. Et quand la terre s'éclairait et qu'un autre jour était venu, il faisait cuire les pains et les déposait devant son aîné. Et celui-ci lui donnait sa part de pain pour aller aux champs. Il emmenait alors les vaches au pâturage, les poussant devant lui. Et tandis qu'il allait derrière les vaches, elles lui disaient "Elle est bonne, l'herbe en tel endroit." Il écouatit ce qu'elles disaient, il les menait au bon herbage qu'elles souhaitaient. Et alors les vaches qui étaient avec lui devenaient belles, et bien grasses, et elles avaient de petits veaux. Et une fois, à la saison du labourage, son frère aîné lui dit : "Prépare notre attelage pour nous mettre à labourer. Toi, va-t'en aux champs porter les semences et nous nous mettrons à labourer demain matin." Ainsi parla-t-il et le cadet fit toutes les choses que son grand frère lui avait recommandées. Lorsque la terre s'éclaira et qu'un autre jour fut, ils allèrent aux champs avec leur attelage pour labourer et ils n'abandonnèrent pas leur tâche de toute la journée, et le travail &?rendit leur coeur joyeux. Et après bien des jours ainsi employés, ils étaient encore aux champs en train de manier la houe ; le grand frère appela son frère cadet en lui disant : "Cours au village et apporte-nous les semences. !" Le cadet retourna à la maison ; il y trouva la femme de son frère en train de se faire coiffer ; on refaisait les innombrables petites nattes sérrées, qu'il fallait plusieurs heures pour arranger sur sa tête, et qu'elle gardait ensuite pendant longtemps. Le cadet lui dit : "Debout ! Donne moi les semences, que je les rapporte aux champs en courant, car mon frère aîné m'a dit en m'envoyant : point de paresse ! " Sans se déranger, la femme lui dit : "Va, ouvre la
huche de terre battue et emporte ce qu'il te plaire, mais je ne veux pas
interrompre ma coiffure pour te servir." Le garçon pénétra
dans l'étable, choisit une énorme jarre (car son intention
était de prendre beaucoup de grains), la remplit de blé et d'orge
et sortit, ployant sous le faix. Elle lui dit : "Ton épaule est bien
chargée. Quelle quantité as-tu prise ?" Il répondit :
"Orge : trois mesure ; froment : deux mesures. Total : cinq. Voilà ce
que supporte mon épaule (=276 kg)." Elle reprit : "Tu as bien du
courage, chaque jour je constate que tu deviens de plus en plus fort." Elle le
regardait en l'admirant. Soudain, elle se leva et lui dit : "Tu es plus fort
que ton frère aîné. J'aurais dû t'épouser
!" Il rechargea son fardeau et s'en alla aux champs. Quand il eut rejoint son grand frère, ils se remirent au travail. Sur le moment du soir, tandis que l'aîné retournait à la maison, le frère cadet raccompagnait les bestiaux à l'étable et rapportait les outils. Comme la femme avait peur à cause des propos qu'elle avait tenus, elle prit de la graisse, un chiffon et imita sur sa prope peau les meurtrissures qu'on porte après avoir été roué de coups par un malfaiteur. En arrivant à la maison, selon son habitude de chaque jour, le mari trouva sa femme gisante et dolente ; elle ne lui versa point de l'eau sur les mains selon son habitude de chaque jour ; elle ne fit pas la lumière devant lui, mais la maison était sombre et elle gisait, toute souillée. Son mari lui dit : "Qu'est-il donc arrivé ?" et voilà qu'elle lui dit : "C'est ton frère cadet. Lorsqu'il est venu prendre les semences pour toi, me trouvant assise toute seule, il s'est mis à dire du mal de toi, et à dire que j'aurais dû l'épouser, lui ! et moi je ne l'écoutai point. je lui dit : "Ton grand frère n'est-il pas pour toi comme un père ?" Il eut peur, il me roua de coups pour que je ne te fasse point de rapport. Si tu permets qu'il vive, je me tuerai ; car si, en revenant le soir, il apprend que je me suis plainte de ses vilaines paroles, qu'est ce qu'il fera ?" Le grand frère se monta comme un guépard du midi (= "en colère"), il affila son couteau et le prit bien en main. Il se tint derrière la porte de son étable pour tuer son frère cadet, lorsque celui-ci ferait rentrer ses bêtes dans l'étable. Et quand, le soleil couché, le frère cadet arriva selon son habitude de chaque jour, son fardeau d'herbes sur le dos, poussant les vaches devant lui, la vache de tête, dès son entrée, dit à son gardien : "Voici ton grand frère qui te guette, derrière la porte, avec son couetau, pour te tuer. Sauve-toi ! " Il entendit ce qu'elle disait et la seconde, entrant à son tour, répéta la même chose : "Attention ! Ton frère est derrière la porte, qui attend pour te tuer avec son couteau !" Il se baissa et ragarde par-dessous la porte de l'étable ; il aperçut les pieds de son frère aîné qui se tenait derrière, son couteau à la main. Il posa là son fardeau d'herbes et se mit à courrir de toutes ses jambes, et son frère partit à sa poursuite, le couteau à la main. Le frère cadet invoqua Râ-Harakhty, le soleil, disant : "Mon bon maître, c'est toi qui fait la différence entre le juste et l'injuste !" Et Râ-Harakhty entendit sa plainte, et il fit apparaître une eau immense entre lui et son grand frère, une eau pleine de crocodiles ; l'un se trouvait d'un côté, l'autre de l'autre. Le grand frère par deux fois lança sa main pour le frapper, mais il ne put l'atteindre. De l'autre rive, le cadet le héla et lui dit : "Reste là jusqu'à ce que la terre s'éclaire. Quand le disque solaire s'élévera, je plaiderai avec toi devant lui afin de rétablir la vérité, mais je ne serai plus avec toi, jamais, je ne serai plus dans les lieux où tu seras, j'irai au val de l'Accacia, sur les côtes du Liban ! " Quand la terre s'éclaira et qu'un second jour fut,
Râ Harakhty (le aoleil) s'étant levé, chacun d'eut apercut
l'autre. Le garçon adresse la parole à son grand frère,
lui disant : "Pourquoi viens tu derrière moi pour me tuer en
traître, sans avoir entendu ce que ma bouche avait à dire ? Je
suis ton frère et tu es comme mon père, n'est-il pas vrai ? Or,
quand tu m'as envoyé chercher les semences, ta femme m'a dit : "Tu es
plus fort que ton frère aîné." Je n'ai pas répondu
et cela a été pervéti pour toi en autre chose" Et il jura
par Râ-Harakhty, diasnt : "Dire que tu es capable de te cacher, ton
poignard à la main, pour me tuer en traître. Quelle trahison !
quelle infâmie !" Il prit une serpe à couper les roseaux, s'en
donna un grand coup qui le blessa, puis s'affaissa et s'évanouit. le
grand frère maudit son prope coeur, et il resta là à
pleurer ; il s'élanca, mais il ne put passer sur la rive où
était son frère cadet, à cause des
crocodiles. Et il s'en alla au Val de l'Accacia. Et son grand frère s'en retourna à la maison, la main sur la tête, le front souillé de poussière en signe de deuil. Arrivé à la maison, il tua sa femme, la jeta aux chiens et demeura en deuil de son frère cadet. Longtemps, beaucoup de jours après, le frère
cadet vécut au Val de l'Acacia. Devenu " un corps sans âme ", il
passait la journée à chasser les bêtes du désert et
la nuit il dormait sous l'acacia au sommet de la fleur duquel était
placé son coeur. Et il construisit de sa main, dans le Val de l'Acacia,
une ferme bien aménagée pour avoir un toit sous sa tête et
une maison où habiter. Khnoum lui modela, pour demeurer avec lui, une compagne, la
plus belle de toutes les femmes sur la terre-Entière. Les septs
hâthors vinrent la voir et prédirent d'une seule bouche : "Elle
mourra par le glaive." Bata l'aimait, l'aimait beaucoup. Elle restait dans sa
maison, tandis que, tout le jour, il chassait les bêtes du désert
pour les déposer à ses pieds. Il lui dit : "Ne vas pas dehors, de
peur que le Nil ne te saisisse, tu n'échapperais pas, car tu n'es qu'une
femme. Quant à moi, mon coeur est posé au sommet de la fleur de
l'acacia et si un autre le trouve, il me faudra me battre avec lui." Et il lui
confia donc tout ce qui concernait son coeur. Et après beaucoup de jours encore, les hommes q&?ui
étaient allées vers la Terre-Etrangère vinrent faire leur
rapport à Sa Majesté ; seuls ne revinrent pas ceux qui
étaient allés au Val de l'Acacia : Bata les avaient tués ;
il n'en avait épargné qu'un pour venir faire son rapport à
Sa Majesté. Sa Majesté fit alors partir beaucoup d'hommes et
d'archers, et même des gens avec des chers de guerre pour ramener la
créature, et il y avait même une femme pour lui tenir companie et
l'aider à se parer. Ils la ramenèrent en Egypte et on se
réjouit de la voir dans la Terre-Entière. Sa Majesté
l'aima beaucoup, beaucoup, et elle devint sa grande Favorite. On la fit parler
de son mari et elle dit à Sa Majesté : "Qu'on coupe l'acacia et
mon mari sera détruit !" On envoya des hommes et des archers avec leurs
outils pour abattre l'acacia ; ils coupèrent la fleur sur laquelle
était le coeur de Bata, et il tomba mort en cette heure
malencontreuse. Chacun d'eux embrassa l'autre et il parlèrent ensemble comme deux compagnons, puis bata dit à son frère aîné : "Voici, je vais devenir un grand taureau, un taureau sacré Apis : poil noir, tache blanche en triangle sur le front, un vautour aux ailes déployées sur le dos, l'image d'un scarabée sur la langue et tous les poils de la queue doubles. Toi, tu t'assiéras sur mon dos, quand le soleil se lévera, et lorsque nous serons au lieu où est ma femme, je prendrai ma revanche. Toi, conduis moi à l'endroit sacré et on te fera bonne chère, on te chargera d'argent et d'or pour m'avoir amené au Pharaon, car je serai un grand miracle et on se réjouira dans la Terre-Entière, et puis tu t'en iras chez toi." Et quand le jour suivant éclaira la terre, bata se changea en la forme d'un taureau, comme il l'avait dit. A l'aube, Anoup son grand frère, s'assit sur son dos, et il arriva à l'endroit désigné. On fit connaître le taureau à Sa Majesté, elle l'examina, elle reconnut tous les signes ; elle eut de la joie, beaucoup, beaucoup, elle lui fit une grande fête, disant : "C'est un miracle qui se produit !" et on se réjouit à cause de lui dans la Terre-Entière. Le grand frère fut chargé d'or et d'argent et alla s'établir dans son village. Quant au taureau, il fut installé avec beaucoup de serviteurs et beaucoup de biens, car le Pharaon l'aimait beaucoup, beaucoup.
Or, après que le boucher l'eut égorgé, tandis qu'il pesait sur les épaules des gens qui l'emportaient, il laissa tomber deux gouttes de sang près du double perron de sa Majesté. l'une tomba d'un côté de la grande porte de Pharaon, l'autre en face, et il en sortit deux grands perséas, chacun de toute beauté, ces beaux arbres à fruit merveilleux, dont le proverbe dit : "Une bouchée de perséa réconforte le coeur." Vite, on alla dire à sa Majesté : "Il y a un grand prodige pour sa Majesté : deux grand perséas ont poussé auprés de la grande porte du palais royal." Et on se réjouit à cause d'eux dans la terre-Entière et on leur fit des offrandes comme à des arbres sacrés. Et beaucoup de jours après, Sa Majesté se para du diadème de lapis-lazuli, suspendit à son cou des guirlandes de toutes sortes de fleurs et monta sur son char vermeil pour sortir du palais et voir les perséas merveilleux. La favorite sortit sur son char à deux chevaux, à la suite du Pharaon. Sa majesté s'assit sous l'un des perséas et la favorite sous l'autre, en face. Quand elle fut assise, le perséa parla à sa femme : "Ah, perfide ! Je suis Bata et je vis, maltraité par toi. Tu savais bien que faire couper l'acacia par Pharaon, c'était me mettre à mal ; tu savais bien que faire égorger le taureau, c'était me tuer." Et après beaucoup de jours encore, comme la favorite était assise à la table de Sa Majesté, et que Sa Majesté était bien disposé envers elle, elle dit à Sa Majesté : "Prête moi serment par Amon-Râ, disant : Ce que tu demanderas, je te le donnerai. Parle !" Il accorda ce qu'elle voulait. Elle dit : "Fais abattre ces deux perséas et qu'on m'en fabrique de beaux coffres ! " Ce fut entendu et Sa Majesté envoya des charpentiers habiles qui coupèrent les perséas de Pharaon tandis que la favorite se tenait là, à regarder faire. Et voilàa que tout à coup, un copeau s'envola et entra dans la bouche de la favorite. Les charpentiers fabriquèrent les coffres et on fit tout ce qu'elle voulut. Et beaucoup de jours après, elle mit au monde un enfant
mâle et on alla dire à Sa Majesté : "Il t'est né un
fils !" On l'apporta, on lui donna des nourrices et des remueuses, et des
berceuses. On se réjouit dans la Terre-Entière. Vous devinez que
ce fils n'était autre que Bata. Le roi Rhampsinite possédait un trésor considérable, si grand que, parmi ses successeurs, non seulement pas un ne l'a dépassé, mais aucun n'a pu accumuler, de bien loin, autant de richesses. Soucieux de mettre ce trésor à l'abri des voleurs et pour le tenir en sûreté, il fit bâtir un caveau en pierre de taille, situé sur le côté du palais et de telle façon qu'une des murailles se trouvait en bordure et accessible du dehors. Le maçon qui construisit le caveau s'arrangea pour placer dans ce mur une pierre bien taillée et bien ajustée, si adroitement que deux hommes ordinaires, ou même un seul d'une force au-dessus de la moyenne, pouvaient, sans trop d'effort, la saisir, la tirer et l'ôter de sa place. Lorsque le caveau fut achevé, le roi y fit entasser toutes les richesses de son trésor, satisfait de le croire bien en sécurité. A quelque temps de là, le maçon, sentant approcher la fin de sa vie, fit appeler ses enfants, qui étaient deux fils, et leur révéla comment il avait pourvu à leur avenir en usant d'artifice, et comment le caveau du roi avait été construit de manière à leur permettre de vivre dans l'abondance. Et après leur avoir clairement expliqué le moyen d'ôter la pierre, et de la remettre ensuite en place, après leur avoir bien recommandé de prendre certaines précautions, qui feraient d'eux en secret les grands trésoriers du roi, il passa de sa vie à trépas. Les enfants, bien entendu, ne tardèrent guère à se mettre en besogne. Ils allèrent de nuit rôder autour du palais du roi, reconnurent aisément la pierre, l'ôtèrent de sa place et emportèrent une bonne somme d'argent. Mais le sort voulut que le roi vint inspecter son caveau ; il fut tout étonné de constater que le niveau de l'or dans ses coffres avait fortement baissé. Il ne savait qui accuser ni qui soupçonner, le sceau apposé par lui-même sur la porte était intact et bien entier, le caveau exactement clos et fermé. Après y être retourné deux ou trois fois, il constata que le contenu des coffres ne cessait pas de diminuer. Alors, pour empêcher les larrons d'agir si librement et de retourner tranquillement chez eux ensuite, il fit fabriquer des pièges et les fit installer auprès des coffres qui contenaient son trésor. Les voleurs arrivèrent une belle nuit selon leur coutume et l'un deux se glissa dans le caveau ; mais soudain, comme il approchait d'un coffre, il se trouva pris au piège. Se rendant bien compte du danger où il était, il appela vite son frère, lui montra sa piteuse situation et lui conseilla d'entrer dans le caveau pour lui trancher la tête, afin qu'il devint impossible de le reconnaître et que son frère ne fût pas compromis et perdu avec lui. Le frère pensa que le conseil était sage, et il l'exécuta sur-le-champ. Puis il remit la pierre en place et s'en retourna chez lui, en emportant la tête. Quand le jour reparut, le roi entra dans son caveau Le voilà fort effrayé de voir le corps du larron pris au piège et sans tête, sans qu'il y eût nulle part trace d'entrée ni de sortie. Ne sachant comment se tirer de pareille aventure, le roi imagina de faire pendre le corps du mort sur la muraille de la ville, de la faire surveiller et de charger les gardes d'arrêter et de lui amener toute personne, homme ou femme, qu'ils verraient pleurer auprès du pendu ou s'apitoyer sur le sort du mort sans tête. Lorsqu'elle vit le corps qui était ainsi troussé, haut et court, la mère, en proie à une grande douleur, ordonna à son fils, le survivant, d'avoir à lui apporter le corps de son frère. Elle le menaça, s'il se refusait à obéir, d'aller trouver le roi et de lui révéler qui pillait son trésor. Le fils, qui connaissait sa mère et qui savait qu'elle prenait les choses à coeur, et que rien ne la ferait changer, quelque remontrance qu'il lui fît, réfléchit et finit par inventer une ruse. Il fit mettre le bât (selle rudimentaire de bête de somme) sur certains ânes qu'il se procura, les chargea d'outres en peau de chèvre, pleines de vin, puis les chassa devant lui. Arrivé auprès des gardes, c'est-à-dire à l'endroit où était le pendu, il délia deux ou trois de ces outres en peau de chèvre, et devant le vin qui coulait à terre, se mit à pousser de grandes exclamations, à se donner de grands coups sur la tête, et à avoir l'air bien empêtré d'un homme qui ne sait par quel bout commencer pour réparer le désastre, ni vers lequel de ses ânes il doit se tourner en premier. Les gardes, voyant se répandre à terre cette grande quantité de vin, coururent au secours, se disant que recueillir ce vin perdu serait pour eux autant de gagné. Le marchand, derrière les ânes, se mit à leur dire des injures et fit semblant d'être fort en colère. Les gardes furent donc bien polis avec lui, et complaisant ; peu à peu, il s'apaisa et modéra sa colère, et à la fin il détourna ses ânes du chemin pour rafistoler et recharger. La conversation continua de part et d'autre ; de petits propos en petits propos, un des gardes jeta au marchand une bonne plaisanterie dont celui-ci ne fit que rire et même, il finit par leur adjuger une outre de vin. Ils ne tardèrent pas à s'asseoir là et à se mettre à boire, et le marchand leur tint compagnie, et vu leur bonne volonté et leur soif, il leur donna encore le reste de son chargement, et ils burent le contenu de toutes les outres de peau de chèvre, pleines de vin. Quand ils eurent tout bu, ils étaient tous ivres-morts, le sommeil les prit et ils s'endormirent sur place, sans pouvoir bouger. Le marchand attendit, jusque bien avant dans la nuit, puis alla dépendre le corps de son frère et, se moquant des gardes à son tour, il leur rasa à tous la barbe de la joue droite. Puis, il chargea le corps de son frère sur les ânes, les poussa du côté du logis, et rentra, ayant obéi aux ordres de sa mère. Le lendemain, lorsque le roi fut averti de ce qui s'était passé et qu'il sut comment le corps du larron avait été habilement dérobé, il fut grandement vexé. Voulant à tout prix retrouver celui qui l'avait si finement joué, il chargea une des princesses, sa fille, réputée pour son esprit malin, de rechercher le coupable. Il fut entendu qu'elle attirerait les passants au palais pour bavarder avec eux et qu'elle s'arrangerait pour leur faire dire, en les poussant à se vanter, ce que chacun d'eux avait fait en sa vie de plus prudent et de plus méchant ; et si l'un d'eux racontait le tour du larron, vite, elle devait le saisir et ne pas le laisser partir. Le princesse obéit, mais le larron, entendant raconter tout ça, voulut encore jouer au plus fin avec le roi. Et qu'est-ce qu'il inventa? Il coupa le bras d'un mort récent, et le cachant sous sa robe, il s'achemina vers le palais. Il rendit visite à la princesse et les voilà en grande conversation. Bien entendu, elle lui posa la même question qu'aux autres :" Contez-moi donc ce que vous avez fait dans votre vie, de plus malin et de plus méchant?" Il lui conta donc comment son crime le plus énorme avait été de trancher la tête de son frère pris au piège dans le caveau du roi, et que son action la plus malicieuse avait été d'enivrer les gardes afin de pouvoir dépendre le corps de son frère. La princesse, dès qu'elle eut compris à qui elle avait affaire, tendit la main. Mais le larron lui laissa prendre le bras du mort qu'il avait tenu caché, et tandis qu'elle l'empoignait ferme, il fila. Elle se trouva trompée, car il eut le loisir de sortir et de s'enfuir bien vite. Quand la chose fut rapportée au roi, il s'étonna, émerveillé de l'astuce et de la hardiesse de cet homme. Il ordonna qu'on fît publier par toutes les villes de son royaume qu'il pardonnait à ce personnage, et que s'il voulait venir se présenter à lui, il lui donnerait de grands biens. Le larron eut confiance en la publication faite au nom du roi et il s'en vint vers lui se déclarer. Quand le roi le vit, il le jugea un oiseau rare, et il lui donna sa fille en mariage comme au plus malin des hommes. N'avait-il pas, en effet, donné la preuve de la malice des Egyptiens qui en remontrent à toutes les nations Conte n° 3 Le duel de Vérité et Mensonge. Mensonge réclame à son frère Vérité un couteau merveilleux qu'il lui a prêté ; Vérité ayant égaré celui-ci, Mensonge veut se faire rendre justice par le tribunal de la divine Ennéade.... Mensonge dit à l'Ennéade des dieux : Que l'on amène ici Vérité, et que ses yeux soient rendus aveugles et qu'il devienne désormais le portier de ma maison .L'Ennéade agit conformément à tout ce qu'il avait dit. De nombreux jours, après cela, Mensonge ayant levé les yeux pour regarder constata les qualités de Vérité son frère. Alors, il dit à deux des serviteurs de Vérité : Saisissez-vous de votre maître, et qu'il soit jeté à un lion féroce et des lionnes nombreuses...Ils le saisirent donc, mais tandis qu'ils le soulevaient, Vérité leur dit : Non, ne me saisissez pas... trouvez une autre à ma place...Il semble que la substitution ait pu avoir lieu ; le texte est très endommagé. Après que de nombreux jours encore se furent écoulés, une femme sortit de sa maison avec des servantes ; celles-ci aperçurent Vérité, étendu au pied de la colline ; rien n'était comparable à sa beauté dans le pays tout entier. Elles se rendirent alors au lieu où se tenait la femme, lui disant : Viens donc avec nous afin de voir un aveugle qui a été déposé au pied de la colline ; qu'on l'amène et qu'il devienne le portier de notre maison. La femme dit alors :Qu'on aille donc le chercher afin que je le voie. Une servante partit et le ramena. Lorsque la femme le regarda, elle ressentit très vivement le désir de lui, car elle avait remarqué qu'il était beau dans tout son corps. Durant la nuit, il coucha avec elle, et il la connu comme un homme viril peut connaître une femme ; et cette nuit même elle conçut un petit garçon. Après de nombreux jours ensuite, elle accoucha d'un fils qui n'avait pas son semblable dans le pays tout entier ; il était grand et il avait la façon et la forme d'un dieu. Il fut mis à l'école ; là, il apprit à écrire, excellemment, et il pratiqua tous les exercices virils, de telle sorte qu'il l'emportait sur ses compagnons plus âgés, qui étaient dans l'école avec lui. Un jour, ceux-ci lui dirent :De qui es-tu le fils ? Tu n'as pas de père ! Ils le rendaient malheureux et le tourmentaient :Tu n'as pas de père !Aussi l'adolescent parla à sa mère :Quel est donc le nom de mon père ? Je voudrais le dire à mes camarades, qui me parlent ainsi : "Où est ton père ?" Ces paroles me tourmentant. Sa mère lui dit :Tu vois cet aveugle assis près de la porte : c'est ton père. Elle dit cela en s'adressant à lui. Alors il s'exclama :Il faudrait commander la réunion des membres de ta famille, et que l'on appelât aussi un crocodile. L'adolescent alla chercher son père, le fit asseoir sur une chaise, mit un tabouret sous ses pieds ; il plaça devant lui des pains, afin qu'il pût manger, et fit en sorte aussi qu'il se désaltérât. Puis il parla ainsi à son père : Quel est celui qui t'a rendu aveugle, afin que moi je lui fasse réponse? Son père lui répondit :C'est mon frère qui m'a aveuglé.et il conta à son fils tout ce qui était arrivé ; celui-ci partit alors pour venger son père. Il emporta dix pains, un bâton, une paire de sandales, une outre et une épée ; il emmena aussi un boeuf de belle apparence. Il se mit en route vers le lieu où se trouvait le gardien du troupeau de Mensonge, et dit au berger : Prends pour toi ces dix pains, avec ce bâton, cette outre, cette épée et cette paire de sandales, et tu garderas pour moi ce boeuf jusqu'à ce que je sois de retour de la ville. Après de nombreux jours encore, le boeuf du fils de Vérité ayant passé plusieurs mois avec le berger de Mensonge, celui-ci s'en vint aux champs pour inspecter son troupeau de boeufs. Il aperçut le boeuf laissé par l'adolescent, un boeuf très, très beau d'apparence, et dit à son berger :Que l'on me donne ce boeuf afin que je le mange !Mais le berger lui dit :Il n'est pas à moi, je ne saurai donc te le donner. Alors Mensonge lui dit : Vois, tous mes boeufs, ils sont tous en ta possession, donne l'un d'eux au propriétaire de celui-là. Le jeune homme entendit dire que Mensonge s'était emparé de son boeuf. Il vint aussitôt à l'endroit où se tenait le berger et lui dit :Où est mon boeuf ? Je ne le vois plus au milieu des tiens. Le berger répondit :Tous les boeufs, tous sont pour toi ; emmène celui que tu désires. Le jeune homme dit :Existe-t-il un boeuf aussi grand que le mien? Quand il se tenait debout dans l'île d'Amon, la touffe de sa queue reposait parmi les papyrus, tandis que l'une de ses cornes était sur la colline de l'Occident, l'autre sur la colline de l'Orient, le Nil en sa crue étant la place de son repos, et soixante veaux étaient mis au monde pour lui quotidiennement. Le berger lui dit :Est-il un boeuf aussi grand que celui dont tu parles? Alors le jeune homme se saisit de lui et il l'entraîna jusqu'au lieu où résidait Mensonge, et il traîna celui-ci jusqu'au tribunal, en présence de l'Ennéade divine. Les dieux dirent au jeune homme :Ce ne peut être vrai. Nous n'avons jamais vu un boeuf aussi grand que celui dont tu parles. L'adolescent répondit :Mais existe-t-il un couteau de la taille de celui qui fut en question? Un couteau dont la colline d'Iar constituerait la lame, les arbres de Coptos le manche, la tombe du dieu en serait la gaine, et les troupeaux de Karoy la ceinture. Il dit encore à l'Ennéade divine :Départagez par un jugement Vérité et Mensonge. Je suis le Fils de Vérité et suis venu afin de le venger. Alors Mensonge fit un serment pour le roi - puisse-t-il vivre, être prospère et en bonne santé! - disant :Aussi vrai que dure Amon, aussi vrai que dure le royal régent, puisse-t-on retrouver Vérité en vie! Le jeune homme à son tour fit un serment pour le roi - puisse-t-il vivre, être prospère et en bonne santé ! -Aussi vrai que dure Amon, aussi vrai que dure le royal régent, puisse-t-on retrouver Vérité en vie...!On frappera Mensonge de cent coups, et cinq blessures lui seront infligées ; ses deux yeux seront crevés et il sera placé en qualité de portier dans la Maison de Vérité. Ainsi l'adolescent vengea-t-il son père et fut résolu le litige entre Vérité et Mensonge Conte n° 4 l'amitié des deux chacals Il y a fort longtemps, vivaient dans l'immensité du désert deux chacals qui s'aimaient d'une amitié sincère, un peu comme s'aiment deux frères. Ils s'entraidaient et chacun pouvait compter sur l'autre en cas de coup dur. Ils partageaient les mêmes peines mais aussi les mêmes joies. Ils ne frayaient avec aucun autre animal préférant passer tout leur temps ensemble. Ensemble, ils recherchaient leur nourriture. Ensemble ils buvaient et mangeaient. Ensemble ils se rafraîchissaient à l'ombre des mêmes rares arbres du désert lorsque le soleil les tourmentait de ses rayons trop ardents. Or un jour, alors qu'ils étaient à la recherche de nourriture, l'un à côté de l'autre, sur un terrain aride et brûlé de soleil, ils virent surgissant devant eux un lion affamé qui était lui aussi à la recherche d'une proie. Plutôt que de fuir, les deux amis s'immobilisèrent et firent face à l'ennemi avec opiniâtreté. Le lion fort surpris ne put s'empêcher de leur demander : - Eh bien, pourriez-vous m'expliquer par quel prodige vous ne vous êtes pas enfui à mon approche ? Etes-vous inconscients ? Ne voyez-vous pas que je suis affamé et à la recherche de nourriture ? L'un des deux chacals prit la parole et dit :- Pour sûr, ô seigneur ! Nous sommes fort conscients de cet état de fait. Nous avons vu que tu étais en chasse et que tu allais te jeter sur nous et nous dévorer. Nous avons cependant décidé de ne pas fuir. Quoi que nous fassions, aussi vite que nous puissions courir, tu nous rattraperais. Nous avons donc décidé de ne pas fuir. Nous préférons que tu ne sois pas épuisé au moment où tu décideras de nous dévorer. Nous préférons mourir rapidement et non souffrir par une mort lente. Le lion qui avait écouté avec attention les paroles du chacal lui dit : - Le roi des animaux n'est pas en colère d'entendre des paroles sincères. Il sait reconnaître le courage et l'audace de ses sujets. Il se doit d'être grand et généreux envers ses sujets sans défense. Sur ce, le roi du désert disparut et depuis ce jour là il accorda la paix aux chacals. Conte n° 5 : La Femme Adultère Alors le fils du roi, Khephren, se leva pour parler et dit : « je vais raconter à Ta Majesté une histoire merveilleuse qui est arrivée au temps de ton père, le roi Nebka, juste de voix, un jour qu'il procédait vers le temple de Ptah à Ankh-Taoui. Lorsque Sa Majesté se rendait en ce lieu, il demandait que l'accompagnât le prêtre-lecteur en chef Oubaoner. Or la femme de celui-ci... (Deux lignes ont disparu. Elles devaient décrire la séduction de l'épouse d'Oubaoner par un homme vil)
Elle fit porter à cet homme un coffre rempli de vêtements... et il s'en vint alors en compagnie de la servante. Des jours après cela, comme il y avait un pavillon de plaisance dans le jardin d' Oubaoner, le vilain dit à l'épouse de celui-ci : « N'a-t-il pas un pavillon ? Allons donc y passer un moment ». La femme parla donc à l'intendant qui était chargé de l'entretien du jardin : « fais préparer le pavillon de plaisance ». Puis elle s'y rendit et y passa le jour à boire ; ...l'homme vil descendit dans l'étang...
Après que la terre se fut de nouveau éclairée, un second jour étant venu... (Nouveau passage assez mutilé. On comprend que l'intendant du jardin prévient son maître Oubaoner de ces évènements). Celui-ci lui dit : « apporte-moi mon coffret de bois d'ébène et d'or. Et il fabriqua un crocodile de cire, de sept pouces de long. Il récita sur lui une formule magique : « Quiconque viendra pour se baigner dans mon étang, saisis-le et notamment ...cet homme vil ». Puis il le donna au serviteur en lui disant : « après que cet homme de peu sera descendu dans l'étang, selon sa coutume de chaque jour, alors tu jetteras le crocodile derrière lui ». Le serviteur s'en revint, emportant avec lui l :e crocodile de cire. La femme d'Oubaoner dit à l'intendant chargé de l'entretien du jardin : « Fais préparer le pavillon de plaisance qui est près de l'étang, car je vais venir m'y reposer ». Le pavillon fut alors pourvu de toutes sortes de belles et bonnes choses. Ils s'y rendirent et y passèrent un jour heureux - ceci en compagnie de l'homme vil. Lorsque la nuit fut venue, celui-ci suivit sa coutume et descendit dans l'étang. Alors le serviteur jeta le crocodile de cire, derrière lui, dans l'eau. L'animal devint soudain un crocodile de sept coudées qui se saisit du vilain. Oubaoner demeura avec la Majesté du roi de Haute et Basse Egypte, Nebka juste de voix, pendant sept jours, tandis que le vilain était au fond de l'étang, sans pouvoir respirer. Après ces sept jours, le roi de Haute et Basse Egypte, Nebka, juste de voix, se mit en route... Le prêtre-lecteur en chef, Oubaoner se plaça devant lui et lui dit : « Que ta Majesté vienne voir une merveille survenue en son temps ! le roi alla avec Oubaoner ; celui-ci héla le crocodile, lui disant : « Amène jusqu'à moi le vilain... ». Alors la Majesté du roi de Haute et Basse Egypte, juste de voix, dit : « Assurément, ce crocodile est terrible ». Oubaoner se baissa, saisit l'animal, qui redevint dans sa main un crocodile de cire. Le prêtre-lecteur en chef conta alors au roi de Haute et Basse Egypte, Nebka, juste de voix, ce qu'avait commis cet homme vil dans sa propre maison avec sa femme, Sa Majesté dit le crocodile : « Emporte ce qui est désormais ton bien ! ». Et le crocodile redescendit dans le fond de l'étang, et l'on ne sut jamais où il était allé avec sa prise. Puis le roi de Haute et Basse Egypte, Nebka juste de voix, fit saisir l'épouse d'Oubaoner, qui fut conduite sur un terrain sis au nord de la résidence royale. Il la fit brûler et ses cendres furent jetées dans le fleuve. Vois ceci est une histoire merveilleuse qui fut accomplie au temps de ton père, le roi de Haute et Basse Egypte, Kheops, juste de voix, dit : « Que l'on donne en offrande mille pains, cent cruches de bière, un boeuf et deux mesures d'encens au roi de Haute et Basse Egypte, Nebka, juste de voix. En même temps, que l'on donne un pain, une cruche de bière, un morceau de viande et une mesure d'encens au prêtre-lecteur en chef Oubaoner, car j'ai pu constater un exemple de son savoir magique ». Et l'on agit conformément à tout ce que Sa Majesté avait ordonné. Conte n°6 La boucle de la rameuseAlors Baouefrê se leva pour parler et dit : " Je vais faire que Ta Majesté puisse avoir connaissance d'une autre histoire merveilleuse, qui est arrivée au temps de ton père, le roi Snefrou, juste de voix, et qui fut le fait du prêtre-lecteur en chef Djadjaemankh ... quelque chose qui n'était encore jamais arrivé... Un jour, le roi Snefrou parcourait toutes les pièces de son palais royal, à la recherche de quelque distraction et ne la trouvait point. Il dit alors : " Allez et amenez jusqu'à moi le prêtre-lecteur en chef, le rédacteur des livres sacrés, Djadjaemankh ". Il lui fut amené sur le champ. Sa Majesté lui dit alors : " J'ai parcouru toutes les pièces du palais royal - qu'il soit vivant, prospère et en bonne santé ! - à la recherche de quelque distraction, et ne l'ai point trouvée. " Djadjaemankh lui répondit : " Que Ta Majesté procède donc vers l'étang du Palais royal. Là, on équipera pour toi une barque avec toutes les jolies filles qui appartiennent aux appartements privés de ton palais. Alors le coeur de Ta Majesté ne cessera de se divertir, tandis que tu les contempleras en train de ramer de ci, de là. Tu pourras voir aussi le bonheur des nids que recèle ton étang, tu verras les champs qui le bordent et ses fourrés heureux ; et ton coeur sera distrait à cause de tout cela ". - (Le roi :) " Je vais assurément organiser une partie de bateau. Que l'on m'apporte vingt rames faites de bois d'ébène et recouvertes d'or ; leurs poignées seront en bois de santal, recouvert d'or fin également. Qu'on amène aussi vingt femmes, dont le corps soit des plus beaux, que soit belle aussi leur poitrine, et bien tressée leur chevelure, des femmes que l'accouchement n'a point encore ouvertes ; qu'on leur donne, en même temps, vingt résilles, après qu'elles auront déposé leurs vêtements. " Et l'on agit conformément à tous les ordres qu'avait prononcés Sa Majesté. Les voilà donc qui se mettent à ramer de ci, de là, et le coeur de Sa Majesté était heureux de les voir ainsi. Soudain, l'une d'entre elles, qui était à l'arrière du bateau, se mit à tresser sa natte ; et une boucle d'oreille, en forme de poisson, faite de turquoise neuve, tomba dans l'eau ; alors la jeune fille ne bougea plus, s'arrêtant même de ramer, et ses compagnes de rang firent de même. Sa Majesté dit : " Pourquoi ne ramez-vous plus ? " Elles répondirent : " C'est que notre 'commandant' s'est arrêtée ". Sa Majesté dit alors à celle-ci : " Pourquoi ne veux-tu plus ramer ? " Elle répondit : " Ma boucle d'oreille faite de turquoise neuve est tombée dans l'eau... " Sa Majesté : " Je te la remplacerai ". La jeune fille : " C'est celle-ci que j'aime et non sa semblable ". Sa Majesté dit alors : " Que l'on amène jusqu'à moi le prêtre-lecteur en chef Djadjaemankh " ; il lui fut amené aussitôt. Sa Majesté lui dit : " Djadjaemankh, mon frère, j'ai agi conformément à ce que tu m'as dit, et le coeur de Ma Majesté s'est diverti à contempler ces rameuses. Mais la boucle d'oreille, faite de turquoise neuve, appartenant au 'commandant', est tombée dans l'eau ; celle-ci s'est alors arrêtée, ne voulant plus ramer. Le trouble a gagné ses compagnes de rang. Je lui ai dit : " Pourquoi ne veux-tu plus ramer ? " Elle m'a répondu : " C'est que ma boucle d'oreille faite de turquoise neuve est tombée dans l'eau ". Je lui ai dit : " Rame donc. Vois, je te la remplacerai. Mais elle m'a dit alors qu'elle préférait celle-ci à une autre semblable ". Alors le prêtre-lecteur en chef, Djadjaemankh, prononça les formules magiques qui étaient de sa connaissance. Il put alors placer la moitié de l'eau de l'étang sur l'autre moitié et il découvrit la boucle d'oreille gisant sur un fragment de roche ; il la prit et la rendit à sa propriétaire. Quant à l'eau de l'étang, qui mesurait primitivement douze coudées de profondeur en son centre, sa profondeur devint de vingt-quatre coudées après qu'elle eut été renversée (une moitié placée au-dessus de l'autre). Puis Djadjaemankh, à nouveau, prononça les formules magiques de sa connaissance et rétablit l'eau de l'étang en sa situation antérieure. Sa Majesté, ensuite, passa un heureux jour en compagnie de toute la maison royale - puisse-t-elle être vivante, prospère et en bonne santé !- et il récompensa le prêtre-lecteur en chef Djadjaemankh au moyen de toutes sortes de belles et bonnes choses. Vois, ceci est une histoire merveilleuse qui est arrivée au temps de ton père, le roi de Haute et Basse Égypte, Snefrou, juste de voix, et qui fut le fait du prêtre-lecteur en chef, rédacteur des livres sacrés, Djadjaemankh ". Alors la Majesté du roi de Haute et Basse Égypte, Kheops, juste de voix, dit : " Que l'on donne en offrande mille pains, cent cruches de bière, un boeuf et deux mesures d'encens à la Majesté du roi de Haute et Basse Égypte, Snefrou, juste de voix. En même temps, que l'on donne un pain, une cruche de bière et une mesure d'encens au prêtre-lecteur en chef, rédacteur des livres sacrés, Djadjaemankh, car j'ai pu constater un exemple de son savoir magique ". Et l'on agit conformément à tout ce que Sa Majesté avait ordonné. Conte n°7 le Pharaon et le tisserand Près du Palais ou chaque matin le Pharaon Sesostris recevait les plaintes de ses sujets et rendait la justice, vivait un pauvre tisserand, du nom de Khounare . Il travaillait tout le jour a l'ombre de son figuier, avec entrain et sérieux Mais l'étoffe de chanvre qu'il tissait était rude et sa faim si grande qu'il acceptait de vendre ce tissu aux paysans pour une "bouchée de pain ". Pour autant il ne se plaignait jamais de son sort : bien au contraire il louait les dieux de lui obtenir régulièrement de la besogne et de lui préserver jeunesse et sante pour vivre pleinement la condition assignée par le destin. Or, en plein hiver, il remarqua pour la première fois que son figuier portait des fruits. Il en compta dix, disséminés dans la ramure : aussitôt il remercia le dieu Ré de ce cadeau inattendu et se remit a sa tache quotidienne sans se troubler ni se divertir d'un pareil événement. L'un des jours suivants, Tehouti, fils d'Asari , paysan du domaine de Pharaon , habituellement un peu plus attentif au courage et au talent de Khounare que la plupart des autres clients du tisserand , s'arrêta prés du figuier ; comme a chaque fois qu'il venait commander une toile , il s'interrogea sur l'efficacité de la dernière crue du Nil pour la récolte annuelle des céréales. Pendant cette conversation, le tisserand remarqua vite l'air plus soucieux que d'ordinaire de son client ; il s'enquit alors de la cause d'un visage aussi sombre ; l'autre se confia aussitôt, comme soulage de pouvoir partager sa détresse : son unique fille, Baiti , était son seul soutien pour cultiver son champ et tenir sa maison , depuis le décès déjà lointain de son épouse, et voila qu'elle se mourait d'une mauvaise fièvre , après avoir pris froid dans un vent plus glacial que de coutume. Sans connaitre la jeune femme, Khounare sentit de la compassion pour elle et son père. Il chercha rapidement ce qu'il pourrait trouver pour leur apporter son aide; machinalement, il tourna la tête vers le feuillage de son figuier et vit que l'une des dix figues découvertes la semaine précédente semblait mure à point. Immédiatement, il se lève, la cueille et la tend au paysan : " Offre-la a ta fille, afin qu'elle goute quelques derniers plaisirs avant de mourir. Et si elle vit encore par la grâce de Thot dont la magie divine permet les guérisons, reviens demain en chercher une autre qui devrait a son tour être parvenue a maturité". Heureux et reconnaissant du cadeau, le fellah s'en fut sans tarder. De retour chez lui, il déchira précautionneusement de menus lambeaux du fruit précieux pour les glisser au fur et a mesure entre les lèvres desséchées de sa fille, inconsciente, qui n'avait plus mange depuis quatre jours et régurgitait l'eau pure dont Tehouti avait tente de la désaltérer; sans se décourager, il poussa entre les dents qui claquaient mécaniquement chaque morceau de chair violette et parfumée, avec l'espoir qu'il fondrait pour régénérer le corps exsangue de la mourante. A la deuxième bouchée, les violents frissons qui tordaient la malheureuse cessèrent soudain. Le fellah continua l'opération, puis resta debout, immobile, a veiller sa chère fille en invoquant le secours d'Horus, roi des vivants; il suppliait aussi le père de ce dernier, Osiris, souverain des morts, d'attendre encore avant d'attirer Baiti dans son royaume. Ces prières parurent exaucées puisque la malade, après une légère déglutition, poussa un profond soupir et tomba dans le sommeil. Le lendemain des l'aube, Tehouti courut auprès de Khounare, qui se réjouit du mieux-être procure par la première figue. De jour en jour et de figue en figue , l'état de la jeune fille ne cessa de s'améliorer : sa respiration fut régulière et paisible , libérée du râle rauque de l'agonie, le deuxième jour; le troisième, elle murmura " mon père " en ouvrant les yeux avec un sourire; elle retrouva des couleurs généralisées le quatrième ; le cinquième, elle put tendre la main vers celle de son père en balbutiant merci; elle mastiqua le fruit avec gourmandise le sixième jour et le septième, elle attend le fellah assise sur sa couche, toute rose et les yeux vifs : elle lui ouvre les bras, puis glisse elle-même derrière ses dents la septième figue, plus charnue et plus parfumée que les précédentes, avant de déclarer la bouche pleine qu'elle se sent revivre, prête a se lever.... Oui, mais voila, depuis le quatrième jour, devant l'amélioration de la sante de sa fille, le paysan n'avait pu taire sa joie ni sa reconnaissance pour le tisserand : il en avait parle a ses voisins les plus proches, qui a leur tour avaient transmis les bonnes nouvelles des qu'elles leur parvenaient. Hélas, le bonheur ne préserve pas des méchants ni des envieux ! Le chef des pourvoyeurs de Pharaon, Marouitensi, eut vent de cette convalescence et de la possession par un vulgaire tisserand de dix figues prodiguant leur pulpe juteuse et sucrée en plein hiver : " Comment ? Ce gueux n'a même pas propose ces fruits au Pharaon, selon la bienséance ? Il les a gardes pour une souillon, une fille de basse classe ! Quel sacrilège ! La dégustation exceptionnelle revenait de plein droit a Sésostris et a son entourage.» Khounare fut donc arrête et jeté dans une geôle souterraine, tandis que les trois magnifiques figues restant sur l'arbre étaient cueillies et portées a Pharaon au nom de l'intendant Marouitensi, qui, en remerciement de son cadeau original et apprécie, reçut une bourse bien remplie. Pourtant, tous n'oublièrent pas le tisserand : Tehouti et ses voisins constatant son absence anormale et la disparition des trois dernières figues, interrogèrent en vain les soldats de garde; alors ils se réunirent et bâtirent un projet pour sauver Khounare. Ils décidèrent de s'asseoir a terre devant l'entrée du palais; l'intendant constata avec fureur qu'on ne livrait plus ni fruits ni légumes pour son maitre. Les paysans se laissèrent trainer par les soldats dans la poussière de l'esplanade, mais ne reprirent pas le chemin de leur champ ou jardin. Bientôt, sur l'ordre de Marouitensi gonfle de rage, les manifestants solidaires furent a leur tour enfermes dans des cachots, sauf Tehouti qu'un pressentiment avait pousse a se plaquer contre le mur extérieur du palais, a l'écart de ses compagnons, dissimule par l'obscurité de la nuit tombante. Le matin suivant, anonyme parmi les sujets venus réclamer justice au Pharaon, Tehouti pénètre dans le palais et, des que son tour survient, se prosterne devant le trône, raconte brièvement son histoire avant de présenter sa requête : que les fellahs et Khounare recouvrent leur liberté. Quelques instants plus tard, devant tous les amis du tisserand, Pharaon lui rend justice, puis lui demande de quitter son figuier et ses clients paysans pour consacrer son art au tissage des parures royales. Humblement, Khounare remercie Sesostris de cet honneur mais avoue qu'il préfère rester auprès de son figuier qui lui a procure la joie d'offrir du bonheur a d'autres; il désire aussi continuer d'être a la disposition de ceux qui se sont mobilises pour le délivrer. Alors la Reine se penche a l'oreille de son époux: elle suggère un compromis, aussitôt approuve par Pharaon et accepte par le tisserand. On bâtirait une enceinte autour du figuier miraculeux et dans cet enclos sacre, un oratoire dédie a Re; Khounare en serait le gardien, abrite avec son métier a tisser dans une confortable maison de briques crues, avec terrasse; en échange, l'artisan devrait se rendre la première moitie de chaque mois au palais ou lui serait réservée une grande salle, pour y réaliser les commandes de la Cour, généreusement rémunérées, et former des apprentis après avoir sélectionné les plus doués des adolescents pauvres de la région. Ainsi fut fait. Entre temps, Tehouti le fidele fut nomme chef des pourvoyeurs a la place du brutal et peu scrupuleux Marouitensi. Or, quand on publia l'avis de recrutement pour l'apprentissage, Baiti voulut se présenter. Les yeux rehausses d'un trait de khol noir, les formes juvéniles valorisées par un fourreau de lin blanc a larges bretelles et l'âme confortée par l'amulette en forme de scarabée dont le bleu brillait sur sa gorge, elle chemina vers le palais...... et Khounare. La, les deux jeunes gens, inconnus l'un pour l'autre, mais déjà lies par la générosité de l'un et la maladie de l'autre, succombèrent a un coup de foudre amoureux réciproque. Apres leur union bénie par les prêtres de la Cour sous la bienveillante protection de Sesostris, les deux nouveaux époux se retirent et se recueillent main dans la main sous le figuier. Machinalement, ils lèvent la tête et remarquent que, de nouveau, l'arbre porte des fruits: ils en comptent vingt. Conte n°8 : Le Prince prédestiné Il y avait une fois un roi E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn1, à qui il ne naissait pas d'enfant mâle. Son coeur en fut tout attristé ; il demanda un garçon aux dieux de son temps et ils décrétèrent de lui en faire naître un. Il coucha avec sa femme pendant la nuit, et alors elle conçut ; accomplis les mois de la naissance, voici que naquit un enfant mâle. Quand les Hathors E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn2 vinrent pour lui destiner un destin, elles dirent : Qu'il meure par le crocodile, ou par le serpent, voire par le chien ! Quand les gens qui étaient avec l'enfant l'entendirent, ils l'allèrent dire à Sa Majesté, v. s. f., et Sa Majesté, v. s. f., en eut le coeur tout attristé. Sa Majesté, v. s. f., lui fit construire une maison de pierre sur la montagne, garnie d'hommes, et de toutes les bonnes choses du logis du roi, v. s. f., car l'enfant n'en sortait pas. Et quand l'enfant fut grand, il monta sur la terrasse E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn3 de sa maison, et il aperçut un lévrier qui marchait derrière un homme qui allait sur la route. Il dit à son page qui était avec lui : Qu'est-ce qui marche derrière l'homme qui chemine sur la route ? Le page lui dit : C'est un lévrier ! L'enfant lui dit : Qu'on m'en apporte un tout pareil ! Le page l'alla redire à Sa Majesté, v. s. f., et Sa Majesté, v. s. f., ,dit : Qu'on lui amène un jeune chien courant, de peur que son coeur ne s'afflige ! Et, voici, on lui amena le lévrier. Et, après que les jours eurent passé là-dessus, quand l'enfant eut pris de l'âge en tous ses membres, il envoya un message à son père, disant : Allons ! pourquoi être comme les fainéants ? Puisque je suis destiné à trois destinées fâcheuses, quand même j'agirais selon ma volonté, Dieu n'en fera pas moins ce qui lui tient au coeur ! On écouta tout ce qu'il disait, on lui donna toute sorte d'armes, on lui donna aussi son lévrier pour le suivre, on le transporta à la côté orientale E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn4, on lui dit : Ah ! va où tu désires ! Son lévrier était avec lui ; il s'en alla donc, selon son caprice, à travers le pays, vivant des prémices de tout le gibier du pays. Arrivé pour s'envoler E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn5 vers le prince de Naharinna E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn6, voici, il n'était point né d'enfant au prince de Naharinna, mais seulement une fille. Or, lui ayant construit une maison dont les soixante-dix fenêtres étaient éloignées du sol de soixante-dix coudées, il se fit amener tous les enfants des princes du pays de Kharou E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn7, et il leur dit : Celui qui atteindra la fenêtre de ma fille, elle lui sera donnée pour femme ! Or, beaucoup de jours après que ces événements furent accomplis, tandis que les princes de Syrie étaient à leur occupation de chaque jour, le prince d'Égypte étant venu à passer à l'endroit où ils étaient, ils conduisirent le prince à leur maison, ils le mirent au bain, ils donnèrent la provende à ses chevaux, ils firent toutes sortes de choses pour le prince : ils le parfumèrent, ils lui oignirent les pieds, ils lui donnèrent ide leurs pains, ils lui dirent en manière de conversation : D'où viens-tu, bon jeune homme ? Il leur dit : Moi, je suis fils d'un soldat des chars E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn8 du pays d'Égypte. Ma mère mourut, mon père prit une autre femme. Quand survinrent des enfants, elle se mit à me haïr, et je me suis enfui devant elle. Ils le serrèrent dans leurs bras, ils le couvrirent de baisers. Or, après que beaucoup de jours eurent passé là-dessus, il dit aux princes : Que faites-vous donc ici ? Ils lui dirent : Nous passons notre temps à faire ceci : nous nous envolons, et celui qui atteindra la fenêtre de la fille du prince de Naharinna, on la lui donnera pour femme. Il leur dit : S'il vous plaît, je conjurerai mes jambes et j'irai m'envoler avec vous. Ils allèrent s'envoler comme c'était leur occupation de chaque jour, et le prince se tint éloigné pour voir, et la figure de la fille du chef de Naharinna se tourna vers lui. Or, après que les jours eurent passé là-dessus, le prince s'en alla pour s'envoler avec les enfants des chefs, et il s'envola, et il atteignit la fenêtre de la fille du chef de Naharinna ; elle le baisa et elle l'embrassa dans tous ses membres. On s'en alla pour réjouir le coeur du père de la princesse, et on lui dit : Un homme a atteint la fenêtre de ta fille. Le prince interrogea le messager, disant : Le fils duquel des princes ? On lui dit : Le fils d'un soldat des chars, venu en fugitif du pays d'Égypte pour échapper à sa belle-mère, quand elle eut des enfants. Le prince de Naharinna se mit très fort en colère. Il dit : Est-ce que moi je donnerai ma fille au transfuge du pays d'Égypte ? Qu'il s'en retourne ! On alla dire au prince : Retourne-t-en au lieu d'où tu es venu. Mais la princesse le saisit, et elle jura par Dieu, disant : Par la vie de Phrâ Harmakhis E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn9 ! si on me l'arrache, je ne mangerai plus, je ne boirai plus, je mourrai sur l'heure. Le messager alla pour répéter tous les discours qu'elle avait tenus à son père ; et le prince envoya des gens pour tuer le jeune homme, tandis qu'il était dans sa maison. La princesse leur dit : Par la vie de Phrâ ! Si on le tue, au coucher du soleil, je serai morte ; je ne passerai pas une heure de vie, plutôt que de rester séparée de lui ! On l'alla dire à son père. Le prince fit amener le jeune homme avec la princesse. Le jeune homme fut saisi de terreur, quand il vint devant le prince, mais celui-ci l'embrassa, il le couvrit de baisers, il lui dit : Conte-moi qui tu es, car voici, tu es pour moi un fils ! Le jeune homme dit : Moi, je suis l'enfant d'un soldat des chars du pays d'Égypte. Ma mère mourut, mon père prit une autre femme. Elle se mit à me haïr, et moi je me suis enfui devant elle. Le chef lui donna sa fille pour femme ; il lui donna une maison, des vassaux, des champs, aussi des bestiaux, et toute sorte de bonnes choses E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn10. Or, après que les jours eurent passé là-dessus, le jeune homme dit à sa femme : Je suis prédestiné à trois destins, le crocodile, le serpent, le chien. Elle lui dit : Qu'on tue le chien qui court avant toi. Il lui dit : « S'il te plaît, je ne tuerai pas mon chien que j'ai élevé quand il était petit ! Elle craignit pour son mari beaucoup, beaucoup, et elle ne le laissa plus sortir seul. Or, il arriva qu'on désira voyager : on conduisit le prince vers la terre d'Égypte, pour s'y promener à travers le pays E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn11. Or voici, le crocodile du fleuve sortit du fleuve E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn12, et il vint au milieu du bourg où était le prince. On l'enferma dans un logis où il y avait un géant. Le géant ne laissait point sortir le crocodile, mais quand le crocodile dormait, le géant sortait pour se promener ; puis quand le soleil se levait, le géant rentrait dans le logis, et cela tous les jours, pendant un intervalle de deux mois de jours E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn13. Et, après que les jours eurent passé là-dessus, le prince resta pour se divertir dans sa maison. Quand la nuit vint, le prince se coucha sur son lit et le sommeil s'empara de ses membres. Sa femme emplit un vase de lait et le plaça à côté d'elle. Quand un serpent sortit de son trou pour mordre le prince, voici, sa femme se mit à veiller sur son mari minutieusement. Alors les servantes donnèrent du lait au serpent E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn14 ; il en but, il s'enivra, il resta couché le ventre en l'air, et la femme le mit en pièces avec des coups de sa hache. On éveilla le mari, qui fut saisi d'étonnement, -et elle lui -dit : Vois ! ton dieu t'a donné un de tes sorts entre tes mains ; il te donnera les autres. Il présenta des offrandes au dieu, il l'adora et il exalta sa puissance tous les jours de sa vie. Et après que les jours eurent passé là-dessus, le prince sortit pour se promener dans le voisinage de son domaine ; et comme il ne sortait jamais seul, voici son chien était derrière lui. Son chien prit le champ pour poursuivre du gibier, et lui il se mit à courir derrière son chien. Quand il fut arrivé au fleuve, il descendit vers le bord du fleuve à la suite de son chien, et alors sortit le crocodile et l'entraîna vers l'endroit où était le géant. Celui-ci sortit et sauva le prince, alors le crocodile, il dit au prince : Ah, moi, je suis ton destin qui te poursuit ; quoique tu fasses, tu seras ramené sur mon chemin (?) à moi, toi et le géant. Or, vois, je vais te laisser aller : si le... tu sauras que mes enchantements ont triomphé et que le géant est tué ; et si tu vois que le géant est tué, tu verras ta mort E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn15 ! Et quand la terre se fut éclairée et qu'un second jour fut, lorsque vint... La prophétie du crocodile est trop mutilée pour que je puisse en garantir le sens exact. On devine seulement que le monstre pose à son adversaire une sorte de dilemme fatal : ou le prince remplira une certaine condition et alors il vaincra le crocodile, ou il ne la remplira pas et alors il verra sa mort. M. Ebers a restitué cet épisode d'une manière assez différente E:\LE PRINCE PREDESTINE.htm - _edn16. Il a supposé que le géant n'avait pas pu délivrer le prince, mais que le crocodile proposait à celui-ci de lui faire grâce sous de certaines conditions. Tu vas me jurer de tuer le géant ; si tu t'y refuses, tu verras la mort. Et quand la terre se fut éclairée et qu'un second jour fut, le chien survint et vit que son maître était au pouvoir du crocodile. Le crocodile dit de nouveau : Veux-tu me jurer de tuer le géant ? Le prince lui répondit : Pourquoi tuerais-je celui qui a veillé sur moi ? Le crocodile lui dit : Alors que ton destin s'accomplisse ! Si, au coucher du Soleil, tu ne me prêtes point le serment que j'exige, tu verras ta mort. Le chien ayant entendu ces paroles, courut à la maison et il trouva la fille du prince de Naharinna dans les larmes, car son mari n'avait pas reparu depuis la veille. Quand elle vit le chien seul, sans son maître, elle pleura à haute voix et elle se déchira la poitrine, mais le chien la saisit par la robe et il l'attira vers la porte comme pour l'inviter à sortir. Elle se leva, elle prit la hache avec laquelle elle avait tué le serpent, et elle suivit le chien jusqu'à l'endroit de la rive où se tenait le géant. Alors elle se cacha dans les roseaux et elle ne but ni ne mangea, mais elle ne fit que prier les dieux pour son mari. Quand le soir fut arrivé, le crocodile dit de nouveau : Veux-tu me jurer de tuer le géant, sinon je te porte à la rive et tu verras ta mort. Et il répondit : Pourquoi tuerais-je celui qui a veillé sur moi ? Alors le crocodile l'emmena vers l'endroit où se tenait la femme, et elle sortit des roseaux, et, voici, comme le crocodile ouvrait la gueule, elle le frappa de sa hache et le géant se jeta sur lui et l'acheva. Alors elle embrassa le prince et elle lui dit : Vois, ton dieu t'a donné le second de tes sorts entre tes mains il te donnera le troisième. Il présenta des offrandes au dieu, il l'adora et il exalta sa puissance tous les jours de sa vie. Et après que les jours eurent passé là-dessus, les ennemis pénétrèrent dans le pays. Car les fils des princes du pays de Kharou, furieux de voir la princesse aux mains d'un aventurier, avaient rassemblé leurs fantassins et leurs chars, ils avaient anéanti l'armée du chef de Naharinna, et ils avaient fait le chef prisonnier. Comme ils ne trouvaient pas la princesse et son mari, ils dirent au vieux chef : Où est ta fille et ce fils d'un soldat des chars du pays d'Égypte à qui tu l'as donnée pour femme ? Il leur répondit : Il est parti avec elle pour chasser les bêtes du pays, comment saurais-je où ils sont ? Alors ils délibérèrent et ils se dirent les uns aux autres : « Partageons-nous en petites bandes et allons de çà et de là par le monde entier, et celui qui les trouvera, qu'il tue le jeune homme et qu'il fasse de la femme ce qu'il lui plaira. Et ils s'en allèrent les uns à l'Est, les autres à l'Ouest, au Nord, au Sud, et ceux qui étaient allés au Sud parvinrent au pays d'Égypte, à la même ville où le jeune homme était avec la fille du chef de Naharinna. Mais le géant les vit, il courut vers le jeune homme et il lui dit : Voici, sept fils des princes du pays de Kharou approchent pour te chercher. S'ils te trouvent, ils te tueront et ils feront de ta femme ce qu'il leur plaira. Ils sont trop nombreux pour qu'on puisse leur résister : fuis devant eux, et moi, je retournerai chez mes frères. Alors le prince appela sa femme, il prit son chien avec lui, et tous ils se cachèrent dans une grotte de la montagne. Ils y étaient depuis deux jours et deux nuits, quand les fils des princes de Kharou arrivèrent avec beaucoup dé soldats et ils passèrent devant la bouche de la caverne, sans qu'aucun d'eux aperçût le prince ; mais comme le dernier d'entre eux approchait, le chien sortit contre lui et il se mit à aboyer. Les fils des princes, de Kharou le reconnurent, et ils revinrent sur leurs pas pour pénétrer dans la caverne. La femme se jeta devant son mari pour le protéger, mais voici, une lance la frappa et elle tomba morte devant lui. Et le jeune homme tua l'un des princes de son épée, et le chien en tua un autre de ses dents, mais ceux qui restaient les frappèrent de leurs lances et ils tombèrent à terre sans connaissance. Alors les princes traînèrent les corps hors de la caverne et ils les laissèrent étendus sur le sol pour être mangés : des bêtes sauvages et des oiseaux de proie, et ils partirent pour aller rejoindre leurs compagnons : et, pour partager avec eux les terres du chef de Naharinna. Et voici, quand le dernier des princes se fut retiré, le jeune homme ouvrit les yeux et il vit sa femme étendue par terre, à côté de lui, comme morte, et le cadavre de son chien. Alors il gémit et il dit : En vérité les dieux accomplissent immuablement ce qu'ils ont décrété par avance. Les Hathors avaient décidé, dès mon enfance, que je périrais par le chien, et voici, leur arrêt a été exécuté ; car c'est le chien qui m'a livré à mes ennemis. Je suis prêt à mourir, car, sans ces deux êtres qui gisent à côté de moi, la vie m'est insupportable. Et il leva les mains, au ciel et s'écria : Je n'ai point péché contre vous, ô dieux ! C'est pourquoi accordez-moi une sépulture heureuse en ce monde et la voix juste devant les juges de l'Amentît. Il retomba comme mort, mais les dieux avaient entendu sa voix, et la neuvaine des dieux vint vers lui et Râ-Harmakhis dit à ses compagnons : Le destin s'est accompli, maintenant donnons une vie nouvelle à ces deux époux, car il convient de récompenser dignement le dévouement dont ils ont fait preuve l'un pour l'autre. Et la mère des dieux approuva de la tête les paroles de Râ-Harmakhis et elle dit : Un tel dévouement mérite une très grande récompense. Les autres dieux en dirent autant, puis les sept Hathors s'avancèrent et elles dirent : Le destin est accompli : maintenant qu'ils reviennent à la vie ! Et ils revinrent à la vie sur l'heure. Conte n° 9 : le Prince Il y a bien longtemps, dans un village vivait un homme riche qui avait un fils unique. En revenant de se promener dans le village, le jeune prince aperçoit trois enfants qui jouent chacun avec un petit animal : un petit charognard, un petit chien et un petit chat. Le jeune prince leur demande : « Pourquoi maltraitez-vous ces petits animaux? Laissez-les ! » Les enfants lui demandent : « C'est parce que nous sommes des petits que tu nous dis ça ? » Le prince leur dit : « Je vais vous les acheter. » Les enfants acceptent. Le prince donne une poignée d'or à chacun, prend les bêtes et revient à la maison. Sa maman veut le chasser à cause de ces bêtes, mais le papa, le roi, s'y oppose en disant à sa femme : « Il ne faut jamais chasser un enfant à cause de ce qu'il ramène de sa promenade ! » Quelques temps après, le papa meurt et le petit reste avec ses bêtes et sa mère. Au bout de quelques années, ils ont fini de dépenser l'or et l'argent que le roi leur a laissés. La souffrance frappe à leur porte, mais personne ne les approche ni ne les considère. Le prince fabrique un lance-pierre pour nourrir sa mère et ses animaux. Chaque jour, il part tuer des oiseaux : un pour le chaton, un pour le petit charognard, un pour le petit chien, un pour sa mère, et le cinquième pour lui-même. S'il en tue quatre, il en donne un à chaque animal et partage le quatrième entre lui et sa mère. Si le partage est impossible, c'est lui et sa mère qui dorment à jeun, mais chaque fois sa mère se met à se plaindre. Un jour, le prince fait une mauvaise chasse et ne rapporte même pas un oiseau. Il revient s'asseoir et regarde ses petits animaux; il ne sait que faire ni où trouver à leur donner à manger. Ce jour-là, le petit charognard dit à ses compagnons : « Aujourd'hui, notre tuteur a le coeur triste car il n'a rien pour nous, mais je vais l'aider. » Il part dire au prince : « Aujourd'hui, je vais t'aider, je vais te conduire chez moi, dans mon village. » Le prince est d'accord et va avertir sa mère qui lui dit : « Qu'est-ce que j'ai à voir avec tes promenades inutiles ? » Le petit charognard dit : « Ferme les yeux ! » Et quand le prince les ouvre à nouveau, il se voit dans un endroit inconnu, au milieu d'un troupeau de charognards qui l'accueillent comme un roi. Après l'avoir salué, ils se retirent en le laissant avec son petit charognard qui lui dit : « Mon père et ma mère vont venir te saluer et te demander ce que tu veux ! Ne leur réponds pas que tu veux de l'argent ou de l'or, mais dis à mon père que tu veux ce qu'il a au doigt et à ma mère de souffler à ton oreille ! » Le jeune prince dit : « J'ai compris ! » Ainsi dit, ainsi fait. Il reçoit ce qu'il a demandé : une bague magique. Il lui suffit de dire ce dont il a besoin et son souhait est exaucé. Avec cette bague, le jeune prince devient très riche et sa renommée se répand partout. Il est envié, on se demande où il a reçu toute cette richesse. Poussé par sa femme, le griot du roi voisin va le trahir. Un jour, ce griot dit à son roi : « Je vais voir ce qui se passe et où ce jeune a reçu toute cette richesse. Il entre dans la cour du jeune en son absence pour le louer. Sa femme le reçoit, tout en soulignant que son mari est absent. Le griot lui dit qu'elle n'est pas digne d'être la femme d'un si grand personnage et il réussit à la convaincre de lui donner la bague magique de son mari. Revenu chez son roi, il lui montre la bague. Le roi lui dit : « C'est tout ce que tu as ramené ? Qu'est-ce que cela peut faire ? » Le griot dit : « Tu verras ce que ça peut faire ! » Il demande de l'or à la bague et la maison du roi en est aussitôt remplie. Le roi lui prend la bague et fait chercher le prince et sa femme, mais le prince bien ligoté. Le roi garde la femme et envoie le prince, toujours ligoté, au milieu de ses esclaves. Mais la femme intercède auprès du roi pour que son mari soit détaché et redevienne libre. Quant à la mère du prince, le chiot et le chaton, ils restent seuls, toujours dans la misère, tandis que le griot, son roi et les gens de son peuple sont toujours en fête. Le roi a fait construire une maison à étage pour lui et la femme du prince. Il a suspendu au mur la bague magique, au-dessus de leur lit. Un jour, le chaton dit au chiot : « Si tu peux me faire traverser le fleuve, j'irai aider notre maître ! » (Il y a un fleuve qui sépare les deux peuples). « Si c'est pour traverser le fleuve, il n'y a pas de problème ! » Arrivés au bord du fleuve, le chiot dit au chaton : « Accroche-toi à mon dos, je vais te faire traverser ! » Le chiot fait monter le chaton et les voilà dans l'eau. Sur l'autre rive, le chaton dit : « Comme toi, le chien, tu n'es pas aimé des hommes, reste à l'écart et attends-moi. Quand tu me verras revenir en vitesse, sois prêt à retourner, car j'aurai la bague. » Le chien se met à l'ombre d'un arbre à l'entrée du village pendant que le chaton part tout seul. Le chaton entre dans la cour, dépasse les gens qui festoient, monte à l'étage et s'assoit à côté de la femme. Le roi demande : « D'où vient ce chat ? » La femme dit : « C'est l'odeur des souris qui l'attire, et comme il y en a beaucoup... » Le roi, la femme et ses parents les plus proches étaient ensemble. Ça buvait, ça riait, ça mangeait, partout c'était la joie. Tout à coup, en voyant une souris, le chaton lui parle dans son langage et lui demande de l'aider à décrocher la bague. La souris sait qu'avec le chat, il n'y a pas d'amusement : elle s'empare de la bague et la dépose vite aux pieds de son roi à elle. Une fois la bague remise, la souris s'enfuit dans son trou. Notre ami chat prend la fuite à son tour en direction de son compagnon chien. Le chiot, en le voyant revenir en vitesse, se tient prêt pour le retour. Une fois le chaton sur son dos, ils repartent comme une flèche. Au village du roi, c'est la pagaille : « Arrêtez le chat, il a avalé la souris avec la bague ! » Tout le peuple se met à leur poursuite. Ceux qui savent tirer à l'arc l'utilisent, mais en vain. Ils n'arrivent pas à les atteindre parce que la fête a pouvoir sur eux. Après avoir semé leurs poursuivants, le chaton demande à la bague de ramener son maître à la maison et c'est fait. Ayant presque atteint l'autre rive, le chiot s'arrête et dit : « Arrivé à la maison, que vas-tu dire ? Que c'est toi qui es allé récupérer la bague ? » Le chat dit : « Ami, que veux-tu insinuer ? » Le chien dit : « Remets-moi la bague ! » Sans dire un mot, il la lui remet et ils continuent leur traversée. A quelques pas de la rive, le chiot est mordu par un silure et, voulant crier, laisse tomber la bague dans l'eau. Arrivé sur la rive, il dit au chat que la bague est tombée dans l'eau. Le chat, ne pouvant rien faire, lui dit : « Tout cela est de ta faute; qu'est-ce qu'on va dire maintenant ? On a souffert pour rien ! » Ils continuent leur chemin. A la maison, ils racontent leur mésaventure au prince et à la vieille qui les félicitent. Le prince leur dit : « Allons vider le fleuve. En route pour le fleuve, il prend un hameçon. Arrivé, il dit : « Petit charognard, je t'ai acheté, je t'ai nourri; toi, tu m'as donné une bague, mais elle est tombée dans le fleuve. Si tu m'as donné une bague avec bon coeur, fais que je la repêche et si un caïman ou un poisson l'a avalée, qu'il soit au bout de mon hameçon ! » Une fois l'hameçon dans l'eau, le silure l'attrape. Le prince lui ouvre le ventre, récupère sa bague et le rejette à l'eau en disant à ses amis : « Nous allons gagner une viande meilleure que celle du silure. » La joie est revenue à la maison. Le prince a demandé à la bague de ligoter tous les gens du roi et de les lui amener, et ce fut fait ainsi. Depuis ce temps, le chien et le chat vivent avec les humains et on dit qu'il ne faut pas envier le bien d'autrui. Conte n°10 Le cultivateur, sa femme et les génies Il y a longtemps, un cultivateur travaillait dans son champ. Un matin, l'homme part, comme d'habitude, à la recherche de termites pour ses poules. Sa femme allume le feu pour la cuisine. Or, une famille de génies vit à côté du champ. En voyant la fumée de la femme, le vieux génie envoie le plus jeune chercher du feu. Ce dernier arrive et demande à prendre du feu. La femme lui dit : « Attends, quand mon mari sera de retour. Je vais prendre le rasoir. » Le petit génie s'assit. Quelque temps après, le vieux est inquiet et envoie l'aîné voir ce que fait son frère. Il part trouver son petit frère assis et lui dit : « Kunkelen, le vieux t'a envoyé chercher du feu et tu es venu t'asseoir ? » Le petit frère lui répond : « C'est cette femme bavarde qui veut me raser ». Le grand frère dit : « Elle va me raser aussi. » Et il s'assoit. Peu après, le vieux, toujours inquiet, envoie son troisième fils qui trouve ses deux frères assis l'un à côté de l'autre. Il demande à son frère cadet : « Kunkelen, le vieux t'a envoyé chercher du feu et tu es venu t'asseoir ? ». Le petit frère lui répond : « C'est cette femme bavarde qui veut me raser ». Le grand frère répète : « Elle va me raser aussi. » Il s'assoit à côté d'eux. La même chose se répète avec le quatrième, le cinquième, jusqu'au neuvième fils. Le vieux vient alors lui-même demander à son plus jeune fils: « Kunkelen, je t'ai envoyé chercher du feu et tu es venu t'asseoir ? ». Le petit lui répond : « C'est cette femme bavarde qui veut me raser ». Le vieux dit : « Elle va me raser aussi. » Il s'assoit à côté de ses fils. La femme ne sait plus que faire de ces génies qui l'entourent. Elle cherche à résoudre ce problème. Son mari n'est pas là, elle est seule. Que faire ? Elle ne peut plus préparer sa cuisine. Quelque temps après, le mari revient et voit sa cour remplie de génies. Pris de peur, il ne s'approche pas. Il reste à distance et demande à sa femme : « Pourquoi ces génies sont-ils dans la cour ? » La femme répond : « Le plus petit est venu chercher du feu et je lui ai demandé de s'asseoir, lui disant qu'après ton retour, j'allais le raser. Les autres sont ensuite arrivés un à un en lui demandant : « Tu es venu t'asseoir, tu es venu t'asseoir ? » Le mari lui jette le couteau qui était dans sa poche, laisse ses termites et s'enfuit. Le mari parti, la femme cherche un moyen de s'enfuir à son tour. Elle se lève, fait semblant de ramasser du bois mort, s'éloigne petit à petit et disparaît, prenant la fuite pour rejoindre son mari. Quand les génies s'aperçoivent que les propriétaires du champ ont pris la fuite, ils prennent tout ce qu'ils trouvent : moutons, chèvres, poules, pintades. Ils les tuent et les mangent. Depuis ce jour, quand quelqu'un demande un champ, le chef de terre exige soit un mouton, soit une chèvre, soit une poule ou une pintade pour l'offrir aux génies. C'est cette femme qui a provoqué cela : habituer les génies à manger les animaux. Conte n° 11 : Les coépouses Il était une fois, un homme qui avait une femme. Un beau jour, il décida d'en prendre une deuxième. L'arrivée de la deuxième femme, fut la joie de la famille, y compris celle de sa première femme. Chaque jour, le soleil se lève, et se couche, et la paix et la joie règnent dans cette famille. La deuxième femme était la
préférée de son mari, et elle avait toutes ses
faveurs. A cause de son accueil et de son dévouement au travail, la deuxième femme faisait la joie de toute la famille, et même du quartier et du village. C'était une femme toute souriante et pleine de zèle, disponible, respectueuse. Mais, la jalousie grandissait chaque jour dans le coeur de sa coépouse. Et voici qu'un jour celle-ci décida de lui enlever la vie. Mais comment faire ? Elle chercha tous les moyens possibles pour tuer cette dernière qui l'empêchait d'être heureuse et d'avoir l'amour de son mari. Ne trouvant pas de solution, elle décida de continuer sa réflexion. Un beau matin, leur époux les devança au champ et leur demanda de le rejoindre lorsque le repas de midi serait prêt. C'est ainsi dit que, après avoir fini leurs travaux ménagers, les deux femmes, partirent rejoindre leur époux au champ pour lui apporter de quoi manger. A mi-chemin, le ciel qui était couvert de nuages laissa tomber ses premières gouttes. Elles continuèrent à marcher, mais bientôt se fut la tornade. N'ayant pas de quoi se protéger pour continuer le chemin, la première femme proposa d'aller se mettre à l'abri, avec le bébé, dans un tronc d'arbre mort. Etant à l'abri de la pluie, la femme aînée proposa à la plus petite d'attendre, qu'elle-même allait sortir pour s'assurer de l'état de la pluie et qu'elle reviendrait le lui dire. Lorsqu'elle sortit, elle se mit à chanter et ordonna au tronc d'arbre de se fermer ; sous son ordre le tronc se ferma sur la pauvre femme et son fils. Quand la première femme arriva au champ, son mari lui demanda où était restée sa plus jeune femme. Elle répondit qu'elle ne savait pas. Elle dit à son mari que son bien aimé l'avait devancé au champ. Dans sa fureur, l'époux rentra au village, informa la famille, le quartier, et tout le village de la disparition de sa jeune femme. Sur-le-champ, le village sortit à la recherche de la jeune femme. Les jours passèrent, ainsi que les nuits, mais sans résultat. Désespérés la population reprit les activités de chaque jour.Et voici qu'un jour, en allant au champ apporter le repas à son mari, elle s'arrêta au même lieu, au pied du tronc d'arbre, et commença à chanter. Un chasseur l'apercevant de loin s'approche en se cachant pour bien l'observer, et écouter sa chanson. Il entendit la femme qui chantait : « Bonjour, la bien aimée de mon
mari, Après avoir chanté, elle chargea sa corbeille et continua son chemin.Sans tarder, le chasseur se dépêcha d'aller informer son mari de ce qu'il a vu. Depuis ce jour elle fut soupçonnée.Son mari lui demanda de nouveau : « Où as-tu laissé ta coépouse ». Il menaça de la tuer si elle n'avouait pas. Elle eut peur, et finit par avouer la vérité. Accompagnés de leurs voisins, ils se rendirent au pied du tronc d'arbre sec. Elle commença à chanter en disant : « Arbre, ouvre-toi, Et la femme du sein de l'arbre, « Ayez pitié de moi. Et soudain, le tronc d'arbre s'ouvrit et la pauvre femme et son enfant sortirent tous affamés. Les termites avaient mangé les fesses de la pauvre femme. Sans hésiter, ils prirent les deux plats de tô qui se trouvaient dans les calebasses, et ils remplacèrent les fesses de la pauvre femme. Et depuis là, la jeune femme redevint normale. Voici pour quoi les fesses de la femme sont plus grosses que celles de l'homme. Conte n° 12 : La jeune fille et le lion Il était une fois, une fille qui s'appelait Warimangan.
Ses parents l'envoyaient garder les champs. Leurs champs étaient loin du
village dans un endroit où il y avait beaucoup d'animaux sauvages. Le
lion a observé que Warimangan venait toute seule chaque jours pour
garder les champs, 1-Warimangan ni kóngo ! Bonjour Warimangan ! 2-Warimangan jembe ni kóngo : Warimangan tambour jembe bonjour 3-Ne fa tun y'a fó ne ye ; Mon père m'avait dit 4-Ko na jara faga ne ye, qu'il tuerait un lion pour moi 5-Jara kameleba faga ne ye un lion très galant pour moi 6-K'o jeme kunba la ne kun, et faire un tambour avec sa peau pour moi. 7-O lón, o lón, o lón be bi ye (bis) c'est ce jour qui est arrivé. Le lion en entendant cette chanson, prit peur et s'enfuie très loin. Le lendemain le même lion revint avec l'intention de croquer Warimangan. Le roi de la brousse se tint devant la fille et la salua en ces termes : « Wariman i ni kóngo ! » Warimangan bonjour ! Warimangan lui repondit en chantant : 1-Warimangan ni kóngo ! Bonjour Warimangan ! 2-Warimangan jembe ni kóngo : Warimangan tambour jembe bonjour 3-Ne fa tun y'a fó ne ye ; Mon père m'avait dit 4-Ko na jara faga ne ye, qu'il tuerait un lion pour moi 5-Jara kameleba faga ne ye un lion très galant pour moi 6-K'o jeme kunba la ne kun, et faire un tambour avec sa peau pour moi. 7-O lón, o lón, o lón be bi ye (bis) C'est ce jour qui est arrivé. Le lion en entendant cette chanson prit peur et s'enfouie très loin. Chaque jour les choses se passait ainsi, et la fille n'osait
rien dire à ses parents. « Papa, chaque fois que je vais au champ un lion vient me provoquer pour me manger, je chante pour lui en disant que mon père va le tuer, alors il prend peur et s'enfuie. » Le papa répondit à sa fille : « Ne t'inquiète pas, demain nous irons ensemble aux champs et ce vieux lion je vais le tuer. S'il vient te saluer ne prends même pas la peine de répondre. Le lendemain matin, ils partirent tous deux aux champs. Sans tarder, le vieux lion arriva et salua comme d'habitude, mais Warimangan ne répondit pas. Le lion salua avec fureur. Warimangan ne répondit pas. Le lion s'approcha de la hutte et salua en vociférant : Warmangan ne kongo ! Silence. Le lion était maintenant tout près de la fille, et son papa voyant la fureur du vieux lion eu peur, et dit à sa fille Warimangan de répondre comme d'habitude. Warimangan répondit au lion comme de coutume en chantant : 1-Warimangan ni kóngo ! Bonjour Warimangan ! 2-Warimangan jembe ni kóngo : Warimangan tambour jembe bonjour 3-Ne fa tun y'a fó ne ye ; Mon père m'vait dit 4-Ko na jara faga ne ye, qu'il tuerait un lion pour moi 5-Jara kameleba faga ne ye un lion très galant pour moi 6-K'o jeme kunba la ne kun, et faire un tambour avec sa peau pour moi. 7-O lón, o lón, o lón be bi ye (bis) c'est ce jour qui est arrivé. Le lion en entendant cette chanson prit peur et s'enfouie très loin. Le soir venu, Warimangan et son père rentrèrent
à la maison. Le papa raconta à sa femme ce qu'il avait vu.
"Vraiment ce lion est dangereux, on ne peut même pas le regarder de
face. Le soir venu Warimangan et sa mère rentraient au village. Dieu descendit du ciel et arracha le fer de lance de la femme en lui laissant un bâton simple, en disant « : Il n'est pas bon que la femme soit si courageuse , et même plus courageuse que l'homme. C'est pourquoi je lui retire l'arme en fer, en lui laissant un simple bâton". C'est pourquoi la femme bobo n'a que le bâton simple comme appui, tandis que l'homme a le bâton armé du fer de lance. Ainsi prend fin cette histoire sur l'origine du courage de la femme Conte n°13 Le lièvre et l'hyène 1. Un jour, le lièvre alla / trouver l'hyène : « Allons chercher des termites pour nos pintadeaux ». 2. Pendant qu'ils partaient / chercher des termites, ils trouvèrent un trou à ouverture étroite. Le lièvre dit : `'Hyène / vient voir ce petit trou ; en cas de danger, Hyène, tu y entreras aisément `'. 3. L'hyène dit : `'Compère lièvre / avec tes gros yeux-là, avec tes longues oreilles-là / si tu ne les mets pas ailleurs, quel danger peut me menacer, moi, l'hyène ; / avec tes propos insolents-là `'. 4. Le lièvre dit : `'Hyène, / allons chercher nos termites. Je n'aime pas les longues discussions''. 5. Pendant qu'ils parlaient, / le lièvre entra dans une forêt. Il trouva un lionceau dans un fourré. 6. Le lièvre, dans sa ruse, / revint dire à
l'hyène : ''Commère hyène, / comme tu n'entres pas
dans la forêt, donne-moi ton panier. / Assieds-toi sous l'arbre à
karité. 7. Il prit alors son panier, / le panier de l'hyène. Il alla assommer le lionceau, / (il le mit dans le panier de l'hyène) et l'enfouit sous les termites. Il rapporta le panier à l'hyène / et lui dit : `'Retournons à la maison''. 8. Pendant qu'ils rentraient, / arrivés au trou à l'ouverture étroite, le lion arriva à toute vitesse en colère. 9. Le lion dit : `'Compère lièvre, / je ne vois plus mon petit, c'est pourquoi je suis à votre poursuite. 10. Le lièvre dit : `'Grand Oncle, / si j'avais quelque chose de bon à la maison Je l'apporterai à ton petit en brousse / au lieu de vouloir l'emporter à la maison''.11. Il renversa son panier de termites : / `'Voilà, je n'ai rien dans mon panier''. 12. `'Demandez aussi à l'hyène ; : on ne sait jamais !'' 13. L'hyène renversa son panier ; / et le lionceau s'y trouvait, mort. 14. Quand le lion bondit pour saisir l'hyène, / le trou à ouverture étroite l'hyène s'y engoufra aisément. 15. Le lion appela : `' Animaux de la brousse, / venez tous dans la grande plaine''. 16. Quand les animaux de la brousse furent rassemblés, / le lièvre dans sa ruse s'adressa au lion en disant : `' Grand Oncle, / laissons le Calao creuser le trou. Son bec est une pioche''. 17. Le lièvre dans sa ruse / dit aux animaux de la brousse : ''Laissez-moi déblayer la terre / pour voir la direction du trouve et je sortirai vous la montrer''. 18. Quand le lièvre déblayait la terre / il
remit à l'hyène un couteau tranchant : 19. Quand le calao alla piocher la terre, / l'hyène lui
trancha le bec, 20. Le lièvre dans sa ruse / dit aux animaux de la
brousse : 21. Le lièvre dans sa ruse / se leva de nouveau et dit aux animaux de la brousse : / `'Laissez-moi déblayer la terre pour voir la direction du trou / et je sortirai vous la montrer''. 22. Quand le lièvre déblayait la terre / il remit du sel à l'hyène : ''Prends ce sel, hyène. / Quand le sanglier viendra pour piocher, tu lui soufflera dans les yeux le sel mâché''. 23. Et quand le sanglier se mit à piocher, /
l'hyène lui souffla dans les yeux le sel mâché''. 24. Le sanglier dit : « Compère lièvre / souffle dans mes yeux''. 25. Le sanglier dit : « Sanglier / mes joues ne
sont pas assez volumineuses. 26. Dès que le lion a soufflé / il reçoit
un morceau de sel dans la bouche. 27. Le lion dit : `' Sanglier, / tes larmes sont « sucrées ! »''. 28. Le lion dit : `'Sanglier, / tes larmes sont très bonnes''. 29. Le lièvre dans sa ruse dit : « Pourtant, Grand Oncle Ses larmes ne sont pas si bonnes. / La graisse de son entre-jambe, si tu goutais à cela, / tu passerais tout ton temps parmi les sangliers' ». 30. Le lion dit alors : « Sanglier, / la
graisse de ton entre-jambe, 31. Le sanglier poussa un cri de frayeur, / et il s'échappa. Les animaux se mirent à sa poursuite ; / les animaux de la brousse se mirent à sa poursuite. 32. Lelièvre dans sa ruse / encore clopin clopan alla
dire à l'hyène : / « Voilà,
Hyène, 33. Depuis ce jour-là, / elle n'aime plus beaucoup discuter. L'hyène n'aime plus beaucoup discute Conte n°14 : L'ingratitude La famine régnait alors dans tout le pays. Un homme sort de chez lui, pour aller se promener en brousse. Il arrive au bord d'un vieux puits. Il se penche pour voir s'il y avait de l'eau, et il découvre, au fond du puits, un homme entouré d'un lion, d'un singe et d'un serpent. Il décide de les sortir de là. Il part chercher de longues lianes. Il attache une extrémité des lianes à une grosse branche située près du puits, et il jette l'autre extrémité dans le puits. Le singe se précipite et sort le premier du puits. Il est bientôt suivi du lion, puis du serpent. Il ne reste plus que l'homme à tirer d'affaire. Les animaux sortis du puits conseillent alors notre promeneur : « Attention, surtout ne laisse pas cet homme sortir du puits ! » Mais notre homme réplique : « Comment çà ? Je vous ai aidés à sortir, et j'abandonnerai mon semblable au fond de ce puits ! ». Et il aide l'homme à sortir du puits. Tous remercient notre promeneur, et lui promettent qu'ils n'oublieront jamais ce qu'il a fait pour eux. Quelques jours plus tard, la famine sévissait toujours. Notre homme décide d'aller à nouveau en brousse, en quête de fruits sauvages. Il rencontre le singe qui lui demande : « N'est-ce pas toi qui nous a aidés à sortir du puits, l'autre jour ? ». L'homme lui répondit : « C'est bien moi ! ». Alors le singe lui rappelle qu'il lui avait promis de l'aider quand l'occasion se présenterait. Puis il invite notre homme à s'asseoir. Le singe appelle alors ses congénères qui arrivent nombreux. Il leur dit : « Cet homme m'a sauvé la vie. Allez chercher les fruits du néré, et apportez-moi tout ce que vous aurez trouvé. ». Ils partirent aussitôt. Ils apportèrent une telle quantité de gousses de néré, que notre homme n'a pas réussi à emporter le tout à la maison. Quelques jours plus tard, notre homme sort de chez lui, pour parcourir la brousse à la recherche de nourriture. Il croise le lion qui lui demande : « N'est-ce pas toi qui nous a aidés à sortir du puits, l'autre jour ? ». L'homme lui répond : « C'est bien moi ! ». Alors le lion se met à rugir longuement, et une foule d'animaux sauvages se rassemble. Le lion leur dit : « Écoutez bien ma parole. C'est un ordre que je vous donne. Retournez en brousse, et rapportez moi sans tarder du gibier. » Peu de temps après, les animaux sauvages reviennent avec quantité de gibier. Et voici notre homme, tout heureux, qui retourne à la maison ployant sous le poids du gibier. Bientôt, il entend parler de l'homme qu'il avait sauvé. Ce dernier s'était mis au service d'un homme riche et puissant. Comme la famine sévissait toujours, il se dit qu'il va aller le trouver pour lui demander son aide. Il arrive dans le village de cet homme riche et puissant au moment où la fête battait son plein. Il croise l'homme qu'il avait sauver du puits. Mais le regard haineux de celui-ci en dit long sur ses intentions ! Cet homme connaissait bien le chef du village. Il va le trouver pour lui dire : « Prends garde à toi. Un étranger vient d'entrer dans ton village. C'est un homme mauvais. Chaque fois qu'il entre dans un village, ce n'est que malheurs et destructions pour tous les villageois. Le seul remède : Il faut l'attraper, le ligoter et l'abandonner sur une haute colline. Trois jours après il faudra l'égorger et faire une fête en l'honneur des esprits du village pour écarter le malheur. » Le roi suit aussitôt ces conseils. Et notre homme se retrouve sur la colline qui domine le village, sous un soleil brûlant. Il ne peut pas bouger. Les cordes avec lesquelles il a été ligoté le font souffrir, et le blessent cruellement. Parfois il gémit, parfois il hurle de souffrances. Un serpent passait par là. Il entend notre homme et s'approche : « N'est-ce pas toi qui nous a aidés à sortir du puits, l'autre jour ? ». L'homme lui répondit : « C'est bien moi ! ». Le serpent reprend : « Je vais te donner un remède, une feuille magique. A l'aide de cette feuille, tu iras ressusciter le fils du chef de village que je vais aller mordre mortellement tout de suite. Toi, pour l'instant, n'arrête pas de crier ceci : ` Chez nous, un serpent ne peut pas nous faire de mal. S'il mord l'un d'entre nous, notre médicament le protégera ou le ressuscitera. » Et le serpent entre au village. Il n'a pas de mal à trouver le fils du chef qu'il mort à la jambe, et bientôt notre homme entend les pleurs et les cris qui montent jusqu'à lui depuis la cour du chef. Au même moment, une vielle femme passe devant lui : elle rentre de la brousse avec son fagot de bois sur la tête. Elle entend notre homme qui crie : « Chez nous, un serpent ne peut pas nous faire de mal. S'il mord l'un d'entre nous, notre médicament le protégera ou le ressuscitera ». Quand elle a déposé son fardeau, on lui annonce la mort du fils du village, mordu par un serpent. Elle va trouver le chef et lui rapporte les cris de notre homme ligoté et abandonné sur la colline : « Chez nous, un serpent ne peut pas nous faire de mal. S'il mord l'un d'entre nous, notre médicament le protégera ou le ressuscitera. » Le chef ordonne alors d'aller détacher notre homme, de lui donner à boire, et de le conduire auprès de son fils. Bientôt notre homme se trouve auprès de l'enfant du chef, étendu sur une natte, sans vie. Il pose la feuille que le serpent lui a donné sur la tête de l'enfant. Celui-ci commence par éternuer, puis il se relève comme s'il sortait d'un profond sommeil. Le chef se tourne alors vers notre homme pour le remercier, et lui promet de lui offrir tout ce qu'il demandera. Celui-ci, réclame alors la cervelle de celui qui a menti sur son compte. Ce dernier se trouvait alors auprès du chef. Celui-ci ordonne aussitôt de le saisir et de le mettre à mort, pour en donner la cervelle à notre homme. Ce qui fut fait sur le champ. Conte n°15 : La Femme de Mesha'atsang Il était une fois un certain danseur qui s'appelait Mesha'Atsang. Il avait très bon coeur. Il partit un jour pour la pêche et trouva sur sa route une vieille femme. Mère, dit-il , donne-moi ton fagot de bois, je t'accompagne à la maison. Il prit le fagot de bois, le porta sur la tête et accompagna la vieille chez elle. Fils, lui dit-elle, où vas-tu ? - à la pêche, lui, répondit Mesha'Atsang - Où ? A la rivière. Non, lui dit-elle, ne part pas à la rivière, vas plutôt où j'étais chercher le bois ; il y a deux mares : l'une claire, l'autre sale. Ne jette pas ta ligne dans celle qui est claire, jette là plutôt dans la mare boueuse. Il partit, trouva en premier lieu la mare limpide et il vit beaucoup de poissons. " Comme je vois tant de poissons dans cette mare, dit-il, je ne vais pas pêcher dans l'autre là-bas" Il jeta la ligne dans la mare limpide. Les poissons se mirent à bouffer l'appât. Quand il retira la ligne pour prendre le poisson, ce qu'il prit, ce n'était pas un poisson mais une vieille femme toute couverte de pians. Il voulut enlever l'hameçon pour remettre la vieille dans l'eau mais elle vola et le prit par les épaules. Il tenta de la projeter loin mais elle se colla à lui. "Il rentra ainsi à la maison. Arrivé chez lui, la vieille descendit à terre et resta là comme sa femme. La nuit la vieille dit à son mari de lui faire du feu pour se réchauffer car ses pians lui faisaient mal. Il se mit à la menacer. Lorsqu'il voulut monter sur le lit, la vieille monta également sur le même lit. L'homme descendit et se coucha à même le sol. Il était bien dérangé et ne savait quelle conduite tenir. Vint le jour de la danse. Comme Mesha'Atsang était un grand danseur, il se mit à danser, il dansa, il dansa. Il y avait là un baobab. La vieille femme alla enlever sa peau de vieille femme et devint une belle jeune fille. Voyant que son mari avait beaucoup danser, elle alla l'embrasser. L'homme en fut très heureux, oubliant que c'était sa vieille femme qu'il avait laissé à la maison qui s'était transformé en jeune fille. La danse finie, les gens se mirent à rentre chacun chez soi. La belle femme disparut et alla sous le baobab remettre sa mauvaise peau de vieille femme. Arrivé à la maison Mesha'Atsang se mit à éprouver de la tristesse dans son coeur : " je viens de danser là-bas et une belle femme m'a embrassé, se dit-il et cette vieille chose est venue s'installer chez moi ! " la nuit, la vieille lui disait : " mon mari fais-moi du feu pour me réchauffer". Il se mettait à la menacer, lui demandant de ne plus lui adresser la parole. Mesha'Atsang était très ennuyé par cette histoire. Il alla consulter un magicien. " Voici, lui dit-il, une histoire qui m'est arrivée quand je suis allé à la pêche. Je ne sais pas quelle conduite tenir pour éloigner cette vieille femme de chez moi. L'autre jour, lorsque je dansais, une belle jeune femme m'a embrassé. Je lui ai demandé de m'épouser et elle a refusé". Le magicien lui dit : la jeune femme qui est venue t'embrasser à la danse est ta vieille qui est à la maison. Pendant que tu danses, elle s'en va sous le baobab enlève sa peau habituelle pour revêtir une autre et devenir une très belle jeune femme. Voici ce qu'il faut : " la prochaine fois qu'il y aura danse au village, tu placeras des hommes sous le baobab. Avant le début de la danse elle ira enlever sa peau de vieille femme. Et tandis qu'elle viendra t'embrasser, ils prendront la peau dont elle s'est dépouillée et la brûleront. Tu verras comment sera ta femme. Vint encore le jour de la danse. Mesha se mit à danser. Sa vieille femme alla sous le baobab, enleva sa peau habituelle et devint une belle fille. Son mari ayant beaucoup dansé, elle courut l'embrasser comme la première fois. Les hommes placés par Mesha sous le baobab brûlèrent la peau que la femme y avait laissée. La danse finie, les gens se mirent à rentrer. La femme disparut pour aller revêtir la peau qu'elle avait enlevée. Elle ne la trouva pas. Elle se tue et ne parla plus. Elle devint complètement muette. Elle rentra quand même chez son mari Mesha'Atsang. L'homme s'étonna en son for intérieur disant : le magicien m'a donc dit la vérité ! Et il était heureux d'avoir une belle femme. Tentait-il d'adresser la parole à sa femme, elle le repoussait. Elle ne parlait pas. Il en fut ainsi pendant une année entière : la femme ne parlait pas. L'homme retourna chez le magicien et lui dit que les choses s'étaient passées telles qu'il les avait annoncées, mais sa femme ne parlait pas. Depuis que sa peau lui a été volée et détruite, je n'ai pas entendu sa voix. Le magicien lui dit ce n'est pas difficile. Rentre et fais ce qui suit : laisse les moutons en pâturage, mets le maïs à sécher sur le rocher, et un bébé dans la maison. Moi je vais faire pleuvoir. Quand la pluie se mettra à tomber, que tout le monde s'éloigne et laisse ta femme seule à la maison. Tu entendras comment ta femme va recommencer à parler. L'homme rentra et fit ce que lui avait le magicien. Tous les habitants de la maison s'éloignèrent laissant la femme seule. La pluie menaçait et la femme était là. Les moutons bêlaient en pâturage ; l'eau et la pluie mouillait le maïs étendu dans la cour ; le bébé pleurait dans la maison. Lorsque la femme parut elle s'exclama : " oh ! Que vais-je faire à présent ? le maïs est sur le rocher, les moutons sont en pâturage, l'enfant pleure dans la maison et il se met à pleuvoir en plus ! " Tous les gens qui s'étaient cachés affluèrent : Hu, disait-on, la femme de Mesha'Atsang a parlé, la femme de Mesha'Atsang a parlé. Voila la situation que j'y ai laissée. Mesha'Atsang et sa femme se mirent à parler. Conte n°16 : Le Fils de Nkan Un homme appelé Nkan avait trois femmes : Koolo à Nkan, Gang à Nkan et Itiitii à Nkan. Il leur ordonna de n'accoucher que des filles et non des garçons. Elles étaient toutes enceintes. Il alla un jour au champ accompagné de son petit esclave. Le champ était très loin du village où les femmes restèrent.
Koolo à Nkan accoucha d'une fille, Gang à Nkan accoucha d'une fille, Itiitii à Nkan accoucha d'un garçon. Alors on se mit à appeler leur époux. Nkan-eh ! Nkan-eh ! Tes femmes que tu as laissées : Koolo à Nkan a accouché d'une fille Gang à Nkan a accouché d'une fille Itiitii à Nkan a accouché d'un garçon-eh Le petit esclave lui dit : - Maître, voilà qu'on appelle - Ah non ! cesse de dire des folies. Il lui coupa une oreille et la mit dans son sac. on appela encore : Nkan-éh ! Nkan-éh ! Tes femmes que tu as laissées : Kooko à Nkan a accouché d'une fille Gang à Nkan a accouché d'une fille Itiitii à Nkan a accouché d'un garçon-éh : - Maître, lui dit encore le petit esclave, même cette fois tu n'as pas entendu ? - Tu continues à me casser les oreilles ? Il lui coupa l'autre oreille et la mit dans son sac. Alors on appela pour la troisième fois et Nkan lui-même entendit. Il jeta une mouche dans une oreille du petit esclave puis dans l'autre. Ses oreilles se reconstituèrent et Nkan reprit le chemin de retour. Une fois à la maison, il prit place au salon et appela : - Kooko à Nkan ! Kooko à Nkan ! - Oui ! - Kooko, apporte-moi l'enfant - Sur le bras, sur le bras ; - Que je l'asseye sur le tabouret lè dok, - Dzai ! Kooko apporta l'enfant. Nkan le vit et le rendit à sa mère. Il appela de nouveau : - Ngang à Nkan ! - Oui ! - Apporte-moi l'enfant ! Sur le bras, sur le bras, Que je l'asseye sur le tabouret lè dok Et lui applique les cornes sur la cuisse lè tok Dzai ! Gang apporta l'enfant. Nkan le vit et le rendit à sa mère. Il appela pour la troisième fois : Itiitii à Nkan, Itiitii à Nkan ! Oui ! Apporte-moi l'enfant ! Sur le bras, sur le bras Que je l'asseye sur le tabouret lè tok Dzai ! Itiitii, apporta l'enfant. "Voyant qu'il était mâle, Nkan le prit lè boed ! Alla le jeter dans un tas de fourmis et rentra". Kpong l'antilope naine était perchée sur un palmier à huile. Quand il vit la scène il s'écria : Mère, mère Apporte-moi de l'eau tiède Je suis tombé d'un palmier Je suis tombé d'un palmier Il descendit en vitesse, prit l'enfant et se mit à arracher les hyménoptères. Sa mère apporta d l'eau tiède, ils lavèrent proprement l'enfant et l'emmenèrent. L'enfant grandissait, grandissait. Quand il fut assez fort pour porter de l'eau, il se fabriqua une flûte de roseau. Lorsqu'il azllait puiser de l'eau, il jouait de façon suivante : Fooori fori fooori fori Fori fori fori Fori fori foriii Mon père m'avait jeté dans un tas de fourmis N'eût été Kpong-l'antilope naine J'aurais perdu la vie Foo Lorsque sa mère entendait chanter elle éclatait en sanglot. Ce comportement du garçon devint pour lui une habitude. Le coeur du père en fût si touché qu'il voulut reprendre son enfant. Alors tout le village se réunit dans l'intention de placer le jeune homme devant Nkan et Kpong pour qu'il choisisse celui des deux qu'il reconnait comme son père. On prépara et mangea force nourriture. Nkan et Konpg furent invités à se tenir debout devant l'assistance et on attendait la venue du garçon. Il y avait grand monde sur la place quand l'enfant apparut, s tint devant la foule, prit sa flûte et se mit à en jouer comme de coutume :
Fooori fori fooori fori Fori fori fori Fori fori foriii Mon père m'avait jeté dans un tas de fourmis N'eût été Kpong-l'antilope naine J'aurais perdu la vie Fooo. Sur ce, il alla embrasser Kpong. Aussitôt toute la place applaudit car, disait-on, il avait choisi son vrai père. Nkan était honteux d'avoir jeté son propre fils. Conte n° 17 Les Epouses De Kalak Un homme appelé Kalak avait deux femmes : Kooko et Gang. Tandis que la première était mère de deux enfants, la seconde était stérile. Celle-ci était pourtant la favorite. Le mari la gardait près de lui dans sa propre maison alors qu'il logeait la mère de ses enfants loin dans la savane. Kalak ne rendait visite à Kooko que pour voir sa progéniture. Cette situation parut surprenante à ses compatriotes. Comment est-ce possible, se demandaient-ils, qu'un bigame aille loger la mère de ses enfants si loin et préfère vivre avec la stérile ? On suggéra à Kalak de feindre de mourir afin de voir celle de ses femmes qui l'aime vraiment. Il acquiesça. Ses compatriotes lui dirent de chercher quatre marmites 72. Celle des épouses qui l'aime vraiment devra remplir deux marmites de ses larmes. Kalak chercha donc quatre marmites et envoya ses femmes au marché pour y faire des achats. Rester seul à la maison, il fit le mort. De retour, ses épouses le trouvèrent sur le ol, raide mort. Les habitants du village sachant que Kalak n'était pas décédé mais feignait seulement, y allèrent en nombre important. On dit à Gang la plus ancienne de s'agenouiller près d'une marmite et d'y pleurer son mari. Gang alla s'agenouiller et commencer de pleurer : Ngekeke je rentre à Bebis 73 Qu'il meurt, je rentre à Bebis Qu'il vive, je rentre à Bebis Ngekeke je rentre à Bebis 73 Qu'il meurt, je rentre à Bebis Qu'il vive, je rentre à Bebis On dit à Kooko de s'agenouiller à son tour sur une marmite pour pleurer son époux. Elle s'agenouilla et commença à pleurer : J'ai épousé Kalak pour l'enfant Kalak-éh J'ai épousé Kalak, il m'a logé en pleine savane J'ai épousé Kalak pour l'enfant Kalak-éh La première marmite fut remplie de larmes jusqu'aux bords. On dit à Gang de prendre sa deuxième marmite pour y pleurer de nouveau son mari. Elle retourna se mettre à genoux et recommença. Ngekekeke je rentre à Bebis Qu'il meurt,je rentre à Bebis Qu'il vive, je rentre à Bebis Ngekekeke je rentre à Bebis Qu'il vive, je rentre à Bebis Pas une seule larme ne tomba. Il te reste une marmite à remplir,dit-on Kooko Elle alla s'agenouiller prés de la marmite et se mit à pleurer : J'ai épousé Kalak pour l'enfant Kalak-éh J'ai épousé Kalak il m'a logée en pleine savane J'ai épousé Kalak il m'a logée en pleine brousse J'ai épousé Kalak pour l'enfant Kalak-éh La deuxième marmite fut remplie de larmes jusqu'aux bords. Voyant cela, les gens dirent : « c'est donc ainsi ? »Kalak revint à la vie et dit à sa première femme « c'est donc ainsi ? Si je meurs tu regagnes ton village natal ? Fais donc tes bagages et rentre tout de suite » Gang fit ses bagages et rentra à Bepei. Kalak prit Kooko, la logea tout prés de lui et vécut avec elle et ses enfants.
Conte n° 18 : Mesut-Le Lievre Epouse la Fille du Roi Le roi des animaux, un jour, eût un motif de grande satisfaction. Ntùtùère, sa fille, était ravissante et belle ; tous les contours de son corps étaient doux, toutes les courbes séduisantes ; l'Architecte de l'Univers s'était penché sur son berceau, cela était hors de doute. Malheureusement, en même temps il eût un sujet de tristesse dont il se garda seulement de s'assombrir. Il voulait donner cette fille en mariage, mais à qui ? il ne suffisait pas d'avoir le bonheur d'épouser cette perle, il fallait encore le mériter. Le roi rassembla tous ses enfants et toutes ses femmes et leur informa de cette décision. - je vous ai réunis pour vous dire que je vais marier Ntùtùere , ma première fille ici présente, vendredi de la semaine. Son mari cumulera en lui d'étonnantes qualités : le courage, l'intelligence et une force d'athlète. - Décidemment, Sire, fit la favorite, vous n'arrêterez jamais de nous surprendre. Avez-vous déjà choisi l'homme avec qui elle convolera en justes noces ? - Pas encore, mais ne vous en souciez guère. Vendredi prochain tout ira comme sur des roulettes. - Et comment ? interrogea la femme. - J'organiserais une compétition qui comportera plusieurs épreuves ardues. Celui qui en sortira victorieux épousera Ntùtùere. Que tout le royaume soit donc informé, et que tous les hommes, jeunes ou vieux, accourent ici vendredi prochain pour tenter leur chance. Les courtisans déployèrent une grande activité, et qui à gauche et qui à droite, ils répandirent la nouvelle à travers tout le royaume. Chez les prétendants, les préparatifs étaient multiples, indescriptibles dans leur immensité. Dans les champs, dans les villages, sur les routes, dans les fleuves et rivières, les déploiements étaient merveilleux. Le jour venu tous s'étaient levés, désireux de se distinguer, chacun par ses prouesses ;
La première épreuve consistait à aspirer un gobelet de piment réduit en poudre sans éternuer. Pour la deuxième et dernière épreuve, il fallait que les pieds du prétendant se noient dans le ruisseau de sueurs émanant des trémoussements endiablés. Le décor fut planté : une tribune magnifiquement parée était dressée au fond de la cour. Y était superbement assis le roi, avec à ses côtés Ntùtùere richement vêtue, les nobles, les princes ainsi que d'autres dignitaires venus des royaumes voisins. En face de la tribune, au beau milieu de la cour, étaient alignés les prétendants. Ils étaient nombreux, accourus de toutes parts. L'immense désir de ravir la charmante Ntùtùere les surexcitait, et leur attente, comme un feu toujours attisé ne devenait que trop brûlante. Une foule immense et bigarrée composée de badauds, amis et parents des différents candidats inondait les pourtours de la cour. Alors le signal fut donné ? Le premier candidat se présenta sous les encouragements des spectateurs: Ø ce sera très facile pour moi, pensa t-il. Mes fétiches et mes ancêtres à qui j'ai offert des sacrifices m'ont rassuréØ. Il faut dire que tous les prétendants s'en remettaient aux devins et autres gestionnaires du sacré. Il passa donc, aspira la poudre de piment et éternua si fort que la foule se mit à s'esclaffer. Suivirent Meshe -la Biche, Nsuen-l'éléphant, Nguè-la panthère, Nyet-le Buffle, Rigbaa-l'Hyppopotame, Kùkunda -le Caméléon et les autres animaux. La chose ne fut pas bien simple et personne ne put braver cette étape. Pendant que cette stagnation donnait lieu à bien des commentaires et que le suspense agrippait les coeurs, Mesùt s'avança. - bien que cette épreuve soit top rude et que personne ne parvienne à la dompter, pensa t-il, il ne me reste que l'audace. En quelques manoeuvres habiles, je viderai ce gobelet. Il fit une révérence devant la tribune royale et empoigna le gobelet de piment. Il regarda autour de lui, fit une moue et plongea la main dans le gobelet. Il prit une quantité de piment qu'il aspira et dans une logorrhée improvisée, il lança à l'endroit de ses rivaux : - voyez comme ils me regardent, ces pauvres animaux. Je me demande ce qu'ils me veulent. Tiens, je me rappelle ! ils croient que je vais jeter l'éponge comme eux... eux qui, depuis trois heures, éternuent à se faire sauter le crâne... Atchoum ! Atchoum ! Atchoum ! Atchoum ! Atchoum ! Après cette scène, il replongea la main dans le gobelet, prit une autre pincée de poudre de piment qu'il aspira en reprenant les même paroles et les même attitudes. Il répéta plusieurs fois le geste jusqu'à ce que le gobelet fût vide. Les autres étaient stupéfaits de surprise, dans un abîme d'étonnement. Cela assura le triomphe de Mesùt sur eux. Il ne lui restait qu'une seule épreuve : comment allait-il s'y prendre ? Allait -il la franchir ou bien, au contraire allait-il faire un coup nul ? de toute façon, les autres prétendants, ceux qui présentaient une carrure herculéenne tout au moins, lui riaient au nez en le traitant de petit prétentieux. Le signal fut donné pour l'ultime étape. Les musiciens se mirent à égrener des rhapsodies bien rythmées. Mesùt en sortit un boubou très ample de son sac et l'enfila. A l'intérieur de cette tunique, il avait fait coudre un sac en peau dans lequel il avait dissimulé de l'eau. Les autres ne se doutant de rien, Mesùt porta donc sa tunique et se mit à danser. Il frappait continuellement des pieds contre terre. Il dansait, sautant, pressant vivement à l'intérieur de sa tunique le sac en peau et criant à tue-tête. . Ungrand jour comme celui-ci mérite d'être fêté parce que notre roi donne sa fille en mariage ; il mérite faste et solennité. Moi, je danse toute ma joie en ce grand jour. Kpata, kpata, kpata... L'eau coula alors drue. - quel torrent ! cria le roi émerveillé. Nous serons inondés à ce rythme ! il n'y avait plus rien à dire. La foule se réjouit vivement de cet exploit. Le roi se leva et déclara Tita Mesùt vainqueur. Au bout de la scène se trouvait une jeune fille, une vierge radieuse : c'était Ntùtùere. Les paupières mi-closes, la bouche entr'ouverte, elle sourit à Mesùt et lui donna la main. Au même instant la cour éclata d'une immense joie. Tous les échos du pays annoncèrent que Mesùt portait encore plus haut la destinée du grand royaume en s'unissant pour le meilleur et le pire à la fille du roi. Le lendemain, Mesùt et sa femme informèrent le roi de leur intention de partir. - nous devons rentrer, ma femme et moi, au village. Je tiens à présenter Ntùtùere à ma mère avant qu'elle ne meure. - Avez-vous quelque souhait ? leur demanda le roi - Sire, procurez-moi une grande outre, dit Mesùt au roi. Le roi fit remettre une grande outre à Tita Mesùt qui la fendit et la confectionna à sa manière. L'ouvrage terminé, il y introduisit sa femme, fit ses adieux à la cour et s'en fut. Mais les autres malheureux concurrents voyant la radieuse Ntùtùere filer entre leurs doigts comme du sable, s'organisèrent sans perdre d temps et, furieux, ils jurèrent de lui tendre une embuscade habilement préparée et de la ravir. Mesùt eut l'intuition soudaine qu'il se tramait quelque chose. Il se fourra dans l'outre avec sa femme, puis roula vers son village. Chaque fois qu'il rencontrait une bande hostile, il bougonnait du fond de l'outre : - soyez vigilants ! je sors du palais à l'instant. Mesùt arrive de la cour avec se femme, sur un cheval bien chargé. Je suis venu juste pour vous mettre la puce à l'oreille et vous demander de l'attendre de pied ferme. Ainsi roulait-il vers son village, se jouant de tous ceux qui lui tentaient des embuscades Mesùt arriva enfin devant un cours d'eau. Là se tenaient, farouches, des animaux qui attendaient impatiemment leur proie. Fous de rage, ces animaux se saisirent machinalement de la grosse boule, la lancèrent avec violence de l'autre côté de la rive et se mirent de nouveau à l'affût. L'outre de fendit et, comble de surprise, la belle Ntùtùere en sortit et illumina toute la brousse. - Oui mais brave, cria Mesùt aux bêtes sidérées. A moi, il n'est point permis de vous nuire. Laissez donc que je vous ouvre ma bouche afin que dès maintenant nous puissions chanter à l'unisson : pour traverser la mer orageuse de la vie, point n'est besoin de barbarie. Ne méconnaissons aucun des moyens simples qui peuvent se trouver à notre portée. Touchés aux vifs les animaux se dispersèrent la queue entre les jambes. Conte n°19 : Mesùt-le lièvre sauve un chasseur L'histoire de Mesùt-le lièvre qui sauve un chasseur réclame toutes nos oreilles. Le royaume des animaux souffrait d'une terrible sécheresse : aucune goûte d'eau n'était tombée depuis trente-cinq semaines. Toutes les rivières devinrent désertes, d'une aridité et d'une désolation dont rien ne peut donner l'idée. La gent aquatique en vint par conséquent à perdre la boussole. Ceux qui jusque-là s'étaient comportés en les maîtres incontestés des eaux s'épouvantèrent d'une si grave situation. En effet, les crocodiles, les hippopotames et bien d'autres animaux tinrent conseil sur conseil sans pouvoir conclure à leur avantage. Un jour, un habile chasseur, fort de l'idée que ces bêtes affaiblies et décontenancées seraient une proie facile, s'arma d'un fusil et gagna la forêt. La canicule dardait de ses mille rayons poudreux les bois effeuillés. D'instinct un pauvre crocodile et ses petits coururent jusqu'auprès du chasseur. Le récit qu'ils lui firent était de nature à jeter le désarroi dans l'âme la plus endurcie. - Soyez le bienvenu, Sire ! Qui que vous soyez et quelque soit ce vous chercher, que la paix soit avec vous. Vous êtes le plus distingué des visiteurs de ce bois. - La paix seulement, répondit le chasseur. - Nous vous en prions, visiteur éminent, voyez notre misère. Mes enfants et moi sommes perdus du fait de la sécheresse. Sauvez-nous et nous vous en serons gré. Vous aurez une récompense, la plus belle et la plus grande qui soit. Songez seulement qu'aucun animal vertébré tétrapode ne vous a jamais tenu un tel langage. Le chasseur tressaillit de la profonde consternation peinte sur la gueule du caïman et de l'égarement qui assombrissait le regard de ses rejetons. - Visiblement vous pâtissez des conséquences fâcheuses de cette étrange sécheresse. Que puis-je donc pour vous ? - Conduisez-nous, Sire, au bord du grand fleuve, nous sommes au bord du gouffre fatal, voyez ! Nous pourrions nous jeter à l'eau et nous abreuver ainsi à cette source de vie. - Avec cette sécheresse, ce fleuve n'a-t-il pas tari ? Demanda le chasseur... - Humm... non je ne cois pas répondit le crocodile. Son débit est souvent tel qu'une sécheresse ne saurait l'ébranler. Sur ce, le chasseur devint éperdument compatissant. Il empaqueta sans façon le caïman et ses petits et se mit en route. Il longea les sentiers de cette forêt, sinueux et pleins d'obstacles. Il n'est point besoin de s'attarder sur les forces de la nature qu'il dompta ça et là avant de parvenir avec sa lourde charge au bord du fleuve. Là, le crocodile angoissé, les yeux suppliants, lança : - Voulez-vous nous laisser ici au bord du fleuve, Sire ? Entrez dans l'eau et déposer nous, dit le crocodile. Nous sommes tellement affaiblis que nous ne saurions parvenir à l'endroit où le courant d'eau est quelque peu impétueux. Là, vous nous abandonnerez et pourrez retournez calmement chez vous. Le chasseur s'exécuta et les délia lorsqu'il atteignit le milieu du fleuve. Au moment où il voulait s'en aller, le crocodile l'arrêta et, ironie du sort, se mit à le tutoyer avec véhémence. - Veux-tu vraiment rentrer chez toi ? - Oui ! Oui ! - Es-tu vraiment sérieux quand tu me le dis ? - Mais oui ! Qu'y a-t-il d'anormal dans ce j'ai dit ? A ces mots, le crocodile partit d'un grand éclat de rire qui fit trembler la forêt ; puis il devint coléreux car il jugeait que le chasseur le dérangeait avec ses sornettes. - Misérables homme que tu es ! Eh bien ! Tu n'as plus qu'à agir en homme ! ... Est-ce que tu peux imaginer le nombre de jours que j'ai passé avec mes enfants sans avoir quelque chose à me mettre sous le croc ? - Tiens ! Ton intention est donc de me tuer ? Est-ce là ta manière de me remercier pour ce que j'ai fait pour toi et tes enfants ? Quelle ingratitude !... - Silence ! Ici et maintenant mes enfants et moi avons faim, très faim ! En criant ainsi le crocodile s'était dressé : il se secoua frénétiquement, remua les eaux de sa singulière queue et de ses pattes atrophiés. Les yeux rouges et luisants. Le museau plutôt levé vers les nues. Il aurait apparu à tous que la terre était une assez petite boule sur laquelle le caïman seul se trouvait en relief. Pendant qu'ils se disputaient, le cheval arriva tout à la fois essoufflé et assoiffé. Il se mit à se désaltérer. Lorsqu'il leva le front, il vit le chasseur aux prises avec le crocodile et lui demanda : - Qu'est-ce qui peut bien t'opposer à cette ordure-là ? C'est un être très méchant. Regarde mon corps tout couvert de contusions et de blessures. Il monte sur moi et me fouette chaque fois sans raison. J'ai beau me plier en quatre en tout lieu et en tout temps, jamais il ne désarme. Je m'évertue à être fidèle et dévoué mais en retour je ne reçois qu'outrages et crachats. Quand je vieillis il m'abandonne sans remords. Me voici devenu une loque. Pourquoi tergiverser, crocodile ? dévore sans pitié. Le cheval à peine parti l'âne arriva à son tour pour se désaltérer. A la vue du chasseur, l'animai tint ces propos : - Joues-tu avec ce monstre placé devant toi ? interrogea l'âne adoptant des attitudes de dédain à l'endroit de l'homme. Quelle erreur est la tienne ! Voyez je suis criblé de cicatrices et de cors. C'est lui qui est la cause de toutes mes misères. Il est vrai que tant qu'il vivra, la gent animale ne s'épanouira point. Vas-y saute sur lui et dévore-le. Chaque animal qui passait par là trouvait un subterfuge plus ou moins convaincant pour incriminer le chasseur et par là provoquer la foudre du crocodile. C'est alors que Mesùt arriva et fut mit au courant de querelle qui opposait le crocodile au chasseur. - Ecoute, fit Mesùt au crocodile, en ce qui me concerne, ton désir de dévorer le chasseur est légitime. Mais comme chaque fait de la vie a son contrepoids, triture encore un peu tes méninges. - Que veux-tu insinuer ? de manda le crocodile. - Cette histoire me paraît invraisemblable. Je n'arrive pas à imaginer qu'un poulet de cet acabit ait pu traîner tout seul un crocodile aussi misanthrope et ses enfants depuis les collines qui sont à quatre rivières d'ici jusqu'à ce fleuve. Non, c'est impossible ! - Ton attitude sceptique est légitime, Tita Mesùt, mais cela est malheureusement vrai. - Je n'en crois pas mes oreilles. Vous n'avez qu'à tout recommencer, si tant est que je puisse trancher ce litige en contentant les deux parties. Il faut que je voie de mes propre yeux comment ce chasseur va vous transporter d'ici jusqu'au point de départ. Sitôt dit, sitôt fait. Le crocodile et ses petits furent de nouveau empaquetés et conduits vers les rivières desséchées sous la supervision de Tita Mesùt. Une fois revenus au lieu de départ, Mesùt demanda au crocodile - Est-ce ici que ce chasseur t'a trouvé ? - C'est ici qu'il m'a trouvé, fit naïvement le crocodile. Et je l'ai supplié de nous venir en aide, mes enfants et moi. - Ah bon ! c'est donc ici, à cet endroit desséché ! - Oui Tita Mesùt, répondit le caïman. - Qu'es-tu donc venu chercher ici demanda Tita Mesùt au chasseur ? - Je me rendais à la chasse. - Et qu'allais-tu chercher ? - Du gibier. - Oh ! mon brave homme, je suis étonné que tu te fasses du mouron. Qu'as-tu devant toi ? L'homme est la seule créature à pouvoir accéder à la réflexion, et vous voulez vous en laisser accroire par une bête, fût-elle gigantesque ? Machinalement le chasseur défit son fusil et tira plusieurs coups, tuant le crocodile et ses enfants. Devant les corps inertes des crocodiles, le chasseur contemplait avec son oeil torve l'exploit accompli avec l'aide de Mesùt. L'on mesure ici la sottise de celui qui s'abandonne à l'ingratitude. Conte n°20 : La Destitution de Memvu-le-Chien De temps immémorial, tous les animaux tinrent un conseil pour désigner leur roi. Même ceux qu'on eût pris pour les plus monstrueux par leur forme, leur taille, leurs moeurs étrangères ou leur force, consentirent à admettre que Memvù seul méritait ce trône. En effet, tous se savaient misanthropes et rendaient un culte au chien qui resterait impartial dans toutes les circonstances. Or Mesùt-le-Lièvre, si envieux parmi la gent poilue, lorgnait Memvù-le-Chien d'un mauvais oeil et se mit à ourdir une trame pour renverser le roi des forêts. Il s'avança vers le trône pour le rituel cérémonial de révérences et se plia adroitement en criant : - majesté, roi des rois, paix ! Ta face est plus vulnérable que la cime des montagnes ! Ton noble front renferme sans doute une idée propre à révolutionner les peuples qui tournent le dos au soleil ! Tu n'es certes pas le plus géant de tous les êtres mais tu es l'élu de la nature. Puis il sortit de son sac un paquet de crabes grillés et un os qu'il se mit à coquer délicatement. A la vue de cet appât, Memvù-le-Chien perdu l'esprit. - D'où vient cette odeur appétissante ? s'exhalerait-elle de ton sac, Mesùt ? - Mesùt qui savait que Memvù est un goinfre, lança devant Sa Majesté un crabe et un os. Le roi fit un grand bon en avant et se précipita sur ces restes. Il ne se doutait pas que son attitude remplissait toute la cour de stupeur. - Non ! criaient les bêtes consternées par ce spectacle déshonorant, un roi ne doit pas avoir le museau léger ! c'est très ridicule ! Nous ne méritons point un tel roi ! La honte opprimait Memvù-le-Chien qui prit ses jambes à son cou. Le trône étant resté vide, Mesùt-le-Lièvre fut choisi et acclamé comme régent. De toutes parts fusaient des gerbes de voix : «Ah ! Ah ! Le curieux de la chose, lançaient-elles, c'est qu'une vérité nous est révélée. Quelque brève que puisse être notre vie, il nous faut du bien-être. Mais l'on ne recherche pas autrement celui-ci que dans la réserve et la dignité. Conte n°21 : La Dette de Kimanga-la-Tortue En ce temps là Kimanga-la-Tortue et sa femme vivait dans la misère. Une nuit dame Kimanga fit cette remarque à son mari : - A cette allure nous allons tous crever avant les premières pluies. Il nous faut quelque chose à manger. Trouve-nous un peu d'argent. - Quoi ! es-tu folle ? - Un peu d'argent nous permettra de survivre pendant quelque temps. - Mais où allons-nous trouver l'argent donc tu parles ? - Ecoute. Ton ami Kùpù-le-Cochon est bien fortuné ! Il a toujours sa bourse pleine. Pourquoi ne pas lui demander de nous prêter une petite somme que nous lui rembourserons après l'arrivée des premières pluies. Nous aurons alors récolté nos ignames et leur vente nous permettra de lui rembourser son dû. - Voilà une idée bien géniale. - Le lendemain matin dès l'apparition des premiers rayons de soleil, ils se rendirent chez Kùpù-le-Cochon qui les reçut avec une certaine fébrilité : - A l'arrivée des premières pluies, je te jure mon frère, je te rembourserai sans délai. Tu auras ton dû dans la totalité. Tu es vraiment un homme de bien. Fais-moi confiance. Mon épouse ici présente peut te confirmer tout ce que je dis, rassura Kimanga-la-Tortue. - Kùpù-le-Cochon, très touché par les paroles du couple Kimanga leur remit la somme qu'ils avaient demandée. Une fois rentrés dans leur village, Kimanga et sa femme se mirent à faire bombance. Tous les jours ils mangeaient comme des rois. Ce bonheur ne dura pas longtemps. Les premières pluies étaient déjà là et il fallait rembourser l'argent de Kùpù. - Mon mari qu'allons-nous devenir ? comment faire pour rembourser l'argent de... Tu connais le caractère de notre créancier. - Calme-toi ma bonne femme. Ce n'est rien. Je sais comment nous sortir de là. - Et comment donc ? Kimanga expliqua longuement à son épouse la ruse qu'il avait ourdie pour venir à bout de leur créancier. Lorsque Kùpù-le-Cochon vint plus tard pour réclamer son dû, il ne trouva que la femme de Kimanga qui écrasait le maïs sur une pierre au fond de la case. - je te salue, femme de Kimanga. Où est ton mari ? il faut qu'il me remette mon argent aujourd'hui. - Ecoute, je ne sais pas où il est allé. Vous les hommes, quand vous sortez, vous ne nous dites pas souvent où vous allez. Passe un autre jour pour ton argent. Je suis occupée à préparer le repas du soir et je ne peux te tenir compagnie. Au revoir. - Femme ! femme ! femme ! Ecoute-moi bien. Je suis venu récupérer ce qui m'appartient et ton mari le sait. - Mais penses-tu que mon mari n'a rien d'autre à faire ? Ne perd pas ton temps à vociférer ici. Tu perds ton souffle pour rien. Tiens... je me souviens il ne rentrera pas tôt aujourd'hui parce qu'il a été invité au mariage d'un noble qui vit à quatre rivières d'ici. - Quoi ? ce salaud est allé au mariage alors que... - Tu oses traiter mon mari de salaud ? Et toi-même n'en es-tu pas un ? je suis désolée... tu n'as aucune dignité, tu es désagréable. - Répète encore ce que tu vins de dire ! répète ! Penchée sur sa pierre, dame Kimanga continua à écraser son maïs ignorant Kùpù qui s'enflamma davantage. Devant ce mutisme, fou de rage, Kùpù se jeta sur la femme et lui arracha d'entre les mains la pierre avec laquelle elle écrasait le maïs et la jeta loin dans les champs. Alors l'épouse de Kimanga se mit à pleurer à chaudes larmes appelant son mari à son secours tout en suppliant Kùpù de lui restituer sa pierre à écraser. Sur ces entrefaites, Kimanga fit son entrée avec des habits mouillés et sales à la grande surprise de Kùpù. D'où venait-il ? Des champs où il venait d'être jeté. La fameuse pierre à écraser qu'utilisait la femme n'était rien d'autre que Kimanga lui-même. C'était là la stratégie ourdie par lui pour échapper à la colère de Nji kùpù qui était très brutal. - Je te salue Nji kùpù ! tu as bien fait de venir nous voir aujourd'hui. Je vais tout de suite te donner ton argent. Mais pourquoi ma femme pleure t-elle ? Qu'est-ce qui se passe ici ? A ces mots, son épouse se mit à pleurer de plus belle et lui raconta dans une voix entrecoupée de sanglots tout ce que Kùpù lui avait fait subir. Kimanga s'indigna en apprenant cela. - Pourquoi as-tu violenté ma femme ? est-ce que tu crois que je suis incapable de te rembourser ton argent ? Va alors chercher la pierre de ma femme. Quand tu la lui remettras, je te payerai ton dû. - Je reviens dans un instant avec cette maudite pierre, lui répondit Kùpù ; Puis il s'enfonça dans la brousse et commença à fouiller partout la pierre qu'il venait d'y jeter. Il chercha pendant des semaines, des mois, des années et jusqu'aujourd'hui Kùpù-le-Cochon cherche toujours la pierre à écraser de la femme de Kimanga avec son groin. Depuis ce temps là, toute la gent animale se méfie de Kimanga-la-Torrtue et personne n'entretient plus avec lui des rapports amicaux. Son acte d'ingratitude fut condamné par tous et l'on se demanda pourquoi cet obscur Personnage avait un coeur de pierre et toujours prompt à rendre le bien par le mal. Conte n° 22 L'origine du divorce Il était une fois un homme et une femme qui vivaient heureux. Lui allait à la chasse et elle cultivait un grand champ de mais qui s'étendait à l'infini. Malheureusement, un groupe de gorille venait régulièrement piller la récolte. Un jour, il fut sollicité par sa femme pour chasser les gorilles qui endommageaient le champ. Mais il refusa, disant que s'il surveillait un coin les gorilles allaient saccager de l'autre coté. Un matin, la femme en eut assez et décida de chasser elle-même les gorilles de son champ. Elle emporta au champ et le carquois de son mari pendant que celui-ci dormait. Arrivée là-bas, elle se mit à l'affût, bien cachée dans un buisson. Peu de temps après, tout un groupe de singes arriva pour prendre le petit déjeuner. La femme sorti une flèche du carquois et la décrocha sur le plus gros d'entre eux, leur chef, qui s'écroula. Les gorilles s'enfuirent en emportant avec eux le corps inanimé de leur chef. De retour au village la femme alla annoncer à son mari qu'elle s'était elle-même occupée des bêtes qui ravageaient sa récolte. Au lieu de la féliciter, l'homme se mit en colère sous prétexte qu'elle avait perdu sa flèche. Elle fut donc obligée de retourner sur ses pas pour la récupérer. Dans son chagrin elle se mit à chanter : Tiandé kwoué oho dé kwoué, tiandé Ta di tabassoué,tiandé Bou ayé soun,tiandé Soun ayé bou, tiandé Djrou ayé cloui,tiandé Cloui ayé djrou, tiandé (L'auditoire reprend ·tiandé· à la fin de chaque phrase du conteur) Mince alors !aller chez les gorilles, aller chez les gorilles, mince alors ! La flèche a atteint quelle partie d'abord ? mince alors ! La jambe ou le bras ? mince alors ! Le bras ou la jambe ? mince alors ! La tête ou le ventre ? mince alors ! Le ventre ou la tête ? mince alors ! Elle marcha pendant deux jours et une nuit en suivant les traces des gorilles avant d'arriver à leur village. Des centaines de gorilles immenses et féroces s'étaient réunis pour pleurer autour du corps de leur chef mort. Et la fameuse flèche était encore plantée dans sa poitrine. Alors, elle se jeta dans la foule et se mit à pleurer tout en chantant (Tiandé kwoué ) et en faisant de grande démonstration de douleur. Un peu surpris, les primates lui demandèrent qui elle était car en ce temps là, les hommes et les animaux se comprenaient. Elle répondit qu'elle était venue de très loin dès qu'elle avait appris le décès du grand singe, qui était son parent éloigné mais adoré. Au bout de plusieurs jours, même les enfants du chef étaient fatigués pleurer mais elle continuait à hurler et à se rouler par terre dans une mare de pleurs. De sorte que tous les singes se sentaient gênés qu'une parente éloignée soit plus chagrinée qu'eux- mêmes ses proches. Alors ils lui demandèrent si quelque chose pouvait diminuer sa peine. Elle leurs dit que s'ils pouvaient lui donner la flèche qui était à l'origine du décès, elle rentrerait chez elle avec un souvenir de son parent adoré. Ils lui donnèrent la fameuse flèche avant de la raccompagner aux portes de leur village. Une fois rentrée chez elle, elle donna la flèche à son mari et décida de le quitter. Ainsi, par eux, arriva le premier divorce. Conte n° 23 Et le ciel recula Il y a longtemps, bien longtemps, avant que nos ancêtres ne viennent s'établir dans cette contrée, le Ciel et la Terre, non seulement vivaient en bonne compagnie, mais résidaient à proximité l'un de l'autre. Ils pouvaient ainsi se concerter lors de décisions importantes à prendre qui concernaient la survie de l'humanité aussi bien que des animaux, des plantes, des roches et minéraux dont le rayonnement apportait tant de bienfaits. Le Ciel penchait bien souvent son regard bienveillant vers les êtres vivant juste en dessous de lui. Il se courbait si fort qu'il lui arrivait de frôler la cime des manguiers et des fromagers. Parfois même, des vieux très grands de taille, comme ceux qui habitent les bords du fleuve, sentaient un frisson parcourir leur crâne aux cheveux soigneusement rasés. Ils savaient alors que le ciel leur témoignait une attention toute spéciale. Ils en retiraient un sentiment encore plus aigu de leur importance et de leurs responsabilités. Un jour, une jeune femme, saisit une jarre de terre cuite et la plaça sur les trois pierres qui constituaient le foyer. Le bois avait déjà donné de hautes flammes. A présent, les braises rougeoyaient en sifflant harmonieusement, comme pour donner le maximum de leur chaleur. La femme s'activait, maniant avec dextérité la longue spatule de bois qui servait à remuer le mélange d'eau et de farine fermentée dans l'eau, afin d'obtenir une pâte homogène, à la surface bien lisse. Elle réalisait toutes ces opérations en silence. Car la concentration était nécessaire à une pleine réussite de cet art demeurant délicat même s'il se répétait quotidiennement. Après avoir fini de cuire la pâte de maïs qui constituait l'essentiel du repas familial, la jeune femme racla soigneusement le fond de la marmite pour la débarrasser des morceaux qui y restaient attachés. Elle y versa deux ou trois calebasses d'eau qu'elle prit d'un énorme récipient, de terre cuite également, placé près du puits pour contenir la réserve pour la journée. Malencontreusement, elle remua la marmite en tout sens, puis, d'un geste distrait, elle lança le contenu bien haut, de toutes ses forces. Malheur ! L'eau s'éleva si haut qu'elle s'en vint cogner la voûte céleste. Le Ciel, bien entendu, se mit en colère. Il gronda de plusieurs coups de tonnerre sans qu'il fasse réellement de l'orage. Mais cela ne suffit point à l'apaiser. - Que ferais-je pour manifester mon mécontentement ? dit-il à nouveau, dans un roulement sourd. Tomber de toute ma puissance sur cette femme et l'écraser ? Cela ne convient pas à ma grandeur. Je ferais mieux tout simplement de me mettre désormais hors de la portée des humains. Depuis ce jour, le Ciel se retira loin, bien loin de la Terre. Il ne consentit plus jamais à descendre jusqu'à une distance de contact avec les humains. Quelques morceaux de pâte de maïs flottaient dans l'eau qui le toucha. Ils y restèrent collés et forment aujourd'hui les étoiles. C'est ainsi que par l'inadvertance d'une femme la face du monde fut irrémédiablement changée. Conte n° 24 : Pourquoi y a-t-il tant d'idiots de part le monde ? Autrefois, il y avait beaucoup moins d'idiots qu'aujourd'hui. Quand il s'en trouvait un quelque part, aussitôt on le chassait du village. Aujourd'hui, par contre, il faudrait chasser la moitié du village et encore, cela ne suffirait pas. Mais comment se fait-il qu'il y en ait tant ? Voici comment les choses se passèrent : Un jour, trois idiots qu'on avait chassés pour leur bêtise se retrouvèrent à une croisée de chemins et se dirent : " Peut-être arriverons-nous à quelque chose d'utile en réunissant l'intelligence de trois têtes stupides. Et ils poursuivirent leur chemin ensemble. Peu de temps après, ils arrivèrent devant une cabane d'où sortit un vieil homme. " Où allez-vous ? " demanda celui-ci. Les idiots haussèrent les épaules : " Là où nous porteront nos jambes. On nous a chassés de chez nous pour notre bêtise. " Le vieux répliqua : " Alors, entrez. Je vais vous mettre à l'épreuve. " Il avait trois filles tout aussi bêtes et se montrait donc compréhensif. Le lendemain, il demanda au premier idiot : " Va à la pêche ! " Et au deuxième : " Va dans les fourrés et tresse des cordes ! " Puis au troisième : " Et toi, apporte-moi des noix de coco ! " Les idiots prirent un carrelet, une hache et un bâton et se mirent en route. Le premier s'arrêta au bord d'une mare et se mit à pêcher. Quand son carrelet fut plein, il eut tout d'un coup soif. Il rejeta tout le poisson dans l'eau et rentra boire à la maison. Le vieux lui demanda : " Où sont les poissons ? " " Je les ai rejetés à l'eau. La soif m'a pris et j'ai dû vite rentrer pour me désaltérer. " Le vieux se fâcha : " Et tu ne pouvais pas boire à la mare ? " " Tiens, je n'y ai pas pensé. " Pendant ce temps, le second idiot avait tressé un tas de cordes et se préparait à rentrer. Il s'aperçut qu'il n'avait pas de corde pour les attacher. Alors, il courut en chercher à la maison. Et le vieil homme se fâcha encore : " Et pourquoi n'as-tu pas attaché ton tas avec l'une des cordes ? " " Tiens, je n'y ai pas pensé. " Le troisième idiot grimpa sur un cocotier et montra les noix de coco à son bâton : " Tu vas jeter par terre ces noix, compris ? " Il descendit et commença à lancer le bâton sur le cocotier, mais il ne fit tomber aucune noix. Lui aussi rentra à la maison bredouille et une fois de plus, le vieux se fâcha : " Puisque tu étais sur le cocotier, pourquoi n'as-tu pas cueilli les noix à la main ? " " Tiens, je n'y ai pas pensé. " Le vieux comprit qu'il n'arriverait à rien avec les trois sots. Il leur donna ses trois filles pour femmes et les chassa tous. Les idiots et leurs femmes construisirent une cabane et vécurent tant bien que mal. Ils eurent des enfants aussi bêtes qu'eux, les cabanes se multiplièrent et les idiots se répandirent dans le monde entier. Conte n°25 : Le Roi Qui Voulait Marier Sa Fille
Dans un village vivait un roi qui avait une fille très belle. Pour pouvoir la marier avec quelqu'un de son choix, il décida de l'enfermer dans une case sans porte. Ainsi, il était sue qu'elle ne tomberait pas amoureuse de n'importe qui. Les servantes lui donnaient des repas par une minuscule ouverture par laquelle aucun homme n'aurait pu passer. Ce printemps là les prétendants arrivaient de toutes les contrées pour essayer d'obtenir la main de la merveilleuse princesse. Le roi n'en trouvait pas à son goût. L'un était trop pauvre, bien que fils de roi : « va-t'en, pantalon troué » l'autre trop vilain : « il est laid on dirait grain de riz » ; le suivant trop rustre « regarde moi ce gawou ! » et ainsi de suite. Une année passa et le roi n'avait pas toujours trouvé son gendre. Un matin, les servantes qui apportaient à manger à la princesse entendirent des pleurs de nouveau-né venant de la case. Affolées, elles accoururent chez le roi pour lui annoncer la mauvaise nouvelle. Le roi les menaça de leur couper la tête pour avoir porter atteinte à l'intégrité de la dignité de la famille royale mais il dut se rendre à l'évidence : tout le pays avait entendu les peurs de son petit-fils et ne parlait plus que de ça. Il envoya donc les gardes casser le mur de la case et ramener sa fille pour lui faire avouer le nom de l'infâme séducteur qui l'avait enceinté. La fille lui répondit qu'elle ne connaissait ni son nom ni son visage car elle le recevait dans l'obscurité de sa case sans porte ni fenêtre.
Le roi décida de convoquer une grande assemblée dans le but de confondre celui qui a fait un enfant à sa fille bien aimée et de le tuer. Au jour du neuvième mois de son petit-fils, chacun vient chanter devant l'enfant les paroles suivantes pour que celui-ci désigne son père en marchant vers lui. Nan djou oh, toi to toi, Nan djou oh, Toi to toi, Bo ni ma djou èh, Mè nan yeh dji oh, Toi to toi, Toi to toi, Toi to toi, Enfant qui commence à marcher oh, A pas mal assuré, Enfant qui commence à marcher oh , A pas mal assuré, Si tu es mon fils , Marches et viens vers moi, A pas mal assuré, Tous les hommes de la tribu passent sans que l'enfant ne se manifeste. On fait donc venir ceux des tribus voisines, mais aucun n'est le père. Finalement le roi se résigne à soumettre les animaux de la foret à l'épreuve. Dans son orgueil de roi, il fait passer en premier les animaux les plus forts mais le chant du lion, de l'éléphant ou du léopard ne font qu'effrayer l'enfant. Arrivé à l'écureuil, l'assemblée riait parce qu'il n'avait pas l'air d'être capable de séduire et d'enceinter la belle princesse. Malgré les quolibets de la foule, il entonne la chanson et aussitôt, le « Nan djou », qui écoutait avec attention, se lève et va « toi to toi » vers son père. Un long silence se fit dans la foule stupéfaite. Avant, que les gardes du roi n'aient réalisé ce qui se passait, l'écureuil prend son fils et disparaît dans les arbres. En fuyant, le bracelet de l'enfant tombe dans un champ d'arachide. C'est pourquoi quand on croise un écureuil entrain de fouiller dans un champ d'arachide, il montre son bras pour dire qu'il cherche le bracelet de son fils avant de se réfugier dans les arbres. D'autres que les wobés diraient que l'animal fait un bras d'honneur au propriétaire du champ dont il vient de manger les graines. Conte n°26 : Les trois antilopes Autrefois, il y avait moins de gibier qu'aujourd'hui. Les antilopes surtout étaient peu nombreuses. En fait, leur troupeau se résumait à deux femelles, si bien que les antilopes ne pouvaient pas se reproduire. Très malheureuses, les femelles n'arrêtaient pas de se plaindre, mais personne ne savait les conseiller ni les aider. Ces plaintes incessantes agaçaient prodigieusement l'Esprit des Eaux, qui habitait la fontaine à laquelle les antilopes venaient s'abreuver. Exaspéré, il leur dit : " Je suis las de vos lamentations. Je vous promets de transformer en antilope mâle le premier animal qui viendra boire à ma fontaine. Ainsi, vous serez trois. " Heureuses, les antilopes se dissimulèrent dans les buissons pour guetter leur futur compagnon. Voilà qu'un homme suivi de son fils arriva à la fontaine, et nos antilopes recommencèrent à se plaindre : " Nous ne voulons pas d'homme ! " L'homme dressa l'oreille : " Quelles sont ces voix ? " Mais le jeune homme, assoiffé, but à la fontaine sans plus attendre. Aussitôt, il se transforma en antilope sous le regard médusé de son père. Celui-ci comprit, cependant, ce qui venait d'arriver. Il soupira : " Hélas, mon fils ! Si tu rencontres les hommes, enfuis-toi. Si tu croises les éléphants, sauve-toi. Mais si tu aperçois les antilopes, joins-toi à elles. " Sur ces paroles, il s'en alla. Nos deux antilopes voulurent s'enfuir, mais le nouveau venu les rattrapa. Une nouvelle vie commença. Bientôt, les deux femelles eurent des petits, et le premier troupeau se forma. Depuis ce temps, les antilopes se multiplièrent au point qu'aujourd'hui nul ne saurait les compter. Conte n°27 : Comment le tambour est arrivé sur la terre Il y a très longtemps, une corde reliait le ciel et la terre. En ce temps- là, toutes les créatures les humains et les animaux, parlèrent le même langage et se comprenaient. Ils travaillaient ensemble, ils dansaient ensemble, ils partageaient tout. Les humains et les bêtes aimaient la musique mais il n'y avait pas de tambour sur la terre. Le seul tambour de la création était là-haut, au ciel. Ceux qui avaient envie de danser se réunissaient chez Dieu pour faire la fête. Un jour, Renard qui ne pense qu'à danser monte le long de la corde jusqu'au ciel et se joint à une grande fête. Le tambour résonne et les danseurs s'en donnent à coeur joie, ils dansent nuit et jour, jusqu'à épuisement. Renard se réjouit du bonheur qu'il peut lire sur le visage des danseurs. Il a pourtant un regret : pourquoi faut-il laisser le tambour au ciel ? Il serait bon de l'avoir sur la terre, à portée de main ! Cela éviterait de devoir monter sur la corde. Il n'a qu'une envie, emporter le tambour avec lui. Il attend que tout le monde soit parti et, quand il est tout seul, il attache le tambour à sa queue et descend le long de la corde. Quand Renard est à mi-chemin entre le ciel et la terre, Dieu s'aperçoit que le tambour a disparut. Il le cherche partout et, quand il regarde en bas, il voit Renard le tambour attaché à la queue. La queue frappe la peau du tambour et la fait résonner. Dieu est en colère, il ne sait que faire. Soudain, il prend le couteau et coupe la corde. C'est depuis ce temps- là qu'il y a des tambours sur la terre pour danser et faire la fête, c'est depuis ce temps-là aussi qu'il n'y a plus de lien entre le ciel et la terre. Conte n°28 : Le prince de la pluie Il y a très très longtemps, un homme et son fils
vivaient dans une cabane au fin fond des forêts éthiopiennes,
là où personne ne va presque jamais. Autrefois, l'homme avait
été marié mais sa femme était morte en donnant le
jour à leur fils. Son chagrin avait été tellement grand
qu'il décida de ne plus vivre parmi les hommes. Il voulait vivre
seulement avec son chagrin et son fils Dévi. Un jour, il
s'enfonça profondément dans la forêt et y construisit une
simple cabane pour eux deux. Devi grandit en solitaire. Son père lui
apprit toutes les choses de la vie : à marcher, à parler,
à chasser et à pêcher, mais hélas, Devi ne
rencontrait jamais personne. :
- Tu le verras toi-même, répondit le roi avec
impatience. Tu n'as pas à l'épouser de toute façon.
Devi se présenta à son tour. Il offrit à boire et à manger à la princesse et ils parlèrent tout l'après-midi comme de vieilles connaissances. La
princesse connaissait également toute une série de jeux auxquels
Devi participa volontiers. Ils riaient et se poursuivaient. Ils jouèrent
à cache-cache, à "coucou! qui est là?" et
tressèrent des colliers de fleurs pour garnir leurs cheveux. Le soir
arriva beaucoup trop vite à leur gré.
Conte n° 29 : Les trois soeurs et Itrimoubé Il y avait une fois un homme et une femme qui avaient trois
filles. La plus jeune, appelée Ifara, la plus était la plus
jolie. Une nuit, Ifara fit un rêve et le lendemain elle le raconta
à ses soeurs. Elles appelèrent Ifara et lui dirent de s'habiller pour sortir avec elles. La première personne qu'elles rencontrèrent fut une vieille femme.
- Oh ! bonhomme, quelle est la plus jolie de nous trois ?
: Où faut-il aller ? dit Ifara. - Là-bas, dirent ses soeurs en lui montrant champ d'Itrimoubé. Mais cueille seulement ceux viennent juste de pousser. Quand Ifara rapporta ses ignames, elle vit qu'ils
étaient beaucoup plus petits que ceux de ses soeurs. Elles se
moquèrent d'elle et lui dirent : " Va vite en chercher d'autres.
" - Oh ! non, non, dit la pauvre Ifara pleurant, laissez-moi plutôt être votre femme, et je vous servirai - bien. Les deux soeurs furent ravies voir le monstre emmener Ifara. Elles coururent à leur maison, racontèrent à leurs parents qu'Ifara avait volé les ignames d'Itrimoubé, et que celui l'avait mangée. Le père et la mère pleurèrent amèrement sur le sort de leur chère fille. Pendant ce temps, Itrimoubé engraissait Ifara; il la tenait enfermée dans la maison, cousue dans une natte, pendant qu'il allait chercher toutes sortes de choses pour lui donner à manger, et il commençait à penser qu'elle était bien dodue et qu'elle devait être bonne à rôtir. Un jour qu'Itrimoubé était sorti pour toute la journée, Ifara vit une petite souris qui lui dit : " Donne-moi un peu de riz blanc, Ifara, et je te dirai quelque chose. " Ifara lui donna un peu de riz blanc, et la petite souris lui dit » - Demain, Itrimoubé va te manger, mais je rongerai le fil qui tient la natte et tu pourras te sauver. Prends avec toi un oeuf, un balai, un bâton et un caillou bien roulé et poli, et mets-toi à courir du côté du sud. Quand la petite souris eut rongé le fil qui tenait la natte, Ifara prit un oeuf, un balai, un bâton et une pierre polie, et elle se sauva bien vite, après avoir mis à sa place un tronc de bananier et fermé la porte. Quand Itrimoubé rentra, apportant un grand pot et une sagaie pour tuer Ifara et la faire bouillir, il trouva la porte fermée. Il frappa et appela; personne ne répondit. - Bien, pensa-t-il. Ifara est devenue si grasse qu'elle ne
peut plus bouger ! - Comme Ifara est grasse, dit-il, ma sagaie s'enfonce toute
seule ! Il la retira et passa la langue dessus. Il se mit à galoper, et bientôt il atteignit Ifara. - Maintenant, je t'aurai ! cria-t-il. Ifara jeta à
terre son balai, criant : " Par ma mère et par mon père, que ce
balai devienne un fourré qu'Itrimoubé ne puisse pas traverser !
"Voilà le balai qui s'allonge, qui grossit, et qui devient un
énorme fourré ! Mais Itrimoubé enfonça sa queue
pointue dans fourré et se fit un chemin et il cria : - Maintenant, je
t'aurai, Ifara ! Alors Ifara jeta son bâton à terre, en criant : "
Par mon père et par ma mère, que ce bâton devienne une
forêt qu'Itrimoubé ne puisse pas traverser! "
- Je ne te tirerai pas en haut, si tu ne plantes d'abord ta
sagaie dans la terre ", dit Ifara. Itrimoubé planta sa sagaie dans la
terre, et la bonne Ifara commença à le tirer en haut avec une
corde. Mais, quand il fut près du bord, il cria : " En
vérité, en vérité, je t'aurai à
présent, Ifara !"
Il vint ensuite un milan, et elle lui chanta : " Mon beau
milan, mon beau milan La pauvre Ifara regrettait bien d'avoir été si bavarde, et elle pleurait amèrement, quand elle aperçut un joli pigeon bleu qui roucoulait : " reou, reou, reou " et elle lui chanta : "Joli pigeon, joli pigeon, " Je lisserai tes plumes bleues, " Si tu veux m'emporter avec toi " Vers le puits de mon père. " Reou! reou! reou! Viens, jeune fille, roucoule le pigeon bleu. J'aime à prendre pitié de ceux qui souffrent. Et il l'emporta vers le puits de son père et la posa sur un arbre, juste au-dessus de la source. Elle n'y était pas depuis longtemps quand leur petite esclave noire vint puiser de l'eau, et, en se penchant, elle vit comme dans in miroir le visage d'Ifara dans le puits, et elle crut voir sa propre figure. - Vraiment! pensa l'esclave, je suis bien trop jolie pour
porter cette vilaine cruche ! - Mon père et ma mère dépensent-ils leur argent à acheter des cruches pour que tu les casses ? - L'esclave regarda partout autour d'elle, mais ne vit personne et retourna à la maison. - Le lendemain matin, elle revint avec une autre cruche et, voyant la figure d'Ifara dans l'eau, elle cria : - Non, jamais plus je ne porterai de cruche; je suis bien trop jolie! et elle cassa encore sa cruche. - Mais Ifara chanta de nouveau : - Mon père et ma mère dépensent-ils leur argent acheter des cruches pour que tu les casses ? L'esclave regarda de tous les côtés, et, ne voyant personne, elle courut à la maison, et raconta qu'il avait dans le puits quelqu'un qui parlait avec la voix d'Ifara. Le père et la mère se mirent à courir, et quand Ifara les vit elle descendit de l'arbre, et ils pleurèrent de joie de se retrouver. Les parents d'Ifara furent s fâchés contre leurs deux aînées qu'ils les chassèrent de la maison et vécurent heureux avec Ifara. - Conte n°30 : L'histoire de Raboutity Un jour, Raboutity grimpa sur un arbre, mais comme la branche
était pourrie, il tomba et se cassa la jambe. Assis par terre, et tenant
sa jambe cassée entre les mains, il dit : - C'est vrai, je suis fort, dit l'arbre, mais le vent me plie
et me casse. - C'est vrai, je suis fort, dit le vent; mais le mur se dresse
et je ne peux plus passer. - C'est vrai, je suis fort, dit le mur; mais le rat ronge le
mortier et fait un trou. - C'est vrai, je suis fort, dit le rat; mais le chat me
mange. - C'est vrai, je suis fort, dit le chat; mais la corde
m'étrangle. - C'est vrai, je suis forte, dit la corde; mais le couteau me
coupe. - C'est vrai, je suis fort, dit le couteau; mais le feu me
brûle. - C'est vrai, je suis fort, dit le feu, mais l'eau
m'éteint. - C'est vrai, je suis forte, dit l'eau ; mais le bateau
flotte sur moi. - C'est vrai, je suis fort, dit le bateau, mais si je donne
contre un rocher, il me brise. - C'est vrai, je suis fort, dit le rocher, mais le crabe me
perce. - C'est vrai, je suis fort, dit le crabe, mais l'homme
m'attrape et m'arrache les pattes. - C'est vrai, je suis fort, dit l'homme, mais Zanahary, le
dieu malgache, me fait mourir. |
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