UNIVERSITÉ FRANÇOIS RABELAIS UFR DE
MÉDECINE - TOURS & AFRATAPEM Association Française
de Recherche & Applications des Techniques Artistiques en
Pédagogie et Médecine
EXPÉRIENCE D'ART-THÉRAPIE AUX
DOMINANTES ÉCRITURE ET ARTS PLASTIQUES AUPRÈS DE
LA PERSONNE ÂGÉE DÉPENDANTE SOUFFRANT D'EXCLUSION
SOCIALE.
Mémoire de fin d'études du Diplôme
Universitaire d'Art-thérapie
De la Faculté de Médecine de
Tours présenté par NOËL
Marie Année 2010
UNIVERSITÉ FRANÇOIS RABELAIS UFR DE
MÉDECINE - TOURS & AFRATAPEM Association Française
de Recherche & Applications des Techniques Artistiques en
Pédagogie et Médecine
EXPÉRIENCE D'ART-THÉRAPIE AUX
DOMINANTES ÉCRITURE ET ARTS PLASTIQUES AUPRÈS DE
LA PERSONNE ÂGÉE DÉPENDANTE SOUFFRANT D'EXCLUSION
SOCIALE.
Mémoire de fin d'études du Diplôme
Universitaire d'Art-thérapie
De la Faculté de Médecine de
Tours présenté par NOËL
Marie Année 2010
REMERCIEMENTS Ce travail n'aurait
guère été rendu possible sans l'intervention des personnes
suivantes, à quij'adresse de sincères remerciements
:
- les résidents de l'Hôpital de l'Ermitage, pour
leur gentillesse et leur enthousiasme vis-à-vis de ce travail,
- Mme Almeras-Pillard Carine, directrice de mémoire et
animatrice dans la structure, pour sa disponibilité, sa bienveillance et
ses conseils,
- Mme Mareuil Catherine, directrice de stage et cadre de
santé de l'unité de soins de
longue durée au 1er étage de l'hôpital pour
sa disponibilité et sa bienveillance,
- le personnel de la structure, pour leur accueil chaleureux et
leur participation active
dans ce projet,
- ma famille et mes proches pour leur soutien.
PLAN
Remerciements p.1
Plan p.2
Glossaire p.5
Introduction p.7
I ) L'utilisation de techniques artistiques peut
permettre à la personne âgée souffrant d'exclusion
sociale de revigorer l'envie de s'investir dans une
collectivité. p.8
A) La personne âgée peut se retrouver en
situation d'exclusion sociale pour de nombreuses raisons, notamment à
cause des pathologies. p.8
1) Définir le vieillissement implique divers
critères biologiques et socioculturels. p.8
2) L'insertion sociale de la personne âgée
représente une valeur essentielle au regard de sa qualité de vie.
p.9
3) L'exclusion sociale entraîne toutes sortes de
pénalités, dont la gravité peut être alarmante.
p.10
4) Les conditions socio-spatiales et sanitaires de la personne
âgée constituent un premier facteur de risque d'exclusion sociale
important. p.10
5) Plusieurs mesures existent dans le but de
réinsérer les personnes socialement exclues. p.11
B) Impliquer l'art dans la médecine n'a rien d'un
phénomène nouveau, toutefois l'approche véhiculée
par l'art-thérapie apporte une originalité et une
complémentarité dans le programme de soins du patient.
p.12
1) L'art intimide par ses aspects complexes et élitistes
de sa définition, ressentis comme tels par l'opinion publique. p.12
2) Une approche épistémologique de l'art est
nécessaire pour comprendre ses fondements et les évolutions
philosophiques qui l'ont transformé et affiné au cours des
siècles. p.13
3) Le lien entre l'art et la médecine n'a rien d'un
phénomène nouveau pour de nombreuses cultures, et la France, par
le biais de l'école d'art-thérapie de Tours, adopte une
perspective empirique de ce lien. p.16
4) La présentation du projet art-thérapeutique au
sein de l'Hôpital de l'Ermitage a été accueillie
favorablement par les responsables de l'établissement. ...... p.18
II ) Le projet art-thérapeutique a pu se mettre
en place avec deux patientes souffrant d'exclusion, révélant des
expériences et des résultats bien distincts.
p.20
A) Mme A., 83 ans, atteinte de la maladie d'Alzheimer a
été indiquée vis-à-vis d'un retrait
relationnel doublé d'un comportement dépressif. p.20
1) Il est nécessaire d'expliquer avant tout la pathologie
dont est atteinte Mme A. pour mieux comprendre son état physique et
psychique au regard de l'expérience art-thérapeutique.
p.20
2) Mme A est à un stade modérément
avancé de la maladie, et reste à l'écart de la
collectivité car elle n'en voit plus l'intérêt. p.21
3) La prise en charge s'est déroulée sur 6
séances. p.22
4) L'objectif thérapeutique n'aurait jamais pu être
atteint si rapidement sans le concours du personnel de l'établissement.
p.29
B) Mme B., 84 ans, atteinte de troubles neurologiques
modérés a été indiquée vis-à-vis d'un
retrait relationnel dû à une défaillance des repères
spatio-temporels. p.29
1) Il est nécessaire d'expliquer avant tout la situation
problématique et les troubles dont est atteinte Mme A. pour mieux
comprendre son état physique et psychique au regard de
l'expérience art-thérapeutique. p.29
2) Mme B est convaincue, lors des présentations, qu'elle
va rentrer chez elle, soulignant l'inutilité d'une prise en charge.
p.31
3) La prise en charge s'est déroulée sur 5
séances. p.32
4) Mme B est aujourd'hui une résidente très connue
des activités collectives de l'hôpital. p.37
C) L'analyse des résultats met en évidence les
points communs et les particularités de chaque patiente au regard de la
prise en charge art-thérapeutique. p.38
1) Il est nécessaire d'établir un rappel des deux
expériences art-thérapeutiques dans un souci de simplification
nécessaire à une compréhension optimale de l'analyse de
ces expériences. p.38
2) Les observations ont été notées et
cotées selon une méthode bien précise. p.39
3) Les tableaux et graphiques constituent d'excellents moyens de
communication de résultats envers les autres membres de l'équipe.
p.40
III ) Les résultats de ces
expériences soulèvent plusieurs limites et interrogations quant
à la méthodologie, la population, mais soulèvent aussi de
nouvelles pistes de réflexion vis-à-vis de
l'art-thérapie. p.45
A ) La méthodologie nécessite d'être
abordée avec davantage de profondeur et de précision afin de
maximiser sa pertinence. p.45
1) Plusieurs explications sont à fournir vis-à-vis
de la « courte » durée des prises en charges
réalisées. p.45
2) Le choix volontaire de ne pas consulter le dossier personnel
des patients met en évidence des limites qualitatives sur la prise en
charge, mais préserve entre autres la sincérité de la
relation entre le patient et l'art-thérapeute p.47
3) La grille d'observation établie pendant le stage
nécessite des corrections de différents ordres, en vue d'un usage
ultérieur plus pertinent. p.48
B ) Certaines questions traitant de la population choisie
sont amenées à être posées vis-à-vis de ce
travail, mais aussi en comparaison avec d'autres travaux de recherche en
art-thérapie. p.51
1) Évoquer l'exclusion de la personne âgée
dépendante alors qu'elle vit en institution peut sembler ambigu à
comprendre et pose un certain degré d'impertinence sur la
réalité des faits. p.51
2) Les différents intergénérationnels au
regard de l'art peut amener la personne à refuser la prise en charge
art-thérapeutique. p.53
3) L'écriture et les arts-plastiques ne sont
peut-être pas les techniques artistiques les plus adaptées aux
pathologies de la personne âgée dépendante vivant en
institution. p.53
C ) Le bilan de ces expériences a, et continue de
révéler à l'art-thérapeute de
nouveaux questionnements sur ses champs d'action, mais aussi sur
l'art-thérapie, ses principes et ses outils. p.56
1) Le métier d'art-thérapeute est difficile
à reconnaître par l'équipe de soins, dans la structure
hospitalière. p.56
2) Le bagage de l'apprenti art-thérapeute pourrait
comprendre de nouveaux impératifs pour prétendre à suivre
la formation. p.57
3) Le schéma de la sphère opératoire
pourrait être présenté comme un préambule à
l'assimilation du schéma de l'opération artistique. p.58
Conclusion p.62
Bibliographie p.63
Annexe p.65
GLOSSAIRE
(p.8) Sénescence : Vieillissement de
l'organisme.
(p.8) Autonomie : Ensemble des habiletés
permettant à une personne de se gouverner par ses propres moyens, de
s'administrer et de subvenir à ses besoins personnels.
(p.9) Norme : 1. Type concret ou formule abstraite de ce
qui doit être. 2. État habituel, conforme à la
majorité des cas.
(p.10) Exclusion : Situation de personnes mises à
l'écart, qui ne bénéficient pas des avantages minimaux
attachés à un type de société.
(p.10) Sociologie : Étude scientifique des faits
sociaux humains. Est aussi l'étude des sociétés.
(p.10) Géographie : Science qui a pour objet la
description de l'aspect actuel du globe terrestre, au point de vue naturel et
humain.
(p.11) Dépendance : Situation d'une personne
qui, en raison d'un déficit anatomique ou d'un trouble physiologique,
psychologique ou affectif ne peut remplir des fonctions ni effectuer des gestes
essentiels à la vie quotidienne sans le concours d'autres personnes ou
le recours à une prothèse, un remède, etc.
(p.13) Ressenti : Sensation physique
éprouvée.
(p.13) Émotion : État affectif
prononcé, pouvant s'accompagner de troubles divers (pâleur,
tremblements, etc.)
(p.13) Contemplation : Fait de s'absorber dans
l'observation attentive de quelqu'un ou quelque chose.
(p.13) Création : Action de faire, réaliser
quelque chose qui n'existait pas encore. (p.13) OEuvre : Création
intellectuelle, littéraire, artistique.
(p.13) Épistémologie : Théorie de la
connaissance et de sa validité.
(p.13) Idée : Au sens platonicien, une idée
est une chose qui existe par et pour elle-même.
(p.13) Spirituelle : Qui est de l'ordre de l'esprit.
(p.14) Les Lumières : période historique
des pays européens où la culture, la science et les intellectuels
placent l'être humain au centre de leur attention, dans une perspective
d'amélioration de sa condition.
(p.16) Surnaturel : 1. D'origine divine.
2. Qui ne s'explique par par les lois naturelles.
(p.17) Mieux-être : État plus heureux,
amélioration du bien-être (cf. « bien-être »
ci-dessous).
Bien-être : Sensation agréable
procurée par la satisfaction de besoins physiques ou de l'absence de
soucis.
(p.20) Démence : Déchéance
irréversible des activités psychiques, mentales. (p.20)
Anosognosique : Se dit d'un individu qui n'a pas conscience de sa
maladie.
(p.20) Aidant : Individu qui accompagne le malade au
quotidien. Ce n'est pas une personne qui prodigue des soins médicaux.
(p.27) Transfert d'images : Technique consistant
à déplacer une image contenue sur un support vers un autre
support en la frottant. La chaleur générée par le
frottement décolle l'image pour la plaquer sur le support
souhaité. Toutefois, répéter l'opération sur une
image déjà transférée n'est pas possible et
endommagerait l'image.
(p.39) Item : Plus petite unité observable.
(p.45) Bien-fondé : Conformité à la
raison.
(p.46) État d'esprit : Ensemble présent des
dispositions, des façons d'agir habituelles. (p.52)
Appétence : Tendance portant quelqu'un vers ce qui satisfait ses
penchants, ses besoins. (p.60) Stimulus : Cause capable de provoquer la
réaction d'un organisme vivant (p.60) Affective : Relative aux
affects, aux sentiments.
INTRODUCTION
Ce travail va tenter de soulever la réalité des
conditions de vie des personnes âgées et de ce qui peut amener
à leur exclusion sociale. A travers plusieurs angles d'approche, nous
pourrons comprendre les problèmes auxquelles elles sont
confrontées, et les mesures qui existent actuellement pour y
remédier. Mais lorsque la perte d'autonomie est trop forte, le placement
de la personne âgée dans une institution peut s'avérer
être le seul recours possible. Mais comment la personne concernée
vit-elle ce bouleversement ? Comment peut-elle se retrouver exclue dans un
établissement où circule tout un monde au quotidien ? Comment
l'art-thérapie pourra-t-elle intervenir pour donner à la personne
âgée l'envie de se réinvestir dans un groupe ?
J'ai voulu faire ce stage pratique avec cette population, car
elle me passionne depuis plusieurs années. Les personnes
âgées sont envahies d'idées reçues par la
société, et sont souvent considérées comme des
personnes qui ne sont plus capables de suivre le rythme effréné
qu'a adopté la France depuis un moment. Par conséquent, elles
sont délaissées, mettant leur dignité et leur
identité en péril, alors qu'elles ont tant à nous
apprendre. Des mesures sont appliquées pour améliorer leur
qualité de vie, et bien qu'on puisse saluer ces initiatives, celles-ci
sont encore loin d'être suffisantes. Il faut alors que chacun y mette du
sien pour illuminer le quotidien de ces personnes qui souffrent d'avoir perdu
le goût d'une vie autonome et pleine d'aventures. Et
l'art-thérapie me semble être un moyen original pour y
parvenir.
Je dédie cet humble mémoire de recherche
à toutes les personnes âgées qui se battent pour profiter
au mieux de leur quotidien, qu'elles soient ou non encore à leur
domicile, ainsi qu'aux aidants qui investissent énormément
d'énergie dans la préservation d'une bonne qualité de vie
de leur proche ; aux aides-soignants et aux infirmiers qui font leur maximum et
dans des conditions souvent exténuantes et peu gratifiantes, et à
tous ceux qui pensent « qu'il n'y a plus rien à faire » quand
la vie arrive doucement à son terme.
I ) L'utilisation de techniques artistiques peut
permettre à la personne âgée souffrant d'exclusion sociale
de revigorer l'envie de s'investir dans une collectivité.
A) La personne âgée peut se retrouver en
situation d'exclusion sociale pour de nombreuses raisons, notamment à
cause des pathologies.
1) Définir la personne âgée implique
divers critères biologiques et socioculturels.
Si l'on souhaite parler de la personne âgée, il
est primordial de définir ce que l'on entend précisément
par le mot << âgée ». Nous allons vite comprendre que
cette tâche n'est pas si simple, car la personne âgée est
reconnue selon des critères définis par l'environnement
socioculturel dans lequel elle réside. Ces critères comportent
entre autres l'âge de la personne, son statut socioprofessionnel, son
état de santé... Sans compter que ce terme est parfois
remplacé par d'autres, comme << gens du troisième âge
», ou encore << séniors », employés plus
volontiers car véhiculant des idées moins péjoratives que
l'usage populaire tend à donner à la première notion ;
nous expliquerons cela en détail un peu plus tard dans ce chapitre.
Pour définir la personne âgée de
façon globale, nous utiliserons les références
établies par l'Organisation Mondiale de la Santé. Celle-ci classe
la personne âgée en deux catégories établies selon
des tranches d'âge différentes : le troisième âge,
qui concerne la personne de 60 ans et plus, c'est l'âge de la retraite,
la période où la personne a le temps de se consacrer aux projets
qui ne pouvaient se réaliser du temps où elle travaillait, c'est
aussi le début de la sénescence* ; et le quatrième
âge, correspondant aux personnes de 80 ans et plus, l'âge où
la présence de troubles physiques et mentaux ainsi que des maladies
spécifiques peuvent provoquer une perte de l'autonomie* de ces
personnes.
En France, il n'existe pas, au niveau légal,
d'âge particulier qui considère une personne âgée en
tant que telle. La médecine et les sciences humaines s'accordent avec
les repères de l'O.M.S., cependant on parlera davantage de personne
<< vieillissante » que de personne âgée. Nous nous
penchons alors sur la définition du vieillissement, qui se voit
être une notion clé pour cette catégorie de personnes, mais
dans laquelle il faut distinguer deux concepts, présentés par
Amédée Thévenet dans Le quatrième
âge : d'une part << le vieillissement de l'individu,
phénomène continu et irréversible qui est propre à
chacun », et d'autre part << le vieillissement de la
société, phénomène fluctuant,
non-réversible, qui se manifeste au rythme des générations
». À propos du premier concept, cela nous renvoie aux phases du
développement normal de l'être vivant, qui croît,
mûrit, puis décline ; c'est un schéma d'évolution
auquel nous sommes tous confrontés, bien que cette évolution soit
différente dans le rythme. C'est pour cela que déterminer le
statut d'une personne selon son âge peut s'avérer ambigu et
gênant. Pour le deuxième concept, nous allons nous pencher sur
l'évolution démographique de la France depuis le début du
siècle dernier. C'est depuis cette époque que le pays compte de
plus en plus de personnes âgées par rapport à la population
totale.
Nous savons que le XXème siècle fut une
période très importante dans le progrès de la
médecine (découverte de la pénicilline, des antibiotiques,
sophistication des techniques chirurgicales, hémodialyse...) rallongeant
ainsi de plusieurs années l'espérance de vie des habitants,
hommes comme femmes. Cependant, Paul Paillat démontre que ce
vieillissement démographique n'est pas limité qu'à ce
progrès, et qu'il faut prendre en compte l'amélioration
Les mots marqués d'une astérisque * sont
définis dans le glossaire aux pages 6 et 7.
du niveau de vie, et la baisse de la mortalité
infantile (cf. annexe n°1). S'il y a davantage de personnes
âgées aujourd'hui, c'est notamment parce que les jeunes
générations se sont considérablement élargies (fin
de la Seconde Guerre mondiale : génération Baby-Boom).
Comment cette population vieillissante trouve-t-elle sa place
dans la société ?
2) L'insertion sociale de la personne âgée
représente une valeur essentielle au regard de sa qualité de
vie.
Bien qu'il soit évident, et surtout dans notre
société, que l'insertion sociale soit une priorité pour
chaque individu, dès sa naissance, la société doit
s'organiser et s'adapter sur différents plans (social,
économique, environnemental...) pour maintenir toute la population dans
le système. Mais qu'entend-on par insertion sociale ?
L'insertion sociale, c'est l'action ou l'ensemble des actions
qui ont pour but d'amener une personne marginale ou isolée vers un
état où les échanges avec son environnement social sont
satisfaisants. Elle désigne aussi le résultat de ces actions.
L'insertion sociale nécessite l'appropriation des valeurs, des
règles et des normes* du système au sein duquel a lieu
l'insertion. Elle revêt plusieurs dimensions : familiale, scolaire,
professionnelle, économique, culturelle, habitat, etc.
En référence à ce qui a été
défini précédemment, nous allons nous baser sur le
principe que la personne âgée est une personne aujourd'hui
à la retraite. Elle a donc du temps à sa disposition, et c'est
souvent l'occasion de s'atteler à la concrétisation de projets
jusqu'alors laissés de côté à cause du temps de
travail. Chaque personne s'affaire à sa manière, toutefois on
retrouvera souvent dans ces projets des voyages, des créations ou
participations à des clubs et des associations diverses, du temps pour
soi et sa famille (notamment en ce qui concerne les petits-enfants, voire
arrière-petits-enfants).
La sortie du cycle professionnel induit une trajectoire
marginale, et peut être vécue de deux façons
différentes : Premièrement, la perte de sa place au sein du
collectif d'entreprise est ressentie comme un manque, une perte partielle de
son identité, et c'est la recherche du comblement de ce manque
identitaire qui va amener la personne à s'investir dans des associations
(communauté de quartier, club de troisième âge,
activités sportives, associations humanitaires, etc.).
Deuxièmement, la vie professionnelle de la personne était pauvre,
et elle profite désormais de ce temps libre pour s'investir. Dans les
deux cas de figure, l'attachement à des valeurs et à des groupes
reste très présent. Le cas qui illustre assez bien cela est le
bénévolat, qui correspond davantage aux valeurs
idéologiques de la personne bénévole, tout en étant
utile aux autres.
La disponibilité du retraité envers sa famille
est également susceptible de lui allouer une place et des fonctions
importantes au sein du groupe. Il est notamment le lien qui maintient en
relation les descendants de différentes générations et
dont la parenté est plus ou moins éloignée. Il est
également, bien souvent dans la culture française, celui qui
conserve le patrimoine familial (mobilier, albums photos, objets d'enfance,
archives, etc.). Les grandsparents jouent en général un
rôle important dans l'éducation de leurs petits-enfants, dans la
transmission de leur expérience de vie, de leur histoire ; et permettent
aussi aux parents d'avoir des personnes de confiance dans leur rôle
éducatif.
Mais la réalité est-elle toujours si positive ?
La société a-t-elle les moyens de rendre ces investissements,
cette intégration possibles pour toutes les personnes âgées
? Et si ce n'était pas le cas, quelles problématiques en
découleraient ? Penchons-nous d'abord sur les
généralités de l'exclusion.
3) L'exclusion entraîne toutes sortes de
pénalités, dont la gravité peut être alarmante.
Beaucoup d'études traitant de l'exclusion* concernent
des populations en précarité économique et sociale,
notamment les chômeurs, les sans-domiciles fixes, des minorités
ethniques, où l'on peut décerner plus explicitement les
conséquences que leur situation peut entraîner, ce qui est moins
évident quand on parle des personnes âgées car le spectre
de population est beaucoup plus large (et peut englober les catégories
précédentes).
Pourquoi et comment se retrouve-t-on exclu ? L'exclusion d'un
individu a lieu lorsque celui-ci est amené à quitter son groupe
d'appartenance (famille, collègues, communauté religieuse, etc.).
Cela peut être fait de son propre chef, mais aussi de la part des autres
membres du groupe. Elle amène bien souvent une fragilité
psychologique de la personne, car ne plus appartenir à un groupe, c'est
aussi ne plus être reconnu dans les normes et les valeurs que les membres
du groupe entretiennent ensemble ; c'est, d'une certaine façon, perdre
une part de son identité, ce qui rend la personne plus vulnérable
vis-à-vis de l'environnement qui l'entoure (cf. les 14 besoins
fondamentaux de l'être humain, de Henderson).
Dans notre société, nous appartenons à
des dizaines de groupe distincts, que nous en soyons ou non conscients, et cela
forme, consolide ou modifie notre personnalité. Mais lorsque nous venons
à quitter l'un de ces groupes, un « mal-être » en
ressort souvent. Nous pouvons illustrer cette idée avec plusieurs
situations différentes : Le cas d'un divorce ou d'un décès
; il s'agit là d'une rupture du groupe conjugal, et cela entraîne
donc la perte d'identification du couple en tant que tel, du statut marital, du
foyer familial, entre autres, et cela est difficile à vivre pour les
enfants, qui subissent cet éclatement malgré leur attachement
naturel à ce groupe. C'est aussi le cas lors du licenciement
économique d'un salarié, se retrouvant sans emploi, sans le cadre
de travail et ses collègues qu'il côtoyait au quotidien. Ce sont
des bouleversements de la vie et de son rythme qui sont plus ou moins faciles
à accepter, et à dépasser. Tout le problème
réside justement dans la fragilité que l'exclusion provoque chez
la personne concernée. Si certains s'en sortent bien, d'autres seront en
proie à de plus grandes difficultés, qu'elles soient sociales,
économiques, physiques ou psychiques. Certains pour qui la situation
devient insupportable en arrivent à sombrer dans l'alcoolisme, la
délinquance, la toxicomanie, la pharmacodépendance, la
dépression et la maladie.
Si l'on revient aux personnes âgées, qui ont par
définition quitté la vie active, catégorie
privilégiée par le régime libéral entretenu depuis
plusieurs années en France, quels sont les risques d'exclusion à
mettre en évidence ? Comment leur situation si particulière
est-elle gérée par la société, et quelle
organisation vont-ils désormais donner à leur quotidien ?
4) Les conditions socio-spatiales et sanitaires de la
personne âgée constituent des facteurs de risque d'exclusion
importants.
Sur le territoire, la répartition des populations
âgées est organisée de façon
hétérogène (cf. annexe n°2) ; mais cela est
sociologiquement* et géographiquement* justifiable. On s'aperçoit
que les départements comprenant les taux de personnes âgées
les plus importants sont géographiquement des zones montagnardes,
littorales, et fortement rurales. La représentativité de cette
population est au plus grand dans les petites villes, et au plus bas
dans les milieux fortement urbanisés. Pourquoi ? Depuis
plusieurs décennies, la société s'intéresse avant
tout aux citoyens actifs - nous entendons par ce terme << ayant un emploi
» - car ils représentent le moteur dynamique de l'économie
du pays. Ce dernier adoptant une politique d'urbanisation toujours plus
élargie, l'exode rural des jeunes générations prend de
plus en plus de poids, et délaisse les campagnes au profit des grandes
villes. Sur le plan économique on établira le constat suivant :
moins d'actifs dans les campagnes donc moins de revenus, et même si les
personnes âgées sont nombreuses, les revenus des retraites sont
moins importants, et cette réduction entraîne une quantité
et une qualité des services de ces communes relativement amoindries (par
exemple la fermeture de certaines écoles, des petits bureaux de poste,
petits commerces...). Comment se fait-il que cette politique de centralisation
ne fasse pas bon ménage avec les personnes âgées ?
N'oublions pas que ce public n'a pas les mêmes besoins
que les générations plus jeunes, notamment en termes de
santé. Une personne de 65 ans ou plus nécessite aujourd'hui deux
fois plus de soins médicaux qu'un Français moyen, et davantage
après 80 ans. Le vieillissement contribue naturellement à une
détérioration des tissus vivants, le corps s'en trouve ainsi,
dès les environs de l'âge de la retraite en général,
fragilisé, usé, parfois invalide par rapport à son
environnement. Nous revenons au fait que nous avons énoncé au
départ le mauvais ressenti qui se dégageait du terme de personne
âgée ; c'est parce qu'elle est bien (trop) souvent attachée
à cette idée anxiogène de perdre sa propre autonomie, de
tomber malade, de faire une chute grave, de devoir être assisté
dans les gestes du quotidiens que l'on arrivait autrefois à accomplir
seul et sans mal. << On n'a plus l'âge de se débrouiller
seul », et cela est dur à accepter pour la personne se trouvant
dans cette situation.
Bien sûr, des moyens existent pour parer à la
dépendance* des personnes âgées, et nous y reviendrons,
mais si l'on reste toujours sur l'axe d'analyse socio-spatial de ce
phénomène, il est évident que la population
âgée tend à se retrouver exclue du système, de part
son isolement géographique. Les structures médicales se
centralisent, elles aussi, depuis plusieurs années, et bien que la loi
stipule que l'accès aux soins soit égal pour tous, cela ne peut
être satisfait de cette manière. Aujourd'hui, ces personnes sont
parfois obligées de parcourir plus de 50 km pour consulter un
ophtalmologiste, ce qui pose évidemment des soucis. Mais le
problème se généralise pour l'ensemble des services,
allant des courses alimentaires jusqu'à l'achat d'un carnet de timbres.
De plus, comme de moins en moins de jeunes restent dans les milieux ruraux,
l'espace des relations des personnes âgées s'en retrouve
réduit. Cela amène implicitement à les exclure de la
société dite << active ». Nous faisons donc face
à une processus d'exclusion triangulaire : une exclusion
économique, une exclusion sanitaire, et une exclusion sociale.
5) Plusieurs mesures existent dans le but de prévenir
l'exclusion des personnes âgées.
En regardant le phénomène dans l'angle
communautaire, la vie dans les villages ou les petites bourgades n'est pas
triste. La présence de nombreux comités de quartiers et
d'associations de retraités oeuvrent justement dans ces milieux, tissent
et renforcent les liens sociaux entre les différents habitants. La
solidarité entre les membres (même des voisins) est primordiale et
permet aux personnes de se sentir appartenir à un groupe partageant des
valeurs communes et garder une qualité de vie satisfaisante sur le plan
relationnel.
Il ne faut également pas négliger l'application
de nombreuses mesures récentes concernant le projet de maintien au
domicile des personnes âgées. Cela implique la venue de soignants
spécialisés (infirmiers par exemple), ainsi que des aides
ménagères au domicile de
la personne bénéficiaire dans l'objectif de
préserver ses capacités cognitives et motrices pour les
tâches du quotidien (alimentation, ménage, toilette,
habillage,etc.). Même les personnes âgées les plus
démunies sur le plan financier, à travers l'aide sociale, peuvent
profiter de ces services, de plus en plus répandus. Quand on constate
que les mentalités françaises actuelles sur le plan familial
n'encouragent plus la cohabitation de la famille sur différentes
générations, ces alternatives sont d'un grand secours pour
prévenir la dépendance et la solitude des personnes
âgées en difficulté.
Toutefois, lorsque le maintien à domicile n'est pas ou
plus possible, la personne peut être « placée » dans
différentes structures, selon son degré de dépendance, ses
ressources financières et ses préférences. Parmi ces
structures nous comptons les résidences et foyerslogements
spécialisés, les unités d'accueil de jour, les
unités de moyen séjour et de long séjour, les
établissements d'hébergement pour personnes âgées
dépendantes (E.H.P.A.D.), ou encore les hôpitaux psychiatriques
(pour ceux qui présentent des pathologies nécessitant ce type
d'hospitalisation), mais de nombreux autres types de structure existent.
Cependant, il faut savoir qu'une très faible minorité de
personnes âgées de 60 ans et + sont placées en institution
(6 %, les autres sont à domicile ou dans le milieu familial), mais
après 90 ans, elles sont 25% à vivre en institution. Que ce soit
dans le milieu urbain ou rural, la société développe des
mesures d'aménagement du territoire et d'aide économique pour
fournir une qualité de vie la plus digne possible aux personnes
âgées. Dans le cadre du plan de lutte contre l'exclusion, le
budget dépensé pour ces aménagements atteint les 100
milliards d'euros par an (mais ce plan profite, en plus des personnes
âgées, aux personnes handicapées et aux pauvres). Depuis
plusieurs années également, l'État et les Caisses
Régionales débloquent des fonds pour construire des structures
adaptées aux personnes atteintes de pathologies
dégénératives de type Alzheimer.
Des prestations d'intervenants multiples ont lieu de plus en
plus fréquemment dans les structures d'accueil et d'hébergement :
des animateurs, des socio-esthéticiennes, des musicothérapeutes,
des art-thérapeutes... afin d'aider à améliorer la
qualité de vie de la personne. Mais que peuvent faire des
art-thérapeutes dans ces structures et avec un public comme celuici ?
Comment l'art peut-il trouver une place originale et efficace dans un milieu de
soins ? Nous allons voir dans la partie suivante que l'art est une notion qui a
fasciné les grands penseurs de l'Histoire, que la médecine a
également côtoyée à travers les cultures et les
époques, et que la recherche scientifique et philosophique contemporaine
nous a amenés à penser l'art dans une visée humanitaire et
thérapeutique.
B) Impliquer l'art dans la médecine n'a rien
d'un phénomène nouveau, toutefois l'approche
véhiculée par l'art-thérapie apporte une
originalité et une complémentarité dans le programme de
soins du patient.
1) L'art intimide par les aspects complexes et
élitistes de sa définition, ressentis comme tels par l'opinion
publique.
Parler d'art aujourd'hui, alors que son existence et sa
pratique ne s'est jamais autant « démocratisée » dans
les civilisations industrialisées, continue de susciter le
mystère et une certaine froideur à l'égard de la
population française. Même si l'on sait « vaguement »
à quoi l'on fait référence, il reste néanmoins ardu
pour une personne non-initiée de définir clairement et simplement
ce qu'est l'art. Et cela est tout à fait compréhensible, quand on
sait que l'art, depuis son sens premier délivré dans
l'Antiquité, n'a cessé d'être discuté,
retravaillé, affiné, et contredit jusqu'à notre
époque. Actuellement, on pourrait la définir comme « un
moyen nonconventionnel d'expression ». À travers les productions
artistiques (peintures, sculptures,
musiques...), les artistes expriment leur
représentation du monde face au monde lui-même, suscitant des
ressentis*, des émotions*, parfois des réflexions de la part des
spectateurs. L'art est fondamentalement lié à l'être
humain, mais tout être humain n'est pas nécessairement lié
à l'art. Nous avançons ici l'idée de sensibilité
artistique, cette capacité de contemplation* et de création* si
particulière qui se manifeste (ou non) à différents
degrés chez les individus. C'est ce qui va démarquer des autres
les bons critiques d'art, les grands peintres, écrivains,
comédiens, même le plus humble des amateurs d'art. C'est aussi sur
ce point que se pose une attitude distante, tantôt idolâtrique,
tantôt discriminatoire du peuple envers les artistes. Ces artistes sont
vus en quelque sorte comme des << élus », des individus
hors-norme, géniaux, capables d'exprimer, mais aussi de communiquer des
choses d'une façon originale (techniques utilisées et forme de
l'oeuvre*) et profonde (le sens, le fond de l'oeuvre) au monde
extérieur. Pour illustrer cette idée de statut
privilégié de l'artiste, nous avions eu l'occasion, au cours
d'une exposition d'oeuvres abstraites d'un célèbre artiste
chinois, dans un prieuré de Tours, de discuter de ce statut avec une
dame d'une cinquantaine d'années, grande férue de ce genre
d'événements. Selon cette personne, << l'artiste est un
être pourvu d'une grande spiritualité, et qui ne se mélange
pas avec la masse commune. Ces pauvres gens ne pourraient pas le
comprendre ». Outre le caractère sensiblement << snob
» de son discours, on peut aisément constater que la distance se
maintient aussi bien du côté des esthètes que des gens pour
qui l'art ne signifie rien ou pas grand chose ; et cela est fort dommage. De
plus, les ouvrages intellectuels qui traitent de l'art, de son histoire et de
ses réflexions sont d'une considérable complexité et
rebuteront la plupart des personnes qui ne sont pas initiées dans ce
domaine.
Si nous venons ici de présenter un aperçu
synthétique de ce qu'est l'art aujourd'hui dans son sens le plus large,
nous allons opter maintenant une approche épistémologique* de
l'art, afin d'en tirer son histoire et ses subtilités,
nécessaires à la compréhension des modalités qui
font que l'art puisse s'imbriquer dans le processus thérapeutique.
2) Une approche épistémologique de l'art est
nécessaire pour comprendre ses fondements et les évolutions
philosophiques qui l'ont transformé et affiné au cours des
siècles.
Le mot art est issu du latin ars, signifiant
technique, et est employé, dans l'Antiquité, pour désigner
le savoir-faire d'un métier, qui n'était pas
nécessairement lié à une activité artistique (par
exemple l'orateur, le médecin). La notion d'artiste n'avait pas,
à cette époque, le sens que nous lui donnons aujourd'hui ; ici on
parlera davantage d'artisan, l'individu qui maîtrise un savoir-faire.
L'art est très présent chez les Grecs, tant sur le plan sensible
(monuments, statues, peintures...) que sur le plan intelligible (le monde des
Idées*, la philosophie).
Platon s'est penché sur cette notion, à laquelle
il allie celle de beauté, qui n'est autre que le vecteur et la
finalité de l'art. Rappelons-nous dans le contexte de l'époque,
que la nature, fruit de l'oeuvre des dieux, êtres parfaits, ne peut
qu'être belle puisque ses créateurs sont bons. Les Hommes,
créés par des demi-dieux, sont quand à eux imparfaits, et
ont donc une aspiration naturelle et spirituelle* à promouvoir la
beauté, et à << faire du beau ». Mais Platon souligne
la difficulté, notamment dans la discussion entre Socrate et Hippias, de
définir ce qu'est le beau et de le distinguer de ce qui est beau. Ce qui
est beau, pour Platon, se révèle être ce qui appartient au
plaisir des sens, aux passions (par exemple la vue d'une jeune femme, des
temples), tandis que le beau lui-même, bien qu'engendrant un plaisir
sensoriel chez l'individu, trouverait son essence dans le monde intelligible,
au-delà de l'homme, dans le divin, à travers l'acte de
contemplation.
Les artistes sont alors des hommes pourvus d'une certaine
spiritualité qui les entraîne dans la recherche de la
beauté ; et pour mettre cette recherche en pratique, ils imiteront la
nature. C'est pourquoi les oeuvres d'art de cette époque, notamment en
ce qui concerne les statues, sont dotées d'une idéalisation des
formes très prononcée. Cependant, Platon dénonce le
travail des artistes, plus précisément le fait d'imiter, de
copier les phénomènes (la mimêsis). Quel que soit le
modèle utilisé, et le réalisme, la copie ne sera jamais
considérée dans son essence comme une vérité ; par
exemple, une peinture d'un vignoble restera avant tout une peinture, et non le
vignoble. Platon parle de l'illusion de l'art, et la condamne.
Aristote poursuit cette réflexion en conservant
l'idée de mimêsis comme essence de l'art, toutefois il l'envisage
sous un angle plus humain. En effet, pour lui, la mimêsis se traduit par
la représentation d'une action vraisemblable à partir du
réel humain, faisant de l'art << la faculté de produire le
vrai avec réflexion » ; autrement dit la vérité par
et pour les hommes, en reconnaissant le processus de représentation. La
spiritualité n'est toutefois pas écartée, l'artiste reste
toujours sous une inspiration divine ; et cela s'élargit à toute
forme d'art (la médecine par exemple).
En ce qui concerne la beauté, Aristote évoque
les notions << d'ordre » et << d'étendue ». Une
oeuvre, pour qu'elle soit belle, doit posséder des proportions
harmonieuses, telles qu'elles le seraient dans la nature (cela vaut aussi pour
un bel être). L'oeuvre doit se contenter d'être juste.
Artistote parle également de l'art comme ayant un effet
cathartique sur l'être. La catharsis se définit comme une action
purificatrice de l'esprit d'un être, mais aussi purgative
(évacuation des humeurs). Le plaisir éprouvé par la
contemplation d'une oeuvre (une peinture, une tragédie, etc.) aurait une
fonction libératrice et bienfaisante. Il reconnaît donc un pouvoir
à l'art sur le corps et l'esprit humain. Ce concept inspirera la majeure
partie des philosophes des époques ultérieures.
En France, et jusqu'à la Renaissance, les arts sont
majoritairement au service de la religion (peintures et sculptures
retraçant les scènes et les personnages de la Bible, architecture
des lieux de culte...). Ce n'est qu'à partir de la fin du XVème
siècle, que l'art est pensé et appliqué dans de nouveaux
objectifs, dont la science et plus spécialement l'anatomie font partie.
La recherche de la beauté idéale et parfaite est peu à peu
grignotée par l'arrivée du réalisme, dont l'une des
manifestations caractéristiques est la laideur (peinture d'hommes
écorchés, mal-formés, mutilés). Le divin nous
quitte pour aborder une représentation de la réalité
humaine sous toutes ses coutures, et cela bouleverse évidemment les
mentalités de l'époque. Aussi naissent les << Beaux-Arts
», qui se révèle être une discipline promouvant la
recherche esthétique dans les arts. La distinction entre l'art de
l'artisan, et l'art de l'artiste émerge doucement dans les courants de
pensée, mais n'en sera vivement discutée qu'au XVIIIe
siècle, aussi appelé le siècle des Lumières*.
Diderot trouve à l'artiste un rôle politique
potentiel qu'il devrait exploiter dans les oeuvres qu'il produit (par exemple
les vertus nationales à prêcher pour le poète tragique). Il
tient aussi à populariser l'art (au même titre que toute autre
connaissance et science), à le rendre accessible pour chaque citoyen. Il
est l'un des premiers philosophes à tenter de <<
démocratiser » l'art.
Burke reprend l'idée aristotélicienne d'harmonie
des proportions en avançant le fait que la beauté d'une oeuvre ne
peut se limiter à ce critère << formel ». Il avance
aussi l'idée d'une pluralité de l'esthétique ; que si la
beauté est un concept universel, elle se manifeste selon des
critères de reconnaissance propres à chaque individu.
Kant va plus loin en réfléchissant sur la notion
même d'esthétique, qu'il définit comme
la science du beau. Le sentiment esthétique est vu ici
comme le plaisir désintéressé éprouvé par
l'acte contemplatif ; en ce sens l'esthétique est universelle, nous
sommes tous aptes à éprouver ce plaisir. Toutefois Kant prend
soin de distinguer le beau de l'agréable, siège du jugement de
goût. Si une oeuvre est agréable pour l'un et non pour l'autre,
<< ce n'est qu'une question de goût >>.
Au début du XIXe siècle, les travaux de Hegel
discutent la pensée kantienne, notamment à l'égard du
beau. Hegel exclut la beauté naturelle (qui pour Kant représente
la beauté dans son universalité, et par conséquent
supérieure à la beauté artistique), car
dénuée de spiritualité, dont cette dernière est le
propre de l'homme. L'esthétique est un sentiment humain, et n'a donc
rien à voir avec la nature. L'art est vu ici comme une
nécessité humaine (toute activité humaine existante
répond à un besoin chez Hegel), et plus précisément
comme l'expression sensible d'une chose spirituelle. Il souligne aussi que la
beauté d'une oeuvre fait appel aussi bien à son apparence
qu'à son essence, autrement dit comment elle est faite et pourquoi elle
est faite.
Nietzsche soulève l'idée de la puissance de
l'art, comme véhicule de la vérité existant dans un temps
donné. L'évolution de la culture, et donc de ses normes et de ses
valeurs, et par extension l'art, contribue à faire de ce dernier une
activité d'expression qui tend à améliorer la vie humaine.
A cela il reproches les idées platoniciennes d'une réalité
immuable, parfaite, mais fictive, visant à rassurer mais privant du coup
les hommes de la vérité. << L'art est changement
>>.
Au milieu du XIXe, Bergson voit dans l'art un
révélateur de l'essence des choses qui nous échappe.
Prisonniers et trompés par nos sens et les artifices de la
société, l'art permet de montrer la vérité des
choses auxquelles on n'accrocherait a priori aucune attention dans la vie
quotidienne.
À la fin du XIXe, Alain réfléchit quant
à lui sur le statut de l'oeuvre d'art. Une oeuvre d'art est belle et
reconnue comme telle lorsqu'elle est achevée, << affirmative
d'elle-même >>. Elle existe et s'impose comme un fait dans le
monde, et résistant dans le temps. Alain réfléchit sur le
statut d'artiste et d'artisan : l'artiste produit des oeuvres, l'artisan des
ouvrages, mais il y a bien dans l'oeuvre un savoir-faire, et dans l'ouvrage un
style qui fait appel à l'esthétique de l'artisan. La distinction
s'opère dans la finalité du travail : l'oeuvre appelle à
une fin esthétique, et l'ouvrage à une fin utilitaire.
Au milieu du XXe siècle, Merleau-Ponty s'avance sur les
ressentis dans l'art. Pour lui, l'art éveille tant chez l'artiste que
chez le contemplateur des sensations brutes, issues de notre inconscient, de ce
qui n'est pas immédiatement accessible à notre esprit. Le brut
est associé au non-visible, et c'est là que se manifeste le
talent de l'artiste : il est celui qui est capable de nous montrer la
réalité qui l'habite et qu'il habite, et ce quelle que soit la
forme d'art. L'art a le pouvoir de nous faire ressentir des choses qui ne nous
sont pas visibles, conscientes sur l'instant où nous percevons
l'oeuvre.
Aujourd'hui nous poursuivons la perspective humaniste
lancée par les intellectuels de l'époque des Lumières, en
tirant les leçons des sagesses que les penseurs de l'Histoire nous ont
légué. Il est important pour nous de distinguer deux concepts de
l'art : l'art avec un << a >> minuscule, qui concerne l'ensemble
des techniques reconnues jusqu'à ce jour, et l'Art avec un << a
>> majuscule qui représente le domaine, la science du beau
(d'où le terme de Beaux-Arts). L'Art contemporain a tendance à
s'inscrire, comme le dit Deleuze, dans une démarche de
résistance. Il faut voir l'art comme un éclairage original de la
réalité, loin de la vulgarité, de la bêtise et tout
ce qui fait honte à notre condition d'être humain, même si
certaines oeuvres en traitent. L'intérêt réside dans la
dénonciation des erreurs de notre histoire, dans l'investissement de
l'artiste sur des faits qui amène ces derniers à une
accessibilité plus << brute >> qui éveille nos
émotions et notre intellect. Percevoir la réalité sous une
charge
émotionnelle bien souvent enfouie dans les profondeurs
de l'esprit ne nécessite pas d'avoir fait de longues et grandes
études, et n'est pas réservé à une élite de
personnes ; c'est une capacité propre à l'Homme, à chacun
d'entre nous, et qui plus ou moins éveillée selon
l'expérience que la réalité du monde nous a donné
à vivre. Et si tout être humain n'est pas impliqué dans
l'Art, l'Art impliquera toujours l'être humain.
Mais si nous exploitons davantage le caractère
humanitaire que l'Art est susceptible de véhiculer, pourquoi ne pas
penser l'Art dans un rôle thérapeutique ?
3) Le lien entre l'art et la médecine n'a rien d'un
phénomène nouveau pour de nombreuses cultures, et la France, par
le biais de l'école d'art-thérapie de Tours, adopte une
perspective empirique de ce lien.
Le lien entre l'art et la médecine est très
présent dans plusieurs cultures traditionnelles et ancestrales, et
s'incarne souvent à travers un être humain au rôle bien
particulier : le chamane, ou guérisseur ou sorcier. On trouve ce
personnage dans les quatre coins du monde, dont l'apparence et les fonctions
peuvent varier (certains sont chefs de tribus, voyants, guérisseurs,
psychopompes, télépathes...). Le chamane est un personnage
très respecté au sein de sa communauté ; il est celui qui
soigne avec les plantes (connaissances médicinales) mais aussi avec son
esprit (dimension spirituelle et mystique), il est l'accroche entre
l'au-delà (le monde des esprits, le monde divin) et le monde terrestre,
ce qui lui permet (tout ceci, soyons d'accord, est la description type de ce
qui caractérise le personnage du chamane, ses pouvoirs ne sont que
supposés) de communiquer et transmettre à ses compères les
messages de l'autre monde. Il est le porteur des connaissances et des croyances
de sa tribu, et oeuvre souvent dans le secret.
Comment pratique-t-il ? Quand un membre de la tribu ou de la
communauté vient demander de l'aide au chamane, celui-ci
s'exécute selon des règles très précises, dont on
retrouve des similarités entre les différents peuples. Le chamane
opère une mise en scène de son acte de façon
particulière : il se peint le visage et le corps avec différentes
matières et couleurs (le symbolisme des matières et des couleurs
est propre à chaque culture), s'orne et use d'accessoires variés
(os taillés, bijoux, vêtements, aliments) et procède
à des chants ou des danses qui l'amènent à un état
de conscience altéré : la transe. Cette modification de
l'état de veille de la personne se manifeste souvent de façon
spectaculaire (mouvements convulsifs, modification de la voix...) et est
sensée traduire l'établissement de la connexion du monde divin
à l'esprit du sorcier. Ces rituels peuvent parfois durer plusieurs
jours, selon l'aide demandée. Là où l'art entre en jeu
s'explique dans les faits de mise en scène, des techniques
utilisées, de représentation des idées, mais aussi dans la
dimension spirituelle de l'usage des techniques, et dans la stimulation de la
sensibilité archaïque, dite brute, à travers l'état
de transe.
Dans notre société, le personnage du chamane est
loin de posséder cette popularité, même si, dans notre
passé, au temps des Gaulois, les druides tenaient plus ou moins ce
rôle. Au fil de l'évolution de notre culture, la dimension
mystique et spirituelle a peu à peu laissé sa place à la
science, et notamment la médecine (pharmacologie, chirurgie...). La
science a su expliquer bon nombre de phénomènes qui autrefois
trouvaient leur origine et leur signification dans le surnaturel*. L'art a
également pris au cours de l'Histoire des positions scientifiques
(représentations anatomiques), politiques (dénonciation ou
éloge des valeurs sociales ou d'événements historiques),
même commerciales (publicités) ; et bien qu'il se soit en quelque
sorte « vulgarisé », l'art continue de fasciner et
d'émouvoir. Il n'a rien perdu de sa spiritualité, au sens
où éveille notre esprit d'une façon qui ne nous est pas
habituelle au
quotidien. Et c'est, entre autres, à partir de cette
idée que nous pouvons oser penser à impliquer l'art dans le soin,
et d'aborder la notion d'art-thérapie telle qu'elle est proposée
au sein de l'école d'art-thérapie de Tours.
L'art-thérapie se traduit par l'exploitation du
potentiel artistique dans une visée humanitaire et thérapeutique
; c'est-à-dire que l'on utilise les possibilités qu'implique
l'art au regard de l'être humain dans une perspective de soin et de
mieux-être*. L'art-thérapie est une discipline paramédicale
qui s'adresse à toute personne souffrant de troubles de l'expression, de
la communication et de la relation, et ce quelle qu'en soit la cause
(pathologique, sociale, professionnelle...).
Pour une discipline qui n'existe officiellement, par
l'A.F.R.A.T.A.P.E.M. (Association Française de Recherche et Applications
des Techniques Artistiques en Pédagogie et Médecine ) que depuis
une trentaine d'années, cette large perspective d'intervention peut
sembler présomptueuse ; toutefois de plus en plus de travaux de
recherche universitaires et professionnels voient le jour chaque année,
concernant des structures médicales, sanitaires et/ou sociales diverses
(hôpitaux, centres de réinsertion, milieu carcéral, maisons
de retraite, etc.), et où l'impact de l'art-thérapie est
empiriquement testé et évalué. De nombreuses techniques
artistiques sont mises à l'épreuve dans ces travaux (le chant, la
danse, le théâtre, la musique, l'écriture, le dessin,
etc.), testant la pertinence de leur potentiel à l'égard de la
pénalité concernée.
L'art-thérapeute est soumis à l'autorité
médicale, c'est-à-dire qu'il répond à une
indication du médecin ou de l'équipe soignante qui permet alors
la prise en charge du patient indiqué. Il est d'ailleurs amené
à travailler en équipe ; il ne faut pas voir
l'art-thérapie comme un processus thérapeutique qui se suffit
à lui-même, mais comme une approche complémentaire et
originale du programme de soins établi par la structure. Elle est
originale de par le fait qu'elle va se centrer sur les parties saines de la
personne souffrante, à la différence du travail de
l'ergothérapeute, par exemple. L'art-thérapeute dispose d'outils
d'observation et d'évaluation propres (cf.annexe 3), dont leur
souplesse peut permettre de s'adapter aux différentes
pénalités (on n'utilisera pas les outils de la même
façon avec un patient adulte dépressif qu'avec un enfant
autiste). L'objectif est d'amener la personne à un mieux-être ; en
se concentrant sur ses capacités résiduelles, et sur les
productions qu'elle réalise, elle peut se voir autrement qu'une malade,
ou qu'un objet de souffrance. Elle peut à nouveau et progressivement
penser à s'investir dans un projet, s'en sentir digne, capable, et
mettre le projet en oeuvre (ce qui fait appel respectivement à l'estime
de soi, la confiance en soi, et l'affirmation de soi, qui sont les trois axes
psychologiques de travail de l'art-thérapeute sur le patient). Bien
sûr, il arrive que la prise en charge art-thérapeutique ne soit,
après en avoir fait l'expérience, pas (ou plus) le processus de
soin le mieux adapté au patient ; il relèvera alors de la
compétence de l'art-thérapeute, en coopération avec
l'équipe, de réorienter le patient vers une prise en charge plus
efficace.
Maintenant que nous avons défini les modalités
et les objectifs de l'art-thérapie, ainsi que son champ potentiel
d'intervention, nous allons à présent nous pencher sur la
structure qui a accueilli l'art-thérapeute stagiaire, et sur les
modalités du projet que celle-ci a mis en place en accord avec le projet
de soin de l'établissement.
4) La présentation du projet
art-thérapeutique au sein de l'Hôpital de l'Ermitage de Tours a
été accueilli favorablement par les responsables de
l'établissement.
L'Hôpital de l'Ermitage est une structure d'accueil et
d'hébergement de la personne âgée, et est rattachée
au Centre Hospitalier Régional Universitaire de la ville de Tours.
Autrefois asile, puis hôpital militaire, l'Ermitage a pu, suite à
un don financier d'un particulier, devenir ce qu'il est aujourd'hui. La
structure est divisée en trois unités : une unité de soins
de longue durée (U.S.L.D.) comprenant 130 lits, une unité de
soins de suite et de réadaptation (U.S.R.R.) comprenant 62 lits, et une
unité de soins palliatifs. Cependant, cette dernière sera
amenée, en octobre 2010, à laisser la place à une nouvelle
unité : L'unité cognitive et comportementale (U.C.C.), se
traduisant par un service d'accueil de jour pour les personnes atteintes de
démence type Alzheimer.
Les unités sont sous l'autorité du
médecin chef de service, puis chacune de ces unités est
gérée par des cadres de santé - deux cadres pour
l'U.S.L.D, un cadre pour l'U.S.S.R) - à l'exception de l'unité de
soins palliatifs. Intervient également le personnel administratif
(directeur du pôle Médecine, directeur de l'établissement,
cadre supérieur, adjoint des cadres, secrétaire médicale,
secrétaire d'accueil...). Les unités sont réparties par
étage et bénéficient chacune de leur propre personnel
soignant (infirmiers, aides-soignants, agents de services hospitaliers...). Les
médecins et intervenants paramédicaux interviennent dans toute la
structure (médecins, kinésithérapeutes, assistantes
sociales, animatrices, coiffeuse, socioesthéticienne). L'Ermitage compte
aussi la présence régulière de plusieurs associations
bénévoles (Théâtre de la Jeune Plume, VMEH,
Vac'Anima, Blouses Roses...) venant égayer le quotidien des
résidents. L'hôpital de l'Ermitage est une structure très
dynamique de par la présence de nombreux intervenants et
d'étudiants-stagiaires, et fait preuve d'une qualité de soin
efficace pour les patients qui s'y trouvent.
L'accueil de stagiaires art-thérapeutes est devenu
courant dans cette institution (ainsi que pour l'ensemble du CHRU de Tours) ;
cette dernière s'est d'ailleurs déjà vu employer sur
quelques années des art-thérapeutes dans le cadre du projet de
vie de l'établissement. Pour ce qui nous concerne, la stagiaire
art-thérapeute bénéficiait déjà de certaines
connaissances au niveau du fonctionnement, mais aussi des intervenants et des
résidents de l'Ermitage, puisqu'elle y avait, dans le cadre de la
formation préparatoire au diplôme universitaire
d'artthérapie, réalisé un stage d'observation. Toutefois,
étant donné les effectifs conséquents de
l'établissement, un temps de présentation a été
préalablement nécessaire auprès des équipes dans
les quatre étages ainsi qu'au rez-de-chaussée. C'est sur le
terrain que, malgré le caractère présupposé
familier de la présence d'un art-thérapeute dans cette structure,
on se rend compte que beaucoup ne connaissent pas notre rôle, ou le
confondent avec celui d'un artiste faisant des ateliers d'art, ou encore avec
celui de l'animateur. C'est là que le travail de l'art-thérapeute
commence, et non à partir du début de prise en charge du patient.
Éclaircir sa fonction auprès de l'équipe permet à
tous de comprendre son positionnement, et ce que l'art-thérapeute peut
apporter en complément des soins déjà mis en place.
L'accueil du stagiaire s'est très bien passé, l'équipe de
soins était curieuse de connaître les modalités du projet
art-thérapeutique.
En réalité, tout s'est décidé
pendant la réunion avec le personnel de chaque étage (comprenant
une à deux infirmières, et deux à quatre
aides-soignantes). Après que l'artthérapeute ait expliqué
les objectifs de sa discipline et ses axes de travail envers le patient,
l'indication a pu se faire pour une douzaine de patients. La population
concernée est, rappelons-le, la personne âgée atteinte
d'exclusion sociale. Mais comment diagnostiquer l'exclusion lorsqu'une personne
est entrée et vit dans une institution où elle côtoie au
quotidien des dizaines de personnes (personnel et résidents) ? Les
« cas » d'exclusion ont été identifiés comme
tels par rapport à leur investissement au sein des activités
collectives de la
structure (animations, activités
bénévoles, ateliers...). Sur les dix-sept patients
indiqués, à l'exception de trois d'entre elles, tous
étaient auparavant des résidents actifs ou très actifs
dans les activités collectives, mais aujourd'hui ils ne voulaient «
plus rien faire ». Les raisons de ce désinvestissement,
évoquées par l'équipe, concernent pour la plupart une
aggravation de leur état de santé, mais pour d'autres c'est
davantage une question de lassitude, bien que les activités soient
variées ; mais dans ces deux cas de figure, un comportement introverti,
triste, voire dépressif en a résulté, ce qui a bien
évidemment soucié l'équipe soignante. L'objectif de la
stagiaire art-thérapeute a alors consisté à redonner aux
patients le goût de renouer des relations avec les autres, et de
s'investir dans la collectivité.
Sur les dix-sept patients indiqués, seules quatre
prises en charge ont pu se mettre en place, et trois ont pu aboutir.
Néanmoins, nous ne relaterons dans ce mémoire que deux d'en
elles, car la troisième s'est tardivement révélée
inadaptée pour le patient vis-à-vis de l'objectif à
atteindre. Nous parlerons alors de l'expérience art-thérapeutique
avec Mme A, et Mme B. Dans un souci de confidentialité, les initiales
ont été modifiées. Nous dresserons ensuite un bilan de ces
expériences, et les discuterons.
II ) Le projet art-thérapeutique a pu se mettre
en place avec deux patientes souffrant d'exclusion, révélant des
expériences et des résultats bien distincts.
A) Mme A, 83 ans, atteinte de la maladie d'Alzheimer a
été indiquée vis-à-vis d'un retrait relationnel
doublé d'un comportement dépressif.
1) Il est nécessaire d'expliquer avant tout la
pathologie dont est atteinte Mme A. pour mieux comprendre son état
physique et psychique au regard de l'expérience
art-thérapeutique.
Avant de nous pencher sur la personnalité de Madame A,
ainsi que sa rencontre avec l'art-thérapeute, nous allons évoquer
de façon synthétique les caractéristiques de la maladie
d'Alzheimer. C'est une neuro-dégénérescence du cerveau
chez l'adulte. Elle appartient à la famille des démences*, il
s'agit même aujourd'hui de la forme de démence la plus courante
(24 millions de personnes atteintes dans le monde selon l'O.M.S., et environ
800 000 personnes en France, selon le gouvernement français). Cette
maladie consiste en une inflammation et une destruction des neurones,
provoquée par la sécrétion de protéines anormales
(la protéine Tau, habituellement impliquée dans la consolidation
structurelle du neurone) qui agissent sur deux plans : elles étouffent
les connexions synaptiques (la partie de du neurone où les informations
avec d'autres cellules ont lieu via la circulation d'une substance chimique
appelée neurotransmetteur), et détériorent aussi la paroi
axonale (l'axone se fragilise et perd de son intégrité. Le
neurone, devenu vulnérable et isolé du reste du système
nerveux, meurt. Il faut savoir que les cellules cérébrales ne
sont pas renouvelables, donc toute lésion est irréversible.
Concernant la maladie d'Alzheimer, ces lésions
entraînent principalement des pertes de la mémoire, des
facultés langagières, motrices, ainsi que des troubles du
comportement. Ce sont d'ailleurs les symptômes qui permettent de
diagnostiquer la maladie. Le médecin dispose de tests spécifiques
pour ce diagnostic. Souvent, la personne malade n'a pas conscience de sa
maladie, et minimise fortement la manifestation des symptômes (petits
oublis, légères maladresses, << rien de bien méchant
»). Toutefois, cela est bien perçu et ressenti dans l'entourage du
malade ; et souvent mal vécu. S'occuper d'une personne anosognosique*
est délicat, d'autant plus si elle fait partie de la famille. Cela
implique souvent des conflits relationnels, un comportement réfractaire,
opposant, voire violent envers les soins. L'aidant* doit trouver des
stratégies pour mener à bien ses objectifs envers le malade, mais
n'est pas toujours bien formé, ou n'a pas la disponibilité
physique ou psychologique nécessaire pour mettre ces stratégies
efficacement en oeuvre
C'est pour cela notamment que de plus en plus de structures,
entre autres grâce au << Plan Alzheimer 2008-2012 » mis en
place par le gouvernement, se forment dans l'accueil et l'hébergement de
ces personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer (et démences
apparentées). Certains établissements sont même
réservés exclusivement à ce public. Toutefois, aucun
traitement n'existe pour guérir la maladie (certains médicaments
sont tout de même prescrits dans le but de << freiner » son
évolution) ; et ce qui la cause reste encore inexpliqué. La
maladie touche principalement les personnes de 65 ans et plus, mais elle peut
être diagnostiquée dans de rares cas dès 40 ans. Sa
durée moyenne d'évolution (la fin correspondant au
décès du patient) est de 7 ans, mais reste variable et peut durer
plus d'une quinzaine d'années chez certains. Cette variabilité
d'évolution pose éventuellement des difficultés dans
l'établissement d'un plan de soins à long terme, car on ne sait
pas à quelle vitesse le cerveau va se dégrader, ni comment la
personne va réagir face à ces bouleversements ; c'est pour cela
qu'il faut accompagner le malade au quotidien, l'entendre, et stimuler de
façon optimale ses capacités résiduelles, afin de
maintenir au mieux et le plus
longtemps possible son autonomie, lui prodiguant une
qualité de vie aspirant au confort et la dignité. Et bien qu'on
puisse parfois amener le malade à réacquérir de modestes
connaissances et aptitudes, la prise en charge d'une personne atteinte de la
maladie d'Alzheimer s'inscrit davantage dans le cadre des soins de confort,
plutôt que le cadre des soins curatifs. L'objectif global de soins est
d'aider la personne à mieux vivre sa maladie.
2) Mme A est à un stade modérément
avancé de la maladie, et reste à l'écart de la
collectivité car elle n'en voit plus l'intérêt.
« Vous savez, je suis au bout de ma vie. >> ont
été les premiers mots que l'artthérapeute stagiaire a
entendu sortir de la bouche Madame A envers une aide-soignante qui venait la
saluer, dans le couloir où elle déambulait en fauteuil roulant.
Une des infirmières a profité de cette situation pour souligner
à l'art-thérapeute que Mme A. tenait ce discours depuis plusieurs
semaines et qu'elle n'avait plus goût à rien. Cela fait plusieurs
années que Mme A vit dans l'établissement, et elle a
régulièrement fait preuve d'une présence et d'une
participation actives au regard des activités proposées, mais
depuis quelques temps, il est impossible de la motiver. L'équipe
soignante a alors demandé à l'art-thérapeute stagiaire de
mettre en place un projet qui ferait en sorte de lui redonner l'envie de
renouer le contact avec les autres résidents, de participer à des
projets collectifs, de lui montrer qu'elle est toujours capable de faire
quelque chose et d'en tirer de la satisfaction.
Le lendemain matin (mardi 12 janvier 2010) vers 10h30,
l'art-thérapeute stagiaire s'est rendue dans la chambre de Mme A, et
l'accueil qui en a découlé était plutôt
impressionnant. Après avoir poussé la porte d'entrée,
l'art-thérapeute stagiaire a vu Mme A, élégamment
vêtue, allongée sur son lit, les mains croisées et
posées sur sa poitrine, le visage très pâle et le regard
orienté vers le plafond. L'art-thérapeute stagiaire s'est
approchée doucement, l'a saluée puis tendu la main, mais Mme A
n'a répondu qu'un « bonjour >> sur un ton méfiant et
s'est mise à la fixer avec grande attention. L'étudiante s'est
brièvement présentée, puis a demandé à Mme A
si elle pouvait lui emprunter une chaise pour s'asseoir près d'elle afin
de « discuter un peu >>. Mme A a poliment acquiescé et lui a
demandé ce qu'elle lui voulait. L'art-thérapeute stagiaire lui a
expliqué ce qu'elle faisait au sein de la structure pendant son stage,
et a enchaîné sur le récent désintérêt
pour les activités de l'établissement qu'éprouvait la
patiente. « Je n'ai plus le coeur à tout ça, vous savez, je
suis au bout de ma vie >>, dit Mme A en grimaçant. Pendant qu'elle
parlait, elle semblait préoccupée par le couloir qu'elle pouvait
apercevoir car la porte n'était pas fermée.
L'art-thérapeute stagiaire lui a alors proposé de fermer la
porte, afin de tenir la conversation dans un cadre strictement privé.
Mme A a vivement acquiescé puis la stagiaire a fermé la porte.
Dès lors, un petit sourire s'est dressé sur son
visage, et elle confiait ensuite à l'étudiante que plein de gens
rentraient et sortaient de sa chambre sans rien lui demander, que certains
même repartaient avec quelques-uns de ses effets personnels, toujours
sans savoir qui ils sont et sans lui demander son autorisation.
L'art-thérapeute stagiaire lui a expliqué et justifié la
présence de plusieurs membres du personnel au sein de sa chambre dans le
cadre des soins et de l'entretien des lieux, qu'il n'y avait pas manière
de s'inquiéter, même si il était effectivement impoli de ne
pas se présenter et de ne rien dire. Puis, Mme A. a de nouveau
demandé qui était son interlocutrice, et ce qu'elle lui voulait.
Par quatre fois l'art-thérapeute stagiaire a dû
ré-expliquer son identité et son rôle, ainsi que le projet
qu'elle voulait mettre en place avec elle. Le projet a été
présenté comme un travail d'écriture sur la vie de Mme A.
et de ce qu'elle aime. Mme A. a alors cru que l'étudiante était
journaliste et a demandé si les notes qu'elle prenait aller se retrouver
dans La Nouvelle République (le journal régional du
Centre et Pays-de-Loire). L'ambiance s'était
détendue depuis que la porte était fermée, mais Mme A.
gardait toujours la même posture. Elle a répondu brièvement
mais sérieusement aux questions de l'art-thérapeute stagiaire,
à savoir ses passions, le métier qu'elle a exercé, ses
voyages. Mme A. est issue d'une famille aisée, d'une fratrie de 6
frères et soeurs et a reçu une éducation stricte mais pas
malheureuse. Quand elle était petite, un professeur venait chaque
semaine enseigner à toute la fratrie la pratique du piano. Adulte, elle
a officié dans le secrétariat, et a connu une grande
variété de postes qui l'ont faite voyager à travers le
pays. Elle s'est mariée mais n'a pas voulu discuter de la
présence éventuelle d'enfants. Elle a juste précisé
qu'aujourd'hui, sa belle-soeur et son époux venaient de temps en temps
lui rendre visite, et qu'elle appréciait ces moments.
L'entretien s'est terminé sur l'acceptation du travail
par Mme A., mais elle a insisté sur le fait qu'il s'agissait <<
d'un essai, pour voir ». Ayant remarqué l'attitude anxieuse de Mme
A. vis-à-vis de l'extérieur de sa chambre,
l'art-thérapeute stagiaire a proposé de commencer l'atelier dans
la chambre, ce qu'elle a approuvé en souriant. Le rendez-vous a
été fixé pour le lendemain matin, à 10h15. Mme A a
demandé à l'art-thérapeute stagiaire de le lui noter sur
un bout de papier. Après avoir salué Mme A, l'étudiante
est allée à la rencontre de l'équipe soignante pour
confirmer la mise en place de la prise en charge art-thérapeutique.
3) La prise en charge s'est déroulée sur 6
séances.
Durant le stage, plusieurs règles
méthodologiques ont été définies afin d'être
le plus rigoureux et objectif possible avec chaque patient dans la prise en
charge. Tout d'abord, concernant les séances, celles-ci débutent
au moment où l'art-thérapeute stagiaire et le patient
décident ensemble que le travail va commencer, appelé <<
temps de séance ». Toutefois, il sera également
relevé dans les outils d'observation le temps de la rencontre et de
l'accompagnement du patient jusqu'au lieu désigné pour le travail
de séance, qu'on appellera << pré-séance »,
ainsi que le temps où l'art-thérapeute stagiaire raccompagne le
patient dans sa chambre ou dans le lieu où elle doit se trouver selon
l'heure présente, qu'on nommera << post-séance ». Une
séance est également susceptible de ne pas impliquer une
production artistique (qu'elle soit achevée ou non) ; elle peut, par
exemple, être un temps où le patient a juste envie de discuter
avec le professionnel, dans ce cas, on qualifiera la séance d' <<
entretien privilégié ». Concernant les outils d'observation
employés, chaque prise en charge répond à l'utilisation de
la fiche d'observation (cf. annexe 3), ainsi que des observations, remarques et
discussions avec le personnel de l'établissement sur le patient. La
collaboration des autres intervenants est très importante dans la prise
en charge, car elle permet d'inscrire le patient dans une dynamique
relationnelle nouvelle ou retrouvée (<< Qu'avez-vous fait ce matin
avec l'art-thérapeute ? » ou << Vous pourriez me montrer ce
que vous avez fait pendant vos ateliers ? »), valorisant ainsi le patient
et stimulant ses aptitudes d'expression, de communication et de relation.
Revenons maintenant à Mme A. Le lendemain, à
l'heure convenue, l'art-thérapeute stagiaire est revenue la voir dans sa
chambre. Elle était assise sur son fauteuil roulant, et tenait dans les
mains le bout de papier que l'étudiante lui avait donné la
veille. << Ah bonjour ! C'est vous qui deviez me voir ce matin ? » a
demandé la patiente en souriant. Après acquiescement,
l'art-thérapeute stagiaire l'a interrogée sur ses souvenirs de
l'entretien passé hier matin ensemble, mais après quelques
secondes de silence, Mme A. lui a répondu négativement. Quand
l'étudiante lui a de nouveau expliqué le projet qu'elles allaient
mettre en place, Mme A. lui a à présent assuré s'en
rappeler. Elle semblait curieuse de voir comment le
travail allait être abordé.
L'art-thérapeute stagiaire avait apporté un pot
contenant plusieurs crayons, stylos et marqueurs, un bloc-notes de petite
taille, et deux autres de grande taille aux feuilles détachables. L'un
des grands bloc-notes comportait déjà des inscriptions, des
dessins, des peintures et des ornements décoratifs variés ; il
était là pour servir de modèle au travail en cours.
L'étudiante a demandé à Mme A de regarder et feuilleter
l'exemple pour qu'elle puisse avoir un aperçu de ce qui est possible de
faire dans ce travail, ce à quoi elle a acquiescé, mais elle n'a
pas cherché à le prendre et le consulter par elle-même.
L'étudiante lui a donc montré, page après page, les
thèmes qui pouvaient être abordés, les styles
d'écriture que l'on pouvait employer, et, éventuellement, des
illustrations en lien avec le thème choisi. Mme A. était
intéressée, mais répétait plusieurs fois à
l'art-thérapeute stagiaire que ce travail allait être trop
difficile pour elle. Il a donc été très important de la
rassurer au plus vite sur la façon de procéder :
Premièrement, l'objectif du travail n'est pas de produire une oeuvre
identique à l'exemple, deuxièmement, le travail se fait
étape par étape, et troisièmement on prend le temps
nécessaire.
Il est important pour les patients atteints de ce type de
pathologie de ne pas provoquer de propos ou situations frustrants et
angoissants ; les troubles cognitifs de la personne entraînent souvent
une incompréhension ressentie comme une angoisse ou une agression
(qu'elle soit physique ou verbale).
<< L'important est de faire quelque chose qui vous
plaise, je vous garantis que ce ne sera pas difficile. Mais il faudra mettre du
sien ! », a dit l'art-thérapeute stagiaire pour relaxer et amuser
Mme A, à qui le visage se fermait au fur et à mesure de la
découverte des pages du modèle d'exemple. Mme A a souri aux
propos de l'étudiante, puis a demandé des nouvelles d'une des
animatrices qui était actuellement absente. Mme A aimait beaucoup
l'animatrice, et demandait régulièrement au personnel soignant
des informations sur sa santé et son retour, même si elle ne
participait plus aux activités d'animation. Mme A se met à poser
plusieurs questions sur la vie de l'art-thérapeute stagiaire, son lieu
d'habitation, le moyen de transport qu'elle utilise pour venir ici... et
plusieurs fois pendant la séance car la maladie a fait que sa
mémoire à court terme n'opère efficacement que sur une
durée de 15 secondes environ. Les relances sont donc fréquentes,
car Mme A me demande de confirmer si je suis bien là pour discuter de
tout et de rien avec elle.
Mais l'art-thérapeute stagiaire est confrontée
à un problème d'espace libre pour poser et utiliser
aisément le matériel. Les chambres individuelles, comme celles de
Mme A, ne sont pas très grandes, et la seule table dont elle dispose
accueille le poste de télévision, des plantes et beaucoup de
magazines et autres papiers. Mme A est une personne très ordonnée
qui ne supporte pas qu'on saisisse et déplace ses affaires. Quand
l'art-thérapeute stagiaire lui a demandé si elle pouvait, le
temps de la séance, transférer les papiers sur le lit, Mme A a
grimacé et s'est tournée vers le tiroir de son meuble de chevet,
qui était entrouvert, pour le fermer. Il fallait donc s'adapter, et
l'art-thérapeute stagiaire a proposé à la patiente, au vu
de l'impossibilité de faire un travail d'écriture dans ces
conditions, de faire un travail de dictée : Mme A parlerait des choses
qu'elle apprécie, et l'art-thérapeute stagiaire prendrait ses
paroles en note ; afin que, lors de la prochaine séance, elle puisse
trouver un arrangement matériel qui permettrait la mise en place du
travail d'écriture. << Si vous voulez », a été
la réponse de Mme A. L'art-thérapeute stagiaire a pris le petit
bloc-notes ainsi qu'un stylo, et notait, toujours sous de nombreuses relances,
les paroles de Mme A. Elle a principalement parlé du piano et de la
musique classique qu'elle appréciait beaucoup. Au bout de 30 minutes de
séance, Mme A ne parlait presque plus, et s'est même
couchée sur son lit en évitant le regard de l'étudiante,
sans rien dire. L'art-thérapeute stagiaire a donc demandé s'il
était bon de s'arrêter là pour aujourd'hui, et à
cela Mme A a acquiescé un peu sèchement, en précisant que
c'était fatiguant de lui << poser autant de questions ».
L'étudiante lui a alors demandé si elle souhaitait
continuer l'expérience, et de se donner rendez-vous
pour le mercredi suivant. << Si vous voulez. » était son
unique réponse. L'art-thérapeute stagiaire a alors
réécrit la date et l'horaire sur un bout de papier, et l'a
posé sur la table. Toutes deux se sont saluées en se serrant la
main, puis l'étudiante a quitté la chambre de Mme A avec son
matériel.
La semaine suivante, lors de la deuxième séance,
Mme A était assise dans son fauteuil roulant, face à la porte.
Quand l'art-thérapeute stagiaire est entrée dans la pièce
pour venir la saluer, Mme A lui a sorti un chaleureux << Ah ! Bonjour !
» tout en lui serrant la main. À la question << Comment
allez-vous ? » posée par l'étudiante, Mme A répondait
désormais << Oui, ça va, et vous-même ? », sur
un ton réservé mais détendu. La porte de la chambre
était aussitôt refermée par l'étudiante, afin de ne
pas stresser Mme A, ni de se laisser distraire par les aventures du couloir.
Mme A cependant ne se souvenait ni du nom de la stagiaire, ni de ce qu'elles
avaient fait lors de la première séance. Après un bref
rappel, un << ah oui c'est vrai » est sorti de la bouche de Mme A,
puis elle demandait ce qu'elles allaient faire aujourd'hui, en précisant
qu'elle était fatiguée. << Aujourd'hui, vous allez
réécrire les notes que j'ai prise hier au brouillon sur vos
préférences et vos passions dans la vie. ». Comme elle
semblait surprise de la consigne, l'art-thérapeute stagiaire lui a
montré lesdites notes. << Ah ? J'avais dit ça ? Je ne me
souviens plus. » L'étudiante lui a ensuite présenté
le papier sur lequel elle allait réécrire les notes, et quatre
stylos de forme et couleur différentes, priant Mme A de choisir l'un
d'entre eux. La stagiaire avait pu utiliser comme support la table adaptable de
Mme A, mais cela ne laissait pas beaucoup de place, et elles devaient se mettre
côte à côte. Mme A a regardé les stylos pendant une
bonne minute, puis a choisi celui à l'encre noire. Toutefois, elle ne
souhaitait pas écrire, elle voulait voir faire l'art-thérapeute
stagiaire. Celle-ci n'a pas insisté, et a recopié une partie des
notes sur le papier, en indiquant que la tâche était simple, qu'il
n'y avait pas de mauvais ou bon travail dans ce projet. Le but était que
cela plaise à Mme A, mais à condition de faire des efforts
pratiques. << C'est vrai qu'il n'y a pas beaucoup de place ici »,
répétait la patiente. Alors, l'art-thérapeute stagiaire a
suggéré, pour la prochaine séance, de changer de lieu pour
travailler. La cafétéria de l'établissement, était
toujours inoccupée le matin, ce qui était une aubaine pour Mme A,
qui ne souhaitait pas voir les autres, mais aussi pour le gain
considérable d'espace de travail. À ces conditions, Mme A
était d'accord, et a enchaîné sur le fait qu'il
n'était pas utile de continuer le travail de cette façon
aujourd'hui. La séance a donc pris fin prématurément
(environ 20 min), mais Mme A semblait relativement intéressée de
changer de lieu. Comme d'habitude, l'art-thérapeute stagiaire a
noté sur un petit bout de papier la date et l'heure (toujours le
mercredi à 10h30), et Mme A le posait sur la table à
côté du poste de télévision.
Lors de la troisième séance, le mercredi
suivant, Mme A était très éveillée et a accueilli
l'art-thérapeute stagiaire avec chaleur. << Alors, où
va-t-on ? », lui a-t-elle demandé. Elle ne se souvenait toujours
pas du nom de l'étudiante, ni de ce qu'elles allaient faire, mais elle
savait qu'elle allait se rendre quelque part hors de sa chambre.
<< Nous allons nous rendre à la
cafétéria, nous aurons de la place pour travailler, et le matin,
la cafétéria n'accueille pas de clients, il n'y aura que nous, on
sera tranquille. »
<< D'accord. Très bien. », a répondu
Mme A. << Mais peut-on noter un mot dans ma chambre pour dire que je suis
absente ? »
L'art-thérapeute stagiaire a donc sorti un bout de
papier et un crayon, puis les a tendus vers la patiente, tout en l'encourageant
à écrire le mot d'absence. Après une hésitation de
quelques secondes, Mme A a saisi le crayon et écrit << Je suis
à la cafétéria. ». Elle l'a ensuite posé
sur la table, puis l'étudiante et elle-même ont quitté la
chambre. Mme A lui a prié de bien fermer la porte.
La chambre de Mme A est au troisième étage, et la
cafétéria deux étages en dessous ;
il a donc fallu emprunter l'ascenseur. Celui-ci dispose d'un
miroir sur un côté, et quand Mme A a pénétré
dans l'appareil, le miroir captait toute son attention. << Oh, regardez
la tête que j'ai... vous trouvez que je suis bien coiffée ?
». Mme A est toujours soucieuse de son apparence. Une fois descendues au
premier étage et après avoir quitté l'ascenseur, Mme A a
observé nerveusement le couloir dans lequel elle se trouvait. <<
Je ne passe pas souvent par ici. » L'art-thérapeute stagiaire lui a
expliqué que certaines activités ont lieu dans la grande salle de
séjour derrière la porte qui fait face à l'ascenseur.
À cela Mme A a haussé les épaules et est restée
silencieuse. Arrivées devant la porte de la cafétéria,
elle a émis la surprise de ne voir personne. L'art-thérapeute
stagiaire lui a expliqué à nouveau le fait que le local est
toujours libre le matin. << Ah oui, c'est vrai », s'est mise
à dire Mme A. La cafétéria est très ouverte sur
l'extérieur (4 baies vitrées), et colorée, contrastant
avec les teintes plus moroses des couloirs.
Mme A et l'art-thérapeute stagiaire se sont
installées sur une table ronde non loin de la porte d'entrée du
local, qui a pris soin d'être fermée. Le matériel
était déjà posé sur la table. << Mme A, je
vais vous rappeler ce qu'on a fait précédemment ensemble, et ce
que l'on doit faire aujourd'hui . » L'objectif de la séance
était de réaliser un texte sur le thème du piano, qui est
une des passions de Mme A, et éventuellement, à sa convenance, de
décorer le texte avec différentes matières (crayons et
feutres de couleur, tissus, plumes, papiers à motif, peinture...).
Toutefois, l'objectif intermédiaire était de faire parvenir Mme A
à réaliser l'intégralité, sinon une majeure partie
du travail. L'art-thérapeute stagiaire a prié Mme A de choisir un
crayon et un support en papier pour écrire le texte qui avait
été noté deux séances plus tôt. La patiente,
au début, a manifesté son désir de voir faire plutôt
l'art-thérapeute, mais après quelques encouragements, elle a fini
par choisir un stylo italique à encre noire, et un papier épais
blanc. Cette fois, les rôles se sont inversés :
L'art-thérapeute stagiaire a dicté le texte que Mme A inscrivait
sur la feuille. Quand cela s'est terminé, il restait une place
très importante sur la feuille (Mme A avait choisi d'écrire en
haut-milieu de la feuille). Sur la proposition de l'étudiante, Mme A
était d'accord pour illustrer son texte. Que choisir ? Mme A semblait
perdue devant la diversité du matériel qui lui faisait face.
L'art-thérapeute stagiaire a dû faire une sélection par
élimination : ce que Mme A ne voulait pas utiliser était
enlevé de la table, afin d'avoir une vision plus claire et
épurée du matériel. Elle a finalement opté pour des
plumes noires et blanches, pour représenter le clavier d'un piano
(touches noires et blanches). Tout au long de la séance, Mme A refusait
d'abord de faire les choses elle-même, mais au fur et à mesure que
la production prenait forme, ses demandes étaient de moins en moins
fréquentes. Néanmoins, elle a demandé de l'aide à
l'art-thérapeute stagiaire pour coller les plumes sur le papier.
Ensuite, Mme A a pris un morceau de broderie dorée et a demandé
à ce qu'on le colle au-dessus des plumes (évoquant la couverture
qui protège de la poussière que l'on pose habituellement sur un
piano, et que l'on aurait retroussée).
Mme A a regardé sa production silencieusement pendant
quelques secondes, puis a énoncé, en tapotant sur les plumes
blanches, les sept notes de la gamme classique (do - ré - mi - fa - sol
- la - si). Elle s'est mise à sourire puis a regardé
l'art-thérapeute stagiaire en lui disant que << c'était
joli ». L'étudiante lui a alors demandé si elle souhaitait
ajouter autre chose sur sa production, mais Mme A a évoqué sa
fatigue grandissante, et le fait que la production était très
bien comme ça. Par contre, elle n'a pas souhaité emmener la
production dans sa chambre, elle préférait le laisser <<
à l'abri » dans la cafétéria. L'art-thérapeute
stagiaire a donc rangé la production dans un placard du local, puis a
raccompagné Mme A jusqu'à sa chambre. En chemin, elles avaient
croisé deux aides-soignantes qui avaient interrogé Mme A sur
l'activité. Mme A leur a répondu que c'était bien, et les
aides-soignantes l'ont encouragé à continuer le travail qu'elle
faisait avec l'art-thérapeute stagiaire. Une fois arrivées dans
la chambre, Mme A a remercié l'art-thérapeute, et a
proposé d'elle-même le rendez-vous au mercredi suivant.
La quatrième séance s'est
révélée être un entretien privilégié.
Quand l'art-thérapeute stagiaire est venue chercher Mme A pour l'emmener
à la cafétéria, la patiente lui a avoué ne pas
aller bien, mais ne donnait pas de détails sur la raison de son
mal-être. Ce n'est qu'une fois installée à la
cafétéria qu'elle s'est confiée à
l'étudiante : << Vous savez, je suis embêtée. Je
crois que j'ai fait dans ma couche, et on a refusé de m'en donner une
autre. » À cela l'artthérapeute stagiaire lui a
demandé si cette gêne était trop importante pour elle pour
commencer l'atelier, mais Mme A a rétorqué qu'elle voulait rester
là, mais qu'elle ne se sentait pas le coeur à faire quoi que ce
soit aujourd'hui. L'étudiante a donc proposé de mettre une
ambiance musicale pour que Mme A puisse se changer les idées. Quand elle
a proposé d'écouter un CD de Chopin, Mme A a vivement
acquiescé, en précisant qu'il s'agissait de son compositeur
favori.
L'atmosphère s'est ensuite beaucoup plus
détendue, et Mme A, qui d'habitude parle peu, et reste beaucoup dans les
répétitions verbales, s'est mise à discuter de
l'établissement, du personnel, et de son quotidien. << Vous savez,
mademoiselle, il y a des filles qui prennent le temps de parler avec vous, et
d'autres qui n'en ont rien à faire, qui ne sourient jamais. Mais je sais
que leur travail n'est pas facile, alors je ne les embête pas quand j'ai
besoin de quelque chose. » Puis elle est arrivée au fait qu'elle
s'ennuyait beaucoup la journée, et qu'elle sentait sa fin approcher.
<< Moi, ce que je trouve dommage », a dit l'art-thérapeute
stagiaire, << c'est qu'une personne qui aime le piano, la musique, les
fleurs, les enfants, et tant d'autres choses, ne partage pas ses goûts
avec d'autres résidents au travers des activités qu'il y a en
semaine dans l'établissement ». Mme A a eu une réaction de
surprise à la suite de ces mots, et après un petit silence, elle
lui a demandé de s'expliquer. L'art-thérapeute stagiaire a pris
pour exemple l'atelier floral (activité mensuelle de confection d'un
bouquet de fleurs fraîches et/ou séchées,
réalisée dans un groupe de dix personnes) où elle avait
auparavant l'habitude de s'y rendre, et d'y prendre beaucoup de plaisir. Elle
offrait d'ailleurs, de temps en temps, son bouquet à une
résidente de son étage qui n'avait pu s'y rendre. En parlant de
cela, Mme A a souri, et a reconnu qu'elle appréciait en effet beaucoup
cette activité. La discussion a ensuite tourné sur l'ensemble des
activités de l'établissement, sur les spectacles à venir,
et des légers souvenirs, tous bons, rejaillissaient de la mémoire
de Mme A. Au bout de 35 minutes de séances, Mme A a demandé
à rentrer dans sa chambre. L'art-thérapeute stagiaire a
proposé, pour la prochaine fois, de réitérer le travail
fait sur le thème du piano, mais avec le thème des fleurs. Mme A
était d'accord. Rendez-vous donc huit jours plus tard.
Entretemps l'art-thérapeute stagiaire a fait part de
son travail aux animatrices, ainsi qu'au personnel du troisième
étage. L'équipe a quant à elle relaté à
l'étudiante leur investissement dans le projet, et ont remarqué
que Mme A allait de mieux en mieux (elle ne manifestait plus d'idées
noires, et était devenue moins nerveuse pendant ses
déambulations). Tout le monde l'encourageait régulièrement
pour qu'elle s'investisse à l'extérieur de sa chambre.
D'ailleurs, le matin où devait avoir lieu l'atelier
d'art-thérapie, Mme A s'était rendue, après plusieurs mois
d'absence, chez la coiffeuse de l'établissement. Il y a une part fautive
de l'art-thérapeute stagiaire car elle avait oublié de laisser
à Mme A une note informative du rendez-vous. L'étudiante est
allée à la rencontre de Mme A dans le salon de coiffure. La
coiffeuse venait de terminer la coiffure de Mme A à l'instant.
Après l'avoir complimentée sur son allure,
l'art-thérapeute stagiaire a demandé à la patiente si elle
souhaitait venir à l'atelier, dans la cafétéria. <<
Oui oui, mais pas longtemps, je suis un peu fatiguée. »
Sur la route menant à la cafétéria, Mme A
demandait à nouveau des nouvelles de l'animatrice, qui était de
retour depuis près de deux semaines. << On pourra aller la voir
après l'atelier, si ça vous dit, Mme A. », a proposé
l'art-thérapeute. La patiente était d'accord.
Mme A s'est souvenue avoir écouté de la musique
classique la dernière fois, mais a avoué ne pas savoir ce qu'il
était prévu de faire cette fois-ci. L'art-thérapeute
stagiaire a donc expliqué l'objectif de la séance. La
méthode de travail était la même que pour la
troisième séance : Mme A choisit un crayon et un support,
écrit un texte en rapport avec les fleurs, puis illustre son texte.
Cependant, Mme A n'arrivait pas à écrire ; il a fallu d'abord
trouver ensemble des mots-clé sur le thème des fleurs, puis faire
des phrases utilisant ces mots-clés avec ses souvenirs et ses
goûts. L'art-thérapeute stagiaire notait le « brouillon
>>, puis, quand Mme A a jugé qu'il y avait assez d'informations,
elle a recopié au propre les notes sur un papier épais
(comme celui utilisé en troisième séance). Le texte
était d'un taille similaire à celui réalisé sur le
piano, il y avait donc une place considérable pour décorer le
texte. Parmi différentes propositions d'illustration envisagées
par l'art-thérapeute stagiaire, Mme A a opté pour le dessin et le
transfert d'images*. Elle avait à sa disposition plusieurs papiers de
transfert comportant des images de rose, qui soit dit en passant est sa fleur
préférée. Elle demandait des conseils à
l'art-thérapeute stagiaire pour les placer sur la feuille, qui
devenaient de moins en moins fréquents au fil du déroulement de
la séance. La technique de transfert n'est pas simple car elle exige une
grande précision et une force de pression considérable dans la
durée pour que l'image soit transférée correctement. Mais
Mme A s'est appliquée silencieusement, l'art-thérapeute stagiaire
intervenait juste pour soulever délicatement le papier de transfert afin
de voir s'il pouvait être enlevé complètement sans que
l'image ne soit endommagée. Trois roses ont été ainsi
appliquées sur certains coins de la feuille, mais tout le centre et le
bas du support étaient encore vides. Pour le dessin, la méthode a
été bien différente. Mme A voulait avoir un dessin, mais
il était hors de question qu'elle le fasse. « Je n'ai jamais
dessiné, je ne sais pas faire. >> L'étudiante a
tenté de l'encourager à se donner un essai sur une feuille de
brouillon, mais elle n'y a clairement pas tenu. L'art-thérapeute
stagiaire a donc proposé de dessiner, à condition que Mme A lui
indique le plus de détails possible sur le dessin. En bref, Mme A
émettait les idées, et l'étudiante les mettait en forme.
Ici aussi, Mme A ne donnait au départ que de très vagues
idées, mais l'art-thérapeute stagiaire n'avait de cesse de lui
demander davantage de précisions, si bien qu'au final, Mme A devenait
très pointilleuse sur l'orientation de la tige des fleurs, de leur
grandeur, la couleur, la présence d'un cours d'eau, d'herbe, de soleil.
La production s'est achevée dès que Mme A l'a jugée comme
telle. « C'est très bien comme ça. >>
L'étudiante en a profité pour lui expliquer le
lien que l'on pouvait faire par rapport aux activités manuelles en
groupe. « Vous voyez, c'est aussi de cette façon que le travail en
groupe peut être intéressant : Certains ont les idées,
d'autres ont les mains pour les concrétiser. Les rôles sont aussi
importants l'un que l'autre. Mme A est restée silencieuse à cette
remarque, mais a néanmoins souri. L'art-thérapeute stagiaire a
demandé à la patiente si elle était
intéressée de réaliser la prochaine séance en
groupe, et Mme A a répondu qu'elle n'était pas contre, puis a
ajouté que cela pouvait être très intéressant.
Mme A et l'art-thérapeute stagiaire sont ensuite
allées voir Carine, l'animatrice, comme il était prévu.
Mme A a tenu à lui montrer la production, et a reçu ses
compliments à ce sujet. « Je vais le garder dans ma chambre, je
pourrais le montrer à tout le monde, comme ça. >> Et Mme A
ne s'en est pas privée. Pendant le chemin du retour vers la chambre,
plusieurs membres du personnel l'ont croisé et ont pu brièvement
discuter de l'oeuvre L'unanimité des retours positifs ont ému Mme
A qui, une fois arrivée dans la chambre, a chaudement remercié
l'art-thérapeute stagiaire, avant de ranger la production dans le tiroir
de son meuble de chevet. « Comme ça, je saurai où je l'ai
mis pour le montrer à ma famille lorsqu'ils me rendront visite. >>
L'étudiante a refait un petit mot pour que Mme A se souvienne du
rendez-vous la semaine suivante, mais qui pour des raisons d'emploi du temps de
la stagiaire art-thérapeute se déroulerait à 14h30.
Arrive donc la sixième, et dernière
séance d'art-thérapie avec Mme A. Cette dernière ne se
souvenait plus que la séance avait lieu aujourd'hui, elle avait de plus
perdu le papier qui indiquait le rendez-vous. Toutefois elle était
motivée et manifestait de la curiosité pour le travail que l'on
allait faire en groupe. L'art-thérapeute stagiaire avait appris, avant
d'aller la chercher, que Mme A avait participé à l'atelier
<< musique >> du vendredi passé, et que cela s'était
très bien passé. L'animatrice, le personnel et certains
résidents étaient heureux de la voir à cette
activité ; la fin de la prise en charge s'annonçait de plus en
plus rapidement, grâce à l'investissement du personnel dans la
démarche de réinsertion sociale de Mme A.
Mme A était la dernière à arriver dans la
cafétéria pour le travail de groupe, et cela l'a surprise.
Néanmoins elle a poliment salué les cinq autres personnes (deux
hommes et trois femmes) avant de s'installer à côté de
l'art-thérapeute stagiaire. Le groupe était organisé en
cercle, autour de deux tables rondes mises côte à côte. Le
travail de cette séance consistait en une activité de modelage
d'une fleur avec de l'argile auto-durcissante. Il était très
intéressant de voir comment cette activité allait s'organiser,
car aucun des résidents, y compris Mme A, n'avait fait de modelage dans
leur vie. C'était donc une initiation pour tous, et la communication
allait certainement tourner sur une thématique d'entraide et de conseil.
C'était d'ailleurs l'une des modalités de la consigne : <<
N'hésitez pas à vous aider les uns les autres, le principal est
de se faire plaisir et de le partager ensemble. >>
Le travail s'est donc effectué de la manière
suivante : l'art-thérapeute stagiaire a donné à chacun un
gros morceau d'argile et des accessoires de modelage divers. On
procédait étape par étape (<< d'abord on va former
une boule avec ses mains et en la faisant rouler sur la table en petits cercles
>>, << ensuite on va tracer à l'outil en pointe les marques
des pétales.... >>), l'artthérapeute stagiaire montrant
l'exemple à chaque fois qu'une nouvelle étape du modelage
était atteinte. Mme A était un peu nerveuse et travaillait en
silence, mais elle regardait attentivement faire les autres, et complimentait
de temps en temps l'avancement de l'un ou de l'autre. L'un des résidents
s'est intéressé au travail de Mme A, qui n'arrivait pas à
transformer le morceau d'argile en boule, et lui a montré sa
façon de faire. Mme A s'est aussitôt exécutée et est
parvenue à faire la boule. << Il en sait des choses, le monsieur
>> a-t-elle dit sur un ton épaté. Cela a fait rire le
groupe et Mme A semblait plus détendue qu'au départ.
L'artthérapeute stagiaire faisait aussi sa propre fleur, mais aidait de
temps en temps quand les résidents en faisait la demande. Au bout de 50
minutes de séance, une << pause-café >> s'est
imposée, et chacun s'est mis à discuter autour d'une friandise et
d'une boisson. Mme A restait un peu en retrait mais écoutait
attentivement les dires de ses voisins et voisines. Les résidents
étaient tous un peu timides au départ, mais ce petit moment de
détente a permis à chacun de faire un peu connaissance, et de
débattre sur des sujets d'actualité dans la bonne humeur. La
séance a ensuite repris. Tout le monde n'avançait pas à la
même vitesse, mais l'art-thérapeute stagiaire s'arrangeait
toujours pour que tout le monde puisse progresser ensemble, et ne laisser
personne à l'écart. On écartait, aplatissait les
pétales, on y gravait des motifs, et quand ça ne plaisait pas, on
recommençait. La méthode n'avait rien de simple, mais comme tout
le monde s'entraidait, ceux qui recommençaient leur fleur
possédaient déjà une fluidité honorable des gestes,
et rattrapaient assez vite le reste du groupe. La séance a presque
durée 2h30, et nous ne cacherons pas que le groupe était assez
fatigué, mais content de leurs résultats. Mme A semblait
déçu de l'allure de sa fleur, mais une autre dame lui assurait au
contraire que sa fleur était très bien réussie, ce qui
mettait en valeur Mme A, qui a particulièrement apprécié
le compliment. Quand la séance s'est terminée, les fleurs
devaient rester dans la cafétéria pour sécher. Chacun est
reparti dans sa chambre ou dans la salle de séjour, et
l'art-thérapeute stagiaire raccompagnait Mme A dans ses appartements.
Elle profitait de cette occasion pour demander à Mme A son opinion sur
l'activité qu'elle venait de passer, et sa réponse a
été tout à fait charmante : << Oh oui,
c'était bien. On devrait faire ça tous ensemble plus souvent.
>> Alors l'art-thérapeute stagiaire a enchaîné sur le
fait qu'une flopée d'activités n'attendait qu'elle pour
retrouver à nouveau ces moments agréables.
« Eh bien j'irai. >> L'objectif thérapeutique était
atteint : Mme A venait de manifester très clairement son envie de se
retrouver et de participer aux activités collectives de
l'établissement.
4) L'objectif thérapeutique n'aurait jamais pu
être atteint si rapidement sans le concours du personnel de
l'établissement.
Nous tenons à préciser encore une fois le
rôle massivement important du personnel dans le déroulement de la
prise en charge art-thérapeutique. Même si, dans le cadre de ce
travail, nous ne pouvons le prouver formellement, de tels résultats
n'auraient pu aboutir aussi rapidement si l'équipe n'avait pas autant
placé d'intérêt sur Mme A pendant cette période.
Après cela, l'art-thérapeute stagiaire a
régulièrement suivi « de loin >> l'évolution de
Mme A dans les activités de l'établissement, et le
résultat était spectaculaire : elle participait à une
grande majorité des activités proposées, et venait voir
les spectacles de danse réalisés par les diverses associations
qui intervenaient dans la structure. La belle-soeur de Mme A est
également venue rendre visite aux animatrices ainsi qu'à
l'art-thérapeute stagiaire, en les félicitant du travail qu'elles
avaient accompli. C'est à peine si elle reconnaissait Mme A, tant elle
avait changé en l'espace de quelques semaines.
Aujourd'hui, Mme A ne se souvient plus de
l'art-thérapeute stagiaire, ni de ce qu'elle a fait au cours de la prise
en charge, mais ce qui est sûr, c'est qu'elle a retrouvé
l'intérêt de se mêler à la collectivité, et
cet intérêt est entretenu par elle-même, mais aussi par les
autres (le personnel, ainsi que les amis résidents qu'elle a pu se
faire). Il arrive encore de temps en temps que Mme A soit triste certains
jours, mais elle ne tient plus du tout les propos qu'elle communiquait à
l'équipe soignante avant de mettre en place la prise en charge
artthérapeutique. Cette expérience a pu montrer
l'intérêt, mais aussi la modestie dont doit faire preuve la prise
en charge art-thérapeutique dans ce type de structure, car le travail
d'équipe a beaucoup apporté à l'atteinte de l'objectif de
réinsertion sociale de la patiente.
Nous allons maintenant nous pencher sur l'étude de cas de
Mme B, atteinte de la même pénalité mais de troubles
pathologiques différents.
B) Mme B, 84 ans, atteinte de troubles neurologiques
modérés a été indiquée vis-à-vis d'un
retrait relationnel dû à une défaillance des repères
spatio-temporels.
2) Il est nécessaire d'expliquer avant tout la
situation problématique et les troubles dont est atteinte Mme A. pour
mieux comprendre son état physique et psychique au regard de
l'expérience art-thérapeutique.
Mme B est une patiente de l'U.S.S.R. depuis 3 mois. C'est
l'une des deux assistantes sociales de l'établissement qui est venue
à la rencontre des animatrices et de l'art-thérapeute stagiaire
afin de réfléchir à un projet qui pourrait permettre
à Mme B de se socialiser avec les résidents des autres
étages, à travers les activités collectives d'animation.
En temps normal, les animatrices n'interviennent que dans l'U.S.L.D. (la partie
EHPAD de l'hôpital), mais il arrive de temps à autre
d'intégrer quelques patients de l'unité de soins de suite aux
activités d'animation. Certaines activités (spectacles,
pique-nique) intègrent même les deux unités.
Pourquoi indiquer Mme B ? Sa situation, tant sur le plan
psychologique que sur le plan social, est délicate et assez
précaire. Mme B vivait dans un appartement d'une
agglomération voisine, et de façon assez
recluse. Elle a été hospitalisée à cause d'une
chute, heureusement sans séquelle physique sérieuse, puis a
été transférée dans cette unité pour
effectuer la convalescence. Toutefois, Mme B continue de résider dans
l'unité bien après la fin de sa convalescence, et pour plusieurs
raisons. Tout d'abord, une raison sanitaire, car Mme A présente des
troubles neurologiques modérés, dont les principaux champs
atteints concernent ceux de la mémoire autobiographique,
spatio-temporelle, ainsi que des troubles du langage (compréhension et
expression verbales), qui ne permettent pas son retour au domicile sans une
aide tierce quotidienne. Mais il y a aussi une raison socio-juridique :
L'établissement ne dispose que de peu d'informations sur Mme B (son
identité, sa famille, ses papiers) et aucune piste sur un
éventuel contact avec sa famille n'a donné de suite. A cela
s'ajoute également une raison financière : Mme B n'a pas les
ressources nécessaires pour payer les factures de son séjour en
hôpital, qui continuent quotidiennement de s'alourdir ; et la situation
est d'autant plus inquiétante qu'il est impossible de joindre la moindre
de ses connaissances pour discuter de ce problème, et la patiente n'a
pas été en mesure de fournir des informations efficaces. Donc,
Mme B se trouve dans une situation extrêmement précaire, bien que
l'assistante sociale et ses partenaires fassent le maximum pour mettre un terme
à ce problème.
« Mme B ne comprend pas ce qu'elle fait ici, pourquoi
elle n'est pas chez elle », a dit l'assistante sociale aux animatrices et
à l'art-thérapeute stagiaire. « Toute la journée elle
s'ennuie et est terrorisée à l'idée de ne pas savoir
où elle sera demain. Nous, nous faisons la maximum pour la garder le
plus longtemps possible parmi nous, car vu son état de santé, ce
serait irresponsable de la laisser rentrer chez elle. Je vous demande donc, si
c'est possible, de l'intégrer aux groupes d'animation, ça lui
changerait les idées et pourrait calmer son angoisse. C'est une dame
tout à fait charmante, mais qui a beaucoup de mal à comprendre et
à s'exprimer sur pas mal de choses. »
Les animatrices et l'art-thérapeute stagiaire se sont
mises d'accord pour que cette dernière mette en place une prise en
charge art-thérapeutique individuelle, afin d'avoir une relation
privilégiée avec la patiente dans un premier temps, et lui
permettre de se familiariser en douceur avec l'institution et ce qu'elle est
susceptible de lui proposer (nous entendons par là tout ce qui ne
relève pas des soins médicaux classiques de l'hôpital), ce
qui pourrait calmer l'état d'anxiété et d'ennui dans
lequel elle se trouve.
L'art-thérapeute stagiaire a fait part de ce projet au
personnel soignant du troisième étage, qui a tout de suite
souligné l'intérêt de la prise en charge de cette patiente,
et donné leur accord.
Revenons maintenant en détail sur la
personnalité de Mme B et de ses troubles. La patiente a
énormément travaillé durant sa vie comme femme de
ménage ; le travail est d'ailleurs une thématique de discussion
récurrente chez elle. Elle a également connu un long passé
éthylique, mais elle n'éprouve plus aujourd'hui un quelconque
besoin de boire de l'alcool. Mme B aime particulièrement l'ordre, le
rangement, et le calme. Cependant, Mme B n'arrive pas à établir
de repères stables depuis qu'elle est arrivée à
l'hôpital de l'Ermitage. Ses troubles neurologiques sont tels qu'elle
n'arrive pas (ou presque pas) à se souvenir de la date du jour, du lieu
où elle se trouve, du numéro de sa chambre, des intervenants qui
lui rendent visite quelques instants, ou quelques heures auparavant. Une
atteinte de la mémoire à court terme a été
diagnostiquée, qui peut être expliqué par les effets
néfastes dûs à l'abus d'alcool. Mme B est sujette à
des troubles nerveux qui se manifestent en légères secousses de
la tête et des doigts, très fréquemment quand elle n'arrive
pas à formuler de phrase pour communiquer. Mme B occupe une chambre
double, elle est donc souvent accompagnée d'une autre patiente ; mais
elle ne s'investit dans aucune relation. Elle passe ses journées
à regarder nerveusement à travers la fenêtre, en silence.
Elle est toutefois capable de se lever et de se déplacer seule sans
l'aide d'un tiers, humain ou matériel.
2) Mme B est convaincue, lors des présentations,
qu'elle va rentrer chez elle, soulignant l'inutilité d'une prise en
charge.
Le lundi 25 janvier 2010, l'art-thérapeute stagiaire
est allée a la rencontre de Mme B dans sa chambre, qui regardait, a
travers la fenêtre, la pluie tomber sur Tours (l'établissement est
situé dans les hauteurs de la ville, offrant une vue
particulièrement superbe sur la ville). La patiente était
visiblement distraite, puisqu'elle s'est mise a sursauter au moment où
l'étudiante lui faisait face a moins d'un demi-mètre pour lui
serrer la main. Un petit rire a échappé de Mme B.
L'art-thérapeute stagiaire s'est présentée et a fait part
a la patiente de sa connaissance sur l'ennui qui la minait depuis plusieurs
semaines. Mais Mme B a eu une réaction qui a surpris cette fois
l'étudiante : << Oui ça m'arrive de temps en temps, mais ne
vous inquiétez pas pour moi, je rentre chez moi demain. Ce ne sera plus
un souci. >> L'artthérapeute a joué le jeu et a
manifesté son ravissement pour son prochain retour au domicile. Elle a
brièvement enchaîné quelques banalités avec Mme B,
puis l'a poliment quittée. Cette attitude ne traduisait pas un
désemparement de l'art-thérapeute stagiaire face a cette
situation inattendue, mais il n'était pas utile de proposer a une
patiente, qui était convaincue de quitter l'établissement dans
les prochaines 24 heures, un projet qui s'étalerait probablement sur
plusieurs semaines et qui se réaliserait ici-même a
l'hôpital. L'étudiante s'est donc engagée a revenir la voir
le surlendemain matin pour en discuter, et bien évidemment, Mme B ne le
savait pas.
Deux jours plus tard donc, l'étudiante est revenue vers
Mme B, qui ne se souvenait plus de l'avoir rencontrée. Elle s'est a
nouveau présentée, mais n'a guère touché un mot sur
son supposé << départ >> qui aurait dû avoir
lieu la veille. Mme B n'en a pas parlé non plus, mais elle était
aujourd'hui d'une humeur beaucoup plus nerveuse et triste que la
première fois. L'art-thérapeute stagiaire lui a demandé si
elle s'ennuyait la journée, a rester dans sa chambre et regarder dehors
par la fenêtre. Mme B secouait très légèrement la
tête, et fixait son interlocutrice sans répondre le moindre mot.
L'art-thérapeute stagiaire lui a ensuite demandé si elle savait
où elle se trouvait, si elle arrivait a se repérer. Mme B a
levé les sourcils, souri et mordu sa lèvre inférieure tout
en baissant les yeux vers le bas de la vitre, toujours en silence. <<
Cela vous inquiète peut-être un peu, >>, a continué
l'art-thérapeute stagiaire, << comme vous avez fait une chute il
n'y a pas longtemps, vous n'osez peut-être pas vous promener un peu dans
l'établissement ...? >>. Mme B a répondu que <<
c'était tout un travail >> en affichant un petit sourire.
L'art-thérapeute a alors proposé de faire toutes les deux un
petit tour de l'étage, pour voir comment ça se passe en dehors de
la chambre. Mme B a acquiescé d'un mouvement de tête, et toutes
deux sont sorties dans le couloir. L'art-thérapeute stagiaire a
demandé a la patiente de se tourner face a sa chambre, et de regarder la
plaque sur le mur qui indiquait son numéro. << Vous voyez, vous
êtes au 309 (pour des raisons de confidentialité, le numéro
de chambre a aussi été modifié) . Au 309,
côté fenêtre. Mme B acquiesçait de nouveau en levant
les sourcils. Quand elles se sont mises a marcher dans le couloir, la patiente
a tendu son bras pour que l'étudiante lui serve d'appui.
Désormais bras-dessus bras-dessous, les deux dames se baladent
doucement, saluant le personnel et les résidents qu'elles croisaient au
passage. Au bout de quelques minutes, Mme B s'étonnait du monde qui
circulait dans le couloir. << Ça bouge, ça travaille
beaucoup par ici ! C'est important de travailler, je sais ce que c'est.
>> L'artthérapeute stagiaire expliquait brièvement a Mme B
chaque lieu et son rôle, et cette dernière enchaînait
toujours par une phrase ou quelques mots qui faisaient référence
au travail hospitalier ou ménager. L'étudiante en a
profité pour l'accrocher sur la prise en charge : << Si vous aimez
tant travailler, Mme B, alors j'aurais quelque chose a vous proposer, mais
attention, ça n'a rien a voir avec le ménage ! >> Au vu du
timbre de voix chargée d'humour de l'art-thérapeute stagiaire,
Mme B s'est mise a rire et manifestait sa curiosité. Comme elle avait
beaucoup de mal a reconstituer sa vie passée, un
travail autobiographique similaire a celui proposé a Mme A
n'était pas ce qu'il y avait de plus adapté. Ayant fait beaucoup
de travaux manuels, l'étudiante a donc proposé a la patiente de
faire une activité artistique de confection d'animaux avec divers
matériaux. Mme B a répondu que c'était un travail qui lui
était inconnu, mais l'étudiante a rétorqué le fait
qu'il s'agissait justement de l'occasion de se lancer dans quelque chose qui
puisse sortir de son ordinaire, et que cela pouvait être très
ludique. Mme B était d'accord pour un essai. < Mais on va faire
ça où ? » L'art-thérapeute a proposé la
cafétéria du premier étage, qui était
également un lieu inconnu de Mme B, qui a alors répondu que
c'était l'occasion < de sortir un peu de tout ça ». Le
rendez-vous s'est fixé au lendemain matin, soit jeudi, a 10h.
L'art-thérapeute stagiaire et Mme B sont allées a la rencontre du
personnel soignant de l'étage et cette première les a
informées de la mise en place de la prise en charge
art-thérapeutique. Ensuite, elle a raccompagnée Mme B dans sa
chambre ; elle a eu du mal a reconnaître l'endroit, ce n'est qu'une fois
arrivée en face de son fauteuil qu'elle s'est souvenue qu'il s'agissait
bien du sien, et de sa fenêtre. Mme B a remercié
l'art-thérapeute stagiaire, et lui a serré la main.
L'étudiante est ensuite allée retrouver l'assistante sociale et
les animatrices pour également les informer de ce qui s'était
passé, et du projet qui allait commencer.
3) La prise en charge art-thérapeutique s'est
déroulée sur 5 séances.
Comme convenu, l'art-thérapeute stagiaire est venue
chercher Mme B pour se rendre a la cafétéria et commencer la
séance. Mme B s'est souvenue l'avoir effectivement vue la veille, mais
ne se souvenait ni de son nom, ni de ce dont elles avaient discuté.
L'étudiante le lui a brièvement rappelé, et la patiente
semblait bien décidée a la suivre. < Alors, on va
travailler... », disait Mme B sur le chemin.
Arrivées sur place, la patiente a trouvé
l'endroit très joli et agréable. Les deux personnes se sont
installées, et ont laissé la porte d'entrée du local
entrouverte, a cause d'un problème technique du chauffage des
radiateurs, qui rendait la chaleur de la pièce insoutenable. Mme B et la
stagiaire s'étaient assises a une grande table ronde, presque côte
a côte. Devant elles était posé le matériel
nécessaire a cette séance, a savoir des planches de carton, de la
peinture, des pinceaux, des crayons, des ciseaux, de la colle, des papiers
colorés. Mme B regardait silencieusement tous les matériaux.
< Alors, on commence la confection du chat en carton ?
» a demandé l'art-thérapeute stagiaire, < À moins
que vous ayez envie de faire autre chose ? ». Mais Mme B ne voulait pas
changer d'idée, le chat lui convenait très bien. Elle a en
revanche demandé a ce qu'on lui explique comment faire, car elle n'avait
jamais fait ce genre d'activité auparavant. L'étudiante lui a
donc expliqué en créant devant elle un modèle ; on
traçait une silhouette simple du corps du chat sur une des planches de
carton, qu'on découpait ensuite, puis, au choix, que l'on coloriait ou
peignait, en mettant certains détails comme les yeux et la bouche. Mme B
a froncé les sourcils, puis a souri a l'art-thérapeute stagiaire.
< Pendant que vous faites le vôtre, Mme B, je vais en faire un aussi.
Et si vous coincez sur quelque chose, n'hésitez pas a me demander.
» Ce qui n'a pas du tout tardé, car Mme B regardait la planche de
carton, et le modèle, d'un air fort évocateur de
perplexité. L'étudiante lui a demandé ce qui n'allait pas,
et Mme B lui a répondu qu'elle était tout a fait incapable de
dessiner la forme d'un chat, aussi simple soit-elle supposée.
L'art-thérapeute stagiaire a alors proposé de ne dessiner que la
forme de la tête d'un chat sur le carton. Elle a demandé a Mme B
les éléments principaux qui permettaient de reconnaître un
chat parmi les autres animaux. Elle a évoqué les oreilles, les
longues moustaches, les yeux, puis les poils. Mais le fait de devoir dessiner
quelque chose rebutait Mme B, l'art-thérapeute stagiaire n'a donc pas
insisté, et a tracé, puis découpé la
figure à sa place. En revanche, elle souhaitait
réellement << donner de la couleur à ce petit chat ».
Après les encouragements de l'étudiante envers Mme B pour ne pas
hésiter à toucher et manipuler le matériel dont elle
disposait, cette dernière a versé un peu de peinture acrylique
noire sur les restes de la planche en carton, transformé ainsi en
palette, a saisi un pinceau à la brosse assez épaisse, puis
à commencer à peindre la figure. Pour ne pas mettre Mme B dans
une situation inconfortable, l'art-thérapeute stagiaire a aussi
tracé puis découpé une tête, puis la peignait au
même rythme que sa voisine. Mme B était très
concentrée sur sa tâche, et ne disait mot. Elle faisait
régulièrement des pauses de quelques secondes, où elle
regardait sa figure, et cherchait les zones restantes à peindre. Quand
elle a fini de peindre la figure en noir, elle a choisi (toujours après
des encouragements) de prendre de la peinture blanche pour faire les yeux, les
moustaches et la bouche. Tout de suite, la difficulté s'est
corsée ; Mme B n'arrivait pas à savoir où les peindre sur
la figure. L'art-thérapeute stagiaire lui a lancé quelques
indices pour stimuler au maximum son autonomie, mais sans succès.
L'étudiante a donc peint la moitié droite de la figure (un oeil,
les moustaches et une partie de la bouche), et a demandé à Mme B
de faire l'autre moitié. Après quelques hésitations, Mme B
y est parvenue. La figure faisait une douzaine de centimètres de
longueur pour près de dix en largeur, et il a fallu près de 45
minutes pour terminer la peinture. Mme B a bien apprécié
l'activité mais est déçue de son travail, et ne souhaite
pas conserver la production.
<< Voulez-vous poursuivre avec autre chose, ou bien
préférez-vous vous arrêter là pour aujourd'hui ?
», a demandé l'art-thérapeute stagiaire. Mme B a
préféré en rester là. Elles ont rangé le
matériel ensemble dans les sacs et les placards de la
cafétéria, puis sont tranquillement reparties vers la chambre de
la patiente. Arrivée devant l'entrée, Mme B s'est
arrêtée brutalement, les sourcils nettement froncés, et la
tête qui se secouait. << C'est ma chambre, là ? »
L'étudiante a acquiescé et lui a tenu le bras jusqu'à ce
qu'elle soit devant son fauteuil, qu'elle a aussitôt reconnu, apaisant sa
nervosité. L'art-thérapeute stagiaire a ensuite proposé
à Mme B de se revoir la semaine suivante, le même jour, au
même horaire et lieu, ce qu'elle a accepté.
À la deuxième séance, Mme B était
très accueillante, et assez énergique. Bien qu'elle soit autonome
dans ses déplacements, ses troubles spatiotemporels sont tels qu'elle ne
pourrait pas retrouver son chemin, et même oublier où elle doit se
rendre ; l'art-thérapeute stagiaire l'accompagne donc pour chaque aller
et chaque retour de l'atelier d'art-thérapie.
Mme B était d'accord pour essayer à nouveau de
réaliser un chat en carton. Mais il était toujours impossible de
la convaincre d'essayer de dessiner la silhouette, même si elle pouvait
recommencer autant de fois qu'elle le souhaitait. L'art-thérapeute
stagiaire a donc tracé la forme d'un corps de chat complet, ayant la
tête de face et le corps dressé de profil. En revanche, Mme B
était d'accord pour découper elle-même la figure. Elle
s'est bien débrouillée, elle a juste demandé un peu d'aide
pour terminer le découpage de la queue.
Avec les encouragements de l'étudiante, Mme B a saisi
le matériel qu'elle désirait, et l'a utilisé avec
application. Elle était de temps en temps aiguillée par
l'art-thérapeute stagiaire sur les zones à peindre, le choix des
couleurs et comment s'y prendre << sans faire de bêtises » ;
en tous cas, pour ce qui concernait la gestuelle, Mme B était
parfaitement autonome. La séance s'est déroulée dans le
calme, la patiente restait toujours aussi concentrée dans ses
actions.
Au bout d'une 1h10 de séance, Mme B a terminé
son chat en carton, qu'elle a qualifié << de très mignon
». L'art-thérapeute stagiaire lui a demandé si elle
souhaitait le conserver, et l'emmener dans sa chambre. << Oui », a
répondu Mme B avec un léger sourire, << je pourrais le
montrer à ma voisine comme ça ». Ces paroles ont
rappelé à l'étudiante que Mme B avait eu depuis peu une
nouvelle voisine de chambre, cela était l'occasion de la rencontrer et
d'en savoir un peu plus sur les liens qu'elles entretiennent toutes les
deux.
Mme B restait pensive en regardant sa production. Après
un petit silence, elle a émis le regret de ne pas avoir pu faire ce
genre de choses avec ses enfants, qu'elle n'en avait pas le temps. Suite
à cela son visage s'est fermé, ses yeux devenus tristes.
L'art-thérapeute lui a demandé combien d'enfants elle avait, mais
Mme B restait mutique. Ce n'est qu'une fois rentrée dans sa chambre que
son visage s'est détendu, et qu'elle a salué l'étudiante,
en lui donnant son accord pour continuer le travail la semaine prochaine. Mais
avant de quitter la chambre, l'art-thérapeute stagiaire a profité
de la présence de sa voisine pour engager la conversation.
C'était une dame tout à fait charmante, qui était dans le
service à cause d'une fracture du bras et de l'épaule. <<
Oui, je suis arrivée avant-hier, ou bien c'était il y a trois
jours, je ne sais plus. J'ai pu faire la connaissance de ma voisine, et on
s'entend bien, on parle un peu de tout et de rien. >> La voisine
était très curieuse de savoir ce qu'avait fait Mme B, et cette
dernière lui a timidement montré le chat noir à queue
blanche qu'elle avait faite. << Oh ! Mais qu'il est mignon, avec sa
petite queue blanche et ses yeux verts ! Ah les chats, qu'est-ce que c'est beau
! >> Mme B a acquiescé en riant doucement, puis une joyeuse
discussion autour de l'univers des félins a germé pendant un
petit quart d'heure. L'art-thérapeute stagiaire a demandé aux
deux résidentes si elle pouvait utiliser une des chaises
présentes pour s'asseoir auprès d'elles, ce qui a
été bien sûr autorisé. Se sont
enchaînés de petites anecdotes de vie de chacune, les
problèmes de la société, quelques recettes de cuisine, le
quotidien à l'hôpital... Mme B, qui jusque là ne parlait
que peu et sur des thématiques récurrentes, s'est mise à
participer activement à la discussion. Toutefois, l'arrivée de la
kinésithérapeute, qui avait rendez-vous avec Mme B, a mis fin au
débat. Chacune s'est quittée avec le sourire. Il était bon
de savoir que Mme B nouait doucement une relation avec sa voisine, ce qui
n'avait jamais été le cas auparavant.
Lors de la troisième séance, Mme B a
demandé à l'art-thérapeute stagiaire ce qu'elles allaient
faire. L'étudiante lui a répondu qu'elle était ouverte
à toute suggestion, mais Mme B n'avait pas d'idée
particulière. << Aimez-vous les poupées ? >> Mme B a
acquiescé ; l'artthérapeute stagiaire lui a alors proposé
une activité de confection de poupées avec divers
matériaux de récupération. << Ah oui tiens, pourquoi
pas ? C'est du travail, ça. >>.
Une fois installées dans la cafétéria,
l'atelier a débuté. Mme B a toujours besoin d'un coup de pouce
pour démarrer sa production, notamment dans le choix des matières
et des couleurs. Les silhouettes de poupées, toujours en carton, ont
été préalablement définies et
découpées par l'art-thérapeute stagiaire. Quand une
étape de la confection était terminée, Mme B ne
lançait pas d'elle-même la suite du travail, c'était
toujours l'étudiante qui la guidait dans la marche à suivre. Mais
au fil de la séance, Mme B demandait de moins en moins l'avis de
l'étudiante, et travaillait de plus en plus sereinement ; elle
choisissait elle-même les matières pour représenter les
cheveux de la poupée, ses vêtements, ses parures, son maquillage.
L'atelier a duré près d'une heure, et Mme B a eu le temps de
créer deux poupées, rebaptisées << princesses
>> d'un commun accord ; les figures étaient très adultes,
très féminines.
Lorsque la séance s'est terminée,
Marie-Agnès, l'une des deux animatrices de la structure, est
entrée dans la cafétéria pour voir comment ça se
passait. À la vue des productions, l'animatrice a présenté
ses compliments à Mme B, qui l'a remerciée. MarieAgnès a
profité de la situation pour demander à Mme B de <<
partager ses talents >> avec d'autres résidents lors des
activités d'animation, et a souligné l'intérêt que
cela pourrait avoir pour elle comme pour les autres. << Ça vous
permettrait aussi de vous familiariser avec la structure, et de prendre de
nouveaux repères. >> Mme B ne répondait pas, elle souriait,
mais les secousses nerveuses reprenaient. L'animatrice lui a alors
proposé un << essai >> : elle lui a demandé de venir
participer à l'activité de revue de presse qui allait avoir lieu
l'après-midi même. C'est une activité où
l'animatrice passe en revue le journal local auprès d'un petit
groupe de résidents, et que les informations sont
ensuite discutées et débattues dans la bonne humeur et autour
d'un bon café. Mme B a laissé échapper un petit rire
discret, puis lui a donné son accord. L'art-thérapeute stagiaire
a ensuite raccompagné Mme B dans sa chambre. Elle a voulu laisser une
des << princesses >> dans la cafétéria, et a pris
l'autre pour l'offrir à sa voisine ; ce qui a beaucoup touché
cette dernière. << Oh, ça me fera un petit souvenir de vous
et de l'Ermitage, car je pars lundi prochain >>, a chaleureusement
lancé la voisine. Mme B lui a rétorqué que la
coïncidence était de taille, car elle rentrait aussi à son
domicile lundi (ce qui était, dans la réalité,
malheureusement incorrect). L'art-thérapeute ne lui a donc pas
donné de rendez-vous pour la semaine suivante, mais reviendra cependant
la voir le jeudi suivant.
Après avoir salué les deux résidentes,
l'art-thérapeute stagiaire est allée à la rencontre de
l'une des infirmières de l'étage, et lui a demandé s'il y
avait une raison au fait que Mme B évoquait souvent son retour prochain
au domicile. << Oui, mais tu sais, c'est délicat avec Mme B. Elle
demande parfois aux filles combien de temps son séjour ici va durer, et
comme personne ne le sait, ça l'angoisse, alors certaines filles lui
disent simplement qu'elle va << rentrer bientôt >>, pour la
détendre. Parfois, elle s'en souvient, et parfois elle oublie. >>
L'artthérapeute stagiaire a alors demandé, le jour où elle
est sensée quitter l'établissement, comment elle vivait cette
incompréhension. << Souvent oui elle est triste, on vient la
réconforter, on lui dit qu'on va prendre soin d'elle encore un petit
peu, qu'il n'y a pas à s'inquiéter, mais c'est délicat
comme situation. >> En effet, pour quelqu'un qui a du mal à se
repérer dans le temps et dans l'espace, sa situation sociale et
financière n'arrange guère son état. Cela redonne d'autant
plus d'intérêt au fait de l'insérer dans la
collectivité de l'établissement ; les liens qu'elle se forge avec
autrui et les projets que le groupe met en place l'inscrivent dans un
repère spatio-temporel solide.
Concernant Mme B, elle s'est effectivement rendue à la
revue de presse l'après-midi, et selon l'animatrice, elle s'est
progressivement ouverte à la discussion, et a apprécié
l'activité ; elle s'est dite prête à revenir pour la
prochaine fois.
La quatrième séance n'a eu lieu que deux
semaines plus tard. L'assistante sociale avait prévenu
l'art-thérapeute stagiaire qu'un événement très
contraignant était arrivé dans l'histoire de Mme B, et que cela
l'avait complètement démoralisée. L'étudiante
était donc allée la voir le jour prévu, mais Mme B restait
prisonnière de son chagrin. Elle avait des tics nerveux dans le cou et
sur les bras, et ne parlait pas. L'art-thérapeute stagiaire n'a donc pas
insisté, et a promis de revenir la voir bientôt pour prendre de
ses nouvelles. Son état s'est progressivement amélioré au
fil des jours, et le jeudi suivant, elle était d'accord pour faire des
activités manuelles à la cafétéria.
Cette fois, l'art-thérapeute stagiaire lui a
proposé de faire du scrapbooking. C'est une technique artistique
originaire des États-Unis d'Amérique, qui consiste à
mettre en page les photos et les images grâce à différentes
matières (papiers, tissus, boutons, paillettes...). Depuis quelques
années, cette technique est à la mode en France, et passionne
autant les enfants que les adultes. L'objectif de l'activité consistait
à mettre en valeur une photo d'un chien récupéré
sur un ancien calendrier. Mme B aimait beaucoup les animaux, et c'est elle qui
a choisi cette photo parmi les autres proposées. L'art-thérapeute
stagiaire et Mme B faisaient chacune leur décoration, mais
l'étudiante restait toujours disponible si Mme B avait besoin d'aide.
Toutefois, au bout d'un quart d'heure d'activité, une
résidente de l'établissement, que nous nommerons Mme C, qui
faisait également l'objet d'une prise en charge
art-thérapeutique, a observé le travail à travers l'une
des baies vitrées, et est entrée pour << voir de plus
près >>. L'art-thérapeute stagiaire allait cordialement lui
expliquer que le présent atelier se réalisait en binôme,
mais Mme B a prié Mme C de se joindre à elles. La situation
était très intéressante et montrait l'évolution
qu'il y avait entre les débuts timides et silencieux de la patiente, et
ce
qu'elle était aujourd'hui. Mme C est donc venue
s'asseoir près de Mme B, et très rapidement elles se sont mises
à travailler ensemble, sur la proposition de Mme B. Les deux
résidentes ne se connaissaient pas, et pourtant elles se sont
aisément liées pendant la séance.
Quelques aides-soignantes qui passaient par là sont
également entrées dans le local pour les féliciter de leur
travail et de les encourager à faire encore mieux. L'une d'entre elles
leur a fait remarquer « qu'elle ignorait qu'il y avait de si grandes
artistes au sein de l'hôpital », ce qui a beaucoup amusé les
deux dames. L'intérêt de cette séance s'en retrouvait
doublée car elle permettait de mettre deux patientes en situation de
groupe et d'observer le déroulement des événements. Au
bout d'1h20, la production a été déclarée
achevée d'un accord commun entre Mme B et Mme C. Elles étaient
fières du résultat, et l'art-thérapeute stagiaire les en a
félicitées. Mme B a voulu offrir la production à Mme C,
mais elle a refusé, en jugeant que ce travail méritait davantage
d'être conservé par la personne qui l'avait commencée. Mais
Mme B ne souhaitait pas garder sa production ; l'art-thérapeute
stagiaire a donc proposé de conserver la production à la
cafétéria, afin de pouvoir être vu par les visiteurs et les
clients. Mme B a timidement donné son accord, et Mme C trouvait
l'initiative très bonne. « C'est le début de la gloire
», a-t-elle dit en riant.
Les deux dames ont rangé le matériel avec
l'étudiante, puis se sont dit au revoir, tout en manifestant leur
ravissement quant à leur rencontre. L'art-thérapeute stagiaire a
raccompagné Mme B dans sa chambre, et lui a proposé de faire de
la création de bijoux pour la prochaine fois, mais dans un groupe d'au
moins quatre personnes. « Oui, ça peut être bien ! »
Cette prochaine séance a comme objectif thérapeutique de
s'assurer que Mme B peut être à l'aise dans un groupe et prendre
du plaisir au sein de l'activité.
Pour la cinquième séance, Mme B hésitait
à venir. Elle ne se souvenait plus de ce qui était prévu,
mais sa curiosité et son énergie habituelles étaient
à peine détectables. L'artthérapeute stagiaire l'a
encouragée à venir, au moins pour voir comment ça se
passerait, et si la patiente n'était pas emballée par
l'activité, elle prendrait fin aussitôt. Avec ce genre de
compromis, Mme B s'est finalement accordée un essai.
L'art-thérapeute avait remarqué qu'elle avait une nouvelle
voisine de chambre, mais qui ne parlait pas du tout le français,
peut-être que cela avait influencé son moral, car elle aimait
beaucoup l'ancienne voisine.
Mme B était la deuxième personne à
arriver dans la cafétéria pour l'activité. Une autre
résidente de son étage était là (on l'appellera Mme
D), mais elles ne s'étaient jamais vues. Les deux autres
résidents du premier étage invités à participer
sont arrivés peu après (et Mme C en faisait partie). Tout le
monde s'est poliment salué. L'art-thérapeute stagiaire a ensuite
expliqué le principe de l'activité : chacun a un long morceau de
fil élastique dans lequel ils vont enfiler des perles de leur choix
parmi les variétés qui leur sont proposées. La
réalisation sera soit un bracelet, soit un collier (voire les deux si
certains souhaitent en faire d'autres) ; chacun a le droit de conserver pour
soi une de leurs créations, les autres seront destinées à
être vendues, et dont les bénéfices seront reversés
à l'association interne de l'établissement (Les Amis de
l'Ermitage), qui permet de financer des spectacles et des sorties pour les
résidents. Tout le monde était d'accord avec la consigne, et
chacun s'est mis au travail. Mme B a pris un petit tas de perles, puis a
commencé à trier celles qu'elle souhaitait utiliser pour son
bracelet. Chacun travaillait d'abord en silence, puis, au fil du temps, des
discussions sur l'activité ont germé, on regardait le travail de
l'autre, on se donnait des conseils, on s'encourageait, on s'entraidait. Durant
cette séance, l'art-thérapeute stagiaire est allée aider
les autres plus souvent qu'elle ne l'a fait pour Mme B. Cependant,
c'était aussi la plus lente dans la cadence de travail, mais elle ne
s'est pas découragée, au contraire. Au bout de 45 minutes,
l'art-thérapeute stagiaire a proposé une pause « bien
méritée » à l'ensemble du groupe, qui s'est
lancé dans des discussions « arrosées », accusant
gaiement l'art-thérapeute stagiaire de ne pas offrir de verre de vin
pour les récompenser de leur dur labeur. Puis on a parlé de la
famille, de la vie quotidienne, de la ville de Tours, et d'un
tas d'autres choses, et qui ont continué d'être abordés
quand tout le monde s'est remis à la confection de bijoux. L'ambiance
était chaleureuse, et Mme B riait beaucoup. La séance a
duré un total de deux heures, et le groupe ne cachait pas sa fatigue sur
les dernières minutes de l'activité. Chacun a eu le temps de
réaliser deux bijoux (deux bracelets sauf pour l'un des résidents
qui avait fait un collier et un bracelet), Mme B a tenu à ce qu'ils
soient vendus tous les deux. << Je ne suis pas vraiment bijoux, moi, vous
savez », a-t-elle dit à l'étudiante. Chacun a donné
du sien pour ranger le matériel et les chaises, puis est reparti dans
leur chambre. L'art-thérapeute stagiaire a raccompagné Mme B et
Mme D en même temps, comme elles étaient au même
étage. Mme D a fait part à Mme B du bonheur qu'elle a
éprouvé suite à leur rencontre, ce qui a ému Mme B.
Arrivées dans la chambre de Mme D, sa voisine d'étage lui a
promis de lui rendre visite régulièrement, comme elle
n'était qu'à quelques mètres de chez elle, elle se sentait
capable de retrouver ses repères. Les deux dames se sont saluées,
puis, cette fois, Mme B a accompagné l'art-thérapeute stagiaire
jusqu'à l'ascenseur. << Ne vous inquiétez pas pour moi,
» a dit Mme B avec le sourire, << Je sais où est ma chambre
maintenant. » L'étudiante a acquiescé, et lui a
annonçait la fin de la prise en charge ; et que désormais, elle
compte sur Mme B pour participer aux activités d'animation. <<
Maintenant que vous avez votre fan-club, Mme B, il ne va pas falloir rater vos
rendez-vous ! ». La résidente s'est mise à rire, et a
souhaité une bonne continuation à l'étudiante.
Celle-ci s'est aussitôt rendue auprès du
personnel soignant pour leur signaler que la prise en charge était
terminée. L'infirmière a félicité
l'art-thérapeute stagiaire de son travail, mais cette dernière a
modestement souligné l'importance du travail d'équipe qui avait
permis ce résultat. << En tous cas, ça nous ravit tous de
la voir sortir de sa chambre et de se faire des amis. », a dit l'une des
aides-soignantes.
4) Mme B est aujourd'hui une résidente très
connue des activités collectives de l'hôpital.
Quand l'étudiante est revenue quelques mois plus tard
pour saluer le personnel et prendre des nouvelles des résidents, on l'a
informée que Mme B était toujours là et qu'elle
participait à une grande majorité des activités
dispensées par les animatrices. Elle est aimable et prévenante
envers tous, et est très appréciée du personnel autant que
des résidents. Quand l'art-thérapeute stagiaire est venue saluer
Mme B, celle-ci ne l'a pas reconnue, mais lui a souhaité de <<
bien se ménager quand on travaille ». Sa situation socio-juridique
ne s'est guère améliorée avec le temps, mais au moins, Mme
B est aujourd'hui une personne qui s'est bien intégrée au sein
des différents groupes de résidents, et qui continue de
s'épanouir grâce à la bienveillance des membres de
l'équipe de soins.
Nous allons maintenant approcher plus en détail les
résultats de ces deux prises en charge, afin de les analyser, puis les
synthétiser pour en comprendre clairement les enjeux, les champs
d'action mais aussi les limites.
C) L'analyse des résultats met en
évidence les points communs et les particularités de chaque
patiente au regard de la prise en charge art-thérapeutique.
1) Il est nécessaire d'établir un rappel des
deux expériences art-thérapeutiques dans un souci de
simplification nécessaire à une compréhension optimale de
l'analyse de ces expériences.
Les données observées de ces deux
expériences sont assez nombreuses et complexes, et peuvent
paraître ambiguës au niveau du lien qu'elles entretiennent avec
l'art-thérapie. C'est pour cela que nous allons évoquer de
façon synthétique la raison qui a amené la patiente
à suivre un travail art-thérapeutique, comment celui-ci a
opéré et quel bilan a pu être dressé à la fin
de la prise en charge.
Mme A était une patiente atteinte de la maladie
d'Alzheimer à un stade modérément avancé. Elle
s'était toujours relativement investie dans les activités de
l'établissement, mais progressivement, elle s'est détachée
de la collectivité, et ne souhaitait plus que rester dans sa chambre
<< à attendre la fin ». Sa famille qui venait lui rendre
visite ne savait plus quoi faire pour lui changer les idées et sortir de
son comportement dépressif. Sur indication du personnel soignant du
troisième étage, un projet de prise en charge
art-thérapeutique en individuel a été envisagé.
L'objectif principal était, bien sûr, d'amener Mme A à
désirer se réinvestir au sein des groupes de résidents qui
participaient aux activités d'animation (et dont certains étaient
ses amis) ; toutefois, cet objectif est impossible à obtenir sans
atteindre préalablement des objectifs dits <<
intermédiaires », surtout quand il s'agit de
réinsérer socialement une personne exclue. Tout d'abord, il a
fallu établir une relation de confiance dans un cadre rassurant ; c'est
ce qui s'est passé dans les séances réalisées dans
la chambre de Mme A et << à l'abri » des autres, qui
angoissaient à ce moment-là la patiente. La maladie d'Alzheimer
ne facilite guère l'assimilation de nouveaux repères, la relation
est donc très fragile, et doit sans cesse être entretenue d'une
façon apaisante et patiente. L'équipe soignante en est
également consciente, et s'est investie dans la prise en charge en
intervenant entre les séances (stimulation mnésique, nouvelle
approche relationnelle...), permettant à Mme A de s'inscrire dans une
dynamique qu'elle ne vivait plus à cause de l'exclusion. L'objectif
intermédiaire suivant était de montrer à Mme A, à
travers des activités qui lui étaient familières ou non
(écriture, arts plastiques), qu'elle était toujours capable
d'éprouver du plaisir et lui faire prendre conscience de sa
sensibilité artistique, qu'elle croyait au départ inexistante. Et
pourtant, ce qui au départ était péniblement une once de
curiosité pour le travail proposé par l'art-thérapeute, a
fini par devenir un réel intérêt et un investissement
physique et psychologique notable, même si Mme A faisait toujours preuve
d'une élégante discrétion. La dernière
séance (modelage à l'argile d'une fleur) a d'ailleurs
été un tremplin réussi pour Mme A vis-à-vis du
groupe. Les animatrices ont ensuite pris le relais, et depuis, Mme A,
malgré l'aggravation de sa maladie, prend beaucoup de plaisir à
participer aux ateliers pratiques, aux discussions, et aux spectacles.
L'objectif principal de réinsertion a donc été atteint.
Les choses se sont présentées
différemment pour Mme B. Si la pénalité était la
même (exclusion), les troubles associés ne l'étaient pas.
La patiente présentait une déficience importante des
repères spatiotemporels et de la mémoire autobiographique, ainsi
qu'une déficience légère de la mémoire à
court terme ; mais il faut souligner qu'aucune démence n'a
été diagnostiquée chez Mme B. De plus, les
modalités de l'objectif principal sont également
différentes de Mme A ; ici, le but était de lui donner envie de
participer aux activités de groupes, à cause de la solitude, de
l'ennui, et de l'angoisse provoqués par l'incompréhension du fait
qu'elle ne peut pas rentrer chez elle. Avoir envie de s'intégrer
pourrait aussi une
accroche intéressante lorsque son retour au domicile
serait effectif, cela l'inscrirait dans une dynamique relationnelle qu'elle
n'avait a priori pas connu avec ses proches et son voisinage avant son
arrivée à l'hôpital. Comme Mme B était souvent
convaincue de quitter l'établissement de manière imminente, elle
ne voyait pas l'utilité de s'intéresser à ce qui
l'entourait dans la structure, y compris sa voisine de chambre. L'approche
art-thérapeutique envers Mme B devait donc être adaptée en
fonction de tous ces critères. Le premier objectif à atteindre
était alors de susciter de l'intérêt chez la patiente
envers la structure. Ensuite, par l'activité artistique, montrer
à Mme B qu'elle était capable de prendre du plaisir à
<< travailler >> ; puis à partager ce plaisir avec d'autres
personnes. Mme B possédait une gentillesse et une bienveillance
naturelles, ce qui a rapidement amélioré la qualité
relationnelle qu'elle établissait avec les autres résidents. Et,
avec les encouragements et les félicitations du personnel, et de ses
nouvelles connaissances, Mme B a pu rapidement se faire une place au sein de la
collectivité. Selon elle, la vie active ne lui avait pas vraiment permis
de forger des liens durables avec les autres, mais après la
découverte des activités artistiques manuelles, le <<
travail >> pouvait désormais se conjuguer avec le plaisir et la
solidarité. La prise en charge art-thérapeutique a
été un moyen pour Mme B d'appliquer son énergie, jusque
là étouffée par ses troubles neurologiques, au service de
son propre bien-être, puis plus tard à celui des autres.
Nous reviendrons dans la dernière partie de ce
mémoire sur ce qui justifie l'usage des techniques artistiques
employées pour les deux patientes. Nous allons maintenant nous pencher
sur les faits observés pendant la prise en charge
art-thérapeutique, et leur analyse.
2) Les observations ont été notées et
cotées selon une méthode bien précise.
L'art-thérapeute a utilisé la fiche
d'observation (cf. annexe 3) pour relever les items* qui permettent de
remarquer l'évolution de la patiente au fil des séances. Ces
items sont regroupés en catégories logiques que l'on appelle
faisceaux d'items, eux-mêmes appartenant à trois catégories
de capacités que sont l'expression, la communication et la relation.
Ainsi regroupées, il devient plus aisé de noter les informations,
et de les consulter.
Chaque faisceau d'items comporte cinq réponses
possibles, qui vont, de la première à la dernière, de la
plus << mauvaise >> à la plus << adaptée
>>. Après chaque grande catégorie de faisceaux d'items, une
zone de texte libre est présente pour permettre à
l'art-thérapeute de poser des remarques et observations diverses qui lui
permettront ultérieurement de repenser son outil et de
l'améliorer.
Les items choisis sont cohérents avec les
thématiques de l'insertion sociale et de l'autonomie. Par exemple, la
fréquence, la netteté et la cohérence du discours de la
patiente sont des éléments-clés du rôle qu'elle peut
jouer au sein d'un groupe. Un discours abondant mais complètement
décousu peut être indicateur d'un facteur inhibiteur de
l'insertion sociale, car la discussion aurait beaucoup de mal à susciter
l'intérêt des autres, et provoquerait peutêtre même
une gène dans le groupe. A contrario, une personne toujours
prévenante et appliquée dans son comportement appuierait
l'idée d'une stabilité cognitive qui pourrait favoriser une bonne
communication avec les autres.
À la fin de la fiche se trouve une liste d'informations
qui ont pour but de résumer les événements qui se sont
déroulés pendant la séance, et qui permettent à
l'art-thérapeute de réfléchir sur sa façon de
faire, tant sur le plan technique que relationnel, mais aussi sur des
difficultés rencontrées et la façon dont elles ont
été traitées, des stratégies potentielles à
appliquer pour la future séance. Ensuite l'art-thérapeute dresse
un bilan synthétique de la séance, ce qui lui permettra, lors de
la rédaction du bilan de prise en charge réalisé à
la fin de
celle-ci, de se remémorer facilement les grands
événements de la prise en charge et de les synthétiser de
façon optimale.
Les informations ont été cotées de deux
manières : par ordre de couleur et ordre numérique. L'ordre de
couleur est un moyen simple et clair d'observer les évolutions au cours
de la prise en charge, néanmoins elle est davantage accessible à
l'art-thérapeute car la connaissance du détail des faisceaux
d'items est déjà acquise, et cela permet de détecter
rapidement les champs les plus en difficulté ; pour le néophyte,
cela risque d'être plus compliqué à considérer, car
plus « vague ». Tandis que l'ordre numérique est beaucoup plus
courant, plus accessible, et permet directement de voir les changements et
l'impact des informations observées au cours des séances.
Nous allons justement montrer maintenant quelques exemples de
tableaux de cotation et de graphiques illustrant ces deux méthodes, et
détaillant clairement l'évolution des patientes au cours de la
prise en charge art-thérapeutique.
3) Les tableaux et graphiques constituent d'excellents
moyens de communication de résultats envers les autres membres de
l'équipe.
Avant de vous montrer ces illustrations, nous tenons à
informer que trois faisceaux d'items - le ton de la voix, la nature du discours
et la nature des gestes - ne sont pas cotés dans ces schémas car
non pertinents vis-à-vis des objectifs de prise en charge.
Tableau comparatif de l'évolution des patientes au
cours de la prise en charge.
Les couleurs sont interprétées comme suit :
- le gris signifie l'absence de réponse (la plus mauvaise,
qui, dans l'ordre numérique, correspond à 0)
- le rouge signifie une réponse inadaptée
(correspond au chiffre 1)
- l'orange, qui traduit une réponse peu adaptée
(correspond au chiffre 2)
- le jaune, qui traduit une réponse adaptée
(correspond au chiffre 3)
- le vert, qui équivaut à la réponse la
mieux adaptée (correspond au chiffre 4).
Les deux graphiques suivants résument l'évolution
des patientes sur les critères évalués avec la fiche
d'observation.
42/71
Nous pouvons voir grâce au tableau et aux graphiques que
les améliorations les plus significatives ne sont pas les mêmes
pour Mme A et Mme B. Les relances (fait de ramener la patiente dans le cadre de
l'activité) ont considérablement diminué chez Mme A, et
l'amélioration du cadre communicatif et relationnel a influé sur
la diminution de l'angoisse qu'elle éprouvait pour les autres.
Malgré une participation artistique discrète, le plaisir
grandissant qu'elle éprouvait lors des séances lui a sans doute
donné l'envie de retrouver cette sensation auprès d'autres
activités, d'où son envie, en fin de prise en charge, de
réitérer ces expériences.
Pour Mme B les améliorations les plus notables
concernent la fréquence du discours ; au fil des séances, les
contacts se sont multipliés, et Mme B est parvenue à gérer
de mieux en mieux ces situations, alors qu'au départ elle ne parlait
avec quasiment personne. Le choix des outils est devenu de plus en plus
autonome au fur et à mesure qu'elle se sentait apaisée dans le
milieu où elle se trouvait (la présence d'autres personnes
l'entraînait dans une dynamique d'indépendance).
Cela illustre bien le fait qu'une pénalité est
et doit être traitée différemment selon les troubles
associés, les pathologies et la personnalité des patients.
Toutefois, le but de la prise en charge n'est pas d'atteindre des scores
parfaits, la preuve en est que les prises en charge de ces deux patientes ont
été une réussite, alors que tout n'est pas au meilleur
niveau. La personne a simplement atteint un état de bien-être
suffisant pour valider la prise en charge, et « le reste », s'il est
nécessaire de l'améliorer, reposera sur les autres professionnels
de la structure et des proches, ainsi que sur la volonté propre de la
patiente.
L'évolution au cours des séances peut mettre
aussi en évidence la pertinence de l'objectif thérapeutique
principal et des objectifs intermédiaires fixés (la
réalisation de tel ou tel objectif a pu permettre une
amélioration dans telle ou telle catégorie) ; mais elle peut
très bien soulever le contraire. Certaines stratégies et projets
peuvent causer davantage de mal que de bien, il ne faut pas oublier que
l'art-thérapeute n'est pas à l'abri d'une erreur.
C'est, entre autre, ce sur quoi nous allons maintenant
discuter dans la troisième et dernière partie de ce
mémoire : l'expérience art-thérapeutique a pu soulever bon
nombre d'interrogations, de remarques et de limites au regard de la
méthode, de la population choisie, et des fondements de
l'art-thérapie.
III ) Les résultats de ces expériences
soulèvent plusieurs limites et interrogations quant à la
méthodologie, la population, mais soulèvent aussi de nouvelles
pistes de réflexion vis-à-vis de l'art-thérapie.
A ) La méthodologie nécessite
d'être abordée avec davantage de profondeur et de
précision afin de maximiser sa pertinence.
1) Plusieurs explications sont à fournir
vis-à-vis de la « courte » durée ainsi que du nombre
des prises en charges réalisées.
On pourrait s'étonner du temps plutôt bref de la
prise en charge de Mme A (6 séances) et Mme B (5 séances),
surtout vis-à-vis de la majorité des travaux de recherche
menés en artthérapie. Toutefois, plusieurs facteurs peuvent
justifier cette atteinte des objectifs plus rapide que prévue.
Tout d'abord, l'objectif lui-même ; il faut bien
distinguer la différence entre réinsérer une personne
exclue, et donner envie à la personne de se réinsérer.
Cependant, les stratégies mises en place pour atteindre ce but se
retrouvent dans les deux cas de figure, à savoir évoquer,
inculquer, de façon explicite ou implicite, des repères, des
normes, et des valeurs sociales et relationnelles, et en justifier le
bien-fondé*. La personne âgée, par son vécu
(famille, travail...), a assimilé plus ou moins consciemment le
processus d'insertion (contrairement à un enfant ou
pré-adolescent pour qui il faut apprendre tout cela). C'est pour
ça que l'art-thérapeute va principalement se pencher sur le
bien-fondé ; il va s'agir de redonner à la patiente une saveur
agréable de la vie au sein du groupe. Et pour y parvenir, faire usage de
l'art se révèle être un moyen intéressant. Pourquoi
?
Comme nous l'avons vu précédemment, l'art
implique forcément l'être humain. Et si nous sommes des milliards
d'êtres humains semblables sur Terre, chaque être est unique : nous
n'avons pas de corps parfaitement identique, nous avons une personnalité
propre et une expérience de vie unique. Nous avons, par la simple preuve
de notre existence, une identité ; mais comment l'exprimons-nous ? Si
personne d'autre ne sait que j'existe, est-ce que j'existe réellement ?
Comment affirmer mon identité face au monde ? Nous avons besoin
d'être reconnu. Et l'Art, à travers les époques, a toujours
été une preuve efficace de l'existence des hommes, et le sera
très probablement encore dans le futur. Dans ce contexte, l'Art peut
être considéré comme un vecteur identitaire, un moyen
original d'affirmer son existence aux autres. Mais pour que l'Art soit ainsi
opérant, il doit aussi être reconnu, par d'autres êtres
humains, en tant qu'oeuvres d'art. La société, au sens le plus
général, a donc un rôle fondamental à jouer dans le
processus de reconnaissance de l'être humain en tant qu'être
existant, mais aussi en tant qu'être doué d'expression. Nous
entendons par là que son existence peut être également
reconnue en tant qu'être vivant, hic et nunc, et qu'il exprime
et communique le fait d'être en vie à travers et avec les autres
(la relation). Et c'est ce qu'on retrouve chez l'artiste ; ses oeuvres
reflètent d'une manière peu conventionnelle la trace de son
existence, et de sa vie (de son identité). L'Art permet donc de
manifester l'empreinte de l'individu dans son savoir-être (sa
personnalité, ses pensées, son vécu) et dans son
savoir-faire (son style, sa technique), et cela semble être une bonne
alternative pour la personne exclue. Cette personne, qui voit son
identité fragilisée, dévalorisée par l'isolement,
peut à travers l'Art, y voir une façon inhabituelle de s'affirmer
au monde, et d'en tirer de la reconnaissance. La recherche de l'idéal
esthétique, qui caractérise l'intérêt de l'Art, est
un élan physique et psychologique qui amène la personne à
donner le meilleur d'elle-même, voire se surpasser, dans le but
d'éprouver un plaisir esthétique satisfaisant. Plus grande sera
cette gratification,
meilleure sera l'image que la personne aura d'elle-même
: << Je suis contente de faire ce que je fais (ce qui est Bon / estime de
Soi), ce que je fais correspond à mes attentes (ce qui est Bien /
confiance en Soi), ce que je fais me plaît (ce qui est Beau / affirmation
de Soi) >>. Et l'être humain, qui est considéré
depuis l'Antiquité comme un être social, va progressivement
souhaiter transmettre au monde ce qu'il ressent, le partager, l'insuffler
à travers la production. Ce sont les retours que le monde
émettra, qu'ils soient bons ou mauvais, qui permettra à la
personne d'être distinguée, reconnue, valorisée parmi la
masse humaine globale.
Pour en revenir à nos patientes, l'usage des techniques
artistiques leur a permis non seulement d'affirmer leur existence à
travers des activités qui mettaient en valeur leur goût et leur
style, mais aussi, à travers le plaisir éprouvé sur le
plan esthétique et relationnel, d'engendrer une volonté de se
reconstruire une identité au sein de la structure hospitalière
qui soit bien plus riche que celle du simple << patient en fin de
vie>>.
Cependant, et nous l'avions déjà
précisé dans la précédente partie, que la
réussite de prise en charge art-thérapeutique ne pouvait se
suffire à l'art-thérapie elle-même, surtout dans cet
objectif et le cadre institutionnel où elle s'est produite. La
collaboration des autres intervenants de l'hôpital (médecins,
kinésithérapeutes, aide-soignantes, infirmières,
animatrices, assistantes sociales, coiffeuse, socio-esthéticienne,
bénévoles, etc.) a été particulièrement
importante pour l'amélioration de la qualité de vie des patients
; leur investissement a permis d'établir une qualité
relationnelle enrichie du << patient-soignant >> ; les patientes
étaient stimulées quant à leur production, leurs opinions
sur l'activité, la ponctualité vis-à-vis de la prochaine
séance, mais surtout elles étaient encouragées à
faire de leur mieux et << d'en profiter >>. Le personnel a fait
preuve d'une grande compétence et humanité au regard de la
perspective de << mieux-être >> des patients, et cela
malgré leur charge de travail considérable, et souvent
contraignante. Leur disponibilité a été exemplaire et
très touchante dans ce projet.
Il y a une seconde raison qui justifie le peu de prises en
charge réalisées, même si elle est à
considérer à un degré de moindre importance que le
précédent motif. De la fin de l'automne à la moitié
de l'hiver, le CHRU de Tours s'est vu attribuer des mesures de
sécurité et d'hygiène drastiques qui ont perturbé
l'atmosphère de l'Hôpital de l'Ermitage (plan de
sécurité contre la grippe A). Ce qui a le plus atteint le moral
des patients et du personnel était la réduction importante du
nombre de visites (d'ailleurs il était interdit pour les enfants de
pénétrer dans la structure) ; mais il y a eu ensuite toute la
campagne de vaccination qui, à force d'être discutée,
rediscutée et sans cesse remise au goût du jour, a agacé
aussi bien le personnel et les patients. Des spectacles ont également
dû être annulés à la suite de ces mesures. Les
résidents étaient déprimés, et finissaient peu
à peu à refuser les activités qui étaient parvenues
à se maintenir. Les résidents et le personnel demandaient souvent
à l'artthérapeute stagiaire quand les animatrices allaient
revenir. Il faut aussi considérer le fait que certains résidents
ne souhaitaient faire des activités qu'avec les animatrices, et il
fallait l'accepter.
L'état d'esprit* général n'était
pas particulièrement enjoué, d'autant plus que le personnel, en
sous-effectif impressionnant lors des fêtes de fin d'année,
était débordé de travail et n'avait, à leur grand
regret, pas beaucoup le temps de se consacrer aux résidents hors du
cadre des soins quotidiens (médicaments, alimentation et toilette).
Néanmoins, quelques prises en charge en
art-thérapie ont, comme nous l'avons constaté, pu être
mises en place et avoir abouti de façon satisfaisante. Mais nous allons
voir maintenant que la chance a aussi un rôle à jouer dans ces
réussites, et que les choses auraient pu facilement prendre une tournure
défavorable.
2) Le choix volontaire de ne pas consulter le dossier
médical personnel des patients met en évidence une plus grande
sincérité dans la relation, mais aussi des limites qualitatives
sur la prise en charge.
Bien que le médecin-chef de service lui en ai
donné l'autorisation, l'art-thérapeute stagiaire a choisi de ne
pas consulter le D.P.P. (Dossier Patient Partagé) des patients qu'elle
prenait en charge. L'argument mis en avant pour justifier cette décision
était une préservation de la sincérité de la
relation entre la patiente et la thérapeute, qui se serait perdue si
elle avait consulté le dossier. Quels avantages peut-on tirer d'une
relation << sincère >> avec le patient?
Premièrement, la thérapeute ne peut pas poser de
<< fausse question >> ; nous entendons par là que
lorsqu'elle fait connaissance avec la patiente, elle part de zéro, ou
presque ; elle n'a pas d'informations particulières à son sujet,
sur sa vie, etc. La patiente a donc le libre pouvoir de dire ce qu'elle
souhaite sur elle, tout en sachant que son intimité sera
respectée, ce qui est une qualité essentielle de la relation de
confiance.
Et deuxièmement, l'absence d' a priori que pourrait
établir la thérapeute envers la patiente si elle avait
consulté son dossier. Certaines informations, notamment les plus graves
sur le passé judiciaire et affectif du patient, peuvent nous
émouvoir et nous amener à nous comporter différemment avec
la personne, et cela peut mettre en péril le lien relationnel qui tente
de s'établir ; le patient peut ne pas le comprendre, et en souffrir.
Même si le professionnel fait preuve de compétences remarquables
dans l'exercice de son métier, et qu'il entretient une distance
suffisamment bonne avec ses patients, il y a tout de même certaines
choses qui, selon l'individu, vont lui paraître insupportables,
invraisemblables, tristes ou révoltantes, et cela pourra se <<
lire >> dans ses gestes, ses paroles, ses attitudes ; nous sommes tous
des êtres humains et possédons tous certaines zone de
fragilité. C'est pourquoi il a semblé important d'aller à
la rencontre des patients avec la plus grande neutralité possible, c'est
aussi quelque chose qui peut changer de la routine des patients, qui lorsqu'ils
consultent le médecin ou l'infirmière, sont au courant que ces
derniers savent beaucoup de choses sur leur vie. Pour l'art-thérapeute
stagiaire, la préservation de la sincérité de la relation
permettait au patient de nouer des liens originaux avec un
thérapeute.
Toutefois, on ne peut nier que la non-consultation du D.P.P.
est une grave erreur, surtout dans une structure médicale, et pour
plusieurs raisons : D'abord, ne pas connaître l'anamnèse du
patient peut amener le thérapeute à lui poser des questions ou
lui proposer des choses qu'il ne souhaiterait entendre pour rien au monde, car
source de souffrance ou d'angoisse. Nous avions eu un bref exemple avec Mme B,
lorsque l'art-thérapeute stagiaire lui avait demandé si elle
avait des enfants, ce qui l'a enfermé dans un mutisme et une tristesse
considérables jusqu'à ce qu'elle soit retournée dans sa
chambre. Cette absence de connaissances peut très vite se retourner
contre soi, et commettre des maladresses que l'on aurait facilement pu
éviter en consultant le dossier.
Ensuite, il y a le fait de ne pas connaître la
médication prescrite au patient. Pourquoi cela est-il important ? Les
effets secondaires des médicaments peuvent entraîner toutes sortes
de troubles chez le patient (somnolence, raideur, ralentissement moteur et
psychique...), et peuvent constituer des difficultés dans le bon
déroulement de la prise en charge. Et inversement, quand certains
médicaments ne sont pas pris (essai, oubli), d'autres effets peuvent
apparaître, notamment des douleurs musculaires, nerveuses, osseuses, et
troubles migraineux, qui influencent l'humeur et l'état d'esprit du
patient. Le thérapeute pourra toujours essayer d'adapter sa
stratégie pour mener à bien la séance, mais ces efforts
auraient pu être économisés et une alternative aurait pu
trouver sa place bien avant si le thérapeute avait pris connaissance de
la médication. Nous pouvons également noter les risques
d'allergie qui peuvent mettre le patient en danger (exemple. allergie à
certains composants chimiques de la peinture), et qui auraient du coup pu
facilement être évités.
La connaissance du D.P.P. semblerait donc être vivement
recommandée pour ce type de population et ce genre de structure.
Même si l'équipe soignante fournit de précieuses
données sur les patients, il n'est pas possible de se rappeler de
l'intégralité du dossier, surtout certains détails qui
n'auraient pas d'importance pour l'infirmière par exemple, mais qui en
aurait pour l'art-thérapeute. La médication et l'état de
santé du patient sont des données qu'il faut connaître avec
précision avant de lui proposer le moindre projet. Toutefois cela
impliquerait un mode relationnel conforme à celui que les autres
soignants entretiennent avec le patient, enlevant par conséquence
l'originalité du lien ; un compromis sans doute nécessaire
à la sécurité du malade.
3) La fiche d'observation nécessite des remaniements
considérables, en vue d'optimiser la pertinence des
résultats.
Nous allons maintenant nous pencher sur la fiche d'observation
utilisée par l'artthérapeute stagiaire dans le cadre des prises
en charge. Plusieurs remarques sont à soulever. Nous aborderons dans un
premier temps les points qui concernent le cadre formel de l'outil, puis le
contenu dans un second temps.
Le premier point concerne le volume de l'outil. Entre une
heure et une heure et demie étaient nécessaires pour remplir la
fiche d'observation après la séance ; cela est bien trop long.
Les données à observer doivent bénéficier d'une
disposition beaucoup plus simple, comme une grille par exemple, où il
suffirait juste de remplir avec un code couleur, ou des abréviations qui
caractérisent le fait observé. L'art-thérapeute aura juste
un temps d'apprentissage de ces codes, puis, avec l'expérience, pourra
compléter sa fiche avec aisance, rapidité et précision.
Cependant, les zones de commentaires libres seraient à conserver. Chaque
patient est unique et est toujours susceptible de nous amener à de
nouvelles idées, réflexions, et corrections qui permettront
d'améliorer la fiche d'observation, afin de la rendre plus efficace, et
accessible au plus grand nombre. Cela impliquerait un travail régulier
de remise en question et d'optimisation des outils de l'art-thérapeute ;
ce dernier doit être toujours prêt à gérer les
limites de sa méthodologie, et être ouvert à tout
remaniement. Il faut aussi prendre conscience qu'une fiche d'observation qui
concerne un public âgé dépendant ne sera jamais
intégralement compatible avec celle que l'on établira pour des
jeunes adultes traumatisés crâniens. L'art-thérapeute doit
pouvoir être le plus cohérent et précis possible sur la
population avec laquelle il travaille, et ne pas chercher à standardiser
son outil à une population trop diversifiée.
Autre point qui concerne la structure de l'outil : le nombre
de réponses. Afin d'être le plus cohérent possible dans sa
cotation, il est important d'utiliser une norme référentielle de
cotation. Dans notre fiche d'observation, chaque proposition comporte cinq
réponses possibles, dont une et seulement une peut être
validée. Dans un souci de simplicité et de cohérence, les
réponses ont été disposées de la plus mauvaise
à la meilleure (de haut en bas). Les réponses sont ensuite
cotées de 0 à 4 (0 pour l'absence de fait observé, et 4
pour le fait observé le plus adapté). Si l'outil comprenait
plusieurs normes référentielles, cela pourrait induire une
mauvaise lisibilité, et une mauvaise interprétation des
résultats par la suite.
Les points suivants traitent du fond de l'outil. Des remarques
importantes sont à soulever. Tout abord, nous allons parler des
faisceaux d'items qui n'ont pu être cotés dans la prise en charge.
Ils auraient pu faire l'objet d'une cotation, mais l'organisation du faisceau
d'items était incorrecte. Prenons l'exemple du faisceau << nature
du discours » ; pour que les items puissent être cotables, il aurait
fallu plutôt dire << Le sujet a émis des refus dans son
discours : » avec un ordre de fréquence pour les
réponses qui, là, auraient pu être quantifiables.
Certains faisceaux d'items ne contenaient pas de
réponse d'absence, ce qui est une bête erreur. Cet oubli n'a que
pour effet de nuire à la crédibilité de la cotation. Les
faisceaux concernés sont ceux qui n'ont pas été
cotés, plus le faisceau << cadre de communication ».
<< L'atteinte des objectifs » aurait pu être
un élément cotable à la place d'être un champ de
commentaire libre. Cela aurait permis, lors de la lecture de la cotation, une
compréhension rapide et précise du bilan de la séance.
Les deux dernières remarques concernent des fautes
méthodologiques considérables qui ont été
traitées en cours de prise en charge, mais dont la pertinence n'a pu
être scientifiquement vérifiée. Dans un souci
d'honnêteté, nous avons préféré
présenter la fiche d'observation telle qu'elle était au
départ, avant d'être modifiée. Premièrement, il n'y
a aucun faisceau d'item qui ait servi à observer les faits liés
au phénomène artistique (à savoir l'intention, l'action et
la production), ce qui est assez étonnant lorsqu'on sait que l'art n'est
autre que l'outil de prédilection de l'art-thérapeute. Trop
préoccupée par l'axe social du projet, l'art-thérapeute
stagiaire ne s'est pas tout de suite rendue compte de cet oubli.
Deuxièmement, l'absence d'une fiche
d'autoévaluation (voir exemple à la page suivante), qui avait
pourtant un grand intérêt vis-à-vis de l'objectif
thérapeutique. La fiche d'autoévaluation, aussi appelée
<< Cube harmonique » mais sous une autre forme, est un ensemble de
questions auxquelles le patient doit répondre. Ces questions concernent
son intention, son action et sa production, et font référence
respectivement au Bon (Estime de Soi), au Bien (Confiance en Soi), et au Beau
(Affirmation de Soi). L'autoévaluation cherche donc à mettre en
valeur la détermination, le jugement et le goût de la personne.
Elle peut être une bonne empreinte pour la personne qui reconstruit son
identité, elle voit en cela un repère de certains aspects de sa
personnalité. Bien sûr, tout comme la fiche d'observation, la
fiche d'autoévaluation est à adapter en fonction du patient
(pathologie, pénalité, handicap...).
Exemple de fiche d'autoévaluation
Veuillez entourer, à la suite de chaque phrase, la
réponse de votre choix parmi les 5 réponses qui vous sont
proposées.
Est-ce que je reviendrai pour la prochaine
séance ?
- Oui, certainement - Oui, pourquoi pas
- Non, je ne pense pas - Non, pas du tout
- Je ne sais pas
Ce que j'ai créé pendant la
séance était :
- Très beau
- Beau
- Pas très beau
- Vraiment pas beau - Je ne sais pas
Ce que j'ai fait au cours de la séance
était :
- Très bien fait - Bien fait
- Pas bien fait
- Vraiment pas bien fait
- Je ne sais pas
L'activité proposée dans la
séance m'a :
- Beaucoup plu
- Plu
- Pas vraiment plu - Pas du tout plu
- Je ne sais pas
Les moments que j'ai passé pendant la
séance étaient :
- Très bons
- Bons
- Pas très bons
- Vraiment pas bons - Je ne sais pas
Tout professionnel doit effectuer son travail avec une
méthodologie précise et rigoureuse, sous peine de
discréditer les résultats obtenus, et par conséquent
d'altérer l'efficacité du travail pluridisciplinaire. C'est pour
cela qu'il doit toujours faire preuve de recul et d'ouverture sur ses outils et
l'usage qu'il en fait, et de ne pas hésiter à demander l'avis de
ses collègues si un doute venait troubler son travail. Ce n'est pas pour
autant qu'il doit être dépendant des autres intervenants, au
contraire, la gestion indépendante des responsabilités assure une
efficacité de travail optimale et une cohésion du groupe de
professionnels équilibrée.
Maintenant que nous avons discuté de la
méthodologie, nous allons maintenant nous pencher sur la population
étudiée dans ce mémoire à travers
l'expérience art-thérapeutique, et traiter plusieurs
questions.
B) Certaines remarques au regard de la population
choisie sont amenées à être posées vis-à-vis
de ce travail.
1) Évoquer l'exclusion de la personne
âgée dépendante alors qu'elle vit en institution peut
sembler ambigu à comprendre et pose un certain degré
d'impertinence sur la réalité des faits.
Dans la première partie de ce mémoire nous
parlions de l'exclusion de la personne âgée principalement dans le
cadre socio-spatial. L'exclusion se traduisait dans la difficulté
d'accès aux soins et aux services dont dispose le milieu fortement
urbanisé, mais aussi de l'isolement qui en découle (exode rural).
Toutefois, les différentes mesures employées pour lutter contre
l'exclusion des personnes âgées prend de l'ampleur, et touche de
plus en plus de régions rurales et défavorisées.
Même dans le milieu urbain, des réaménagements ont lieu,
notamment en terme d'accessibilité (lignes de bus spéciales,
escaliers remplacés par des rampes, logements adaptés en
centre-ville...). La précarité des personnes âgées
gagne de plus en plus d'importance au sein des priorités du
gouvernement, mais ce problème est hélas encore bien loin
d'être résolu. Si les mesures visent à maintenir le mieux
possible une qualité de vie autonome de la personne âgée,
qu'en est-il de la qualité de vie offerte aux personnes
âgées dépendantes institutionnalisées ? Peut-on
vraiment parler d'exclusion ?
En théorie, les personnes âgées
dépendantes vivant dans des institutions spécialisées
comme les EHPAD ne doivent pas souffrir d'exclusion. Elles vivent avec d'autres
résidents, ont un accès permanent aux soins médicaux, et
un accès à certains soins de confort, bénéficient
d'activités d'animation, etc. Que le placement soit volontaire ou subi,
la personne institutionnalisée fait administrativement et humainement
partie du groupe institutionnel, on ne peut donc pas justifier l'usage du terme
d'exclusion. Il serait dans ce cas plus pertinent d'avancer la notion
d'isolement, qui se traduit non pas par l'impossibilité d'être
intégré au groupe, mais par un éloignement
vis-à-vis du groupe. Cette nuance est importante à comprendre
dans le fait que la personne est quotidiennement en contact avec plusieurs
personnes (personnel, résidents...), mais ce contact ne s'entretient pas
; alors que dans l'exclusion, on fait clairement référence
à une absence de contact avec le groupe, ou la société.
Pour résumer simplement, la personne isolée (volontairement ou
non) appartient au groupe mais ne le vit pas comme tel, alors que la personne
exclue voudrait appartenir au groupe, mais ne le peut pas.
Toutefois l'isolement est aussi envisageable en tant que
processus intermédiaire intervenant dans le processus d'exclusion, ce
qui peut amener à confondre ces deux termes. Une personne exclue a
d'abord et forcément été au préalable une personne
isolée, marginalisée, avant d'être coupée de la
collectivité. Illustrons cela avec l'exemple du départ
à
la retraite : La personne active appartient au groupe de
l'entreprise, puis, le départ à la retraite se prépare ;
la personne et ses collègues sont conscients qu'elle va bientôt
quitter l'entreprise, perdant concrètement et progressivement la
qualité relationnelle qu'elle entretenait avec eux, mais aussi le
travail en lui-même. Selon l'activité, la personne peut voir sa
charge de travail diminuer peu à peu, pour enfin cesser le jour du
départ.
L'isolement n'implique pas spécialement une souffrance
(l'exemple cité précédemment peut également le
montrer ; la personne peut très bien vivre sa préparation
à la retraite), mais l'exclusion (et encore, le mot est fort dans cet
exemple) de la personne par rapport à l'entreprise entraîne la
perte de son identité de << travailleur >> et instaure donc
un manque, un manque qu'il faut combler pour pouvoir à nouveau
s'épanouir. Le travail à effectuer n'est donc pas le même
pour l'isolement et l'exclusion. Il faut donc faire très attention aux
subtilités des termes que l'on choisit quand on établit un plan
de soins, en institution comme ailleurs.
Comment un individu peut se retrouver isolé dans
l'institution ? Lorsque la famille décide de confier leur membre
âgé et dépendant à un établissement
spécialisé, ils savent que leur proche sera << bien
entouré >>. Malheureusement, la réalité se vit bien
souvent différemment sur le terrain. Le résident qui arrive dans
l'institution sait qu'il est très probable que sa vie va se terminer
ici. La personne éprouve déjà le traumatisme de sa
séparation avec son domicile (et de tout ce qui touche de près ou
de loin au domicile, comme la famille, les biens mobiliers, le patrimoine
familial, les voisins...), et elle sait que son nouveau lieu de
résidence correspond à celui où d'autres personnes
âgées comme elle << attendent la mort >>.
L'institution, c'est le contact permanent avec la maladie, les
médicaments, les examens, et d'une façon plus implicite, la mort.
Certaines personnes récemment installées dans l'institution
peuvent décliner à une vitesse fulgurante, ne voyant plus
l'intérêt de vivre, coupées de tous les repères qui
faisaient d'elles des personnes << dignes >> ; elles perdent toute
forme d'appétence* : on appelle cela le syndrome de glissement.
L'appétence sociale est également mise en
péril. Le résident peut très bien ne pas vouloir chercher
à établir de relation avec les autres, qu'il vit comme une source
d'angoisse morbide ; il va s'isoler du reste du groupe institutionnel. Pour
citer un exemple concret, une dame récemment arrivée dans
l'U.S.L.D. de l'Ermitage avait été amenée par une
aidesoignante pour participer à une activité culinaire, et pour
l'occasion, de se faire des relations auprès des autres
résidents. Mais lorsqu'elle a regardé ses confrères et
consoeurs autour des tables de travail, elle s'est tournée vers
l'animatrice en grimaçant : << Mais il est hors de question que je
me mêle à ces vieilles toupies ! Non mais vous les avez vues ?!
>> Cette attitude intolérante est dure, mais elle traduit aussi
une souffrance que la personne endure, et n'arrive pas à dépasser
vis-à-vis du cadre et du milieu qu'elle doit désormais
côtoyer au quotidien.
C'est pour cela que les animations, les soins
paramédicaux et socio-esthétiques sont si importants dans ce
milieu. Leur rôle est de donner un quotidien de vie agréable et
digne à tous, même si le handicap et la maladie les amènent
dans une situation de dépendance extrême. Les personnes
âgées sont avant tout des êtres humains qui ont des besoins
et des envies comme chacun d'entre nous ; il ne faut pas les considérer
autrement. Et ces personnes ont au moins autant que nous autres besoin de
reconnaissance, une reconnaissance bien plus noble que celle du <<
patient >>. L'isolement peut aussi subtilement s'installer
vis-à-vis de ce mode relationnel, qui n'est que trop courant dans les
institutions médicalisées. Mais de récentes formations
proposées au personnel soignant mettent l'accent sur le
côté humanitaire du milieu de soins et de la prise en charge, et
de son importance au sein de la qualité de vie des résidents.
C'est, d'une certaine façon, un moyen de lutter contre la
marginalisation des personnes âgées dépendantes.
Nous pouvons maintenant comprendre plus aisément,
à travers ces quelques exemples, que le terme d'isolement est
préférable à celui d'exclusion quand on parle de ce public
précis, ainsi que les dégâts tant physiques que psychiques
que l'isolement peut causer à la personne qui en est victime ou auteur.
Mais, en ce qui concerne la prise en charge art-thérapeutique, si elle a
déjà démontré son efficacité à
travers de nombreux travaux de recherche, quelles en sont ses limites et
pourquoi ?
2) Les différents intergénérationnels
au regard de l'art peut amener la personne à refuser la prise en charge
art-thérapeutique.
Cela a d'ailleurs été un problème de
taille pendant le stage, car l'étudiante artthérapeute avait
essuyé un nombre de refus considérable de la part des patients
qui pouvaient être potentiellement pris en charge. Pourquoi
refusaient-ils ? La raison principale était qu'ils se savaient
incapables de faire de l'art. << Je ne sais pas faire ça >>
ou << J'en ai jamais fait >> ou encore << À quoi bon
faire de l'art ? J'y connais rien >>. L'art-thérapeute stagiaire a
d'abord cru qu'elle commettait une maladresse dans son discours, et que cette
maladresse avait pour effet de décourager les résidents à
entamer un projet artistique. Mais c'est Mme D, au cours de l'atelier de
modelage, qui lui a apporté la réponse : << C'est sûr
qu'une fois qu'on s'est lancé, c'est pas sorcier au final. Mais c'est
vrai que quand on vient nous parler d'art, ça fait toujours un peu peur.
Ça intéresse, ça oui, mais ça fait peur car on
craint de ne pas être à la hauteur, et d'être jugé
par les autres. Jugé en mal, hein. Alors qu'en fait, on apprend tous
ensemble, et on s'amuse. >>
Évidemment, tous les résidents n'ont pas la
même ouverture d'esprit que Mme D. Mais cela a permis à
l'art-thérapeute de réfléchir sur la manière de
présenter l'art auprès des patients qui n'ont pas de
familiarité artistique. Cela nous renvoie une nouvelle fois sur la
manière dont l'art est perçu aujourd'hui ; et il semblerait que
pour certaines personnes âgées, l'art n'appartient qu'aux
artistes, qu'aux experts en la matière. Une vision plutôt
élitiste. Il pourrait être intéressant de façonner
un document informatif très accessible pour ce genre de personnes, cela
pourrait permettre de lever le voile de certaines idées reçues
injustement ancrées dans nos esprits.
En tous cas, cela ne veut pas dire que toutes les personnes
âgées seraient enclines à faire de l'art. L'art est un
sujet qui n'intéresse pas tout le monde, et nous devons prendre le soin
de respecter ce choix.
3) L'écriture et les arts-plastiques ne sont
peut-être pas les techniques artistiques les plus adaptées aux
pathologies de la personne âgée dépendante vivant en
institution.
Avant d'aborder en détail ce que sont
précisément l'écriture et les arts plastiques, nous tenons
à souligner quelque chose sur le plan de l'intervention de
l'art-thérapie auprès du patient. Si, dans ce mémoire,
nous nous sommes orientés vers la pénalité de la personne
(l'exclusion), nous aurions tout aussi bien pu nous orienter exclusivement sur
la pathologie (maladie d'Alzheimer pour Mme A et troubles neurologiques
modérés pour Mme B). Les objectifs auraient été
adaptés en conséquence, ce qui aurait pu donner pour Mme A, par
exemple, le fait de préserver ses capacités résiduelles
dans une optique de << frein >> de la maladie, et tout autre chose
pour Mme B. Leur insertion sociale aurait pu être perçue comme un
objectif intermédiaire. Le rôle fondamental de
l'art-thérapeute n'est pas de travailler les parties du corps qui vont
mal, mais de stimuler les parties saines, de sorte à <<
dépasser le
mal ». L'impact du travail d'art-thérapie a certes
une incidence sur le plan physique du patient (les sensations), mais elle fait
notamment appel à une réflexion psychologique (idées,
imagination, émotions). Selon la technique artistique utilisée,
le ciblage de l'impact sera évidemment différent. Nous allons
étudier cela avec l'écriture et les arts plastiques.
L'écriture, du latin littera
(caractère), dans sa définition la plus basique, est l'acte
d'écrire. Écrire, c'est tracer un ensemble organisé de
signes, le plus souvent linguistiques. Cependant, on appelle aussi
«écrire » l'acte de composer une partition musicale. Nous la
considérons donc comme la mise en mots des idées.
Par l'usage courant, nous nous servons de notre main pour
écrire (préhension et manipulation de l'objet traceur), sur
différents supports. Toutefois, pour ceux qui ne peuvent opérer
de cette façon, il est possible d'apprendre à écrire en
faisant l'usage d'autres parties du corps, comme la bouche ou les pieds.
À travers l'avancée technologique que nous connaissons
actuellement, nous sommes aussi amenés à écrire en
appuyant sur les touches du clavier d'un ordinateur (même si cette
technique a trouvé sa source dans des inventions plus anciennes telles
que la machine à écrire ou encore l'imprimerie). L'expansion
croissante de la technologique dite « tactile » ne requiert plus
qu'une pression des doigts ou d'un objet sur une surface interactive pour
rédiger un message.
Quelles sont les raisons qui nous poussent à
écrire, et qu'écrit-on d'ailleurs ? Dans l'Antiquité, la
littérature (et l'écriture par association) appartenait au monde
des intellectuels, et oeuvrait dans la transmission des sagesses philosophiques
et des textes de loi. La bibliothèque d'Alexandrie était l'un des
monuments phares de cette époque, où l'on archivait les ouvrages
(traduits en grec) des auteurs de toutes les contrées
méditerranéennes. La civilisation gréco-romaine a
attaché un intérêt majeur à la création et la
sauvegarde des livres, véritables empreintes des savoirs et des
cultures. Au Moyen-Âge, l'écriture était très
liée à l'Église. Les lettrés étaient les
moines et les prêtres, et était notamment chargés de
recopier les anciens textes des Saintes-Écritures, et plus tard au XIIIe
siècle, lorsque les premières universités sont apparues,
les textes des savants. Les textes étaient écrits en latin. Ce
n'est que lors de la Révolution Culturelle si caractéristique de
l'époque de la Renaissance que l'on a commencé à apprendre
obligatoirement à lire et écrire la langue française dans
les grandes écoles. Ont émergé en France à cette
époque de grands poètes et écrivains français comme
Ronsard, Rabelais, le célèbre dramaturge Molière, mais
aussi des philosophes comme Descartes. Le siècle des Lumières a
connu le génie des intellectuels comme Rousseau, Voltaire,
Chateaubriand, ou encore Lamartine, pour ne citer qu'eux. À notre
époque actuelle, la politique d'éducation française agit
en sorte à ce que chaque enfant scolarisé soit en mesure de lire
et d'écrire sa langue maternelle.
À travers l'Histoire, l'écriture s'est enrichie,
diversifiée, même si elle conserve son but premier de transmission
d'un message, d'une trace. L'écriture possède une branche dont le
but recherché est l'esthétique : il s'agit du Bel Écrit.
On la retrouve principalement sous la technique de la calligraphie (latine,
arabe, chinoise...). Le Bel Écrit se retrouve dans plusieurs
civilisations et a émergé presque en même temps que
l'apparition de l'écriture « classique ».
Les arts plastiques, quant à eux, constituent
l'ensemble des techniques qui élaborent des formes (peinture, sculpture,
architecture, dessin, modelage...). Elles ont pour but de tendre vers une
harmonie personnalisée de la forme de la production (les matières
utilisées et leur organisation, ce que l'on perçoit), avec le
fond de cette production (le sens de l'oeuvre, ce que l'on ressent et
reconnaît). Ces techniques existent aussi depuis bien longtemps, mais
comme nous avions pris ces arts comme référence principale
à l'explication de l'art dans la première partie, nous ne
reviendrons pas en détail sur son cheminement historique. Nous pouvons
tout de même préciser que les arts plastiques ont connu
différents grands courants d'application (la
discipline de l'histoire de l'art a d'ailleurs pour but de
retracer et d'expliquer ces courants), et que les artistes contemporains de ce
courant devaient produire selon les règles et contraintes
établies.
Les oeuvres plastiques (entendons ce terme comme correspondant
aux arts plastiques) comptent parmi les plus répandues dans notre
culture : toiles, statues et monuments, illustrations, graffitis... Elles font
l'objet d'un nombre d'expositions considérables, et la plupart des
musées d'Art accueillent ce genre d'oeuvres On trouve une
diversité et une richesse des productions assez impressionnante
aujourd'hui.
L'écriture consiste donc à laisser une trace
signifiante de nos pensées, sous différentes formes : l'essai, le
poème, le récit, etc. Et les arts plastiques sont un moyen de
mettre ces pensées en forme ancrée dans le temps et l'espace.
S'il y a bien quelque chose qui lie ces deux grandes catégories
artistiques, c'est la trace potentiellement permanente de l'oeuvre En quoi
l'usage de ces techniques et ce potentiel peuvent être pertinents chez la
personne âgée dépendante souffrant d'exclusion ?
S'il y a bien un terrain d'entente entre la condition de la
personne âgée et l'écriture, il s'agit de celui de
l'intervention du processus de transmission. La personne âgée,
c'est celle qui a l'expérience, un vécu riche, et un savoir que
les populations plus jeunes n'ont pas. C'est pour cela qu'il incombe aux
parents d'éduquer leurs enfants selon le savoir qu'ils ont acquis au
cours de leur vie ; d'ailleurs, les grands-parents ont parfois un rôle
éducatif à jouer envers leurs petits-enfants. C'est souvent eux
qui connaissent le plus d'histoires, de jeux, de chansons, de connaissances, et
leur transmission met en valeur leur importance au sein de la famille.
L'apprentissage, l'échange et la transmission de connaissances sont des
processus qui nous sont familiers et que nous appliquons au quotidien dans la
société. Ils sont comme des moteurs qui nous entraînent
dans une dynamique sociable.
Le travail d'écriture trouverait donc une
cohérence avec ces processus. Comme son objectif premier est de
transmettre une idée par des mots, le texte, une fois couché sur
un support (papier par exemple), est amené, de par la nature
conservatrice du support, à être relu, partagé,
corrigé, voire même détruit. Le texte est ainsi inscrit
dans un temps et un espace spécifiques ; il en va de même pour
l'oeuvre plastique, mais aussi pour l'être humain pendant sa vie.
La personne âgée dépendante est, par
l'atteinte de son autonomie, dans une relation ou c'est l'autre qui lui
apporte, et non l'inverse. Cela est très pénalisant, car il
serait plus logique que ce soit elle qui ait a apporté aux autres,
grâce à son expérience et ses connaissances. Mais la
fragilité et la maladie sont des critères qui freinent ou
empêchent le développement de cette relation valorisante. Le
goût de vivre, vu de cette façon, peut être mis en
péril : quel intérêt de vivre si nous ne pouvons plus rien
pour nous ni pour les autres ? C'est pour cela que les arts plastiques et
l'écriture ont un intérêt avec cette population : la
production inscrit la personne âgée dans une dynamique qui tend,
en premier lieu, à améliorer l'image d'elle à travers
l'exploitation de son potentiel artistique, et dans un second lieu, à
présenter sa production au monde et établir ainsi une relation
avec les autres. Nous avions pu voir cela avec les retours que Mme A avait eu
sur son texte décoré sur les fleurs ; ces retours peuvent sembler
si modestes au premier abord, mais ils ont un pouvoir grandement gratifiant
pour une personne qui n'attendait plus rien du monde, ni d'elle-même. Mme
B, à travers les activités d'arts plastiques, a pu établir
une relation privilégiée avec sa voisine, puis avec d'autres
résidents, qui aujourd'hui perdure encore, alors qu'au départ,
cette dame qui s'ennuyait, en proie au chagrin, qui ne comprenait pas ce
qu'elle faisait encore là dans l'établissement, ne s'investissait
que dans l'idée fausse et obsédante d'être bientôt de
retour à son domicile.
Toutefois, ces techniques artistiques auraient-elles eu le
même impact positif si l'on s'était intéressé aux
pathologies des patients, et non à << l'isolement social >>
? Les modalités pratiques auraient certainement dû être
adaptées. Par exemple, pour un patient atteint de la maladie
d'Alzheimer, on se serait davantage concentré sur le maintien du geste
d'écriture, ou la thématique aurait pu concerner des souvenirs de
vie que le patient aurait parfaitement conservé en sa mémoire
(stimulation des parties saines). On aurait pu, concernant les arts plastiques,
confectionner une valise décorée et/ou peinte, comprenant
à l'intérieur des photos anciennes de la vie du patient. Mais on
ne peut trop s'avancer sur ces idées tant que l'on ne connaît pas
les caractéristiques du patient (état de santé,
anamnèse...) ; l'idée est que le thérapeute doit savoir et
pouvoir proposer un travail qui soit cohérent avec la
personnalité du patient, ses capacités, et qui ne favorisent pas
ses troubles et ses pénalités.
Tout ne peut cependant pas se résumer à l'usage
exclusif de l'écriture et des arts plastiques pour cette population. Les
excellents travaux de recherche de Jospitre et de Petitpré nous montrent
qu'il est possible d'améliorer la qualité de vie des personnes
âgées dépendantes atteintes de démence en leur
proposant des activités de danse, et de musique. Cela illustre
d'ailleurs que l'art-thérapeute ne doit pas, même s'il
possède souvent une ou deux spécialités artistiques, se
cantonner à ses atouts, et s'ouvrir aux potentiels qu'offrent les autres
arts, afin d'être au mieux pour proposer un travail
art-thérapeutique adapté aux conditions du patient pris en
charge.
Nous allons maintenant nous concentrer sur les remarques et les
questionnements qui concernent l'art-thérapie dans ses fondements et son
enseignement.
C) Le bilan de ces expériences a, et continue de
révéler à l'art-thérapeute de nouveaux
questionnements sur l'art-thérapie, ses principes et ses outils.
1) Le métier d'art-thérapeute est difficile
à reconnaître par l'équipe de soins, dans la structure
hospitalière.
Bien que l'Ermitage commence à être <<
habitué >> à accueillir des art-thérapeutes
stagiaires, le personnel est assez régulièrement renouvelé
(mutations, aide-soignantes en apprentissage, élèves
infirmiers...), et malgré le fait d'être à Tours, qui est
la ville qui a vu naître l'école d'art-thérapie via
l'A.F.R.A.T.A.P.E.M. il y a plus de trente ans, l'art-thérapeute est
perçu comme un drôle de personnage au regard des autres
intervenants. Ce qui revient souvent est l'amalgame que l'on fait avec
l'animateur. << En fait tu fais des animations, mais que dans l'Art
>>, avait supposé une aide-soignante. D'autres y associent le
domaine de la psychothérapie et de la psychanalyse, notamment dans
l'interprétation des oeuvres Ce n'est nullement un reproche en soi, mais
l'école d'art-thérapie de Tours n'enseigne pas la discipline sous
cette forme. Il faut donc expliquer avec simplicité et précision
notre enseignement, notre rôle, et les enjeux de notre intervention au
sein de la structure. Ce qui pose également problème est la
taille de la structure, qui accueille plus de 150 salariés ; il faut
donc consacrer un temps considérable dans notre présentation et
dans l'investissement au sein de l'équipe. Et malgré cela,
l'art-thérapeute est souvent retenu dans les mémoires comme un
animateur qui fait des ateliers d'art. Pourquoi ?
Cela peut s'expliquer du point de vue des résidents. La
discipline étant jeune, parler d'art-thérapie est un concept
totalement nouveau, sinon loufoque, qu'ils doivent assimiler, et ce n'est pas
toujours facile. L'équipe de soins, mais aussi parfois
l'art-thérapeute stagiaire, a dû (ré)expliquer sa
profession en tant que << variante de l'animatrice
spécialisée dans les
techniques artistiques », ce qui après
réflexion, n'est pas tellement simple à comprendre non plus.
Trouver les bons mots s'est révélé être plus
difficile que prévu, surtout pour cette population. Et il est important,
dans une structure aussi vaste, de se positionner avec clarté au sein de
l'équipe pluridisciplinaire, au risque sinon d'être perçu
comme un simple stagiaire qui est venu là plus pour apprendre
qu'apporter à l'établissement.
Un autre événement est venu «
épaissir le brouillard » autour du statut de l'artthérapeute
: la création d'un poste d'art-thérapeute au sein de l'U.C.C.
(Unité Cognitive et Comportementale) qui va ouvrir ses portes en octobre
prochain. L'équipe soignante ne comprenait pas l'intérêt de
ce poste dans cette unité d'accueil de jour de personnes
âgées démentes et/ou désorientées. Cela a
été une occasion intéressante d'en discuter avec
l'équipe ; mais malgré tout, affilier l'art-thérapeute
à la catégorie des soins paramédicaux et lui
reconnaître un intérêt original et complémentaire
dans le programme de soins des patients sont des idées qui ont du mal
à prendre racine vis-à-vis de certains soignants. Mais le «
défi » n'en a que plus d'importance ; la création de ce
poste est, en plus d'être une avancée considérable dans le
milieu hospitalier public, une aubaine pour l'art-thérapeute de montrer
que ses compétences peuvent avoir une place respectueuse parmi les
autres professions médicales et paramédicales.
2) Le bagage de l'apprenti art-thérapeute pourrait
comprendre de nouveaux impératifs pour prétendre à suivre
la formation.
Le point dont nous allons discuter maintenant ne cherche
nullement à reprocher les conditions d'admission actuelles, mais
à en proposer des supplémentaires, notamment en ce qui concerne
les connaissances générale en psychologie, ainsi que du parcours
professionnel réalisé dans des structures médicosociales
ou humanitaires.
L'art-thérapeute établit un cadre relationnel
particulier avec le patient, une relation bien différente de celle qu'on
établit entre deux membres d'une même famille, ou de deux amis.
Même si nous connaissons plus ou moins le principe de distance
professionnelle, le thérapeute qui n'a pas d'expérience
professionnelle préalable dans la gestion de cette relation, ou qui ne
dispose pas de connaissances théoriques en psychologie
générale suffisantes, peut être amené à
être intimidé par ladite relation, et commettre des maladresses
qui l'abîmeraient. Cela ne doit pas être considéré
selon l'âge de l'apprenti, car nous avons tous des parcours
différents ; un jeune apprenti tout droit sorti de l'école des
Beaux-Arts pourrait se retrouver tout aussi embarrassé qu'un
sénior qui a travaillé jusqu'à présent comme
fonctionnaire dans les bureaux d'une entreprise de création de logiciels
informatiques et qui a appris la peinture et la guitare en autodidacte.
L'exemple est bien sûr caricatural, mais il montre que l'âge et le
parcours de la personne ne sont pas toujours à mettre en
corrélation, et qu'il serait certainement profitable à tous (et
même au patient) d'avoir bénéficié d'une certaine
expérience relationnelle dans le cadre thérapeutique, ou bien de
bénéficier de cours approfondis sur le sujet durant la formation
pré-universitaire. Comprendre l'autre, ses réactions, ses
comportements, ses défenses, ses faiblesses, ses pensées, n'est
pas simple.
Cela est bien entendu à considérer comme un
questionnement, car il n'a guère fait l'objet d'une étude
empirique personnelle.
3) Le schéma de la sphère opératoire
pourrait être présenté comme un préambule à
l'assimilation du schéma de l'opération artistique.
Légende
1 = Accident spatio-temporel
2 = Rayonnement
3 = Captation sensorielle
4 = Traitement mental
5 = Élan corporel
6 = Technique
7 = Production
8 = Traitement mondain
1' = Nouvel accident spatio-temporel
Monde extérieur = Ce qui est visible par tous, hors du
cadre de l'activité artistique.
Monde intérieur = Ce qui s'opère à
l'intérieur de l'artiste.
Impression = Arrivée d'informations du monde
extérieur vers le monde intérieur.
Expression = Arrivée d'informations du monde
intérieur vers le monde extérieur.
L'opération artistique est un schéma fondamental
de l'enseignement de l'école d'artthérapie de Tours. Il nous
permet de comprendre les mécanismes mis en oeuvre dans l'activité
artistique d'un individu. Nous allons présenter ici un bref rappel de
ses composantes : La première étape de l'opération
artistique est la présence d'un accident spatio-temporel [1], c'est
autrement dit une chose hic et nunc, dont la seule
propriété qui nous intéresse est d'exister en cet instant
et ce lieu précis. Il peut s'agir de quelqu'un ou d'un objet, un son...
peu importe sa nature. Cet accident spatio-temporel va rayonner [2] dans le
monde qui l'entoure, et va parvenir jusqu'à nous, à travers notre
captation sensorielle [3], devenant ainsi l'objet de notre attention.
L'information captée par nos sens arrive jusqu'au cerveau, où
celui-ci va décrypter l'information [4], l'assimiler et/ou la
reconnaître. Le cerveau prend ensuite une décision, traduite par
un signal moteur [5]. Cet élan moteur va ensuite s'organiser d'une
façon précise et cohérente [6], de sorte à produire
le plus fidèlement possible ce qui correspond à notre idée
[7]. Une fois l'oeuvre produite, pour être reconnue en tant que telle,
elle doit être soumise au jugement d'autrui, du monde extérieur
[8]. L'oeuvre d'art ainsi reconnue peut donc prétendre à exister
en elle-même, par elle-même, et pour elle-même [1'], ce qui
caractérise l'accident
spatio-temporel qu'elle est susceptible de devenir pour
quelqu'un d'autre, l'opération pouvant se répéter ainsi
à l'infini.
Illustrons cela avec un exemple pratique : prenons la
technique de la danse (accompagnée de musique). L'accident
spatio-temporel est caractérisé par la musique qui est en train
d'être jouée. Le bruit se diffuse et parvient jusqu'aux capteurs
sensoriels du danseur, qui reconnaît le bruit en tant que musique, et qui
va lui donner envie de se mouvoir. Mais le mouvement ne sera ni hasardeux ni
chaotique, il doit répondre à un savoir-faire précis qui
permet de donner une gestuelle harmonieuse au corps du danseur. La production
se traduit alors par la chorégraphie qu'il a réalisé en
suivant la musique. La mise en place d'un spectacle de danse sera le moyen de
présenter aux autres son travail. Ainsi apprécié, cette
danse pourra très bien devenir l'accident spatio-temporel d'un autre
danseur, d'un musicien, etc.
0 = Stimulus originel
A = Traitement sensoriel
B = Traitement cognitif
C = Traitement moteur
D = Production concrète 1 = Production
identifiée
: Rayonnement sensible : Sphère individuelle
: Sphère sociale
Segments noirs : Interconnexions des
mécanismes Segments rouges : Interactions entre
l'individu et l'extérieur
Légende
Le schéma de la sphère opératoire que
nous proposons au sein de ce mémoire reprend les grandes lignes de
l'opération artistique ; son but n'est pas de proposer une alternative
qui pourrait la remplacer, mais de servir d'introduction générale
à la compréhension des mécanismes mis en jeu dans la
perception et la manifestation d'un phénomène
général chez l'être humain. Nous allons expliquer ce
schéma comme nous l'avons fait avec l'opération artistique.
Au point de départ, nous avons un stimulus* [0] dont la
propagation potentielle atteint les capteurs sensoriels de l'individu [A], qui
vont véhiculer le signal transformé en impulsion
électrique jusqu'au cerveau [B]. Le cerveau reçoit l'information,
la décode, l'assimile et la reconnaît. Cette reconnaissance, selon
la manière dont elle a été précédemment
assimilée (par l'expérience), peut engendrer une réponse
motrice [B] - [A], ou encore une réponse affective [B] - [A] + [C].
Poursuivons avec le traitement moteur. La réponse motrice va provoquer
un effet visible [D], donc perceptible par l'extérieur [sphère
individuelle - sphère sociale]. Cette perception répond aux
mêmes mécanismes contenus dans la sphère individuelle,
puisque nous sommes tous des êtres humains ; nous avons un ensemble de
propriétés communes. Elle deviendra donc un stimulus pour
l'autre, et ainsi de suite.
Jusque là, nous constatons que le déroulement
est très similaire à celui que l'on retrouve dans
l'opération artistique. Nous allons observer plus en détail le
rôle des interconnexions et de ce qui justifie les positions des
sphères et des centres de mécanismes.
La captation d'un stimulus n'aboutit pas toujours par une
production concrète de l'individu. L'information traitée et
reconnue par le cerveau peut engendrer un feed-back (=retour) sensoriel, ce qui
donnera dans l'ordre [0] - [A] - [B] - [A] ; elle peut aussi produire une image
mentale [0] - [A] - [B] - [A+B] (l'image mentale renvoie implicitement au
traitement sensoriel) ; mais elle peut également provoquer une
réponse affective*, ce qui donne [0] - [A] - [B] - [A+C]. À
l'exception de l'image mentale, les autres réponses tendent
naturellement à être potentiellement perceptibles par le monde
extérieur [D]. Les segments noirs qui relient les centres de
mécanismes illustrent l'interactivité de ces derniers, et sont
communs à chaque individu. Les segments rouges qui mêlent chaque
centre de mécanismes dans la sphère sociale sont là pour
montrer que l'individu est aussi intégré dans cette sphère
et qu'il contribue à l'ensemble des normes et références
qui nous permettent d'identifier les phénomènes. C'est pour cela
que l'empreinte du stimulus causé par l'individu [couleur rouge du 1]
est encerclée par la sphère sociale [cercle bleu]. Les
sphères ont une propriété interactive dans leur influence,
d'où l'imbrication de la sphère individuelle dans la
sphère sociale.
Tentons d'illustrer cette explication par un exemple concret
quoique légèrement caricatural. Un bol de céréales
et une cuillère font face à l'individu [0]. Celui-ci capte le
stimulus sous une forme visuelle [A], et l'identifie comme un bol de
céréales [B]. Suite à cela se déclenche une
réponse de faim : la sensation et l'organisation motrice de la main qui
va prendre la cuillère pour saisir les céréales et les
porter à la bouche de l'individu, donc [A+C]. Mais pour que le mouvement
soit jugé correct, il faut que le cerveau l'interprète ainsi,
donc le [B] sera forcément impliqué durant toute la durée
du mouvement moteur. Ce mouvement est accessible à la perception
extérieure, mais en le prenant comme un stimulus pur et simple, ce qu'on
perçoit, c'est une chose qui bouge. Pour que l'on sache qu'il s'agisse
d'un homme qui est en train de manger des céréales dans un bol,
les mécanismes des autres individus qui observent agissent de la
même façon. « Tu es en train de manger des
céréales dans un bol ». L'expression de cette phrase
émise par l'individu extérieur confirme ce que le premier
individu a perçu et interprété de la
réalité, et sa réponse est donc cohérente. «
Je suis bien en train de manger des céréales dans un bol ».
Les mécanismes s'interconnectent une multitude de fois et à
grande vitesse pour parvenir à ce résultat.
À travers un autre exemple sur le plan de la
pathologie, nous pouvons voir qu'il nous est possible d'identifier les centres
de mécanismes défaillants si la situation s'avérait
conflictuelle entre les deux sphères.
Un individu est très gêné d'entendre
constamment passer les trains, le bruit est insupportable, il essaie de se
boucher les oreilles, mais rien n'y fait. L'ennui, c'est que cette
personne ne se trouve absolument pas à
côté d'une gare ou de la moindre ligne de chemin de fer. Les
autres individus qui sont avec lui n'entendent pas le bruit des trains. Par
déduction, sur qui plaçons nous la vérité ? Bien
entendu sur le groupe. L'individu peut alors être atteint d'une
hallucination auditive [A+B car reconnaissance du bruit], ou
d'acouphènes [A]. Ces deux pistes vont ensuite permettre aux
médecins de mettre en place des examens adaptés ; la cause
pourrait être une psychopathologie [B], ou une défaillance de
l'oreille interne [A]. Cependant, nous notons que les autres centres de
mécanismes se manifestent dans cette situation : l'individu tente de se
boucher les oreilles [C] et exprime aux autres son inconfort [D]. Si un ou
plusieurs centres de mécanismes sont altérés pour quelque
raison que ce soit, il est quasi certain que les autres centres de
mécanismes réagiront dans un premier temps de manière
adaptée au stimulus qui provoque ce dérèglement. Ensuite
l'individu, selon le problème, pourra chercher lui même la
solution qui lui permettrait de retrouver l'harmonie qu'il avait avant cet
événement, et de la mettre en application. Mais cela n'est pas
toujours possible, et l'intervention des autres est nécessaire.
L'objectif de ce schéma n'est pas de montrer comment
s'opère le phénomène artistique, nous laissons cela
à l'opération artistique, qui est bien plus encline à
cela. Si nous avons parlé ici de ce schéma, c'est pour
l'envisager comme un moyen de « désengorger » les informations
que l'on peut tirer de l'opération artistique. Car oui, il est possible
d'expliquer les phénomènes généraux dans ce
schéma, mais c'est dans un souci de spécialisation du contenu que
nous avons pensé à la sphère opératoire. Nous avons
dans l'optique que le schéma de la sphère opératoire
puisse être un outil de compréhension du phénomène
dans son aspect le plus basique et global, et de proposer l'opération
artistique comme un outil de compréhension exclusif de l'activité
artistique et du lien qu'elle entretient avec les pathologies.
Nous considérons néanmoins ce schéma
comme une ébauche modeste d'une volonté de simplification du
contenu du schéma de l'opération artistique, et il y a fort
à parier que l'auteur de ce mémoire fera l'objet de nombreuses
corrections et remaniements pour oser prétendre à un niveau de
pertinence acceptable. La recherche en art-thérapie avance et de
nouvelles façons de penser l'enseignement germent
régulièrement. Nous devons les entendre, les travailler, les
discuter, mettre à jour nos connaissances mais surtout rester humble et
accepter de nous faire rediriger vers les fondements qui peuvent avoir parfois
pris trop de distance par rapport à nos idées et nos
façons d'opérer.
CONCLUSION
Cette expérience et ce travail de recherche ont
fortement alimenté la curiosité et l'envie de renouveler le
travail auprès des personnes âgées dépendantes
vivant en institution. Ces personnes qui sont souvent là contre leur
gré, qui ont perdu leurs repères, ce qui constituait leur
identité et leur dignité, ont malgré leur
fragilité, leur faiblesse et la maladie, tant de choses à
partager au monde, et tant de choses à se prouver elles-mêmes. Ces
hommes et ces femmes qui ont connu une vie indépendante, autonome et
riche, parfois dure, violente et solitaire, mais qui ont toujours su se relever
et se dépasser, se voient maintenant passer leurs journées dans
un lieu qui, en dépit de la qualité croissante des soins
médicaux et de confort fournis, côtoie souvent la souffrance, la
mort, l'odeur des produits désinfectants et des impératifs
horaires des soins ; et nous devons faire preuve du plus grand respect face au
calvaire que ces personnes subissent. Les personnes âgées ont tout
à nous apprendre, mais il est parfois difficile de trouver le temps de
tendre l'oreille et d'écouter leurs leçons. L'artthérapie
doit être vue comme une opportunité visant à transmettre
une trace de leur savoir, de leur vie face au monde, de le partager, qui
permettrait de se redécouvrir et de voir les autres sous un angle plus
lumineux. Si l'âge amène parfois la personne a ne plus sentir la
faim ou la soif, le plaisir quant à lui est une nourriture dont le
délice éprouvé par chaque bouchée ne lui fera
jamais perdre son appétit.
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socio-professionnelle. Tours. 2009.
Cours magistraux
RIMBAULT, C., Trajectoires de l'exclusion sociale et
l'Art-Thérapie (Cours magistral). Tours. 2009.
SCHARNITZSKY, P. Influence sociale (Cours Magistraux
dispensés à la Faculté de Philosophie, Sciences Humaines
et Sociales, de l'Université Picardie Jules Verne). Amiens, 2007.
Bibliographie informatisée
Larousse Médical, encyclopédie
multimédia. Logiciel. Éditions Larousse. 2005.
ALMERAS-PILLARD, C., 5 ans d'art-thérapie en psychiatrie.
Document informatisé. 2005.
Webographie
CAIRN, (portail de revues en sciences humaines et sociales de
langue française) sur http://www.cairn.info/
CISMEF, (catalogue médical en ligne) sur
http://www.cismef.org/
KLEIN, E., Temps et vieillissement (2010).
Récupéré le 19 Avril 2010 sur :
http://pedagogie.ac-montpellier.fr/Disciplines/philosophie/ressources/Klein
Temps vieillissement.pdf Organisation Mondiale de la Santé,
sur :
http://www.who.int/fr
www.plan-alzheimer.gouv.fr/
ANNEXE
Annexe n°1 : Espérance de vie à la
naissance et taux de mortalité infantile
Espérance de vie à la naissance et taux
de mortalité infantile
|
Espérance de vie à la naissance Hommes
(en années) Femmes (en années)
|
Taux de mortalité infantile (en %o
)
|
1950
|
63,4
|
69,2
|
52
|
1960
|
67
|
73,6
|
27,4
|
1970
|
68,4
|
75,9
|
18,2
|
1980
|
70,2
|
78,4
|
10
|
1990
|
72,7
|
81
|
7,3
|
2000
|
75,3
|
82,8
|
4,4
|
2007
|
77,4
|
84,4
|
3,6
|
Champ : France métropolitaine.
Source : Insee, estimations de population et statistiques de
l'état civil.
Annexe n°2 : Part des personnes de 60 ans et plus
dans la population en 2005.
Champ : France métropolitaine
Source : Retraite et société 2005/2
(no 45). Editions La Doc. Française. 272 pages.
Annexe n°3 : Grille d'observation utilisée
pendant le stage
FICHE D'OBSERVATION (outil propre à
l'art-thérapeute)
A) Observations et informations essentielles du «
pré-séance »
Informations générales
Identité du sujet :
Date et numéro de séance :
Durée estimée de la séance :
Durée effective de la séance :
Lieu de la séance : Objectif principal : Objectif(s)
intermédiaire(s) :
Informations particulières De la part du
personnel :
De la part du sujet :
De la part de l'art-thérapeute :
B) Observations et informations du «
pendant-séance »
Généralités
Le choix du thème de la séance a été
décidé :
- aucune décision n'a été prise
- par l'art-thérapeute, le sujet n'ayant pas
manifesté de choix précis - par l'art-thérapeute,
approuvé par le sujet
- par le sujet, en demandant l'avis de l'art-thérapeute
- par le sujet, de façon déterminée, sans
demander l'avis de l'art-thérapeute
Le choix des outils a été décidé :
- aucune décision n'a été prise
- par l'art-thérapeute, le sujet n'ayant pas
manifesté de choix précis - par l'art-thérapeute,
approuvé par le sujet
- par le sujet, en demandant l'avis de l'art-thérapeute
- par le sujet, de façon déterminée, sans
demander l'avis de l'art-thérapeute
Le choix du lieu de la séance a été
décidé : - aucune décision n'a été prise
- par l'art-thérapeute, le sujet n'ayant pas
manifesté de choix précis
- par l'art-thérapeute, approuvé par le sujet
- par le sujet, en demandant l'avis de l'art-thérapeute
- par le sujet, de façon déterminée, sans
demander l'avis de l'art-thérapeute
Items
Relatifs à l'expression verbale
Le ton de la voix est globalement :
agressif
triste
hésitant
doux
chaleureux
La fréquence du discours du sujet peut être
qualifiée de :
inexistante
peu fréquente
« en dents de scie »
assez fréquente
très fréquente
La nature du discours du sujet se compose principalement de
:
refus
plaintes
hésitations
questions
affirmations
La netteté du discours du sujet peut être
qualifiée de :
inexistante
incompréhensible
peu compréhensible
assez compréhensible
compréhensible
La cohérence du discours du sujet peut être
qualifiée de :
inexistante
incohérente
peu cohérente
assez cohérente
très cohérente
La durée du discours du sujet est globalement :
inexistante
très brève
brève
longue
très longue
Notes particulières de l'art-thérapeute :
Relatifs à l'expression non-verbale
La nature des gestes est globalement composée de :
inexistant
violence
hésitations
douceur
application
La fréquence des gestes peut etre qualifiée de
:
inexistante
peu fréquente
« en dents de scie »
assez fréquente
très fréquente
La cohérence des gestes peut etre qualifiée de
:
inexistante
incohérente
peu cohérente
assez cohérente
très cohérente
L'autonomie de la gestuelle peut etre qualifiée de :
inexistante
obligatoirement guidée par l'art-thérapeute
souvent guidée par l'art-thérapeute
peu guidée par l'art-thérapeute
indépendante et autonome
Notes particulières de l'art-thérapeute :
Relatifs à la communication
La communication s'effectue dans un climat :
désintéressé
tendu
neutre
poli
chaleureux
Les échanges sont globalement composés de :
inexistant
ordres
interrogations
propositions
affirmations
La nature des échanges peut etre qualifiée de :
inexistante
verbale ou tactile ou oculo-motrice ou émotionnelle
deux des quatre critères cités ci-dessus
trois des quatre critères cités ci-dessus
verbale,tactile,oculo-motrice et émotionnelle
Le sujet est « relancé » par
l'art-thérapeute de manière :
très fréquente
assez fréquente
peu fréquente
rare
inexistante
Notes particulières de l'art-thérapeute :
Relatifs à la relation
La nature de la relation entre le sujet et
l'art-thérapeute peut etre qualifiée de :
inexistante
fusionnelle
empathique
amicale
privilégiée
L'implication relationnelle du sujet vis-à-vis de
l'activité peut etre qualifiée de :
inexistante
réticente
réservée
manifeste
enthousiaste
L'intention du sujet vis-à-vis de l'activité peut
etre qualifiée de :
désintéressée
faire plaisir à l'art-thérapeute
prudente
intéressée
enthousiaste
Le plaisir éprouvé par le sujet vis-à-vis
de l'activité peut etre qualifié de :
inexistant
indétectable
léger
manifeste
éclatant
Notes particulières de l'art-thérapeute :
C) Observations et informations du «
post-séance » Analyse et évaluation de la
séance
Les objectifs ont-ils été atteints ?
Phénomènes associés rencontrés :
Sites d'action rencontrés :
Cibles thérapeutiques définies :
Stratégies employées :
Notes particulières de l'art-thérapeute :
Bilan de séance
UNIVERSITÉ FRANÇOIS RABELAIS UFR DE
MÉDECINE - TOURS & AFRATAPEM
Association Française de Recherche &
Applications des Techniques Artistiques en Pédagogie et
Médecine
Mémoire de fin d'études du Diplôme
Universitaire d'Art-thérapie
De la Faculté de Médecine de
TOURS
Soutenu le : 2010
Par : NOËL Marie
Titre : Expérience d'art-thérapie aux
dominantes écriture et arts-plastiques auprès de la personne
âgée dépendante souffrant d'exclusion sociale.
Résumé : Ce travail de recherche a pour
objectif de tester l'efficacité de la prise en charge
artthérapeutique auprès de personnes âgées
dépendantes vivant en institution et souffrant d'exclusion sociale. Il
s'agit de comprendre les motifs qui amènent le patient à
être exclu ou à s'exclure, et de tenter, à travers l'usage
des techniques d'écriture et d'arts-plastiques, de lui donner un nouveau
souffle qui l'amènera à se voir non comme une personne
dépendante des autres, mais comme quelqu'un toujours digne et capable
d'apporter et de partager son énergie avec la collectivité.
Mots-clés : art-thérapie, exclusion sociale,
personne âgée, écriture, arts-plastiques.
Summary : This research work aims to test the
efficiency of an art-therapeutic care with old dependent people who are living
in medical institution, and suffering from social exclusion. We must understand
the reasons which bring the patient to be excluded or excluding himself, and
try to give him a new breath, by using artistic techniques, which will make him
discover himself not as a dependent person, but as someone still able and
worthy of giving and sharing his energy with the community.
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