La transgression du Sacré (XIIème- XIIIème siècle)( Télécharger le fichier original )par Jean-François POISSON-GUEFFIER Paris III Sorbonne Nouvelle - Master 2 2012 |
UNIVERSITE SORBONNE NOUVELLE PARIS 3 LA TRANSGRESSION DU SACRE (Roman de Renart, Isopets, Fabliaux) Mémoire préparé sous la direction
de par Année universitaire 2011-2012 N° étudiant : 20406135 Adresse : 12-13 Place du Marché aux Herbes 60200 COMPIEGNE Téléphone : 06 63 42 18 60. Courriel : jeanfran_2@yahoo.fr (Seigneur, donnez-moi la faculté de ne jamais prier, épargnez-moi l'insanité de toute adoration, éloignez de moi cette tentation d'amour qui me livrerait pour toujours à Vous. Que le vide s'étende entre mon coeur et le ciel ! Je ne souhaite point mes déserts peuplés de votre présence, mes nuits tyrannisées par votre lumière, mes Sibéries fondues sous votre soleil. Plus seul que vous, je veux mes mains pures, au rebours des vôtres qui se souillèrent à jamais en pétrissant la terre et en se mêlant des affaires du monde. Je ne demande à votre stupide omnipotence que le respect de ma solitude et de mes tourments. Je n'ai que faire de vos paroles ; et je crains la folie qui me les ferait entendre. Dispensez-moi le miracle recueilli d'avant le premier instant, la paix que vous ne pûtes tolérer et qui vous incita à ménager une brèche dans le néant pour y ouvrir cette foire des temps, et pour me condamner ainsi à l'univers - à l'humiliation et à la honte d'être).1 1 Emil Michel CIORAN, Précis de décomposition, « L'Arrogance de la prière », Gallimard, coll. « Tel », 1949, p. 127 Introduction 5 CHAPITRE I - ECRITURES DE LA TRANSGRESSION 10 A. Transgressions du corps 12 1. Exaltation du corps grotesque et contemptus mundi 12
2. Erotisme et transgression 20
B. Transgression du langage et éloquence sacrée 28 1. Sens littéral et transgression du verbe 28 2. Séduction du verbe et vacillement du monde 29
3. Transgression des paroles consacrées 34
C. Transgressions eschatologiques 42
CHAPITRE II - LA TRANSGRESSION DES ECRITURES 51 A. Genèse et légitimation de la fiction 53
B. Transgression des signes sacrés de l'Apocalypse 63
C. Le Christ, figure paradigmatique 67 1. Le Christ et la couleur 67
2. Le Christ comme instrument paradoxal d'une satire cléricale 72 CHAPITRE III - LA TRANSGRESSION PAR L'ECRITURE 74 A. Genre et transgression, la fable animalière 74
B. Forme et transgression 81
C. Ton et transgression ; rire, parodie, ironie 84 1. Le rire : homo ridens, homo ludens 86
2. Parodie et ironie : l'écriture « palimpsestueuse » (Gérard Genette) 91
Conclusion 96 Bibliographie 101 INTRODUCTIONVa profaner des dieux la majesté sacrée 2 L'avènement progressif d'une Res publica Christiana à l'époque médiévale semble déterminer non seulement la construction d'un espace géopolitique, mais la constitution d'une communauté de pensée profondément pénétrée des enseignements chrétiens 3 . Si les composantes politique, économique et sociale du Moyen-âge occidental s'appréhendent sur le mode d'une « diversité fondamentale », la culture apparaît a contrario comme un facteur d'unification4. Culture imprégnée des Evangiles, en une interpénétration des domaines artistiques et religieux. Littérature médiévale et écrits bibliques sont, de fait, irréductiblement corrélés, l'intertexte biblique devenant matière et paradigme de tout écrit ; « on écrit comme on prie », selon l'expression de Jean R. Armogathe5. La parole sacrée s'intègre comme un invariant notable aux formes narratives, selon un spectre très ouvert, de la révérence pieuse du modèle épique à l'irrévérence des formes satiriques. Le roman arthurien a ainsi progressivement introduit une senefiance mystique en germe dans Le Conte du Graal, et qui connaît son plein accomplissement dans le cycle du Lancelot-Graal ou postérieurement dans le Haut Livre du Graal, certains épisodes étant investis d'une signification mystique6. La mystique chrétienne est disséminée en des signes et symboles qui assurent l'union de la forme narrative et de la matière romanesque7. Si la mystique demeure un cas-limite de 2 Jean Racine, Andromaque, IV, 5. Cette expression de majesté sacrée reviendra à plusieurs reprises dans notre étude pour signifier la révérence face à la grandeur divine, indissociable de l'expression du sacré. Le terme de majesté s'entend ainsi comme le « caractère de grandeur qui fait révérer les puissances souveraines », pour reprendre la définition procurée par Furetière (1694). 3 Ainsi que le montre Jacques LE GOFF, L'Europe est-elle née au Moyen-âge ?, Paris, Seuil, 2003 4 L'unité de l'Europe chrétienne est en cours d'accomplissement dès les premiers pères de l'Eglise et la tenue des premiers conciles (Premiers conciles de Nicée et de Constantinople, respectivement en 325 et en 381, contre l'arianisme, Concile d'Ephèse en 431, qui proclame l'unité des deux natures humaine et divine du Christ). L'empreinte de la patristique sur la construction d'un espace spirituel à l'échelle de l'Europe est donc sensible à travers le dessein d'une unification des dogmes. 5 Jean R. ARMOGATHE, « Les Modèles classiques et bibliques », in Précis de Littérature Européenne, Béatrice DIDIER (dir.), Paris, Presses Universitaires de France, 1998, p. 265 6 A titre d'exemple, le prodige de l'enfant qui « chevauchoit un lion en un hermitage » dans le Haut Livre du Graal est investi d'un plus haut sens lorsque Gauvain arrive au Château de l'Enquête et apprend la signification allégorique de ses aventures : l'enfant « signefie le Sauveor del mont qui nasqui en la viés loi » tandis que le lion « signefie le monde et le pule qui dedens est » (« Lettres Gothiques », p. 333). Le système des clés d'interprétation (cf. infra) est ainsi appliqué à toutes les merveilles croisées par Gauvain (la femme de Marin, Le Chevalier Couard, les trois Demoiselles...) 7 Cf. à ce sujet Jean-René Valette, La Pensée du Graal. Fiction littéraire et théologie (XIIe-XIIIe siècles), Paris, Champion, 2007. l'expression du religieux, le degré inférieur que constitue le sacré8 n'en imprègne pas moins toutes les formes narratives, particulièrement les formes satiriques brèves, l'irrévérence procédant toujours d'un rapport étroit au sacré. L'intertexte biblique est de fait la matière préalable à tout écrit9, la source ambiguë de toute oeuvre satirique : infléchis dans leur sacralité, les écrits testamentaires sont l'enjeu d'une parodie incessante, d'un jeu verbal et lettré qui, en même temps qu'il profane10 leur sacralité, affirme leur caractère matriciel, selon une modalité proche du retournement carnavalesque, qui paradoxalement ménage la pérennité des Institutions ecclésiastiques. Quelle que soit la perspective abordée, la narration médiévale s'inscrit dans « ce long dialogue des métamorphoses et des résurrections » qu'est l'intertextualité11. Les formes courtes de notre corpus (textes renardiens, fabliaux, isopets) donnent ainsi à lire une Biblia pileata, bible en habit de fête qui constitue l'expression la plus irrévérencieuse d'une parodie du sacré. Le sacré s'inscrit traditionnellement dans un rapport de dualité axiologique avec le profane, dyade constituant deux « modes d'être dans le monde », pour reprendre les éléments d'analyse développés par Mircea Eliade12 : le profane désigne l'immanence, le sacré l'expression de la transcendance, lorsque « quelque chose se manifeste (...), se montre à nous », de là le terme de hiérophanie (du grec tEpóg, « sacré » et (paivE1v, « révélé »). Bien plus qu'une abolition réciproque du sacré et du profane l'un par l'autre, ces deux « modes d'être » reposent sur une coexistence dialectique : « Une pierre, même si elle est sacrée, ne cesse pas pour autant d'être une pierre. En d'autres termes, elle conserve sa place dans l'environnement cosmique qui est le sien. En fait, aucune 8 Si l'on se réfère aux étapes canoniques de la quadruple exégèse scolastique, la mystique correspond à l'ultime degré, le sens anagogique, tandis que le sacré semble relever des sens spirituel et tropologique. 9 De nombreux motifs présents dans les oeuvres médiévales s'alimentent de l'hypotexte fondamental qu'est la Bible (« li matere est de Dieu », écrit Adam de la Halle au v. 10 de la Chanson du Roi de Sicile). Ainsi du motif du « mort reconnaissant » (Tobie, 12, 13), présent dans de nombreux exempla (cf. Stith THOMPSON, Motif-Index of Folk-Literature, Copenhague, Rosenkilde and Bagger, 6 vol. 1955-1958, motif E 341.1). De même, le motif de la « Femme de Putiphar » (Genèse, 39, 7), fut adapté dans les Lais de Graelent, de Guingamor, de Lanval, et La Châtelaine de Vergi. 10 La profanation s'entend comme l'intrusion symbolique ou accomplie du profane (par définition « ce qui se tient devant le temple ») dans la sphère sacrée. La profanation des lieux sacrés est très présente dans la littérature animalière, tandis que la transgression des symboles sacrés peut également se lire comme une profanation. 11 L'expression, due à André MALRAUX dans Les Voix du Silence (1951) est employée à propos de l'art, suggérant le dialogue entre des esthétiques, des civilisations qui se font écho. L'expression nous semble exprimer une réalité extensible à la littérature, anticipant la notion d'intertextualité telle que la propose Julia KRISTEVA dans Sémiotikè, recherches pour une sémanalyse (1969) : « Tout texte se construit comme mosaïque de citations, tout texte est absorption et transformation d'un autre texte (...) le langage poétique se lit, au moins, comme double ». 12 Mircea ELIADE, Le Sacré et le Profane, Gallimard, coll. « Idées », 1965, p. 15 hiérophanie ne saurait abolir le monde profane, pour la bonne raison que c'est justement la manifestation du sacré qui fonde le monde » 13 . Le second postulat préalable à l'intellection du sacré tient à son irréductibilité, à ce qu'il ne s'entend que comme phénomène religieux, à l'exclusion de tout autre truchement interprétatif - sociologique, historique, psychologique. Enfin, le sacré ne se manifeste que de façon symbolique. Ce dernier point, par-delà les convictions antihistoricistes de Mircea Eliade, s'applique particulièrement au sacré médiéval qui, de fait, procède par signes et symboles. Le geste de la transgression14 se manifeste dans son ambiguïté face au caractère sacré de la loi. Georges Bataille rappelle que la « transgression (...) diffère d'un prétendu retour à la nature : elle lève l'interdit sans le supprimer ». Loin d'être négation de la loi ou de l'interdit, la transgression procède d'un rapport équivoque avec le sacré, révélant une « profonde complicité de la loi et de la violation de la loi »15. La transgression advient alors dans une temporalité contradictoire, conciliation transitoire du « respect de la loi et de sa violation » 16. Evoquant les déviances de l'éros, Bataille met en évidence, par-delà l'angoisse inhérente à l'expérience érotique, la « transgression qui maintient l'interdit pour en jouir ». L'écriture du point d'équilibre entre le « plaisir intense » et « l'angoisse » est la marque des fabliaux comme des ramifications du Roman de Renart, qui ménagent une transgression à la fois consciente de l'interdit et plaisamment jouissante. La détermination du corpus s'est en effet sur trois genres : le roman, la fable et le fabliau. C'est ainsi que le Roman de Renart forme la pierre angulaire de notre corpus, la relation de l'oeuvre au sacré s'y révélant d'une richesse propre à l'étude. L'édition retenue, unique pour des raisons de cohérence, est celle procurée par Armand Strubel17. Nous avons adjoint au Roman, outre deux autres textes renardiens18, les 13 Mircea ELIADE, « Notes for a dialogue », in The Theology of Altizer, p. 238 14 Il faut noter que le terme de transgression est légèrement anachronique par rapport à notre corpus, comme le suggère Jacques TRENEL, L'Ancien Testament et la langue française du Moyen-âge (VIIIe-XVe siècles), Genève, Slatkine Reprints, 1968, p. 215 : « Transgression, introduit dans la langue au XIIe siècle, par un texte d'inspiration religieuse, ne pénètre qu'à la fin du XIIIe siècle dans les Bibles françaises, qui lui préfèrent les anciens mots de trespas, trespassement ». 15 Mircea ELIADE, « Notes for a dialogue » p. 40 16 Ibid. p. 40 17 Roger BELLON, Dominique BOUTET, Sylvie LEFEVRE, Armand STRUBEL (dir.), Le Roman de Renart, Paris, NRF, Gallimard, Pléiade, 1998. 18 Afin d'enrichir notre étude, nous avons choisi d'analyser deux passages très précis, l'un tiré de l'Ysengrimus, texte latin attribué à Nivard (vers 1150), l'autre du Reinhart Fuchs, dû au poète alsacien Heinrich der Glïchezäre (fin XIIe). Ces deux textes nous semblent appartenir de plein droit à la tradition renardienne, le premier comme source du Roman de Renart, le second comme avatar transposé dans une genres connexes de la fable et du fabliau. Jean Subrenat, dans un article évoquant l'hybridité générique des dernières branches du Roman de Renart rappelle à ce titre que « les échanges entre roman et fables étaient plus aisés qu'ils ne le seront après les compositions poétiques de Jean de la Fontaine » 19. Le conteur de la branche XXV, « Les Enfances de Renart », s'adresse de fait à son auditoire en suggérant les leçons qu'il pourra tirer de son récit, recourant au langage du promythium des fables : « A Renart puet l'en bien aprandre / Grant sen qui bien i vaut entendre / Car cil Renart vos senefie / çaus qui sont plain de felonie », XXV, v. 167-170. L'édition des fables retenue pour cette étude est celle établie par Laurence Harf-Lancner et Jeanne-Marie Boivin20. Enfin, les fabliaux forment le dernier pan de notre corpus, particulièrement les Fabliaux érotiques publiés par Luciano Rossi21, mais aussi quelques fabliaux épars. Fabliaux et Roman de Renart restent très proches d'esprit, au point que la convergence de ces deux genres a suscité une importante littérature critique22. Et comme le note Jean Subrenat, « il n'est pas non plus surprenant que quelques auteurs aient été tentés par la symbiose de ces deux domaines » (Ibid.). L'étude de la transgression de sacré23 se fonde sur une lecture sémiologique à deux niveaux. Le sacré désigne tout d'abord un ensemble d'actes, de gestes, de lieux et de valeurs signifiants ; ainsi du respect des valeurs morales24, de la retenue à observer dans les lieux saints et de leur revers, l'obscénité que la morale réprouve, présente dans autre langue. Le recours très ponctuel à ces deux textes s'explique par les liens thématiques et formels qui les unissent au Roman de Renart. La critique a en effet souvent mis en écho l'Ysengrimus et le Roman de Renart ; cf. notamment Wilfried SCHOUWINK, « When pigs consecrate a church: parodies of liturgical music in the Ysengrimus and some medieval analogies », Reinardus, 5, 1992, p. 171-181. Quant au Reinhart Fuchs, ses ressemblances avec le Roman de Renart ont été mises en évidence par Hans Robert JAUSS, « Les enfances Renart », Mélanges de linguistique romane et de philologie médiévale offerts à M. Maurice Delbouille, professeur à l'Université de Liège, Gembloux, Duculot, 1964, t. 2, p. 291-312. 19 Jean SUBRENAT, « Les dernières branches du Roman de Renart peuvent-elles être lues comme des fabliaux ? » in Narrations brèves. Mélanges de littérature ancienne offerts à Krystyna Kasprzyk, Varsovie, Publications de l'Institut de Philologie Romane de l'Université de Varsovie, 1993, p. 49. 20 Fables françaises du Moyen Âge. (Édition bilingue.) Traduction, présentation et notes de Jeanne-Marie BOIVIN et Laurence HARF-LANCNER, Paris, GF-Flammarion (GF, 831), 1996 21 Fabliaux érotiques. Textes de jongleurs des XIIe et XIIIe siècles. Édition critique, traduction, introduction et notes par Luciano ROSSI avec la collaboration de Richard STRAUB. Postface de Howard BLOCH, Paris, Librairie générale française (Le livre de poche. Lettres gothiques, 4532), 1992. 22 Parmi les études les plus emblématiques, on retiendra particulièrement l'article d'Aurélie BARRE et Olivier LEPLATRE, « Branches, fables, exempla, échantillons de lune mangée », Reinardus, 21, 2009, p. 1- 15, et celui de Dominique BOUTET, « L'imaginaire renardien et le mélange des genres dans quelques branches épigonales du Roman de Renart », "Qui tant savoit d'engin et d'art." Mélanges de philologie médiévale offerts à Gabriel Bianciotto, éd. Claudio GALDERISI et Jean MAURICE, Poitiers, Université de Poitiers, Centre d'études supérieures de civilisation médiévale (Civilisation médiévale, 16), 2006, p. 105- 113. 23 Roger Caillois, dans L'homme et le Sacré, rappelle opportunément qu'il n'est que deux postures face au sacré : la soumission révérencieuse et la transgression. 24 Cf. à titre de comparaison, la triade virtus, pietas, fides, vertus cardinales du civis romanus. le bas corporel du carnavalesque. Les formes brèves de la littérature satirique ne cessent de jouer avec les codes et symboles du sacré. La transgression du sacré, parallèlement à la dérision de principes implicites, s'opère également à partir d'un medium écrit, la Bible 25 . Les livres néotestamentaires, principalement, sont à la source d'un jeu dialogique, les oeuvres satiriques multipliant les références aux Evangiles comme à l'Apocalypse. Entre ludique et gravité, quels sont les enjeux de la transgression du sacré dans les narrations brèves ? Il convient ainsi d'analyser le paradoxe d'une dérision insolente à l'encontre du sacré, tout en ne se définissant que par lui26. La première partie de notre étude, ECRITURES DE LA TRANSGRESSION, évoque l'irrévérence des gestes, des moeurs et des paroles qui transgressent la notion de sacré. C'est pourquoi la seconde partie, LA TRANSGRESSION DES ECRITURES, approfondit l'étude de ces jeux avec la parole sacrée sous le rapport de l'écriture 27 ; les récits testamentaires, Genèse, Apocalypse et Evangiles constituent en effet un répertoire fécond d'images et de motifs, engendrant par là de multiples réécritures transgressives. La troisième partie, LA TRANSGRESSION PAR L'ECRITURE, adopte une perspective complémentaire, qui déplace l'étude de la transgression du sacré de la réécriture aux enjeux de l'écriture. Le genre, la forme et le ton de chacune des oeuvres du corpus s'avèrent aussi importants que leur contenu intertextuel ou thématique. « Faire court »28 est chargé de significations ; l'écriture rapide, fortement liée et « pressée », pour reprendre l'expression de Jean Rychner29, implique une écriture en soi transgressive, en une mise en abyme de la transgression. 25 Nous retiendrons, pour l'ensemble de l'étude, la traduction proposée par la Bible de Jérusalem, Paris, Cerf, rééd. Desclée de Brouwer, 1975 26 cf. l'élément de définition d'Émile DURKHEIM dans Formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1968, p. 56 : « Les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et isolent, et les choses profanes étant celles auxquelles ces interdits s'appliquent et qui doivent rester à l'écart des premières. La relation (ou l'opposition, l'ambivalence) entre Sacré et Profane est l'essence du fait religieux. » 27 Nous partons de l'idée que « l'Ecriture était une parole, celle des Prophètes, ou celles des Apôtres, mais aussi celle de Dieu lui-même », Le Moyen-âge et la Bible, dir. Pierre RICHE et Guy LOBRICHON, Paris, Beauchesne, 1984, p. 165-166. La réécriture des textes sacrés se comprend ainsi comme transgression d'une parole sacrée. « La parole est (...) première » (ibid.), qui se fixe dans l'écriture. C'est pourquoi nous avons intégré dans une première partie la reprise des paroles rituelles, avant d'étudier le rapport de la transgression à l'écrit. 28 Pour reprendre le titre du recueil d'article : Faire court. L'esthétique de la brièveté dans la littérature du Moyen Âge, Catherine CROIZY-NAQUET, Laurence HARF-LANCNER, Michelle SZKILNIK (dir.), Paris, Presses Sorbonne Nouvelle, 2011. 29 Jean RYCHNER, Contribution à l'étude des fabliaux. Variantes, remaniements, dégradations. I : Observations ; II : Textes. Neuchâtel, Faculté des Lettres ; Genève, Librairie E. Droz, 1960 (Université de Neuchâtel, Recueil de travaux publiés par la Faculté des Lettres, 28e fascicule), p. 31. |
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