Une administration publique performante: un défi pour l'état haà¯tien à la croisée d'une exigence des citoyens et d'une incitation des acteurs internationaux ? Le cas de la modernisation de la fonction publique( Télécharger le fichier original )par Destin JEAN Université Pierre Mendès-France - Master 2 en Droit public 2011 |
Chapitre 4La modernisation effective de la Fonction publique comme un levier de performance de l'Administration : un défi relevable Dans le dernier chapitre de notre travail de recherche académique, nous essayons de démontrer qu'une modernisation de la Fonction publique comme axe de la performance de l'Administration publique constitue, certes, un défi pour l'Etat haïtien à la croisée des enjeux multiples, mais tout en essayant aussi de démontrer que ce défi n'est pas indépassable, moyennant certaines conditions. En effet, nous faisons dans un premier un plaidoyer pour un investissement coordonné et soutenu des multiples acteurs nationaux et internationaux de la réforme dans l'attractivité de la Fonction publique sous le leadership de la majorité politique au pouvoir (section 1). Dans un second temps, nous insistons sur la nécessité que cette modernisation de la Fonction publique, dans sa philosophie, soit orientée vers la satisfaction ultime des usagers des services publics (section 2). SECTION IUn investissement coordonné et soutenu des différents acteurs dans l'attractivité de la Fonction publique Oui pour un investissement coordonné et soutenu des différents acteurs de la réforme dans l'attractivité de la Fonction publique, parce qu'une Fonction publique attractive est un préalable nécessaire à la performance (§ 1). Toutefois, malgré l'apologie de ce processus participatif et multi-niveau dans une dynamique de co-production de la réforme par le réseau des partenaires engagés, nous proposons aussi que la question de la modernisation de la Fonction publique soit d'abord, en tout état de cause, un projet de société (§ 2). § 1. Une Fonction publique attractive : un préalable nécessaire à la performance Dans ce paragraphe, nous présentons d'abord la stratégie de la fidélisation des Fonctionnaires comme fondement du modèle de gestion des ressources humaines dans la perspective de sa rénovation (A). Ensuite, nous essayons de démontrer la nécessité de lancer une « opération de charme » en direction des cadres Haïtiens de la diaspora dans la perspective d'une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (B). A. La rénovation du modèle de gestion des ressources humaines : vers la fidélisation des Fonctionnaires La Constitution haïtienne de 1987 en ses articles 234 et suivants et le décret du 17 mai 2005 portant révision du Statut Général de la Fonction publique posent les jalons d'un modèle de management de la Fonction publique. Ce modèle de gestion est basé sur le mérite, la formation continue et le perfectionnement des cadres, l'évaluation des résultats, la liberté syndicale des Fonctionnaires, l'honnêteté et l'efficacité, la protection de la carrière, etc. L'OMRH, placé sous l'autorité du Premier Ministre et chargé de la gestion globale de la Fonction publique, dispose des vis-à-vis dans les différents départements ministériels. C'est le « Réseau des directeurs de ressources humaines » dans les ministères et organismes déconcentrés avec lequel l'OMRH discute de la mise n application des directives sur la gestion des agents de la Fonction publique. En revanche, force est de constater l'écart existant entre les normes juridiques et les pratiques de tous les jours dans la Fonction publique haïtienne. C'est que la réforme de l'Etat et des institutions ne peut pas se résumer à une réforme du Droit en Haïti. Cela doit nécessairement passer par une révolution de notre rapport au Droit, à la norme juridique. La culture du Droit devra être inculquée aux autorités politiques représentantes de l'Etat et aux citoyens, afin que la loi cesse d'être adoptée pour être violée sans que cela n'interpelle personne. 82 Par ailleurs, les auteurs du Programme-cadre de la Réforme de l'Etat disent noter des faiblesses importantes dans le système de management de la Fonction publique en vigueur. Selon eux : « l'approche de gestion du personnel est encore de type traditionnel par le fait d'abord que les principes et instruments de gestion prévus dans la Constitution (Titre VIII) et dans le décret portant révision du Statut Général de la Fonction publique sont faiblement utilisés. Le recrutement des Fonctionnaires, par exemple, se fait pour l'essentiel sur recommandation et non sur base de concours (...). Aucun processus d'évaluation de la performance n'est en application, encore moins de politique salariale associée à des avantages sociaux capable d'assurer la rétention du personnel au service de l'Etat ».98 D'où, l'importance, d'abord, de mettre en oeuvre de manière effective les prescrits de la Constitution relatifs à la Fonction publique et les dispositions du décret sur le Statut général de la Fonction publique. C'est que la Constitution et le cadre statutaire de la Fonction publique offrent déjà des moyens de révolutionner des « mauvaises » pratiques de gestion du personnel. Il aura fallu juste ajouter un accent managérial au processus de rénovation du modèle de management de la Fonction publique en faisant, entre autres, une gestion plus personnalisée, en assouplissant les règles et les procédures en vue de la performance. Le professeur Annie BARTOLI parlent de l'existence de trois logiques différentes pour la gestion des agents publics de l'Etat : > L'approche administrative, qui renvoie à des logiques réactives, basées sur un principe d'évolution limitée au sein de contraintes ; > L'approche gestionnaire, nettement plus pro-active, mais considérant le personnel comme une source de coût ; > L'approche managériale, d'essence stratégique et participative, au sein de laquelle le personnel est vu comme une « ressource » et le système organisationnel comme un cadre fait de marges de manoeuvre.99 98 Op. cit., page 16. 99 BARTOLI, Annie. « Management dans les organisations publics », Dunod, Paris, 2ème édition, 2009, page 162. Signalant d'ailleurs l'existence d'une situation similaire en France, le professeur BARTOLI rappelle, à la page 153 de son livre : « Dans ce contexte, les membres de l'encadrement (généralement au sein des catégories A et B, selon le découpages des Fonctions publiques) sont davantage considérés comme des applicateurs de règles, dans le cadre de grilles et dispositifs pré-établis, que comme de gestionnaires de personnels et encore moins comme des managers ». Dans la Fonction publique haïtienne, la logique dominante pour la gestion des ressources humaines reste l'approche administration pour rester dans la typologie proposée par le professeur BARTOLI. Donc, tout en plaidant pour une démarche intégrée, nous privilégions, toutes proportions gardées, l'approche managériale dans le cadre de la rénovation du modèle de gestion des Fonctionnaires. Ensuite, l'une des missions essentielles à laquelle l'Etat haïtien pourrait s'atteler c'est de fonder son modèle de management de la Fonction publique sur la fidélisation des Fonctionnaires, car le phénomène de la fuite des cadres tend à être hors de proportion. Si rendre la Fonction publique attractive aura pour effet d'attirer les cadres les mieux formés, expérimentés et les jeunes frais émoulus de l'Université vers ladite Fonction publique, la fidélisation des Fonctionnaires participe de la stratégie de rétention des ressources humaines chargées du service public administratif. Pour arriver à une Administration publique offrant des services publics de qualité, l'Etat doit pouvoir compter sur une Fonction publique forte, professionnelle, libre, motivée, voire engagée. Or, il lui arrive d'entreprendre des programmes dits de modernisation de la Fonction publique qui sont aux antipodes de cette logique. D'où, l'un des défis de taille pour l'Etat haïtien quant à la fidélisation des Fonctionnaires dans un contexte mondial où différentes grandes entreprises du secteur privé, cherchant à augmenter leurs parts de marché, dénichent, courtisent et fidélisent les ressources humaines les mieux qualifiés sur le fondement de la théorie du capital humain100. Comment donc l'Etat haïtien, faisant déjà face à une situation de raréfaction des ressources humaines haïtiennes les mieux qualifiées pour diverses raisons, peut-il se permettre de ne pas axer son modèle de gestion des Fonctionnaires sur la stratégie de la fidélisation ? En effet, la stratégie de la fidélisation des Fonctionnaires peut comporter un volet symbolique et un volet matériel. 100 CLERK, Denis. Alternatives Economiques, no 105, 1993, page 3. Théorie développée par l'Américain Prix Nobel (1974) Théodore W. Schultz et le Prix Nobel Gary Becker (1992). Cette théorie analyse l'apport de la formation à la croissance économique. 84 En ce qui a trait au volet symbolique de la stratégie de fidélisation, il repose sur un ensemble de valeurs à intégrer dans le secteur public. Une fois que ces valeurs auront été incarnées par le service public et la Fonction publique, le regard porté sur les Fonctionnaires aura changé. Aujourd'hui, non seulement les Fonctionnaires Haïtiens sont perçus même par l'Etat comme un poids, mais en plus de lourdes soupçons de corruption pèsent sur leur dos.101 Dans un tel contexte de suspicion généralisée, il n'est plus difficile pour une personne extérieure à la Fonction publique de percevoir le Fonctionnaire comme un potentiel corrompu, sinon un corrompu tout court, dilapidant les caisses publiques ou se livrant à toutes autres formes de corruption. Or une telle perception ou représentation des Fonctionnaires est moralement préjudiciable à la personne du Fonctionnaire. En ayant conscience de cela, comment peut-il vouloir s'accrocher à cette Fonction publique ? D'où la nécessité de changer ce regard porté sur les Fonctionnaires en intégrant un ensemble de valeurs nouvelles dans la Fonction publique. La transparence, la performance, la compétence, l'égalité, la responsabilité, l'impartialité et le respect sont, entre autres, les valeurs à intégrer dans la Fonction publique dans le cadre de la rénovation du modèle de gestion des Fonctionnaires. A titre indicatif, une Fonction publique dont la porte d'entrée s'ouvre aux méritants est un vecteur de fierté des Fonctionnaires. D'où aussi un motif de sa fidélisation à cette Fonction publique. Pour ce qui est du volet matériel de la stratégie de la fidélisation, il reposera sur une politique salariale axée sur une gestion personnalisée de la performance du Fonctionnaire, sans toutefois sortir de la grille de salaire des Fonctionnaires. Cela aura pour effet d'inciter les Fonctionnaires à être performants. L'Etat pourrait en ce sens envisager de rentrer en concurrence avec le secteur privé sur le plan de la politique salariale ou plus globalement du 101 ULCC, Transparency International, les organisations de la société civile et même les autorités politiques dénoncent à longueur de journée des cas de corruption dans la Fonction publique. Le Président de la République Michel Joseph Martelly, avant même son investiture, annonçait déjà les couleurs : « Un poste dans la Fonction publique vient avec une paire de menottes ». Le Premier Ministre désigné, Daniel Rouzier a corroboré en ajoutant : « Certains luxes ne sont pas normaux dans des pays pauvres, surtout quand on occupe un poste dans la fonction publique. S'il quelqu'un veut faire de l'argent qu'il rejoigne le secteur privé et investisse son argent, et ne pas se servir dans les poches des contribuables ». Cf : Le Nouvelliste, dépêche titré : « Un poste dans la Fonction publique vient avec une paire de menottes », publié le 25 mai 2011, la page est consultée le 25 août 2011. URL : http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=92978&PubDate=2011-05-25 traitement des ressources humaines en vue de fidéliser les Fonctionnaires, comme les entreprises du secteur privé fidélisent leurs employés qualifiés pour rester compétitives. B. Une gestion prévisionnelle des emplois et compétences et une opération de « charme » en direction des cadres Haïtiens de la diaspora Le professeur BARTOLI souligne que selon une enquête réalisée en France en 1993 auprès de 120 managers publics : « 73% des répondants considéraient la gestion prévisionnelle comme l'un des domaines de GRH tout à fait compatibles avec la spécificitédes missions du secteur public ou para-public. La logique prévisionnelle, qui consiste à préparer le futur en cherchant à le prévoir (ou à le créer) serait donc possible pour la gestion des ressources humaines de ces organisations, dépassant ainsi les traditionnelles actions à court terme et les cadres budgétaires annuels. Au plan quantitatif, il s'agissait de raisonner à moyen terme sur des effectifs par structure d'emploi, et d'intégrer les conséquences qualitatives de ces prévisions, notamment en termes de politique d'emploi ou de formation ».102 Par ailleurs, selon les auteurs du Programme-cadre de la réforme de l'Etat 2007- 2012 : «une politique de gestion prévisionnelle des ressources humaines, dont certains des instruments - comme un fichier de personnel, un diagnostic des besoins de formation, une politique de recrutement ou une politique de formation continue - font défaut, n'existe pas dans la quasi-totalité des administrations publiques »103. En revanche, dans le Statut général de la Fonction publique, il est indiqué à l'article 29 : « Dans le cadre des fonctions de gestion prévisionnelle des ressources humaines, l'Office du Management et des Ressources Humaines, sous l'autorité du Conseil Supérieur de l'Administration et de la Fonction publique, organise des concours en vue du recrutement des Fonctionnaires ». 102 BARTOLI A. ; TOUILLER G., « Les managers publics face aux défis de leur organisations », Document de recherche, no 9223, CERIM, automne 1993, cité par Annie BARTOLI, in « Management dans les organisations publiques », op. cit., page 163. 103 Op. cit., page 7. 86 En réalité, l'organisation des concours en vue du recrutement des Fonctionnaires n'est pas le seul instrument de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans le modèle de management des ressources humaines retenu par le nouveau cadre statutaire de 2005. A l'article 35 du Statut général de la Fonction publique, il est précisé que « l'Etat peut assurer la formation initiale des fonctionnaires et encourage le développement des professions dans l'Administration Publique à travers des filières professionnelles transversales et sectorielles ». A l'article 36, il est aussi précisé que la formation des Fonctionnaires peut même être organisée à l'étranger, considérant sans doute les faiblesses des cursus offerts par les universités haïtiennes. De plus, il est créé à l'article 37 du Statut en question une Ecole Nationale d'Administration et de politiques publiques (ENAPP). De plus il est aussi indiqué que l'Etat facilite l'octroi de bourses d'études pour les Fonctionnaires. Ces derniers pourront jouir de cours et stages de formation ou de perfectionnement. En outre, les articles 40, 41 et 45 dudit Statut paraissent aller encore plus loin. En effet, ils sont respectivement ainsi libellés : > « L'Etat assure également la formation continue et le perfectionnement des fonctionnaires en cours de carrière en fonction de lévolution d'une filière professionnelle et des nouvelles technologies à appliquer dans l'Administration Publique ». > « En fonction de leur vocation et de la spécialisation des tâches à accomplir, des écoles de formation propres à certains Ministères ou à d'autres institutions publiques peuvent être créées par la loi ». > « Les Ministères et institutions publiques dont les personnels sont régis par le présent Décret, en collaboration avec l'Office du Management et des Ressources Humaines, établiront un plan .de formation et de perfectionnement périodique de leurs personnels ». C'est le cas dire que l'approche de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences est déjà prescrite dans le cadre statutaire de la Fonction publique de l'Etat en Haïti. Toutefois, il reste pour l'Etat haïtien de relever le défi de sa mise en oeuvre effective. De plus, comme il a été relaté dans une étude de la Banque Mondiale, déjà citée dans ce travail, plus de 80% des cadres Haïtiens vivent à l'étranger. Dans un tel contexte de raréfaction des ressources humaines qualifiées, il va sans dire qu'il existe bien des compétences dont l'Etat a besoin dans le cadre de la modernisation des services publics et de la Fonction publique qui ne sont pourtant pas disponibles en Haïti. D'où la nécessité de lancer ce que nous appelons une opération « de charme » en direction des cadres Haïtiens de la Diaspora en vue de les attirer et les intégrer dans la Fonction publique haïtienne. Ils apporteraient, en raison de leurs qualifications, compétences et expériences une véritable valeur ajoutée à la Fonction publique en vue de sa performance. En grosso modo, il aura fallu, certes, arriver déjà à une mise en application effective du Statut général de la Fonction publique offrant un cadre de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences assez standardisé. Néanmoins, en dépit de cette mise en oeuvre effective du cadre statutaire, l'Etat fera encore face à la rareté des ressources humaines qualifiées. D'où l'importance de « courtiser » les cadres Haïtiens vivant à l'extérieur du pays en vue de leur intégration ou réintégration dans la Fonction publique tout en s'assurant de la mise en oeuvre effective d'une politique de leur rétention au service de l'Etat dans la perspective d'une optimisation soutenue de la Fonction publique. § 2. La modernisation de la Fonction publique : vers un projet de société A l'intérieur de ce paragraphe, nous essayons d'abord de démontrer que la participation multi-niveau des multiples acteurs de la vie nationale dans la réforme engagée constitue un gage d'appropriation de la réforme par la société haïtienne (A). Toutefois, il est tout aussi nécessaire pour l'Etat haïtien de coordonner et de canaliser l'accompagnement des acteurs internationaux de la réforme, en de la difficulté vraisemblable d'une pareille mission (B). A. La participation multi-niveau des multiples acteurs de la vie nationale dans la réforme : un gage d'appropriation Dans le Programme-cadre de la réforme de l'Etat 2007-2012, il est explicitement indiqué à la page 17 que les dirigeants politiques détiennent le monopole de la conception et du 88 pilotage de la modernisation de l'Administration publique. En effet, nous avons pu lire la phrase que voici : « Pour que l'Administration publique haïtienne devienne un instrument de développement du pays, il est impératif qu'elle se modernise. La définition et le pilotage de ce processus de modernisation sont l'apanage des seuls dirigeants politiques. » Les dirigeants politiques, sont-ils les seuls dépositaires de la légitimité de décider et d'agir au nom et pour le compte de toute la communauté politique ? Comment peuvent-ils, en voulant décider seuls de l'orientation, de la définition et du pilotage du processus de modernisation, atteindre les objectifs fixés ? N'est-ce pas déjà illusoire pour les dirigeants politiques de prétendre pouvoir imposer d'en haut leur unique entendement de ladite modernisation à la société toute entière ? Une réforme des services publics et de la Fonction publique, ne participe-t-elle pas aussi, dans une certaine mesure, d'une réforme des valeurs au sein de la société ? Si oui, comment vouloir réformer une société d'en haut, c'est-à-dire sans l'acceptation et la participation de cette société ? De plus, la définition et le pilotage de ce processus de modernisation, peuvent-ils effectivement l'apanage des seuls dirigeants politiques Haïtiens dans le contexte de la dépendance financière croissante d'Haïti et celui de la mondialisation qui suppose Interdépendance et ) (X[ [dJéH<DQIes ? En tout état de cause, jusqu'ici, les différentes tentatives de réformes des services publics et de la Fonction publique en Haïti depuis les années 1980 ont été faites sous l'instigation ou la pression ou encore l'incitation des partenaires internationaux d'Haïti, particulièrement les institutions financières internationales. Les différents Gouvernements successifs décident, généralement, d'engager le secteur public dans un processus de réforme, parce qu'il s'agit avant tout d'une conditionnalité de l'aide internationale sollicitée. Comme étant donné le pays devient de plus en plus dépendant financièrement, lesdits partenaires internationaux d'Haïti deviennent de plus en plus influents dans le processus de modernisation engagée. En définitive, l'Etat haïtien, dans le cadre de la modernisation des services publics et de la Fonction publique, se trouve dans une situation de double contrainte. Il est redevable à la fois de sa légitimité nationale et de sa légitimité internationale. Les citoyens Haïtiens exigent que la Fonction publique soit modernisée et les acteurs internationaux intervenant en Haïti font la même exigence, à la différence que pour leur part, cette exigence est indirecte ou voilée. Par voie de conséquence, les dirigeants politiques Haïtiens ne sauraient prétendre détenir le monopole du pouvoir de la définition et du pilotage de la modernisation, car leur action doit rencontrer à la fois l'adhésion des citoyens Haïtiens et desdits acteurs internationaux dont les motivations ne vont pas nécessairement dans le même sens. D'où, le dilemme de la cohabitation des sources de légitimité. « De nos jours, les Etats sont confrontés à des exigences de légitimation, tant sur le plan intérieur qu'international. D'une part, on attend d'eux qu'ils agissent d'une manière quicorresponde aux souhaits et aux priorités de leur population. De l'autre, ils sont confrontés à une série d'exigences extérieures (de la part d'autres Etats, d'organisations internationales, des donateurs, etc.). Le dilemme de nombreux Etats en situation de fragilité est que les attentes de leurs citoyens ne correspondent pas à celles des acteurs extérieurs impliqués ».104 En réalité, en dépit de ce dilemme de la cohabitation des sources de légitimité, l'Etat haïtien peut se donner les moyens de transformer la question de la modernisation de la Fonction publique prioritairement en un projet de société. Ici, nous entendons par projet de société, un intérêt national autour duquel se réunissent les multiples acteurs de la vie nationale, qu'ils soient du gouvernement ou de la société civile, sur la base d'un processus participatif en vue de sa « meilleure » appropriation. En l'espèce, la participation multi-niveau des multiples acteurs de la vie nationale dans le processus de la réforme de la Fonction publique est un gage d'appropriation. La modernisation de la Fonction publique en Haïti est avant tout une affaire haïtienne, c'est-à-dire une question d'intérêt national. Si les différentes élites du pays se réunissent en consortium sous le leadership du pouvoir en place autour du projet de la modernisation de la Fonction publique et arrivent à dépasser le préalable « quelle Fonction publique pour quel modèle d'Etat ? », il y a fort à parier que ledit projet soit par la suite une réussite. Nous avons déjà exposé dans le cadre de ce travail de recherche des défis et enjeux de l'effectivité de la réforme liés, entre autres, à l'instabilité politique et aux aléas de l'alternance politique. Le risque qu'une nouvelle majorité politique abandonne un processus de modernisation de la Fonction publique déjà engagé par une autre majorité d'orientation idéologique différente aura été amoindri si cette nouvelle majorité fraichement arrivée au 104BELINA ; DARBON ; ERIKSEN ; SENDING. « L'Etat en quête de légitimité - Sortir collectivement des situations de fragilité », op. cit., page 79. 90 pouvoir était partie prenante des pourparlers ayant donné lieu à l'orientation stratégique et la définition dudit processus. Les méthodes de faire pourront encore être différentes, mais le processus de modernisation en soi sera difficilement remis en question. C'est le cas de dire qu'il ne s'agit plus à ce moment de l'affaire d'une simple majorité politique, mais plutôt d'une question d'intérêt national ayant impliqué les multiples composantes de la société ; donc un projet de société. Certes, dans le contexte mondial en profonde mutation, les notions de souveraineté nationale, du droit des peuples à disposer d'eux-mêmes (la théorie de l'autodétermination), le principe de l'égalité souveraine des Etats tendent de plus en plus à perdre leur sens premier dans le contexte de la mondialisation où l'interdépendance et les échanges de tous ordres deviennent des règles cardinales du fonctionnement réel de ce monde en mutation. En fait, même les pays les plus développés subissent des influences d'autres pays ou des mécanismes d'intégration régionaux, voire des institutions financières internationales dans le cadre des réformes du secteur public qu'ils engagent. Ces influences vont tantôt dans le sens stratégique et tantôt dans le sens idéologique. Malgré ce qui précède, l'Etat haïtien peut encore rapatrier l'initiative de la réforme de la Fonction publique. Il ne pourra pas, dans ce contexte d'interdépendance et de celui de sa dépendance financière, s'échapper des influences de l'extérieur desquelles même les pays les plus puissants ne sont pas libérés. Toutefois, même étant incité par les acteurs internationaux, l'Etat haïtien se doit de rencontrer l'adhésion de la majeure partie de la population haïtienne sur l'orientation à donner à la réforme. C'est une condition sine qua non de l'appropriation du projet par la société et donc de sa réussite. Toutefois, l'argent et l'expertise des acteurs internationaux sont indispensables pour Haïti dans un contexte de raréfaction des ressources financières et des ressources humaines qualifiées. D'où la nécessité de coordonner et de canaliser l'accompagnement des acteurs internationaux impliqués dans le processus de la modernisation, dans une logique d'intégration plutôt que de rejet. B. La coordination et la canalisation de l'accompagnement des acteurs internationaux de la réforme : une mission difficile mais nécessaire En effet, au lieu de subir des réformes dans une dynamique Top-Down, l'Etat haïtien, une fois s'assurer de l'appropriation de la définition et de l'orientation stratégique de la modernisation de la Fonction publique par la société haïtienne acquise à partir de la stratégie d'un processus décisionnel participatif, peut sur le fondement de cette partage de vision au niveau national, essayer de coordonner et de canaliser l'accompagnement des acteurs internationaux de la réforme. Il s'agit certes d'une mission difficile, mais oh combien nécessaire en vue de la lisibilité, de la cohérence et de l'efficacité de l'action publique dans ce domaine. Il ne s'agit pas de faire de la modernisation de la Fonction publique un projet de société sans le bénéfice de l'apport financier et expertal des acteurs internationaux. Mais l'Etat haïtien devra s'assurer de pouvoir présenter ledit projet de société aux acteurs internationaux en vue de leur accompagnement technique et financier sans compromettre les orientations stratégiques et philosophiques de la réforme qui auront été décidées collectivement au plan national. De plus, une maitrise des enjeux des conditionnalités de cet accompagnement aura permis d'éviter leurs potentielles conséquences néfastes pour les générations présentes et futures. A titre indicatif, nous avons vu au deuxième chapitre de ce travail le bilan mitigé des différentes tentatives de réformes de la Fonction publique. Certes, entre autres, des efforts ont été réalisés en termes de professionnalisation des Fonctionnaires, mais les politiques de réduction massive des Fonctionnaires engagées sous l'impulsion des institutions de Bretton Woods comme conditionnalités de l'aide au développement ont occasionné une hémorragie des ressources humaines et ont influé « négativement » sur l'attractivité de la Fonction publique. Sachant qu'ils peuvent être mis à pied suite à une « injonction » des partenaires internationaux détenant les cordons de la bourse, les Fonctionnaires ne se sentent plus protégés par le principe de la garantie de l'emploi qui est l'un des principes statutaires 92 fondamentaux du système de la Fonction publique de carrière consacré par la Constitution de 1987. Comme conséquence, ceux qui le peuvent quittent la Fonction publique à destination de l'étranger ou des organisations internationales ou encore plus rarement du secteur privé. D'où la difficulté pour l'Etat haïtien d'assurer la rétention des Fonctionnaires à son service. Pourtant, il s'agit bien de Fonctionnaires à la professionnalisation desquels il a contribué dans le cadre du processus de la modernisation de la Fonction publique. Cela n'encourage pas non plus les jeunes professionnels frais émoulus de l'Université à s'engager dans cette Fonction publique au service de l'Etat. De plus, de telles politiques sont peu valorisantes à l'égard des ressources humaines se mettant par résignation, ou par conviction au service d'Etat en ce sens qu'elles sont perçues comme un poids sur le dos de l'Etat, alors qu'elles peuvent être plutôt un atout pour l'Etat si elles sont valorisées en les offrant de « belles » perspectives de carrière et par une gestion de la Fonction publique personnalisée et responsabilisante. Tenant compte de tout ce qui précède, il va sans dire que l'Etat haïtien se doit de devenir maitre des réformes engagées dans la Fonction publique en vue de leurs effectivité et cohérence, en s'appuyant sur les orientations stratégiques dégagées dans le consortium national des élites haïtiennes sur le projet de la modernisation et en canalisant l'accompagnement des acteurs internationaux. En effet, il existe plusieurs partenaires internationaux d'Haïti impliqués dans ce processus de la modernisation de la Fonction publique. Cependant, nous pouvons risquer avancer que les institutions financières internationales comme le FMI et la Banque Mondiale par l'entremise de la Banque internationale pour la reconstruction et le développement (BIRD), mais surtout l'Association internationale de développement (IDA) dont les prêts sont réservés aux pays les moins développés, sont les acteurs internationaux les plus influents de la réforme. Cette influence s'explique par le degré de la dépendance financière d'Haïti vis-à-vis desdites institutions. D'où aussi la difficulté pour Haïti de prétendre pouvoir orienter et canaliser leur accompagnement. En outre, d'autres organisations internationales comme la Banque Interaméricaine de Développement (BID), l'Union Européenne (UE) ou encore le Programme des Nations-Unies pour le Développement (PNUD) interviennent aussi dans le champ de la réforme des services publics et de la Fonction publique en Haïti. Selon le projet « Assistance préparatoire à la réforme administrative 2007-2008 ", depuis 2004 marquant l'avènement du gouvernement de transition, les interventions de la BID et de la Banque Mondiale trouvent leurs sources dans le cadre du Cadre de Coopération Intérimaire (CCI). L'une des préoccupations du Gouvernement PREVAL-ALEXIS ayant succédé au gouvernement de transition était donc « de ramener les bailleurs à la table pour des prises de position sur le Document cadre de la réforme de l'Administration publique haïtienne et de la décentralisation ".105 Selon le même document : « L'Union européenne est aussi intéressée par la réforme. Une première mission exploratoire a eu lieu en avril 2007. Il s'agissait pour l'UE de déterminer quelle forme prendrait son assistance à la réforme. Notons tout de suite que cette assistance a été, comme pour la BID et la Banque Mondiale, développée hors du document cadre de la réforme. Une deuxième mission forte d'une quinzaine d'experts travaille actuellement au niveau du Bureau du Premier Ministre et des ministères sectoriels ; l'objectif étant de doter ces institutions de plan de travail pour l'année fiscale 2007-2008 ".106 C'est le « Programme d'appui à l'Administration publique haïtienne " dans le contexte de relance de l'efficacité administrative et de consolidation de l'action gouvernementale. Il n'y a donc que le PNUD à agir sur le fondement du Programme-cadre de la réforme de l'Etat 2007-2012. Notons aussi que des partenaires de la coopération bilatérale, comme le Canada, interviennent aussi dans le champ de la réforme. Le Canada, particulièrement le Québec, agit sous le label du « Projet d'appui au renforcement de la gestion publique en Haïti (PARGEP) ".107 105 Cf : « Assistance préparatoire à la réforme administrative 2007-2008 ", opere citato, page 7. 106 Idem, page 7. 107 « Le Projet d'appui au renforcement de la gestion
publique en Haïti (PARGEP) est le fruit de la volonté
de 94 Comment l'Etat haïtien arrive-t-il à coordonner et canaliser toutes ces interventions des acteurs internationaux de la réforme ? Notons que s'il parait difficile pour l'Etat haïtien d'orienter l'aide technique et financière des institutions financières internationales comme la BID, la Banque Mondiale ou le FMI en raison de la rigidité du principe des conditionnalités, il le parait moins dans le cas du PNUD ou des actions menées dans le cadre de la coopération bilatérale. D'où l'intérêt de l'Etat d'essayer d'abord de coordonner et de canaliser l'accompagnement de ces derniers acteurs internationaux. |
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