Une administration publique performante: un défi pour l'état haà¯tien à la croisée d'une exigence des citoyens et d'une incitation des acteurs internationaux ? Le cas de la modernisation de la fonction publique( Télécharger le fichier original )par Destin JEAN Université Pierre Mendès-France - Master 2 en Droit public 2011 |
SECTION IIUne modernisation de la Fonction publique orientée vers la satisfaction ultime de l'usager ou client des services publics Dans cette section de notre travail, nous insistons sur la nécessité que cette modernisation de la Fonction publique, dans sa philosophie, soit orientée vers la satisfaction ultime des usagers des services publics. D'abord, nous essayons de démontrer qu'une Fonction publique renforcée et efficiente est un vecteur de relégitimation de l'Etat après des citoyens (§ 1). Ensuite, nous proposons une Administration électronique comme levier majeur de la performance des Fonctionnaires dans la prestation des services (§ 1). gouvernement du Canada, par l'entremise de l'Agence canadienne de développement international (ACDI), est de 4,85 millions de dollars et l'investissement du Québec de 1,5 million de dollars ». Cf : Site officiel du PARGEP faisant la description du projet. L'URL de la page consultée le 30 aoüt 2011 : http://www.pargep.enap.ca/fr/Accueil.aspx?sortcode=1.1.2.2 95 Université Pierre Mendès-France --Faculté de Droit de Grenoble -M2ADT -Mémoire de Master de Destin JEAN. § 1. Une Fonction publique renforcée et efficiente : un facteur de relégitimation de l'Etat auprès des citoyens Ici, nous présentons d'abord l'implémentation de la culture du résultat dans la Fonction publique comme de responsabiliser les Fonctionnaires en vue de la performance (A). Ensuite, nous essayons de démontrer que la logique de résultat à insuffler dans la Fonction publique est antinomique à la culture de la corruption (B). A. La responsabilisation des Fonctionnaires par l'implémentation de la « culture du résultat » Tout en rappelant d'emblée que « les Etats-Unis et la Grande Bretagne ont pris de l'avance sur la France en ce domaine », le professeur Jean-Marie GOGUE avance que c'est « à la suite de la promulgation des décrets d'application de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, que le terme « culture du résultat » est apparu pour la première fois dans la Presse ».108 Plus loin, le professeur GOGUE avance : « En France, des méthodes de management directement inspirées de cette « culture du résultat » existent depuis une vingtaine d'années dans la plupart des grandes entreprises du secteur privé, et même parfois du secteur public. C'est ainsi qu'on a vu fleurir dans les années 80 des « contrats d'objectifs » et des « primes de résultat » calquées sur celles des entreprises américaines »109. Pour leur part, Stéphanie CHATELAIN-PONROY et Samuel SPONEM tous deux maitres de conférences au Conservatoire National des Arts et Métiers, « L'un des objectifs principaux de la LOLF est de faire prendre aux administrations une orientation nouvelle en les incitant à passer d'une « culture de moyens » à une « culture de résultats ». A travers elle, la France rejoint donc de nombreux pays de l'OCDE qui ont fait de la gestion par les résultats la pierre angulaire de leurs systèmes de gestion publique. Cette promotion de la « culture du résultat » traduit la volonté du législateur d'améliorer l'efficacité (c'est-à-dire la capacité à atteindre 108 GOGUE, Jean-Marie. « La culture du résultat », 2008, page 2, document libre en format PDF sur Internet et disponible à partir de l'URL : http://www.fr-deming.org/CultResultat.pdf La page est consultée le 30 août 2011. 109 Idem, page 3. 96 les objectifs fixés) et l'efficience (la capacité à minimiser les ressources employées pour atteindre les objectifs) de l'État en mettant en oeuvre une gestion axée sur les résultats, c'està-dire un mode d'administration qui établisse un lien entre la dépense publique et l'atteinte d'un résultat concret afin de mesurer la performance d'une politique (ou d'un programme). Le contrôle traditionnel a priori, qui mettait l'accent sur l'approbation des opérations, avant engagement, par un contrôleur extérieur, est alors remplacé par un contrôle a posteriori sur les résultats »110. En effet, la gestion par la « culture du résultat » suppose à la fois des objectifs, des moyens et des résultats. Le professeur Annie BARTOLI ajoute que cela implique trois (3) logiques : une logique d'efficacité, une logique d'efficience et une logique de budgétisation. C'est ce qu'elle appelle le triangle de la performance ;111 sachant que « l'efficacité concerne le rapport entre le résultat obtenu et l'objectif à atteindre »112, « l'efficience concerne le rapport entre le résultat obtenu et les moyens engagés »113 et le troisième volet du triangle de la performance, c'est-à-dire la budgétisation « qui correspond à une programmation de moyens au regard d'objectifs, et au suivi de leur application ».114 Tenant compte de ce qui précède, nous pouvons affirmer que l'une des difficultés de l'implémentation de la « culture du résultat » dans la Fonction publique en Haïti réside dans l'absence de ce « triangle de performance ». Particulièrement, le cadre budgétaire reste encore de type traditionnel ; il est fondé sur le principe d'une budgétisation par ministères et par la nature de dépenses, c'est-à-dire en dépenses de personnel et dépenses de fonctionnement. Par voie de conséquence, il est difficile de lire les moyens financiers consacrés aux politiques publiques mises en oeuvre et les objectifs poursuivis ; ce qui ne responsabilisent aussi peu les Fonctionnaires. En outre, en dépit de l'article 222 de la Constitution disposant que « les procédures relatives à la préparation du budget et à son exécution sont déterminées par la loi », il n'existe aucune loi ou texte réglementaire en Haïti organisant la présentation des lois de 110 PONROY ; SPONEM. « Culture du résultat et pilotage par les indicateurs dans le secteur public », in « Management : Enjeux de demain », Bernard Pras (coord.), édition 2009, pages 163 à 171. 111 BARTOLI. « Management dans les organisations publiques », op.cit., page 106. 112 Idem, page 107. 113 Ibidem, page 109. 114 Ibidem, page 111. 98 finances. Seule la Constitution offre un certain cadre avec évidemment le niveau de généralité inhérent à une Constitution qui n'a pas en principe vocation à entrer dans les détails. Ainsi, l'article 111-2 de la Constitution donne l'apanage de l'initiative législative en matière de lois de finances au Pouvoir Exécutif, tout en spécifiant que les projets présentés à cet égard doivent être votés d'abord par la Chambre des Députés. De plus, au niveau du Titre VII de la Constitution traitant des finances publiques, il est indiqué à l'article 217 : « ...L'Exécutif, assisté d'un Conseil départemental, élabore la loi qui fixe la portion et la nature des revenus attribués aux collectivités territoriales ». Pour sa part, l'article 223 dispose : « Le contrôle de l'exécution de la loi sur le budget et sur la comptabilité publique est assuré par la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif et par l'office du budget ». Enfin, l'article 233 est ainsi libellé : « En vue d'exercer un contrôle sérieux et permanent des dépenses publiques, il est élu au scrutin secret, au début de chaque session ordinaire, une commission parlementaire de quinze (15) membres dont neuf Députés et six Sénateurs chargée de rapporter sur la gestion des Ministres pour permettre aux deux Assemblées de leur donner décharge. Cette commission peut s'adjoindre des spécialistes pour l'aider dans son contrôle ». En conséquence de tout ce qui précède, nous pouvons avancer que dans le cadre du contrôle de l'exécution des dépenses et des recettes de l`Etat en Haïti, l'accent est mis sur l'approbation ou la vérification des opérations plutôt que sur le contrôle des résultats ; d'ailleurs les dépenses ne correspondent pas à des objectifs précis. Or, les lois de finances sont effectivement plus lisibles et transparentes quand elles associent les dépenses à des politiques publiques spécifiques ventilées en programmes. Non seulement cela participe de la lisibilité et de l'efficacité de l'action publique, cela facilite aussi l'implémentation de la « culture du résultat » dans la Fonction publique, par l'introduction d'indicateurs de performance. Il y a donc nécessité de réformer la gestion publique afin de fixer des objectifs à tous les Fonctionnaires. Dans le cadre de cette nouvelle gestion axée sur les résultats, chaque dépense publique correspondra à l'atteinte d'un résultat concret. D'où la possibilité de mesurer, à l'aide de critères d'évaluation fiables, l'efficacité des politiques publiques mises en oeuvres et le degré de performance des Fonctionnaires dans la réalisation des objectifs préalablement fixés. Un manager public à tête d'un programme a l'obligation de résultat ou tout au moins l'obligation de rendre compte de sa gestion. Il y va de l'efficience des politiques publiques et de la responsabilisation des Fonctionnaires. B. La culture de la corruption : un phénomène à endiguer Il a été démontré dans le chapitre premier de ce travail de recherche académique, que la corruption fait partie de ce que nous avons appelé les « vieux démons » de l'Administration publique haïtienne. En fait, parler de culture de la corruption est loin d'être excessif. Elle a eu tellement le temps de s'enraciner dans les moeurs, voire intériorisée, parce ce que transmise de génération en génération comme une pédagogie au sein de la Fonction publique qu'elle devient maintenant une gangrène. En revanche, pour que la Fonction publique soit efficiente et constitue donc un vecteur de relégitimation de l'Etat auprès des citoyens, elle doit être saine. L'éradication de la corruption facilitera le changement du regard peu valorisant porté de l'extérieur sur l'ensemble des Fonctionnaires à la fois par les citoyens, les acteurs internationaux impliqués dans le processus de modernisation de la Fonction publique, voire les autorités politiques rappelant à chaque fois que la situation se présente que la Fonction publique est corrompue jusqu'au cou. A titre indicatif, nous avons déjà rapporté dans le cadre de ce travail de recherche les propos du nouveau Président de la République Michel Joseph MARTELLY indiquant qu'un poste dans la Fonction publique vient avec une paire de menottes. En définitive, il s'agit d'un phénomène à endiguer à défaut de pouvoir l'annihiler. La Fonction publique ne peut pas être à la fois efficiente et corrompue. Il s'agit de deux hypotheses s'excluant mutuellement. Or l'objectif à rechercher dans le cadre du processus de modernisation de la Fonction publique c'est l'efficience orientée vers la satisfaction des usagers des services publics offerts par l'Administration. Comment alors responsabiliser les Fonctionnaires Haïtiens dans un environnement social et comportemental laissant tant de place à la corruption ? Puisque la logique de la « culture du résultat » est antinomique à la pédagogie de la corruption, l'Etat haïtien n'a qu'à mettre en branle les instruments juridiques et les moyens institutionnels dont il dispose en vue de contrer le phénomène. En effet, la corruption, sous toutes ses formes, reste et demeure une infraction à la loi pénale, car la législation pénale haïtienne définit et incrimine l'acte de corruption. Donc les corrupteurs et les corrompus ne pourront pas tirer l'argument du principe cardinal en droit pénal « nullum crimen nulla poena sine lege »115 pour échapper à la justice. En réalité, il existe tout un arsenal juridique de lutte contre la corruption, de la Constitution de 1987 aux décrets et lois portant sur la question, en passant par les instruments juridiques internationaux signés et ratifiés par Haïti et qui engagent donc la responsabilité de l'Etat sur le plan international. Les tribunaux ordinaires, de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux administratif, l'Unité de lutte contre la corruption (ULCC) dont la devise c'est : « Intégrité, Moralité, Transparence », sont autant de leviers institutionnels dans le cadre de la lutte contre la corruption. En fait, l'ULCC est un organisme autonome placé sous la tutelle du Ministère de l'Economie et des Finances et coiffé par un Conseil d'Administration interministériel présidé par le Ministre de tutelle, assisté de deux autres Ministres : celui du Ministère de la Justice et de la Sécurité publique et celui du Ministère de l'Intérieur et des Collectivités territoriales. Elle est créée en septembre 2004116 avec la mission de travailler à combattre la corruption et ses manifestations sous toutes les formes, au sein de l'Administration publique haïtienne en particulier et dans la vie publique en général. L'article 4 du décret portant sa création fixe son mandat : > «Définir une stratégie de lutte contre la corruption avec une large participation du secteur public et des organisations de la société civile. Une fois cette stratégie 115 Pas de crime, pas de peine sans loi. 116 Décret du 08 septembre 2004 portant création d'un organisme autonome à caractère administratif dénommé : Unité de Lutte contre la Corruption, publié au Moniteur du 13 septembre 2004. 100 définie, l'unité doit assurer le suivi de sa mise en application et sa révision selon l'évolution du contexte économique, financier, social et politique du pays ; > Compiler les textes relatifs au phénomène de la corruption dans la législation haïtienne, proposer des amendements et élaborer une loi sur la corruption en vue de favoriser une meilleure transparence et un bon fonctionnement de l'Administration publique en général et des agents de la Fonction publique en particulier ; > Mettre en place un code d'éthique et proposer un pacte d'intégrité devant encourager l'engagement des tiers à renoncer à la corruption ou à tout autre comportement contraire à l'éthique dans les appels d'offres pour marchés publics et l'exécution des contrats de services ; > Assurer l'application de la Convention Interaméricaine contre la corruption et s'attaquer en priorité aux points de corruption les plus décriés, y compris les contrats portant sur les grands projets d'infrastructures à entreprendre pour le compte de l'Etat haïtien ; > Mettre en place un système d'informations intégré et de suivi ainsi qu'un système d'alerte permanente ». A la vérité le mandat de l'ULCC parait ambitieux. Toutefois, l'Etat haïtien se devra aussi de clarifier les normes juridiques et d'être cohérent dans les institutions qu'il met en place. Quelle logique préside ce mandat accordé à l'ULCC de proposer des amendements et d'élaborer une loi sur la corruption, sachant que le Pouvoir Législatif est le seul organe chargé d'élaborer et de voter la loi en Haïti ? Existe-t-il une harmonisation entre le mandat de l'ULCC et les compétences de la CSC/CA ? En effet, la lutte contre la corruption sera efficace dans la mesure où le principe de l'indépendance du Pouvoir Judicaire prend son plein effet. Il aura fallu aussi mettre à la disposition de la justice les moyens matériels nécessaires à l'efficacité de son action et traiter les Juges de telle sorte qu'ils soient « immunisés » contre les convoitises des corrupteurs. La moralisation de la vie publique ne peut se penser sans la moralisation des détenteurs de pouvoirs publics ou agissant au nom et pour le compte de la puissance publique, 102 en l'espèce les Fonctionnaires. Or, l'Etat, peut-il miser sur la morale publique pour contrer le phénomène de la corruption vieux de plus d'un siècle ? C'est la clarification et l'harmonisation des règles, des procédures et des institutions qui pourront générer l'efficacité dans cette bataille contre la corruption et non la création de structures sinon parallèles du moins non intégrées dans une logique d'ensemble. § 2. La « e-administration » : un levier majeur de la performance des Fonctionnaires dans la prestation des services La « e-administration » ou l'Administration électronique ou l'Administration en ligne ou encore la télé-Administration se définit comme l'utilisation des technologies de l'Information et de la Communication dans les administrations. Selon l'OCDE, l'Administration électronique se définit comme « l'usage des Technologies de l'Information et de la Communication en particulier de l'Internet en tant qu'outil visant à mettre en place une Administration de meilleure qualité ».117 A l'ère des Nouvelles Technologies de l'information et de la Communication (NTIC), l'Internet peut se révéler un outil d'optimisation des services publics et un levier majeur de la performance des Fonctionnaires. L'utilisation des NTIC dans l'Administration publique en Haïti peut offrir des avantages à la fois sur le plan interne que sur le plan externe (A). Toutefois, comment l'Etat haïtien peut-il arriver à réaliser cette innovation dans l'Administration publique dans le contexte du sous-développement ? L'Etat, peut-il réussir à introduire dans l'Administration publique des instruments de la modernité dans un environnement général sous-équipé et peu préparé à entrer dans cette ère de modernité ? D'oüla démarche de confrontation de la « e-administration » aux défis de la pauvreté. 117 « Etudes de l'OCDE sur l'Administration électronique - L'Administration électronique : un impératif », Editions de l'OCDE, 2004. Dans ce paragraphe, nous faisons ressortir l'apologie de l'usage interne et de l'usage externe des TIC dans les services publics (A), tout en essayant de démontrer les limites d'une éventuelle Administration électronique en Haïti par rapport aux enjeux de la pauvreté (B). A. L'usage interne et externe des Technologies de l'Information et de la Communication (TIC) En réalité, l'informatisation du travail administratif ou encore l'électronisation de l'Administration a été déjà présentée par les pouvoirs publics en Haïti comme un levier majeur de la réforme des services publics et de la Fonction publique. Pour nous en convaincre, le Premier Ministre Jacques Edouard ALEXIS, dans son AvantPropos présenté in limine dans le document présentant le « Programme-cadre de la réforme de l'Etat 2007-2008 », a mentionné parmi les objectifs assignés à cette réforme l'importance d' « exploiter les possibilités immenses offertes par l'utilisation et la généralisation des Nouvelles Technologies de l'Information et de la Communication ».118 D'ailleurs, l'électronisation de l'Administration c'est l'un des six volets du Programme-cadre aux côtés de la réforme de l'Administration centrale, de la réforme de la Fonction publique, de la déconcentration des services publique, de la décentralisation et de la modernisation du cadre physique des services publics. Dans l'axe 6 dudit programme, intitulé : « Mise en place d'un système d'e-gouvernance », nous pouvons lire : « Get axe programmatique vise à renforcer les capacités de l'Administration à exploiter les capacités des TIC ainsi que les pratiques modernes de gestion qui s'y rattachent. Il envisage de mettre en place un système de gestion de l'information appelé à rendre l'action publique plus visible, plus transparente, plus cohérente et un système de gestion des ressources matérielles, humaines et financières conduisant à plus d'efficacité et d'efficience ».119 118 Op. cit., page 6. 119 Op. cit., page 37. En revanche, est-ce un phénomène de mode comme pour dire qu'Haïti veut entrer dans la société de l'information? Où on est-on effectivement avec ce processus d'électronisation de l'Administration publique ? Quelles peuvent être les avantages internes et externes de l'utilisation des NTIC dans les services publics et la Fonction publique ? Selon le professeur Annie BARTOLI : « Deux voies de c-administration se développement de façon complémentaire : > L'usage interne des TIC au service de l'organisation et des méthodes de travail ; > L'usage externe des TIC qui traduit la mise en relation sous forme électronique de l'organisation publique et de ses publics »120. Tout en rappelant que l'accent est surtout mis dans la communication politique, voire les media sur la seconde voie, elle fait ressortir l'importance de la première voie : « La mise en place d'intranet, les échanges électroniques internes, l'usage de plus en plus fréquent de progiciels dans les activités des agents publics, et plus largement l'utilisation de diverses technologies de mise en relation, constituent une transformation profonde des modes de travail des organisations de ce secteur. Comme pour l'entreprise, cela suppose un pilotage du changement et une gestion des nouvelles compétences requises, dans le cadre d'une politique cohérente. Faute de quoi, l'organisation tombe dans un travers techniciste, avec l'illusion de l'outil miracle, alors que les problèmes organisationnels et stratégiques demeurent, voire empirent... ».121 En grosso modo, l'usage interne des TIC dans les Administrations vise à améliorer leur fonctionnement interne moyennant un pilotage programmé de cette transformation et des ressources humaines qualifiées disponibles. L'usage interne des TIC dans la Fonction publique en Haïti aura facilité, entre autres, les échanges entre les Fonctionnaires d'un même corps par le développement de forums en vue de partager des expériences, des difficultés et des enjeux dans le cadre de leurs travaux quotidiens au sein des services publics. Vu que les meilleurs cadres de la Fonction publique 120« Management dans les organisations publiques », op. cit., page 383. 121 Idem, page 384. 104 106 veulent rester à la capitale à cause d'une quasi-absence d'infrastructures dans les zones de provinces, en attendant de pallier ce problème, l'Etat haïtien gagnerait vraisemblablement gros à les garder à la capitale tout en s'assurant qu'ils peuvent téléconseiller ou partager en ligne leurs acquis de l'expérience professionnelle, via ces dispositifs, à des collègues moins qualifiés et expérimentés de certaines villes de provinces. Par suite, l'une des conséquences immédiate d'une telle démarche aura été l'amélioration de la productivité122 des agents de la Fonction publique en vue de la satisfaction des usagers des services publics. Par ailleurs, le professeur BARTOLI définit l'usage externe des TIC, la « seconde voie », comme : « la mise en relation de la puissance publique et de ses usagers par le biais des TIC (...). Il vise à rapprocher l'organisation publique du citoyen et à atténuer, voire à effacer, la barrière bureaucratique aveugle qui s'était traditionnellement mise en place entre eux ».123 Selon une recherche menée par D. M. West, « en utilisant les services en ligne, les citoyens ont une perception plus positive de la performance et de la qualité des services publics »124. Pour sa part, le professeur Henri OBERDORFF, réfléchissant sur les téléservices125 en France avance : « Le recours à l'Administration électronique, pour les relations entre administration et administrés, représente un progrès majeur, sans se substituer à l'Administration de proximité, par les avantages qu'elle procure aux administrés, comme par 122 En réalité, ici, le concept Productivité est utilisé dans le sens d'un indicateur de performance. Selon Valentin K. DOVONON : « La productivité est la production réalisée en un temps donné (heure, jour, semaine, mois, etc.) par un individu, un groupe d'individus ou une institution donnée (..). Toutefois, dans l'Administration publique, c'est l'esprit qui se cache derrière la productivité qu'il convient d'adopter : les données à mesurer ne se prêtent pas souvent à un comptage systématique, et l'appréciation risque d'être plutôt qualitative que quantitative. Le principe de la productivité, adopté dans son esprit, pourrait consister à ce que l'agent, appelé à exécuter une tâche, l'exécute avec diligence et minutie ». Cf : DOVONON, Valentin K. « Méthode de la nouvelle gestion publique : responsabilité, accessibilité, productivité, résultats et clients, etc. », CAFRAD, Tanger, 2001, pages 6 et 7. 123 A. BARTOLI. « Management dans les organisations publiques », op. cit., page 384. 124 WEST, Darrel M. « E-government and transformation of service delivery and citizen attitudes », University of Brown, Taubman Center for Public Policy an American Institutions, USA, 2001, cité par Annie BARTOLI in « Management dans les organisations publiques », op. cit., page 383. 125 Selon l'ordonnance no 2005-1516 du 08 décembre 2005 relative aux échanges électroniques entre les usagers et les autorités administratives et entre les autorités administratives, est qualifié de téléservice : « Tout système d'information permettant aux usagers de procéder par voie électronique à des démarches ou formalités administratives ». exempI e : l'ouverture permanente des téléservices, la dispense de déplacement physique vers I es administrations, I e gain de temps et I e gain financier ».126 L'usage externe des TIC dans les administrations publiques haïtiennes aura été susceptible d'apporter une transformation profonde dans la qualité de la relation entre les services publics et les usagers, moyennant que l'Etat haïtien s'engage et s'implique du même coüt à réduire sinon minimiser la fracture ou le fossé numérique entre les différentes couches de la population. Le problème de l'inaccessibilité des services administratifs, par exemple, aura été atténué. Combien de citoyens ayant déjà trouvé la mort sur les routes dangereuses de certaines contrées en laissant une ville de province pour entrer à Port-au-Prince, la capitale, en vue de retirer un document administratif qu'ils pourraient juste faire sortir eux-mêmes chez eux à partir du portail électronique du service concerné? L'usage de la téléprocédure peut aussi contribuer à rendre les Administrations plus transparentes et donc permettre aux citoyens de prendre confiance dans le secteur public. Le téléservice, la mise en ligne, entre autres, d'informations et de documents administratifs, des instruments juridiques, la réduction des délais d'attentes de traitement des dossiers, la réduction de la corruption, l'élimination des déplacements de guichet en guichet sont autant d'avantages que peut offrir une Administration électronique. Toutefois, l'Etat haïtien se devra aussi de réformer son corpus juridique afin d'encadrer juridiquement cette innovation dans la gestion publique. L'enjeu c'est que le document administratif obtenu en ligne doit avoir la même valeur juridique que s'il était retiré dans les locaux du service. Sinon, l'Administration électronique commencerait à perdre de son sens. Mise à part cette mise en garde relative à la nécessité d'aménager la législation haïtienne, l'Etat haïtien, peut-il effectivement entrer dans cette ère de modernité face aux défis de la pauvreté ? 126 OBERDORFF, Henri. « La démocratie à l'ère numérique », Presses Universitaires de Grenoble, 2010, page 83. B. La « e-administration » confrontée aux défis de la pauvreté : avantages et limites Selon un rapport publié par les Nations-Unies en 2005 sur le degré de préparation des pays à l'e-gouvernement, Haïti est placée en 166ème position sur 191 Etats. Ce rapport montre en réalité le degré de difficultés auquel l'Etat pourrait faire face s'il se déciderait à engager la modernisation de l'Administration par le levier des NTIC. Cependant, dans quelle mesure les indicateurs utilisés dans ledit rapport sont fiables ? N'est-il pas plus profitable et plus réalisable pour l'Etat haïtien d'entrer dans cette ère de modernité que de s'engager à instituer une Administration forte, déconcentrée, mais basée uniquement sur la papaserie administrative ? En effet, les auteurs du Programme-cadre de la réforme de l'Etat 2007-2012 rappellent pour leur part qu'entre 2005 et 2007 le pays a connu entretemps un boom dans le domaine de la téléphonie mobile et de l'Internet en général127 comme pour rappeler qu'une sourdine devrait maintenant être apportée à la teneur dudit rapport concernant Haïti eu égard aux progrès technologiques enregistrés. A vrai dire, il est évident qu'avec l'avènement des compagnies de téléphonie mobile comme la Haïtel, la ComCell et surtout la Digicel le monde de la téléphonie a connu une révolution en Haïti. Aujourd'hui, plus de trois Haïtiens, soit environ 1/3 de la population totale, possèdent un téléphone portable.128 Cependant, il est tout aussi exact que la majeure partie de ces téléphones ne fonctionnent pas la plupart du temps rien parce qu'ils ne peuvent pas être rechargés en raison de l'absence chronique d'électricité. En tout état de cause et minimalement, l'électronisation de l'Administration suppose l'utilisation dans les services publics d'ordinateurs de pointe et l'Internet. Or, cela suppose aussi de manière sous-jacente que le pays soit au moins électrifié. La fracture ou encore le fossé numérique entre les populations de villes et des campagnes, entre les riches et les pauvres peut contribuer à augmenter la fracture sociale, dans la mesure où une partie privilégiée de la population pouvant manier un ordinateur ou ayant accès à 127 Op. cit., page 37. 128 Le Nouvelliste, « Lancement du fonds incitatif de paiement par téléphone », publié le 16 juin 2010. La page est consultée le 30 aoüt 2011 et disponible à partir de l'URL : http://www.lenouvelliste.com/articles.print/1/80544 l'électricité et à l'Internet peut jouir des services en ligne, alors que le reste de la population est condamnée à rester en dehors de cette ère de modernité. N'est-ce pas contraire à l'esprit du principe d'égalité d'accès aux services publics ? Face à cette problématique de l'Administration électronique confrontée aux défis de la pauvreté en Haïti, nous proposons que l'Etat s'engage dans la logique du nivellement par le haut, c'est-à-dire d'entrer dans l'ère de modernité en dépit des enjeux et des faiblesses qu'il aura à pallier au fur et à mesure. Nous risquons aussi affirmer que l'Administration électronique, en dépit de la pauvreté chronique en Haïti, peut aider à changer l'image de l'Administration et à rendre son action plus efficace, car les Fonctionnaires seraient plus productifs. Un citoyen ne disposant pas encore d'un ordinateur branché ou ne pouvant pas s'en servir peut à la limite se rendre dans un cybercafé dans les parages afin de jouir de l'Administration électronique. Si cela a certes des enjeux, il peut aussi générer des externalités positives en termes de création de PME comme les cybercafés. En outre, l'Etat haïtien pourrait aussi envisager de placer sur certains points où il y a une forte pression démographiques des automates à partir desquels les citoyens ou entreprises peuvent tirer leurs documents administratifs, remplir des formulaires, prendre des rendez-vous, etc. 108 EN GUISE DE CONCLUSION Nous n'avons pas jugé utile de faire une conclusion générale dans le cadre de ce travail de recherche, vu que dans notre quatrième chapitre nous avons fait, en quelque sorte, la présentation de propositions d'orientations stratégiques, d'une philosophie, voire d'une pédagogie de la réforme, tout en essayant aussi de faire ressortir les enjeux et limites de nos propositions, par souci d'objectivité et dans l'esprit de laisser le débat ouvert. 110 Sources bibliographiques Manuels généraux et ouvrages de droit administratif
Actes de colloque et rapports
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Mémoires et thèses
Du corpus juridique haïtien + Décret du 17 mai 2005 portant organisation de l'Administration centrale de l'Etat, Journal Officiel "Le Moniteur" Spécial No. 8 du Mardi 27 Septembre 2005.129 + Décret du 17 mai 2005 portant révision du Statut général de la Fonction publique (Le Moniteur 2005 - Spécial # 7). + Décret du 23 novembre 2005 établissant l'organisation et le fonctionnement de la Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux Administratif désigné sous le sigle CSC/CA (Le Moniteur 2006 - # 24). 129 Reproduction pour erreurs matérielles. (Voir le Moniteur Spécial No. 6 du mercredi 6 juillet 2005).
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Sites internet *Site de Documentation numérique du Ministere de l'Economie et des Finances : http://www.sdn.mefhaiti.gouv.ht/index.php *Gouvernement de la République d'Haïti -- Plateforme pour la refondation d'Haïti http://www.refondation.ht/ *Conférence internationales des donateurs pour un nouvel avenir en Haïti http://www.haiticonference.org/french/ *Université numérique juridique francophone (UNJF) : http://www.unjf.fr/ *Révision générale des politiques publiques (RGPP) : http://www.rgpp.modernisation.gouv.fr/ *Direction générale de la modernisation de l'Etat (DGME) : http://www.modernisation.gouv.fr/index.php *OEA/Haïti : http://www.oas.org/fr/etats_membres/haiti/ *Mission des Nation-Unies pour la stabilisation en Haïti : http://www.haitispecialenvoy.org/ *Bureau de l'envoyé spécial des Nations-Unies en Haïti http://www.haitispecialenvoy.org/ *Ministère de la Planification et de la Coopération externe : http://www.mpce.gouv.ht/ 116 * Unité de Lutte Contre la Corruption (ULCC) : http://ulcc.gouv.ht/ * Institut haïtien de Statistique et d'Informatique (IHSI) : http://www.ihsi.ht/ * Le Parlement haïtien : http://www.parlementhaitien.ht/ * La Commission intérimaire pour la Reconstruction d'Haïti : http://www.cirh.ht/sites/ihrc/fr/pages/default.aspx * Ministère de l'économie et des finances : http://www.mefhaiti.gouv.ht/ *PNUD - Haïti : http://www.ht.undp.org/ * Bureau du Représentant résident du FMI en Haïti : https://www.imf.org/external/country/HTI/rr/fra/index.htm * La BID en Haïti : http://www.iadb.org/fr/pays/haiti/haiti-et-la-bid,1008.html * Banque mondiale -- Haïti - Projets : http://web.worldbank.org/WBSITE/EXTERNAL/ACCUEILEXTN/PAYSEXTN/LACINFRE NCHEXT/HAITIINFRENCHEXTN/0,,contentMDK:20225663'pagePK:1497618'piPK:217 854'theSitePK:461315,00.html * USAID/ Haïti : http://www.usaid.gov/ht/ * Délégation de l'Union européenne en Haiti: http://ec.europa.eu/delegations/haiti/index_fr.htm *Le site officiel de Gérard Latortue. Il fut le Premier Ministre du Gouvernement de transition 2004-2006 : http://www.gerardlatortue.org/ 118 Table des matières INTRODUCTION GENERALE 1
PREMIERE PARTIE 14 L'Administration publique haïtienne : état des lieux non satisfaisant et processus de réforme en vue de sa performance 14 Chapitre premier 15 Le constat de la crise d'efficience de l'Administration publique haïtienne . 15 Section I 16 L'Administration publique haïtienne entre le poids de la tradition et les attentes des citoyens et des acteurs internationaux 16 § 1.- Les « vieux démons a de l'Administration publique haïtienne . 17
§ 2. - Le contexte de l'adoption de la Constitution de 1987 et la dépendance financi~re d'Haïti 23
Section II 28 Des insuffisances de la Fonction publique et des fonctionnaires 28 § 1.- Le problème de la carence de qualification des fonctionnaires et de la « faiblesse » de l'attractivité de la Fonction publique . 29 A. La complexité du problème du « faible » niveau de qualification des fonctionnaires 30 B. Le problème de la « faiblesse ~a de l'attractivité de la Fonction publique et la fuite des cadres 32 § 2. La conception de « Fonctionnaire-poids » entretenue par le secteur public et la quasi-absence du management par objectifs 34 Chapitre 2 37 La modernisation de la Fonction publique comme levier de performance de l'Administration publique 37 Section I 37 Des tentatives de réforme de la Fonction publique : Vers un nouveau modèle de management public 9 37 § 1. Le cadre légal et institutionnel de la réforme : Entre tâtonnements et mutations 37 §2. Le processus de réforme de la Fonction publique noyé dans le processus de la réforme globale du secteur public 9 43 Section II 47 Le bilan mitigé des différentes tentatives de réforme de la Fonction publique 47
§ 2.- Des effets du séisme du 12 janvier 2010 sur le processus de la réforme de la Fonction publique 53
DEUXIEME PARTIE 59 L'Etat haïtien face à l'obligation et aux contraintes de l'optimisation effective de la Fonction publique : quelle issue 9 59 L'Etat haïtien face aux enjeux et défis de la modernisation effective de la Fonction publique 60 SECTION I 60 Le non-dépassement du préalable « quelle Fonction publique pour quel mod~le d'Etat 9 » 60 § 1. Le poids des acteurs internationaux dans les tentatives de reconceptualisation de l'Etat en Haïti . 61
modernisation de la Fonction publique ? . 64 § 2. La faible participation des acteurs de différents secteurs de la vie nationale dans la conception des programmes et les aléas de l'alternance politique 66 SECTION II .. 69 Les obstacles de l'instabilité politique et la faiblesse du systeme judiciaire haïtien face au phénomène de la corruption . 69
modernisation et un phénomene entretenu par la culture de l'impunité 76 Chapitre 4 80 La modernisation effective de la Fonction publique comme un levier de performance de l'Administration : un défi relevable.. 80 SECTION I . 80 Un investissement coordonné et soutenu des différents acteurs dans l'attractivité de la Fonction publique . 80 § 1. Une Fonction publique attractive : un préalable nécessaire à la performance . 81
direction des cadres Haïtiens de la diaspora 85 § 2. La m odernisation de la Fonction publique : vers un projet de société . 87
SECTION II .. 94 120 Une modernisation de la Fonction publique orientée vers la satisfaction ultime de l'usager ou client des services publics . 94 § 1. Une Fonction publique renforcée et efficiente : un facteur de relégitimation de l'Etat auprès des citoyens . 95
§ 2. La « e-administration » : un levier majeur de la performance des Fonctionnaires dans la prestation des services . 101
EN GUISE DE CONCLUSION 108 Sources bibliographiques . 109 |
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