CHAPITRE 3
L'Etat haïtien face aux enjeux et défis de la
modernisation effective de la Fonction publique
Dans le cadre de ce chapitre de notre travail de recherche
académique, nous essayons de présenter le couple de la
complexité des enjeux et défis d'une optimisation effective de la
Fonction publique en Haïti. Primo, nous présentons la
problématique de la philosophie « quelle Fonction publique pour
quel modèle d'Etat ? » comme un préalable difficile à
dépasser (section I). Secundo, nous présentons les
contrecoups de la dynamique de l'instabilité politique et des
défaillances chroniques de la Justice haïtienne comme obstacles
parallèles à la réforme de la Fonction publique (section
II).
SECTION I
Le non-dépassement du préalable «
quelle Fonction publique pour quel mod~le d'Etat ? »
Dans le cadre de cette section de notre travail de recherche,
nous faisons ressortir l'omniprésence des acteurs internationaux de la
réforme dans les tentatives de reconceptualisation de l'Etat en
Haïti (§ 1), tout en instant sur la problématique de la
quasi-absence d'appropriation des projets de réforme par la
société haïtienne au prisme d'une interface des aléas
politiques (§2).
§ 1. Le poids des acteurs internationaux dans les
tentatives de reconceptualisation de l'Etat en
Haïti
Dans le cadre de ce paragraphe, nous essayons, d'abord, de
démontrer que les suggestions de réforme de la Fonction publique
faites par les acteurs internationaux de la réforme,
particulièrement les institutions financières internationales,
participent d'une certaine démarche de reconceptualisation de l'Etat
avec un soubassement théorique d'orientation néolibérale
et sur le fondement de la préconisation d'un certain modèle de
gouvernance pour arriver à la finalité économique (A).
Ensuite, dans une perspective dialectique, nous faisons des questionnements sur
l'existence d'une éventuelle uniformité ou dichotomie entre la
conception des acteurs internationaux et celle des citoyens Haïtiens de la
modernisation de la Fonction publique (B).
A. La primauté de l'argument économique
et l'apologie d'un mod~le de gouvernance
Selon Bonnie CAMBELL, professeure d'économie politique
à la Faculté de Science politique et de Droit de
l'Université du Québec à Montréal, «
quinze années d'ajustement structurel ont amené les organismes de
financement internationaux et notamment la Banque Mondiale à intervenir
de plus en plus profondément dans le tissu social et économique
des sociétés où ils étaient présents. La
réforme des institutions est considérée comme une
précondition pour garantir le succès des réformes
économiques ».68
La professeure tire son argument dans un rapport conduit par
des experts de la Banque Mondiale sur l'Afrique au sud du Sahara. Ledit rapport
examine 29 pays engagés sur la voie de l'ajustement structurel depuis le
milieu des années 1980. En fait, elle a cité ce passage du
68 B. CAMBELL. « Débats actuels sur
la reconceptualisation de l'Etat par les organismes de financement
multilatéraux et l'USAID », article publié dans la
revue Politique africaine - Besoin d'Etat, no 61,
mars 1996, page 9.
62
rapport : « Le succès de ces réformes
(d'ajustement) suppose une transformation radicale du rôle de l'Etat
».69
De plus, elle rappelle plus loin qu' « il est
suggéré de plus en plus que le redressement de la situation en
Afrique implique une redéfinition des relations entre bailleurs de fonds
et gouvernements. Plus spécifiquement, l'assistance technique devra
être réorientée et mieux gérée afin de donner
la priorité au renforcement institutionnel, capacity building.
En d'autres termes, le véhicule qui contribuera aux
réformes institutionnelles devra été
amélioré afin de garantir le succès des réformes
économiques ».70
En réalité, la situation d'Haïti dans ses
rapports avec les organismes internationaux de financement est loin
d'être différente de celle des pays d'Afrique. L'argument du
développement économique reste la finalité de leur action
visant la reconceptualisation de l'Etat en Haïti. Ils sont convaincus que
le succès des réformes économique ne peut être
garanti sans la mise en place d'un certain modèle de direction et
gestion publiques. Donc ils promeuvent des réformes institutionnelles
mettant en avant la bonne gouvernance ou en encore la
gouvernance démocratique comme préalable au
développement économique.
En revanche, selon les professeurs Expert ICONZI,
Gisèle BELEM et Corinne GENDRON, présentant la bonne gouvernance
en tant que fin et moyen du développement : «... la bonne
gouvernance ne saurait être ni un préalable ni une
conséquence absolue du développement. Inscrite dans une
réinterprétation du développement, elle en constitue
à la fois une fin et un moyen (...). En faire une conditionnalité
de l'aide au développement des pays les moins avancés, autant que
la renier à leurs peuples en en faisant une conséquence absolue,
constituent toutes deux des aberrations qui nuisent au développement
humain durable. »71
Pour ce qui nous intéresse plus spécifiquement
dans le cadre de notre objet d'étude, le phénomène de la
mondialisation et surtout la dépendance financière d'Haïti
vis-à-vis desdits organismes internationaux l'empêchent
d'être maitre de la conception et de l'orientation de
69 Banque Mondiale, « L'ajustement en Afrique
: réformes, résultats et le chemin à parcourir »,
1994, p. 257- 258, cité par B. CAMBELL, ibid., page 9.
70 Ibid , page 10.
71 « Conditionnalité gouvernance
démocratique et développement, (dilemme de l'oeuf et de la poule)
ou problème de définition ? », Op. cit., page 44.
son modèle d'Etat. Or le modèle de management de
la Fonction publique et la philosophie de sa modernisation participent d'une
certaine conception de l'Etat. Comment l'Etat haïtien peutil donc arriver
à dépasser le préalable « quelle Fonction publique
pour quel modèle d'Etat ? » dans le cadre de son projet de
modernisation de la Fonction publique ? Se met-il à l'écoute de
ses citoyens via la philosophie de l'Etat dégagée dans la
Constitution du 29 mars 1987 adoptée dans le contexte de la chute du
régime des DUVALIER, ou encore, est-il tiré par le haut par ses
partenaires financiers internationaux se trouvant obligé d'adopter une
philosophie de modernisation dont il n'est pas le maitre ? Y a-t-il
effectivement une dichotomie entre la conception de modernisation de la
Fonction publique portée par desdits partenaires internationaux et cette
philosophie de l'Etat consacrée dans la Constitution de 1987 dont la
population haïtienne est le constituant originaire ? Que reste-t-il du
principe de l'autodétermination face au phénomène de la
mondialisation financière et celui de la dépendance
économique d'Haïti ?
En effet, selon le lexique de science politique,
l'autodétermination c'est un « principe suivant lequel un peuple
doit avoir le droit de déterminer sa propre forme de gouvernement,
indépendamment de toute puissance étrangère...
»72.
Pour sa part, le lexique des termes juridiques
définit l'autodétermination comme « le fait pour un
peuple de choisir librement (par referendum) s'il entend ou non être
souverain et constituer un Etat, déterminer son système politique
et économique ».73
Tenant compte de ce qui précède, tous les
peuples de tous les Etats du monde peuvent en quelque sorte prétendre,
sans aucune influence étrangère, pouvoir eux-mêmes
définir leur propre système économique et leurs propres
méthodes de gouvernement. C'est aussi une conséquence du principe
de l'égalité souveraine des Etats qui constitue l'un des
fondements de l'organisation des Nations-Unies74. Ainsi, si tous les
Etats sont-ils égaux en souveraineté, comment certains d'entre
eux pourraient-ils prétendre devoir déterminer ou réguler
le système politique ou économique d'autres Etats à leur
place ?
72 NAY, Olivier (sous la direction de). Lexique de
science politique - Vie et institutions politiques, Dalloz, Paris, 2008,
page 26.
73 GUINCHARD, Serge ; DEBARD, Thierry (sous la
direction). Lexique des termes juridiques, Dalloz, Paris,
18ème édition, 2011, page 82.
74 L'article 2, Paragraphe 1 de la Charte de
Nations-Unies énonce : « L'organisaion est fondée sur le
principe de l'égalité de tous ses Etats membres ».
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B. Les citoyens Haïtiens et les acteurs
internationaux, ont-ils la même représentation de la modernisation
de la Fonction publique ?
Voilà une question que l'on ne se pose pas souvent,
mais qui est loin d'être anodine tant elle est plein d'enjeux multiples.
Il n'est certes pas évident de cerner la représentation de
l'ensemble des citoyens Haïtiens de la modernisation de la Fonction
publique, vu le poids des obstacles épistémologiques et/ou
épistémophiliques possibles. Il n'en est pas autrement pour les
acteurs internationaux impliqués dans le processus de cette
modernisation, vu leur nombre assez important, le problème de la
coordination de leur action et leurs motivations qui sont susceptibles
d'être différentes. Cette
hétérogénéité des citoyens Haïtiens et
des acteurs internationaux ne suggère pas d'emblée que nous
collions une représentation exacte et uniforme ou unifiée de la
modernisation de la Fonction publique aux Haïtiens ou aux acteurs
internationaux de la réforme.
En revanche, comme il a été rappelé
d'ailleurs dans le cadre de ce travail, l'implication desdits acteurs
internationaux dans le processus de la modernisation de la Fonction publique
participe à la fois d'une certaine conception de l'Etat, de sa place
dans la gestion et la prestation des services publics ; de la rénovation
du management de la Fonction publique à l'aide de réformes
d'inspiration managériale, etc. De plus, l'essence de leurs
préoccupations et motivations à inciter, voire exiger, ladite
modernisation est souvent d'obédience économique. Ils finissent
par se dire que les réformes économiques en vue, entre autres, du
développement et de la soutenabilité de la croissance ne peuvent
pas se détacher de réformes politiques et institutionnelles
s'inscrivant bien sür dans le cadre de certains référentiels
clés s'ils veulent gagner en efficacité. Donc, in fine,
l'enjeu, pour eux, est beaucoup plus d'ordre économique que
politique75.
Ainsi, l'ordonnance extérieure est-elle de moderniser
la Fonction publique, parce que prioritairement les finances publiques sont en
période de vaches maigres; le monde est dans un contexte de crise
financière ; il faut bien gérer l'aide internationale, etc.
Donc, tout en essayant de maintenir un discours sur la qualité des
services publics offerts aux usagers
75 En réalité, cette approche parait
plus pertinente dans le cas des institutions de Bretton Woods, en l'occurrence
la Banque Mondiale (BM) et le Fonds Monétaire International (FMI), et
les organismes de financement multilatéraux en général que
dans le cas de la coopération bilatérale.
comme pour suggérer à l'opinion publique
nationale leur préoccupation à ce que ces derniers jouissent des
services publics de qualité, l'enjeu fondamental reste le critère
du coût des services publics et non celui de la
qualité.
Il s'ensuit que quand les acteurs internationaux, dits
partenaires d'Haïti, particulièrement les institutions
internationales de financement impliqués dans la réforme du
secteur public haïtien parlent de modernisation de la Fonction publique,
on assiste généralement et prioritairement à la mise en
oeuvre de politiques de réduction massive du nombre des Fonctionnaires
de l'Etat sous le prétexte de la masse salariale de la Fonction publique
occupant un pourcentage trop important des dépenses publiques.
D'où, l'Etat se voit incité, par lesdits acteurs
internationaux, d'engager des réformes dites de modernisation de la
Fonction publique, généralement comme conditionnalité de
l'aide internationale, qui ne sont pas sans incidences sociales,
particulièrement une remontée du chômage, sur la population
haïtienne.
En revanche, le rapport des citoyens, de leur
côté, avec l'Etat s'inscrit plutôt dans une autre dynamique.
En effet, l'une des raisons d'être de l'Etat c'est de favoriser
continuellement le mieux-être de ses citoyens. Ainsi, ces derniers sont
en droit d'exiger de l'Etat des services publics de qualité, accessibles
et de proximité. C'est d'ailleurs l'une des revendications des masses
populaires haïtiennes au lendemain de la chute du régime des
DUVALIER. Depuis, le peuple haïtien, via notamment les émissions de
libre tribune d'ailleurs tres nombreuses en Haïti, ne cesse de
réclamer à qui veut l'entendre la modernisation des institutions
publiques et de la Fonction publique.
Par voie de conséquence, nous pouvons en déduire
que les citoyens Haïtiens, faisant référence à la
modernisation de la Fonction publique, se préoccupent de la
qualité des services publics offerts par l'Etat. Ils exigent de l'Etat
des services publics de qualité et il revient à ce dernier de
satisfaire cette exigence de ses citoyens.
Ainsi, ne pouvons-nous pas nous demander si les citoyens
Haïtiens et les acteurs internationaux exigeant la modernisation de la
Fonction publique, mettent la même chose derrière le terme de
modernisation de la Fonction publique ? Le critère de la qualité
retenu par les citoyens Haïtiens et le critère du coût retenu
par les institutions internationales de
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financement, participent-ils d'une conception
intégrée de la modernisation de la Fonction publique ?
En définitive, l'enjeu majeur pour l'Etat haïtien
auprès de ses citoyens dans le cadre dans le cadre de la modernisation
de la Fonction publique c'est de pouvoir offrir des services publics de
qualité, accessibles et de proximité. Les citoyens Haïtiens
n'ont pas à se préoccuper du coüt de la satisfaction d'une
telle exigence. Or, l'enjeu majeur pour l'Etat haïtien auprès des
acteurs internationaux, particulièrement les institutions
internationales de financement, c'est de pouvoir rationnaliser les
dépenses publiques et veiller, en l'espèce, au coüt de la
Fonction publique, particulièrement la masse salariale. D'où une
certaine propension de la part desdites institutions à ordonner à
l'Etat haïtien une Fonction publique chétive. Comment l'Etat
haïtien peut-il alors satisfaire à la fois ses citoyens et les
institutions internationales de financement ? Vu les faibles moyens financiers
dont dispose Haïti, peut-elle se passer desdites institutions
internationales et se préoccuper à satisfaire uniquement ses
citoyens ? L'Etat haïtien, peut-il réussir le saut qualitatif du
meilleur rapport qualité/prix comme pour satisfaire à la fois ses
citoyens qui pèsent sur la qualité et ses partenaires
internationaux qui pèsent plutôt sur le coût, mais tout en
tenant un discours sur la qualité ?
§ 2. La faible participation des acteurs de
différents secteurs de la vie nationale dans la conception des
programmes et les aléas de l'alternance politique
Un projet de modernisation de la Fonction publique de l'Etat
en Haïti est en principe avant tout une question d'ordre national. Si les
autorités publiques haïtiennes se disent en train de moderniser la
Fonction publique, pour qui le feraient-elles sinon au nom et pour le compte du
peuple haïtien de qui elles tirent leur légitimité?
Si la Fonction publique se modernise c'est pour mieux
répondre aux exigences de la modernité et pour pouvoir faire face
aux nouveaux besoins et exigences des citoyens liés à
l'évolution de la société. Comment alors prétendre
faire ladite modernisation pour les besoins de la société, mais
sans les différents secteurs de cette dernière ?
La majorité politique au pouvoir garde en principe le
leadership du processus de modernisation. Toutefois, elle ne saurait nier, dans
son modèle de prise de décision politique, la multiplicité
des acteurs représentatifs de différents secteurs de la vie
nationale. Un projet de modernisation de la Fonction publique conçu sur
la base d'un processus participatif aura permis de contourner les aléas
de l'alternance politique qui pourraient mettre à mal le processus
engagé.
Pourtant, force est de constater, dans la pratique, une faible
participation des acteurs nationaux autres que le pouvoir en place dans la
conception des programmes de modernisation. Les partis politiques, le secteur
privé des affaires, la paysannerie, l'Université, la presse,
l'Eglise, les associations et organisations de la société civile,
entre autres, n'ont quasiment pas voix au chapitre dans la conception et
l'élaboration de tels programmes.
D'aucuns pourraient toujours avancer qu'il n'est pas
évident de demander à un gouvernement de consulter tous les
secteurs ayant une certaine représentativité au niveau de la
société sur la question de la modernisation de la Fonction
publique. A ceux-là nous répondons que la majorité
politique en place, en dépit de sa légitimité
électorale et du fait que l'on soit dans un régime
représentatif, ne peut pas prétendre connaitre et définir
à elle seule les intérêts multiples de toute la
communauté politique. Elle est certes le garant de
l'intérêt général, tant elle est au pouvoir, mais
cela n'en fait pas de lui le seul juge.
D'ailleurs, il existe une crise du débat public en
Haïti. La culture de l'obligation pour le pouvoir politique d'expliquer
ses actions, de rendre compte à ses mandants n'est pas encore bien
assise dans le pays. Ce déficit de communication de l'action des
pouvoirs publics ne favorise pas les conditions d'un débat public ouvert
sur les grands themes de la vie nationale. Il n'est même pas rare de
constater, en Haïti, un Président de la République ou un
Chef du Gouvernement se déplacer officiellement en direction de
l'étranger sans rendre compte de l'objet de son voyage à la
population. La plupart des fois, ce sont les media étrangers qui
informent indirectement les média haïtiens de l'objet du voyage,
comme étant donné qu'il est difficile pour l'un ou l'autre de
rentrer officiellement dans un pays étranger sans que la presse dudit
pays ne soit au courant de l'objet de la visite.
Puisque les programmes de modernisation de la Fonction
publique mis en oeuvre accusent un déficit de participation dans leur
conception et élaboration, cela risque de laisser la
68
perception qu'il s'agit de la politique d'une simple
majorité au pouvoir et qui ne trouve pas son écho dans la
société, car décidés par le pouvoir en place et les
acteurs internationaux sans la consultation des secteurs vitaux de la Nation.
Or, depuis la chute du régime des DUVALIER, la population haïtienne
réclame une Fonction publique moderne, saine et efficace.
C'est d'ailleurs pour nous l'occasion de rappeler que les
différents gouvernements qui se sont succédé à la
tête de l'Etat n'ont pas su prouver qu'ils ont le sens de la
continuité de l'Etat, « principe selon lequel un gouvernement
ne peut répudier les obligations souscrites par son
prédécesseur ».76
De plus, en dehors du fait que les représentants de la
classe politique haïtienne n'ont pas tous nécessairement la culture
de parti, Haïti reste et demeure un pays de multipartisme,
c'està-dire un « système oil plusieurs partis politiques
se disputent le pouvoir, ce qui oblige généralement à
former des gouvernements de coalition plus ou moins stables
».77
Donc, le modèle haïtien dans ce domaine est loin
d'être proche du bipartisme partisan britannique ou du bipartisme
américain. Il n'est même pas voisin du multipartisme
français en ce sens que le pouvoir politique en France,
généralement, est tantôt exercé par la gauche,
représentée par le Parti Socialiste (PS) et tantôt par la
droite, représentée par l'Union pour un Mouvement Populaire
(UMP). Or, en Haïti, les partis politiques sont très nombreux, mais
non structurés. La majeure partie d'entre eux ne sont même pas
connus du grand public. La plupart d'entre eux n'existent que de nom. Ils sont
comme des groupuscules sans influence véritable sur l'échiquier
politique.
L'actualité politique récente d'Haïti vient
d'ailleurs corroborer ce propos en ce sens que l'actuel Président de la
République d'Haïti, Michel Joseph Martelly, est directement issu du
monde de la musique et aujourd'hui parachuté à la magistrature
suprême de l'Etat.
Par voie de conséquence, à un moment
donné de la vie nationale, n'importe quelle personnalité sans
lien avec les partis politiques peut arriver au plus haut sommet de l'Etat et
tenir les rênes du pouvoir. Si Haïti était dans une situation
de bipartisme, voire de
76 Lexique des termes juridiques, op. cit.,
page 209.
77 Ibid., page 534.
multipartisme, mais avec deux ou trois grands partis ou
courants idéologiques, l'enjeu de la non appropriation des programmes de
modernisation de la Fonction publique serait moins grand par rapport aux
aléas de l'alternance politique, car les principaux acteurs qui
potentiellement seraient mieux placés pour interrompre le processus de
modernisation ou le faire changer d'orientation idéologique suite
à la prise du pouvoir seraient mieux identifiables. Or, comme il a
été maintes fois démontré, c'est loin d'être
le cas.
Ainsi, est-ce le cas de dire que, dans ces conditions, si la
société dans son ensemble ne s'approprie pas les programmes de
modernisation de la Fonction publique dans leur philosophie et leur
finalité en participant librement et pleinement à la
définition de la question « quelle Fonction publique pour quel
modèle d'Etat ? », il y a fort à parier que la
réalisation effective du projet de modernisation de la Fonction
publique, tant attendue par le peuple haïtien en vue de sa satisfaction de
la qualité des services publics offerts, soit un véritable
défi pour l'Etat haïtien eu égard aux aléas de
l'alternance politique.
Par ailleurs, comment vouloir réformer la Fonction
publique sans les Fonctionnaires, sachant que ces derniers peuvent
potentiellement phagocyter les tentatives de modernisation s'ils ne
s'approprient pas le projet.
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