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Une administration publique performante: un défi pour l'état haà¯tien à  la croisée d'une exigence des citoyens et d'une incitation des acteurs internationaux ? Le cas de la modernisation de la fonction publique

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par Destin JEAN
Université Pierre Mendès-France - Master 2 en Droit public 2011
  

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Section II

Le bilan mitigé des différentes tentatives de réforme de la Fonction publique

Primo, dans le cadre de cette section de notre travail de recherche académique, nous essayons d'analyser et de caractériser les « avancées » et les « échecs » des tentatives de réformes engagées au niveau de la Fonction publique dans une perspective dialectique (§ 1). Secundo, nous analysons les retombées du séisme du 12 janvier 2010 sur le processus de la réforme engagée (§ 2).

§ 1.- Des efforts de structuration et de professionnalisation contrebalancés par la déperdition technique

Dans le cadre de ce paragraphe de notre mémoire de Master, nous essayons d'analyser le problème de cohérence existant dans la philosophie des politiques publiques adoptées dans le cadre de la réforme de la Fonction publique.

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A. La tentative de dépolitisation de l'accqs à la Fonction publique et l'effort de mise à niveau des Fonctionnaires

D'emblée, la Constitution haïtienne du 29 mars 1987 actuellement en vigueur en Haïti, dispose, en son article 236-1 : « La loi réglemente la Fonction publique sur la base de l'aptitude, du mérite et de la discipline. Elle garantit la sécurité de l'emploi. ». En plus, il est précisé à l'article 236-2 : « La Fonction publique est une carrière. Aucun Fonctionnaire ne peut être engagé que par voie de concours ou autres conditions prescrites par la Constitution et par la loi, ni être révoqué que pour des causes spécifiquement déterminées par la loi. Cette révocation doit être prononcée dans tous les cas par le contentieux administratif ».

Pour sa part, le décret du 17 mai 2005 portant révision du Statut général de la Fonction publique en Haïti dispose en son article 47 : « L'accès à la Fonction publique se base essentiellement sur le mérite sans aucune discrimination de couleur, de race, de sexe, ni d'opinions politiques et religieuse ». Plus loin, à l'article 50, ledit décret dispose : « Le recrutement vise la sélection sur concours des candidats à la Fonction publique apte à exercer certaines fonctions ».

Tenant compte de ce qui précède, nous pouvons donc affirmer que sur le plan strictement juridique, le phénomène de politisation de l'accès à la Fonction publique ne jouit d'aucune reconnaissance ou consécration. En revanche, il se révèle encore difficile d'annihiler cette pratique dans la culture politico-administrative en Haïti. D'où des disparités entre la norme juridique et la réalité quotidiennement observée ; ce qui constitue donc un problème auquel il a fallu s'attaquer dans la perspective de la modernisation de la Fonction publique.

Ainsi, parmi les mérites des différentes initiatives adoptées dans le cadre du processus de réforme de la Fonction publique en Haïti figurent la tentative de dépolitisation de l'accès à la Fonction publique et un effort mise à niveau des Fonctionnaires notamment par la formation, le recyclage et le perfectionnement des cadres. Loin de nous l'idée de penser qu'il s'agit d'un acquis vu les maigres réalisations et la persistance du phénomène chronique de copinage dans ce domaine. Toutefois, même quand cela est resté au stade de tentative, nous pouvons quand même affirmer que cette généralisation de l'apologie de dépolitisation de la Fonction publique

ou tout au moins de l'accès à la Fonction publique réduit, dans une certaine mesure, les velléités de sa politisation.

En ce qui a trait à la formation, au perfectionnement et au recyclage des agents publics permanents de l'Etat, des efforts ont été consentis en termes de création d'écoles d'Administration comme, par exemple, l'Ecole nationale d'Administration et de Politiques publiques (ENAPP) créée par le décret du 17 mai 2005 portant révision du statut général de la Fonction publique. Cette dernière est placée sous la tutelle du Conseil supérieur de l'Administration et de la Fonction publique et sa mission est de préparer les hauts cadres de la Fonction publique. Elle est chargée de la formation initiale et continue des Fonctionnaires et autres agents publics en plus de produire de la recherche appliquée sur le système politicoadministratif haïtien et de la fonction de conseil auprès des différents services de l'Administration publique.

En outre, dans le cadre de la coopération bilatérale, le Canada notamment, par le biais de l'Ecole nationale d'Administration publique (ENAP), participe activement dans cet effort de formation des Fonctionnaires Haïtiens.

Au niveau du « Programme-cadre de réforme de l'Etat 2007-2012 Modernisation administrative et Décentralisation » il a été rappelé à la page 16 que « le profil de la Fonction publique est encore loin de répondre aux objectifs d'une Administration moderne et efficace. Il y a lieu de noter d'abord la tendance au sureffectif des ressources humaines faiblement qualifiées dans la catégorie de personnel dit d'appui (techniciens et assimilés, personnel de soutien, tandis que le personnel professionnel est insuffisamment représenté (...) De même on note que le niveau moyen de qualification tend aussi à baisser (...) par exemple il n'est pas rare de constater que des membres du personnel d'encadrement (directeur général, directeur, chef de service) soient ignorants des différents concepts et approches de management utilisés de par le monde quel que soit le nombre d'années d'expérience. »

Plus loin, il a été aussi rappelé que « le recrutement des Fonctionnaires, par exemple, se fait pour l'essentiel sur recommandation et non sur la base de concours »58. En revanche,

58 idem, page 18.

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l'OMRH59, le nouveau cadre institutionnel de gestion des ressources humaines, est chargé, en grosso modo, du recrutement des agents de la Fonction publique sur la base de concours et en fonction des besoins exprimés par les différents services de l'Administration, de s'assurer de l'égalité des chances dans la Fonction publique, de rationnaliser et d'harmoniser le recours aux agents contractuels, en vertu du principe sacramentel d'égal accès des citoyens à la Fonction publique de leur pays, il s'assurera que les personnes à mobilité réduite (handicapées) puissent accéder eux aussi à la Fonction publique, etc.

En outre, dans le cadre de la valorisation des ressources humaines par la formation et le perfectionnement, l'OMRH se voit aussi attribué la mission d'élaborer des plans annuels de formation et de perfectionnement des cadres.

Par ailleurs, dans la perspective de modernisation de la gestion des ressources humaines, un fichier central des Fonctionnaires a été établi c'est « le fichier central intégré de gestion des ressources humaines de la Fonction publique ». Ce projet a pu se réaliser grâce au financement du trésor public et de la Banque Mondiale et a été lancé officiellement le jeudi 09 avril 2009 par Madame le Premier Ministre, Michèle Duvivier PIERRE-LOUIS en présence des personnalités du Gouvernement, des partenaires de la coopération internationale, acteurs du secteur privé des affaires et de la société civile, des acteurs du secteur parapublic et des cadres de la Fonction publique.

En effet, selon une dépêche du Réseau alternatif haïtien d'information (Alter Presse), le chef du Gouvernement d'alors « a inscrit la mise en service du fichier central des Fonctionnaires dans le cadre de l'engagement de l'Exécutif de mettre la réforme de l'Etat au premier rang de l'agenda gouvernemental et en faire un champ d'intervention prioritaire (...) ladite réforme inclut le renforcement et la professionnalisation de la Fonction publique60 ».

59 « Cet office est de toute évidence une initiative visant à confier au Premier Ministre la gestion de la Fonction publique jadis dévolue au Ministère de l'Administration et de la Fonction publique ». Information tirée à la page 28 du Programme-cadre de réforme de l'Etat 2007-2012 Modernisation administrative et Décentralisation.

60 Cf. : Site web officiel de Alter Presse, publiée en date du 10 avril 2009 et disponible à partir de l'URL suivant : http://www.alterpresse.org/spip.php?article8244

La page est consultée le 11 août 2011.

Pour sa part, le Coordonnateur général de l'OMRH, en l'occurrence Francis GRATIA, avance : « L'élaboration du fichier central constitue un pas important vers la modernisation de la Fonction publique. Cela favorisera une meilleure gestion du personnel en vue d'améliorer les services offerts par l'Etat haïtien à la population (...) Le fichier central permettra aux décideurs d'avoir des informations exactes sur la répartition sectorielles des effectifs, de maîtriser en permanence la taille de la Fonction publique, sa structure, son coût et d'élaborer des politiques de gestion des ressources humaines... »61.

Il y a donc un effort quasi-constant de dépolitisation, donc de professionnalisation de l'accès à la Fonction publique et un effort de mise à niveau des Fonctionnaires et autres agents publics de l'Etat62. Néanmoins, l'Administration publique fait aussi face à une crise de déperdition technique, liée à la fuite des cerveaux vers le secteur privé ou l'étranger, mais aussi aux programmes d'encouragement de départ anticipé à la retraite dans le cadre de la mise en oeuvre des plans d'ajustements structurels (PAS) notamment.

B. Le phénomène du « désossement » de la Fonction publique

Dans le cadre de la mise en branle des programmes d'ajustements structurels en Haïti, à partir de la décennie 80, consistant en des accords passés avec le Fonds monétaire international (FMI) visant notamment l'assainissement des finances publiques et le retour à l'équilibre de la balance des paiements ou plus globalement le rétablissement de la stabilité du cadre macro-économique afin d'éviter des cessations de paiements dans le contexte global de la crise financière, une attention particulière a été aussi accordée à la réforme de la Fonction publique consistant essentiellement à la réduction à grande échelle des agents publics au nom de la prétendue performance du secteur public.

61 Cf : Le quotidien haïtien Le Nouvelliste, dans un article publié le 22 avril 2009, intitulé : « Un fichier central pour la modernisation de la gestion des ressources humaines de l'Etat. ». Disponible en ligne à partir de l'URL : http://www.lenouvelliste.com/article.php?PubID=1&ArticleID=69542

La page est consultée le 11 août 2011.

62 Nicolas POYAU présente dans son ouvrage intitulé : « Rebâtir l'Etat haïtien », pages 175 et suivants, la problématique de la politisation de l'Administration publique et insiste sur la nécessité de former des cadres pour la Fonction publique.

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A titre indicatif, en 1996 le Gouvernement haïtien signe avec le FMI un accord dénommé : « Facilité d'ajustement structurel renforcée (FASR)». Outre la privatisation de neuf entreprises publiques, cet accord prévoit la réduction de l'emploi dans le secteur public. C'est dans cette perspective que la loi de 1998 sur le départ volontaire et la retraite anticipée dans la Fonction publique a été adoptée. « Dans le cadre du programme, un objectif a été fixé : le départ d'au moins 5000 agents de la Fonction publique (soit environ 10% des employés de l'Etat) avant fin septembre 1998. En définitive, à la mi-décembre 1998, 5400 agents ont quitté la Fonction publique. »63

En effet, ce phénomène assez récurrent dans les entreprises de réforme de la Fonction publique en Haïti peut laisser un sentiment d'inquiétude permanente chez les Fonctionnaires eu égard à la leur carrière dans l'Administration. Comme de fait, en plus de cette hémorragie provoquée par la mise en oeuvre de ces genres de programmes dans un pays n'ayant même pas atteint 50 000 Fonctionnaires pour à peu près 10 millions habitants, bon nombre d'entre eux laissent la Fonction publique pour se réfugier à l'étranger ou plus rarement dans le secteur privé.

Par ailleurs, parmi les 8 grands points du diagnostic de l'Administration publique haïtienne présentés dans le Plan d'aide des Nations-Unies pour l'Aide au Développement (UNDAF) 2009-2011, il est fait état d' « une grande déperdition technique avec le départ des cadres les plus qualifiés »64.

De plus, dans le Plan cadre de la réforme de l'Etat 2007-2012, soulignant un phénomène plus global et sans lien direct avec la réforme de la Fonction publique en tant que telle, le Gouvernement haïtien a fait remarquer que « les années d'instabilité politique connues par le

63 Cf : Site web du Comité pour l'annulation de la dette du Tiers-Monde, document intitulé : « Fiche Haïti », préparé par Damien MILLET, Sophie PERCHELLET, Pauline IMBACH, publié le 12 mars 2010 et disponible à partir de l'URL suivant : http://www.cadtm.org/Fiche-Haiti

La page est consultée le 16 août 2011.

64 Cf : Ce programme est préparé en novembre 2008 par le Gouvernement haïtien et le système des NationsUnies. Il est revêtu de la signature de Jean Max BELLERIVE, Ministre de la Planification et de la Coopóation externe d'Haïti, et de Joël BOUTROUE, Représentant spécial adjoint du Secrétaire général, Coordonnateurrésident et Coordonnateur-humanitaire du système des Nations-Unies en République d'Haïti. L'information est trouvée à la page 10 du document.

pays ont provoqué une déperdition importante de cadres techniques qui a entrainé une baisse considérable des capacités managériales et opérationnelles des institutions publiques »65.

En réalité, le phénomène de l'instabilité politique en Haïti est loin d'être la seule variable explicative à cette déperdition importante de cadres techniques observée. Nous pourrions même affirmer, dans une certaine mesure, que la cause première de cette déperdition devrait plutôt être recherchée dans les politiques de réduction de l'effectif des agents de la Fonction publique en vue de satisfaire les exigences des bailleurs de fonds internationaux, notamment les institutions de Bretton Woods. Au nom de quelle performance peut-on subtilement contraindre un pays comme Haïti de vider son Administration par la mise en oeuvre systématique de politiques de réduction des ressources humaines de la Fonction publique, alors que lesdites ressources sont quasiment le socle même de l'Administration publique ? A l'ère de l'économie du savoir ou encore du capitalisme cognitif, peut-on rendre un Administration publique performante sans sa substance, en l'occurrence, ses Fonctionnaires ?

Tenant compte de tout ce qui précède, nous sommes amenés à nous demander, à bon droit, si les efforts de structuration et de professionnalisation par la tentative de dépolitisation de la Fonction publique et la formation des Fonctionnaires ne sont pas volatilisés ou du moins neutralisés par le phénomène concomitant du « désossement » de la Fonction publique.

Ajouter à tout cela, les effets néfastes du séisme du 12 janvier 2010 sur ce processus de réforme. C'est en quelque sorte un phénomène physique qui vient se mêler, voire complexifier davantage un processus qui est loin déjà d'être simple et facile à faire aboutir.

§ 2.- Des effets du séisme du 12 janvier 2010 sur le processus de la réforme de la Fonction publique

Dans ce paragraphe de notre travail, nous insistons sur les conséquences du séisme obligeant les acteurs nationaux, mais surtout internationaux de la réforme de la Fonction publique en Haïti à se focaliser sur les moyens d'action publique à mettre en oeuvre en vue de faire face à la crise humanitaire et les problèmes publics dont elle facilite l'émergence. D'oü

65 L'information est tirée de la page 14 du document.

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un ralentissement dans la mise en oeuvre des mesures annoncées dans le cadre de ladite réforme risquant de compromettre certaines « avancées ».

A. La priorité accordée à la question humanitaire et le renforcement du secteur des ONG aux dépends de l'Etat

Le cataclysme du 12 janvier 2010 en Haïti, l'une des pires catastrophes de l'histoire récente de l'humanité, a occasionné l'avènement en Haïti des représentants de pays n'ayant aucun rapport diplomatique avec l'Etat haïtien. Il est de certains pays qui devenaient subitement aidants dont même les Haïtiens les mieux avisés ignoraient jusque-là leur nom. On dirait que la Croix Rouge de presque toutes les contrées du monde était représentée en Haïti. Bon nombre de représentants d'institutions de bienfaisance, d'Organisations non gouvernementales (ONG) d'horizons divers ont foulé le sol haïtien pour apporter leur soutien aux haïtiens survivants. C'est le cas de dire que toute la Communauté internationale, dans ses multiples facettes, était au « chevet » d'Haïti en vue d'exercer leur droit, voire remplir leur devoir humanitaire.

Dans une perspective purement opportuniste ou adoptant une attitude psychologique positive, d'aucuns pourraient faire valoir que ce séisme de magnitude 7.3 sur l'échelle de Richter ayant causé des dégâts inestimables en Haïti pourrait bien constituer pour le pays une fenêtre d'opportunité, tant il existait bel et bien, juste au lendemain du séisme, un certain élan de la Communauté internationale à aider à Haïti à sortir du bourbier dans lequel elle se trouve et tant tout était finalement mis à plat et que se présentait l'occasion de tout reconstruire, voire tout refonder sur de nouvelles bases.

Sans nécessairement prendre d'emblée le contre-pied d'une telle approche, nous estimons tout de même que la priorité accordée à la question humanitaire et le renforcement corrélatif du secteur des ONG suite au séisme du 12 janvier en Haïti viennent sinon hypothéquer, du moins affaiblir le processus de réforme de la Fonction publique en ce sens que toutes les ressources et énergies sont désormais concentrées sur l'aide urgente à apporter en vue de la survie des miraculés du séisme, particulièrement les plus démunis dont les tentes de ceux-là ayant eu le privilege d'en trouver jonchent les avenues de toutes les places publiques de la

capitale, quand ce n'est pas sur un fonds de terre appartenant à un particulier et qui a été ou bien mis volontairement à leur disposition ou bien tout simplement envahi par effraction au cas où il y aurait eu de clôture ou de tous autres dispositifs de fermeture.

. En réalité, vu l'état du pays au lendemain du séisme du 12 janvier et même aujourd'hui encore ; considérant la faiblesse corrélative et le manque de moyens des institutions publiques haïtiennes, il ne paraît pas évident qu'il pourrait en être autrement. L'instinct de survie commande l'être humain à se préoccuper d'abord de sa sécurité physique et de sa faim. D'ailleurs, dans la théorie de la pyramide des besoins élaborée par le psychologue Abraham MASLOW, les besoins physiologiques (manger, boire, dormir, respirer) se retrouvent au bas de la pyramide. Donc, selon MASLOW, ils sont les premiers besoins à satisfaire. Comment alors demander, dans un pays où la survie de la majorité de la population est en jeu, de barrer la route aux ONG, voire de décourager toute action humanitaire ?

Dans de pareilles conditions, l'on pourrait même se demander si Haïti n'est pas encore en plein dans la catastrophe humanitaire tant les besoins urgents, donc de survie, sont d'une ampleur certaine.

En revanche, la présence même d'une multitude d'ONG en Haïti traduit, en quelque sorte, des défaillances des pouvoirs publics. Certains classent même Haïti parmi les Etats faillis (failed state). Qui plus est, l'Etat ne contrôle même pas efficacement l'action des ONG comme cela devrait être le cas selon la législation haïtienne. Les ONG fonctionnent donc comme des structures parallèles aux côtés des pouvoirs publics. Elles prétendent venir en appui aux autorités publiques haïtiennes, mais la quasi-absence de la coordination de leurs actions créée, entre autres, des situations de double emploi, de conflits d'influence avec des autorités publiques nationales ou locales et d'illisibilité de l'action publique dans un même champ déterminé.

Par ailleurs, en raison de toutes ces défaillances des autorités publiques haïtiennes, l'action ou le travail humanitaire en Haïti trouve un terrain fertile en vue de sa transformation en « marché » humanitaire, le terme marché entendu dans son acception capitaliste. Ainsi, les ONG ont-elles besoin de se pérenniser au lieu d'effectuer sur une période relativement courte

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des actions ponctuelles en termes de renforcement des capacités des autorités sur place par une approche de transmission intelligente et adaptée d'expériences, de connaissances ou de moyens. Elles sont donc dans une logique de quête perpétuelle de justification de leur présence ; elles s'inscrivent dans une logique de concurrence entre elles et parfois avec les autorités publiques sur place.

Il se trouve qu'entre temps, les ONG deviennent plus qu'autrefois les principaux canaux de l'aide internationale. Elles détiennent les cordons de la bourse, sous prétexte de soupçons de cas corruption au niveau du secteur public, or le contrôle desdites ONG laisse à désirer.

Par voie de conséquence, le déploiement exponentiel d'ONG en Haïti, accéléré suite au séisme du 12 janvier 2010 au nom de la crise humanitaire sans précédent en Haïti et dans l'histoire récente de l'humanité, répond certes à un certain besoin, mais entraine néanmoins un affaiblissement corrélatif de l'Etat et des pouvoirs publics locaux. Ainsi, comment pourrait-on s'attendre à ce que le processus de la réforme de la Fonction publique n'en subit pas un contrecoup ? Réformer la Fonction publique haïtienne en vue de sa modernisation, c'est remplir une condition essentielle et sine qua non de la performance de l'Administration publique. Or, cette démarche de renforcement de l'Administration publique en vue de sa performance au bénéfice de la satisfaction des usagers traduirait une certaine performance de l'Etat. Dans ces conditions, cette finalité, se colle-t-elle avec la logique du « marché » humanitaire ? Les acteurs internationaux dits partenaires d'Haïti, peuvent-ils effectivement renforcer, de manière concomitante, les ONG et l'Etat ? Dans ces conditions, le renforcement des ONG, n'est-il pas inversement proportionnel à celui de l'Etat ?

En addition à la problématique de la question humanitaire posée plus haut, nous pouvons aussi signaler que le séisme du 12 janvier a aussi entrainé un affaiblissement du rendement de la Fonction publique.

B. Affaiblissement du rendement de la Fonction publique lié à la perte en ressources humaines et à la démotivation des survivants

Pour toutes les raisons déjà évoquées dans le cadre de travail de recherche académique, le rendement de la Fonction publique laissait déjà à désirer bien avant le séisme du 12 janvier 2010 emportant avec lui un nombre incalculable de vies humaines dont des Fonctionnaires.

En effet, dans le cadre d'une conférence de presse tenue à Port-au-Prince le mercredi 12 janvier 2011, soit un an jour pour jour après la tragédie du 12 janvier 2010, le Premier Ministre Jean-Max BELLERIVE a fait remarquer que le séisme avait occasionné la mort de 17% des Fonctionnaires.66

Si nous pouvons nous fier à cette donnée statistique, c'est le cas de dire que les chiffres parlent d'eux-mêmes. Dans un contexte de raréfaction des ressources humaines où 80% des cadres Haïtiens vivent à l'étranger selon une étude de la Banque Mondiale, la disparition brutale de 17% des agents publics permanents de l'Etat peut être présentée comme une « hémorragie » d'une Fonction publique déjà en « coma ».

En outre, vu le nombre important de victimes causées par le séisme par rapport au poids démographique total, presque chaque Haïtien a perdu des amis et/ou des parents victimes du séisme. C'est alors le désarroi collectif, sachant que culturellement l'Haïtien reste attaché à ses parents et ne partagent pas sociologiquement avec les occidentaux la conception de la famille nucléaire, en ce sens que quand l'Haïtien parle de sa famille, il fait référence généralement à sa famille élargie et des liens émotionnels forts sont généralement noués avec même les tantes, oncles, cousins, neveux, etc.

Par voie de conséquence, presque chaque Haïtien avait à pleurer plusieurs morts dans cette situation tragique. Ayant bien en tête que le Fonctionnaire est avant tout un Haïtien, car la nationalité haïtienne est l'un des critères d'accès à la Fonction publique, donc il n'échappe pas à cette situation. D'autant que la majorité des Fonctionnaires survivants sont amenés à revenir travailler sous des tentes, mais dans l'emplacement des anciens locaux des services

66 Cf : « Haïti, un séisme, un an et 316 000 morts », AFP, publié le 12 janvier 2011, la page est consultée le 31 août 2011 et disponible à partir de l'URL :

http://www.7sur7.be/7s7/fr/6176/Seisme-Haiti/article/detail/1207360/2011/01/12/Haiti-un-seisme-un-an-et-316- 000-morts.dhtml

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publics qu'ils ont vu effondrés avec leurs collegues ou amis. D'où des dégâts psychologiques non quantifiables. Il s'agit bien ici d'une source de démotivation pour le Fonctionnaire qui est susceptible de causer un affaiblissement de son rendement.

Dans la foulée, le séisme a provoqué une grave crise de logement, particulièrement à Port-au-Prince. En réalité, le problème de l'accès à un logement décent à Port-au-Prince, depuis bien avant le séisme, reste un problème complexe. Il est certes symptomatique d'une certaine fracture sociale, mais en fait il s'agit bien d'un problème à causes multiples que l'on retrouve d'ailleurs généralement dans l'agenda politique des pouvoirs publics. C'est le cas de dire que le séisme du 12 janvier 2010 ne fait que complexifier la problématique du logement dans la capitale. C'est un phénomène physique qui vient impacter sur un phénomène social multiple et complexe.

Puisque même des bâtiments publics respectant certaines normes de construction ont été effondrés, les maisons d'habitation qui sont censées être bâties suivant des normes plus souples ou carrément en dehors de toute norme de construction pouvaient difficilement tenir. D'où la question de loger les centaines de milliers de sinistrés allait s'imposer et parait aujourd'hui encore comme un grave problème public67 qui a fait l'objet d'une émergence instantanée dans l'agenda institutionnel des différents pouvoirs publics en Haïti.

En outre, les Fonctionnaires ne sont pas épargnés de situation plus ou moins généralisée. Donc, comment demander à un Fonctionnaire de servir efficacement l'intérêt général quand il n'a plus de logement pour abriter sa famille ? Un Fonctionnaire, peut-il être motivé à travailler sous des tentes durant la journée sous un soleil de plomb, pour ensuite retrouver son campement de fortune le soir ?

En fait, bon nombre de Fonctionnaires, parmi ceux qui le pouvaient, ont laissé le pays laissant ainsi les Fonctionnaires restants plus démotivés et la Fonction publique plus affaiblie.

67 « Pour qu'un problème devienne public il ne suffit pas, en effet, que des acteurs se mobilisent pour construire se problème, il faut aussi que le problème soit pris en charge dans le cadre des arènes publiques, ce qui permet sa mise sur agenda ». Cf : P. HASSENTEUFEL. « Sociologie politique : l'acion publique », Armand Colin, Paris 2009, page 41.

DEUXIEME PARTIE

L'Etat haïtien face à l'obligation et aux contraintes de l'optimisation
effective de la Fonction publique : quelle issue ?

La modernisation de la Fonction publique en vue de la performance de l'Administration publique est bel et bien une obligation de l'Etat. D'ailleurs, il est à la fois coincé par les citoyens et les acteurs internationaux. Cependant, cette mission relève aussi d'un défi tant les enjeux et insuffisances sont énormes. Les contraintes sont dues à la fois à des facteurs endogènes et exogènes.

Dans le cadre de cette deuxième partie, nous essayons d'abord de camper l'Etat haïtien face aux enjeux croisés et défis de la modernisation effective de la Fonction publique (chapitre 3). Ensuite, nous essayons de démontrer que la modernisation effective de la Fonction publique comme un levier de performance de l'Administration constitue, certes, un défi, mais relevable

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"Soit réservé sans ostentation pour éviter de t'attirer l'incompréhension haineuse des ignorants"   Pythagore