La loi du 12 juillet 2010, portant engagement national pour l'environnement et la responsabilité des constructeurs( Télécharger le fichier original )par Florence COUTURIER- LARIVE Université Aix- Marseille III - Master II Droit immobilier public et privé 2010 |
TITRE II : L'ECO PERFORMANCE : UNE NOUVELLE SOURCE DE RESPONSABILITE POUR LES CONSTRUCTEURS274. L'impact de la destination de l'ouvrage éco performant sur le droit de la responsabilité des constructeurs- En attendant d'hypothétiques précisions en provenance du législateur concernant l'influence de la performance énergétique sur la destination de l'ouvrage519(*), la question se pose d'ores et déjà de savoir dans quelle mesure la Loi du 12 juillet 2010 procéderait à un éventuel «alourdissement considérable de la responsabilité pesant sur les constructeurs (..). »520(*). L'introduction de la prise en compte de la performance énergétique dans la destination de l'ouvrage conduit à une nouvelle appréciation de l'impropriété en cas de survenance de désordres, dont il conviendra d'apprécier les conséquences (Chapitre Premier), de même qu'elle conduit à l'apparition, à côté des causes classiques, de nouvelles causes d'exonération (Chapitre II) Chapitre premier : Conséquences d'une nouvelle appréciation de l'impropriété à la destination275. Deux fondements de mise en oeuvre de la responsabilité des constructeurs- Comme en l'état actuel du droit, il n'est pas encore question de systématisme concernant la reconnaissance d'impropriété en cas de non obtention d'une performance énergétique escomptée, il demeure nécessaire, à travers la jurisprudence établie, de cerner les cas actuels de mise en oeuvre de la responsabilité spécifique des constructeurs des articles 1792 et suivants du Code Civil (Section I), avant d'envisager les cas d'application, à défaut, de la responsabilité contractuelle de droit commun (Section 2) Section I- Dans le cadre du régime spécifique de responsabilité des articles 1792 et suivants du Code Civil276. Discussion sur la qualification du dommage- Concernant la qualification du dommage, selon certains auteurs521(*), l'application de la définition de dommage à l'ouvrage au défaut de performance, au cas où les économies d'énergie ne sont pas effectives, reviendrait à considérer ce dommage comme un dommage immatériel. En effet, le simple défaut de performance entraînant une surconsommation, n'est pas un dommage physique. Hors du domaine de l'assurance obligatoire, le dommage immatériel n'est pris en compte qu'au moment de la mise en oeuvre de la responsabilité, pour permettre une réparation intégrale du dommage. « Qualifier l'absence d'économie d'énergie de dommage, sans dommage matériel préalable répondant aux critères de l'article 1792, c'est donc admettre qu'un dommage immatériel devienne le dommage principal, essentiel. C'est retenir la responsabilité des constructeurs dès lors qu'il y a atteinte à la destination de l'ouvrage, peu important la cause du dommage mais aussi, désormais, sa nature.522(*) » Si l'on partage l'opinion selon laquelle le défaut de performance et, par relation de cause à effet, l'absence d'économie d'énergie, puissent être considérés comme une atteinte à la destination de l'immeuble, la qualification de dommage immatériel ne nous semble pas appropriée, car il semble que dans tous les cas, l'absence de performance résulte bien d'un dommage matériel à un élément d'équipement, dissociable ou non, l'empêchant de bien fonctionner ou de fonctionner conformément à ce convenu et qui au final, rend l'immeuble impropre à sa destination, laquelle est de faire des économies d'énergie. 277. Deux causes d'impropriété à destination- Partant de ce principe, pour pouvoir actionner la responsabilité des constructeurs sur le fondement des articles 1792 et suivants du Code Civil, il convient de rappeler que la première condition requise est le caractère caché du dommage à la réception de l'ouvrage523(*). La question se pose de savoir si les garanties légales offertes par le droit de la responsabilité spécifique des constructeurs, couvrent la performance énergétique524(*). Pour tenter de répondre à cette question, il convient d'envisager chaque cas d'ouverture à garantie. Ainsi, au moment de la réception, le constat d'une inefficacité énergétique avec émission de réserves peut entrer dans le cadre de la garantie de parfait achèvement et en cas d'absence d'efficacité énergétique constatée, le refus de réception sera possible si et seulement si l'absence d'efficacité rend l'ouvrage impropre à sa destination. En ce qui concerne les éléments d'équipement dissociables, la garantie biennale de bon fonctionnement pourra être également invoquée à condition à condition que les dommages affectant ces éléments d'équipement n'emportent pas impropriété à destination ou ne portent pas atteinte à la solidité de l'ouvrage525(*). Enfin, dans la mesure où il nous semble acquis que « (...) la performance énergétique du bâtiment sera très probablement considérée par la jurisprudence comme un élément de [la] destination. (...)526(*) », nous nous attacherons à étudier dans un premier temps les cause d'impropriété pour défaut de performance énergétique (§1), puis, dans un second temps, les causes d'impropriété pour insuffisance de performance énergétique (§2), étant précisé que le peu de jurisprudence en la matière se trouve être antérieur à la Loi du 12 juillet 2010. § 1- Pour défaut de performance énergétique278. La question de l'absence d'ouvrage- De façon préliminaire, en ce qui concerne l'absence d'ouvrage, il convient de noter que l'assureur du constructeur n'est pas garant d'achèvement. Cependant, si les parties inachevées de l'ouvrage ont trait à l'isolation de celui ci, la jurisprudence pourrait déclarer l'ouvrage impropre à sa destination et condamner l'assureur à achever celui ci, excepté si l'absence d'ouvrage résulte d'une immixtion du maître de l'ouvrage ou si l'ouvrage se situe hors secteur habitation, auquel cas, l'assureur n'a à prendre en charge le coût des travaux de réparation que jusqu'à la valeur prévue et déclarée par le maître d'ouvrage527(*). 528(*) 279. Impropriété pour cause de désordre matériel issu du défaut de performance énergétique- Quant à l'impropriété pour défaut de performance énergétique d'ouvrages livrés, certains arrêts se fondent sur l'existence d'un désordre matériel conséquence de l'absence d'économie d'énergie, pour retenir l'impropriété à la destination.. Ainsi, la Cour d'Appel de Paris, dans un arrêt en date du 26 septembre 2007, a jugé que « le défaut d'isolation thermique qui affecte l'habitabilité et l'étanchéité à l'air de l'immeuble, et qui est à l'origine d'une importante surconsommation d'électricité de chauffage, rend l'ouvrage impropre à sa destination et engage la responsabilité décennale des constructeurs529(*) » 280. La recherche du « facteur influent de la conception » (CA Paris, 29 mars 2000)- Néanmoins, c'est la même Cour d'Appel de Paris qui, dans un arrêt en date du 29 mars 2000, avait expressément retenu la responsabilité des constructeurs, alors même que le dommage principal était l'absence d'économie d'énergie. En l'espèce, l'OPAC de LILLE avait fait édifier un ensemble de pavillons équipé d'un chauffage mixte composé de convecteurs électriques et d'énergie solaire. La défaillance du chauffage solaire apparut par la suite et le maître de l'ouvrage a assigné le constructeur sur les fondements des dispositions des articles 1792 et 2270 du Code civil. Le jugement avait retenu, d'une part, que si les capteurs solaires constituaient des éléments d'équipement dissociables en raison de la facilité de leur démontage, il en allait autrement des installations situées dans les locaux techniques du sous-sol, et d'autre part que le chauffage solaire participait à un système global de chauffage et de production d'eau chaude, dans lequel il intervenait en alternance avec les convecteurs électriques. Les appelants, pour leur part, faisaient valoir que, contrairement à ce qu'avait décidé le jugement entrepris, d'une part, les éléments composant l'installation de chauffage solaire, y compris ceux implantés dans les locaux du sous-sol, pouvaient être démontés sans détérioration ou enlèvement de matière de l'ouvrage et constituaient donc des éléments d'équipement dissociables au sens de l'article 1792-2 alinéa 2 du Code civil, d'autre part, que l'installation utilisant l'énergie solaire ne fournissait aux logements qu'un chauffage d'appoint, de sorte que sa défaillance ne saurait avoir rendu l'ouvrage impropre à sa destination. La Cour d'appel ne les a pas suivis en ces termes : « (...) il convient, pour apprécier si ce dysfonctionnement rend l'ouvrage impropre à sa destination, de tenir compte des conditions dans lesquelles le programme immobilier a été conçu et réalisé ;(...) Considérant qu'ainsi, la possibilité d'utiliser l'énergie solaire, même si l'on ne pouvait en attendre que des résultats limités, était incontestablement incluse dans la définition contractuelle du programme, économie du contrat ce que confirmaient d'ailleurs l'emploi de l'expression "maisons solaires" pour définir l'objet du concours et la dénomination "Résidence Soleil" donnée à l'ensemble de pavillons objet du litige ; que les espoirs placés dans une telle réalisation avaient, en outre, permis l'octroi de différentes aides financières par les pouvoirs publics aides publiques ; Considérant que, sur le plan technique, la poursuite de cet objectif a conduit au choix d'un système tendant, comme il a déjà été indiqué, à permettre une exploitation maximale de l'énergie solaire avant que soit mis en service le chauffage électrique, le but étant de réduire l'utilisation de celui-ci dans toute la mesure du possible, sans toutefois prendre le risque de rendre les logements inhabitables en cas de défaillance d'un mode de chauffage dont l'expérience ne permettait pas encore de garantir la sûreté du fonctionnement ; qu'en particulier, on pouvait raisonnablement espérer que la production de chaleur solaire serait suffisante pour assurer le confort des habitants pendant les saisons intermédiaires, permettant ainsi de retarder la mise en service des convecteurs et d'avancer leur arrêt ; Considérant que, compte tenu de l'ensemble de ces éléments, non seulement techniques, mais aussi économiques, la possibilité d'utiliser l'énergie solaire constituait l'un des facteurs concourant à définir la destination de l'ouvrage, dont elle a influencé la conception et, à l'évidence, accru le coût dans des proportions que seul pouvait justifier l'espoir d'économies appréciables à l'usage ; qu'il n'est pas douteux que la possibilité qu'elle offrait de réduire les dépenses de chauffage a été pour l'O.P.H.L.M., organisme dont la vocation est de procurer à ses locataires des logements à des conditions financières avantageuses, un facteur décisif de son choix, malgré l'augmentation de l'investissement initial ; Considérant qu'il s'ensuit que, comme l'énonce exactement le Tribunal, le mode de production de chaleur retenu constituait un système mixte dont faisaient partie les installations solaires, de sorte que la défaillance de ces dernières compromettait le bon fonctionnement du chauffage dans son ensemble et rendait, par là même, l'ouvrage impropre à sa destination ; qu'en conséquence, les éléments d'équipement qui le composent, alors même qu'ils seraient dissociables des bâtiments au sens de l'article 1792-2 du Code civil, sont de ceux auxquels s'applique la garantie décennale prévue par les articles 1792 et 2270 du même code(...) » 530(*). 281. La motivation de l'arrêt est intéressante à plus d'un titre. En effet, la Cour a estimé que malgré le fait que les occupants de l'immeuble étaient suffisamment chauffés grâce aux autres systèmes mis en place, il convenait de se référer au facteur ayant « influencé la conception » de l'ouvrage pour en déterminer la destination. Et la Cour, de donner les éléments d'appréciation de ce facteur : l'intégration de la performance énergétique dans la définition contractuelle du programme, les aides financières à l'éco construction, octroyées par les pouvoirs publics, les choix techniques. On constate également que la Cour, afin d'évacuer le problème des équipements dissociables non inclus dans la garantie décennale, prend soin de spécifier que leurs dysfonctionnements compromettait le bon usage de l'ouvrage, tel que défini par la destination convenue, déterminées par le « facteur influent de la conception ». 282. La référence à la destination convenue (Cass. Civ. 3e, 27 sept. 2000)- La Cour de cassation, dans un arrêt en date du 27 septembre 2000, a suivi frileusement cette solution, en considérant que «l'immeuble était rendu impropre à sa destination par le non-fonctionnement de l'élément d'équipement constitué par les capteurs solaires, compte tenu des risques de surchauffe de l'eau chaude sanitaire collective et parce que les objectifs d'économies d'énergie, consécutifs à la fourniture d'énergie mixte, promis aux utilisateurs par le promoteur, qui s'était prévalu de la qualification "solaire trois étoiles" n'étaient pas atteintes, même si la fourniture d'eau chaude à température désirée pouvait être assurée par l'installation individuelle de chauffage au gaz 531(*)». En l'espèce, la Cour de Cassation a motivé son arrêt en deux temps. En effet, dans un premier temps, elle arguait de l'existence d'un dommage éventuel (le risque de surchauffe), assorti du non fonctionnement d'un élément d'équipement, éléments qui n'emportent en principe pas impropriété à destination, à moins que le dysfonctionnement de l'élément d'équipement ne crée un dommage de nature décennale532(*). Or, en l'espèce, ce n'est a priori pas le cas. C'est la raison pour laquelle, dans un second temps, la Cour de Cassation n'a pas hésité à poursuivre sa motivation en s'appuyant sur le fait que les économies d'énergie expressément escomptées par un argument de vente ( la promesse aux utilisateurs par le promoteur, d'une qualification "solaire trois étoiles") n'étaient pas atteintes du fait du dysfonctionnement des capteurs solaires constaté précédemment. Pris isolément, au même titre que le dommage éventuel et que le simple dysfonctionnement d'un élément d'équipement, ce dommage n'entre pas dans le cadre de la garantie décennale, mais en l'occurrence, relèverait du champ d'application de l'article 1147 du Code Civil. Mais la conclusion de ce raisonnement est que : si un élément d'équipement ne fonctionne pas et que de ce fait, les économies d'énergie escomptées ne peuvent être atteintes, donc, les effets du dysfonctionnement de l'élément d'équipement revêtent la gravité d'un désordre décennal. Dans ce cas, pour la Cour de Cassation, le défaut de performance énergétique est bien un cas d'impropriété à destination, en l'espèce également, à une destination convenue533(*), mais reste cependant timide en comparaison à la Cour d'appel de Paris, car elle ne reprend pas expressément l'élément du « facteur influent de la conception »534(*). Malgré tout, pour certains auteurs, il s'agit d'une « extension déformante de la notion d'impropriété à la destination.535(*) (...) Il nous paraît toujours dangereux de déformer le sens des mots et des concepts, même lorsque c'est avec les meilleures intentions du monde, car c'est ouvrir la porte à toutes les dérives. Il resterait bien entendu à trouver une meilleure idée pour satisfaire l'équité. ». A ce titre, le Professeur Malinvaud rappelle que jusqu'à présent, la jurisprudence se contentait de rechercher la destination convenue de l'ouvrage pour en déterminer la destination, estimant que ce champ de recherche devait être envisagé strictement536(*). Néanmoins, force est de constater que ce raisonnement est contré par la Loi du 12 juillet 2010, au sujet de laquelle on peut se demander s'il s'agit qu'elle élève au rang de destination légale la destination initialement « convenue » ou si c'est la notion jurisprudentielle « d'économie du contrat » qu'elle entérine, notion qui paraît laisser un domaine d'appréciation plus large que la simple destination convenue. A notre sens, il semblerait que ce soit la notion de « facteur influent de la conception » qui semble la mieux appropriée pour définir la destination issue de la Loi Grenelle II, laquelle présenterait en outre l'avantage, du point de vue de la Loi, de qualifier d'impropriété également, l'insuffisance de performance énergétique. * 519 Supra, n°273 * 520 P. Dessuet, Op. cit * 521 S. Becque-Ickowicz, « L'impact du Grenelle sur les contrats de construction et la responsabilité des constructeurs », RDI 2011 p. 25 * 522 S. Becque-Ickowicz, Ibid * 523 Supra, n° 92 et s. * 524 H. Périnet-Marquet, « Les garanties légales couvrent elles la performance énergétique ? », Rev. Le Moniteur, 10 déc 2010, p 58 à 60. * 525 Ibid. * 526 Ibid. * 527 C. des Ass., Art. L 243-9 et R 243- 3 * 528 H. Périnet Marquet « La grenellisation du droit de la construction » dans « Grenelle 2 impact sur les activités économiques » collection Lamy Axe Droit p 55 n° 57 * 529 CA Paris, 26 sept. 2007, JurisData n° 2007-343699. * 530 CA Paris, 29 mars 2000, n° 1997/22221 et RDI 2000. 345, obs. Ph. Malinvaud * 531 Cass. Civ. 3e, 27 sept. 2000 : RDI 2001. 82, obs. Ph. Malinvaud * 532 J .B Auby, H. Périnet Marquet, R. Noguellou, Droit de l'urbanisme et de la construction, Ed. Montchrestien 8ème éd., n° 1238 et s. * 533 Contra : CA Paris, 20 mars 2001, RDI 2001, p. 388 refusant l'impropriété en présence d'autres modes de chauffage. * 534 CA Paris, 29 mars 2000, n° 1997/22221 et RDI 2000. 345, obs. Ph. Malinvaud * 535 Ph. Malinvaud, « L'impropriété à la destination peut s'entendre de la non-obtention des économies d'énergie promises », ss Cass. Civ. 3e, 27 sept. 2000, pourvoi n° C 98-11.986, SMABTP c/ Synd. Copr. de la Résidence « Les Portes du Mail II » à Guyancourt, et autres, RDI 2001 p. 82 * 536 Ibid |
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