CHAPITRE 2ème : Le contexte externe
L'Etat reste libre de déterminer sa propre politique de
nationalité par le biais de sa législation interne,
néanmoins, les traités internationaux jouent un rôle loin
d'être négligeable. En effet, la liberté de l'Etat se
trouve parfois limitée en fait et /ou en droit70 ; en fait
par quelques principes de solution qui sans les contraindre, inspirent leurs
législations, et en droit par les traités.
Les législations nationales ne sont donc pas uniquement
influencées par le contexte interne qui a fait l'objet du chapitre
précédent, mais également par le contexte externe sur
lequel va porter notre second chapitre.
En Europe par exemple, selon Martin MORIN, "la progression
recherchée vers une citoyenneté européenne suppose une
préalable clarification de la nationalité des Etats membres. Une
difficulté grave peut être soulevée par des
européens à l'égard d'une citoyenneté
européenne conférée à des français, qui par
ailleurs sont marocains, tunisiens ou algériens.
C'est un choix politique qui se profile à un
horizon qui n'est pas éloigné. L'avenir de la France est- il
européen ou africain ? La politique de l'Etat français depuis la
Vème république, a été de privilégier
l'Europe sans toutefois se résoudre à un désengagement
africain. Cette politique est peut- être sage. Mais elle suppose que des
mesures intérieures et extérieures soient prises, en
cohérence avec ses buts. Faute de quoi, elle risque de rendre impossible
l'unité européenne et l'influence en Afrique.
»71 .
Par ailleurs, et sur le plan juridique, certains traités
concernant la nationalité, vu leur caractère souvent
bilatéral ont un champ d'application limité dans l'espace,
ces traités ne constitue que le droit d'exception en la
matière, il s'agit de ceux relatifs aux
70 DERRUPE (Jean), Droit international
privé, 9ème édition,
DALLOZ, Paris, 1990. Page 11.
71 MARTIN MORIN (Dominique), «l'Europe et la
défense », Sous la direction de DOVILLERS (Trémolet),
«immigration et nationalité, quelle réponse ? » D.D.M,
Paris, 1990.
cessions de territoire, qui fixent la nationalité des
habitants des territoires cédés ou
réintégrés après un conflit armé tel est le
cas du traité de Versailles de 1919 sur la nationalité des
alsaciens et lorrains. Dans ce type de traités, les solutions
généralement retenues font changer de nationalité toutes
les personnes domiciliées dans le territoire cédé et ayant
la nationalité de l'Etat cédant. Lorsqu'une option est
accordée, elle est souvent subordonnée à
l'émigration.
En droit français, au regard de la nationalité
française, le code de la nationalité dans ses articles 11et 12
édicte de telles regles qui s'imposent en l'absence de
traités72.
D'une manière générale, les Etats doivent
d'une part respecter les stipulations relatives aux droits humains contenus
dans les conventions bilatérales et multilatérales, et d'autre
part, éviter les conflits positifs et les conflits négatifs de
nationalité, ces derniers (les conflits négatifs) ne sont en fait
que le résultat du non-respect des droits humains telle qu'ils sont
universellement reconnus, notamment l'article 15 de la déclaration
universelle des droits de l'Homme selon lequel tout individu a le droit
à une nationalité ou les traités internationaux qui sont
élaborés sous les auspices d'organisations internationales
gouvernementales régionales comme c'est le cas de la Ligue des Etats
Arabe, ou le Conseil de l'Europe.
Rappelons dans ce cadre que la littérature du droit
international privé préfère étudier les cas
d'apatridie comme suite aux conflits positifs de nationalités ou la
pluripatridie, c'est ce chemin que nous allons suivre vu que nous consacrerons
le premier chapitre à la place qu'occupe le phénomène de
la nationalité au sein de la question des droits humains, tandis que la
seconde question s'occupera des conflits positifs et négatifs de
nationalité.
72 Op. Cit. DERRUPE, page 12
Section I : La nationalité au sein de la question
des droits humains
Le phénomène de la nationalité occupe une
place assez importante à l'intérieur des droits humains qui
puisent leur source de la pratique internationale et des traités
internationaux ratifiés par les Etats.
Au Maroc, par exemple, la place qu'occupe le traité
dans la hiérarchie des normes reste relativement controversée en
ce qui concerne les traités relatifs aux droits humains.
Le préambule de la constitution marocaine telle que
révisée en 1992 déclare clairement que «conscient
d'inscrire son action dans le cadre des organismes internationaux, ~ le royaume
du Maroc souscrit aux principes, droits et obligations découlant des
chartes desdits organismes et réaffirme son attachement aux droits de
l'Homme tel qu'ils sont universellement reconnus ».
L'article 31 de cette constitution ne clarifie pas le rapport
entre la loi et le traité dans l'ordre juridique interne. On peut
avancer, jusqu'à présent qu'au moins un certain type de
traités ont une autorité supérieure à la loi.
Un discours prononcé par feu S.M le Roi Hassan II le 2
août 1979 avait tranché la question et avait affirmé
«la primauté des accords sur le droit interne », ce
qui va nous amener à conclure que les traités relatifs aux droits
humains, à titre d'exemple, la déclaration universelle des droits
de l'Homme, qui donne à chaque individu le droit d'avoir et de changer
de nationalité, sont directement applicables et font fonction d'une
norme supérieure aux normes internes.
Ainsi, selon un discours prononcé devant S.M le Roi
Mohamed VI à l'occasion de l'ouverture de l'année judiciaire 2000
/2001 par Monsieur Drisse DEHAK en sa qualité de président de la
cour suprême, ce dernier a déclaré ce qui suit :
«.. Au Maroc, certains arrêts de la cour suprême vont dans
le sens de la primauté des conventions internationales sur le droit
interne.
En outre, en l'état actuel de la jurisprudence,
rien ne permet d'affirmer que la cour supreme s'est fixée
définitivement sur la supériorité de conventions
internationales sur le droit interne, même si les partisans de cette
doctrine ne manquent pas d'arguments, parfois pertinent tel que celui le dahir
de 1958 portant code de la nationalité,~ainsi que la
réaffirmation constitutionnelle73 . . .et l'adhésion
du Maroc à la convention de Vienne de 1969 sur les traités,
laquelle ne permet nullement aux Etats signataire d'invoquer des dispositions
de leurs droits internes pour se soustraire à leurs obligations
conventionnelles internationales ~ »74.
Pour le cas de la république française, ce pays
a aussi opté pour la supériorité des traités
internationaux, dans ce sens, Monsieur Drisse DEHAK ajoute dans le cadre du
même discours que «En France, l'article 55 de la constitution
prévoit cette règle75 ; néanmoins cette
consécration n'a pas empêché la justice française
d'écarter la convention internationale des droits de l'enfants au motif
que ladite convention ne prévoit pas de droits concrets applicables
devant les tribunaux français ... ».
On distingue donc deux courants :
Le premier est libéral, et va vers l'application
immédiate et directe de la convention.
Le second reste conservateur et méfiant, et suggere la
prudence dans l'application de la convention internationale.
Toutefois en ce qui concerne les conventions relatives aux
droits humains, la majorité des Etats va dans le sens de la
supériorité de la convention, la constitution marocaine telle que
modifiée en 1996 le déclare expressément dans son
préambule.
73 Préambule de la constitution.
74 Royaume du Maroc, Cour Suprême, «
Discours du premier président de la cour supreme à
l'audience solennelle d'ouverture de l'année judiciaire 2001
», in « Bulletin d'information de la
cour suprême », n° 9 Rabat, 2001, pp 9- 4.
75 La règle de la primauté de la
convention internationale sur le droit interne.
Le droit international public reconnaît à chaque
Etat une compétence exclusive pour définir quels sont ses
nationaux. Cependant cette liberté se trouve limitée par les
traités, notamment en matière de nationalité vu que le
problème de la nationalité intéresse la communauté
internationale car la nationalité est un critère de
démarcation entre nationaux et les étrangers, en vertu de ces
accords, l'Etat s'engage à respecter un idéal international en
vertu duquel :
Chaque individu a le droit d'avoir une nationalité
(A) ;
Les Etats doivent respecter le principe des nationalités
en vertu duquel chaque entité sociologique a le droit de se constituer
sa propre nationalité (B) ;
Les Etats doivent aussi prévoir l'égalité
entre l'homme et la femme de façon à ce que cette dernière
ait la possibilité de transmettre sa nationalité à ses
enfants au même titre que son concitoyen de sexe
masculin(C).
I. A. Le droit d'avoir et de changer de
nationalité
Le droit d'avoir une nationalité est la
conséquence immédiate de la règle universellement reconnue
selon laquelle tout être humain a le droit d'avoir une
nationalité, c'est ce qu'on peut dégager des dispositions de
l'article 15 de la Déclaration Universelle des Droits de
l'Homme76 qui est ainsi libellé :
« 1- Tout individu a droit à une
nationalité.
2-Nul ne peut être arbitrairement privé de sa
nationalité, ni du droit de changer de nationalité
».
Cet article renvoi même à la liberté de
choisir et de changer de nationalité qui n'est pas respecté par
un très grand nombre de codes de la nationalité, y compris les
codes français et marocain, vu que la notion d'allégeance
perpétuelle n'étant pas toujours absente des législations
étatiques77.
De l'autre coté, on peut s'apercevoir que cet article
impose aux Etats d'éviter l'apatridie, ce qui sera approfondi dans le
cadre de la seconde partie de ce chapitre, en offrant à l'apatride la
possibilité de s'intégrer dans une nouvelle
nationalité.
Pour ce qui concerne le droit de choisir et de changer de
nationalité, celui- ci est plus respecté que le
précédent. La plupart des codes prévoient cette
faculté. On peut se demander si ce droit n'est pas assez
théorique car la notion d'allégeance perpétuelle n'est pas
toujours absente des législations étatiques.
La convention de La Haye de 1905 modifiée en 1930 a
ordonné aux Etats de supprimer le caractère perpétuel du
lien de la nationalité. En effet, dans la pratique des Etats, lorsqu'un
étranger se trouve sur son territoire, il n'est point obligé
d'acquérir la nationalité de cet Etat. Cette politique est
conforme à l'idéal
76 Royaume du Maroc, Ministère des droits de
l'Homme, Déclaration Universelle des Droits de l'Homme, CDIFDH, Rabat,
février 2003.
77 La convention de La Haye de 1905 modifiée en
1930 a ordonné aux Etats de supprimer le caractère
perpétuel de l'allégeance.
international ce qui n'est pas le cas de certaines hypotheses;
en cas de cession de territoire, effectivement, on peut donner aux populations
une option entre la nouvelle et l'ancienne nationalité. Le
problème se pose lorsque la partie qui choisit l'ancienne
nationalité doit quitter ce pays et s'établir ailleurs. Il peut
arriver que cette population se voie attribuer arbitrairement une
nationalité, cela renvoi à un autre principe selon lequel nul ne
peut être retenu malgré lui dans une nationalité.
Après les indépendances des pays africains
antérieurement sous domination française, parmi lesquels figure
l'Algérie, une série de textes a été mise en
vigueur, comme l'ordonnance du 21 juillet 196278, et la loi du 28
juillet 1960 qui opère une répartition entre français de
plein droit et français sous condition de reconnaissance. Les premiers
sont ceux originaires du territoire français, ainsi que leurs conjoints,
veufs, ou veuves et descendants. Tous ont conservé leur
nationalité française de plein droit.
Une circulaire du ministère des affaires
étrangères en date du 23 novembre 1961 a donné une
définition large de «l'originaire » y englobant
«toute personne dont un ascendant quelconque ... est né sur ce
territoire ».79
78 L'ordonnance du 21 juillet 1962 concerne
spécialement les algériens, elle a repris le critère
traditionnel, utilisé par l'administration française, de la
répartition selon le statut personnel. Elle a ainsi distingué les
personnes de statut civil de droit commun et les personnes civiles de droit
local, régies par le droit musulman.
79 Op.cit. ISSAAD (Mohand).
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