La nationalité à la lumière des législations françaises et maghrébines( Télécharger le fichier original )par Mohamed Amine MAAROUFI Université Hassan 2 - Diplomes des Etudes Universitaires Approfondies 2005 |
CHAPITRE 1er : Le contexte interneSchématiquement, les facteurs d'attribution de la nationalité apparaissent à travers des données d'ordre démographique, économique, ethnique, racial, religieux, et historique de la société. Par le bais de ses lois nationales qui doivent être adoptées par l'assemblée nationale de chaque Etat, ce dernier détermine sa propre politique de nationalité en toute liberté. En outre, il doit tenir compte des différents types des facteurs, à savoir les facteurs politiques, économiques, sociaux, et conjoncturels locaux. En effet, la nationalité est dominée par le principe selon lequel les Etats déterminent librement les conditions d'attribution de leurs nationalités. Deux conséquences principales23 s'inscrivent : Il existe autant de droit de la nationalité que d'Etats souverains dans l'ordre international, On ne peut déterminer si une personne possède la nationalité d'un Etat connue qu'en appliquant le droit de cet Etat. Dans un arrêt de la cour d'appelle de Meknès en date du 5 avril 1977, le juge a insisté sur le fait que le lien de la nationalité peut être introduit parmi les liens de droit public, dans cet arrêt, la cour a estimé que : « la nationalité est l'une des caractéristiques de la souveraineté internationale, et la décision judiciaire en vertu de laquelle une personne dispose de la nationalité d'un autre Etat serai une atteinte à la souveraineté de cet Etat, qui est seul compétant pour reconnaître ou pour nier si cette personne a sa nationalité.24 ». L'Etat détermine donc librement sa politique de la nationalité, et ne peut en aucun cas décider que telle personne a la nationalité d'un autre Etat. 23 AUDIT (BERNARD), Droit International privé, 2ème édition économica, Paris, 1997 (P 241 et Suivantes). Par ailleurs, lors de la détermination des conditions d'accès et de perte de la nationalité, les Etats doivent tenir compte tout d'abord de la conjoncture socioéconomique (section I), et ensuite de la conjoncture politique interne (section II). 24 ZOUGAGHI (Ahmed), « Les jugements du droit international privé, tome I, la nationalité», édition Dar Toubkal, Casablanca, 1992. Section I : La conjoncture socio-économiqueAu sein du débat relatif à la nationalité et les facteurs qui influencent sa politique, la conjoncture socio- économique est la pierre angulaire du sujet. En effet, on distingue deux types de politique de nationalité, d'un côté, celle des pays en voie de développement, dits pays d'émigration ayant comme particularité la surpopulation due à un taux de fécondité très élevé et qui a pour conséquence un taux élevé de chômage et de pauvreté, comme c'est le cas de la politique marocaine, algérienne et tunisiennes (A), et d'un autre côté, celle des pays industrialisés, qu'on peut également appeler «pays d'immigration». Ces pays souffrent, à la différence des précédents, d'un taux de fécondité très bas, et par conséquent, du vieillissement de leurs populations, et font donc appel à une main d'oeuvre étrangere tel est le cas de la France et de tous les pays d'Europe occidentale dits pays se situant sur la rive nord du bassin méditerranéen (B). I. A. Le cas des trois pays du Maghreb : Un pays de forte nationalité comme c'est le cas du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie et de la plupart des pays de la rive sud du bassin méditerranéen aura tendance à fermer sa nationalité afin de ne pas multiplier les nationaux, si du moins la démographie lui pose des problèmes économiques et sociaux aigus25. Le jus soli s'il est admis n'aura qu'une place réduite, à titre d'exemple, l'article 7 du code de la nationalité marocaine relatif à la nationalité par naissance au Maroc prévoit : « est marocain :
25 MOULAY RCHID. A, « Doit International Privé », Université Mohamed V, Faculté de Sciences Juridiques Economiques et Sociales, Suissi, Rabat, 1999, 2000, page 9. Cela démontre clairement que la nationalité marocaine est basée sur le jus sanguinis, tandis que le jus-soli occupe une place très réduite. Or, cette situation est normale, vu que le Maroc figure parmi les pays d'émigration, sa population est en croissance continue à l'instar des pays de la rive sud du bassin méditerranéen en général, et ceux du Maghreb en particulier. Cette population pourrait être plus élevée si le Maroc n'avait pas perdu quelque 3 Millions d'habitants en 25 ans (départ des étrangers, des juifs et de nombreux marocains musulmans). Le Maghreb comptait plus de 70.000.00026 d'habitants en 1997. Sa population, très inégalement répartie, était essentiellement concentrée au Maroc dont la population a été estimée en 200227 à 30.000.000 d'habitants, et en Algérie. La Tunisie arrivait loin derrière suivie de la Libye et de la Mauritanie. La population a augmenté rapidement dans les trente dernières années, atteignant plus de 3 p .100 de croissance démographique par an entre 1960 et 1990. Ces tendances démographiques ont suscité une énorme demande au niveau des services : éducation, santé, logement, Au Maroc à titre d exemple, 250.000 nouveaux demandeurs
d'emploi sont arrivés 27 Maroc population, www.bibliomonde.com, le 29/10/2003. etaient sans emploi. Ainsi, une situation identique n'a fait qu'exacerber les problèmes politiques en Algerie28. Cette situation demographique a incite un très grand nombre de maghrebins à emigrer en Europe occidentale en general et en France en particulier, renforçant les craintes, au sein de l'Union Européenne (U.E), d'une immigration incontrôlée. En France par exemple oil les ressortissants africains representent constamment plus de la moitie des acquerant de la nationalite française denombres chaque annee, 80% d'entre eux sont originaires du Maghreb29. Au Maroc où l'immigration est tres limitée est surtout le fait d'africains migrant vers l'Europe et qui ne sont que quelques milliers aujourd'hui. En dehors de cette categorie de personnes, le nombre d'étrangers installés au Maroc ne fait que diminuer, la preuve est qu'en 1952, on comptait 500.000 français installés au Maroc, alors qu'ils ne sont que de 28.000aujourd'hui30. Le Maroc est donc un pays d'émigration à l'instar des pays du sud de la mediterranee, et donc un pays qui « exporte » la main- d'oeuvre vers les pays industrialisés, en l'occurrence les pays membres de l'Union Européenne ainsi que les pays producteurs de petrole. La diaspora marocaine s'estime à 2,5 millions de personnes dont environ : 800.00031 en France, 300.000 aux pays bas, 220.000 en Belgique, 28 Auteur anonyme, Le Maghreb, www.afcom.org/ Doc_illustration/Afrique/Maghreb.htm. 29 LEBON (André), « Migration et nationalité en France en 1998 », Ministère de la Solidarité, Direction de la Population et des Migration, décembre, 1999, page 48. 30 Ibid. 31 84EMIVONTREqDUM,WSMRONSTRUMUMMEICRuq, dIVBIcp SEUI CIIIMERn CeA TIIfaires consulaires et IRFIDF CII5 IMNInCis IXRDITFFBNP 112mtup Sal l4I 1 6( ( WIDUITHCuUINEHARP rP HSpURCHCRM101 chiffre de 504.096. 22.000 en Italie, 110.000 en Allemagne, ~ Les ressortissants marocains sont aussi présents dans de nouveaux pays d'immigration tel que l'Espagne où le nombre de marocains a remarquablement augmenté ces dernières années (près de 40.000 illégaux en juillet 2004). Le Maroc a mis en place un projet intitulé « Agence nationale à l'internationale » dont le démarrage est prévu pour le mois d'octobre 2005. Son but est de « valoriser les travailleurs marocains à l'étranger »32. Financé par la commission européenne et l'ANAPEC (Agence nationale de promotion de l'emploi et des compétences), il a aussi comme objectif d'appuyer les institutions marocaines dans la structuration de la circulation légale de personnes à la fin de travail vers les pays de l'union européenne. En plus, le Maroc a signé des accords de main-d'oeuvre avec certains pays du nord à la fin des années 60, il a conclu d'autres avec des pays producteurs du pétrole (exemple : Maroc /Arabie Saoudite, et Koweït )33. Le nombre de marocains dans les pays arabes s'élève 231.96234, ces derniers résident essentiellement en Libye, en Algérie, au Koweït, au Bahreïn, en Arabie Saoudite, et aux Emirats arabes Unies. Le continent américain, quant à lui, absorbe un nombre de 155.432 personnes ayant la nationalité marocaine comme nationalité d'origine installée principalement au Canada et aux USA. La présence marocaine est moins fréquente en Afrique (5.355 personnes de nationalité marocaines), principalement établis au Sénégal, en Cote d'Ivoire, et au Mali. 32 BOUZBOUZ (Lamia), « valoriser les travaileurs marocains en Europe », in LA GAZETTE DU MAROC, n° 418, 2 mai 2005. 33 M'chichi Aalami, (Houria), « Migration clandestine et logique étatique », in Migration clandestine enjeux et perspectives, AMERM, Imprimerie papeterie Al Karam, Rabat, 2000. Par ailleurs, quelques 527 marocains vivent en Asie et en Océanie35. Selon le professeur BELGENDOUZ, les statistiques fournies du coté marocaines ne sont pas toujours identiques à celle données par les pays d'immigration, qui retranchent de plus en plus au niveau de leurs méthodes de calcul. Selon les statistiques des pays concernés, on peut avancer qu'en France, on estimait en 1999 à 222.028 et à la date des élections régionales de mars 2004, le chiffre des binationaux atteignait 427.000 personnes sur un total de 1.125.000 d'origine marocaine. La nationalité marocaine telle qu'issue du dahir du 6 septembre 1958 portant code de la nationalité prend en considération trois principes de base qui sont :
En un mot, la naturalisation des personnes non- marocaines n'est pas rentable pour le Maroc, l'Algérie ou la Tunisie sauf pour le cas des personnes dont on ne peut douter de leur allégeance ou celles ayant introduit une industrie ou une invention importante pour le pays ou au propriétaire ou directeur d'un important projet économique, en principe dans l'intérêt du pays. 34 BELGUENDOUZ (Abdelkrim), « MRE Quelle marocanité », imprimerie Beni Snassen, Salé, 2004, page 15. I. B. Le cas de la FranceComme tous les pays d'immigration d'Europe occidental, la France a pris en compte le facteur migratoire dans ses reformes du droit de la nationalité depuis 1980, car le lien entre présence d'une immigration installée et ouverture du droit de la nationalité est récent en Europe, bien que certains pays comme la France soient des pays d'immigration ancienne. Notamment parce que la France manquait de main d'oeuvre, elle a connu plusieurs vagues de migrants et d'immigrants dont les origines ont varié : d'abord le maçon de Creuse36 vers Paris au milieu du XIXème siècle, l'étranger était alors celui qui n'est pas du «coin », puis les Européens et enfin, ceux d'origine plus lointaine37. La longue tradition d'immigration qui caractérisait ce pays est due à la baisse de sa fécondité qui a débuté depuis le milieu du XVIIème siècle. Il en résultait une faible croissance démographique. La main-d'oeuvre devenait insuffisante pour un pays qui s'industrialisait sans pouvoir utiliser massivement la population rurale. Dans la seconde moitié du XIXème siècle, la France était ainsi déjà un pays d'immigration. La législation sur la nationalité, en alliant droit du sol et droit du sang, avait d'ailleurs pris en compte la contribution des étrangers au peuplement du pays. La position de la France contrastait avec celle de la plupart des autres pays européens, qui connaissait fécondité élevée et émigration. Cette dissemblance a duré jusqu'à la seconde guerre mondiale. La période qui se situe entre 1962 et 1964 s'ouvre avec la conclusion des accords d'Evian le 19 mars 1962et s'achève par la signature du premier accord algéro- français de main d'oeuvre le 10 avril 1964. Une année auparavant, deux autres conventions de main d'oeuvre ont été signées : La première entre le Maroc et la France, le 27 juillet 1963 Et la seconde entre la France et la Tunisie le 15 octobre 1963. 36 Creuse : département français de la région Limousin. 37 Ibid. De façon schématique, on peut dire que la population des acquérant de la nationalité française est la traduction avec un décalage dans le temps, de l'évolution de la population étrangère en France. Tout au long du XXème siècle, les personnes ayant acquis la nationalité française se sont diversifiées. Jusqu'en 1960, il s'agissait quasi- exclusivement d'Européens et la plupart provenaient des pays limitrophes comme l'Italie et la Belgique. Actuellement, les Européens, même s'ils ne sont plus majoritaires sont encore plus nombreux et les portugais représentent encore 5%38 des personnes ayant acquis la nationalité française en 1999. Déjà en 1996, la population immigrée a atteint 3.600.000 individus, c'est à dire 6,43% de la population totale de la France. En 1931, le pourcentage était de 6,75. Il y a donc proportionnellement moins d'étrangers en France aujourd'hui qu'il y a 73 ans. En 1997, on comptait 100.000 immigrés par an, c'est un chiffre qu'aucun ministère n'a osé publier, d'après Jean Louis Bianco et ses complices39. D'un autre côte, le nombre d'acquisitions de la nationalité française est resté assez stable depuis une dizaine d'années, situé autour de 10.000 nouveaux français chaque année40, tout mode d'acquisition confondu. Pendant longtemps, ce chiffre a d'ailleurs égalé celui des nouvelles entrées légales, rendant très stable le nombre d'étrangers en France, situé autour de 3,5 millions. D'une manière générale, la nationalité paraît dans le discours politique, souvent comme une notion sacrée. La législation sur les conditions d'attribution ou
d'acquisition peut varier fortement 38 - Direction de la Population et des Migrations, « comment devenir français ? Evolution des nationalités d'origine des acquérant de la nationalité française », novembre 2002. 39 BIANCO (Jean Louis) et autres, « De l'immigration à l'intégration », collection repérages, édition Club du Mardi / Actes Sud, 1997, (Lieu d'édition non mentionné). 40 WIHTOL de WENDED (Catherine), « Immigration et nationalité en France », in Migration Société, Volume 14, n° 18, mars- avril 2002. ainsi en relief la relativité de la notion de «nationalité ». Cependant, au-delà des différences des cultures, des traditions nationales qui demeurent fortes, la convergence des circonstances entraîne des convergences d'évolution dans les législations. Toutes sont faites d'un mélange de droit de la filiation et de droit de la résidence dans des proportions variables en fonction des conditions. En conclusion, on peut dire que dans les pays d'immigration où le nombre élevé de personnes et la croissance démographique ne cessent de poser des problèmes socioéconomiques comme c'est le cas du Maroc, le droit du sang règne de façon presque exclusive, tandis que dans les pays d'immigration comme c'est le cas de la France, le droit du sol joue, en général, un rôle plus important, mais qui peut cependant être réduit lorsque la population étrangère devient relativement plus nombreuse. Ainsi, comme le constatent Paul ORIOL et Pedro VIANA41: « Les circonstances démographiques ayant beaucoup changé depuis la seconde guerre mondiale, les législations n'avaient pas bougé, quelquefois, depuis longtemps, ont été récemment modifiées à plusieurs reprises de façon à répondre aux nouveaux besoins. ». En outre une tendance à l'équilibre entre droit du sol et droit du sang peut être réservée dans les pays d'immigration comme la France42. 41 ORIOL (Paul) et VIANA (Pedro), « Nationalité : législation de circonstance ? », In Migration Société, volume 14, No 80, Mars-Avril 2002, pp. 133-136. 42 TAIEB (Eric), « Immigrés, l'effet génération », 2dition ouvrière, Paris, 1996, pages 6 et 7 |
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