INTRODUCTION GENERALE
L'étude de la politique de défense et de
sécurité du Cameroun donne à lire une contradiction entre
le concept stratégique de défense et la doctrine d'emploi des
forces. Le concept stratégique de défense camerounais a
été formulé aux lendemains des indépendances. Cette
formulation est inhérente aux préoccupations sécuritaires
et politiques qui travaillaient les élites postcoloniales et l'ancienne
métropole coloniale, à savoir : le mouvement
Upéciste1. Le concept stratégique camerounais
de « défense populaire » procède à la fois de
l'environnement stratégique (dissuasion à l'égard du
Nigéria) et des conduites sociopolitiques qui ont mu les pouvoirs
publics sous le premier régime: l' « ordre et la
sécurité publics ».2
La défense populaire se définit comme « la
symbiose entre l'armée et le peuple pour faire face aux menaces contre
la nation. Cela implique des rapports harmonieux entre l'armée et les
populations qui devront en constituer les supports
permanents».3 Sauf que, historiquement, les forces
armées camerounaises ont été essentiellement un instrument
de répression des populations. Elles ont été la roue de
secours d'un pouvoir impopulaire et ont sévi plusieurs fois contre les
populations. La socioanalyse des forces armées camerounaises permet de
constater une fracture interne entre l'armée régulière et
les forces spéciales directement placées sous le contrôle
du président de la République.
En effet, le champ de la défense et de la
sécurité d'après le 06 avril 1984 est marqué au
Cameroun par la prééminence du fait présidentiel. La
présidentialisation de la défense et de la sécurité
s'accompagne de la création de deux corps d'élites : la GP qui
remplace la GR en 1985 et le BIR qui remplace le BLI en 2001. Pour comprendre
le fonctionnement de ces corps, il faut faire la sociologie de la politique de
défense et de sécurité du Cameroun; de même, pour
faire la sociologie de la PDSC, il faut comprendre l'« État au
Cameroun ».4 Le BIR et la GP constituent la clef de voûte
de la PDSC sous le second régime. Ils sont inhérents
1 L'armée camerounaise, créée
par ordonnance n°59/57 du 11 novembre 1959 portant création de
l'armée camerounaise et organisation générale de la
défense, va s'atteler durant les dix premières années
marquant sa naissance à combattre les nationalistes appartenant à
l'Union des Populations du Cameroun. Le mouvement Upéciste
réclame la « vraie » indépendance du Cameroun et le
départ des colons ainsi que des élites néocoloniales. Lire
MBEMBE Achille, La naissance du maquis dans le sud du Cameroun : 1920-1960,
histoire des usages de la raison en colonie, Paris, Karthala, 1996.
2 BELOMO ESSONO Chantal Pélagie, « L'ordre
et la sécurité publics dans la construction de l'État au
Cameroun », Thèse de doctorat en science politique, IEP de
Bordeaux, 6 février 2007.
3 BIYA Paul, Discours à l'occasion de la sortie
de la promotion « Rigueur et Moralisation » de l'EMIA, 09 novembre
1985.
4 BAYART Jean-François, L'État au
Cameroun, Paris, PFNSP, 1985.
au « renouveau »5, et parachèvent
la transmutation du système étatique camerounais post-6 avril
1984. Ils ne sont pas seulement au coeur du dispositif de
sécurité et de défense du Cameroun, ils sont le dispositif
de sécurité et de défense du Cameroun et
matérialisent la « Présidence
impériale»6 comme « ontologie »7 et
« téléologie »8 de la sécurité
et de la défense au Cameroun.
I- Contexte de l'étude
Pour ce travail, le contexte joue un rôle essentiel,
dans la mesure où l'essentiel de notre analyse suit le mouvement
historique de réorganisation du système étatique et du
système de défense camerounais. Trois aspects du contexte peuvent
être retenus : le contexte politique, le contexte socioéconomique
et le contexte sécuritaire et de défense.
A- Le contexte politique
Le contexte politique camerounais permet de comprendre la
place du BIR et de la GP dans le dispositif de sécurité et de
défense camerounais. A partir de la tentative de coup d'État du
06 avril 1984, le champ politique camerounais a connu un recentrage, qui place
la présidence au coeur de la production politique. Le repositionnement
présidentiel dans le jeu politique commande l'univers des possibles
politiques camerounais. Le parti au pouvoir, RDPC, occupe certes une place
importante de la vie politique (162/180 à l'assemblée nationale);
mais, en réalité, la personne du président transcende ce
parti.
Ce contexte politique est également marqué, au
plan national, par la réforme constitutionnelle d'avril 2008 et d'avril
2011, les modifications sur la loi électorale et l'organe en charge des
élections (ELECAM), et les échéances électorales
d'octobre 2011. Au plan international, le contexte politique est marqué
par les révolutions arabes, les récents évènements
en Côte d'Ivoire, en Lybie et au Burkina Faso et la multitude
d'élections qui auront lieu en Afrique.
5 Le Renouveau constitue le slogan politique du
Président camerounais dès 1982. Il signifie la rupture avec la
politique du régime AHIDJO.
6 OWONA NGUINI Mathias Éric, « Les
gouvernements perpétuels en Afrique centrale : le temps politique
présidentialiste entre autoritarisme et parlementarisme dans la CEMAC
», in Enjeux géopolitiques en Afrique centrale, Paris,
L'Harmattan, 2010, p.p. 255-268.
7 BELOMO ESSONO Chantal Pélagie, Op.
cit., 2007.
8 Ibidem.
B- Le contexte socioéconomique
L'analyse de la politique de défense et de
sécurité nationale est indissociable du contexte de
précarité socioéconomique dans lequel elle se
déploie. Le Cameroun sous le second régime commence par la
sévère crise économique de la fin des années 80. La
dégradation économique au début des années 90
n'entraîne pas qu'un recul du PNB global et par tête d'habitant. La
paupérisation de la société qui va suivre est totale et
« anthropologique ».9 La paupérisation
pénètre tous les corps de la société. Le concept
stratégique de défense populaire et la PDSC sont affectés
par la minceur des moyens dont dispose l'État. La paupérisation
entraîne, au niveau de la défense, le maintien du concept de
défense populaire, la précarisation du soldat, du gendarme et du
policier. Il ne s'agit pas d'une précarisation salariale, mais de la
précarisation de la formation, des matériels et des
équipements de l'armée. La paupérisation est
anthropologique, parce qu'elle pénètre le corps social. Le
paradigme néopatrimonial10 permet de cerner le
caractère total de la précarisation sociétale. Le concept
Mvengien de paupérisation anthropologique permet de cerner les logiques
« prétoriennes »11 et d'absorption de
l'État. Le contexte socioéconomique donne à lire
l'institution des forces armées comme un refuge contre la
pauvreté, ce qui se traduit par une croissance
accélérée des effectifs des forces de défense et de
sécurité et une profusion des candidats aux concours de l'EMIA et
de la police.12
C- Le contexte sécuritaire et de défense
Le contexte sécuritaire et de défense est
marqué par la prééminence du dispositif
sécuritaire-présidentiel dans la politique de défense et
de sécurité du Cameroun. Hormis les trois périodes de la
rébellion (1955-1958, 1960-1966, 1967-1968) et la gestion du conflit
périphérique de Bakassi (1993-2008), les forces armées ont
essentiellement servi aux fins répressives et de maintien de l'ordre et
de la sécurité publics. Deux évènements marquent le
parcours sécuritaire et de défense du Cameroun. D'abord, le coup
d'État manqué du 06 avril 1984 qui constitue le premier moment de
la présidentialisation sécuritaire, avec la dissolution de la
garde républicaine et la création de la garde
présidentielle. Ensuite, les évènements du
9 MVENG Engelberg, Paupérisation et
développement en Afrique, Paris, Karthala, 1992.
10MEDARD Jean-François, L'État
sous-développé en Afrique noire : clientélisme politique
ou néopatrimonialisme, CEAN, Institut d'Études Politiques de
Bordeaux, 1981.
11 HUNTINGTON Samuel Pierre, Le choc des
civilisations, Paris, Odile Jacob, 2000.
12 FENKAM Frédéric, Les
révélations de Jean Fochivé. Le chef de la police
politique des présidents Ahidjo et Biya, Paris, Éditions
Minsi, 2003.
28 février 2008 qui ont permis au BIR de s'illustrer
comme forces de dernier secours dans la défense des édifices
présidentiels et le maintien de l'ordre public.
En général, le contexte sécuritaire et de
défense est celui de la montée de l'insécurité et
de la fragilisation de la défense camerounaise au profit du «
surinvestissement sécuritaire présidentiel ».13
Les « clivages »14 au sein de l'armée entre les
forces spéciales et l'armée classique; et l'étiolement du
lien armée-nation caractérisent le contexte sécuritaire et
de défense. Les cas de bagarres entre les forces de l'ordre et
d'incivisme se multiplient. Le contexte sécuritaire/défense est
aussi celui de l'embourgeoisement des hauts gradés de la défense
et la sécurité, et la prolifération des unités
d'élites.
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