2.3 Les
facteurs de la pauvreté rurale
La pauvreté rurale tient à divers facteurs:
l'augmentation de la population rurale, la lente expansion de l'agriculture, la
dégradation des terres cultivées, la détérioration
des ressources naturelles, l'inégalité de la répartition
des terres, le fractionnement des petites exploitations agricoles, les effets
indirects de la modernisation et de la technicisation de l'agriculture, et
l'urbanisation.
De plus, la situation des pauvres des régions rurales
est encore aggravée par la rareté ou l'inexistence des services
publics élémentaires: éducation, assistance
médicale, approvisionnement en eau potable, voirie,
électricité, etc.; à cela s'ajoute la carence ou le
défaut de l'infrastructure physique rurale: routes et autres moyens de
communication.
Parmi les facteurs qui ont contribué à empirer
la situation de pauvreté et de misère de la population rurale, il
convient également de mentionner la fréquence des
désastres naturels. Parmi les exemples récents de
désastres importants on peut citer les inondations, la
sécheresse, les ouragans et les tremblements de terre.
Ce bref aperçu peut donner une idée de
l'ampleur des dommages causés par les catastrophes naturelles qui ont
non seulement détruit les cultures, le bétail et les logements,
mais entraîné également des pertes de vies humaines,
condamné à la faim et à l'exode des milliers de paysans et
laissé des séquelles qui n'ont pas encore été
effacées.
Tous ces facteurs aggravent le chômage et la
pauvreté dans les campagnes et accélèrent les migrations,
aussi bien vers d'autres pays que vers les villes, où beaucoup de
migrants viennent grossir les rangs des chômeurs et des travailleurs
sous-employés et, dans le meilleur des cas, trouvent certains types
d'emplois dans le secteur non structuré.
Ces facteurs ainsi que d'autres que l'on examinera plus tard
aggravent la pauvreté dans les campagnes.
2.4
Caractéristiques de la pauvreté rurale
La mauvaise santé, le manque d'éducation et la
dénutrition sont des caractéristiques fondamentales communes aux
couches pauvres des populations rurales dans tout le territoire national.
Pourtant, même parmi les pauvres, il existe souvent des
différences marquées dans les niveaux de nutrition, de
santé et d'éducation. Pour cette raison, nous examinons ici les
caractéristiques évidentes de la pauvreté. La terre
étant la base de la production vivrière, du revenu et de
l'emploi, et contribuant à donner accès aux services
éducatifs et aux services de santé, le manque de terre et le
régime foncier est lié à ces caractéristiques.
Alimentation et pauvreté
La nourriture étant biologiquement indispensable
à la survie de l'homme, la ration alimentaire est un critère
essentiel pour l'évaluation de la pauvreté. Toutefois, la
dénutrition est plus qu'un simple problème de ressources
vivrières. Les pauvres ne sont tous sous-alimentés, mais les
sous-alimentés sont toujours pauvres. Dans un ménage disposant de
ressources vivrières suffisantes, certains membres peuvent souffrir de
la faim. L'état nutritionnel résulte d'un ensemble complexe de
facteurs alimentaires et autres. Par conséquent, l'état
nutritionnel est lié non seulement au revenu et aux ressources
vivrières mais également à un grand nombre de facteurs
sociaux et écologiques, tels que les possibilités d'accès
aux soins de santé, au logement, à un approvisionnement en eau
potable, à l'hygiène et au combustible. D'après certains
constats, les femmes sont plus exposées à la dénutrition
que les hommes. Les indicateurs les plus évidents de cette
dénutrition chez les femmes adultes sont l'anémie et le poids peu
élevé des nouveaux-nés.
La terre étant le principal facteur productif qui
détermine la répartition du revenu et de ce fait l'accès
à la nourriture dans les zones rurales, il s'ensuit logiquement que
l'alimentation des paysans de ces zones est étroitement liée au
statut foncier et à la dimension de l'exploitation. Cette assertion se
trouve confirmée dans les enquêtes nutritionnelles qui montrent
que la dénutrition est largement concentrée chez les paysans sans
terre, les métayers, les très petits exploitants et les petits
pêcheurs.
Les fluctuations saisonnières de la production
alimentaire représentent un autre facteur de dénutrition, en
particulier chez les paysans sans terre et les petits cultivateurs. Il a
été clairement démontré que dans de nombreuses
zones rurales, la faim s'intensifie au cours des mois précédent
la nouvelle récolte, lorsque les réserves alimentaires sont
maigres, les prix de la nourriture élevés, et que le travail
agricole exige un apport énergétique plus élevé. Au
cours de cette période, les adultes perdent jusqu'à un
dixième de leur poids, les taux de mortalité infantile atteignent
un maximum, et la maladie est répandue. Les familles pauvres et sans
terre dont le chef est une femme, ou celles ayant de nombreux enfants à
charge sont particulièrement vulnérables.
Dans certaines circonstances, il y a
détérioration rapide de l'accès précaire des
paysans pauvres à la nourriture, dont la conséquence
désastreuse est la famine. Les pauvres sont particulièrement
exposés à l'insécurité alimentaire et au risque de
famine, car le peu de ressources dont ils disposent ne leur permet pas de faire
face aux successions d'infortunes ou à une catastrophe exceptionnelle.
De plus, la famine - forme extrême d'insécurité alimentaire
- peut engendrer une pauvreté permanente.
L'insécurité alimentaire implique des carences
réguliers ou des fluctuations temporaires dans l'approvisionnement des
aliments de base nécessaires pour maintenir un niveau de consommation
suffisant. La raison majeure en est généralement une chute de
production due à des catastrophes naturelles ou d'origine humaine. Au
niveau du ménage rural, qui est le principal objet de la présente
étude, cette diminution de la production résulte de mauvaises
récoltes et de pertes de cheptel, d'une hausse des prix des engrais et
des pesticides, cultures commerciales, salaires et services, et d'une
réduction des possibilités d'emploi. Il y a famine lorsque des
déficits vivriers graves, dus à des défaillances de
marché ou de production, aboutissent à une pénurie
générale. Ainsi, les victimes étaient ceux qui disposaient
de peu de ressources et occupaient des emplois mal
rémunérés. Beaucoup de ces victimes, affaiblies par la
dénutrition, meurent de maladies qui se propagent rapidement.
D'après certains constats, même lorsque
l'approvisionnement alimentaire est suffisant, les ménages qui n'ont pas
les ressources suffisantes pour acheter de la nourriture, peuvent mourir de
faim.
La famine peut engendrer ou augmenter la pauvreté
permanente, car ses victimes perdent leurs biens et leurs sources de revenus
par suite de la décimation du cheptel, de la destruction des arbres et
de l'infrastructure physique, de la vente forcée des avoirs en
période de détresse, et des dettes. Il s'ensuit
généralement une augmentation du nombre de personnes vivant
au-dessous du seuil de pauvreté (à moins, toutefois, qu'il n'y
ait un grand nombre de décès parmi les plus faibles).
La relation entre la pauvreté et la nutrition est
claire. La dénutrition est répandue parmi les plus pauvres de la
population rurale et constitue un indicateur évident de leur niveau de
pauvreté. Mais, même parmi ces gens, il y a des différences
marquées dans la ration calorique selon le groupe d'âge et le
sexe, entre les ménages et au sein des familles. En
général, la dénutrition se rencontre le plus souvent chez
les travailleurs sans terre, les communautés de petits pêcheurs et
les femmes. Une autre conclusion est que l'état nutritionnel est
régi par le niveau général de développement
économique. Lorsque des désastres naturels ou d'origine humaine
engendrent soudain des pénuries alimentaires graves, les pauvres sont
les premiers à en souffrir et les premiers à mourir de faim.
Santé et pauvreté
La mauvaise santé est une autre caractéristique
de la pauvreté dans les zones rurales. Elle ôte aux individus une
partie de leur énergie productive, réduit les revenus des
familles et empêche les enfants de tirer pleinement parti des bienfaits
de l'instruction.
De nombreux facteurs sont liés à l'état
de santé, le principal d'entre eux étant la nutrition. Outre
qu'elle fournit les matériaux de construction du corps humain, la
nutrition détermine également l'aptitude de l'individu à
se défendre contre la maladie. Les personnes souffrant de
dénutrition sont donc les plus exposées à tomber malades
ou mourir de maladie. On ne peut en trouver de preuves plus tragiques que le
taux élevé de mortalité due à des maladies telles
que tuberculose, pneumonie, méningite, hépatite et
diarrhée parmi les victimes de récentes famines. La
dénutrition chez les enfants est également associée
à un taux de mortalité élevée provoquée par
des maladies courantes chez les enfants.
La situation sanitaire dans les zones rurales témoigne
que la majorité de la population rurale est loin d'avoir accès au
bien être. Le manque d'hygiène est absolu, général.
Les paysans n'ont, en général, pas accès au centre de
santé à cause de leur faible niveau de revenu. En
général, les centres de santé n'ont pas de personnel
qualifié et d'équipement adéquat. Les paysans des sections
rurales reculées doivent accomplir de longs trajets pour se faire
soigner.
Education et pauvreté
Le manque d'instruction est étroitement lié
à la pauvreté rurale. Les enfants issues des familles pauvres
n'ont en général pas accès à l'école. Ce
triste constat s'explique d'une part par le faible niveau économique des
parents et, d'autre part, par la faible capacité d'accueil des
écoles. Souvent, les coûts d'opportunité sont tels que
l'école, même gratuite, est inabordable pour certaines familles.
Les parents se heurtent au problème que pose l'achat des uniformes, des
livres de classe et autres fournitures.
L'analphabétisme est quasiment général
dans les campagnes. La grande majorité des chefs de ménages ne
savent ni lire ni écrire. Ce qui aggrave leur situation et provoque un
taux plus élevé de mortalité infantile et
juvénile.
Cependant, les écoles des bourgs, et en particulier
les écoles congréganistes, attirent les fils et filles des
paysans un peu aisés. On y voit, chaque année, pour la
rentrée, une affluence considérable, de pressantes
sollicitations, de nombreuses demandes d'inscription qu'il faut rejeter faute
de place.
Enfin, l'école rurale n'est souvent qu'une construction
rudimentaire, dépourvue de tout matériel et incapable de faire
face au besoin de la population.
Jusqu'ici nous avons étudié
séparément chacune des caractéristiques de la
pauvreté. Mais dans la vie des paysans pauvres l'état de
nutrition, de santé et le degré d'instruction sont intimement
liés.
Pour lutter contre la pauvreté, il faut donc
nécessairement prendre en compte l'analyse des processus qui
l'engendrent. De ce fait, pour mieux cerner les aspects particuliers de la
pauvreté dans les sections communales de Jean Rabel, analysons d'abord
les mécanismes qui en sont responsables plus directement.
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