L'enseignement au Congo - Brazzaville : entre crise identitaire et refondation socio-culturelle( Télécharger le fichier original )par Claude-Ernest KIAMBA Université Catholique d'Afrique Centrale Yaoundé - Doctorat 2009 |
L'enseignement au Congo - Brazzaville : entre crise identitaire et refondation socio-culturelle Docteur Claude - Ernest KIAMBA1(*) IntroductionAvec la libéralisation du jeu politique à partir de 1990, le Congo avait été classé parmi les bons élèves de la démocratie en Afrique : « Le Congo est l'un des 16 pays qui ont connu une transition démocratique conclue par des élections et l'alternance au pouvoir : un nouveau parti et un nouveau président. Ces seuls critères lui permettent de figurer dans la catégorie avantageuse des expériences achevées où il se trouve en compagnie de pays tels que le Bénin et la Zambie, ou encore le Mali et le Malawi »2(*). Mais cette transition avait connu des difficultés : « L'achèvement relativement précoce de la transition congolaise ne doit pas conduire à négliger le caractère profondément conflictuel et éclaté du champ politique. Il en découle une contrepartie structurelle qui est la difficulté des grands hommes à imposer durablement leur autorité sans recourir à la coercition, qu'ils soient au pouvoir ou dans l'opposition »3(*). Ces problèmes avaient eu des effets directs sur différents secteurs sociaux, dont l'éducation4(*). L'Etat avait pris l'engagement de le réformer en tenant compte aussi bien de son adaptation au contexte socioculturel local, des recommandations de la Conférence Nationale Souveraine (C.N.S) de 1991 que des différentes lois d'orientation scolaire, dont la loi n°25-95 du 17 novembre 1995 modifiant celle n°008/90 du 6 septembre 1990. Cette étude portera, d'abord, sur la situation de l'enseignement et la question de sa neutralité politique (1). Il s'agira, ensuite, de l'exigence de sa restructuration face à la persistance de la crise socio-économique (2). Enfin, on analysera la réhabilitation de l'enseignement et les difficultés d'appropriation des réformes (3). 1. L'enseignement et le nouveau contexte socio-culturel et politique La dépolitisation de l'enseignement au Congo, considérée comme un sujet tabou à l'époque du Parti Congolais du Travail (P.C.T), avait fait l'objet de multiples débats pendant la C. N.S. Cette dépolitisation était liée, d'une part, à la nécessité de redynamiser le système éducatif ainsi qu'à l'urgence de son arrimage avec les nouvelles réalités culturelles et économiques nationales; d'autre part, elle marquait la fin d'une époque où l'initiative privée avait été soumise à la seule raison d'État. Pour saisir ces enjeux, il faut étudier l'impact de ces mutations sur le corps social. L'analyse des facteurs ayant contribué à la revalorisation des initiatives autonomes de la jeunesse permet d'en rendre compte. L'analyse des raisons ayant conduit à la fermeture de l'École Supérieure du Parti explique aussi ces mutations.
Au début de l'année 1990, la situation politique au Congo avait été caractérisée par la remise en cause du régime socialiste en inadéquation avec les réalités culturelles congolaises. Grâce aux tensions sociales, la libéralisation du jeu politique avait été enclenchée et le moment le plus important fut celui de l'organisation par la Confédération Syndicale Congolaise (C.S.C), du 7 au 11 septembre 1990, de son VIIIè Congrès au cours duquel l'idée de la C.N.S avait été émise. C'était le moment de la rupture des évidences politiques et culturelles, avec la déclaration d'indépendance du syndicat vis-à-vis du P. C. T, l'exercice de la démocratie intégrale, le retrait du projet de loi sur l'abaissement de l'âge de la retraire à 50 ans, le déblocage des avancements, des reclassements, la révision de la situation administrative avec des effets financiers, la négociation des conventions collectives. Réticents au départ, les acteurs politiques avaient cédé sous la pression des syndicalistes. Ce qui montre que la grève est un moyen essentiel pour la remise en cause de l'ordre politique, car elle permet l'inversion symbolique du rapport politique ordinaire et met en scène des acteurs dans différents champs. Ainsi, la direction du P.C.T avait fait volte face et s'était réunie en session extraordinaire du 28 au 30 septembre 1990, en décidant d'instaurer le multipartisme et de dissoudre ses cellules idéologiques au sein des établissements scolaires. Le rôle assigné à la jeunesse, longtemps considérée comme une avant-garde idéologique au sein du parti, a été remis en cause. Ce qui avait permis aux élèves et étudiants de recouvrer le droit d'adhérer à n'importe quel mouvement politique, sans être inquiétés par la culture de répression naguère utilisée comme un moyen d'intimidation des masses populaires. Avec ces mutations, le statut de l'école avait changé au point où elle n'était plus considérée comme un simple outil servant à la glorification des « héros » du parti. On passait ainsi de « l'École du Peuple » uniformisante, populaire et gratuite à l'école démocratique de l'ajustement structurel, ouverte et payante. Les associations d'élèves et étudiants, au même titre que les syndicats affiliés à la C.S.C, avaient joué un rôle de catalyseur dans la lutte pour la libéralisation politique au Congo. A l'université Marien Ngouabi, par exemple, cette époque avait été marquée par la récurrence des grèves des étudiants et des enseignants. Ce qui démontre que les mobilisations des enseignants et des étudiants présentent quelques caractéristiques que l'on retrouve rarement dans d'autres groupes sociaux. Les enseignants et étudiants ont des revendications claires et leurs mouvements sont souvent bien structurés. Aussi, l'enseignement supérieur au Congo a toujours évolué dans un contexte très politisé. Mais ces caractéristiques ne suffisent pas ici à expliquer la crise de l'enseignement. Il y a également la paupérisation des enseignants et des étudiants liée aux facteurs économiques. 1.2. La fermeture de l'École du Parti et la dépolitisation de l'enseignementLa réforme de l'université au Congo a longtemps été différée à cause de la prééminence de l'École du Parti qui avait pour mission de former les cadres dont le P.C.T avait besoin pour sa propre survie. La réforme de l'enseignement était d'autant plus urgente que la coexistence de ces deux structures de formation avait contribué à une véritable confusion dans la manière de gérer l'enseignement au niveau du supérieur. La réforme était nécessaire car, selon le Président Marien Ngouabi, « L'université de Brazzaville devra nécessairement refléter notre option : voilà pourquoi dans les meilleurs délais, le marxisme-léninisme sera enseigné dans toutes les facultés sans exception »5(*). Cette coexistence posait le problème de leadership entre ces deux institutions, car les cadres politiques formés6(*) à l'École Supérieure du Parti avaient plus de considération que les autres cadres justifiant d'un cursus universitaire conforme aux normes académiques. La décision de fermer l'École Supérieure du parti prise au moment de la Conférence Nationale Souveraine était, par ailleurs, liée à la nécessité de doter l'administration publique de cadres suffisamment formés capables de relever le défi de la construction nationale conformément aux réalités sociales et culturelles locales, sachant que l'idéologie marxiste-léniniste avait été en déphasage avec les réalités congolaises. La formation des compétences initiée par le P.C.T avait été préjudiciable, car la gestion partisane de l'État avait non seulement réduit les possibilités d'un réel développement socio-culturel et économique, mais aussi contribué à la frustration de nombreux cadres dont le seul moyen d'échapper à la politique de répression était soit de s'exiler, soit d'épouser les idées du parti en intégrant les sphères idéologiques de la domination. Les mutations de cette époque avaient permis de relancer le débat au sujet de la réforme de l'Enseignement supérieur et de son adaptation aux besoins de développement du pays. * 1 Chargé de Cours et Coordonnateur du Premier Cycle à la Faculté de Sciences Sociales et de Gestion, Université catholique d'Afrique centrale / Institut catholique de Yaoundé, e-mail : ckiamba@yahoo.fr. * 2 Quantin (P.), « Congo : on achève bien les transitions », in Revue Camerounaise de Science Politique, Vol., 6, n°2, 1998, p8. * 3 Idem, p.9. * 4 Le Ministre Martial Vincent de Paul Ikounga disait à Fréderic Dorce au sujet de l'Enseignement supérieur au Congo: « Lorsque je suis arrivé à la tête du Ministère de l'Éducation Nationale, qui regroupait alors plusieurs départements, en janvier 1995, l'école était totalement en panne. Dans les quartiers entiers comme à Bacongo, les cours n'avaient pas encore commencé. Parfois, l'école avait repris, mais la fréquentation était faible. En revanche, les revendications étaient nombreuses, sur le plan salarial notamment. Il y avait aussi l'inconscience de ceux qui pensaient qu'on pourrait politiser l'école » (Cf. « Congo. Cap sur l'an 2000 », in Marchés Nouveaux, n°1, mars 1997, p.370). * 5 Ngouabi (M.), « A société nouvelle, université nouvelle », in Vers la construction d'une société socialiste en Afrique, Présence Africaine, Paris, 1975, p.170. * 6 Il faut dire que la majorité des «Camarades membres» du Parti qui avaient été formés à l'École Supérieure du Parti ne possédaient pas de compétences requises pour assumer valablement des tâches qu'on leur assignait au sein de l'administration publique. Nombreux étaient ceux qui avaient été cooptés soit à cause de leur degré de militantisme, soit par clientélisme. Ce qui avait conduit à une perte de temps au regard des attentes des populations en matière de développement. |
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