II. Le rapport ambigu entre langue et identité
chez les immigrés italiens
II. 1. La quête identitaire des
immigrés
A- Le poids du regard des autres
La France a mené une politique d'assimilation, surtout
dans les années 50. Bon nombre d'immigrés ont abandonné
leur langue et leur culture pour s'intégrer à la
société d'accueil. Or, paradoxalement, on n'a cessé de
leur faire sentir qu'ils restaient toujours un peu étrangers.
Comment pourraient-ils se sentir français à part
entière si leur entourage leur rappelle qu'ils sont venus d'ailleurs ou
les désigne toujours en tant que "fils d'immigrés" ?
Lors d'une interview Michel Platini s'est insurgé contre
cette stigmatisation :
" Un jour, j'étais reçu par un adjoint au
maire de Belfort en tant qu'entraîneur de l'équipe de France. Dans
son discours, il a parlé de moi comme un bon exemple
d'intégration. J'ai failli l'insulter (...) Je ne me suis jamais
considéré comme étranger, je n'avais jamais parlé
italien, mon père non plus. Mon grand-père parlait lui aussi
français. Je suis de 3ème génération. Il
était temps que je sois intégré !"64
Constatant que pour son fils et ses camarades, se sentir
français n'allait pas de soi, Guy Girard, petit-fils d'une
immigrée italienne, a sillonné la France pour recueillir des
témoignages visant à définir l'identité
française65. Au cours de son reportage Les
Français, il a posé une question provocatrice à un
Français « de souche » : "faites- vous une
différence entre les Français et les vrais
Français ?". La personne interrogée a répondu que
selon elle, un vrai Français était celui qui - quelle que soit
son origine - était content de vivre en France.
64 Michel Platini, L'Humanité, 9 décembre
2005.
65 «Je suis né à Vitry sur Seine le 31
juillet 1950. Ma grand-mère était italienne. Nous n'avions pas
d'argent mais je ne trouvais pas que nous étions pauvres. Dans la cour
de l'école, les copains étaient d'origine espagnole, portugaise,
polonaise, algérienne. Le communautarisme n'existait pas et la
question de l'identité nationale ne se posait pas, soit qu'elle
semblk~t hors de propos, soit qu'elle f€~t une évidence.
Nous nous sentions Français, un point c'est tout. Dans les
années 90, quand mon fils invitait ses copains à la maison, j'ai
remarqué que pour eux, r tre Français n'était plus une
évidence. La question des origines devenait un vrai sujet de
conversation. Quelque chose avait changé. Je me demande ce que signifie
le fait d'rtre Français aujourd'hui. Qu'est-ce qui fait qu'on se sente
Français », Guy GIRARD, Les Français, JEM
productions, 1994.
Aujourd'hui cette distinction touche principalement les
Français d'origine maghrébine puisque les Italiens ont acquis -
avec le temps ! - le statut de « bons immigrés ». De jeunes
Français d'origine algérienne soulignent l'absurdité de la
question « vous sentez-vous Français » en
répondant à Guy Girard qu'ils ne peuvent que se considérer
Français puisqu'ils sont nés en France et ne connaissent que ce
pays. L'un d'entre eux, montre la même exaspération que Michel
Platini, en constatant que même lorsqu'une famille est implantée
en France depuis plusieurs générations, ses membres sont toujours
considérés comme des étrangers :
"J'ai un pote, il est de la 4ème
génération et on lui demande encore « d'où tu viens
», il ne
peut pas se dire fier d'r~tre français".
Pour avoir le sentiment d'appartenir à une nation, il faut
s'y identifier mais également être reconnu par ses membres comme
l'un d'entre eux. Les immigrés et leurs descendants ne peuvent se sentir
réellement français que s'ils ne perçoivent plus de
différence dans le regard et l'attitude des Français à
leur égard.
Nous avions conscience lors de l'élaboration des
questionnaires que la dernière question66 pouvait blesser
voire agacer les personnes qui ont obtenu la naturalisation et surtout leurs
enfants et petits-enfants.
Il fallait néanmoins que nous la posions, le sentiment
identitaire étant au coeur de notre réflexion. Les personnes
interrogées avaient la possibilité de formuler une réponse
personnelle, quelques-unes ont d'ailleurs répondu « européen
» ou « citoyen du monde » marquant ainsi leur refus de
s'enfermer dans le cadre réducteur d'une appartenance nationale ou d'une
double appartenance.
Si l'on compare les réponses des primo-migrants et des
enfants d'immigrés, on observe une différence notable : tandis
que 43 % des représentants de la première
génération déclare se sentir italiens, la majorité
des enfants d'immigrés (53 %) revendique sa double appartenance et 30 %
d'entre eux se sent français.
66 Vous vous sentez :
L Italien(ne)
L Français (e)
L Italien(ne) et Français (e)
L Autre (précisez)
1ère génération 2ème
génération
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