La problématique de la rénovation des sciences sociales africaines;lecture et reprise de la théorie searlienne de la construction de la réalité sociale( Télécharger le fichier original )par Barnabé Milala Lungala Katshiela Université de Kinshasa et université catholique de Louvain - Thèse de doctorat 2009 |
D. Tradition et modernité juridiquePour tenter d'éclaircir la question de la non exclusivité de la philosophie du droit cantonné dans une culture, nous partons de la question suivante : Comment surgissent le pouvoir politique et le droit sanctionné par l'Etat à partir d'un ordre primitif ? La constitution co-originaire du droit étatique et du pouvoir politique part de la situation selon laquelle (c'est l'hypothétique ) « un chef qui, au départ, ne dispose que de son prestige et d'un pouvoir social factuellement reconnu, peut concentrer sur lui les fonctions, jusque-là dispersées, du règlement des conflits ; il le fait en se chargeant de la gestion des biens sacrés et en se faisant l'interprète exclusif des normes de la communauté, pour autant que celles-ci sont porteuses d'une force d'obligation morale ».693(*) Le pouvoir factuel se change maintenant en pouvoir légitime. Cette situation est similaire à celle de tout Pharaon-dieu. Le droit sacré pré -étatique, lié aux moeurs et à la morale, confère en effet autorité à la position de son interprète qualifié. A la longue, le droit sacré doit changer de forme parce que la pratique du règlement des confits est fondée sur des normes ayant l'obligation morale. Le droit est dès lors sanctionné par le souverain primaire. Deux pôles se forment : l'autorisation du pouvoir par un droit sacré, et la sanction apportée au droit par le pouvoir social. Lorsque la légitimation sacrée et religieuse par la rationalisation sociale s'est effondrée, la convention l'a remplacé. D'un point de vue communicationnel, dans les institutions des sociétés tribales, les comportements sont définis par des cérémonies et les rites, les restrictions de la libre expression mettent la valeur de l'autorité à l'abri de toute problématisation possible. En revanche, la libre expression recèle un potentiel de rationalité qui imprègne toute la société et problématise des sociétés traditionnelles.694(*) A mesure qu'ils sont désenchantés dans le processus de l'évolution sociale, les ensembles de convictions fondées sur le sacré se décomposent selon les critères de validité différenciés. Ceci veut dire que le processus de différenciation sociale entraîne une multiplication des tâches, des rôles sociaux et des intérêts fonctionnellement spécialisés, si bien que l'activité communicationnelle quitte les engagements institutionnels étroitement définis pour entrer dans des marges d'option élargies, libérant et en même temps exigeant dans des domaines de plus en plus larges un type d'action fondé sur l'intérêt et le succès individuel. Ce processus illustre le passage d'une forme de vie traditionnelle fondé sur le sacré vers l'individualisme moderne sous l'effet de rationalisation continue de toutes les sphères de vie. Sur l'arrière-plan de visions religieuses du monde reconnues par tous ,le droit a d'abord disposé d'un fondement sacré ; en règle générale géré et interprété par des juristes théologiques ,ce droit était largement accepté en tant que composante réifiée soit d'un ordre divin du salut soit d'un ordre naturel du monde ,étant en tant que tel soustrait au pouvoir humain . Dans sa qualité de seigneur justicier suprême, celui qui détenait les positions de la domination politique étant lui aussi subordonné à ce droit naturel. Le droit « positif » au sens prémoderne, bureaucratiquement édicté par le prince, fondait son autorité soit sur la légitimité de ce même prince (par l'intermédiaire de sa compétence de juge), soit sur son interprétation d'un ordre juridique préalablement donné, soit encore sur la coutume, le droit coutumier étant de son côté garanti par l'autorité de la tradition. Or, avec le passage à la modernité lorsque, perdant sa force d'obligation, la vision religieuse du monde se désintégra pour donner naissance à la puissance des croyances subjectives et pour priver ainsi le droit à la fois de sa dignité et de sa non-instrumentalité métaphysique, cette constellation dut changer de fond en comble. Nous ne nions pas le fait que les institutions juridiques se distinguent des ordres institutionnels primitifs par leur rationalité comparativement plus élevée ;car elles incarnent un système de savoir ayant la forme d'une doctrine élaborée, autrement dit un système de savoir articulé, élevé à un niveau scientifique et lié à une morale fondée sur des principes. Ce sont des aspects internes du passage du droit traditionnel à une justification rationnelle, et à un statut positif. Un droit devenu conventionnel se sépara alors de la morale rationnelle du type postconventionnel , si bien qu'il dépendait désormais de décisions d'un Législateur politique capable de programmer à la fois la justice et l'Administration . La constitution de la forme du droit devint nécessaire pour compenser les déficits qui apparaissent avec le déclin de la morale sociale traditionnelle. Le droit né de l'abandon de la violence, le droit a pour fonction de canaliser une violence identifiée au pouvoir. * 693 Jürgen HABERMAS, Droit et démocratie, entre faits et normes, traduit de l'Allemand par Rainer Rochltz et Christian Bouchinndhomme, Gallimard, Paris,1997, p. 160. * 694 Ibidem, p.39. |
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