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La problématique de la rénovation des sciences sociales africaines;lecture et reprise de la théorie searlienne de la construction de la réalité sociale

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par Barnabé Milala Lungala Katshiela
Université de Kinshasa et université catholique de Louvain - Thèse de doctorat 2009
  

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D. La théorie de pouvoir déontique négatif de Searle

Searle place aussi des choses sous le signe d'une construction négative illustrée par sa théorie de pouvoir déontique négatif. La construction de la réalité sociale peut à ce moment être tout simplement négative. « Par exemple, lorsqu'un employé est viré ou qu'une cour de justice prononce un divorce, dans chacun de ces cas un pouvoir conventionnel préalablement existant est détruit par retrait de son acceptation. Ainsi, « vous êtes viré » est équivalent au retrait du pouvoir conventionnel :

Nous retirons les pouvoirs (vous êtes employé)

Ce qui est équivalent à :

Nous n'acceptons plus (S a les droits et obligations (S agit comme employé)). »460(*)

3.2. L'Arrière- plan chez John Searle et le connexionnisme

Venons- en maintenant à la notion d'Arrière-plan qui s'assimile au connexionnisme chez John Searle. Il approche sa notion de l'Arrière-plan au paradigme connexionniste : « tout le discours sur l'Arrière-plan, dit-il, est ...en accord avec le modèle connexionniste de la cognition ».461(*)

Le connexionnisme s'oppose au dualisme et au séparatisme entre la corporéité et le cognitivisme, c'est un continuisme. Nous voulons expliquer la notion de l'Arrière-plan par rapport à la conception du constructivisme radical de Francisco Varela. Ce dernier en donne une explication similaire mais relativement plus détaillée. Varela affirme que « lorsqu'on réexamine la connaissance et la cognition, le meilleur qualificatif est, me semble-t-il, dit-il, abstraite : rien ne caractérise mieux les unités de connaissance jugées les plus « naturelles ». (...) Les disciplines qu'on regroupe sous le nom de sciences de la cognition acceptent peu à peu l'idée que les choses ne se présentent pas du tout de cette façon, et, d'autre part, qu'un changement paradigmatique ou épistémologique radical se développe rapidement. On trouve au coeur même de cette opinion naissante la conviction que les connaissances sont essentiellement concrètes, incarnées, vécues ».462(*) C'est l'idée même de l'Arrière-plan.

Il y a continuité des processus dans le mécanisme de la vision ou une scène de vision prise comme système «  une mosaïque de modalités visuelles, parmi lesquelles on comptera au moins la forme (contour, dimensions, rigidité), les propriétés superficielles (couleur, texture, réflexion spéculaire, transparence), les relations spatiales tridimensionnelles (position relative, orientation tridimensionnelle dans l'espace, distance) et le mouvement tridimensionnel (trajectoire, rotation) ».463(*)

« Les leçons importantes ... (ce sont qu'il y a) connexions entre les comportements, (...) l'intelligence doit être cherchée dans les schémas de comportement plutôt que dans la connaissance individuelle. »464(*) Par exemple «lorsque nous allons pour la première fois dans un pays étranger, il y a une absence très nette de disposition à agir et de micromondes récurrents. Beaucoup d'activités simples comme converser ou manger, doivent être apprises. En d'autres termes, les micromondes / micro-identités sont historiquement constitués ».465(*)

Finalement « la cognition dépend des expériences qu'implique le fait d'avoir un corps doté de différentes capacités sensori -motrices ; ces capacités s'inscrivent dans un contexte biologique et culturel plus large.»466(*) L'Arrière-plan est profond et local. L'Arrière-plan inclut les registres suivants : l'Arrière-plan profond qui comprend « toutes les capacités qui sont communes à tous les êtres humains normaux sur la base de leur équipement biologique : les capacités de marcher, manger, tenir un objet, percevoir, reconnaître, la position préintentionnelle rendant compte de la solidité des choses, l'existence indépendante des objets et d'autrui. Puis ce qu'on pourrait appeler l'Arrière-plan local » ou les « pratiques culturelles locales », qui comprendraient des choses comme ouvrir les portes, se verser à boire, ou la position préintentionnelle que nous prenons face à des choses comme les voitures, les réfrigérateurs, l'argent ou les dîners en ville ».467(*)

Dans le même ordre d'idée « dans la cognition vécue, les processus sensoriels et moteurs, la perception et l'action, sont fondamentalement inséparables (c'est le connexionnisme) et qu'ils ne sont pas simplement liés de manière contingente comme des couples entrée-sortie ».468(*) En fait « le point de départ n'est plus un monde préexistant, indépendant du sujet percevant, mais la structure sensori-motrice de l'agent cognitif, la manière dont le système nerveux relie les aires sensorielles et motrices. C'est cette structure -la manière dont le sujet percevant s'incarne- et non un monde préexistant qui dicte comment le sujet percevant peut agir et être influencé par l'environnement »469(*). Le connexionnisme s'explique en deux temps : l'espace de codage et l'apprentissage neuronal. Les notions les plus importantes au niveau de l'espace de codage sont métaphoriquement les suivantes : les positions, les dimensions et les valeurs. Les positions représentent, par exemple, les quatre récepteurs sensoriels du goût qui se trouvent sur la langue ou dans l'exemple d'une scène visuelle, les « récepteurs » capables de coder la forme des visages, et qui développent des dimensions de l'objet codé respectivement et diversement pour arriver à une configuration holistique globale. C'est donc une architecture distribuée. Il y a traitement de l'information non centralisée, mais parallèle et distribuée.

Pour parler comme Francisco Varela, mise à part le jugement rationnel, l'action cognitive de l'homme est fragmentaire et truffée des ruptures et des micro -mondes. « Lorsque nous nous asseyons à table avec un parent ou un ami, nous disposons immédiatement de tout un savoir-faire complexe- manipulation des couverts, position du corps, pauses dans la conversation- sans avoir à réfléchir ».470(*) Ces explications de Varela suggèrent bien sûr la notion searlienne de l'Arrière-plan des capacités et de dispositions.

Pour Francisco Varela, « nous sommes habitués au mode causal traditionnel du type entrée -traitement -sortie. Rien ne suggère que le fonctionnement du cerveau soit analogue au traitement séquentiel de l'information ; ce type de description informatisante commune ne correspond pas du tout à la nature réelle du cerveau ».471(*)Il s'agit d' « une entrée douée de sens et une sortie qui l'est aussi ,mais où, entre les deux ,il y a aucune étape de traitement symbolique ;il y a plutôt une série tout simplement de noeuds avec différentes forces de connexions entre eux, et des signaux qui passent d'un noeud à l'autre ,et finalement des changements dans les forces de connexion qui donnent la bonne mesure entre les entrées et le sorties ,sans qu'intervienne, dans l'intervalle, le moindre ensemble de règles ou des principes logiques ».472(*) Nous avons expliqué cette notion parce qu'il est crucial dans le dispositif explicatif de Searle.

Cette analyse de l'Arrière-plan est reconstruction, chez Searle ,du point de vue du langage. Reprenons les exemples de la compréhension du sens littéral pour l'expliquer :

Le Président a ouvert la séance

L'artillerie a ouvert le feu

Pierre a ouvert un restaurant

« Supposons qu'à l'ordre « Ouvrez la porte » je me mette à faire des incisions dans la porte avec un bistouri, ai-je ouvert a porte ? Autrement dit, ai-je obéi littéralement à l'ordre littéral « Ouvrez la porte » ? Je pense que non. L'énonciation littérale de la phrase « Ouvrez la porte » exige, pour être comprise, quelque chose de plus que le contenu sémantique des expressions qui la composent et les règles de leur combinaison en phrase. (...) Ainsi, affirme Searle, ce que j'ai tenté de faire jusqu'ici, c'est de montrer que comprendre c'est autre chose que saisir un sens, car, sommairement, ce que l'on comprend va au-delà du sens. »473(*) Ici « chaque phrase de la (...) liste est comprise avec un réseau d'états intentionnels (i.e. croyances et actions ) et sur fond d'un Arrière-plan des capacités et des pratiques sociales »474(*). Ansi « l'Arrière-plan est une precondition de la représentation. »475(*) Aussi, « si la représentation requiert un Arrière-plan, il n'est as possible que l'Arrière-plan consiste lui-même en représentations sans engendrer une régression à l'infini ».476(*)

Ce qui est intéressant est le fait que « la thèse de l'Arrière-plan de Searle peut être entendue des contenus sémantiques aux contenus intentionnels en général. (Ainsi) tout état intentionnel ne fonctionne , c'est-à-dire ne détermine des conditions de satisfaction que sur fond d'un ensemble d'aptitudes, de dispositions et de capacités d'Arrière-plan qui ne font pas partie du contenu intentionnel et ne sauraient être incluses comme une partie du contenu ».477(*)

L'analyse sémantique des énoncés ne peut être séparée de celle des actes d'énonciation, car leur portée « agissante » est une propriété structurelle du langage. La sémantique porte sur le rapport conventionnel qui relie ce que dit la proposition, son sens, et ce sur quoi elle porte, sa référence, alors que la pragmatique renvoie aux pratiques et aptitudes collectives ainsi qu'aux contraintes contextuelles qui régissent la production des énoncés. Ainsi, la logique dite « illocutoire », tout en s'occupant des états mentaux aussi bien que des états langagiers, est transcendantale au sens d'Emmanuel Kant : elle détermine les conditions possibles de succès des énonciations ou les conditions de vérité.

* 460 Ibidem, p.143.

* 461 John SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.184.

* 462 Ibidem, p.22.

* 463 Francisco VARELA, Quel savoir pour l'éthique ? Action, sagesse et cognition, Editions La Découverte, Paris, 2004, p.78.

* 464 Ibidem, p.129.

* 465 Ibidem, p.26.

* 466 Ibidem, p.28.

* 467 John SEARLE,L'intentionnalité ;Essai de philosophie des états mentaux, traduction de l'américain par Claude Pichevin, Les éditions de Minuit,1985, Paris,p.175.

* 468 Ibidem, p.29.

* 469 Ibidem.

* 470Ibidem, p.25.

* 471 Francisco VARELA, op.cit., p.79.

* 472 John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.183.

* 473 John SEARLE, L'intentionnalité, Essai de philosophie des états mentaux, Traduit de l'américain par Claude Pichin, Cambridge University Press, 1983,Editions Du Minuit,1985,p.178.

* 474 Ibidem, p.179.

* 475 Ibidem, p.179.

* 476 Ibidem, p.179.

* 477 John Rogers SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.172.

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"Enrichissons-nous de nos différences mutuelles "   Paul Valery