République
Démocratique du Congo et Royaume de Belgique
Université de Kinshasa
Faculté des Lettres et Sciences Humaines
Département de Philosophie
et
Université Catholique de Louvain (UCL)
Institut Supérieur de Philosophie
Faculté des Sciences Philosophiques
Centre de Recherche en Philosophie du Droit (CPDR)
La problématique de la rénovation des sciences
sociales africaines :
lecture et reprise critique de la théorie searlienne de
la construction de la réalité sociale
Thèse de Doctorat
présentée par le Chef de Travaux et Doctorant en
Philosophie
Jean- Barnabé Milala Lungala Wu Katshiela
Promoteur :
Professeur Pierre MUTUNDA MWEMBO (Unikin)
Co- promoteur:
Professeur Marc MAESSCHALCK (UCL)
2008 - 2009
Dédicace
A vous
mes parents je dédie cette thèse
A mon très cher Père, l'Honorable
Député Jean -René Katshiela Lungala Shambuyi qui incarne
la dignité de ma famille
A ma Maman Régine Katshiyi Lughanda Muambuyi
Qui m'appelle si affectueusement Mukulu wa Bantu
(Entendez Ainé)
et me rappelle constamment : Buendedi ka bujimini
(Entendez ne jamais perdre l'ultime but que l'on s'est
assigné)
Remerciements
J'aimerais remercier
particulièrement tous Mes Promoteurs pour cette recherche doctorale :
Le Professeur Pierre
Mutunda Mwembo qui a dirigé tous mes travaux de fin de cycle en
philosophie à l'Université de Kinshasa et pour tous ses
bienfaits.
Le Professeur Marc
Measschalck de l'Université Catholique de Louvain pour son
érudition et son orientation, qu'il trouve ici l'expression de ma
parfaite considération.
J'ajoute à eux mes encadreurs qui ont
formé ma commission d'encadrement :
Le Professeur Abbé
Joseph N'kwasa Bupele pour ses conseils et ses remarques pertinentes.
Le Professeur Charles Mbadu pour
sa rigueur.
Et enfin les ainés des
Philosophes congolais dont nous gardons des nombreux souvenirs:
Le Professeur Jean
Kinyongo Jeki pour le concept de kheper qu'il m`a enseigné et
qui traverse de part en part cette étude pour son dépassement.
Le Professeur Raymond
Mutuza Kabe pour tant d' « amitié ».
Le Professeur Abbé Marcel Tshiamalenga Ntumba pour son
irremplaçable héritage qu'il a légué à la
première promotion de Philosophie de l'Université de Kinshasa et
à moi-même, l'Héritage de la philosophie analytique
d'où a émergé le titre de cette thèse de Doctorat.
Je m'associe à ses voeux à travers lesquels il a si bien
formulé une prière-programme que j'ai retenue depuis :
« Père Céleste, Père de
Jésus-Christ, ... nous te cherchons dans le savoir philosophique
pour te servir ».
Le Professeur Elungu Pene Elungu qui m'a appris à
penser les Temps Modernes Européens.
Le Professeur Gambembo Mfumu Wa Utadi qui m'a plus que
quiconque fait admirer la Métaphysique.
Bref, que tous mes
formateurs trouvent ici l'expression de ma profonde gratitude.
0. Introduction
générale
0.1.
Etat de la question
Les scientifiques et philosophes sociaux
« tiers-mondistes », ceux de la diaspora africaine aux
Etats Unis comme Théophile Obenga, et Yves Valentin Mudimbe, des
africanistes comme Jan Vansina, les latino-américains, les chercheurs de
l'école sociale de Kinshasa, et bien d'autres se penchent aujourd'hui
sur la question de la rénovation des sciences sociales sous sa triple
dimension, celle des techniques et des méthode d'analyse, celle des
concepts et des théories paradigmatiques ,et enfin celle liée
à l'effondrement et à la dévaluation de la
« réalité sociale », ainsi qu' à la
définition de celle-ci. Du point de vue du
« tiers-monde », la question de la rénovation des
sciences sociales rejoint le débat de la décolonisation
épistémologique qui s'est par ailleurs spécialisée
en cristallisant les conditions de maintien des sciences sociales comme
entreprise académique mondiale, leur ouverture aux formes de
connaissances traditionnelles, et leur refondation. Pour les plus exigeants,
la rénovation va au-delà de la seconde modernité
eurocentrique, représentée notamment par l'approche
néo-moderne des sciences sociales de Jürgen Habermas, sous-tendue
par l'intention de la philosophie de contribuer à la libération
sociale, et à sa propre libération.
Jean Copans, dans ce contexte, réfléchissant sur
les rapports dialectiques, dit-il, indépassables entre les sciences
sociales et la philosophie, et prenant appui sur Paulin Hountondji ,notamment
sur sa définition de la philosophie africaine qui ne peut être une
ethnophilosophie, c'est-à-dire une vision du monde collective,
irréfléchie, implicite,mais plutôt un discours explicite et
critique des philosophes africains, pose la question suivante : les
sciences sociales africaines peuvent -elles se constituer de manière
autonome sans besoin de référents philosophiques proprement
africains ? Cette importante question s'est trouvée
intégrée dans celle de la renaissance africaine qui est revenue
au devant de la scène scientifique à la fin du deuxième
millénaire et au début de ce troisième millénaire
sur le continent africain et dans la diaspora africaine. Le débat a
opposé ceux qu'on appellent les africanistes eurocentristes et non
eurocentristes. Notre réflexion ,disons le d'emblée ,se propose
de répondre points pour points à une foule des questions qui nous
semblent bien présentées par Jean Copans ,qui pour
Théophile Obenga par exemple, serait plutôt un africaniste
eurocentriste pointilleux ,sociologue et anthropologue d'origine
française.
Le champ d'application de cette discussion est la formulation
des questions dites d' « émancipation » des
sciences sociales. Bernard Mouralis pense à cette suite que la
décolonisation en ce qui concerne l'Afrique est encore à faire et
qu'elle appelle un vaste programme du devenir du continent africain, programme
correspondant à ce que Yves Valentin Mudimbe appelle l'invention de
l'Afrique, ou la construction d'une nouvelle Afrique, qui consiste
à élaborer un discours total pour parler de l'Afrique.
Pour Jan Vansina, toujours dans l'ordre du discours, par
rapport au système mondial dans lequel nous sommes
embarqués, la période précoloniale permet de
reconstruire une histoire autonome de l'Afrique avec des techniques, des
objets, des voix et des territoires qui échappent au cadre historique
européen, tout en produisant justement un discours historique qui
respecte les règles de l'écriture historique. L'enjeu, dans tous
les cas, est que les africains doivent construire des discours ou des
institutions sur des conceptions et sur des expériences africaines
socio- culturelles, traditionnelles ou présentes.
Pour nombre des penseurs qui se situent dans la mouvance de
la Faculté des Sciences sociales et administratives de
l'Université de Kinshasa, le constat général est que les
sciences sociales s'agrippent encore aux démarches, techniques et
méthodes qui fonctionnent comme des dispositifs problématiques de
production des connaissances, tout en pérennisant une situation
théorique et conceptuelle critique de plus de cinquante ans de
recherche, et des présuppositions non réfléchies du
concept de « réalité sociale » qui sont
appelées à être réévaluées.
Ainsi Bongeli Yeikelo Ya Ato stigmatise-t-il la situation
persistante d'une crise sociale cyclique comme le signe évident
d'un blocage actuel en sciences sociales sur l'Afrique en
général et le Congo en particulier, blocage qui nécessite
que l'on s'interroge sur la validité des méthodes, des approches
classiques et des a priori du concept de la réalité sociale ou
des phénomènes sociaux. En ce qui concerne les
réalités sociales africaines, Bongeli affirme simplement qu'elles
sont ,par rapport au moyen de ces instruments conceptuels et de ces approches,
peu ou mal étudiées et donc difficiles à reconstituer.
Ce qui préoccupe en général ou, pour
être plus concret, ce que la « réalité
sociale » aussi bien en Européen qu'en Afrique ailleurs,
change profondément et continuellement : en Afrique , la nature du
travail précaire favorise plutôt la construction sociale de soi et
des itinéraires de réussite individuelle à partir des
ressources propres sur fond d'un besoin accru de reconnaissance ;
l'Afrique c'est Autre de l'Humanité autrefois singularisé comme
« société sans écriture », demeure un
monde de manque substantiel ; ces sociétés sont
qualifiées aujourd'hui de sociétés « sans
démocratie » où la vie familiale moderne s'identifie
aux souffrances structurelles et à des constructions identitaires
transactionnelles précaires ayant des impacts différents sur les
tendances démographiques ,sur la place de la femme dans la
société, etc. La mobilité sociale ne semble plus en
Afrique dépendre de la réussite scolaire ; d'où de
nouvelles formes d'inégalités, de changement drastique des
valeurs et l'émergence de la violence des jeunes laissés à
eux mêmes1(*) ;
des villes africaines constituent un univers où
l' « Autre » est ressortissant d'une autre tribu dont
il faut comprendre le ressort profond de comportement, etc. La dynamique
sociale lance chaque fois de nouveaux défis.
Dans les grandes cités africaines, la
réalité de la société africaine présente une
sorte de généralisation d'une vie cantonnée dans des
espaces discriminés qui fait émerger des prises de risques
inédites face à l'inexistence des politiques sociales. La
spécificité est l'émergence des nouveaux types d'hommes et
de femmes qui vivent sur le fil et de nouveaux espaces publics où se
construisent de nouvelles identités urbaines, en milieux pauvres des
bidonvilles où s'expriment la violence sociale. Il ne serait pas
superflu de présenter le cas général des citadins kinois
des milieux populaires devenus gravement méfiants les uns
vis-à-vis des autres, et parmi lesquels les vertus d'amour et de
solidarité se sont émoussées.
Etudier la réalité
sociale exige une prise en compte des changements qui agitent la
société. La théorisation dite constructiviste s'effectue
dans un esprit d'innovation complexe. Elle présente plusieurs registres
d'analyses où s'imbriquent aussi bien le niveau de constructions
sociales attributives (des attributs langagiers ) consécutives aux
« mondes vécus» ,c'est-à-dire des formes de vie et
des espaces à risque (tels que les enfants de la rue qui passent leurs
nuits à la belle étoile) que des constructions abstraites
à l'instar des modèles classiques construits à partir du
modèle de Tout et de ses parties. Le paradigme constructiviste se
cristallise dans les approches interprétatives qui visent à
expliquer les significations subjectives qui font consensus sur
l'interprétation de la réalité sociale. En ce sens, ce
paradigme considère la société comme une construction
théorique constituée des expériences subjectives de ses
membres et du chercheur. Ce paradigme est un ensemble des diverses traditions
philosophiques incrustées dans les sciences sociales notamment dans la
sociologie classique. Le paradigme interprétatif est inspiré de
plusieurs traditions et alimente deux approches : naturaliste et
symbolique ou langagière. 2(*)
Tout cela parce que qu'il y a la nécessité de
comprendre la réalité sociale au moyen des instruments
scientifiques adéquats. Autant de « mondes
vécus » africains, par exemple, deviennent des lieux des
transactions illicites, en marge de pouvoirs officiels, d'un espace public
inféodé caractérisé par l'absence de
crédit des animateurs et l'amoralisme portés par les membres
du groupe ; telles apparaissent les pratiques de la prostitution, de la
drogue, sous le mode de la régulation de la violence des
identités inédites, de nouvelles figures de paternité,
etc.
Pour Ibrahima Amadou Dia , les constructions
théoriques des tenants de l'approche quantitative apparaissent aussi
comme des prismes déformant de la réalité sociale gommant
les singularités dans des sociétés à classes et des
espaces structurés par les poids d'une société
industrielle périphérique. Les réalités
sociales relèvent des contextes autres que celles où et pour
lesquels ont été élaborés ces concepts
méthodologiques qui ont évolué en même temps que les
champs d'application : les enquêtes par questionnaire et les
société à classes, l'entretien semi-direct et les
singularités sociales se trouvant en décalage avec leur destin
social, l'observation participante et la découverte de
l' « Autre », l'entretien compréhensif et le
récit de vie ou la prise en charge individuelle, etc.
Le Professeur Ntumba Lukunga relève à la suite
de la triple dimension et des problèmes que posent les sciences sociales
en Afrique, le fait qu'il était déjà bien longtemps
opportun de lancer un programme d'africanisation de la recherche.
Prendre la réalité africaine comme objet de recherche
consisterait surtout à élaborer progressivement une
méthodologie, des théories et concepts qui soient adaptés
à cette réalité sociale. Ces travaux qui se trouvent aux
confins de l'histoire, de l'anthropologie et de la sociologie et autre, doivent
s'engager dans des voies nouvelles et se développer à l'instar
des travaux d'élan novateur tels que la remise en question de Mabika
Kalanda, l'histoire immédiate de Benoit Verheagen, le schéma
sociologique de Front J.J.,la sociologie immédiate de Nyunda ya
Kabange,l'anthropologie et la critique praxéologique de O. Longandjo, la
praxio interdiscursive de Kambayi Wa K.,la psychanalyse sociologique de Ntumba
Lusanga, etc.
Toutefois, ce qui semble à première vue relevant
philosophiquement dans les sciences sociales comme approches communes et
dichotomiques - récit/système, individualisme
méthodologique/holisme méthodologique, etc.- ce sont justement
les bases d'une part théoriques biologico- linguistiques et d'autre part
historiques : la démarcation de la causalité par rapport à
l'intentionnalité dans le fonctionnalisme, le structuralisme, la
systémique et la dialectique.
D'aucuns préconisent, pour comprendre les
réalités sociales africaines de remonter à la naissance
des sciences sociales classiques et d'élaborer des Cours
spécifiques comme des mathématiques, des statistiques, de la
philosophie, de la logique des sciences sociales, etc.
En fait, en tant que telle cette recherche de
rénovation a comme objectif de lutter contre l'infirmité des
sciences sociales et humaines africaines due en majeure partie à
l'esprit du conformisme et à la peur de l'innovation. Les chercheurs
dénoncent finalement l'exercice scientifique par
procuration, la production et la reproduction des discours
aliénés et aliénants, et l'inhibition théorique,
méthodologique et définitionnelle chez le scientifique
africain.
Comme on peut le remarquer, l'ambition affichée est
celle de pouvoir répondre à cette évolution des
réalités sociales par des politiques scientifiques
efficaces ; il faudrait logiquement avoir en premier lieu une
compréhension approfondie : l' « ontologie
sociale » en sociologie classique reconstruit les théories et
concepts puisés dans les modèles anciens de la philosophie de la
Nature des Temps modernes européens. Emile Durkheim recourt au
« mécanisme » de René Descartes, d'autres
recourent à la monadologie de Friedrich Leibniz avec ce que tout cela
comporte en tant que présupposés onto-théologiques
antiques : celui là plus proche de l'arithmétique
privilégiant l'espace géométrique homogène, et
celui-ci la monade, l'unité. La critique des modèles anciens (le
Tout et ses parties) cristallise la recherche sur les conventions et les
êtres abstraits d'une causalité avec les états mentaux
pour l'explication des phénomènes sociaux.
Les modèles « constructivistes »
qui rallient l'objectivité et la subjectivité des
« faits sociaux » aujourd'hui font globalement
prévaloir aussi bien l'unité ou les individus que le collectif.
En fait, la recherche constructiviste tend vers des modèles nouveaux qui
mettent en exergue la signification collective et la subjectivité pour
cadrer la réalité sociale. Les fondateurs de la sociologie ont
offert plusieurs modèles sur la primauté de la totalité.
Emile Durkheim, tire de cela que c'est la psychologie collective qui
façonne la mentalité individuelle, il n'y a pas de relation de
continuité inverse entre les deux. Aujourd'hui ces vues sont
reconstruites ; on ne traite plus exclusivement « les faits
sociaux comme des choses moins encore comme des idées », parce
que les faits sociaux n'existent pas en réalité sous le mode des
choses de la physique, de la chimie ni de la biologie. Ils forment une
réalité sui generis qui intègre la subjectivité
humaine et la signification commune.
En somme, dans cette étude nous nous occupons à
proprement parler de la « réalité sociale »,
de ses a priori représentationnels, et de sa fondation et de son
renouvellement théorique et conceptuel. La question des techniques et
des méthodes n'est pas proprement l'apanage de notre réflexion.
La philosophie pérenne, pour le cas de la
redéfinition, de l'émergence et de l'effondrement de la
« réalité sociale », doit en ce temps de la
dévaluation de la « réalité sociale
mondiale », pratiquer le modèle d'analyse, mettant la
philosophie du Devenir au coeur de l' « ontologie
sociale ». Signalons que la question des principes d'émergence
de la réalité sociale intègre celle du maintien de la
réalité sociale. Tous les fondateurs des sciences sociales
partagent par ce fait une vision philosophique particulière des
fondements, de mode de création, des propriétés et de
l'existence sociale. Cet axe se développe de plus en plus en
s'étendant en droit, où la loi est considérée comme
fait social subjectif et objectif, en sociologie, en anthropologie culturelle,
en ethnologie, en sciences économiques, en sciences politiques, en
relations internationales, en sciences de la communication3(*), etc. Cette tendance a besoin
plus que jamais, disons- le d'emblée, d'être étendue aux
« sciences sociales africaines » pour répondre aux
besoins de rénovation générale exprimée de
manière pressante par des scientifiques et les philosophes sociaux de
tout bord en Afrique.
0.2. Problématique
Les perspectives de réévaluation et de
rénovation de la redéfinition de la
« réalité sociale » africaine comme par
ailleurs le projet de rénovation en général renvoient
à une problématique philosophique pérenne de
l'Etre et du Devenir. Elles concernent le conflit entre le
réalisme et le constructivisme comme visions ontologique et
épistémologique du réel social. Et comme les
théories et les concepts opératoires en sciences sociales se
réfèrent quant à elle à la philosophie de la
Nature, la rénovation emprunte donc sur cette question les voies qui
amènent au conflit théorique entre le réalisme et le
constructivisme, et à la philosophie de la Nature.
En résumé , la reforme la reforme a de
façon générale une triple dimension ; elle concerne
premièrement les concepts et théories des sciences sociales qui
sont des lunettes au travers desquels le chercheur rend compte des
phénomènes sociaux ou de la réalité sociale ;
elle table deuxièmement sur les démarches, les méthodes et
les techniques en tant que dispositifs de production de connaissance ; et
enfin elle s'occupe de la définition de la
« réalité sociale » elle-même à
laquelle est appliquée la dichotomie réalisme/constructivisme.
Les chercheurs partent du point de vue de la
définition de la réalité sociale de deux visions
différentes sur la nature ontologique de la « science
sociale ». Les deux visions s'élaborant à partir des
lois qui régissent la réalité sociale. La position
réaliste défend le modèle classique de la science et
postule plus ou moins explicitement l'existence d'un ensemble des lois
immuables, c'est-à-dire un ordre sous-jacent en tant qu'a priori
incontournable ayant un impact déterminant sur le fonctionnement de la
réalité sociale. L'enjeu ici, c'est que cette option peut
conduire au réalisme naïf.
A l'opposé, le conventionnalisme postule le fait que ce
seraient les êtres humains et non les lois de la nature qui feraient que
la réalité soit telle qu'elle est et qu'elle fonctionne comme
elle fonctionne en se fondant notamment sur leur propre langage. Les structures
symboliques composent la réalité, les individus contribuent
à « construire » le monde dans lequel ils vivent, un
monde en quelque sorte « négocié »
collectivement de manière plus ou moins délibérée
et ayant un sens pour eux. La position conventionnaliste postule le fait
que, ce que nous appelons « réalité »
est en fait toujours le produit d'une élaboration symbolique et n'a
aucune existence indépendante des catégories et des conventions
propres à un imaginaire ou un discours social donné, y compris le
discours scientifique. C'est le constructivisme ontologique. L'enjeu ici est
que, l'on applique au « discours » scientifique, le
principe conventionnaliste ou constructiviste qui conduit tout droit au
relativisme consistant à traiter l'activité scientifique
essentiellement comme une « culture », c'est-à-dire
un ensemble des conventions et de présupposés partagés par
les chercheurs d'une société et d'une époque. Dans cette
optique le thème de la « construction sociale de la
réalité sociale »fait partie de l'a priori
disciplinaire et peut donc dire que finalement, tout est construit, y compris
les quarks en tant que constituants fondamentaux de la matière en micro
physique, qui sont une convention admise par eux et qui ne renvoient à
aucune « réalité » existante
indépendamment des concepts scientifiques et de l'esprit humain. La
question de la construction de la réalité sociale
débouche finalement sur le débat de la relativité de
la connaissance et sur le relativisme culturel.
La réalité sociale ou les
phénomènes sociaux revêtent un certain nombre des
caractéristiques : ils ne peuvent être saisis en
eux-mêmes, sinon par l'entremise des représentations ; ainsi
le savoir des sciences sociales n'est jamais totalement dégagé de
son objet et l'évolution de la vision de la
« réalité sociale » a accompagné
l'édification des sciences sociales.
La construction de la réalité sociale est un
programme qui reconstruit les sciences sociales et humaines classiques
à partir de ces postulats. Cette reconstruction est menée sous
les auspices de ce qu'il conviendrait d'appeler aujourd'hui
l' « ontologie sociale », en tant qu'étude des
principes d'émergence et du mode d'existence de la réalité
sociale. L'ontologie sociale est aussi ce que l'on appellerait volontiers la
« cosmogonie sociale » en tant que discours sur
l'émergence de l'univers social. Cette activité scientifique est
entrain d'envahir les sciences sociales. Le motif, ce qu'il s'agit de tenter de
cadrer théoriquement plus adéquatement le changement continuel et
profond de la réalité sociale. Il s'agit au demeurant, du point
de vue de la philosophie, d'une préoccupation fondatrice et ancienne en
philosophie.
Pour échapper au piège d'engluement soit
à l'empirisme soit à l'idéalisme, il faut s'engager avec
lucidité et discernement dans une démarche qui, tout en
reconnaissant que le monde est donné, mesure à sa juste valeur
l'autonomie et le pouvoir reconstructeur de la raison humaine. C'est la
démarche que John Searle justement propose.
John Searle s'est emparé décidément
aujourd'hui de la question principale de fondement de l'existence du monde
social à travers la reconstruction des conditions de sa constitution.
Il s'oppose à toute forme de constructivisme antiréaliste :
il refuse les deux options ontologiques exclusives pour éviter selon le
cas les conséquences désastreuses du relativisme et du
réalisme naïf qui, en sciences sociales constitue une menace aux
principes de la rationalité et à l'objectivité. Searle
présente une approche particulière du réalisme à
partir de la philosophie du langage qu'il prolonge entant que philosophie des
états mentaux.
Pour Searle, l'ontologie des faits sociaux appelle l'ontologie
objective de la réalité. Nous dirons en d'autres termes que la
réalité extérieure perceptible est une
réalité ontologique objective indépendante d'une
réalité ontologique subjective et sociale.
John Searle nous en offre une conception
« originale » dans notamment deux de ses livres :
La construction de la réalité sociale et La
redécouverte de l'esprit. Réfléchissant sur les Temps
modernes, Searle se demande pourquoi nous sommes terrorisés
à l'idée de retomber dans le dualisme cartésien. Le
problème, c'est que la conception cartésienne du physique, la
conception de la réalité physique comme res extensa
n'est tout simplement pas adéquate pour décrire les faits qui
correspondent aux énoncés portant sur la réalité
physique. John Searle donne à l'appui un exemple : si vous
réfléchissez aux problèmes de la balance de paiement,
à des phrases agrammaticales, à mon aptitude au ski, au
gouvernement de l'Etat de Californie, vous avez moins envie de penser que tout
doit entrer dans la catégorie soit mentale, soit physique. La
terminologie s'élaborerait autour d'une fausse opposition entre le
« physique » et le « mental ». Nous
pouvons le dire d'emblée, Searle développe ici l'autonomie des
sciences sociales comme ayant une ontologie propre par rapport aux sciences
physico-mathématiques.
Pour justifier sa position, Searle utilise une
réflexion analytique en prenant les exemples de la compréhension
du sens littéral des phrases. Le contenu sémantique des
énoncés ne suffit pas en lui-même ; il faut un
Arrière-plan, que Searle désigne spécifiquement comme des
schèmes conceptuels pour donner tout leur sens aux choses. Nous
disposons des phrases comme : le Président a ouvert la
séance, l'artillerie a ouvert le feu, Pierre a ouvert un restaurant.
Supposons qu'à l'ordre « Ouvrez la porte » je me
mette à faire des incisions dans la porte avec un bistouri, ai-je ouvert
a porte ? Autrement dit, ai-je obéi littéralement à
l'ordre littéral « Ouvrez la porte » ?
L'énonciation littérale de la phrase « Ouvrez la
porte » exige, pour être comprise, quelque chose de plus
que le contenu sémantique des expressions qui la composent et les
règles de leur combinaison en phrase. Comprendre c'est autre chose que
saisir un sens, ce que l'on comprend va au-delà du sens.
L'Arrière-plan est en définitive une
pré-condition de la représentation linguistique ou mentale.
Searle s'autorise de passer des énoncés linguistiques aux
états mentaux qui sont tout aussi représentationnels, tels que la
croyance, le désir, l'intention, etc. Ceci est pour lui
révolutionnaire parce qu'il redécouvre les états mentaux
bannis par sa révolution pragmatique antérieure. Chaque phrase de
la liste est comprise avec un réseau d'états intentionnels et sur
fond d'un Arrière-plan des capacités et des pratiques sociales.
Aussi, si la représentation requiert un Arrière-plan,
n'est-il pas possible que l'Arrière-plan consiste lui-même en
représentations sans engendrer une régression à
l'infini. Le réalisme et le concept d'Arrière-plan jouent
justement un rôle important pour les fondements des sciences sociales et
pour l'explication des phénomènes sociaux.
John Searle n'adhère que partiellement à la
position conventionnaliste et constructiviste par sa théorie de la
construction de la réalité sociale, il défend le point de
vue d'un réalisme particulier au moyen du concept central de
l'Arrière-plan comme un ordre sous-jacent qui est mis à jour
à travers une analyse du langage ordinaire.
La question, au demeurant, porte sur le
présupposé essentiel de toute activité scientifique. Pour
Searle, justement, le réalisme est un présupposé
essentiel de toute philosophie sensée, pour ne pas dire de toute
science. L'argument principal concerne justement le réalisme et le
réalisme concerne l'Arrière-plan comme structure invisible de la
réalité sociale et ayant un impact sur l'ontologie des faits
sociaux et des instituions sociales.
La position du problème comme chez Ruwen Ogien4(*) loge le réalisme dans les
phénomènes sociaux. Pour Searle c'est un présupposé
essentiel, disons que c'est un présupposé de
l'Arrière-plan. Searle aborde cette question qualifiée aussi de
question de l'existence de la « réalité
extérieure », pour montrer comment il serait tout simplement
absurde que toute la réalité soit assujettie à nos
représentations humaines, en dehors des conditions formelles
d'intelligibilité.
Searle ne se contente pas de cette discussion ,il aborde les
questions connexes de création, de maintien et de l'effondrement de la
réalité sociale à partir des concepts centraux
d'Arrière-plan, d'intentionnalité collective, les actes de la
parole et de comportement régi par des règles et tente de nouer
des liens théoriques avec des thèmes, des théories, des
schèmes, des principes et des concepts des sciences sociales depuis les
fondateurs des sciences sociales, philosophes et ,ou sociologues et autres
spécialistes des sciences sociales.
La réalité sociale ne peut être saisie
qu'à travers la représentation, soit linguistique soit mentale.
Autrement dit, nous construisons le monde social au moyen des
éléments minimaux qui commandent le mental, le langage et
l'interaction. En fait, le concept de structures profondes
désigne en général des systèmes de règles
élémentaires qui justement commandent la connaissance, la parole
et l'interaction. Ces règles sont des structures profondes auxquelles
les individus dans leurs oeuvres culturelles observables obéissent
intentionnellement ou pas. John Searle dans une visée intentionnaliste
postule les règles constitutives (X compte comme Y dans un
contexte : C par exemple ce papier compte pour de l'argent dans le
contexte des transactions interbancaires autorisées par la Banque
centrale congolaise), qu'il faut ajouter aux concepts d'Intentionnalité
collective et celui de l'Arrière-plan. Searle joint donc à la
question ontologique sus- nommée les phénomènes du langage
et de la conscience.
La conception du fait social chez Searle se démarque de
celle de plusieurs théoriciens en la matière, mais elle est plus
proche de celle de Friedrich Hayek, en ce qu'elle postule l'imposition des
fonctions sur la réalité physique (la réalité
brute) au moyen des règles dites constitutives, de
l'intentionnalité collective et de l'Arrière-plan. Nous pouvons
dans certaines circonstances (dans la forêt par exemple) assigner des
fonctions aux « chaises » par exemple à des
morceaux d'arbres coupés et jetés à terre. Ces morceaux
deviennent, par ce fait d'imposition de fonction, des phénomènes
sociaux. John Searle développe donc une ontologie distincte.
Cependant, la vision de John Searle n'est pas exempte de
contradictions. Vue de l'Afrique, la vision de John Searle étonne
à plus d'un titre en ce qu'elle reconduit des présuppositions
philosophiques et théoriques problématiques tout en postulant
contradictoirement l'exigence de l'éthique comme base de toute
construction sociale durable. Pourtant Searle viole sa propre
éthique : sa théorie sociale apparait pour nous africains
comme une « violence symbolique » et un retour à une
sorte d'ethnologie passéiste ,une synthèse des descriptions
ethnographiques reconduisant multiples concepts problématiques et
aporétiques : « société sans
écriture », société des « seigneurs de
guerres » et donc des sociétés sans démocratie,
études (sous-entendue) des primitifs, alors que le courant pragmatico
-cognitiviste dans le quel il évolue regarde à l'avenir dans une
perspective de correction.
Ses allusions à l'Afrique nous semblent plus un
préjugé implicite et ethnologique passéiste plutôt
qu'un regard prospectif scientifiquement soutenable. Ces prises de position
différentes sont finalement, dans sa théorisation sociale, fort
problématiques pour l'Afrique en ceci qu'elles reconduisent une grave
violence symbolique. Nous prenons cette question des
« sociétés sans écriture » qui ne
dispense pas l'Afrique traditionnelle pour aborder les
présupposés ontologiques et épistémologiques
généraux des sciences sociales en Afrique.
Enfin, au point de vue théorique et conceptuel, une
double question théorique peut résumer notre recherche :
- Que devient l'approche structuro-fonctionnaliste dans la
pragmatique et le cognitivisme de John Searle ?
- Quel est le signe , le concept ou l'icône qui
nous permet de lire et de re(contruire) le programme de John Searle et, en
même temps ,de lire et de reconstruire l'Afrique , notre
société et notre culture ?
0.3. Hypothèses
Sur la question de la définition de la
« réalité sociale », les sciences sociales
africaines doivent à juste titre être
réévaluées et reformées. Une telle évolution
épistémologique passe par une suppression dialectique
opérationnelle de l'opposition ontologique simpliste et
réductrice entre le réalisme et le constructivisme. C'est la
grande leçon que l'on doit retenir de l'oeuvre grandiose de John Searle
portant sur la construction de la réalité sociale, et dont le
principe est considéré dans la philosophie sociale contemporaine
comme un réflecteur opératoire de réévaluation et
de rénovation des sciences sociales. Toutefois, en Afrique, une
vigilance agissante doit être exercée contre les écueils
subtils de la théorie de John Searle. Tel est l'objectif sous-jacent
à notre investigation.
A la question théorique et conceptuelle de
dépassement de la double approche structuro-fonctionnaliste, un des
concepts centraux de notre propre hypothèse et de notre reconstruction
est justement le concept africain de kheper, une notion
familière en philosophie qui renvoie à des traditions africaines
à la loi de la transformation du Devenir, notion que nous
trouvons dans plusieurs traditions philosophiques. Dans le contexte de cette
discussion, ce concept de Kheper est reconstruit en philosophie depuis
les présocratiques en passant par René Descartes et Friedrich
Leibniz jusqu'aux sciences sociales classiques avec Emile Durkheim et bien
d'autres penseurs. Cette reconstruction théorique chez Emile Durkheim,
un des fondateurs des sciences sociales ,se fait par exemple au moyen d'un
concept qui lui est dérivé, celui de
l'hylémorphisme du Stagirite, il fonctionne comme un dispositif
central de son livre intitulé Les Règles de la méthode
sociologique.
John Searle ne déconstruit pas ce programme, il le
reconstruit ou l'enveloppe au point de vue de la double approche
linguistico-pragmatique et cognitiviste. Ce qui est remarquable c'est que nous
avons tout ensemble dans le programme de Searle, les états mentaux et
les actes de langage comme support de la représentation de la
réalité sociale ; ce qui ne manque pas de renvoyer à
son projet actuel qui tend à mettre ensemble : le langage,
l'action et l'esprit.
A la question théorique de l'icône, du concept ou
du symbole qui nous permet de lire le projet de Searle, il faut dire que le
naturalisme biologique dans lequel baigne John Searle est le type de
philosophie où la Nature est celle que découvre la science
positive et non la métaphysique. Tout est expliqué par la Nature
et la théorie évolutionniste ; d'où la récurrence
des questions liées au naturalisme biologique. L'icône ressemble
au mode de reproduction de la symbolique de « scarabée
égyptien » qui exprime le Devenir et le sacré.
Le scarabée illustre le Devenir en ce que pour se reproduire,
il dépose son larve dans une bouse qu'il enroule. Après une
certaine période, sort un autre scarabée adulte. D'où, la
conscience apparait suite à un processus physicaliste et connexionniste
du processus neurobiologique des neurones et des relations synaptiques chez
John Searle. L'esprit dans la Nature soit y oeuvre soit apparait à un
certain niveau. Le dépassement se fait pour nous au moyen de la
dimension de sacré qui est laissé de côté dans ce
type de naturalisme.
Le constructivisme searlien doit être un programme a
priori dans un contexte onto- théologique auquel on fait recours, qui
prend en compte théoriquement les concepts centraux
suivants : la matière, la forme, le langage, la parole, les actes
de langage pour être précis, les états mentaux tels que le
désir, l'intention, la conscience, et enfin le divin.
0.4. Méthodologie
Notre effort quant à la méthodologie que nous
utilisons, consiste à remonter l'approche de John Searle au sens de la
démonter afin de la recomposer avec l'objectif unique d'atteindre, si
cela est possible, le but que la théorie se serait assigné. Ceci
permettrait, ipso facto, d'en donner l'explication au moyen d'une analyse des
présupposés sous -jacents et une réflexion plus nourrie
qui, pour nous, vise aussi le renouveau théorique des
présupposés en sciences sociales et humaines, spécialement
en Afrique. Avant même de procéder à une reconstruction de
l'approche théorique à travers ses schèmes
généraux, ses concepts principaux, il est logique de dire les
problèmes que ces concepts centraux posent. Ils ne sont pas
créés ex-nihilo.
0.5. Structure du travail
L'état de la question, la problématique et
l'hypothèse dans l'introduction peuvent déjà laisser
percevoir le plan ou les étapes de notre reconstruction. Celle-ci
comporte cinq chapitres : le premier chapitre présente le
débat sur les problèmes des sciences sociales dans le monde et en
Afrique, et la demande de leur réévaluation et de leur reforme.
Le deuxième chapitre met en exergue les promesses de la théorie
de la construction sociale. Le chapitre troisième présente la
contribution du constructivisme de John Searle. Le chapitre quatrième
dégage la portée de l'oeuvre de John Searle tout en montrant ses
limites. Le cinquième et dernier chapitre esquisse les perspectives de
dépassement des écueils de la théorie constructiviste de
John Searle.
Chapitre I :
Le débat sur la
réévaluation et la reforme des sciences sociales dans le monde et
en Afrique
1.0. Sommaire du chapitre
Ce chapitre s'élabore autour de deux grandes
parties : la première partie analyse les mutations sociales et
culturelles qui sont à la base de la mouvance constructiviste en
Europe en l'illustrant dans une perspective historique et institutionnelle
à travers les mutations de la réalité sociale juridique
dans le saint Empire romain, les limites institutionnelles actuelles et le
processus de la mondialisation ,et le principe de l'effondrement de
l'acceptation collective. En tant que tel le chapitre touche les domaines des
sciences sociales aussi divers en présentant les problèmes
à la base de l'exigence de rénovation en Europe. A propos, nous
donnerons plutôt un excursus sur la question européenne.
La deuxième partie examine
les problèmes épistémologiques majeurs des sciences
sociales en Afrique en l'illustrant par le présupposé de la
« race » dans la construction des sciences sociales. En
Afrique, les débats sur la réévaluation et la reforme des
sciences sociales se font dans plusieurs milieux scientifiques. Ces
débats sont aujourd'hui relayés par des universitaires africains
dont certains d'entre eux ont immigré aux Etats -Unis d'Amérique.
Nous pouvons citer à titre d'exemple l'opposition théorique
actuelle entre Jan Vansina à Yves Valentin Mudimbe sur la question de la
déconstruction de l'Histoire africaine en tant que conséquence
logique de la « relativité de savoirs ». Ces auteurs
qui sont à l'affût des sciences sociales en Afrique ont
adapté les problématiques africaines au contexte des discussions
théoriques en sciences sociales, qui sévissent en Amérique
et en Europe. Au Congo Kinshasa, quelques philosophes ont rallié les
positions pragmatistes avec des volets plutôt reconstructifs qui
affirment la culture africaine et qui prennent en compte des apports de
plusieurs cultures. Ce contexte rejoint les préoccupations des penseurs
soucieux du futur social et culturel africain, qui en appellent
déjà à la rénovation des sciences sociales, se
situant malheureusement pour certains en plein dans une forme de relativisme
à revers. A propos du futur social et culturel de la
société africaine, la rénovation pourrait passer par
l'exigence de reconstruction du discours dominant en se l'appropriant.
1.1. Mutations sociales
et culturelles, et mouvance constructiviste en Europe
1.1.0. Mise en perspective historique et institutionnelle
en Europe.
Plusieurs philosophes et scientifiques sociaux occidentaux se
sont attelés à renouveler l'axe méthodologique pour
articuler les bases théoriques réflexives,
communicationnelles, notamment celles liées à
l'expérience.5(*) En
sociologie par exemple, « à l'heure de la
modernité avancée et du sujet réflexif, affirment Luc Van
Campenhoudt et alii, il est nécessaire de contribuer au renouvellement
de la démarche sociologique, non seulement dans ses concepts, mais
également dans ses outils méthodologiques ».6(*) Il s'agit d'articuler plusieurs
contradictions théoriques ci-dessous :
Savoirs locaux
|
Savoirs globaux
|
Enjeux de reconnaissance
|
Enjeux de connaissance
|
Pluralité des vérités
|
Une vérité scientifique
|
Mobilisation de la réflexion des individus
|
Limite de la subjectivité
|
Singularité des expériences
|
Constructions collectives des phénomènes
sociaux
|
Procéduralisation des normes
|
Prégnance des normes substantielles
|
La rupture épistémologique
|
Continuité entre savoirs ordinaires et savoirs
savants
|
Compétences pratiques
|
Compétences scolastiques
|
Les attentes d'égalité morale entre les
individus
|
La prise en compte des rapports de force
|
L'engagement
|
La distanciation
|
Nous tenterons de montrer dans cette réflexion et dans
la perspective dite constructiviste comment, à chaque ligne de ce
tableau, il y a nécessité de combiner les éléments
qui composent chaque colonne.
A la question de savoir : Pourquoi advient la
nécessité de la remise à plat des approches
théoriques et conceptuelles devenues contradictoires (ci-dessus), du
réexamen du concept de la « réalité
sociale » et de la révisitation de la méthodologie en
sciences sociales sous la mouvance constructiviste, la réponse
pour Luc Van Campenhoudt, Jean-Michel Chaumont et Abraham Franssen, est que
c'est parce que les sociétés européennes sont depuis un
temps confrontées à des problèmes sociaux et culturels
profonds.
Disons d'emblée que ce point de vue a posteriori qui
postule un constructivisme consécutif aux mutations sociales et
culturelles devrait être associé au point de vue a priori qui
consiste à choisir des modèles théoriques anticipant sur
les mutations socio- culturelles possibles. Le point de vue a postériori
est aussi soutenu par le livre édité par l'Unesco, Les
sciences sociales dans le monde, écrit sous la double direction
d'Ali Kazancigil et de David Makinson.
Au cours de des années 1980 qui correspondent
approximativement à la reprise économique après la crise
pétrolière, le développement théorique principal
qui s'y développe mise sur la relation entre l'individu et la
société. En d'autres termes les théoriciens se focalisent
sur la relation entre l'individu et la rationalité collective sous le
postulat selon lequel « la société n'existe
pas », et que les seules réalités étaient
l' « individu et la famille » que les sciences
sociales semblaient négliger. Les travaux de Raymond Boudon, Pierre
Bourdieu, Norbert Elias, Anthony Giddens, Allesandro Pizzorno et Alain
Touraine, parmi d'autres, se sont penchés sur ces problèmes. On a
qualifié cet effort de « constructivisme ».
On considère que les faits sociaux sont des
constructions des agents collectifs et individuels. La plupart des
raisonnements subsumés sous ces termes ont été
développés pendant une période assez longue par les
intellectuels qui puisaient à la fois dans les sciences sociales de
l'après guerre et celles, classiques, de l'Europe.7(*)
Quels sont les problèmes ? On assiste plus
récemment en Europe occidentale, dans beaucoup de domaines, notamment
dans le service public, au déplacement d'interventions des institutions
vers de simples dispositions. En effet, « alors que les
politiques publiques « classiques » étaient mises en
oeuvre au niveau central, s'appliquant généralement à
l'ensemble du territoire national de manière homogène et
standardisée, et selon un découpage disciplinaire (politique
d'éducation, de santé, d'emploi, etc.), les nouveaux dispositifs
se caractérisent généralement par des logiques d'actions
spécifiques.... Alors que le déploiement des institutions et des
interventions dans la société industrielle s'est
caractérisée par un mouvement de différenciation des
sphères d'activités et de spécialisation des fonctions, le
travail en réseau répond davantage à une logique
transversale, de dédifférenciation inter-champs et
inter-institutions entraînant une hybridation des logiques
d'interventions, par opposition au découpage disciplinaire
classique. ... Les maîtres mots deviennent communication et
négociation ».8(*) De ce qui précède, nous voyons s'amorcer
une abondance d'études sur la nature des institutions.
Il y a surtout des mutations sociales et culturelles en termes
de « recomposition des modes de régulation sociale (...), des
dispositions de médiation et de gestion de normes (médiation,
ombusdman, pratique du contrat) qui traduisent le passage d'un mode de
socialisation ... fondée sur la participation des usagers à la
définition des objectifs et à leurs évaluations
(« autoévaluation ») ».9(*) Ceci donne lieu à un
certain nombre d'études théoriques sur la normativité.
C'est probablement dans ce contexte que les théories des normes feront
l'objet des études approfondies au Centre de Philosophie du Droit de
l'Université Catholique de Louvain. Ainsi, « le Centre de
Philosophie du Droit offrait donc un milieu de travail universitaire tentant de
prolonger et d'évaluer les hypothèses de la
procéduralisation formulée à partir de Habermas et de son
école grâce à une théorie générale de
la normativité sociale dont l'originalité est de faire du rapport
cognitif à la norme la clé du mouvement instituant toute forme
d'ordre collectif ».10(*)
Au demeurant, la régulation se pose de plusieurs
façons : « des nombreux problèmes de
développement global ou de manipulation du vivant appellent de nouvelles
formes de régulations. Mais c'est la capacité même de
produire des règles ou de légiférer sur un nouveau mode de
vie et de développement social qui fait
défaut ».11(*) Ce qui est en jeu, c'est l'ajustement entre normes,
jugements, expertises des scientifiques sociaux, et les contextes complexes
d'effectuation de nos sociétés.
Par ailleurs, Jean Copans, sociologue et anthropologue
d'origine française, réfléchissant sur les rapports entre
les sciences sociales et la philosophie, entre les sciences sociales de
tradition française et les sciences sociales africaines nous introduit
dans la problématique de la rénovation de sciences sociales
africaines en énonçant un certains nombres de postulats que
voici :
- La philosophie (est) le lieu de la gestation des sciences
sociales, en tout cas de la sociologie et de l'ethnologie12(*) ;
- Que nous prenions en considération les fondateurs,
les modes de formation, le style, on constate que les sciences sociales en
France (et par conséquent dans l'Afrique noire coloniale
française et postcoloniale francophone) sont restés
marquées (...) par le mode problématique de la
philosophie ;
- Il n'est pas possible, dans la tradition qui est la
nôtre, de penser les sciences sociales indépendamment de la
philosophie ni même contre elle ;
- L'absence de médiation et
d'épistémologie philosophique proprement africaine, dûment
reconnues et admises, les sciences sociales africaines doivent au minimum
s'appliquer à elles-mêmes les principes d'une sociologie (...) de
la connaissance. (...) C'est sous une telle entrée que les chercheurs
occidentaux pourraient collaborer à parité à la
définition ou à la redéfinition des sciences africaines.
Autrement dit, la sociologie de connaissance est, à défaut
de mieux, le lieu de dédouanement des sciences sociales africaines.
- Les sciences sociales africaines sont un produit de la
modernité occidentale, etc.
Bref ,Jean Copans, pense au delà du fait que la
sociologie et l'anthropologie sont dépendantes de la philosophie, ce que
nous allons par ailleurs démontré à partir d'Emile
Durkheim et de Claude Lévi-Strauss , que cette philosophie étant
d'essence occidentale, il ne peut exister des sciences sociales africaines. Il
prend en appui la critique de Paulin Hountoundji de la philosophie africaine ou
de l'ethnophilosophie, c'est-à-dire de la philosophie en tant qu'une
vision du monde collective, implicite et irréfléchie. En ce sens
les sciences sociales africaines ne peuvent au minimum qu'avoir le statu de la
sociologie de connaissance en tant qu'ensemble des croyances et cultures. Nous
voulons soutenir les points de vues différents, l'approche structuro-
fonctionnaliste en sciences sociales suppose un corpus théorique
égytpto-africain à partir du concept de kheper et
autres.
Les causes des mutations à la base de la
rénovation des sciences sociales sont nombreuses, plusieurs questions
sont déjà analysées à partir de la crise dite de
la modernité et du modèle de Progrès et de la Raison. Nous
commencerons ici à partir de trois modèles, celui de la
désintégration de l'Empire romain, celui des cristallisations ou
des limites de la mondialisation économique, et celui de
l'émergence des problèmes institutionnels contemporains.
1.2.0.1. Les mutations de
la réalité sociale juridique dans le saint Empire romain*
Nous allons maintenant donner une illustration de la mutation
de la réalité juridique dans l'histoire européenne, en
l'occurrence dans le saint Empire romain, pour voir le passage entre l'espace
européen et l' « espace mondialisé »
avant terme, et la nécessité de construire de nouvelles formes
des normes. Nous analyserons par la suite les désajustements des
institutions dans l'espace mondialisé lui-même.
Une des questions qui ont été à la base
du changement des croyances européennes dominantes dans le saint Empire
romain selon Manfred Lachs est la suivante : Etait -il juste, de combattre
les infidèles ? Au point de départ, il y a la Cité
universelle ou « une civitas maxima à laquelle saint
Thomas croyait, et elle était soumise à l'autorité du pape
et de l'empereur, chacun étant muni d'un des
« glaives » du Christ, le spirituel et le
temporel ».13(*)
Sa double tutelle séculière et ecclésiale gérait
un monde supposé total et a décidé d'octroyer à ces
divers peuples étrangers la reconnaissance juridique en tant que sujets
de droit à travers la théorie du droit naturel.
L'expansion européenne va ruiner cette conception de
civitas maxima en tant que croyance en un ordre universel
agissant pour le plus grand bien des hommes, qui prévalait à la
fin du XVIIe siècle. L'expansion outre-mer des
« Etats » européens précipita la
désagrégation du Saint Empire romain. Cela va exiger de
nouvelles réflexions sur le droit ; ce qui fera que plus tard les
« contractualistes » et le droit naturel soient des
doctrines qui se trouveront au centre de grands débats.
Deux facteurs principaux président à cette
évolution : primo il y a l'évolution de la forme de l'Etat
(de l'Empire aux Etats-nations en Europe) ;cette évolution a
conféré aux autorités politiques (ou politico-religieuses
selon le cas) un certain nombre des prérogatives. Secundo, il y a la
dualité de traitement et des statuts des sujets de droit qui
étaient supposés attribués aux populations sous leur
juridiction (le jus civile pour les romains et le jus gentium,
destinée à servir entre non -Romains ou entre les Civis
romani et le reste).
La constitution du Saint Empire romain est entrée en
désuétude en même temps que ses Maîtres penseurs. La
Somme théologique de Saint Thomas d'Aquin, qui
théorisait le double glaive,le droit canon et le droit temporel a
été mise en difficulté avec le droit de gens (jus gentium)
qui était buté à des questions liées à la
gestion des infidèles d'outre-mer. Ainsi « dans son
apologie de l'occupation espagnole de nouveaux territoires, Vitoria, abordant
la répartition des pouvoirs et les droits des souverains, en eut
appelé à un concept de jus gentium - qui, pour lui,
était déjà un jus inter gentes et même un
jus inter omnes gentes. Par ce concept, englobant la societas
humana d'une manière que Gentilis (un autre auteur) allait
bientôt soutenir, il se força de soutenir les revendications de
l'Espagne à l'égard du Nouveau Monde,
indépendamment de la volonté du Pape ».14(*)
Devant ces tas de questions pratiques aussi bien le
positivisme juridique que le droit naturel ont apporté des solutions
originales non sans difficultés. « Le positivisme juridique,
tel que le dit Michel Virally, a permis l'essor, au XIXè siècle
et au début du XXè siècle, du régime libéral
dont bénéficient aujourd'hui encore les démocraties
occidentales. Les théories positivistes ont excellemment servi les
progrès de l' « Etat de droit »,
c'est-à-dire la subordination des autorités publiques à
des règles protectrices des intérêts individuels. D'abord
en facilitant la laïcisation du droit et la désacralisation du
principe dynastique. Ensuite et surtout en systématisant la
hiérarchie des normes juridiques, ce qui convenait admirablement
à un mouvement s'efforçant de lier les gouvernants par une
constitution de démocratiser le pouvoir législatif et de
subordonner juges et administrateurs à la loi. Le rôle du
positivisme juridique a surtout été d'engranger le formidable
capital des valeurs issues de la Révolution française et dont le
dynamisme a fini par triompher de toutes les résistances.
».15(*) Le droit
naturel est venu à la rescousse pour définir le statut de ces
sujets de droit autres que les citoyens du Saint Empire romain.
Mises à part ces avancées, la gravité de
l'échec du jus naturalis tient à son incapacité de fonder
solidement le droit international devant l'intensification des relations
internationales et l'inexistence de la solidarité internationale,
l'appui qu'il a accordé au volontarisme étatique et à la
signification outrancière de l'idée de souveraineté.
« Aujourd'hui, la contestation fondamentale et violente sur les
valeurs applicables à la vie sociale qui marque notre époque ne
parait plus pouvoir être arbitré par un droit construit dans les
perspectives du positivisme juridique. Le formalisme dont ce droit est empreint
est loin d'avoir perdu ses vertus et on aurait grand tort de le
mépriser. Mais il est désormais tragiquement insuffisant. C'est
à grand peine qu'il parvient à préserver l'état de
droit là où les valeurs traditionnelles continuent à
être respectées. Partout ailleurs, il n'en sauve que les
apparences - et non pas toujours. A cela s'ajoute le fait que les
bouleversements nationaux et leurs relations réciproques ne trouvent pas
leur explication dans la doctrine positiviste, fondée sur les principes
de hiérarchie et de continuité. Comment dès lors, ne pas
s'interroger sur la valeur de ces principes et les limites de la théorie
qui s'y appuie ? »16(*)
Un changement social du droit de la nature (idéologie
du modèle juridique libéral) s'est produit, depuis le XIX
siècle en Europe. La superposition et le remplacement, dans le droit
privé, du modèle juridique libéral par celui de l'Etat
providence sous la prémisse de la séparation de l'Etat et de la
société.
Après la seconde guerre mondiale, lorsque ce processus
(ajouter à cela l'intégration des droits fondamentaux dans
l'élaboration de droit public, i.e. constitutionnel) fut
accéléré, même les lamentations sur la
désintégration de l'ordre juridique et les définitions
proposées dans l'urgence ne suffisent point pour classer les nouvelles
situations juridiques dans les catégories traditionnelles.
Cette situation est semblable à l'intégration
encore difficile en Afrique du droit positif et de droits dits fondamentaux
dans la transformation du droit coutumier en Afrique post- coloniale et de la
mondialisation juridique. Le droit congolais par exemple, reste marqué
par le dualisme, entre deux droits judiciaires, deux droits de la famille, l'un
écrit et l'autre coutumier. C'est probablement dû au fait, ici
nous recourons à Marx, que la transposition des rapports sociaux de
production (droit positif de la famille juridique romano-germanique) d'une
formation sociale étrangère se sont plaqués de force sur
une formation sociale située encore au niveau ou au stade de production
préindustrielle comme c'est le cas au Congo. Ceci ne peut fonctionner
correctement en dépit du fait qu'une commission de reforme et
d'unification fut institué (loi n° 71 /02 du 5 juin 1971). Des
réformes ont été opérées dans ce sens en
droit de la famille et en droit foncier(le droit traditionnel congolais est
fondé sur le droit du sang). Nous avons développé cette
hypothèse avec l'ethnologie juridique au Congo. Aux questions internes,
il faut ajouter le fait que la RD Congo est engagée dans la
mondialisation juridique, notamment dans l'organisation pour l'harmonisation
du droit des affaires en Afrique.
Cette évolution, de façon
générale, constitue le contexte dans lequel les hommes constatant
le changement des faits les rapportent à des normes. Les faits
sont des représentations implicites qui expriment la
théorie sociale. D'où l'intérêt pour nous à
examiner ce que nous entendons par les expériences fait social ou
« réalité sociale ».
Partons de quelques postulations : dans le système
institutionnel central, Droit et démocratie constituent deux faces d'une
même réalité, la société démocratique
se reproduit, au demeurant, au moyen du droit. Dès que les codes du
droit et des pouvoirs s'établissent, les délibérations et
les décisions prennent la forme différenciée d'une
formation de l'opinion et de la volonté politiques ; car la
formation de la volonté débouche sur des programmes, et les
programmes traduits dans le langage du droit ayant une forme légale. La
collectivité conçoit donc des programmes pour ce faire. Ces
programmes doivent être élaborés sur base des principes du
droit de partage équitable pour tous. En effet, « la
dynamique de cette action réflexive se trouve encore
accélérée par le droit de partage qui fonde les
prétentions à la réalisation des conditions sociales,
culturelles et écologiques pour bénéficier à chance
égale aussi bien des droits de disposer de la liberté que de
ceux qui permettent de participer à la vie
politique ».17(*) L'histoire du droit moderne s'enracine dans les
idées aussi bien morales que politiques. Sa conceptualisation doit
répondre de l'expérience contemporaine, c'est-à-dire de la
mondialisation. Au cours des trois siècles passés, le statut de
la catégorie du droit a varié dans l'analyse de l'Etat et de la
société, au gré des conjonctures scientifiques. De Hobbes
à Hegel, le droit naturel moderne s'est servi de cette catégorie
comme d'une clé médiatrice de tous les rapports sociaux. La
société juste semblait devoir être instituée suivant
un programme juridique rationnel. Plusieurs éminents auteurs seront
à la base de ce changement, notamment à travers la théorie
de l'économie politique et des lois économiques.
En effet, à la suite d'Adam Smith et de David Ricardo,
on voit se développer une économie politique comme une
sphère sociale, dominée par des lois anonymes de la circulation
des marchandises et du travail social. La société civile est
dominée par des lois anonymes de la circulation des marchandises et du
travail social, où les individus sont privés de liberté
réelle. Marx retient de tout cela, après que Hegel ait
tiré cette même leçon, la privation de la liberté et
le fait que la société est fondée sur les
échanges, tout en maintenant paradoxalement le concept classique de la
société comme une totalité. De ce modèle
systémique fondé sur l'échange, on oppose le modèle
issu du structuralisme génétique d'une société
décentrée, éclatée en de nombreux systèmes
et fonctionnellement différenciée.
Plusieurs critiques sont évoquées contre la
théorie du droit, dans une perspective systémique : La
différenciation du droit au cours de l'évolution peut se
comprendre comme une autonomisation qui finit par conférer au droit
devenu positif l'indépendance d'un système autopoïetique
autoréférentiel. Devenu autonome, le système juridique
n'a plus de relations d'échange directes avec les environnements qu'il
rencontre à l'intérieur de la société et n'exerce
plus sur eux d'effet régulateur. Toute fonction de régulation
à l'échelle de la société dans son ensemble lui est
interdite. D'où l'émergence des mécanismes
économiques : C'est alors le mécanisme du marché,
découvert et analysé par l'économie politique, qui prend
les commandes, y compris dans la théorie sociale. En effet, l'analyse
économique de la société civile, issue de la philosophie
morale écossaise, a profondément ébranlé la
tradition du droit rationnel.
La tradition (avec Rousseau et Hobbes comme ténors)
place la catégorie du droit au centre de la théorie de la
société. Les contractualistes des temps modernes en
général, sauf Locke, Kant, et Thomas Paine, ont défini
l'état de nature en termes d'une théorie du pouvoir (du droit
rationnel) et non de l'analyse économique.
L'anatomie de la société bourgeoise,
appréhendée par le biais des concepts de l'économie
politique, produit un effet démystificateur ; selon cette critique,
l'ossature qui assure la cohésion de l'organisme social est
constituée non par des rapports juridiques mais par les rapports de
production comme infrastructure. Le droit remplacé par l'analyse
économique ne joue plus dès lors un rôle central dans la
théorie sociale. Il y a changement de perspective et de paradigme.
Décrit en tant que système autopoïetique,
ce Droit marginalisé ne peut réagir qu'à des
problèmes qui lui sont propres, tout au plus occasionnés par des
influences extérieures. C'est pourquoi il ne peut percevoir ni traiter
les problèmes qui pèsent sur le système social dans son
ensemble. En même temps, sa structure autopoïetique l'oblige
à réaliser toutes ses opérations à partir des
ressources qu'il a lui-même à produire.
La position du droit et son importance seront
problématisées.
Ramené à un système autopoïetique, le
droit vu sous l'angle distanciant de la sociologie, est dépouillé
de toute connotation normative, en dernière instance relative à
l'auto- organisation d'une communauté juridique. De la sorte, le droit
n'a pu jouer de tout temps un rôle central dans la théorie
sociale, il a été supplanté par le paradigme qui met
l'analyse économique au centre de la théorie sociale. Il y avait
eu en ce sens changement de perspective et de paradigme. Pourtant, à
penser à la crise de la modernité qui se manifeste aujourd'hui
dans la crise du capital, le salariat devait en subir le coup et le droit
privé subséquent.
Enfin, l'objectif consiste à prendre en compte les
Biens de tous les individus de façon différenciée, de
telle sorte qu'à la primauté du collectif et de l'Etat nous
passions à l'espace public comme Humanité qui prend en compte
l'opinion de chacun pour le Bien de chacun en créant un espace public
mondial intégré. Ce n'est ni le Prolétariat ni la
bourgeoisie qui peuvent réaliser ce Projet, c'est l'espace public
international non inféodé par le politique.
Venons en maintenant au fait social. Les
« faits » ou la réalité sociale sont des
attentes et des motivations de comportement qui se rapportent les unes aux
autres, des interactions humaines, des petites particules dans le grand flux
des processus sociaux enchevêtrés. Ces
« faits » ne sont pas ces processus eux mêmes, mais
l'idée de ces processus. C'est -à- dire, la perception par
exemple de (sa structure socio-économique, des modèles
d'interaction sociale, des fins morales et des idéologies), des acteurs
sociaux (de leurs caractères, de leur comportement et de leur
capacité), et des accidents (de leurs causes, de leur ampleur et de leur
coût !).
Or, les paradigmes du droit doivent en principe
déterminer la conscience de tous les acteurs, celle des citoyens et
celles des usagers tout autant que celle du Législateur, de la justice
et de l'Administration. En effet, un paradigme du droit pour Jürgen
Habermas est justement identifié à la conception implicite qu'on
a de la société. Tous les acteurs impliqués doivent se
faire une idée de la manière dont le contenu normatif peut
être efficacement mis à profit dans l'horizon des structures
sociales et des tendances de développement en présence.
La « construction sociale de la
réalité » est sous-jacente, dans le discours juridique,
aux jugements de fait, c'est-à-dire à la description et à
l'évaluation des processus factuels et des modes de fonctionnement des
systèmes d'actions sociales. Nous pouvons dire en termes de Talcott
Parsons que c'est l'environnement symbolique et culturel qui propose des buts
à atteindre et des moyens appropriés, établit les limites
à l'action permise et des propriétés, suggère des
choix. La fonction symbolique a priori dans l'action sociale est justement de
médiatiser les règles de conduite, les normes, les valeurs
culturelles qui servent à guider l'action dans l'organisation de
l'action.
Mais ce système peut aussi s'effondrer. On peut dire
que cet effondrement du système, comme l'effondrement de l'acceptation
collective de cette réalité sociale, cela pourrait bien
être une crise de confiance collective au couple salariat /capital,
contrat / capital. Ce couple est à la base du développement du
droit privé dont la désintégration va appeler l'Etat
providence. Un tel système déficient amène à la
défaillance de la confiance collective.
En effet, pour Benoit Frudman , « les juristes (ont
toujours découvert) non sans inquiétude que l'idée qu'ils
se faisaient de leur objet , pour dire vite un ordre juridique national et
hiérarchisé , reposant sur la loi, ne permet plus de rendre
compte de manière satisfaisante des réalités auxquelles
ils sont confrontés et d'apporter des solutions aux problèmes
nouveaux que leur pose la pratique ».18(*)
Quelle peut en être la cause ? Il y a eu
l'affaiblissement du législatif devant la prééminence de
l'exécutif lors du développement de l'Etat providence, et
l'extension du pouvoir judiciaire lors de la crise de ce dernier constituant
les principales transformations au niveau de l'évolution de la nature de
l'Etat de droit. D'où la question suivante : n'est-il pas dangereux
d'observer une délégation de responsabilités croissante
laissée aux juges quant à l'interprétation de textes de
plus en plus complexes et nombreux, une absence remarquée du
législatif et un renforcement de la technocratie ?
Habermas confirme ces propos en présentant la crise du
droit comme double: il s'agit du fait que la loi parlementaire perd de sa force
d'obligation et que le principe de séparation des pouvoirs est mis en
péril.19(*) Comme
réponse, Jürgen Habermas ne restreint pas l'espace public à
l'enceinte du Parlement, il propose la restauration de l'espace public
par le respect des conditions d'une discussion gouvernée par "la
situation idéale de parole" qui semble essentiel afin de revitaliser les
débats parlementaires qui, le plus souvent, restent rivés entre
majorité et opposition. D'ailleurs, comment réveiller la
conscience citoyenne et mobiliser les acteurs sociaux à s'engager dans
le processus démocratique alors même que les assemblées du
Peuple se caractérisent par une absence, voire une désertion de
plus en plus flagrante de leurs représentants? Même si le
Parlement ne représente qu'une strate de l'espace public, il n'en est
pas pour autant le lieu le moins important du point de vue de l'effet des
décisions qui y sont prises.
Il est aussi question des échanges à
l'époque de la mondialisation. Au niveau de phénomène de
la « globalisation des échanges », le
problème réside précisément dans le fait qu'on veut
faire comprendre (...) que les nations sont (...) exclues des échanges
dont on parle.20(*) Ainsi, la mondialisation de l'ensemble des
différents sous-systèmes et plus particulièrement, le
système économique (l'impuissance à contrôler le
marché en tant qu'instrument de régulation), le système
politique (mutations d'échelle de la souveraineté21(*)) et celui des moyens de
télécommunications (le développement impressionnant du
réseau Internet par exemple) constitue-t-il également un des
défis majeurs de gestion auquel le système social dans son
ensemble est et sera confronté.
1.2.0.2. Les limites
institutionnelles actuelles et la mondialisation
La question de manque de prise avec la
« réalité sociale » devient une question
centrale. La mondialisation est un processus complexe qui se manifeste par
« l'extension croissante et l'intensification au-delà des
frontières nationales à la fois des transports, des
communications et des échanges ».22(*) Autant dire que ce processus
aboutit à la montée de la sphère économique souvent
non régulée au détriment du politique (contre le respect
des frontières Etatiques). En effet, « l'éviction de
la politique par le marché se traduit donc par le fait que l'Etat
national faible perd progressivement sa capacité de protéger ses
frontières, à recouvrer des impôts, à stimuler la
croissance et à assurer par là la base de sa
légitimité. Car on sait que, lorsque les Etats « sont
abandonnés à la régulation par le marché, de
nombreuses infrastructures de la vie publique et privée sont
menacées de destruction et de dépravation ».23(*)
Un tel processus affecte plusieurs secteurs de la vie,
notamment l'Etat. Ce phénomène est planétaire ; des
centres, il se répercute aux régions périphériques.
« Il va de soi que cela ne concerne pas seulement le noyau central de
l'Etat social, à savoir la politique de redistribution, bien qu'elle
soit de première importance pour la vie des citoyens. De la politique en
matière de l'emploi et de celle qui est menée en faveur de la
jeunesse jusqu'à la protection de la nature et à l'urbanisme, en
passant par les politiques en matière de santé, de famille et de
l'éducation, la « politique sociale » au sens
large s'étend à tout l'éventail des prestations fournies
par les organisations et les services qui apportent des biens collectifs et
contribuent à la mise en oeuvre de conditions de vie d'ordre social,
naturel et culturel ;il s'agit de ce point de vue de préserver du
déclin l'urbanité et, d'une façon générale
,l'espace public d'une société
civilisée ».24(*)
Finalement, « la cohésion des
communautés nationales est mise à l'épreuve par la
mondialisation. Les marchés mondiaux et la consommation de masse, les
médias et le tourisme de masse assurent la diffusion mondiale - ou du
moins la connaissance - des produits standardisés d'une culture de masse
qui porte majoritairement l'empreinte des Etats -Unis ».25(*) Pour
Habermas, « dans les sociétés complexes, ni la
productivité d'une économie organisée en fonction du
marché, ni la capacité de régulation de l'administration
publique ne sont les ressources les plus rares. Les ressources qui demandent
à être traitées avec ménagement sont avant tout
celles de la nature, aujourd'hui au bord de l'épuisement, et de la
solidarité sociale, en voie de désagrégation ».
26(*) La question de
régulation est plus remédiable que celle des ressources
naturelles et de la solidarité internationale. Les droits fondamentaux,
civiques et politiques, autorisent les citoyens démocratiquement unis
à modifier par voie de législation leur propre statut. A longue
échéance, seul un processus démocratique qui munit les
citoyens de droits à la fois appropriés et équitablement
répartis pourra être considéré comme légitime
et engendrer la solidarité.
Produit de la centralisation monarchique et des
révolutions modernes, l'Etat-Nation apparaît aujourd'hui bien mal
adapté à l'intégration économique mondiale. Le
contenu contrefactuel de l'autonomie républicaine, n'a pu
s'affirmé que parce qu'il a trouvé son
« assise » dans les sociétés ayant la
structure d'Etat-Nation.27(*) Avec la tendance évolutive sous le nom de
« mondialisation », les principes centraux de la
démocratie libérale -l'autonomie politique, le demos, la
condition de « commun accord », la représentation et
la souveraineté populaire deviennent incontestablement
problématiques.28(*) Au regard plus précisément de
l'alternative « souverainisme/fédéralisme ».
Toutefois, pris positivement, il y a donc :
1° Le changement structurel de la nature du travail
dû à l'émergence du secteur d'activité fondé
sur la science. Il faut déplorer l'oubli total de cet important secteur
des ressources en RD Congo. Ce qui caractérise aujourd'hui les
sociétés post -industrielles, c'est la naissance d'un
quatrième secteur d'activité fondée sur la science,
hormis les trois secteurs traditionnels.29(*) Ce secteur dépend des flux d'informations
nouvelles et, en dernière instance, de la recherche et de l'innovation.
L'innovation dépend à son tour d'une
« révolution de l'éducation », qui non
seulement supprime l'analphabétisme, mais conduit à une extension
drastique du système d'éducation secondaire et universitaire. A
partir de cela, un pays comme la Corée a réussi à passer,
en l'espace d'une génération, de la société
préindustrielle à la société postindustrielle. Un
tel processus a accéléré en général, la
migration de la campagne, dépeuplée par la maigre
productivité d'une agriculture mécanisée, à la
ville. C'est une véritable rupture avec le passé.
2° Le développement démographique ou
une croissance de la population, notamment grâce aux progrès de la
médecine.
3° Finalement, l'appropriation du progrès
scientifique et technique. « Les nouvelles matières plastiques
et les nouvelles formes d'énergie, les nouvelles technologies
industrielles, militaires et médicales, les nouveaux moyens de transport
et de communication qui, au cours du XXe siècle, ont
révolutionné à la fois l'économie, les rapports
sociaux et les formes de vie, sont fondées sur les connaissances
scientifiques et les développements techniques du
passé ».30(*)
1.2.0.3. L'effondrement de l'acceptation collective comme
principe de mutation
C'est ici, au demeurant, que gît un des concepts
centraux pour comprendre l'enjeu de cette étude : l'effondrement de
l'acceptation collective, c'est le déficit de confiance collective aux
institutions dominantes. « L'une des caractéristiques les plus
fascinantes- et terrifiantes - de ce domaine dans lequel j'écris ceci,
affirme Searle, est l'érosion constante que connaît
par-delà le monde l'acceptation de vaste structures
institutionnelles ».31(*) Pour John Searle, le changement social s'accompagne
d'un changement de l'acceptation collective.
Plusieurs exemples peuvent illustrer cet enjeu. En effet, il
donne des exemples : « on assiste à l'effondrement de
l'identification (identité) nationale en faveur du tribalisme ethnique
en maints endroits tels que la Bosnie, le Canada, l'ex-Tchécoslovaquie,
la Turquie, et dans bon nombre d'universités
américaines ».32(*) Et : « On en trouve des exemples plus
spectaculaires avec l'effondrement de l'Empire soviétique durant
l'annus mirabilis 1989. Quiconque s'est rendu dans les pays de
l'Empire soviétique au cours de la période qui a
précédé celle de 1989 pouvait voir que tout cela ne tenait
en place que grâce à un système de terreur. La plupart des
gens ne pensaient pas que le système des fonctions (...) fût
moralement acceptable et bien moins encore socialement
désirable ».33(*)
Searle met en exergue le rôle éthique de la
finalité normative de la réalité sociale et ses liens avec
leur ébranlement. Finalement pour Searle, « s'il y a une
leçon que l'on peut tirer (...), c'est bien celle-ci : que tout ce
que nous valorisons dans la civilisation exige la création et le
maintien (...) collectivement imposés. Celles-ci nécessitent la
surveillance et des ajustements constants si l'on veut créer et
préserver l'équité, l'efficacité, la
flexibilité, et la créativité, pour ne rien dire de
valeurs traditionnelles telles que la justice, la liberté, et la
dignité ».34(*) Searle met ici en exergue l'instance éthique
comme a priori en tant qu'antidote à l'effondrement de la
réalité sociale. Nous rapprochons l'ébranlement de
l'acceptation collective à une situation de déconstruction des
idées moralement inacceptables et indésirables. L'effondrement
de l'URSS est une crise de confiance du système.
Comment faire pour redresser la situation ? La plupart
des scientifiques et philosophes sociaux proposent une perspective dite
constructiviste en tant qu'elle tente de fédérer les approches
existantes.
Comment se présente la situation en Afrique ?
1.2. Les problèmes des sciences sociales en
Afrique
1.2.0. Une logique de la pratique et quelques
écueils épistémologiques
Nous abordons ici des sciences sociales en Afrique à
partir de plusieurs présupposés théoriques et conceptuels
contradictoires (voir le tableau des contradictions théoriques
ci-dessus). Nous allons donc pêle-mêle mettre en luminaire ce qu'
Ian Hacking appelle dans l'acception du « monde
vécu » la matrice de la construction sociale, entendez ici
les idées dont émergent les sciences sociales coloniales, soient
le référent social, et un certain type d'homme particulier.
L'acception du « monde vécu » se distingue de
l'acception classique plus rivée sur des modèles abstraits de la
société.
Ian Hacking appelle matrice ce à l'intérieur de
quoi une idée, un concept où une espèce se forme. Par
exemple « la matrice à l'intérieur de laquelle
l'idée (...) s'est formée est un ensemble complexe
d'institutions, de législation, de travailleurs sociaux, de militants,
d'articles de journaux, d'avocats, de décisions de justice, de
procédures d'immigration et d'activités des femmes
compliquées. Sans parler de l'infrastructure matérielle de
barrières, de passe -ports, de comptoirs, d'aéroports, des
centres de détention, des tribunaux, de camp de vacance pour enfants
réfugiés ».35(*) Nous pouvons justement examiner le statut
subséquent des sciences sociales, telles qu'elles se perpétuent
aujourd'hui, dans leur rapport avec des institutions africaines et
apparentées. Un tel point de départ nous fournit les moyens
d'éclairer la raison même de l'approche dite de la construction
sociale aujourd'hui paradigmatique en sciences sociales.
1.2.0.
Du concept théorique de base : la « race » et
des présupposés connexes
Une des hypothèses générales qui
soutendent l'ensemble naissant des sciences sociales dans le contexte de
domination est justement le concept de « race ». En effet,
« bien que la race ait eu un succès considérable dans
les tentatives d'explication de la diversité humaine, elle n'est pas
toujours le paradigme explicatif des sciences humaines naissantes, elle en est
plutôt l'hypothèse implicite et
générale ».36(*) Toutefois, « l'impérialisme aurait
dû inventer le racisme comme seule explication et seule excuse pour ses
méfaits ».37(*) Nous pouvons affirmer qu'à ce moment le
concept de « race » est utilisé pour
décrire des formations politiques, des groupes linguistiques, des
caractères d'espèces animales, des formations politico- sociales.
Au Congo (belge) on parle d'emblée de races différentes (grands
groupes Nègres, Soudanais, Nains, Bantous et
Hamites ».38(*)
Cette posture doit avoir miné l'Afrique
jusqu'aujourd'hui notamment dans les conflits instrumentalisés des
Grands Lacs africains qui s'exacerbent et s'exportent dangereusement au
Congo-Kinshasa. En premier lieu, le paradigme de la race sera la logique
occultée qui va orienter l'ethnologie « qui procède
d'une curiosité pour l'Autre, qui s'est manifestée d'abord dans
les récits de voyages et qui a vite associé - est-ce une raison
de la double appellation de la discipline, ethnologie et/ou
anthropologie ? -à la description de moeurs et coutumes insolites,
une réflexion sur l'unité et la pluralité de
l'Humain ».39(*)
Grosso modo, « la pensée raciale semble
avoir dominé la culture savante du siècle qui s'achevait dans le
triomphe impérial ».40(*)Et, s'explique ainsi :« la
pensée raciale dut attendre la fin du siècle pour se voir
célébrée comme l'une des plus importantes contributions
à l'esprit occidental ».41(*) Et pour cause : « Au niveau de ses
expressions savantes à vocation impériale ne tardera pas à
faire recours (de ce concept) dans les conflits internationaux
européens, cela se prolonge dans « l'exploitation du continent
biologique »selon deux axes principaux, le darwinisme et le
déchaînement des mesures anthropologiques ».42(*)
Par exemple Leclerc, de file en aiguille, « montre
(...) combien ont été historiquement liés (à
l'origine des sciences sociales modernes) les soucis de rationaliser
l'observation des indigents (en Europe) et l'observation des
indigènes »43(*)comme dans un laboratoire. Plus tard, « au
début du XXe siècle, les méthode d'observation des
indigènes seront transposées dans l'observation des ouvriers ou
des « marginaux ».44(*)
En effet, l'American Anthrologist reconstruit la
figure de l'Indien sauvage, ses institutions, sa différence,
à partir d'observations réalisées dans les réserves
où sont définitivement confinés les survivants. Les
opérations mentales sur lesquelles repose cette démarche de
réinvention « d'une primitivité marginale »,
qui n'aurait pu voir le jour avant cette réduction définitive,
reposait sur un accord tacite de la profession « l'autorisation
qu'elle se donnait de décrire comme primitives les situations non-
conformes à sa quotidienneté ».45(*)
Pour Taylor, selon Maesschalck, « à
l'époque, (en Occident en tout cas) le problème central des
sciences humaines semble être leur capacité à expliquer le
changement dans les sociétés humaines », 46(*)alors que, si paradoxal que
cela puisse paraître les africanistes eurocentristes cherchent à
expliquer le statu quo des sociétés dites primitives. En
Occident, « les sciences humaines ne peuvent donc anticiper la
formation d'un nouveau contexte culturel, mais elles ont la capacité
d'infirmer les tentatives conduisant soit à la fermeture d'un ordre
culturel sur lui-même soit à son éclatement pur et simple
par auto -destruction (la révolution) ».47(*) Dans ce contexte, les sciences
humaines ne peuvent maîtriser les conditions contextuelles
d'émergence de nouvelles pratiques, elles peuvent néanmoins
adopter une attitude différente de la simple mise entre
parenthèse de ces conditions ».48(*)
Ainsi, tel que le dit Marc Maesschalck, « si l'enjeu
des sciences humaines semble correspondre à l'avenir des
sociétés industrielles tel qu'il était perçu par
certains intellectuels « modérés »en 1968, je
ne pense pas que ce soit simplement parce que la réflexion
elle-même n'échappe pas à la règle qu'elle tente de
mettre en évidence ».49(*)
Les coloniaux congolais recourent à l'Afrique du Sud et
aux travaux ethnologiques britanniques et d'agronomes hollandais pour prendre
le modèle de colonisation.50(*) Nous pouvons l'illustrer à travers
« le rôle des institutions coloniales dans le
développement de l'ethnologie » qui procédait
,repentons-le, « d'une curiosité pour
l'Autre ».51(*)
Cette oeuvre issue des expéditions scientifiques du XVIII ème et
du XIX ème siècle, inscrit la description de l'humain dans une
sorte de zoologie physique et morale.52(*) L'ethnologie
transfert « à l'espèce humaine l'obsession
classificatoire du zoologue ».53(*)
A la suite de Bourdieu, nous pouvons dire avec lui que
«la genèse de la science coloniale nous offre ainsi l'occasion rare
de saisir le processus de constitution d'un « champ »,
espace social distinct et propre à la production de biens
symboliques »54(*)au sein même d'une visée de domination et
d'aliénation. Nous pourrons voir à titre illustratif que la
convergence de deux champs savant et impérialiste se conjugue
différemment (tel que l'ethnologie catholique et celle des libres
penseurs maçonniques au Congo).
Le Congo s'est aussi construit à partir de plusieurs
sciences, notamment l'économie politique coloniale ; celle-ci est
la logique qui dicte les tracés de routes et l'infrastructure
routière, l'industrialisation, la politique agricole,
l'émigration de la main d'oeuvre dans les centres extra -coutumiers,
etc., dans un contexte de rivalité internationale des puissances
occidentales et des Arabes. Ce sont là les conditions sociales et
historiques de possibilités des sciences sociales au Congo Kinshasa.
Ces questions, nous nous les approprions d'abord du point de
vue de l'Histoire des sciences sociales, même si nous opérons plus
au niveau théorique, pour en faire nôtres d'autant plus qu'elles
continuent à poser problèmes. Elles forment pour ainsi dire notre
problème, celui justement de changement social.
Au demeurant, pour parler
de l'Histoire des sciences sociales congolaises, les constructions savantes
sont pour une même époque multiples :
l'hégémonie de savants- missionnaires ne rimait pas toujours avec
ces savoirs officiels et institutionnalisés de la colonisation qui
étaient l'émanation de la noblesse politique coloniale - qui
géraient au quotidien le pouvoir au sens strict- avec les libres
penseurs rivalisant d'ardeur. Nous pouvons voir les acteurs majeurs de la
science coloniale et leurs intérêts : le savant catholique
missionnaire et le baron non confessionnel de la science coloniale officielle,
pour autant que les savoirs codifiés pouvaient servir les
intérêts officiels, ces savoirs pouvaient justement être
institutionnalisés.
Il faut donc constater qu'une bonne partie des sciences
sociales ont pris de l'essor décisif au sein d'une
époque d'expansion européenne et donc de domination:
« la transformation de l'expansionnisme occidental en un colonialisme
suppose en quelques façons la constitution des
« sciences sociales» ».55(*) A propos de l'origine de
certaines ces sciences sociales modernes, Claudine Vital affirme que
« c'est seulement durant le dernier quart du XIX siècle
qu'apparaissent les institutions savantes anthropologiques. Chaque campagne
militaire, chaque champ de bataille, chaque massacre qui rapporte une nouvelle
victoire au colon blanc (contre les Indiens d'Amérique) marque en
même temps une nouvelle étape de la pratique ethnologique qui se
professionnalise et se répand. Elle devient une profession au moment
où s'intensifie l'extermination des hommes ».56(*) L'ethnologie est
déjà une synthèse théorique des descriptions
monographiques et récits ethnographiques des voyageurs et autres
explorateurs des peuples autres qu'Européens.
Elikia M'bokolo soutient à propos qu'en
République Démocratique du Congo « pour le moment, les
historiens sont largement tributaires de l'ethnographie coloniale pour leurs
matériaux et ce que ceux -ci charrient de concepts, d'hypothèses
et de théories ».57(*) Elikia se réfère ici à
l'histoire coloniale du Katanga, la riche région minière du
Congo, qui « reste à écrire et la tâche parait
rude dans la mesure où »58(*) des concepts, des hypothèses et des
théories y relatives sont sujets à caution par l'entreprise
coloniale. Plusieurs aspects sont ici à prendre en compte comme le dit
Gregory Quenet, ce sont « les différentes phases des
processus de construction, les catégories d'acteurs et d'organisations
impliquées, les stratégies et procédures
mobilisées, les instrumentations mises en oeuvre, les
modélisations effectuées, le rôle des
représentations et des conceptualisations ... .»59(*)
Mabika Kalanda, tourmenté par l'impertinence des
résultats des recherches coloniales des sciences sociales et humaines en
Afrique et au Congo-Kinshasa, et soucieux de trouver une méthode
appropriée à l'étude des sociétés africaines
contemporaines, s'interpelle : « on peut faire oeuvre de
sociologue selon les méthodes de cette science : élaborer,
à la manière de M.G. Balandier, une sociologie
objective (...) conclure que l'Afrique est
ambiguë ».60(*)
A la base de cette situation ce sont par exemple des
incertitudes conceptuelles qui fondent des classifications, telles
celles qui classent en République Démocratique du Congo
précoloniale des gens en « « peuplades »,
qui donne parfois « grandes
peuplades » ; « tribu », qui se
dégrade souvent en « petite tribu » et en
« sous- tribu » ; « ethnie
enfin. » »61(*) du Congo qui se matérialisent finalement par
exemple en « séparatisme katangais » engendrant des
effets inédits comme le refoulement de « Luba » du
Katanga (alors Shaba) en 1992. Ces catégories qui posent
problèmes remontent aux classements conceptuels et administratifs
successifs de l'Etat colonial belge, tels ceux de 1933, et caractérisent
par exemple le texte le plus significatif de la Carte ethnique du
Congo publiée en 1961 mais fondée sur des informations
datant de l'entre-deux -guerres et sur les enquêtes directes de
l'immédiat après-guerre. », avec « sa
parfaite coïncidence avec les préoccupations et les pratiques
administratives de l'Etat colonial ».62(*)
La plus grande revue de réflexion et de doctrine ethno-
coloniale ,le Bulletin des juridictions indigènes et du droit
coutumier congolais dans sa rubrique ouverte en 1935 intitulée
« Institutions politiques indigènes », décrit
« l'organisation politique dans les différents groupements
indigènes de la colonie »,reprenant purement et simplement
,comme cadre de référence des groupes qu'elle distingue ,les
unités administratives coloniales ,chefferies et secteurs ,telles
qu'elles existaient en 1948 -1949 ,période à laquelle elle a clos
son enquête ».63(*) En effet, « les découpages
successifs réalisés par les autorités coloniales, dans le
sens de l'agrégation ou du morcellement des circonscriptions africaines,
avaient fini par durcir les frontières entre celles-ci et par grossir
leurs différences ».64(*) Ne peut-on pas dire que les effets de l'imagerie
anthropologique de l'époque coloniale en tant que construction
particulière débouchent aujourd'hui sur l'instabilité de
certains pays africains sub-sahariens ?
C'est ici le lieu de mettre en exergue les difficultés
que les chercheurs anthropologues ou historiens ont avec les concepts
construits tels ceux d' « ethnie » ou
de « tribu ». À ce propos Elikya Mbokolo
affirme pertinemment : « on a en effet le sentiment, en parcourant la
littérature, que le traitement du problème de l'ethnie est
considéré par les chercheurs de terrain comme une corvée
dont il faut se débarrasser au plus vite. (...) Alors que la
définition de l'ethnie étudiée devrait constituer
l'interrogation épistémologique fondamentale de toute
étude monographique et qu'en un sens tous les autres aspects devraient
en découler, on s'aperçoit qu'il existe souvent un hiatus entre
un chapitre liminaire qui, pour peu qu'on s'y attarde, montre le flou relatif
de l'objet ».65(*) Pourtant « le concept
d' « ethnie » est au coeur de l'anthropologie et elle
est constitutive de sa démarche ».66(*) Nous y ajoutons les concepts
des « peuples sans écriture », de civilisation,
d'origine, d'émigration, d'immigration, conquête, etc., à
la suite de remarques pertinentes de Jan Vansina que nous aborderons à
propos de l'histoire de l'Afrique centrale.
« La civilisation du travail - celle de loisir-
forme un bon exemple (justement) de (la réalité sociale
construite). (De telle sorte que) les humains qui ont participé
à son élan ont cru être enfin en mesure de bâtir un
monde nouveau pour leurs enfants, maîtrisés par les forces de
production. ( ...) Mais cette émancipation productiviste a
été remise en question par ses héritiers qui ne sont pas
parvenus à entrer dans cet univers préfabriqué. (C'est un
blocage) ».67(*)
Il en va de même de la colonisation qui transpose sur le terrain de la
colonisation une civilisation industrielle qui, à son effondrement a
emporté l'arrière-plan qui le fondait, le capitalisme industriel
qui en a constitué la base. « L'arrière-plan d'une
société permet d'invalider une pratique institutionnelle qui
tenterait d'imposer un seul mode de légitimation des normes,
c'est-à-dire qui serait incapable de reconnaître des droits
collectifs à des `'sociétés
distinctes'' ».68(*) De ce qui précède Marc Maesschalck
stigmatise l'enjeu : ainsi « il ne s'agit pas de transformer une
pratique institutionnelle donnée, mais de changer de civilisation
».69(*)
La construction de la réalité sociale
appliquée à des sociétés colonisées est
faite au moyen de l'anthropologie juridique appliquée à ces
sociétés colonisées en opposition avec le droit naturel
des temps modernes européens. Le droit de l'homme a été la
poursuite de ce mouvement de la construction européenne : « le
devoir de civiliser, l'argument du droit de civiliser portait sur le droit de
mise en valeur de ressources incombant aux peuples capables de réaliser
celle-ci de manière supérieure aux pratiques locales. Cet
argument ne fut pas théorisé par l'ethnologie, mais par le droit
naturel ».70(*)
Une telle situation qui apparait comme la projection
théorique du constructeur devait déboucher sur l'exigence
d'« une éthique de la construction sociale (qui doit
considérer) toutes les activités comme intégrées
à l'enjeu décisif de l'existence collective, c'est-à-dire
l'institution de l'autonomie sociale qui implique directement la
responsabilité de tous les acteurs de manière interne au
processus social ».71(*) Justement « la solution dépend
encore de l'application des structures de décision de la
communauté politique ».72(*) Parce que « une chose est d'être une
norme en principe acceptable, une autre d'être une norme en pratique
valable. »73(*) Pour nous, c'est ce que nous allons à
moitié tenter de démontrer, du moins d'un point de vue de la
philosophie du langage : une « société (doit
être considérée d'abord) en tant que'' significations
subjectives''».74(*)
Concrètement, partons des exemples sur le Congo et
passons à l'ethnologie juridique. Celle-ci - à propos de la
Carte ethnique du Congo -qui, depuis les enquêtes parlementaires
belges de l'oeuvre léopoldienne, tentera de prendre les devants dans
l'édification de la nouvelle société congolaise. Au point
de vue de la mise en valeur de l'Etat Indépendant du Congo ;
historiquement le travail forcé dépeuple la population au point
de déboucher sur une crise sociale. Cette situation mettra le Roi
Souverain devant le fait accompli, et il sera forcé d'accepter une
commission d'enquête belge conduite par trois éminents juristes
belges qui mettront à nu une oeuvre controversée, en
défaveur des noirs. Depuis lors, le droit sera la science pilote qui
donnera lieu à des reformes, et à la naissance d'une sorte des
sciences de « développement » qui va succéder
au paradigme de la science de contact depuis la conférence
géographique de Bruxelles en 1876. Ce qui dicte en partie les limites
mêmes du territoire congolais. Dans les milieux ruraux, l'organisation de
la chefferie ne tient aucun compte des liens de vassalité qui existent
ni de parenté, sa seule base est territoriale.
A propos, un auteur comme Sohier distingue ,dans ses
publications de 1924 parues dans Revue de Jurisprudence du Katanga que
nous évoquerons au sujet de la Carte ethnique du Congo et qui
deviendra en 1933 le Bulletin des Juridictions indigènes et du droit
coutumier ,l'empire du « droit sacré », magico
-religieux (référence aux travaux d'un autre auteur du nom de
Possos) ou de la « philosophie bantoue »
(référence à l'onde de choc de Placide Tempels) par
rapports aux pratiques juridiques bantoues qui, face aux
nécessités de maintien de l'ordre, ont opéré de
nettes distinctions et parfois de volte-face permettant de retrouver les
fondements des conventions civiles. C'est principalement la destination de
l'autorité politique que déplore Van Derkerken ; c'est
là qu'il situe l'origine de l'effondrement des sociétés
indigènes.75(*)
Van Derkerken, essayait par exemple de démontrer qu'au Congo, la
question essentielle portait sur les fondements de l'autorité dans des
« dynasties de sang sacré » (chef de
races ») ; et il établit les droits fonciers des
indigènes sur la presque totalité des terres. Pour Van Derkerken,
seule la connaissance et la reconnaissance des structures sociales bantoues
peuvent s'opposer à une prolétarisation perçue comme une
déchéance culturelle et un immense danger social.76(*)
Toutefois, signalons que l'église catholique au Congo a
joué un grand rôle dans la reconnaissance de la culture
autochtone. Pour Kadima Nzuji Mukala et Sémon Komlan Ghanou ,
« si Mudimbe s'était laissé embrigader, il aurait
été au coeur de la recherche culturelle qui a abouti à la
reconnaissance, en 1988, par Rome, du rituel zaïrois de la messe
(Décret Zaïnsium Diocesium) ».77(*) Le mouvement de
l'authenticité de Président Mobutu a mis aussi en place une
industrie culturelle pour une telle rénovation dans le même sens
mais diversement appréciée.
Au demeurant, l'évolution de la tentative
disputée de la promotion de multiculturalisme juridique entamé
dès les premières heures de la colonisation au Congo devait
déboucher sur la promotion du droit indigène :
« la règle de droit doit être comprise en
considérant que « le droit nègre a été
élaboré par des hommes raisonnables...pour remédier
à une certaine difficulté de la vie... dans une démarche
dont de nombreux fondements sont universels ».78(*) Pour Van Derkerken, il aurait
fallu privilégier les juges et magistrats traditionnels bantous qui nous
« apprendront à penser noir à propos du droit
noir.79(*) C'est une
recherche de la reconnaissance collective de la communauté des savants
traditionnels.
La tendance inverse au multiculturalisme sera dominante, et
elle va amener à « l'évolution et la disparition
rapide des sociétés (dites) archaïques (qui vont) modifier
non seulement le projet, mais le regard initial ».80(*) « Ces divers
mouvements brisent, d'une certaine façon l'illusion de restitution et de
pureté de l'objet (...), favorisant aussi bien une sorte de narcissisme
descriptif ou ironique ».81(*)
« Les sciences sociales (ethnologie et
économie) ne peuvent ou ne veulent définir un espace quelque peu
autonome face au couple qui s'affirme hégémonique, le couple du
juriste colonial, qui fait la loi et construit le Congo, et du
« macro -ingénieur », qui étend ses
compétences à tous les aspects de la mise en
valeur ».82(*)
Au Congo, selon Marc Poncelet, deux disciplines sont en avant plan dans la
construction des colonies : l'économie et le
généralisme (les macro- ingénieurs) face à
l'ethnologie et au droit.
Cette situation va se perpétuer, plus tard,
« les indépendances africaines ont vu apparaître des
états -civils sur le modèle français (ou
belge) ».83(*) « Le passage de l'ethnie à la
nation, au début totalement artificiel a bouleversé les
populations africaines de manière beaucoup plus profonde qu'on ne
l'imagine habituellement ».84(*) Ce fait fait justement suite, au tout début du
XIX è siècle, à la découverte des systèmes
de parenté matrilinéaire vus comme un choc par l'Europe. Tout
cela à travers le développement de la circumnavigation et la
découverte ébahie d'autres mondes à la différence
bien plus radicale que ceux connus jusqu'alors -les Noirs d'Afrique, les
Indiens d'Amérique, les indigènes d'Océanie. C'est aussi
la considération des systèmes matrilinéaires par la
théorie anthropologique qui a posé à la psychanalyse sa
question la plus embarrassante : si le complexe d' OEdipe est bien
universel ,s'il est vrai que tous les garçons du monde présentent
des désirs incestueux envers leur mère, agressifs envers leur
père, comment un tel complexe peut-il se manifester dans un monde
où le véritable chef de famille est l'oncle maternel et non le
père ; un monde où la véritable tension se situe
entre frère et soeur et non mère et fils ? C'est en
substance le contenu d'un célèbre livre de Malinowski (La
sexualité et la répression dans les sociétés
primitives, Paris, Payot, 1971) dont la publication a contraint les
psychanalystes à toute une série de réfutations, tant
théoriques qu'anthropologiques.85(*)
L'analyse s'étend à plusieurs autres
concepts : l'éthnie, le développement, le
sous-développement, l'Etat, etc. Mutuza Kabe considère que cet
axe de recherche est un courant à part entière pour son
importance persistante dans la philosophie africaine : « le
courant de la réévaluation des concepts résulte du
problème de l'acculturation et de la nécessité de traduire
les réalités africaines dans les langues
étrangères. (...) Nous ne prenons tous pas garde et nous
continuons à nous servir de ces mots, alors qu'ils ne correspondent plus
aux réalités nouvelles, nous parlons aujourd'hui de culture et de
civilisation et nous les appliquons indistinctement et univoquement des
concepts nés dans un contexte culturel défini à des
sociétés et à des civilisations différentes, alors
que nous reconnaissons le rôle déterminant que jouent dans la
formation des idées, des cadres socio- culturels ».86(*) Il renchérit,
« on a plaqué, avouent, les auteurs de l'histoire de
l'humanité, sur le passé africain afin de le réduire
à des schémas connus tout un vocabulaire emprunté à
l'histoire européenne : Etat, Empire, Royaume, etc.(...)Leur
adaptation réelle aux situations africaines qu'ils sont censés
expliquer n'a jamais été sérieusement examiné. Ils
portent d'ailleurs en eux-mêmes un poids de prestige ou de jugement qui
leur confère un caractère quasi sacré et pourtant ils
n'expliquent réellement rien de cheminement propre à l'Afrique
».87(*)
Outre des préoccupations strictement internes, la
construction des hypothèses nouvelles rebondit par exemple dans
« la problématique constructiviste de l'ethnie ainsi que les
concepts qui lui sont liés - métissage, créole - trouve
une application en Europe et aux Etats-Unis dans le cadre de la lutte contre le
racisme et de la mise en avant des politiques reposant sur le
multiculturalisme ».88(*) Cette problématique touche, en effet, à
la question des stratégies pour endiguer la
« pauvreté » dans les pays riches en ce
que « l'éventuelle introduction en France des
critères ethniques dans les recensements- à l'image de ce qui se
pratique déjà aux Etats-Unis - devraient permettre, selon ses
partisans, de resserrer les mails du filet destiné à cerner et
à traiter les poches de pauvreté et de handicap. Quoi que
l'on puisse penser de son efficacité, ce nouveau dispositif s'inscrit
dans le cadre de l'extension du domaine des « bio-
pouvoirs » mis en place au XIXe Siècle dans le domaine de la
démographie et de l'épidémiologie ».89(*) Ceci fait penser au projet de
loi de l'ADN sur la question d'immigration en France.
En ce qui concerne l'histoire de l'Afrique Centrale en
général, Jan Vansina souligne le fait que « d'un point
de vue théorique les données ethnologiques peuvent être
d'une grande valeur pour l'historien. Tout historien en effet, s'il veut
faire oeuvre sensée, doit savoir comment se présente maintenant
une culture donnée et comment elle se présentait juste avant la
période coloniale. ( ...) La répartition des objets ou des
complexes culturels et en particulier l'étude des
« fossiles » culturels ou au contraire des
« innovations » culturelles pourraient théoriquement
fournir une mine d'informations historiques. Pourtant sur ce point les
ethnologues manquent de méthodes
appropriées ».90(*) Vansina émet l'hypothèse dès
cette époque qu' « on ne pourra aboutir à des
conclusions significatives que grâce à un usage conjoint et plus
systématique des données linguistiques et des données
culturelles ».91(*)
Il recommande l'étude de la source orale en histoire
africaine. En ce qui concerne les traditions orales, « source
essentielle pour l'histoire de l'Afrique Centrale (...) dans tous les Etats, il
y avait à la cour des personnes chargées de conserver les
traditions. C'était souvent des indigènes investis de
prérogatives religieuses comme chez les Bemba, les Lozi, les Kazembe,
les Luba, les Imbangala, les Ovimbundu, chez lesquels les gardiens des
sépulcres royales étaient les préservateurs de la
tradition. (...) en dehors de ces fonctionnaires politiques, les
traditions étaient gardées par tous les groupes
constitués, les groupes de parenté comme les clans ou les
lignages porteurs d'un nom glorieux, par exemple le nom de ndumbulu au Kongo
ou le nom kasala chez les Luba, tels aussi des groupes territoriaux comme les
villages ou les sous- chefferies ».92(*)
Ses avis sont presque péremptoires, « En
ce qui concerne la région qui fait l'objet de notre étude,
dit-il, le travail anthropologique effectué jusqu'à
présent est lacunaire. (...) Dans l'ensemble donc, il reste beaucoup
à faire en anthropologie ».93(*) Outre les méthodes anthropologiques à
améliorer, Jan Vansina évoque une fois de plus des concepts
fondamentaux pour l'histoire de l'Afrique centrale, spécialement des
Rayaumes de la Savane- Luba -Lunda.
Cette problématique, il nous semble, vaut bien pour la
compréhension des questions aussi sanglantes que celles entre
Israël et Palestine, la Serbie, le Tutshi, etc. Au Rwanda, Claudine Vidal,
tente de montrer, « comment l'imaginaire (la Raison)
anthropologique travaille à détemporaliser une formation sociale
et, de ses déterminations présentes, fabrique un passé
mythifié en figures idéales : elles se conjurent sans peine
au présent ethnologique. (...) C'est ainsi que Tutsi et Hutu,
transformés en substances, ne possèdent plus d'autres
réalités que de manifester une structure de caste, ou un
modèle féodal, cela dépend des
auteurs. »94(*)
Il y a confusion des unités cultuelles (Rwandais et Burundais parlent
une même langue) des unités politiques (monarchie, modèle
féodal, royaumes précoloniaux, etc.).
A ce sujet, « il semble difficile d'admettre qu'un
tel mythe ait pu être construit par des chercheurs professionnels (...)
pour autant qu'eux aussi, ils ont pratiqué le terrain, entendu des
informateurs. Une attitude épistémologique d'époque-
entraînant la conviction qu'une combinaison d'éléments
simples produit la logique même du réel - semble insuffisante
à inspirer d'aussi totales erreurs. Et, pourtant si, parce qu'elle
autorise une distance telle à l'objet qu'elle engendre
nécessairement - en déçà des sophistications
propres au métier -une capacité de croyance assimilable à
la foi du charbonnier. Du coup, toutes les discussions deviennent possibles et
pensables, d'autant plus qu'elles trouvent, involontaires ou conscientes, de
complications autochtones ».95(*)
Pour Vansina « le concept de tribu est rarement
défini. Les historiens omettent, dit-il, de distinguer entre la
communauté politiquement souveraine, qui est politique et la
communauté culturelle, qui est l'unité culturelle. L'historien
imagine que la communauté culturelle est perpétuelle. Elle ne
disparaître pas, elle ne s'altère pas au cours du temps,
quoiqu'elle émigre et que l'on puisse repérer
géographiquement les routes de ses migrations. Cette conception est
absurde. Il n'est pas difficile de démontrer que les tribus naissent et
meurent, et cela même sans déplacement de populations, changements
importants dans les cultures objectives des communautés qui les
composante ».96(*)Par exemple : « La question de
l'interprétation des données brutes , poursuit Vansisna,
fait usage d'une série de concepts fondamentaux concernant à la
fois les entités (...) et les types ou les genres de processus qu'elles
comportent. Tels sont les concepts de « tribu » (...)
des « origines »,
des « migrations », et
de « conquête » ».97(*)
Dans le Congo précolonial, pour Vansina,
« l'exemple le plus frappant est le cas des Lulua. Avant 1890, il n'y
avait que les Luba du Kasaï. Mais vers 1959 les Lulua et les Luba
étaient tellement différenciés qu'ils engagèrent
dans de violents conflits. Comment cela se produit -il ? Les premiers
commerçants, Angolais et Européens, qui entrèrent au
Kasaï donnèrent des sobriquets à la population qu'ils
trouvèrent. Un de ces sobriquets survit : celui de Lulua. Mais la
population se donnait à elle-même le nom de Luba, comme groupe
situé plus au Sud jusqu' au Sud- Est de la rivière Lulua dans la
région de Dibaya vers 1890 les raids de Ngongo Luteta et de Lumpungu,
deux trafiquants d'esclave qui opéraient pour le compte de Tippu Tib,
chasserènt de chez eux des milliers de membres de ces groupes du Sud
-Est, qui gagnèrent Luluabourg où ils cherchent refuge
auprès de l'administration. Ils furent installés par les
Européens et bénéficient des premiers avantages de la vie
coloniale : missions, l'école et hôpitaux. Très vite
ils commencèrent à se sentir différents des habitants du
pays, et ce sentiment partagé par ces derniers se cristallisa dans
l'usage des termes Luba et Lulua ».98(*)
A quoi Vansina veut -il en venir ? En effet, dans des
nombreux cas dit-il « ce n'est pas la tribu qu'il convient
d'étudier. Les historiens sous-entendent souvent que les tribus ont une
histoire et que l'histoire de l'Afrique centrale précoloniale est une
histoire tribale. C'est ici que prévalent certaines notions
trompeuses ».99(*) En effet : « Culturellement les
royaumes peuvent être hétérogènes (...) ou
inversement des unités politiques différents peuvent appartenir
à la même culture ».100(*) Il faut donc discerner l'histoire culturelle de
l'histoire politique. Il est convenable en histoire politique de ne pas
étudier l'histoire de la tribu qui n'est pas une entité
perpétuelle, d'étudier plutôt l'unité
politique : royaume, village ou lignage. Dans la région culturelle
Lunda, selon la classification de Vansina d'alors, nous avons les Mbagani
(Bindj),Lwalwa, Sala Mpasu ,Sud Kete ,Noyau Lunda, Cokwe, Lunda de l'Ouest
,etc., mais entre 1500 et 1900 l'histoire est étudiée par lui au
point de vue des entités politiques de base ,royaume ,village ou
lignage, chefferie, etc. Les cartes ethniques subséquentes qu'il utilise
sont culturelles à proprement parler ou politiques.
« Plusieurs « tribus » du Haut -Katanga par
exemple sont tellement semblables culturellement que du point de vue de
l'histoire de la culture, elles peuvent être considérés
comme si elles formaient une seule entité. Du point de vue de l'histoire
politique, ce sont les chefferies qu'il convient de distinguer les unes des
autres ».101(*)
Il est plus que révélateur en somme de savoir
qu'une tribu peut être une construction telle que nous le constatons avec
la tribu Lulua. Beaucoup de conflits contemporains, tel celui le plus
énigmatique des tribus du proche Orient , frisent à plusieurs
égards et de plusieurs cotés des réalités
construites artificiellement. Il faut toutefois, à ce moment là,
assurer les droits y relatifs comme réalité désirable et
moralement acceptable, susceptible de persister pour un ordre mondial durable.
Soulignons que pour Vansina, outre ce qui
précède en ce qui concerne les royaumes de la Savane en Afrique
centrale, « la plupart des documents écrits souffrent d'un
défaut fondamental. Ils traitent d'événements vus par des
yeux d'étrangers se trouvant souvent en conflit ou en compétition
avec les peuples locaux ».102(*) A propos de l'histoire de l'Afrique centrale
justement, Jan Vansina dans cet ouvrage qui est un des premiers en la
matière, évoque entre 1963 et 1964 une seule difficulté
principale mais fort importante : « il se pourrait en effet que
la principale raison de notre ignorance présente soit l'absence
générale d'intérêt pour l'histoire de l'Afrique,
exception faite pour l'histoire des efforts européens accomplis sur le
continent. Il en résulte, hélas, le sentiment tacite que, faute
des sources, il est impossible d'écrire l'histoire de l'Afrique
Centrale. Pareille impression est dénuée de tout fondement et
l'objectif principal du présent ouvrage est de rompre avec toute une
tradition de négligence, et de réfuter le sentiment aussi
général que vague qu'en ce domaine il n'y a rien à
faire ».103(*)
Outre cette difficulté qu'il tente de surmonter par
ailleurs, l'auteur passe en revue « les sources sur lesquelles les
historiens fondent leurs travaux, et (...) certaines des notions de base qu'ils
utilisent dans leur interprétation ».104(*) En
effet, « l'historien de l'Afrique centrale s'appuie
essentiellement sur cinq espèces différentes de sources :
les documents écrits, les traditions orales, les données
archéologiques, les preuves linguistiques, et les données
relevant de l'anthropologie culturelle ».105(*)
1.2.1. Du constructivisme
d'Yves Valentin Mudimbe face à l'Histoire africaine et à la
critique de Jan Vansina
Jan Vansina a longtemps travaillé sur l'histoire et
l'anthropologie en Afrique Centrale, spécialement en République
Démocratique du Congo. Vansina est un africaniste d'origine belge
installé actuellement depuis de nombreuses années à
Wisconsin aux Etats-Unis. A propos de Mudimbe, il dit
ceci : « A ces lecteurs qui, jusqu'à présent
n'avaient pas prêté attention à la philosophie de
l'histoire, Mudimbe parut d'un seul coup démolir le fondement d'une
science « objective » de l'histoire en
général et du matérialisme historique,en particulier. En
réalité, il ne contestait pas la possibilité d'atteindre
l'objectivité mais simplement dénonçait les partis pris
des sciences sociales et humaines. Plusieurs historiens de l'Afrique
découvrirent soudainement, pour la première fois, que l'histoire
n'est pas une « science » et que « la
vérité » absolue n'existe pas (Vansina,
1994 :219) ».106(*)
Jan Vansina caractérise le constructivisme en
histoire par cinq traits fondamentaux qui sont selon ses analyses, à
divers degrés, présents dans l'ouvrage de Mudimbe : Le
constructivisme en histoire affirme d'abord que toute conscience historique est
un produit idéologique du présent et reflète les relations
de pouvoir au présent : le « passé n'existe
pas ». Secundo : Il soutient que même s'il existait, le
passé ne peut pas être connu, parce que ses traces
immédiates (textes écrits, données archéologiques)
sont interprétés et, ainsi
« inventées » par les lecteurs actuels
(« déconstruction »). Tertio : il insiste sur
le fait que l'objectivité n'est pas seulement impossible à
atteindre mais qu'il est inutile de s'efforcer de l'atteindre, car
l'interprétation subjective d'un acteur donné est ce qui importe
le plus dans l'historiographie. Quarto : il n'y a pas de
démarcation véritable entre fait et fiction. Enfin, il est
hypocrite de rechercher un consensus parce que c'est une tentative d'imposer le
point de vue relatif d'un individu ou d'une oligarchie à tous les
autres.107(*)
Pour Jean Copans, bien entendu, « les
théories élaborées en Europe et pour l'Europe
peuvent être appliquées aux pays de la périphérie
mais il ne faut pas oublier que les théories sont des
élaborations sociales, culturelles, et par conséquent relatives,
c'est-à-dire datées historiquement. C'est l'obstacle le plus
puissant à l'évaluation du poids relatif des facteurs internes et
externes ».108(*)
Nous allons nous référer à titre
d'exemple à la critique actuelle de Jan Vansina contre le
postmodernisme d'Yves Valentin Mudimbe ; ce dernier n'hésite pas
à affirmer que « l'histoire est une légende,
une invention du présent. Elle est à la fois une mémoire
et une réflexion de notre présent. M.Bloch et Fernand Braudel
disent la même chose quand ils présentent l'histoire comme une
tentative d'établir une relation entre un cadre conceptuel, un
modèle net, les rythmes multiples du passé ».109(*) Mudimbe partagerait le credo
postmoderniste qui dit qu'il n'existe pas de discours strictement objectif
à propos d'une société, du passé et du
présent.
Bernard Mouralis souligne « La
réflexion que Mudimbe a menée, antérieurement ou
parallèlement, sur le discours tenu à propos de l'Afrique par les
sciences humaines ».110(*) Après avoir montré comment
Mudimbe subvertit Foucault et Lévi-Strauss pour les mettre au service de
son projet humaniste et adapter ses problématiques au contexte
américain , surtout celui des Black (African) Studies
et des théories postcoloniales , B. Mouralis s'attache
« à analyser la manière dont le sujet postcolonial , en
l'occurrence Mudimbe , s'inscrit dans son milieu archéologique et
existentiel pour faire l'objet d'un procès de dé/construction
,c'est-à-dire à la fois de démontage de l'ordre colonial
et de construction d'un nouvel être -au -monde postimpérialiste et
postnational ».111(*)
Aujourd'hui, des chercheurs attirent l'attention
sur les traditions et les structures de pensée française et en
particulier sur la façon dont elles se sont adaptées au soutien
du colonialisme et de l'empire. Plus particulièrement Valentin Yves
Mudimbe, Chris Miller et Gary Wilder ont suggéré de nouvelles
méthodes pour évaluer les défis intellectuels ;
ils « montrent de façon convaincante que la vision
française de l'Afrique /autre est étroitement liée aux
conceptions que les Français ont d'eux-mêmes. (... ) Mudimbe en
particulier souligne les difficultés que cette tradition a posées
aux penseurs africains francophones et à leurs efforts pour se
libérer des structures françaises de pensée coloniale et
modernistes. »112(*) Il faut « un vaste programme du devenir du
continent africain et de celui de la Diaspora, programme correspondant à
ce que Mudimbe appelle l'invention de l'Afrique,et qui consiste à
élaborer un discours total pour parler de l'Afrique à partir du
point de vue africain. »113(*)
Le point de vue de Jan Vansina que nous avons
présenté ressort d'un grand débat sur le
thème : « comment sortir de la bibliothèque
coloniale ». Nous l'avons déjà dit. Aujourd'hui c'est
un des enjeux, affirme Mudimbe, « le passé (colonial)
paraît encore dédoubler efficacement le présent
zaïrois (congolais). Comment le clôturer ? Sous quel mode le
nier à tout jamais ou le figer en éclats brillants sur un mur de
musée ? Ou encore, pour quelles raisons et à quelles
conditions vivre avec lui, en le rendant muet certes, mais tout en tirant les
vérités utiles pour la domination de l'avenir qui s'annonce
tumultueux ? Voilà les questions essentielles de la culture et de
la science zaïroise aujourd'hui. Elles pourraient expliquer l'impudeur de
leur projets, la naïveté de leurs tentatives et positivement
banale : quelle expérience entreprendre pour cesser d'être le
« fils »de son « père »et
à quel prix vivre sa propre histoire et devenir maître de son
destin ».114(*)
L'enjeu pour aujourd'hui, ce que nous devons construire
des discours ou des institutions sur d'autres conceptions et sur des
expériences socio- culturelles traditionnelles ou
présentes. Aussi faut-il d'abord trouver cette culture. Une des
questions essentielles est la suivante : où trouve-t-on cette
culture (congolaise, alors) zaïroise ? « La
bibliothèque ethnologique belge » est, paradoxalement, devenue
le miroir culturel par excellence, dit Y-V Mudimbe. Elle parait être la
régulatrice majeure, non seulement des quêtes sur le passé,
mais aussi des compréhensions, sur la société actuelle.
Des Zaïrois Bakongos récitent aujourd'hui leur culture
traditionnelle en fonction des Etudes Bakongos de Van Wing ou des traces
discrètes des apostilles de l'italien Luca de Catanisetta qui remontent
à la deuxième moitié du XVII e siècle (voir
l'édition établie par F.Bontinck, Diaire congolais,
Louvain -Paris, 1970) ; les Luba, (...) lorsqu'il est question de leur
culture, reconduisent aujourd'hui des prescriptions herméneutiques
subrepticement apostillées par RR.P.P. Coble et Van Caeneghem. Il n'est
pas jusqu'aux initiés potentiels Songye qui ne conçoivent et ne
disent la grande voie initiatique de « Bukishi » qu'au
travers des lumières et souillures nommées par un ancien colonial
dans l'Esotérisme des Noirs dévoilé ».115(*)
La problématique spécifique, corollaire à
la reconstruction théorique de la construction d'une nouvelle
réalité sociale en Afrique, s'articule ici d'un point de vue de
la connaissance et du langage. Pour Mudimbe, la culture
congolaise « parait se réduire à un genre de
connaissance. (Pourtant),il pourrait y avoir quelque paradoxe à le
dire : c'est probablement à partir de cette forme de connaissance
que « le musée zaïrois » s'ouvre et que le
regard peut ,au détour d'une allée ,se figer face à la
beauté des Arts au pays du fleuve Zaïre (voir :
J.Cornet :L'Art de l'Afrique Noire au pays du Fleuve
Zaïre,Bruxelles,1972 et Badi-Banga Ne-Mwine,Contribution à
l'Etude historique de l'Art plastique Zaïrois des Beaux-arts
)et,éventuellement à propos d'un symbole ,trouver le fil
d'un récit foudroyant de l'expérience et de l'histoire des mille
et une tribus du Zaïre »116(*).
Aux yeux de Mamadou Diouf, « procéder
à ce mouvement, c'est dans une très large mesure sortir des
controverses entre Jan Vansina et Y.V.Mudimbe et les autres sur la
période la plus déterminante de l'Afrique. La période
précoloniale, pour le premier, permet de reconstruire une histoire
autonome de l'Afrique avec des techniques, des objets, des voix et des
territoires qui échappent au cadre historique européen, tout en
produisant un discours historique qui respecte les règles de
l'écriture historique ; la période coloniale, pour le
second, révèle l'Afrique à elle-même et au monde. Ce
qui importe donc pour ce dernier et pour d'autres, ce sont les textes à
la marge desquels l'Afrique est inscrite. »117(*) Pourtant, en croire
encore Mamadou Diouf, « cette controverse ne prend en compte que les
transactions pour lesquelles la présence de l'Europe devient un facteur
organisateur. Ni les transactions arabes, sahariennes, de la côte
orientale/swahili de l'Afrique, avec les multiples cultures
échangées entre les îles et les rives de l'océan
Indien, ni la difficulté d'identifier tous les échanges entre les
colonies et les métropoles ne sont prises en compte ».118(*)
Au demeurant,« la culture zaïroise ,poursuit
Mudimbe, peut aussi être désignée comme étant la
transcendance de l'école, en un sens plus précis
encore :d'abord parce que l'école coloniale hier,celle de
l'indépendance aujourd'hui, délivrent mots, méthodes et
pouvoirs conceptuels qui permettent à des Zaïrois(congolais
aujourd'hui) ,- à l'instar de ce qu'ont fait Buakassa T.K.M. ,pour
les Kongos, Mulago pour les Bashi ,Mwabila pour les travailleurs de Lubumbashi
et Tshiamalenga pour les Balubas - de construire des langages ou des
institutions sur des expériences socio -culturelles traditionnelles ou
présentes ».119(*)
La question de l'apprentissage et celle de l'évolution
sociale sont liées, et les deux questions peuvent être
posées dans les termes de Mudimbe comme devant être le
dépassement d'« une philosophie de l'éducation
parfaitement enfermée dans les figures et facticités d'une
politique d'acculturation et de ses symboles sociaux : ce sont des
acculturés bien sélectionnés qui ont fait et se
désignent pour le pouvoir ; ils incarnent au Zaïre
(République Démocratique du Congo) la
« culture ». La question centrale de changement au Congo se
ramène encore à l'exigence de l'inculturation.
« Il s'agirait, pour nous Africains, dit Mudimbe,
d'investir la science, en commençant par les sciences humaines et
sociales, et de saisir les tensions, de re-analyser pour notre compte les
appuis contingents et les lieux d'énonciation, de savoir quel nouveau
sens et quelle voie proposer à nos quêtes pour que nos discours
nous justifient comme existences singulières engagées dans une
histoire, elle aussi singulière. En somme, il nous faudrait nous
défaire de l'odeur d'un Père abusif : l'odeur d'un Ordre,
d'une région essentielle, particulière à une culture, mais
qui se donne et se vit paradoxalement comme fondamentale à toute
l'humanité. Et par rapport à cette culture, afin de nous
accomplir, nous mettre en état d'excommunication majeure, prendre la
parole et produire différemment ».120(*) L'effort de notre
dépassement à la suite de John Searle se situe là
justement au niveau de la question complexe du constructivisme.
1.2.3. Le projet de l'épistémologie de
la différence et l'épistémologie constructiviste de la
continuité
Valentin Yves Mudimbe explicite son projet
épistémologique comme suit : « nous nous
interrogeons en vue de nous « libérer », sur les
possibilités ou les conditions d'un discours scientifique qui serrait
spécifiquement africain ».121(*) Et il constate qu' « il est devenu
usuel de s'interroger sur le lieu d'où part la parole et sur
l'archéologie qui assure ce qui est dit ».122(*) Il émet l'espoir
d'aboutir à une science africaine au nom d'une
épistémologie de la différence des connaissances
considérées depuis comme la doxa ou la pré-histoire des
connaissances occidentales.
Son projet fait suite au fait que « les sciences
sociales et humaines en Afrique, poursuit-il avec
sévérité, sont des « sciences
folles » parce qu'elles opèrent dans un contexte singulier au
moyen des instruments et des paramètres
inappropriés ».123(*)Valentin Yves Mudimbe cristallise et fustige par
conséquent « l'ambiguïté et les
équivocités des sciences humaines qui se sont imposées
chez nous comme des « sciences » sans dire dans quel sens
elles méritaient ce titre ».124(*) Nous devons contourner la situation des
« langages en folie », c'est-à-dire « la
transposition et l'application non critique des théories produites,
travaillées, soutenues par un ordre dans un contexte totalement
différent où elles s'érigent en
« dogmes », en « canons », en
« vérités absolues ».
En effet, dira-t-il précisément, « il
me parait probable, pour ne pas dire certain, que le propos d'une science
« africaine » qui, régulièrement, depuis une
vingtaine d'années, se profile agressivement derrière les
paradigmes classiques d'une philosophie, d'une anthropologie ou d'une
théologie, puisse un jour faire apparaître comme une constante des
énoncés qui seraient parfaitement transcriptibles en dispositions
concrètes et pratiques d'un savoir. Actuellement, « ces propos
se réalisent dans des discours qui ont l'air subversifs et qui le sont
peut être effectivement, mais dont la pertinence est souvent
discutée du fait que leurs propositions ne ressortissent pas à
l'espace normatif ».125(*) Pourquoi en est-il ainsi ? Ce serait sans doute
parce que, à la suite de Foucault, « il se peut toujours
qu'on dise le vrai dans une extériorité sauvage ; mais on
n'est pas dans le vrai qu'en obéissant aux règles d'une
« police » discursive qu'on doit réactiver dans ce
discours. La discipline est un principe de contrôle de production du
discours. Elle lui fixe des limites par le jeu d'une identité qui a la
forme d'une réactualisation permanente des règles
».126(*)
Cette possibilité se justifie par
l'épistémologie dite de la différence qui conduit aux
modes successifs mais différents d'organiser la société.
C'est la question dite de la différence coloniale. Mudimbe donne
l'exemple à la suite de Michel Foucault, de transcendantaux
épistémologiques qui sont justement les conditions d'une
épistémologie de la différence dans la constitution de la
science. Un type de savoir se crée parce qu'on privilégie un
élément d'une paire, constituant en lui-même une
perspective. Dans l'étude du corps ou en biologie, dans l'étude
de la société (sciences économiques) et dans la langue
(grammaire générale), deux perspectives sont envisageables :
la fonction ou la norme, le conflit ou la règle, et enfin la
signification ou le système. Chaque perspective crée un type de
savoir justement. Disons que le constructivisme consiste à mettre les
deux paires d'une même série ensemble.
Certains auteurs vont privilégier le conflit ;
dans les études des langues nous aurons l'existence des
prétendues langues civilisées et celle des langues anormales et
sans culture. Ferdinand de Saussure va privilégier la règle
à la place du conflit ou en anthropologie, la mentalité normale
ou mystique chez Lévi- Bruhl.
Notons aujourd'hui que le
paradigme de domination à l'oeuvre dans les marxistes structuralistes,
le paradigme de conflit développé dans les théories
actionnistes, le paradigme d'intégration tel qu'il est à l'oeuvre
dans les théories structuro-fonctionnalistes, et le paradigme de
compétition dans les théories utilitaristes sont reconstruits
ensemble dans la mouvance constructiviste.127(*)
1.2.4. La
« mentalité mystique et prélogique» de Lucien
Lévi Bruhl comme violence symbolique.
Un type de savoir se crée parce qu'on privilégie
un élément théorique d'une paire, constituant en
lui-même une perspective : la fonction ou la norme, le conflit ou la
règle, et enfin la signification ou le système. Lucien
Lévi Bruhl examine les mentalités normale et mystique, et
débouche sur la « pensée sauvage » des Noirs
et des Indiens. De ce point de point il débouche sur une violence que
nous qualifierons sans réquisitoire de
« symbolique » envers d'autres peuples :
« la violence symbolique est cette coercition qui ne s'institue que
par l'intermédiaire de l'adhésion que le dominé ne peut
manquer d'accorder au dominant (donc à la domination) lorsqu'il ne
dispose, pour le penser et pour se penser, ou, mieux, pour penser sa relation
avec lui, que d'instruments de connaissance, qu'il a avec lui et qui,
étant la forme incorporée de la structure de la relation de
domination ».128(*)
En plus, « il y a violence symbolique dès que
l'on « met des formes » pour enfouir la violence ouverte,
dès qu'une censure autorise l'action déformée de la force,
(forme) douce et larvée que prend la violence lorsque la violence
ouverte est impossible. (...) Elle est cette violence qui s'exerce sans se
faire sentir et qui exige le consentement de celui qui en est la victime
».129(*)
Nous reformulons la question à partir de Lévi-
Bruhl pour river vers les sciences sociales « esclavagistes et
coloniales ».130(*) A la suite des explorations du Baron Von den Stein
dans les années 1890, il rapporte un énoncé resté
célèbre de la bouche des
indigènes : « Les Bororo sont des Araras »
...en affirmant une identité essentielle entre les individus de la tribu
des Bororo et les perroquets rouges qui leur servent de totem, (ceci)
défie le principe de non-contradiction, selon lequel on ne peut pas dire
« A est non-A ». (... ) Rien dans le concept de Bororo
n'indique qu'ils puissent recevoir le prédicat
« Arara ». (... ) Les Bororo donnent froidement à
entendre qu'ils sont actuellement des Araras, exactement comme si une chenille
disait qu'elle est papillon. Ce n'est pas un nom qu'ils donnent, ce n'est
pas une parenté qu'ils proclament. Ce qu'ils veulent faire entendre,
c'est une identité essentielle ».131(*) L'approche d'Ernest Cassirer sur la logique
symbolique replace cette question dans la pensée mythique et
totémique, comme pensée universelle.
Le thème de la violence symbolique est ici
évoqué pour illustrer un schème de pensée qui
violente l'humanité de l'Autre. Ce schème de pensée est
rival à des schèmes interprétatifs des africains
eux-mêmes d'eux-mêmes. Un schème de pensée peut
être « pertinent »à une époque pour des
buts avoués ou inavoués, en demeurant moralement inadmissible.
L'oeuvre comme celle de Pierre Bourdieu s'est
érigée de plusieurs cotés comme antidote à ce
colonialisme des sciences sociales, s'attaquant notamment à la
théorie prélogique du « primitif »des
aborigènes : « Lévy- Bruhl, qui était
philosophe, avance dans La Mentalité primitive (1922) et
L'Âme primitive (1927), que la mentalité primitive est
prélogique et mystique parce qu'elle ignore les principes
d'identité et de non-contradiction sur lesquels se fonde la
pensée moderne ».132(*) La réponse de Pierre Bourdieu ,est ,en
propres termes de Gaston Bachelard, que « le monde où l'on
pense n'est pas celui où l'on vit » ; l'ethnologue
enfermé dans son ethnocentrisme scolastique peut percevoir une
différence entre deux « mentalités » ,deux
natures , deux essences, comme Lévy -Bruhl - et d'autres, plus
discrètement ,après lui- ,là où il a affaire en
réalité à une différente entre deux modes ,
socialement construits, de construction et de compréhension du
monde ; le second pratique ce qu'il a en commun avec des hommes ou des
femmes en apparence très éloignés de lui dans le temps et
l'espace social , et dans lequel il ne sait pas reconnaître le mode de
connaissance pratique (souvent magique, syncrétique , en un mot
prélogique) qui est aussi le sien dans les actes ordinaires de la vie.
L'ethnocentrisme scolastique conduit à annuler la
spécificité de la logique pratique, soit en l'assimilant à
la logique scolastique, mais de manière fictive et purement
théorique (c'est-à-dire sur le papier et sans conséquences
pratiques), soit en la renvoyant à l'altérité radicale,
à la non-existence et à la non-valeur du
« barbare » ou du
« vulgaire » ».133(*)Pierre Bourdieu évoque ici l'Habitus en tant
que connaissance pratique.
Lévi- Brulh compare cet énoncé à
d'autres énoncés qui lui ressemblent... (par
exemple : « les Trumai sont des animaux
aquatiques ») et rapporte ces énoncés aux pratiques
dans lesquelles ils prennent sens (par exemple : lorsque un Bororo voit un
Arara , il agit comme s'il avait affaire à un Bororo : il le craint
ou le respecte, ou le salue). L'ensemble de ces énoncés et de ces
pratiques semble alors régi par un principe logique qui leur est commun,
et qui diffère radicalement du principe de non-contradiction. C'est ce
principe que Lévy-Brulh appelle participation :
« Les Bororo sont des Araras »signifie que le concept de
Bororo « participe » du concept d'Arara,
c'est-à-dire qu'un Bororo peut être à la fois tout ce
qu'implique le concept de Bororo (homme, mortel, doté d'un coeur et de
reins...) et tout ce qu'implique le concept d'Arara (rouge, volant,
fier...) ; autrement dit, la logique de la participation tolère que
A puisse être non-A ».134(*)
Finalement, il y a deux positions en
présence : «la première consiste à
étudier les conditions de possibilité d'une telle logique
contradictoire, et d'en déduire a priori si une telle logique est
possible ou non. C'est la démarche proprement philosophique ou logique,
telle qu'elle a été adoptée par la philosophie analytique,
en partant du problème posé par Lévy-Brulh. La
deuxième solution consiste à poser que cette logique
contradictoire est possible de fait qu'elle a été
constatée empiriquement, et à chercher les conditions de
possibilité de cette logique non a priori mais a
posteriori, par enquête sur les pratiques humaines où ce type
de logique prend sens. C'est la démarche proprement anthropologique
».135(*)
W .V.O. Quine a repris le fameux exemple de
Lévy-Bruhl qui s'interroge sur la signification de cet
énoncé.136(*) La question que pose alors Quine est celle-ci :
Pouvons -nous désigner une chose ou un état mental tel que
« Bororo » et « Arara » qui seraient
identiques pour les indigènes et pour l'anthropologue ? La
réponse de Quine ( ... ) est négative : nous ne
connaissons pas la signification d'un mot ou d'un énoncé
indépendamment de l'ensemble des énoncés qui font sens
dans un contexte donné, ce que Quine appelle aussi
« schème conceptuel »permettant de connaître
la réalité. C'est le fondement de la thèse de
« l'opacité référentielle » et du
« holisme conceptuel ».137(*)
En revenant au débat de départ,
« par « Arara » : à la question de
savoir, s'agit-il du perroquet rouge que l'on voit dans la forêt, ou de
l'image de ce perroquet dans le totem planté au milieu du village, ou du
bec de perroquet, ou l'essence du perroquet ? Pour résoudre ce
problème, Von den Stein aurait étudié toutes les occasions
où le mot « Arara » est énoncé, c'est
-à- dire toutes les pratiques rituelles dans les quelles
l'énoncé « les Bororo sont des Arara »prend
sens ».138(*)
L'argumentation peut ainsi se résumer :
« Il ne peut en effet y avoir traduction que s'il y
a possibilité de s'accorder avec les indigènes sur ce que Quine
appelle des « signification -stimuli »,
c'est-à-dire des sensations communes qui ne dépendent que de la
réaction naturelle de l'homme aux stimuli de l'environnement
extérieur, et non des différences de langue. Or, pour que cet
accord sur les stimuli soit possible, il faut que l'indigène et
l'anthropologue partagent une forme logique commune, la négation et
l'affirmation - ce que Quine appelle les « connecteurs
logiques ». Il faut donc que le principe de non -contradiction soit
universellement partagé. (...) L'anthropologue ne peut traduire la
langue des indigènes qu'en projetant sur elle sa propre logique, faute
de quoi il ne pourrait même pas traduire. La thèse d'une
« mentalité prélogique » qui donne sens
à l'énoncé « Les Bororos sont des
Araras »est donc fausse : elle est le produit d'une mauvaise
traduction, qui ruine toute possibilité de
traduction ».139(*)
Ce débat oppose les philosophes aux anthropologues.
Lévy-Bruhl suppose une différence fondamentale entre
pensée moderne et pensée primitive ou, plus exactement entre les
représentations collectives de la pensée moderne et les
représentations de la pensée primitive. Ainsi Lévy-Bruhl
s'intéresse à ce qui lie les représentations et les
catégories. Il mène une étude de la variation non plus des
catégories ou des concepts mais des formes d'argumentation par rapport
à la variation des formes sociales d'organisation et de la contrainte
qu'exercent les secondes sur les premières.
Lévy -Brulh sera abondamment évoqué
également dans la philosophie analytique à l'occasion du
débat sur la rationalité et le relativisme qui a opposé
les philosophes et anthropologues dans les années 1970. Deux points de
vue sont mis en exergue : le premier discute « l'ouvrage de
l'anthropologue P.Winch, The Idea of Social Science, qui défend
dans l'inspiration de l'analyse des jeux de langage dans l'école
d'Oxford issue des derniers enseignements de Wittgenstein, la thèse
selon laquelle on ne peut comprendre le sens d'un énoncé en
sciences sociales qu'en le replaçant dans le contexte de la
société (ou, en termes wittgensteiniens : dans la forme de
vie) où il apparaît. Cette thèse suscite un débat
philosophique parce qu'elle implique qu'il n'y a pas de
supériorité du savoir de l'anthropologue par rapport au savoir
ordinaire des sociétés étudiées,
c'est-à-dire que le but de l'anthropologue est de penser et agir
« comme un primitif » et non de produire une description
vraie de leurs énoncés et de leurs actions. Contre cette
thèse, les philosophes participant à ce recueil défendent
un principe de rationalité extérieur à la pratique
ordinaire, qui permet de faire une description théorique vraie
supérieure à la compréhension que les agents ont
eux-mêmes de leurs pratiques. « Les sociologues qui
interprètent mal la culture étrangère sont comme des
philosophes qui tombent dans des difficultés d'usage de leurs propres
concepts ».140(*)
Le second ouvrage discute les thèses de l'anthropologie
des sciences de B. Barnes et D. Bloor, inspirée de la pensée de
T.Kuhn, selon laquelle les différents paradigmes scientifiques qui se
sont succédés au cours de l'histoire sont entre eux
incommensurables comme des cultures différentes, en sorte qu'il n'y a
aucune supériorité de la science actuelle sur les sciences
considérées aujourd'hui comme fausses.141(*)
La figure de Lévy -Brulh revient à plusieurs
reprises : c'est à travers les analyses ethnographiques d'Evans
-Prichard, qui fut à la fois inspiré par la démarche de
Lévy -Brulh et critique la doctrine de la « mentalité
primitive » qu'illustre le fameux exemple « Les Bororo sont
des Araras », revient à plusieurs reprises dans des
discussions ». 142(*) En somme, à l'hypothèse
théorique d'une mentalité prélogique qui semble
résoudre le problème, Quine substitue donc celle de
« l'indétermination de la traduction ».143(*)
A propos de la logique Raphaël Ntambue Tshimbulu ,dans
son livre intitulé La logique formelle en Afrique noire,
corrobore la position particulariste et souligne le fait que la base de la
position favorable à l'existence de la « logique
africaine » stipule ,pour reprendre l'expression de Bimuenyi
,que « des catégories ,des concepts ,des images,
opératoires à une époque, peuvent cesser de l'être
à une autre époque ;opératoires pour un milieu ,ils
peuvent ne pas l'être pour un autre milieu à la même
époque ». Un discours sur les modes africains de pensée
est donc justifié par l'expérience et les circonstances
spacio-temporelles de l'Afrique. Il devient, dès lors, évident
pour Hebga d'exorciser le discours africain de l'idée d'une
« logique canon » dont la référence est
l'Occident. Aux yeux de Hebga, la valeur des principes logiques dépend
de la différence des systèmes de référence comme en
témoigne d'ailleurs, au sein de la « civilisation occidentale
modèle », la relativité de la
vérité. « Il est donc permis, conclut Hebga, de
rejeter en logique comme en esthétique, tout impérialisme
prétentieux ».144(*)
Au demeurant, la proposition de Donald Davidson, disciple de
Quine, consiste à radicaliser la critique contre Lévy- Bruhl sur
le fameux problème de la mentalité primitive.145(*) C'est la position de
Davidson, davantage que celle de Quine, qui fait référence du
côté des philosophes dans le débat sur la
rationalité et le relativisme, notamment à travers son article
« Sur l'idée même de schème
conceptuel ». Dans cet article, Davidson critique en effet ceux qui
ont tiré la philosophie de Quine dans un sens relativiste, notamment
Kuhn et Feyerabend en s'inspirant de la notion de schème conceptuel pour
en déduire l'idée de paradigmes scientifiques incommensurables
entre eux comme des cultures étrangères les unes aux autres.
Contre cette thèse, Davidson reprend un élément assez
mineur dans la pensée de Quine en lui donnant plus d'importance :
le principe selon lequel nous ne pouvons connaître la pensée d'un
autre individu ou d'une autre société qu'en projetant sur elle
les critères de notre propre logique, ce que Quine appelait un
« principe de charité ». Davidson étend ce
principe de charité du domaine des connecteurs logiques (oui, non,
et,...), qui en constituait le seul champ d'application pour Quine, à
l'ensemble des croyances » que nous pouvons partager avec un autre
individu ou une autre société.146(*)
Donald Davidson s'approche d'une position proche de celle de
Lévy -Brulh lorsqu'il décrit des paradoxes de l'action
rationnelle. Il peut y avoir des cas, remarque-t-il, où un individu
n'agit pas selon la croyance qui est la plus rationnelle mais selon une
croyance contraire à celle-ci. Donald Davidson accepte de la
psychanalyse un principe important : la psychologie ne vise pas à
prédire déductivement l'action d'un individu à partir de
ses représentations mentales , comme on peut prédire la chute
d'une pierre à partir de la connaissance de la loi par laquelle elle
tombe , mais on peut seulement interpréter inductivement les raisons
pour lesquelles un individu a agi , en considérant cette raison comme la
meilleure possible dans une situation , et en prenant en compte la
possibilité de croyances contradictoires ».147(*)Dans notre dissertation nous
reviendrons abondamment sur cette théorie de comportement.
Au demeurant, pour revenir à la discussion,
« Davidson, refuse que l'énoncé qui constitue le point
de départ de la réflexion de Lucien Lévy- Bruhl ait un
sens : le problème qu'il a posé est un faux problème,
et l'idée d'une mentalité prélogique est
absurde ».148(*)
L'analyse de Lévi-Strauss (dans Problème de
mentalité primitive en1962, dans Le Totémisme
aujourd'hui, et dans La pensée sauvage) consiste en un sens
à serrer au plus près l'énoncé des Bororo
tel qu'il a été relevé par Von den
Strein : « Les Trumai (tribu du Nord du Brésil)
disent qu'ils sont des animaux aquatiques. Les Bororo (tribu voisine) se
vantent d'être des Araras (perroquets rouges) ». Ce qui est
important dans cet énoncé , pour Lévi-Strauss ,c'est moins
l'identité entre les Trumai et les animaux aquatiques , ou entre les
Bororo et les Araras , que le fait que les Bororro se vantent auprès des
Trumai d'être des Araras , alors que ceux -ci ne sont que des animaux
aquatiques. Autrement dit, l'énoncé en question ne comporte pas
deux termes, mais quatre : « Les Bororo sont aux Araras, ce
que les Trumai sont aux animaux aquatiques ». L'énoncé
n'est pas analytique, mais analogique, il ne prend sens que dans une structure
de réalité formelle.
Bourdieu montre alors que cette analogie ne régit pas
seulement les énoncés étranges des sociétés
sauvages, mais aussi les énoncés les plus familiers de (la
société occidentale), et c'est en cela que, de l'anthropologie de
Lévi-Strauss, il revient à une sociologie (de la
société occidentale) dans le sens de Durkheim. On peut aussi
comprendre toutes les analyses de La distinction comme une
réévaluation de l'énoncé « Les
Bororo sont des Araras », montrant une logique sauvage ou primitive
dans nos jugements de goût les plus quotidiens ».149(*) Il systématise la
logique pratique en dehors de la logique théorique.
1.2.5. L'Habitus et la logique
pratique de Pierre Bourdieu
Pierre Bourdieu a reformulé l'énoncé
constituant le point de départ de ces réflexions. Pour
Bourdieu, de cette reformulation de l'énoncé de base, il faut
tirer une conséquence importante : si l'énoncé
«les Bororo sont des Araras » posait problème à
Lucien Lévy-Bruhl, mais aussi à Quine et à Davidson, c'est
parce que ceux -ci restaient soumis à la logique prédicative
selon laquelle un énoncé doit prendre la forme « S est
P », et par laquelle un prédicat est attribué à
un sujet -ou, en termes aristotéliciens, un accident est attribué
à une substance. Or ces énoncés ne forment qu'une partie
de la vie mentale des sociétés humaines. (...) Il y a donc dans
la vie sociale un ensemble de jugements qui ne suivent pas la logique
prédicative, c'est-à-dire qui n'ont pas besoin qu'un sujet ne
soit que ce qu'il peut être : les jugements sociaux posent le plus
souvent qu'un sujet peut être autre que ce qu'il
est ».150(*)
D'où, en bon langage communicationnel : « Il faut donc
montrer comment fonctionne cette logique qui tolère la
contradiction : c'est ce que Bourdieu appelle « la logique de la
pratique ». Bourdieu tente de montrer que, de façon paradoxale
pour la philosophie, nous n'avons pas une logique mais deux, la logique
théorique et la logique pratique, et que c'est cette dualité qui
fait que nous sommes toujours en décalage par rapport à nous
-mêmes et que nous tombons dans des problèmes insolubles sur notre
pratique, que nous ne pouvons résoudre qu'en passant par l'autre,
c'est-à-dire le « primitif »».151(*)
Le principe logique de la construction de la
réalité (sociale) de Pierre Bourdieu s'oppose directement
à celui d'Emmanuel Kant dans la Critique de la raison
pure ; il s'agit non d'« un système de formes
et de catégories universelles mais (d') un système de
schèmes incorporés qui, constitués au cours de l'histoire
collective, sont acquis au cours de l'histoire individuelle et
fonctionnent à l'état pratique et pour la pratique (et non
à des fins de pure connaissance) ».152(*) Les schèmes
incorporés qui ne sont rien d'autre que l'habitus ne sont pas justement
anhistoriques comme des formes a priori de la sensibilité et les
catégories de l'entendement chez Kant ; ce qui emmène
Bourdieu à mettre en question l'universalité de ces dispositions
dites rationnelles. Ces notions dites « universaux »
anhistoriques ne sont pour ce dernier que celles des actions rationnelles ou
des préférences déterminées et
façonnées socialement.
Ceci appelle naturellement des discussions à nouveau
frais des études anthropologiques d'un Lévy-Bruhl sur la
théorie de la mentalité pré -logique ou de
l'universalité de la logique à la suite d'Emile Durkheim.
Lévy-Bruhl (1949) par son attribution des comportements
irrationnels à autrui, a élaboré la théorie de la
mentalité prélogique. Contre ce dernier nous dirons à la
suite de la naturalisation de l'interprétation, que si un agent fait
quelque chose c'est qu'il a une bonne raison de le faire, même si elle
nous paraît bizarre. Amartia Sen stigmatise la différence entre la
conception du comportement rationnel qui a cours en sciences
économiques et le comportement réel : « on suppose
que les êtres humains se comportent
rationnellement ».153(*)
Dans la philosophie des sciences sociales, le principe de
charité interprétative n'est rien d'autre qu'une sorte de
justification théorique de la tendance à trouver des raisons
à des comportements apparemment irrationnels. Cela veut dire qu'il faut
toujours supposer que votre interlocuteur comprend ce qu'il dit, il respecte le
principe de contradiction. L'hypothèse de la stupidité de toute
une classe des interlocuteurs doit être exclue. W.V.Quine nous demande de
ne pas attribuer à notre interlocuteur des énoncés
illogiques et Donald Davidson nous demande de ne pas attribuer à notre
interlocuteur trop de croyances irrationnelles, contradictoires, allant
à l'encontre des évidences.
1.3. Conclusion partielle
Nous pouvons nous rendre compte que les sciences sociales qui
ont fait l'objet de notre examen l'ont été du point de vue
esclavagiste, colonial et néo-colonial. Nous les avions abordées
au sens où elles partagent les mêmes approches,
spécialement celles structuro-fonctionnaliste ou systémique,
avec des résultats différents selon qu'il s'agit des sciences
sociales pour l'Europe ou pour l'Afrique. Leurs concepts relèvent d'un
paradigme substantialiste ou essentialiste. Cette pratique scientifique est
gérée par la présupposition philosophique fondamentale de
la modernité/colonialité, en dévoilant
l'hétéro-structure de la modernité.
La question fondamentale est posée au niveau des
approches de base en ethnologie, en Histoire africaine, en Sociologie, en
Droit ; mais un tel examen peut s'étendre à d'autres
sciences sociales telles que l'économie normative, la Théologie,
etc. Une étude peut aussi être menée pour examiner le
rôle des sciences sociales nouvelles : les sciences informatiques,
les sciences de la décision, les sciences de l'information et de la
communication, etc.
Nous allons maintenant examiner l'apport de l'approche dite
constructiviste pour affronter avec plus de bonheur ce genre de
problèmes ontologiques et épistémologiques.
Chapitre deuxième :
Les promesses du constructivisme social
2.0. Sommaire du
chapitre
Les courants constructivistes sont
variés, dans ce chapitre, nous nous proposons de présenter
différentes approches théoriques et conceptuelles. Une telle
préoccupation commence par la présentation de
l'intérêt de l'approche de la construction sociale, de son objet,
de son sujet et de son actualité. Le paradigme constructiviste englobe
un ensemble d'approches dites interprétatives qui rallient les
traditions philosophiques aux sciences sociales. Plus spécifiquement la
démonstration est ici fait au moyen du retour aux sources philosophiques
des sciences sociales que nous illustrons à partir de l'approche
structuro- fonctionnaliste et dialectique. Nous ajoutons à cette
reconstruction épistémologique et
« ontologique » les approches langagières et
phénoménologiques.
En effet, à l'heure où l'Afrique est
confrontée au problème de sa survie, de sa libération
politique, économique et culturelle, nous croyons qu'il est fondamental
de répondre en priorité aux questions théoriques,
notamment celles qui sont posées par les sciences sociales en Afrique.
C'est pourquoi sans nullement mettre en veilleuse le retour aux sources de
l'africanité, le philosophe africain devra, en collaboration avec les
philosophes du monde entier, chercher les réponses théoriques
aux questions reconnues universelles au sujet de sa société.
Identifier les ressources théoriques et conceptuelles, se les
réapproprier dans un esprit critique. Nous identifions la trame
discontinue des traditions théoriques des sciences sociales telles
qu'elles structurent et déstructurent nos sociétés. A
ce moment là, il faudra aussi identifier les différentes
conceptions théoriques à partir de quoi reconstruire
philosophiquement.
La situation générale des sciences sociales et
humaines en Afrique débouche sur le projet de la possibilité
d'une science africaine chez Yves Valentin Mudimbe. Disons qu'il s'agit aussi
bien d'une possibilité que de son antériorité
évidente : l'histoire de la pensée africaine
millénaire peut en faire foi.
Mudimbe affirme que la réalité sociale est une
construction, que l'Afrique est une invention que c'est le langage qui
créé la réalité socio-culturelle. Il nous plonge
ainsi en pleine conception constructiviste de la réalité sociale.
Mais quelles sont les promesses du constructivisme ? C'est à cette
question que nous tentons de répondre dans le deuxième chapitre
qui nous fait découvrir les assises théoriques de cette vision,
avant de mettre en relief la contribution particulièrement
constructiviste de John Searle. Nous allons donc découvrir les
méandres du courant constructiviste.
2.1. Approches conceptuelles
2.1.1. Courants du
constructivisme social
Nous dirons d'emblée que l'expression
générale de « construction sociale » qui
s'étend à toutes les sciences humaines aujourd'hui, a dans ses
variantes plusieurs usages. A propos Linda Rouleau nous renseigne que
« la construction sociale ne doit pas être envisagée
comme une théorie ni comme un courant de pensée homogène
».154(*) Il y a en
effet plusieurs conceptions de constructivisme aujourd'hui, « le
constructivisme peut en effet prendre des connotations très
différentes, allant du constructivisme radical au constructivisme social
de Gergen en passant par le constructivisme écologique de Steier et
bien d'autres.155(*)
D'ailleurs Ian Hacking, s'efforce de remettre de l'ordre
nuancé dans le fracas des « constructions sociales, (...)
allant de la folie ou du Japon jusqu'aux particules élémentaires
».156(*) La
différence qu'il tente de démêler des termes comme
constructionnisme, constructivisme, constitutionnalisme, etc. Son attitude
globale, dans ce livre, est celle d'un sceptique à l'égard de la
posture constructiviste social, quelque peu indisposé par l'usage
incontrôlé du terme. Ian Hacking refuse dans la foulée le
fait que le livre de John Searle intitulé La construction de la
réalité sociale soit tout un livre de construction
sociale.157(*) Searle
lui-même utilise l'expression `construction de la réalité
sociale' et non la `construction sociale de la réalité' comme
chez Peter Berger et alii. En fait son étude est bien plus
tentaculaire.
Pour Linda Rouleau , constructionnisme et constructivisme sont
deux termes généralement utilisés de manière
interchangeable. Du point de vue de la reconstruction
épistémologique, le terme
« constructionnisme » suppose que l'unité d'analyse
est l'interaction entre les individus ou les groupes, alors que le terme
« constructivisme » suppose que l'on privilégie
l'individu et sa capacité d'action ».158(*)
Au demeurant le constructivisme social va à l'encontre
de la conception objectiviste qui prétend aborder la
réalité sociale de façon objective et neutre. Le
constructivisme au contraire, soutient que le sujet
« invente » la réalité qu'il croit
découvrir. Les différentes approches et théories sont
considérées comme autant de discours, de points de vue,
posés sur la réalité sociale ».159(*)Le
« constructionnisme social » comme approche succède
à d'autres approches en sciences sociales.
Dans cette étude nous utilisons le terme de
constructivisme, parce qu'il est plus usité que les autres variantes
dans la littérature.
2.1.2. Le constructivisme :
de l'ontologie sociale
Le domaine de la construction sociale relève aussi de
ce que nous appelons aujourd'hui l' « ontologie
sociale » ; ici les arguments requièrent une
enquête sur la signification et la justification de termes centraux en
sciences sociales et humaines -`existence (-des -faits -sociaux'),'état
de choses','mental','physique', `social', `fait', (agent- structure, le Tout et
ses parties),...-, et sur la détermination de leurs relations. Une
reprise de fameux dualisme cartésien en philosophie des sciences
sociales. On peut justement appeler ` ontologie' les recherches relatives
aux termes centraux des controverses sur le mode d'existence des objets
sociaux. Une enquête ontologique, ouverte à l'imagination et
à l'invention, peut en enrichissant l'ontologie mobilisée-
contribuer à sortir la querelle sur 'la nature de la
réalité sociale' de certaines impasses.160(*) Par exemple, « les
critiques de concept de société mettent en lumière des
présuppositions philosophiques et l'incorporation non
réfléchie d'un certain nombre d'idées et de
représentations ... »161(*) A propos, les sociologues n'ont jamais cessé
d'exprimer leur intérêt pour le problème dit
de « la nature de la réalité
sociale ».
Le « constructionnisme social » part en
fait d'un certain nombre de constats d'inefficacité théorique.
Par exemple dans le domaine de la gestion de la chose
publique, « la décentralisation, qui avait
été vue comme une possibilité de promouvoir la
participation dans de nombreux pays en développement, a finalement
déçu les attentes. (...) D'où, pour critiquer des
approches dominantes, « le point de départ est le
« constructivisme social » ».162(*)
L'ontologie sociale peut être reconstituée et
remontée bien loin en philosophie. Selon Barry
Smith, « le philosophie américain John Searle a
exercé une influence sur les sciences de l'homme non seulement
grâce à ses contributions séminales en philosophie du
langage, notamment par les Actes de langage (1969), mais aussi au travers de sa
récente analyse de l'ontologie de l'action collective et de l'ontologie
des institutions, exposés dans la construction de la
réalité sociale ».163(*) Dans la même ligne Georg Simmel, dans
Etudes sur les formes de la socialisation,164(*) est parti de la question
suivante : Comment une société est-elle possible ?
Plusieurs auteurs ont écrit sur l'ontologie sociale.
Nous citerons à titre d'exemple : Carol Gould, Marx's social
ontology,1978; Georg Lukacs,The ontology of social being
,1978 ; Paul E. Jr. Stroble, The Social Ontology of Karl
Bath,Intl Scholars Pubns,1994 ; Jonathan E.Pike, From Aristote to
Marx :Aristotelianism in Marxist Social Ontology (Averbury Series in
Philosophy)-Ashgate Pub ltd,1999 ; Pierre
Livet, « ontologie du social ,institution et explications
sociologiques »dans L'enquête ontologique ,mode d'existence
des objets sociaux, collection Raison pratique,éditions de
l'école des hautes études en sciences sociales,2000 ; John
Searle,l'ontologie de la réalité
sociale ;Réponse à Barry Smith, dans
Enquête ontologique, Du mode d'existence des objets
sociaux,2000 ; Theunisser ,The other : Studies in the social
ontology of Husserl, Heidegger, Sartre ,and Buber,1984 ;Jules
Donzelot, Le concept d'ontologie sociale,Mémoire de
Master,004/2005; etc.
L'ontologie sociale nous dit que si la thèse
épistémologique est vraie, il n'en demeure pas moins que nous
devons savoir de quelle nature sont les objets sociaux. Or, tout ce que nous
dit la thèse épistémologique est qu'ils sont des
entités sociales. Nous dirons que la dimension ontologique se
préoccupe de la nature des objets intellectuels. Par exemple, en science
sociale en général, « la dimension ontologique de la
relation agent -structure ».165(*) Nous analyserons plus en détails par exemple
le postulat de Tout et ses parties comme dimension théorique sous
-jacente dans le fonctionnalisme d'Emile Durkheim ou dans le structuralisme
d'un Claude Lévi-Strauss.
L'ontologie sociale contemporaine est une notion qui
désigne une activité philosophique particulière. Chez John
Searle l'ontologie sociale est la théorie qui s'occupe de la structure
invisible des faits sociaux.166(*) En effet, la réalité sociale renvoie
à une ontologie parce que, comme le remarque John
Searle, « le monde se découpe de la manière dont
nous le découpons ».167(*)
2.1.3.
De l'intérêt de la construction sociale
L'expression « construction sociale » se
répand en sciences sociales. Aujourd'hui, l'expression construction
sociale de la réalité se trouve au coeur d'un ensemble
impressionnant de recherches nouvelles et de travaux originaux sur les
cultures, les sciences, les femmes, l'histoire, la nature ou la
littérature, etc. Ainsi, il est certain que le maître -mot du
discours des sciences sociales contemporaines est la construction sociale.
Plusieurs choses peuvent être construites : les faits, les
catégories de genre, les objets, les quarks, les maladies, les
diagnostics, la pédophilie, l'identité, la délinquance
juvénile, l'emploi, le corps féminin, la
pénibilité, l'homosexualité, la technologie,
l'équité, de vrais débats, des politiques internationales,
etc. La question essentielle qui se pose est que ce concept est
incontestablement utile, mais quel en est l'intérêt ?
Ce qui est important pour Ian Hacking, c'est lorsque
« la démarche constructiviste est
« stratégique », qu'elle n'a d'intérêt
que dans certains cas ».168(*) Justement, « il n'y a en effet aucun
intérêt à déployer une approche en termes de
construction sociale (...) si tout le monde sait que X est le résultat
contingent d'arrangements sociaux, il ne sert à rien à dire qu'il
est socialement construit »169(*). Ainsi « l'auteur d'un livre sur la
construction sociale des femmes réfugiées ne peut
nier « la matrice des règles », de pratiques et
d'infrastructures matérielles dans laquelle ce concept est
incorporé ».170(*)
Autrement dit, « tous les objets sont
contractuels ou institutionnels et personne ne doute que les contrats et les
institutions sont le résultat d'événements historiques et
de processus sociaux ».171(*) A propos Ian Haching nous donne un
exemple: « si les femmes se retrouvent en fuite, ou devant la
barrière de l'immigration, c'est en raison d'événements
sociaux. Tout le monde sait cela, et il n'y a qu'un fou (ou quelqu'un qui aime
suivre le mouvement) pour se préoccuper de dire qu'elles sont
socialement construites ».172(*) « Le concept de femme
réfugiée semble inévitable dès que vous avez une
certaine pratique de la nationalité, de l'immigration, de la
citoyenneté et des femmes en fuite qui sont arrivées dans un pays
pour y demander asile ».173(*)
2.2.
De l'objet et du sujet de la construction sociale ordinaire
Commençons par la question la plus simple :
qu'est-ce qui peut être objet de la construction sociale ?
« S'agit-il d'une réalité socio- symbolique, d'une
idée ou d'une catégorie 'découpant' et faisant
émerger un référent social (une personne par exemple), ou
s'agit-il de ce référent social lui-même », c'est
Ian Hacking qui pose la question.174(*) Sa réponse est clair : dans la plupart
des cas où est mise en oeuvre une démarche de constructionnisme
social, il s'agit de ces deux entités (dont la seconde, le
référent social, est le produit d'interaction très
complexe) qui ne sont pas liées par une relation à sens unique
mais par un système de va -et-vient négociant les faits qui se
déploient dans le temps ; catégories et
référents sociaux sont interactifs et, pourrait -on dire,
s'entre- construisent dynamiquement. 175(*)
Ian Hacking renvoie l'enjeu à deux
choses : à la définition ou aux catégories et au
référent. La première chose se manifeste comme la lutte
pour la définition légitime et la lutte pour le classement (voir
pour la dernière acception Pierre Bourdieu).176(*)
2.2.1.
La mouvance « constructiviste »
Nous allons aborder l'approche constructivisme à
partir de l'écriture sociologique d'Emile Durkheim et de l'anthropologie
de Claude Lévi- Strauss parce que John Searle trouve là des
points d'encrage. Ces deux auteurs donnent justement priorité aux faits
sociaux au détriment des faits individuels.
Au demeurant, quand on se fixe sur l'opposition individu et
société, que cherche-t-on ? A la suite de Monique
Hirschhorn, nous dirons qu'il y a trois problèmes distincts :
« Le premier problème est d'ordre ontologique. (Il s'agit de
savoir): quelles sont les entités sociales qui existent ? (...) Les
institutions n'existent manifestement pas sous le même mode d'être
qu'un individu organique, comme Pierre et Paul ».177(*) Le deuxième
problème, à la suite d'Emile Durkheim, est qu'« il
parait difficile de ne pas admettre l'existence de telles institutions
« sociales », même s'il ne s'agit pas de les
assimiler à des individus organiques ».178(*) Enfin, et
conformément à l'analyse durkheimienne qui refuse d'hypostasier
ces entités, le monde d'existence correspond à un ensemble des
règles localisées d'un côté dans les
représentations des individus, et de l'autre dans les codes, des
manuels, des registres, des bâtiments, etc., qui donnent
matérialité à l'institution et l'inscrivent dans la
stabilité et la séparabilité empirique sur un terme plus
ou moins long ».179(*) Pour y voir plus clair nous allons illustrer cette
réflexion en sociologie.
2.2.2.
Une ontologie sociale en sociologie
En sciences sociales, le constructivisme vise à contrer
l'éparpillement des théories,qui appelle un recentrage. C'est le
travail auquel s'attelle Michel Freitag, qui essaie
de « reconstruire l'ensemble du projet
sociologique (partant d') un questionnement du niveau
ontologique ».180(*) Il reprend pour cela à Durkheim quelques
questions : « dès l'instant où l'on y
réfléchit, il semble évident que toute théorie
sociologique doit s'appuyer en amont sur une conception ontologique de son
objet d'étude et de poser de questions telles que celles-ci :
quelle est la nature de la réalité sociale ? Quel est le
mode d'être de ce que l'on nomme
« société » et celle-ci a-t-elle une
réalité concrète ou n'est-elle qu'un mot ? Comment
s'établit le lien entre pratiques individuelles et
« structures » collectives ?
Etc. ».181(*)
Michel Freitag adopte une posture intermédiaire qui met
en exergue la spécificité de la socialité humaine.
Rappelons que la série des questions de portée ontologique n'est
pas exhaustive, nous pouvons y ajouter celles qui veuillent savoir
: « quelle est la spécificité de l'action et de la
socialité humaines, (...) qu'est-ce qui structure et oriente
l'action ? »182(*)
En guise de réponse, à propos de la question de
la spécificité de la socialité humaine, on peut dire que
la pratique significative marque la spécificité ontologique
de la socialité proprement humaine. Cette dimension n'est pas
suffisamment mise en exergue chez Durkheim, du moins dans son livre
intitulé Les règles de la méthode sociologique.
En fait, de ce qui précède Michel Feitag
construit une « théorie générale du
symbolisme », (...) il montre combien l'adoption non
réfléchit des modèles issus des sciences de la nature par
les sciences humaines est problématique à plusieurs
niveaux ».183(*) Ajoutons que pour Yves Bonny, Michel Freitag
réinscrit la catégorie de la « pratique
significative » dans la catégorie plus large de
l' « activité » au travers de la quelle ce
rapport s'établit en acte ».184(*) On peut percevoir ici une conception proche de la
philosophie analytique qui bannit le dualisme du type kantien entre la critique
de la raison pure et celle de la raison pratique.
Déjà il faut dire que ce questionnement touche
à ce que l'on appelle l'essence des sciences sociales. Parce que leur
portée ne saurait être limitée à un plan
« épistémologique » compris en un sens
restreint. Car elle véhicule avec elle des implications aussi bien en
matière de théories sociologiques en général et de
méthodologie qu'en ce qui concerne l'inscription du discours
sociologique et plus généralement des sciences humaines dans la
société ».185(*)
A propos Emile Durkheim s'inspire largement de la philosophie
de la nature soit de la géométrie analytique de René
Descartes. Le mode d'être des faits sociaux ne se calque pas sur les
choses comme Durkheim l'affirme, mais ils comportent en eux-mêmes leur
mode d'être propre.
L'ontologie sociale est une pratique qui est aujourd'hui
largement acceptée par la communauté scientifique. Chaque science
sociale a ses particularités. La science politique, par exemple, table
ontologiquement, outre sur le statut de la réalité sociale (Etat,
nation, société civile, mouvements des masses,...) sur les
conditions de son écriture.
2.2.3.
De la thèse épistémologique
Il faut souligner que « le point de vue de la
construction sociale ...(est aussi) une théorie de la connaissance (...)
Le point de vue de la construction sociale propose une nouvelle manière
d'envisager la nature de la science et de la
réalité ».186(*) Allons plus loin « En tant que
théorie de connaissance, on peut aussi remonter le point de vue de la
construction sociale à Socrate qui enseignait à ses
étudiants que la connaissance est une perception. De plus il faut
souligner l'apport de Thomas Kuhn dans la diffusion de ce point de vue. En
postulant que la recherche en physique évolue d'un paradigme (ensemble
de croyances et de perception) à l'autre ».187(*) Selon Dominique David,
« la thèse toute simple du constructivisme est que les
idées et les normes amènent la réalité et non
l'inverse, accordant ainsi une place prépondérante aux
compréhensions et aux représentations que les agents sociaux se
font du monde ».188(*)
La construction sociale est sous-tendue « par deux
thèses, une thèse épistémologique d'abord et une
thèse ontologique ensuite ».189(*) D'un point de vue épistémologique, le
livre de Jean-Louis Le Moigne, donne des indications importantes à
propos du passage des sciences cartésiano -pisitivistes aux
sciences constructivistes. L'auteur décrit l'émergence
des épistémologies constructivistes comme une révolution
issue de la crise des sciences et de l'épistémologie
cartésiano -positiviste. Selon lui les choses se présenteraient
comme suit : « Les grandes sciences positives les mieux
institutionnalisées, la physique et la biologie notamment, connaissent
une crise paradigmatique au moins aussi considérable que celle
provoquée par Galilée au XVII e siècle. Que l'on pense aux
remises en cause suscitées par la physique quantique : (...) que la
même particule puisse être en deux positions de l'espace au
même instant bouleverse - de façon crédible - bien de
référentiels familiers des sciences de la matière. Notre
conception collective de la science se transforme, peut-être
profondément, (...) rien n'est donné
-« objet », tout est
construit-« projet »».190(*) Dans cette perspective,
même l'objet des sciences de la matière n'est donc pas
donné ; il est construit. Ainsi pose -t-il la question de savoir
s'il y a encore un sens à parler de la connaissance objective ?
Selon notre auteur, le constructivisme regroupe plusieurs doctrines, courants
et tendances épistémologiques gravitant en commun autour du
concept de construction, et de préciser : « par
construction, on ne pouvait ni ne voulait plus montrer un discours
épistémologique fini, ou fermé, à la manière
d'un code juridique énumérant les normes du jugement
(objectivité, vérité, non-contradiction, etc.), comme
pouvait le faire le Discours sur l'esprit positif d'Auguste
Comte ».191(*)
A la suite de cette problématique nouvelle, il devient
urgent de nous rendre plus compte d'un certain nombre des questions devenues
pertinentes en épistémologies ou en Histoire des sciences, celui
de leur scientificité ou degré suffisant
d'objectivité en regard des exigences de
positivité ou du réalisme de la connaissance.
Il nous semble pertinent de retenir le manque
d'unanimité sur ces termes. Du point de vue des branches scientifiques
dans lesquelles s'insère chaque courant, le
« constructionnisme », de l'avis d'Ian Hacking,
désigne le courant sociologique, historique et philosophique ; le
« constructivisme » étant utilisé pour
désigner un courant épistémologique des
mathématiques et celui de « constructionnalisme »
pour désigner un type d'opérations intellectuelles
pratiquées en philosophie analytique.192(*) Il existe par ailleurs aussi un
courant constructiviste en sociologie des sciences.
2.2.4. De
l' « épistémologie sociale »
L'épistémologie sociale ou sinon sous une autre
étiquette l'activité intellectuelle que nous étudions peut
être définie comme « l'étude de la connaissance
qui en souligne les dimensions sociales ».193(*) D'emblée en
parcourant les principaux chercheurs qui travaillent dans le domaine, un
consensus peut être dégagé sur le sens du mot
connaissance :
1) Connaissance = croyance
2) Connaissance = croyance institutionnalisée
3) Connaissance = croyance vraie
4) Connaissance = croyance vraie et justifiée (et
d'autres plus).194(*)
L'épistémologie ainsi entendue implique sans
doute aussi une étude des causes de la croyance. Signalons
déjà que, sous cet angle, il doit y avoir une partie de
l'épistémologie qui n'est pas sociale. « Il existe
après tout des mécanismes psychologiques qui sont causes de la
croyance et qui n'impliquent aucun élément social ou
interpersonnel, ce sont les équipements biologiques tels que les
mécanismes perceptifs et mémoriels, ainsi que les
mécanismes de calcul et d'inférence
rudimentaire ».195(*)
En somme la question est complexe parce que
l'épistémologie sociale est une analyse de la dimension sociale
de la connaissance qui implique des aspects non sociaux. Ce paradoxe est au
centre de mode explicatif des sciences sociales. Son point de départ est
la constat que bien des phénomènes ne nous sont connus que par
l'intermédiaire des autres et donc que la connaissance a non seulement
des sources directes, celles auxquelles le sujet a accès, mais aussi des
sources indirectes reposant sur la confiance ou sur l'autorité
accordée à autrui. Ses préoccupations principales
concernent tout ce qui a trait à la dimension sociale de la
connaissance : sa construction, au cours d'interactions, de justifications
recevables ou acceptables. De plus elle reprend des questions qui
étaient au coeur de la théorie durkheimienne des croyances
collectives, ou l'idée d'un sujet collectif du savoir, etc.
L'épistémologie sociale « est une
branche de l'épistémologie naturalisée qui cherche
à déterminer l'influence spécifique des facteurs sociaux
sur la production de la connaissance ».196(*) Elle contient en son sein
l'épistémologie féministe qui « peut être
regardée comme branche de l'épistémologie sociale qui
examine l'influence des conceptions et des normes socialement construites
de sexes et les intérêts et expériences propres à
chaque sexe sur la production de connaissance ».197(*) C'est dans cette ligne que
nous proposons la critique des schèmes conceptuels des sciences sociales
en Afrique, une sorte d' « épistémologie
esclavagiste et coloniale »qui continue.
L'enjeu central repose sur la critique de la connaissance en
tant que croyance justifiée et rationnelle : « une
habitude de connaissance est rationnelle pour autant qu'elle favorise (...) des
réflexions critiques sur soi et qu'elle y répond en
vérifiant ou en neutralisant les mécanismes de formation de
croyances peu fiables, et en cautionnant ceux qui le
sont ».198(*)
Quand nous classifions, « la sociologie de la
connaissance, l'étude de la science et de la technologie,
l'anthropologie culturelle, l'histoire intellectuelle et plusieurs disciplines
font habituellement l'examen de la connaissance entendue au sens (1). Par
contre « les philosophes épistémologues (...), en
remontant jusqu'à Platon, soutiennent presqu' unanimement que la
connaissance exige non seulement la vérité mais aussi que la
croyance soit justifiée, garantie ou acquise d'une manière
appropriée, par exemple grâce à l'usage de méthodes
faibles ».199(*) Ici l'épistémologie de la connaissance
met au centre la question de la vérité.
A quoi correspond le « social » dans
l'épistémologie sociale ? « Dans les
premières formulations de la sociologie de la connaissance, les
« facteurs sociaux » désignaient principalement
divers types d'intérêts : les intérêts de
classe, les intérêts politiques ou les intérêts de
tout autre chose ayant à voir avec le
monde « réel » ou
« existant » du pouvoir et de la
politique »200(*). Ainsi « des pionniers de la
sociologie de connaissance et de la science tels que Karl Mannheim (1936) et
Robert Merton (1973) niaient que la science (au moins la science physique) soit
influencée par des facteurs sociaux »201(*). « L'école
d'Edimbourg et le « programme fort » en sociologie des
sciences de dire même que la science physique est contaminée par
des facteurs sociaux. Dans les deux cas les « facteurs
sociaux » désignent cependant des intérêts ou des
tendances reliés aux classes sociales, à la politique ou (...)
autres ».202(*)
Finalement, du point de vue philosophique « les
facteurs sociaux produisent réellement de différences
systématiques au niveau des valeurs de vérité des
croyances produites ».203(*)
Cette conception épistémologique est
qualifiée d' « épistémologie
sociale » en tant qu'elle s'oppose à une conception classique
de l'épistémologie qui porte un présupposé
individualiste. « L'épistémologie sociale
devrait...insister sur les entités collectives conçues comme
sujets connaissants. (Ainsi) un intérêt des sujets collectifs, y
compris les entités et les croyances, s'est développé ces
dernières années, comme le suggèrent les articles et les
livres de Gilbert(1989), Nelson(1993), Tuomela (1998), Searle (1995) et
Kusch(2002). Ils partagent tous l'idée que les états d'esprit
collectifs sont philosophiquement légitimes et que, si cela est exact,
ils devraient trouver une place au sein de l'épistémologie
sociale ».204(*)
2.3.
Actualité du constructivisme social
Le constructivisme social connaît actuellement un
renouveau comme courant contemporain dans l'optique analytique de la
philosophie du langage à travers le livre de John Searle, La
construction de la réalité sociale ,qui traite aussi de
l'ontologie sociale en tant qu'étude de la nature des théories
sous-jacentes de la réalité sociale. La conception analytique du
constructivisme est philosophique et donne la primauté aux formes a
priori du langage.
Le livre de Searle reformule déjà la
question qui nous occupe : « la question fondamentale est
celle-ci : comment construisons -nous une réalité sociale
objective ? »205(*) Dans le premier chapitre du livre
intitulé : les pierres de construction de la
réalité sociale, Searle va un peu plus loin dans
l'explication de sa question principale : « il y a des
choses qui n'existent que parce que nous y croyons. Je pense à des
choses comme l'argent, les propriétés foncières, les
gouvernements, et les mariages. Pourtant bien des faits relatifs à ces
choses sont des faits « objectifs », au sens où ils
n'ont rien à voir avec vos ou mes préférences,
évaluations ou attitudes morales. (...) Des faits totalement
indépendants de toute opinion humaine ».206(*) Nous tentons de relever ses
questions principales du début du livre et avançons
progressivement.
Dans ce livre justement, John Searle tente de répondre
à la question principale suivante : « comment
peut-il y avoir un monde objectif d'argent, de propriétés
foncières,... »207(*) Cette question reprend en sourdine le rapport
sujet-objet qui est au coeur de l'explication de la science sociale et fait
partie d'un ensemble des questions qui ne sont pas nouvelles, elle est au
centre des sciences sociales, du moins au point de départ des fondateurs
des sciences sociales. Nous tenterons, pour montrer son grand
intérêt, de la présenter du point de vue des auteurs tels
qu'Emile Durkheim, Claude Lévi-Strauss, etc.
2.3.0. Langage et
ontologie sociale
2.3. L'ontologie sociale.
2.3.1. Le retour et la
reconstruction des sources philosophiques des sciences sociales
Beaucoup d'études innovatrices en Rd Congo sont souvent
en prolongement critique avec les approches suivantes : le fonctionnalisme, le
structuro -systémique et la dialectique qui, au demeurant, recèle
une grande teneur philosophique. Pour nous, les innovations profondes ne sont
possibles que si nous rentrons aux sources philosophiques antiques et au plus
profond de leurs présupposés.
Reprenons brièvement, trois de ces exemples
d'études qualifiées de novatrices reprises par Ntumba Lukunga
pour illustrer ce prolongement. J.J.Fromont dans Le schéma
sociologique ; essai de systématisation et de schématisation
de la réalité sociale, Lubumbashi, éd., Locale, 1977,
articule la continuité entre le biologique et le sociologique. En
premier lieu, pour lui le schéma sociologique permet de
« systématiser la réalité sociale dans le
prolongement de l'écosystème, les conditions de
systématisation étant fixées par les conditions de passage
entre deux systèmes ».208(*) La réalité sociale apparaît
ainsi fondamentalement comme un système que nous visualisons et
verbalisons. Etre en situation c'est voir, et l'image constitue le fondement de
la pensée sociologique. En deuxième lieu, le schéma
sociologique constitue la transposition du système social,
c'est-à-dire « construire un modèle
général qui représente en profondeur, en étendue et
en globalité par niveaux, par paliers et sur plans, les
éléments constitutifs du système, leur arrangement
structural, le fonctionnement de leur dynamique, l'ensemble devant constituer
un tout cohérent et significatif ».209(*) Ce schéma permet
ainsi « d'appréhender et de traiter dans l'espace et dans le
temps sociologiques les problèmes de l'existence, de l'expérience
et de la transcendance des individus vivant en
communauté ».210(*) Il y a deux niveaux d'analyse essentiels :
étude du langage et des systèmes. On peut y intégrer le
niveau de conscience.
Nyunda Ya Rubango sur la sociolinguistique immédiate
à travers son étude sur « le vocabulaire politique du
Zaïre (1959-1965) » s'incruste dans un élan postmoderne
à visée déconstructive à propos des discours
politiques zaïrois portant les marques de la colonisation, de la
tradition, du modernisme, de leur matrice occidentale belge et française
- « j'ai montré comment ce langage enraciné dans une
tradition et une culture déployait une rhétorique et un
imaginaire spécifique et féconds et était remarquablement
dominé par le christianisme.»211(*) En tant que telle la démarche a comme
objectifs de lutter contre l'infirmité des sciences sociales et
humaines africaines due en majeure partie à l'esprit du conformisme et
à la peur de l'innovation et surtout celle de commettre le
« meurtre du père », entendez de dépasser
radicalement le colonisateur. Il dénonce finalement : l'exercice
scientifique « par procuration » ; la production et la
reproduction des discours aliénés et aliénants et
l'inhibition théorique et méthodologique chez le scientifique
africain ; etc.212(*)
En effet, il est possible, à la suite de ce qui
précède, de constater les innovations à partir des
débats repris aux fondateurs philosophes et spécialistes des
sciences sociales qui ont permis des ruptures ou des continuités plus
opératoires des notions.
Le contexte de l'approche dite de la « construction
sociale » fait que cette étude participe, d'un point de vue
théorique, à un retour aux sources en sciences sociales, comme le
pensent par ailleurs Michel De Coster, Bernadette Bawin et Marc Poncelet, en
particulier à propos de la sociologie, « le retour aux
sources se révèle utile à bien asseoir les fondements de
cette discipline et à préciser les
ambitions ».213(*) C'est dans cette même veine que nous voulons
examiner le projet philosophique de quelques fondateurs des sciences sociales,
en l'occurrence Emile Durkheim, le structuralisme de Claude
Lévi-Strauss, l'évolutionnisme biologique, mais aussi des
approches actuelles que Searle intègre (constructivisme radical,
connexionnisme et cognitivisme). John Searle veut justement reconstruire ces
approches et en déconstruire d'autres, tel que le marxisme.
L'objectif de la série de sections qui suivent
immédiatement culmine dans la comparaison de quatre approches dominantes
en Afrique (le fonctionnalisme, le structuro -systémique et la
dialectique, Searle touche aussi à l'évolutionnisme et repousse
le marxisme), à partir des sources philosophiques notamment avec
l'approche intentionnalitico - langagière de John Searle. En somme, ici
se situe l'importance de cette enquête, le « livre de
Searle La construction de la réalité sociale tente de
répondre à un ensemble de questions
traditionnelles ».214(*)
Pour en saisir la portée, nous allons examiner ces
approches. Nous commençons avec le fonctionnalisme d'Emile Durkheim et
nous posons la question de savoir : quels sont ses
présupposés ?
2.3.1.1. Emile Durkheim et
l'ontologie sociale du structuro-fonctionnaliste
Dans le livre d'Alban Bouvier, La philosophie des
sciences sociales, l'auteur affirme le fait que le projet de Durkheim est
extrêmement ambitieux puisqu'il n'est pas seulement sociologique mais
également philosophique. Alban Bouvier a entrepris de présenter
une épistémologie de la sociologie qui, justement «
repère dans l'histoire de la sociologie, trois grandes orientations,
trouvant leurs racines dans la philosophie et mettant en place au tournant du
siècle : la tradition durkheimienne, avec son arrière-plan
comtien, la tradition wébérienne et simmelienne, rattachable
à Kant et la tradition empiriste, courant de Locke, Hume, Mill à
Tarde et Pareto. Ces traditions sont caractérisées par
leurs « paradigmes » : culturaliste et holistique
dans le premier cas, actionniste et interactionniste dans le deuxième,
rationaliste et sceptique dans le troisième ».215(*) Il partage avec Auguste
Comte son positivisme. Ainsi Alban Bouvier parle-t-il, également
à juste titre « de l'arrière -fond philosophique de la
tradition durkheimienne ou de la référence de Durkheim et
de Mauss à Kant dans leur programme de sociologie des
catégories ».216(*)
Durkheim partage avec Descartes, le fondateur de la
philosophie moderne, son « mécanisme » et essaie de
résoudre le problème proprement philosophique du fondement de la
connaissance analysé par Emmanuel Kant. Ses problèmes sont aussi
ceux de Kant : si Durkheim a de l'intérêt pour les
représentations, il n'en a aucun pour ainsi dire, pour les
opérations cognitives ou cognitivo -linguistiques. Pourtant Emile
Durkheim distingue au point de départ la sociologie de la philosophie,
il voulait reconstructivement dépasser le fait de son
temps : « jusqu'à présent, disait-il, la
sociologie a plus ou moins exclusivement traité non de choses, mais de
concepts »217(*). Il ajoute paradoxalement à propos de la
sociologie qu'elle « n'implique donc aucune conception
métaphysique, aucune spéculation sur le fond des
êtres ».
Par rapport à la philosophie du langage Durkheim est
antipsychologiste. Selon Alban Boubier, « on n'est
effectivement pas loin de retrouver certains des arguments de Durkheim contre
la psychologie ».218(*) Durkheim est « externaliste »et
il ne s'intéresse pas du tout ni aux actes mentaux (conscients et
délibérés) ni aux opérations mentales.219(*) Pour John Searle, par
contre, les opérations mentales présentent un grand
intérêt. Pour Alban Bouvier, « ce qui
intéresse Durkheim, c'est
l' « anti-prédicatif », c'est-à-dire ce
qui, dans le processus de socialisation, précède en quelque sorte
toute mise en langage ; de toute façon, ce n'est pas le
cognitif ».220(*) Searle reprend à son compte la dimension du
langage. Nous ouvrons une parenthèse pour faire remarquer que
Jürgen Habermas est, en fait, guidé par des préoccupations
d'ordre beaucoup plus interactif qu'holiste ou culturaliste.
Cette question de l'héritage philosophique des sciences
sociales dans la sociologie de la connaissance est reprise entre autre par
Peter Berger dans une optique phénoménologique. Il s'agira
d'étudier le processus interprétatif par lequel s'opère
la projection du social dans le cognitif.221(*) Il s'agit à proprement parler d'articuler,
question pendante, du dualisme cartésien entre ce qui est objectif et ce
qui est subjectif.
Ainsi, partant des questions de modes explicatifs en sciences
sociales, on se pose en philosophie des sciences sociales la double question
ontologique des principes qui donnent aux sciences sociales une raison
d'être, c'est-à-dire de mode d'existence des faits sociaux, de
leur indépendance à notre égard et de leurs pouvoirs
causaux.222(*) Ces
questions débouchent sur l'engament ontologique relatif à la
réalité des structures, à des réflexions sur les
dichotomies collectif -individuel ,objectif -subjectif, structure -agent ,
système- acteur, etc., à l'attribution presque intolérable
de propriétés physiques (en l'occurrence ,des pouvoirs causaux )
à des êtres non physiques (des concepts ou des instruments
d'analyses tels que les « systèmes »,les
« structures »,la « culture »,etc.,
au sens à donner à ce qui est
« objectif »,c'est-à-dire
« réel », « intrinsèque », « monadique », « non
relationnel », « non
anthropocentrique »,etc., ou
« subjectif »,c'est-à-dire
« relatif »,relationnel », « anthropocentrique »,etc.
On peut aborder par ces biais la distinction la plus utile, celle qui oppose ce
dont l'existence est indépendante de nous, c'est-à-dire
de nos perceptions, croyances, désirs, préférences,
émotions et actions et ce dont l'existence est relative à
(dépendante de) ces perceptions, croyances, préférences,
émotions, actions. Les phénomènes sociaux pourraient-ils
être indépendants de nos perceptions, croyances,
préférences, émotions, actions ? Est-il raisonnable
de leur attribuer des pouvoirs causaux ?
A. Explication fonctionnelle et
causale
Emile Durkheim est considéré comme
« l'artisan de l'explication fonctionnelle en tant que méthode
scientifique en sociologie et auquel (sic) (Malinowski) attribuait la
paternité du fonctionnalisme ».223(*) Le cadre fonctionnaliste a
servi à plusieurs chercheurs en sciences sociales sur le terrain
africain : « l'anthropologie culturelle anglaise (B.
Malinowski, A.R. Radcliffe-Brown) qui a (eu cour en Afrique et en Australie a)
choisi un cadre fonctionnaliste pour des analyses
empiriques ».224(*) L'école anglaise d'anthropologie sociale et
culturelle a transformé ce type d'analyse en un véritable
programme : entendons par là qu'elle en a défini les
principes méthodologiques, et les orientations théoriques. Un
phénomène bizarre, inattendu, dissonant sera dans un premier
temps rattaché à l'institution ou à la structure sociale
qui le supportent ; dans un deuxième temps, on déterminera
la fonction sociale jouée par celles-ci et le rendant intelligible.
Cette fonction enfin, est génériquement pensée comme
réponse à un besoin (Malinowski, 1944) ».225(*)
Selon le compte rendu de Fabrice Clément et Laurence
Kaufmann, « Searle (...) se rapproche d'une perspective
fonctionnaliste ».226(*) Il évoque pour cela quelques exemples :
« en affirmant, par exemple, que la réalité sociale est
créée par nous pour nos propres besoins. Selon Malinowski, en
effet, les institutions sont les moyens organisationnels que les
sociétés se donnent pour satisfaire leurs besoins primaires
(biologiques) ou leurs besoins dérivés (culturels).
Au demeurant, nous nous appesantissons ici sur le
modèle fonctionnaliste d'Emile Durkheim, dont nous allons tenter de
mettre en exergue les schèmes reconstructeurs et en retracer
l'itinéraire philosophique. Dans ce cadre précis, nous analysons
justement l'évolution du fonctionnalisme dans la philosophie analytique
de telle sorte que la tâche centrale de notre enquête aboutit
à la question suivante : que devient le fonctionnalisme dans la
philosophie analytique et dans la philosophie de l'esprit de John Searle
?
Nous empruntons la présentation de fonctionnalisme
traditionnel à Robert Franck tirés de deux de ses articles
intitulés respectivement : « les explications causales,
fonctionnelles, systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles
complémentaires ? » publié dans l'ouvrage
Faut-il chercher aux causes une raison ? L'explication causale dans
les sciences humaines, en 1994 et « Histoire et
structure », dans Jean-Michel Berthelot (Dir.),
Epistémologie des sciences sociales, en 2001.
Nous allons tenter de présenter la question en nous
appesantissant, comme il procède lui-même, au point de
départ sur le fonctionnalisme, spécialement à travers
Emile Durkheim qui s'est fortement inspiré du fonctionnement de
l'organisme biologique comme modèle. Nous présentons ici quelques
notions fondamentales de la doctrine fonctionnaliste de Durkheim pour
dégager les points d'encrages avec Searle. Nous reprendrons quelques
notions importantes à partir d'Emile Durkheim comme un des philosophes -
fondateurs des sciences sociales, spécialement de la sociologie.
Son point de vue se démarque d'abord de la pratique
philosophique courante d'un Rousseau ou d'un Thomas Hobbes, etc. Il appelle
à traiter les faits sociaux non comme des idées mais comme des
choses : « est chose tout objet de connaissance ...ce dont
nous ne pouvons nous faire une notion adéquate par un simple
procédé d'analyse mentale, tout ce que l'esprit ne peut arriver
à comprendre qu'à condition de sortir de lui-même, par voie
d'observation et d'expérimentation ».227(*) Bien plus :
« Les causes inconnues dont elles dépendent ne peuvent
être découvertes par l'introspection même la plus
attentive »228(*). Il se démarque aussi d'Auguste Comte au
point de vue de l'objet et de la perspective : de l'Humanité comme
objet, il substitue la société, et renverse les effets de Comte
en cause, ce ne sont pas les consciences individuelles qui déterminent
la conscience collective mais l'inverse. « On est
habitué, dit-il, à se représenter la vie sociale
comme le développement logique de concepts idéaux, on jugera
peut-être grossière une méthode qui fait dépendre
l'évolution collective de conditions objectives, définies dans
l'espace ».229(*)Tout au contraire : « Notre principal
objectif, affirme Durkheim, est d'étendre à la conduite humaine
le rationalisme scientifique en faisant voir que, considérée dans
le passé, elle est réductible à des rapports de cause
à effet ».230(*) Ce postulat fonde le fonctionnalisme même.
Du point de vue de la philosophie, disons d'ores et
déjà que cette théorie sus- évoquée de
Durkheim est fort tributaire de la philosophie de la Nature de René
Descartes et de son mécanisme. A la question de savoir si« les
sciences sociales recourent effectivement au deux sortes d'explications
caractéristiques des sciences de la Nature, Robert Franck
répond à la suite de Durkheim par l'affirmative. Il prend en
exemple la théorie de la « densité
dynamique » de Durkheim. 231(*) A propos pour Durkheim, nous dit-il
« l'effort principal du sociologue devra donc tendre à
découvrir les différentes propriétés de ce milieu
(le tout) qui sont susceptibles d'exercer une action sur le cours des
phénomènes sociaux. Jusqu'à présent, nous avons
trouvé deux séries de caractères qui répondent
d'une manière éminente à cette condition ; c'est le
nombre des unités sociales, et le degré de concentration de la
masse, ou ce que nous avons appelé la densité
dynamique ».232(*)
Pour Durkheim le programme philosophique de recherche qui s'en
dégage par delà cette forme de cartésianisme part de fait
que « la mentalité des groupes n'est pas celle des
particuliers, elle a ses lois propres233(*). (...) Il y a des similitudes que l'abstraction
pourra dégager entre la mentalité sociale et la pensée
privée».234(*) Emile Durkheim dans son livre intitulé
les Règles de la méthode sociologique ajoute qu'il n'y a
pas de continuité entre les faits psychiques individuels et les faits
sociaux. « Il faut laisser, va continuer Durkheim, à l'avenir
le soin de rechercher dans quelle mesure (la mentalité social) ressemble
à la pensée des particuliers. C'est même là un
problème qui ressortit plutôt à la philosophie
générale et à la logique abstraite qu'à
l'étude scientifique des faits sociaux ».235(*)
En somme, la méthode de la sociologie positive d'Emile
Durkheim s'établit autour d'une dualité ontologique entre la
matérialisation des « faits sociaux » comme
pratiques sociales et leurs effets particuliers sur les consciences
individuelles.236(*)
Ainsi, « en ne considérant les phénomènes
qu'en tant que pratiques sociales, Durkheim cherche donc à
évacuer les considérations subjectives, qui, dans une perspective
positiviste, demeurent du domaine de l'incertain. En tant que
réalités « en-soi », les « faits
sociaux » sont quantifiables et ne peuvent ainsi être
isolés - et définis- par la statistique de manière
« objective » ; ceci en contraste avec les effets
particuliers sur les individus ».237(*) Nous pouvons dire que Durkheim met ensemble deux
conceptions qui « s'opposent d'abord sur leurs fondements
ontologiques respectifs, c'est-à-dire dans leur façon
particulière de concevoir le monde social (culturel) qui constitue par
ailleurs l'objet d'analyse de chacun. Le contraste entre les conceptions de la
culture comme réalité en- soi (positivisme) ou comme
réalité dépendante de la perception des hommes
(herméneutique) relev(ant) de l'opposition entre les ontologies
réalistes et antiréalistes de la
« réalité » du monde ».238(*)
B. La
primauté de concept de totalité et du Tout
A propos du fonctionnalisme, Durkheim postule quelques
principes ci -après : « c'est (...) dans la nature de la
société elle-même qu'il faut aller chercher l'explication
de la vie sociale. On conçoit, en effet que, puisqu'elle
dépasse infiniment l'individu dans le temps comme dans l'espace, elle
soit en état de lui imposer les manières d'agir et de penser
qu'elle a consacrées de son autorité ».239(*) En fait Emile Durkheim part
d'un postulat théorique biologique pour simuler cette maxime
théorique : un organe assure telle ou telle fonction en raison du
système biologique ; de même, c'est en raison du
système social qu'un phénomène produit tel effet
social 240(*).
« Il y a donc des espèces sociales pour la même raison
qui fait qu'il y a des espèces biologiques »241(*).
C'est-à-dire« ce qui détermine le
phénomène social de l'organe à exercer telle fonction
plutôt que telle autre, selon Durkheim, ce n'est pas le
phénomène ou l'organe lui-même, mais son environnement
(interne), ce tout auquel il appartient ».242(*)
C. Le principe fondamental
Une des caractéristiques fondamentales de la
causalité sur laquelle se rapporte le fonctionnalisme et le
structuralisme est justement le rapport entre le Tout et les parties que le
structuralisme dépasse bien sûr. « L'explication
fonctionnelle nous apprend comment le Tout est déterminé par
chacune de ses parties. Elle nous fait découvrir certaines
déterminations causales des parties sur le tout ».243(*)
En nous référant aux rapports entre le Tout et
ses parties, l'effort principal du sociologue devra tendre à
découvrir les différentes propriétés du milieu
(intérieur) ou du Tout, qui sont susceptibles d'exercer une action sur
le cours des phénomènes sociaux. Si on rejette la primauté
du tout, la sociologie est dans l'impossibilité d'établir aucun
rapport de causalité.
Ainsi :
- Sans le Tout, l'effet « fonction »
disparaitrait ;
- La société est la condition
déterminante des phénomènes sociaux ;
- La société est le facteur déterminant
de l'évolution collective.
Il y a donc nécessité de découvrir les
actions causales suivantes :
- l'action causale que l'organe exerce sur le Tout dont elle
est une composante ;
- la place et le rôle que l'organe joue dans
l'explication ;
- la place de l'organe et la place du tout ;
- la fonction que le tout exerce sur les composantes ;
- « le tout explique l'existence de la chose qui
assure la fonction ».244(*)
Pour Durkheim « l'explication sociologique consiste
exclusivement à établir des rapports de causalité, qu'il
s'assigne de rattacher un phénomène à sa cause, ou, au
contraire à ses effets utiles ».245(*) Autrement dit,
« l'organe est indépendant de la fonction, c'est-à-dire
que tout en restant le même, il peut servir à des fins
différentes. C'est donc que les causes qui le font être sont
indépendantes des fins auxquelles il sert ».246(*)
Signalons en somme que « dans les sciences
sociales l'explication par la fonction occupe une place
énorme ».247(*) Robert Franck nous en donne de plus amples
explications et replace le concept de fonction en biologie: en effet
« la physiologie a inauguré le concept de
fonction ».248(*)
Claude Bernard choisit justement l'exemple de la fonction des
deux nerfs principaux de la face, le facial et la cinquième paire, pour
illustrer la méthode expérimentale et le raisonnement
expérimental. « La section du facial amène la
perte du mouvement, il a donc une fonction motrice, et la section de la
cinquième paire mène la perte de la sensibilité, elle a
donc pour fonction d'assurer la sensibilité. Comme on le voit la
position est ici...l'effet ! L'explication se fait par la fonction (c'est
l'explication dite fonctionnelle) qui est une explication en
envers ».249(*)
D. La réalité
sociale objective
Durkheim le souligne bien, la question fondamentale de
recherche reste liée au « principe fondamental : la
réalité objective des faits sociaux ».250(*) Le principe est le fait que
« les manières collectives d'agir ou de penser ont une
réalité en dehors des individus ».251(*) Les phénomènes
sociaux sont extérieurs aux individus : « toutes les fois
que les éléments quelconques, en se combinant, dégagent
(par le fait de leur combinaison, des phénomènes nouveaux, il
faut bien concevoir que ces phénomènes sont situés, non
dans les éléments, mais dans le tout formé par
lui-même. La vie ne saurait se décomposer ainsi ; elle est
une et par conséquent, elle ne peut avoir pour siège que la
substance vivante dans sa totalité. Elle est dans le tout, non dans les
parties ».252(*) Autrement dit « les croyances et les
pratiques sociales agissent sur nous du dehors ».253(*)
Cela veut autrement dire justement que « la
société n'est pas une simple somme d'individus, mais le
système formé par leur association représente une
réalité spécifique qui a ses caractéristiques
propres. Sans doute, il ne peut rien se produire de collectif si des
consciences particulières ne sont pas données ; mais cette
condition nécessaire n'est pas suffisante. »254(*) Et d'expliquer cela :
« Les états de la conscience collective sont d'une autre
nature que les états de la conscience individuelle. La mentalité
des groupes n'est pas celle des particuliers ; elle a ses lois
propres ».255(*)
C'est cette conception qui définit ce qu'est une
institution sociale. En effet, « comme cette synthèse a
lieu en dehors de chacun de nous (puisqu'il y entre une pluralité de
consciences), elle a nécessairement pour effet de fixer, d'instituer
hors de nous certaines façons d'agir et de certains jugements qui ne
dépendent pas de chaque volonté particulière prise
à part. Ainsi qu'on l'a fait remarquer , il y a un mot , pourvu
toutefois qu'on en étende un peu l'acception ordinaire, exprime assez
bien cette manière d'être très spéciale ,c'est celui
d'institution ».256(*)
Lorsque nous quittons ce niveau abstrait, qui culmine chez
Durkheim dans le fait que « la nature de toute résultante
dépend nécessairement de la nature, du nombre des
éléments composants et de leur mode de
combinaison »257(*), nous avançons au niveau concret de ce
« qu'il y a correspondance entre le fait considéré et
les besoins généraux de l'organisme social ».258(*)
E. Les entités
émergentes
Le principe d'apparition des institutions est corollaire
à ce qui vient d'être dit sur la réalité objective
des faits sociaux. Pour les entités émergentes, « toute
société dégage des phénomènes nouveaux
différents de ceux qui se passent dans les consciences solitaires. Ils
sont en ce sens, extérieurs aux consciences individuelles. Les faits
sociaux ne diffèrent pas seulement en qualité des faits
psychiques ; ils ont un autre substrat, ils n'évoluent pas dans le
même milieu, ils ne dépendent pas des mêmes conditions. Les
états de la conscience collective sont d'une autre nature que les
états de la conscience individuelle ; ce sont des
représentations d'une autre sorte ».259(*) Une telle remarque distingue
bien l'individualisme du holisme.
Robert Franck pense que « les
différentes manières dont sont combinées les consciences
sont les processus ou les « mécanismes » qui
génèrent les phénomènes sociaux, mais Durkheim ne
les conçoit pas comme des processus historiques, ce sont les
états présents, actuels de la société. Le
présent s'explique par le présent ».260(*) C'est l'arrière-fond
mécanisme. Les acteurs sociaux eux-mêmes ne semblent pas
conscients de « mécanismes » de construction des
faits sociaux. Il n'y a pas de continuité évidente entre les
individus ou leurs états psychologiques et les faits sociaux. La
construction des faits sociaux semblent plutôt mystérieux. Ses
mécanismes constitutifs semblent justement mystérieux.
Justement selon Luc Van Campenhoudt, « dans leurs
différentes variantes, les théories sociologiques n'ont de cesse
de démontrer que, là où le sujet croit agir, c'est le
social (conscience collective, sujet historique, habitus, effets de pouvoir,
aliénation...) qui agit en lui. Le social a ses raisons que le sujet
ignore, mais que le sociologue peut découvrir. »261(*) Certains spécialistes
des sciences sociales et philosophes, tel que John Searle, se donnent justement
pour objectif de rechercher d'en dévoiler les mécanismes de
production et de reproduction. A propos selon Durkheim, « la
sociologie est la science des institutions, de leur genèse et de leur
fonctionnement. (...) On peut en effet,...appeler institutions, toutes les
croyances et tous les modes de conduite institués par la
collectivité ».262(*)
F. De la
représentation
Durkheim s'intéresse, aux représentations
collectives ou à des modes collectifs de catégorisation, des
façons culturelles de se représenter le temps, l'espace ou la
causalité, qui s'imposent aux individus de l'extérieur plus
qu'elles ne structurent leur esprit et n'expliquent son fonctionnement. Dans le
cadre de la sociologie au moins, les processus cognitifs par lesquels les
catégories sont produites par le social, puis transformées par
les propres transformations de celui-ci, restent inconnus sinon
mystérieux puisque leur investigation est renvoyée à la
psychologie.
Au point de départ, disons d'emblée que, pour
Emile Durkheim, « la vie sociale (est) tout entière faite
de représentations ».263(*) Ces faits sociaux « consistent en
représentations et en action. (...) Ils constituent donc une
espèce nouvelle et c'est à eux que doit être donnée
et réservée la qualification de
sociaux ».264(*)
Pour Searle, les objets sociaux : la monnaie, le mariage,
les gouvernements, la propriété,...dépendent des
représentations collectives et du comportement coopératif des
hommes. Annuler ces représentations collectives et ce comportement
coopératif, ces objets sociaux s'effondrent. Ce que Searle ajoute
à la théorie dualiste de connaissance, c'est la théorie de
l'action quand il parle de comportement coopératif. Un
présupposé du tournant linguistique et pragmatique
qu'hérite Searle.
G. Les faits sociaux
« Les faits sociaux consistent en des
manières de faire ou de penser ...susceptibles d'exercer sur les
consciences particulières une influence coercitive »265(*). A ce propos Durkheim
affirme ceci : « pour qu'il y ait fait social, il faut que
plusieurs individus tout au moins aient mêlé leur action et que
cette combinaison ait dégagé quelque produit nouveau. Et comme
cette synthèse a lieu en dehors de chacun de nous (puisqu'il y
entre une pluralité de conscience), elle a nécessairement pour
effet de fixer, d'instituer hors de nous de certaines façons d'agir et
de certains jugements qui ne dépendent pas de chaque volonté
particulière prise à part. Ainsi qu'on l'a fait remarquer, il y a
un mot qui, pourvu toutefois qu'on en étende un peu l'acception
ordinaire, exprime assez bien cette manière d'être très
spéciale : c'est d'institution ».266(*) C'est nous qui avons
souligné le fait social comme synthèse.
Contre cette primauté du collectif, Fabrice
Clément et Laurence Kaufmann pensent que cette doctrine chez Searle,
« poussée à son extrême solipsiste, sombre dans
un irréalisme sociologique dont la portée est fondamentalement
idéologique ».267(*) Pour Searle « Durkheim had «an
inadequate conception of social facts ».268(*) En effet, à la lecture de Searle, une sorte
de continuité entre le privé et le collectif semble permanente.
Searle utilise l'expression « fait
social » pour désigner tout fait impliquant
l'intentionnalité collective. Pour lui l'Intentionnalité
individuelle que chacun peut avoir est dérivée de
l'intentionnalité collective que l'on partage. Toutefois, sa conception
de l'intentionnalité collective cache plutôt une conception fort
éloignée des fondamentaux d'un Emile Durkheim pour autant que ce
dernier évoque plutôt l'absence de continuité entre les
consciences individuelles et les consciences collectives. La reconstruction
philosophique ici remonte au postulat qui veut que l'homme soit un animal
social, ainsi pour Searle, une compréhension de l'intentionnalité
collective est essentielle à la compréhension des faits
sociaux.
Les faits sociaux sont d'une certaine façon
indépendants des états psychologiques individuels ; en tant
que catégories collectives et comme synthèses ils supposent
l'apport des consciences individuelles mais s'en distinguent nettement. Ainsi,
les faits sociaux sont : « les règles juridiques,
morales, dogmes religieux, systèmes financiers, etc. qui consistent tous
en croyances et en pratiques constituées ».269(*)
En ce qui concerne son caractère
coercitif, « quand je m'y conforme de mon plein gré,
cette coercition ne se fait pas ou se fait peu sentir, étant inutile.
Mais elle n'en est pas moins un caractère intrinsèque de ces
faits, et la preuve, c'est qu'elle affirme dès que je tente de
résister. Si j'essaye de violer les règles de droit, elles
réagissent contre moi de manière à empêcher mon acte
s'il en est temps, ou l'annuler et à le rétablir sous sa forme
normale s'il est accompli et réparable, ou à me le faire expier
s'il ne peut être réparé autrement ».270(*)
Pour Durkheim, il n'y a pas de continuité suffisante
entre les états psychologiques des consciences individuelles et les
faits sociaux. « Il ne peut se produire rien de collectif si des
consciences particulières ne sont pas données ; mais cette
condition nécessaire n'est pas suffisante. Il faut encore que ces
consciences soient associées, combinées, et combinées
d'une certaine manière ; c'est de cette combinaison que
résulte la vie sociale et par suite, c'est cette combinaison qui
l'explique ».271(*)
Nous allons, un chapitre après, revenir sur le point
de vue exhaustif de Searle sur le fonctionnalisme. Il nous parait utile de
présenter d'abord le structuralisme et l'approche dialectique.
2.3.1.2. L'explication causale, structurale et/ou
systémique, et dialectique
A. Fonctionnalisme et
structuralisme
Nous présentons ici le point de vue qui reprend
autrement les rapports entre le présupposé principal du
fonctionnalisme : le Tout et ses parties. Le fonctionnalisme est le
contraire du structuralisme. La détermination structurale ou
systémique dans la méthodologie durkheimienne constitue le
fondement de l'explication fonctionnelle : elle en est la raison, elle
l'explique.272(*) Le
rapport entre le fonctionnalisme et le structuralisme s'établit
ici : l'action causale des parties sur le tout est structural ;
l'action causale exercée par un phénomène social sur le
tout social est elle-même déterminée par le tout social,
est fonctionnelle.273(*)
Ces approches constituent « une manière de
traduire les phénomènes en termes scientifiques adéquats -
en l'occurrence en variables- mais également d'une représentation
globale et générique, d'un modèle de
fonctionnement ».274(*) Le causalisme appelle l'image d'une vaste machine.
La machine implique à son tour l'idée de fonctionnement et peut
dériver vers cette autre image de l'organisme. «
L'idée commune est qu'un phénomène A va avoir une
fonction, ou jouer un rôle... dans un organisme vivant, la
complexité des mouvements impliqués est si grande et si
secrète que ce qui apparaît déterminant est la fonction
remplie par les organes ».275(*)
B. Le structuralisme de
Lévi-Strauss
La transformation de l'approche structuraliste de Claude
Lévi -Strauss en une approche pragmatico - intentionnelle passe par la
logique. La notion de cause ou plus exactement la relation de cause à
effet que suppose le structuro -fonctionnalisme est analysée en logique
comme une implication stricte : « p implique strictement
q » comme « il est nécessaire que p implique
q ». Cette position est soutenue aussi par Thierry Lucas276(*).
Ainsi, « une relation entre phénomènes
(peut être) décrite en termes de variables, de fonctions ou de
structure. (...) Le structuralisme (...) relève de modèles
formels tout aussi rigoureux, ce que Lévi- Strauss ne manque pas de
rappeler ».277(*) Dès lors, on peut « rejeter
le vocabulaire et les métaphores organicistes au profit de langage
alternatif : celui d'une codification logique de l'analyse fonctionnelle
».278(*)
C. Essai de reconstruction
historique
La conception du structuralisme participe de la vision
cartésienne de la Nature. De cela Linné dégage quatre
variables, « toute note doit être tirée du nombre, de la
figure, de la proportion, de la situation » (philosophie
botanique, 299, cité par M. Foucault, 1966, p.146).279(*) Lorsque nous suivons Robert
Franck nous découvrons que le cartésianisme, c'est-à-dire
ses concepts généraux et sa causalité mécanique,
s'affine progressivement avec les auteurs qui travaillent sur la question.
Le point de vue de la philosophie de la Nature à la
suite de René Descartes et le point de vue de la linguistique
structurale peuvent nous aider à remonter la reconstruction.
« La structure pour le naturaliste cartésien, est la
configuration des pièces d'un être vivant dans l'espace selon un
ordre déterminé ».280(*) Cependant, « la structure d'une
langue ne se réduit pas aux relations qu'on peut observer entre
ses composantes, elle en est la syntaxe, c'est-à-dire les règles
qui fixent les relations autorisées entre les unités de la
langue. Lévi-Strauss oppose (ainsi) les structures sociales aux
relations sociales ».281(*) Ici, d'un point de vue de la philosophie de la
Nature, nous pouvons voir le passage de la physique de Descartes à celle
de Leibniz qui introduit une métaphysique dynamique en réaction
contre la métaphysique statique de Descartes. C'est-à-dire que
Leibniz tente de réduire l'espace géométrique à
l'arithmétique. « Leibniz refuse ici de lier le nombre
à la quantité, (...) la monade, l'unité substantielle qui
sur le champ physique se manifeste par la force ».282(*)
Ainsi appliquée au fonctionnalisme par rapport à
l'anatomie et à la physiologie, cette similitude se présente
comme suit : « tout comme l'anatomie enseigne la situation,
la grandeur, la figure, la relation et la constitution des parties du corps, la
physiologie fixe l'usage, l'utilité et l'emploi de ces mêmes
parties »283(*). La causalité descendante devient
réciproque en biologie. « La liaison causale mécanique,
explique Kant, telle qu'elle est pensée par l'entendement constitue une
série de causes et d'effets qui descend toujours ; et les choses
qui comme effets, en supposent d'autres comme causes, elles ne peuvent par
contre être causes en même temps de celles-ci. Mais on peut aussi
concevoir une liaison causale qui, comme série, montrerait une
dépendance aussi bien descendante qu'ascendante ».284(*)
Claude Bernard ajoute, en 1865, le concept de causalité
réciproque qui souligne le fait que la structure organique a un
caractère hiérarchique.285(*) A partir de ce moment, l'idée des relations
entre le Tout et ses parties est abandonnée pour passer à
l'idée d' « une pluralité de niveaux où les
composantes de chacun des niveaux sont à la fois partie et tout, partie
d'une composante du niveau supérieur et tout d'une série de
composantes du niveau inférieur ».286(*)
L'auteur illustre cela de la manière que voici :
« Un estomac par exemple, ne résulte pas seulement de la
nature et des proportions des tissus, mais encore de leur
`arrangement' »287(*). Le Tout d'un niveau quelconque ne contient pas ses
parties (l'estomac les tissus de l'estomac) il n'est pas autre chose que ses
parties, et cependant il est autre chose car il est
l' « arrangement » de ces parties selon un certain
ordre ».288(*)
A ce niveau nous obtenons les cinq traits majeurs du concept
de structure qui ont été élaborés en
biologie :
1) La configuration ;
2) La causalité réciproque ;
3) La hiérarchie des niveaux au sens
d'arrangements ;
4) Une structure est un « système de
transformation et non pas une forme statique quelconque »
écrit Jean Piaget289(*). Il d'agit dès lors de
« décrire comment les éléments de la structure
se composent progressivement entre eux, et de dégager les lois
auxquelles obéit le processus de composition de ces
éléments ».290(*)
5) L'autoréglage ou l'auto- organisation de la
structure ou du système. Ce concept est élaboré à
partir du concept d'équilibre emprunté toujours à la
biologie.
D.
L'explication dialectique
La question posée ici est celle de savoir si la
combinaison des explications causale, fonctionnelle et structurale peut devenir
dialectique au sens où elle nous permet d'opérer le va-et-vient
entre l'analyse et l'expérience concrète. Cette dichotomie est
comprise comme la différence énigmatique entre expliquer et
comprendre.
Pour Robert Franck une fois de plus, « il
s'agira de vérifier s'il existe une isomorphie entre le réseau
abstrait de détermination qu'on est parvenu à construire, et
l'ensemble réel qu'elle prétend
refléter ».291(*) C'est ici que se situe notre
question : est- il possible qu'un schème ou modèle ou
tout simplement, qu'un langage des sciences sociales reflète la
réalité ou, à l'inverse, peuvent-ils seulement
construire la réalité ?
Plus techniquement selon Franck ,« une telle
isomorphie est comparable à celle (...) que proposait Ludwig
Wittgenstein pour illustrer sa Bildtheorie ; mais elle peut aussi
être de la nature de la relation qu'il y a entre la syntaxe d'une langue
naturelle et une conversation prononcée dans cette langue , ou de la
nature de la 292(*)relation entre les règles du jeu
d'échecs et une partie d'échecs , ou de la nature de la relation
entre une `loi' exprimée sous forme d'équation
mathématique et un processus physique. Le réseau ou modèle
prétendra refléter `l'arrangement `, la structure, qui commande
les déterminations effectivement observées entre variables
à chacun des niveaux et d'un niveau à
l'autre ».293(*)
2.3.3. Le constructivisme
linguistique et l'analyse de la situation de la parole
Pour comprendre la réalité, Jürgen Habermas
théorise la société à la suite du paradigme de la
philosophie du langage à travers les différentes phases du
tournant linguistique, pragmatique et herméneutique. Au niveau du
tournant strictement linguistique, l'objection centrale contre la philosophie
de la conscience est dans la position suivante : « Nous
ne sommes pas porteurs des pensées comme nous sommes porteurs de nos
représentations ».294(*) En effet, les représentations sont les
miennes ou les tiennes ; elles doivent être attribuées
à un sujet identique dans l'espace et dans le temps, tandis que les
pensées dépassent les limites de la conscience individuelle et
conservent un contenu strictement identique, même si elles sont
appréhendées par différents sujets, en des lieux et
à des moments différents.
Le monde en tant que somme des faits possibles ne se constitue
que pour une communauté d'interprétation dont les membres,
situés à l'intérieur d'un monde vécu
intersubjectivement partagé, s'entendent sur quelque chose qui existe
dans le monde.295(*) Les
membres peuvent faire valoir les prétentions à la validité
de leurs visions du monde par oui ou par un non.
Charles Sander Peirce développe avant Habermas le
tournant linguistique en tenant compte de l'utilisation du langage, de la
catégorie de la communication ou plus généralement de
l'interprétation des signes comme étant le centre de sa
philosophie, et Habermas tente de le mettre au centre de la théorie
sociale.« Les présuppositions contrafactuelles des acteurs qui
fondent leurs actions sur des prétentions à la validité,
acquièrent une importance immédiate pour la construction et le
maintien des ordres sociaux ».296(*)
Les pensées sont articulées sous forme de
propositions. Peirce développe le tournant sémiotique de
façon conséquente, en tenant compte du langage. Le concept
binaire d'un monde représenté au moyen du langage est
remplacé chez lui par le concept ternaire d'une représentation
linguistique de quelque chose pour un interprète possible.
La communauté d'interprétations en tant que
savoirs communs d'arrière-plan, condition de possibilité d'un
ordre social, renvoie au tournant herméneutique et pragmatique. Du
concept binaire habituel : sujet -objet nous passons au concept ternaire
d'une représentation linguistique de quelque chose pour un
interprète possible.297(*) La transcendance ici est interne, immanente au
langage même.
Ces idéalisations inhérentes au langage
lui-même acquièrent par ailleurs une signification pour la
théorie de l'action, lorsque les forces de liaison illocutoires des
actes de parole sont mises à contribution pour coordonner les plans
d'action de différents acteurs.
Les actes de langage (les promesses, les aveux, les serments,
les bénédictions, les prières, les ordres au travail dans
un chantier par exemple),... sont des actes illocutoires en tant qu'ils sont en
même temps des interactions et des intercompréhensions
langagières. Les forces de liaison illocutoires des actes de paroles
sont mises à contribution pour coordonner l'action de différents
acteurs. 298(*) Dans la
même perspective d'une théorie de l'action, d'un point de vue de
la philosophie fondamentale, John Searle fait usage de la logique pragmatique
(ou illocutoire selon s terminologie).
Or, les pensées sont articulées sous forme de
propositions. Peirce, tel que cité par Habermas, développe le
tournant linguistique de façon conséquente, en tenant compte du
langage. Le concept binaire d'un monde représenté au moyen du
langage est remplacé chez lui par le concept ternaire d'une
représentation linguistique de quelque chose pour un interprète
possible.
Du point de vue scientifique, le programme
d'élaboration d'une théorie générale des sciences
sociales de John Searle parait être gouverné par la volonté
ou l'exigence d'élaborer une théorie unitaire de l'esprit (la
cognition), de l'action et du langage applicables aux sciences sociales.
L'ambition ainsi exprimée vise ultimement à mettre ensemble la
logique, la grammaire et la théorie de l'esprit (et donc aussi de
l'action) en « analytisant » particulièrement le
fonctionnalisme.
Nous pouvons constater que sur le versant des sciences
sociales, John Searle a des reconstructions multiples quelques fois difficiles
à démêler. Sa théorie de la création de la
réalité sociale au moyen de l'imposition de fonction -statut, que
nous présenterons, semble être unique.
Ainsi John Searle tente-t-il d'élaborer une
théorie générale pour la connaissance de la
société, une philosophie « transcendantale »
du langage appliquée aux sciences sociales.
Pour analyser du point de vue de son programme analytique la
structure logique des forces illocutoires, John Searle a
décomposé en ce qu'il appelle, logique illocutoire, chaque force
en six espèces de composantes à savoir : un but
illocutoire, un mode d'atteinte de ce but, des conditions sur le
contenu propositionnel, des conditions préparatoires de
sincérité, et un degré de puissance299(*). La poursuite des buts
constitue la dimension de tout système d'action. Parsons classe
dans cette catégorie toutes les actions qui servent à
définir les buts du système, à mobiliser et à
gérer les ressources et les énergies en vue de l'obtention de ces
buts et à obtenir finalement la gratification recherchée. C'est
précisément la capacité de se fixer des buts et de les
poursuivre méthodiquement qui distingue le système d'action des
systèmes de non - action, c'est-à-dire des systèmes
physique ou biologique. Ceci est consécutif, dans sa philosophie
analytique des sciences sociales ,au théorème fondamental de
Talcott Parsons : « l'environnement symbolique et culturel qui
propose des buts à atteindre et des moyens appropriés,
établit des limites à l'action permise, des
propriétés et suggère des choix ».300(*)
Ainsi, la fonction du symbolisme a priori dans l'action
sociale est justement de médiatiser les règles de conduite, les
normes, les valeurs culturelles qui servent à guider l'action dans
l'organisation de son action.
En tant que tel, le projet de Searle - qui se ressource dans
la double philosophie du langage et celle des états mentaux - touche
à la recherche principielle de la théorie des systèmes
d'actions. Il se cristallise dans un retour au paradigme structuro
-fonctionnaliste, conceptualise la notion d'institution et tente d'unifier
plusieurs approches. C'est le défi que sa philosophie toujours dynamique
est appelée à lever. Justement, la notion
d' « institution » est un des points de sa
théorie sociale.
Ainsi, à travers ces modes d'approches, nous traitons
de la question de la nature, de l'origine, des fondements et celle du
fonctionnement des institutions. Notre recherche tente de reconstruire
philosophiquement, d'un point de vue historique et systématique, le
structuro -fonctionnalisme et de remonter à la philosophie sociale
analytique. Nous débouchons sur la nécessité de critiquer
ces modes d'approches pour élargir l'espace théorique allant
jusqu'aux théories actionnistes en sciences sociales. Nous abordons la
possibilité d'une analyse plus ciblée de l'essai de
dépassement du cadre systémique et structuro- fonctionnaliste,
puisque nous plaçons John Searle dans la continuité de cette
problématique générale de la causalité dans
l'approche structuro -systémique et fonctionnaliste.
Au demeurant, nous répondrons à l'exigence d'une
illustration de la question de fondement par les modèles des
systèmes en sciences sociales au travers du structuralisme, du
fonctionnalisme et de la dialectique, pour autant qu'ils mettent en avant les
rapports forme/matière, structure/relation,...modèles bien
présents chez les africanistes en ethnologie. De ces dichotomies
surviennent les déterminations logiques de l'analyse structurale.
Ce débat philosophique rencontre l'ethnologie parce
qu'« elle interroge en retour nos sociétés sur leurs
fondements, et notamment notre mode de pensée ».301(*) De ce point de vue, elle se
recoupe avec les préoccupations mêmes des philosophes. Notre
recherche traverse, au demeurant, ces deux thèmes majeurs.
Ici, John Searle critique implicitement, à la suite de
Pierre Bourdieu avec qui il partage et/ou à qui il emprunte la notion de
l'Arrière-plan ou de l'habitus, les appréhensions de Lucien
Lévi -Bruhl sur la théorie prélogique.
Logiquement, « les croyances, les désirs et
les règles déterminent seulement des conditions de satisfaction -
des conditions de vérité pour les croyances, des conditions de
réalisation pour les désirs, etc. -relativement à un
ensemble de capacités qui ne consistent pas elles -mêmes en
phénomènes intentionnels ».302(*)
Au demeurant, dans Normes et Faits, Pierre Livet
explicite que : « les expériences qui permettent
à un individu de comprendre la règle et donc de l'appliquer lui
appartiennent en propre. (...) Cette règle exige donc une
interprétation personnelle. Mais les règles doivent être
réinterprétées par tous ceux à qui elles s
`adressent. Les règles sont donc à double face. D'un
côté elles semblent imposer à chaque individu un processus
déterminé, une activité précise, et donc lui dicter
ses intentions profondes, de l'autre, elles doivent pouvoir recouvrir des
comportements effectifs très différents ».303(*)
A ce propos nous nous attardons justement sur l'approche
structuro- fonctionnaliste pour stigmatiser leur statut et leur portée
face à une philosophie de l'identité à travers
l'ethnologie. Nous avons examiné le statut scientifique d'une telle
philosophie identitaire. Dans ce contexte justement, Willard Quine introduit la
notion de « schème de pensée » relayé
par Donald Davidson.
2.3.2.1. Du concept de la réalité sociale et
approches théoriques
La division des tâches de la sémiotique, peut
nous servir de pierre de touche pour résumer les différentes
dimensions de l'analyse de la réalité sociale. En effet, nous
présentons justement un topo susceptible de situer cette approche si
nous partons des structures sous-jacentes à toute énonciation ou
à toute phrase pour qu'elle soit possible :
- Etre intégrée à un rapport à la
réalité extérieure perceptible ;
- Etre intégrée à un rapport à la
réalité intérieure des intentions d'un locuteur qui veut
s'exprimer comme tel ;
- Etre intégré à un rapport à la
réalité normative de ce qui est socialement et culturellement
reconnu.304(*)
Disons-le tout de suite, que les trois réalités
se construisent différemment. Les faits institutionnels relèvent
proprement de la réalité sociale et normative.
Seulement, dans la philosophie analytique, la fonction
descriptive qu'ont des énonciations a été
développée sous la forme d'analyse logico -sémantique.
Cette dimension est fort dominante dans la philosophie du langage idéal.
Nous pouvons dire qu'elle est incarnée comme démarche chez
Ludwig Wittgenstein de Tractatus Logico- philosophicus. Nous pouvons
ainsi d'emblée dire que John Searle s'était depuis appesantit
fort sérieusement dans les années 1969, sur une approche
triple : logico-sémantique et pragmatique à partir de son
livre intitulé Les actes de la parole, essai de philosophie du
langage, qui contient en creux les concepts fondateurs de son livre
intitulé La construction de la réalité sociale ,
de telle sorte que notre thèse aura à examiner le passage
difficile des présupposés théoriques du langage
logiquement formalisé au langage ordinaire.
Rappelons, au demeurant, que la sémantique
formelle n'étudie pas des phrases en général, mais
des phrases prises dans leur fonction de traduire des expériences ou des
faits : l'analyse porte avant tout sur la logique de l'emploi de
prédicats et d'expressions permettant d'identifier des objets.305(*)A la dimension
sémantico -logique, il faut ajouter la dimension pragmatique
qui, elle s'occupe de la signification contextuelle du langage.
D'un point de vue logico -sémantique, par exemple, la
question de la référence qui est par ailleurs amplement
disputée remonterait en philosophie selon Habermas « au moins
à Frege (il faudrait en fait remonter au
Théétète de Platon, et même plus
loin) ».306(*)
Outre la dimension logico -sémantique et pragmatique, nous
évoquerons la dimension expressive de l'Intentionnalité
qui vise de savoir si cette intention coïncide avec celle que visait le
locuteur. Cette dimension autrement appelée Intentionnelle est
devenue paradigmatique et dominante aujourd'hui chez Searle, comme un des
lieux de la théorie de la construction sociale. Nous pouvons dire que
cette dimension Intentionnelle, dans les années 1960 et 1970, n'avait
jusqu'alors atteint qu'un faible degré de maturité.307(*)
A propos, la philosophie du langage a jeté un
discrédit sur les choses mentales, ipso facto au paradigme internaliste.
Cependant, comme le dit Maesschalck, « le contexte philosophique
actuel appelle à reconsidérer la philosophie de la conscience
d'un regard nouveau »308(*). Tout cela parce que « les
philosophies cognitivistes redécouvrent le paradigme de la conscience et
tentent d'exploiter l'auto -constitution du soi en tant que système
neuropsychique de traitement de l'information ».309(*)Searle tente de ramener le
statut des états mentaux au même niveau que les actes de langage
en les situant hors du mentalisme.
Nous analysons différemment le retourment mentaliste
que donne la philosophie de Searle, c'est-à-dire le maintien des
présupposés déjà transformés dans la
philosophie analytique : le dépassement du solipsisme mentaliste
« les pensées (le langage) dépassent les limites de la
conscience individuelle et conservent un contenu strictement
identique, même si elles sont appréhendées par
différents sujets, en des lieux et à des moments
différents ».310(*) Ce langage internalisé est toujours un acte.
L'interprétation ici n'est ni intérieure, ni privée ni
mentalement incontrôlable, elle est communautaire (pragmatique), publique
et contrôlable. En effet, « la pensée
déborde les limites d'une conscience individuelle empirique et fait que
le contenu de la pensée est indépendant du flux des
expériences vécues par un individu.».311(*) D'où la
primauté de sa notion de l'Intentionnalité collective au point de
départ de l'activité sociale, et celle de la
réalité.
2.3.2.2. Les théories de
l'action
En revenant à la pragmatique, le passage de
l'intentionnalité à l'action, peut faire appel à plusieurs
théories de l'action. A propos, pour Habermas, il y a « quatre
concepts d'actions devenus pertinents pour la formation de la théorie
des sciences sociales »312(*) :
- Le concept de l'agir téléologique se trouve
depuis Aristote au centre de la théorie philosophique de
l'action ;
- Le concept de l'agir régulé par les normes
...concerne au contraire les membres d'un groupe social qui orientent leur
action selon des valeurs communes ;
- Le concept de l'agir dramaturgique concerne les participants
d'une interaction, qui constituent réciproquement pour eux-mêmes
un public devant lequel ils se présentent ;
- Le concept de l'agir communicationnel concerne l'interaction
d'au moins deux sujets capables de parler et d'agir qui engagent une relation
interpersonnelle (que ce soit par les moyens verbaux ou extra- verbaux).
Nous pouvons dans cette ligne revenir à la
théorie de l'action sociale du point de vue des sciences sociales dans
une perspective analytique même si la question peut se poser aussi du
point de vue de la philosophie de l'esprit et de la philosophie de l'action. La
critique de Jürgen Habermas pour les trois premières actions tient
au fait que ces trois autres modèles de l'action le langage est
conçu unilatéralement.
Nous abordons cette étude du point de vue de la
philosophie du langage et de la philosophie de l'esprit. Notre approche
s'inspire des théories philosophiques logico- sémantique,
pragmatique et intentionnelle ou cognitive.
2.3.3. Le constructivisme
sociologico - phénoménologique de Peter Berger et Thomas
Luckman
Peter Berger et Thomas Luckman ont mis ensemble un
nombre impressionnant des traditions scientifiques pour en arriver à son
approche de la construction sociale de la réalité. Peter Berger
et Thomas Luckmann ont écris, dans le courant
phénoménologique à la suite des précurseurs comme
Rudolf Carnap, La construction logique du monde, en 1966, La
construction sociale de la réalité, un livre devenu depuis
un classique, en tout cas selon le dire de Danilo Martuccelli, qui en
présente l'avant-propos dans l'édition de 2006 chez Armand Colin.
Ce livre qui traite de la réalité quotidienne rejoint la
réflexion de John Searle dans son livre, La construction de la
réalité sociale, qui corrobore cette même
réflexion déjà en 1969 avec un de ses livres dont
l'autorité est restée quasiment intacte en philosophie du
langage, Les actes du langage, essai de philosophie du langage qui est
d'une grande importance dans le contexte des fondements de la connaissance.
Les concepts d'action et de sens sont au centre de la
théorisation de Peter Berger. C'est « l'étude de
la réalité au travers de processus cognitifs et pratiques,
l'instituant comme réalité »313(*) chez Berger et
Luckmann. « Ce qui anime d'un bout à l'autre l'ouvrage
(la construction sociale de la réalité) est l'étude des
processus cognitifs dynamiques par lesquels se produit et reproduit la vie
sociale en fonction des interprétations et des connaissances socialement
distribuées ».314(*) Ce sont des règles et des schèmes par
lesquels la société est vécue, institutionnalisée,
transmise et transformée.
Le courant sociologique du constructivisme a pour pères
fondateurs, Peter Berger et Thomas Luckmann et peut se comprendre
« en une seule phrase lapidaire énonçant les fondements
du constructionnisme sociologique (...): la société est une
production humaine, la société est une réalité
objective, l'homme est une production sociale et résumant en ces trois
propositions en trois concepts : « extériorisation,
objectivation, intériorisation ».315(*)
Par rapport à John Searle ,Peter Berger et Thomas
Luckmann pensent que l'expression - non exempte d'ambiguïté - de
« construction sociale de la réalité » qui
fait partie d'une discussion nourrie chez le premier , ne vise pas à
nier l'existence d'une réalité objective première(tout au
plus ,leur arrive-t-il d'affirmer qu'ils mettent cette question entre
parenthèses- c'est -à - dire ,qu'ils ne l'abordent pas vraiment
dans leur travail ) mais souligne le fait que le regard doit se centrer sur
des règles et schèmes par lesquels la société est
vécue ,institutionnalisée ,transmise et
transformée ».316(*) John Searle développe aussi la question qui
est mise entre parenthèses.
A. L'apport de la sociologie
compréhensive et de la sociologie du savoir
Pour Jürgen Habermas, ce programme consiste à
dégager la structure transcendantale du monde vécu social
intelligible, illustré sur fond de l'oeuvre théorique d'Alfred
Schütz depuis les années 20. Ainsi, « la sociologie
compréhensive revendique comme son domaine propre ce qui est
présupposé, à l'arrière-plan des sciences sociales,
empirico- analytique ».317(*) La mesure précise des sciences empiriques du
processus social requiert d'abord l'étude du problème de la
signification dans la vie quotidienne. L'hypothèse qu'il
développe est bien la suivante : « La fondation
phénoménologique de la sociologie compréhensive fait
éclater le cadre d'une méthodologie générale des
sciences empiriques ».318(*) Autrement dit, poursuit Habermas,
« étant donné que l'observateur et le sujet
observé participent de significations culturelles
intégrées au système du langage que l'un et l'autre
emploient dans la communication, les significations quotidiennes et le langage
particulier dont fait usage le sociologue forment un élément de
base de la mesure des actes sociaux ».319(*)
Ainsi, cette sociologie « ne cherche nullement
à exclure la mesure adéquate des faits sociaux ; elle veut
au contraire la rendre possible ».320(*) Cicourel espère obtenir explicitement, en
saisissant les structures du monde quotidien, un système de
référence qui détermine toujours déjà
implicitement la transformation de l'expérience communicationnelle en
données mesurées.
Arthur Schütz a beaucoup appris au contact de la
tradition pragmatiste, notamment de Dewey, qui affirmait le fait que toute
enquête commence et finit par la matrice
socioculturelle »321(*). L'oeuvre de Schütz dont La construction du
monde social a paru en 1932 ; allusion et contre partie de La
Construction logique du monde de Carnap, elle ajoute à la
visée de la sociologie du savoir une sociologie
phénoménologique. La tradition de la sociologie du savoir
bénéficie, à l'origine, de l'apport bien
précèdent Cicourel et Schütz, de Max Scheler avec ses trois
traités réunis en 1926 sous le titre (Les Formes de savoir et
la société) qui est en fait un des fondateurs de la
sociologie du savoir. Scheler a, selon Habermas, le mérite d'avoir pour
la première fois introduit avec sérieux dans la discussion
allemande des pensées issues du pragmatisme américain avec son
livre.
Nous partons du fait qu'il y a un type de savoir ordinaire qui
se transmet par le langage ordinaire. Nous pouvons justement en profiter pour
montrer les liens qui existent entre la philosophie du langage ordinaire et la
sociologie du savoir compris comme analyse de la réalité
quotidienne. Ces deux approches ont ceci de commun qu'elles semblent
s'écarter des théorisations scientifiques souvent fort
éloignées de la vie quotidienne. Le courant constructivo-
analytique s'approprie ce programme d'une façon critique. Le programme
de la construction de la réalité sociale de John Searle s'inscrit
largement dans la ligne de la sociologie du savoir de Cicourel et d'Alfred
Schütz.322(*)
Un des postulats de cette sociologie du savoir est que
« les concepts scientifiques doivent partir des schèmes
interprétatifs des acteurs eux-mêmes. Les constructions
conceptuelles puisent dans les réserves du savoir préalable qui,
transmis par la tradition, guide et interprète la pratique quotidienne,
et en même temps les reconstruisent. Les constructions scientifiques se
situent au second degré ».323(*)
Plusieurs points d'encrages sont envisageables ; nous
allons d'emblée en relever la question fondamentale qui lie la
sociologie de la connaissance particulièrement, branche de la sociologie
qui nous intéresse de ce point de vue, et la philosophie de ce livre.
Selon Peter Berger et Thomas Luckmann, nous allons ici tirer un extrait fort
large : « la sociologie de la connaissance envisage la
réalité humaine comme une réalité socialement
construite. Comme la construction de la réalité a
traditionnellement constitué un problème central de la
philosophie, la perspective détient des implications
philosophiques ».324(*)
B. La
société et le sens
« La vie sociale repose sur des significations
communes. »325(*) Pour Peter Berger et Luckmann le substrat
constructif de la réalité sociale est l'univers commun de sens.
Ainsi « sous l'influence de Durkheim et de Weber, la religion n'est
pas un domaine particulier, mais se place au coeur de la réalité
sociale ».326(*)
Pour les deux auteurs, « il s'agit de prolonger l'intuition majeure
des auteurs classiques pour qui la religion est une matrice de sens dans une
société et prendre acte du fait que dans une
société sécularisée et plurielle il existe une
crise des significations et des mécanismes de légitimation, ce
qui accentue l'interrogation de l'homme sur le sens ».327(*)
Ainsi, « la confrontation des univers
symboliques est une donnée structurelle des sociétés
modernes ».328(*) La centralité de la signification est bien
relevante ici : « la vie sociale est toujours déjà
là, et elle est toujours appréhendée comme une
réalité ordonnée et significative. L'individu ne peut pas
ne pas rencontrer cette réalité objectivité,
déployé à travers une série d'objectivations qu'il
véhicule, qui constituent ainsi à proprement parler l'univers
symbolique dans lequel se déroule sa vie ».329(*) Autrement dit, la vie
sociale repose sur le partage d'un ensemble commun des connaissances,
quotidiennes, renouvelées, assurant tout autant la
continuité de l'ordre social que celle des identités
personnelles.
En cas de crise, « cette même
société « invente » aussi de nouvelles
institutions de production et de transmission de sens. (...) Les institutions
de sens opérant dans un marché ouvert et d'autres
orientées vers des communautés spirituelles plus restreintes et
souvent fermées (sectes, cultes divers et styles de vie très
définis) ».330(*) Par exemple, « la modernité est le
théâtre d'une série d'enclaves de sens qui coexistent plus
ou moins pacifiquement entre elles, apaisant la crise ici ou là au
niveau individuel, mais ne parvenant plus à asseoir la
société sur un univers symbolique commun. »331(*) Toutefois, « la
crise de sens spécifique à la modernité est amortie par un
ensemble d'institutions intermédiaires- à mi-chemin entre
l'individu (et le besoin de sens) et les anciens grands principes d'action
sociétale. »332(*) Ainsi, « les individus ne sont nullement
assaillis par l'angoisse ou le vide existentiel ; au contraire même,
ils sont largement capables de gérer le pluralisme structurel auquel
elle les confronte ».333(*)
Sur la question de la valeur, « l'individu
opère dans un monde dans lequel il n'existe plus de valeurs communes
orientant l'action dans toutes les sphères - autrement dit, il n'existe
plus de réalité unique identique pour tous ».334(*) Ainsi,poursuivent-ils
« la société s'organise autour de principes abstraits,
à vocation avant tout instrumentale, auxquels tous les acteurs sont
censés se plier, et ne générant que des normes visant
à résoudre des problèmes éthiques
spécifiques propres à certaines sphères d'activité
(l' « éthique médicale »,
l' « éthique commerciale », etc.). Ces
règles permettent aux individus d'organiser leur vie commune en faisant
l'économie d'une morale globale partagée ».335(*)
C. La société et
l'action
Peter Berger et Thomas Luckmann se ressourcent dans plusieurs
traditions sociologiques, conçoivent les institutions aussi comme des
processus d'habituation, de typification des actions et de leur
historicité. « Il doit exister une situation sociale continue
à l'intérieur de laquelle les actions (pertinentes)
habitualisées de deux ou plusieurs individus
s'entrecroisent ».336(*)
Théoriquement, « A observe B en train
d'agir. Il attribue des motivations aux actions de B et, voyant que les actions
se répètent, typifient les motivations comme récurrentes.
Comme B continue à agir, A est vite capable de se
dire : « ah, il recommence ». En même
temps, A peut affirmer que B fait la même chose en fonction de lui.
Dès le début, A et B prennent en charge la
réciprocité de la typification. Au cours de leurs interactions,
ces typifications seront exprimées par des modèles
spécifiques de conduite ».337(*) En effet, les « processus d'accoutumance
précèdent toute institutionnalisation. (... )
L'institutionnalisation se manifeste chaque fois que les types d'acteurs
effectuent une typification réciproque d'actions habituelles. (... ) Les
typifications institutionnelles qui sont à la base des institutions sont
toujours partagées. (... ) Les institutions impliquent ensuite
l'historicité et le contrôle ». 338(*)
Peter Berger et Thomas Luckmann tiennent au caractère
« objectif » des faits sociaux parce que ces faits
deviennent indépendants des agents qui en sont producteurs. Le processus
d'intériorisation socialisante des valeurs héritées dont
on vit dans l'adaptation et que l'on se transmet de génération en
génération est un « tradition »,celle de la
société comme construction devenue objective et même
autonome.
D. Changement social et
problèmes sociaux
Nous partons de l'idée que la connaissance est
considérée comme le produit social, et que cette connaissance est
en même temps un facteur de changement social en tant qu'elle est au
fondement de la réalité sociale. Cette construction sociale
devenue réalité objective et autonome, celle-ci peut être
également vue comme une des sources des problèmes sociaux. Car,
ce produit social peut justement être objectivé ou
réifié en tant qu'idéologie, au point de devenir un
instrument de déshumanisation ou d'aliénation sociale.
Ce qui est paradigmatique dans le cas des rôles sociaux
est souligné par Peter Berger, par la formule
courante : « Je n'ai pas le choix dans ce domaine, je dois
agir ainsi à cause de ma fonction ».339(*) Comment de lors faut-il
envisager le changement social contre cette objectivation. Comme le dit
justement Peter Berger et Thomas Luckmann dans leur ouvrage intitulé
La construction sociale de la réalité
: « un corps de connaissances, une fois qu'il est
élevé au niveau d'un sous- univers de signification relativement
autonomie, possède la capacité d'agir rétrospectivement
sur la collectivité qui l'a produit ».340(*)
2.3.4. Construction sociologico
-philosophique chez Pierre Bourdieu
Nous partons d'abord de la théorie de la connaissance
de Jürgen Habermas. Ce dernier cite Karl Marx tel qu'il donne une
lecture instrumentaliste de la philosophie transcendantale.341(*) Ce n'est pas la combinaison
de symboles effectués selon les règles, mais les processus
sociaux de vie, la production matérielle et l'appropriation des
produits, qui fournissent la matière que la réflexion peut
prendre comme point de départ pour porter à la conscience les
réalisations synthétiques fondamentales. « Ceux qui
croient produire une théorie matérialiste de la connaissance
lorsqu'ils font de la connaissance un enregistrement passif et qu'ils
abandonnent ainsi à l'idéalisme ,comme le regrettait
déjà Marx dans les thèses de
Feuerbach,l'« aspect actif » de la connaissance,oublient
que toute connaissance,et en particulier toute connaissance du monde social
,est un acte de construction mettant en oeuvre des schèmes de
pensée et d'expression et qu'entre les conditions d'existence et de
pratiques ou les représentations s'interpose l'activité
structurante des agents ».342(*)
En effet, il s'agit de la synthèse dans laquelle le
processus social, de processus symbolique et le mode de production
matérielle interagissent. Une telle notion est bien proche de celle de
« travail social » chez Karl Marx, notion qui peut
être aliéné par « le processus vital »
de Hannadt Arendt. Le processus vital renvoie ici au processus de ravalement.
Pierre Bourdieu définit justement l'habitus comme
l' « unité originaire synthétique, (...) principe
unificateur et générateur de toutes les
pratiques ».343(*)
Nous pouvons partir aussi d'autres présuppositions
philosophiques, nous dirons que Pierre Bourdieu est plus aussi proche
d'Emmanuel Kant de la Critique de l'aptitude de juger que de
Critique de la raison pure. L'intitulé de l'ouvrage de Pierre
Bourdieu : La distinction ; critique sociale du jugement,
écrit en 1979, ne trompe pas sur la similitude avec La critique du
jugement esthétique d'Emmanuel Kant. En effet, Kant évoque
cette problématique de la synthèse transcendantale à
travers une note assez obscure, mais très importante, au dire de Ch.
Serrus , toute liaison (conjunctio) est ou composition (compositio),
ou connexion (nexus). La première est la synthèse du divers qui
n'est pas nécessairement lié. De cette espèce est la
synthèse de l'homogène dans tout ce qui se peut examiner
mathématiquement. La seconde synthèse concerne ce qui n'est
nécessairement qu'un. En tant qu'hétérogène, il est
aussi représenté comme lié a priori.
Toutefois, Pierre Bourdieu place les structures sociales non
pas dans l'esprit comme Claude Lévi-Strauss mais dans le corps. Nous
pouvons dire qu'il prône non pas le mentalisme mais la
corporéité. L'habitus est une injonction à une action. Par
exemple, « celui qui submerge la timidité se sent trahi par
son corps, qui reconnaît les interdits ou des appels
paralysants. »344(*) Ainsi, « la nation »,
la « race » ou
l' « identité », comme on dit aujourd'hui,
écrit- Bourdieu, est inscrite dans les choses -sous forme des structures
objectives, ségrégation de fait, économique, spatiale,
etc.- et dans le corps -sous forme de goût et dégoût, de
sympathies et antipathies, d'attractions et répulsions, que l'on dit
parfois viscérales ».345(*)
L'habitus est « la formule génératrice
qui est au principe de style de vie, ensemble unitaire de
préférences distinctives qui expriment, dans la logique
spécifique de chacun des sous-espèces symboliques, mobilier,
vêtement, langage ou hexis corporelle, la même intention
expressive. Chaque dimension de style de vie « symbolise
avec »les autres ,comme disait Leibniz, et les symbolise : la
vision du monde d'un vieil artisan ébéniste ,sa manière de
gérer son budget, son temps et son corps, son usage du langage et choix
vestimentaire, sont tout entiers présents dans son éthique du
travail scrupuleux et impeccable ,du soigné ,du fignolé, du fini
et son esthétique du travail pour le travail qui lui fait mesurer la
beauté de ses produits au soin et à la patience qu'ils ont
demandés ».346(*)
Bourdieu évoque des situations de crises profondes qui
peuvent affecter l'habitus en tant que synthèse, notamment la
domination. « Plus généralement, la diversité
des conditions ,la diversité correspondante des habitus et la
multiplicité ...d'ascension ou de déclin (qui)font que les
habitus peuvent se trouver affrontés ... à des conditions
d'actualisation différentes ...: dans tous les cas où les
agents perpétuent des dispositions rendues obsolètes par les
transformations des conditions objectives (vieillissement social) ...comme les
parvenus ,ou conjoncturellement ,comme les plus démunis lorsqu'ils ont
à affronter des situations régies par les normes dominantes
,comme certains marchés économiques et
culturels ».347(*)
Pour Bourdieu, « il faut, dit-il, rompre avec
l'intellectualisme de la tradition kantienne et apercevoir que les structures
cognitives ne sont pas des formes de la conscience mais des dispositions du
corps, des schèmes pratiques ».348(*) Cette position a pour
conséquence en sociologie de l'apprentissage et de l'éduction la
nécessité de « dépasser la tradition
néo-kantienne, même en sa forme durkheimienne ».349(*) Ainsi puisque produit de
l'histoire, « l'habitus n'est ni nécessairement adapté,
ni nécessairement cohérent. (...) C'est le cas, en particulier,
lorsqu'un champ connaît une crise profonde et voit ses
régularités (voire ses règles) profondément
bouleversées. A l'inverse de ce qui se passe dans les situations de
concordance où l'évidence liée à l'ajustement rend
invisible l'habitus qui le rend possible, le principe de légalité
et de régularité relativement autonome que constitue l'habitus
apparaît alors en pleine clarté ».350(*)
Ce concept d'habitus est aussi bien proche des schémas
de la philosophie de la nature des temps modernes. Pierre Bourdieu est proche
de l'existence quotidienne, dans La distinction, il affirme ce qui
suit, « il est à l'espace pratique de l'existence
quotidienne, avec ses distances que l'on tient ou que l'on marque et ses
proches qui peuvent être plus lointains que les étrangers, ce que
l'espace géométrique est à l'espace hodologique de
l'existence ordinaire, avec ses lacunes et ses
discontinuités ».351(*)
Notons que selon Leo Chall la perspective de John Searle
et Bourdieu divergent sur les notions l'intentionnalité et de
l'ontologie sociale. 352(*) La convergence porte sur la notion d'habitus.
`'Bourdieu`s concept of habitus is like my notion of the back-ground, although
he comes from another tradition. I don't find him very easy to read. He
doesn't always write very dearly.»353(*)
2.3.5. La construction sociale
dans les domaines de l'anthropologie de la santé et de l'anthropologie
des représentations
Yannick Jaffré et Jean Pierre Olivier De Sardan ont
écrit et dirigé un livre intitulé La construction
sociale de la réalité des maladies, entités nosologiques
populaires en Afrique de l'ouest, ce livre partage « l'espace
théorique commun au champ de l'anthropologie de la santé et au
champ de l'anthropologie des représentations. Dans cet espace
scientifique, affirment les auteurs, elle peut représenter une solution
possible (parmi d'autres) à certains problèmes plus
généraux, qui jusqu'ici ne nous semblent pas avoir
été traités de façon
satisfaisante ».354(*) La sociologie et l'anthropologie des
catégories sont un des grands noyaux de développement actuel de
l'analyse cognitive du social. Les catégories sont supposées
former entre elles une totalité culturelle qu'on doit envisager dans les
relations, notamment causales, avec les autres touts sociaux (et, tout
spécialement, comme projection de la structure sociale), mais ce
pourrait être aussi, comme chez Whorf et Sapir, de la projection de la
structure de la langue.
L'étude porte sur des « bribes de discours
médical reintépreté que se construisent les
représentations populaires ».355(*) Nous pouvons dire qu'ils
partagent avec John Searle le point de départ théorique qui
consiste à analyser le langage.
Ce qui nous intéresse ici, c'est le changement
d'attitude ethnologique sur un domaine de recherche vital. Nous pouvons voir
l'impertinence de critère de différentiation de la
« leçon d'écriture » que nous retrouvons chez
Searle. A la postface du livre les auteurs affirment justement que l'ouvrage
partage des choix théoriques communs, notamment le refus d'une
ethnologie passéiste. La méthode utilisée est celle de la
description des sémiologies populaires. « Dans chacune des
langues considérées, les locataires recourent à un stock
déjà constitué de mots pour dire leurs maux, leurs corps,
leurs maladies, leurs traitements ».356(*) Les chercheurs s'occupent
des « entités nosologiques populaires », ces
maladies de sens commun Peul, Songhay- Zarma, Bambara, etc., (ils
s'intéressent à « la façon dont les
symptômes morbides étaient perçus, exprimés, et
organisés par les principaux
intéressés ».357(*)
L'avis porté sur les sciences sociales, c'est que
contre ces dernières, les auteurs affirment « la
nécessaire cohésion du langage de description en sciences
sociales qui se transforme souvent en une cohérentisation abusive des
référents empiriques sur lesquels il porte, (...) la
rationalité propre au langage savant ne devait pas être confondu
avec celle dont font usage les acteurs en situation ordinaire ».358(*) Contre le concordisme, la
confusion des langages et l' isomorphie logico- philosophique, disons plus
simplement à la suite de la thèse de Wittgenstein II, qu'aucun
langage n'est descriptif, tout langage est toujours constructif. Le langage
formel construit ses propres êtres, les autres langages des sciences
construisent le monde, Dieu ou la société.
Là où nous relativisons les auteurs, c'est
quand ils affirment le fait « qu'il n'y a pas en Afrique, à
notre connaissance, de « médecine savante »
traditionnelle, les spécialistes populaires que sont les
« guérisseurs » (faisant traditionnellement un large
usage des plantes) ne recourant nulle part à un corpus stabilisé
et standardisé de savoirs organisé (du type médecine
chinoise ou indienne. (...) il faut bien admettre, après examen
attentif fait par chacun d'entre nous dans les cultures ici
considérées, que nulle part n'existe de théories des
rapports entre ces rapports, entre ces couples, fonctionnelles ou
philosophiques (à l'image des théories grecques ou chinoises), et
que leurs usages sont variables, non stabilisés, et largement
allusifs ».359(*) Ils ajoutent : « nous n'avons pas
rencontré trace à travers nos parcours de recherche sur les
entités nosologiques populaires, de grandes constructions
théoriques indigènes. Ni de vastes systèmes
classificatoires. (...) Chaud/ froid, humide / sec, amer/ doux sont des
couples couramment utilisés dans toutes les langues où nous avons
travaillé. »360(*) Justement, cette opération est fondamentale.
Intellectuellement nous classons et opérons des distinctions de base
(masculin /féminin, classes d'âges, etc.), qui à leur tour
configurent ou construisent la vie quotidienne. Ce point de départ est
la façon de comprendre cette phrase de Bourdieu : « les agents
sociaux que le sociologue classe sont producteurs non seulement d'actes
classables mais aussi d'actes de classement qui sont eux-mêmes
classés ».361(*) C'est ce que Bourdieu appelle l'activité
structurante des agents. C'est un mode de connaissance
géométrique souvent incorporé et qui se reproduit
socialement.
Pierre Bourdieu tente de donner la genèse des
structures sociales et des classifications. Toutefois, il se démarque
d'une analyse de John Searle rivée sur la pragmatique du langage ou
d'une pragmatique de l'esprit en tant qu'essai d'une philosophie des
états mentaux. Pour lui, du moins à un certain niveau, les
unités minimales qu'ils dégagent fonctionnent en
deçà de la conscience et du discours, pour autant que le discours
n'implique pas la pratique (l'acte). « La connaissance pratique du
monde social (...) met en oeuvre des schèmes classificatoires (ou ,si
l'on préfère ,des « formes de
classifications »,des « structures mentales »,des
« formes symboliques »,autant d'expressions qui,si l'on
ignore les connotations ,sont à peu près
interchangeables),schèmes historiques de perception et
d' appréciation qui sont le produit de division objective en
classes (classe d'âge, classes sexuelles, classes sociales) et qui
fonctionnent en déçà de la conscience et du
discours ».362(*)Nous avons dit que nous étions là en
présence des actes structurants inconscients.
Les unités minimales de base qui se reproduisent sous
forme sociale relèvent des oppositions inscrites dans de la vie
même (sexe, langues différentes, âges, etc.) et se
projettent en construisant les institutions. « Les passions mortelles
de tous les racismes (d'ethnie, de sexe ou de classe) se perpétuent
parce qu'elles sont chevillées aux corps sous forme de dispositions et
aussi parce que les rapports de domination dont elles sont le produit se
perpétuent dans l'objectivité ».363(*) Son hypothèse est
que, par exemple, la domination entre masculin/féminin est inscrite
d'abord dans la différence physique qui est inscrite dans le corps.
L'habitus est la classe incorporée ,(incluant
des propriétés biologiques socialement façonnées
telles que le sexe ou l'âge) et, dans tous les cas de déplacement
inter- ou intra- générationnel, se distingue (dans ses effets )
de la classe objectivée à un moment donné du
temps (sous forme de propriété ,de titres, etc.),en ce qu'il
perpétue un état différent des conditions
matérielles d'existence, celles dont il est le produit et qui
différent plus ou moins en ce cas des conditions de son
actualisation »364(*). L'« habitus dominé (du point de
vue du sexe, de la culture ou de la langue), relation sociale somatisée,
loi du corps social (est) convertie en loi du corps ».365(*)
La construction s'oppose à la naturalisation. Pour
Bourdieu, « la vision naturalisée de région ou de la
nation, avec ses frontières « naturelles », ses
« unités linguistiques », ou autres,...toutes ces
entités substantielles ne sont que des constructions sociales, des
artéfacts historiques qui, souvent issus des luttes historiques
analogues à celles qu'ils sont censés trancher, ne sont pas
reconnus comme tels, mais appréhendés à tort comme des
données naturelles ».366(*)
En effet, « les opérations de classifications
par lesquelles les agents sociaux construisent le monde social tendent à
se faire oublier comme telles en se réalisant dans les unités
sociales qu'elles produisent, famille, tribu, région, nation, et qui
sont dotées de toutes les apparences des choses ».367(*) Ces considérations
sont essentielles comme hypothèses théoriques à
vérifier dans une enquête sociologique ou anthropologique selon
le cas ; ainsi « c'est l'ordre social lui-même qui,
pour l'essentiel, produit sa propre sociodicée ».368(*)
La philosophie de la Nature des temps modernes est ici sans
conteste un des cadres théoriques de Pierre Bourdieu. Nous allons
déjà en luminaire présenter ici une reconstruction
philosophique. Le postulat du concept de « distinction » ou
de « classement », dans son livre intitulé La
distinction ; critique sociale du jugement a selon notre
hypothèse son répondant dans le rationalisme cartésien.
René Descartes, dans son livre Regulae ad directionem
ingenii,fait de la notion de sériation comme la base de sa
mathématisation de la nature ; c'est le postulat de sa philosophie
même : « comprendre le monde c'est le
mathématiser, c'est le disposer en série
géométrique».
Pour tenter une reconstruction philosophique, nous essayons de
présenter l'origine philosophique de la théorie
considérée. En effet, nous savons que
« sérier » dans la mathématisation de la
nature chez Descartes, c'est construire des oppositions. Transposé
dans une construction sociale chez Bourdieu, cela devient :
la « matrice de tous les lieux communs qui ne
s'imposent si aisément que parce qu'ils ont pour eux tout l'ordre social
,le réseau d'oppositions entre haut(ou sublime, élevé,
pur) et bas(ou vulgaire, plat, modeste),spirituel et matériel, fin(ou
raffiné ,élégant) et grossier(ou gros, gras, brut, brutal,
fruste),léger(ou subtil, vif, adroit)et lourd(ou lent,
épais, obtus, laborieux, gauche),libre et forcé, large et
étroit ou, dans une autre dimension ,entre unique(ou rare,
différent, distingué, exclusif, exceptionnel, singulier,
inouï) et commun(ou ordinaire, banal, courant, trivial,
quelconque),brillant(ou intelligent) et terne(ou obscur, effacé,
médiocre),a pour principe d'opposition
entre « élite »des dominants et
la »masse » des dominés ,multiplicité
contingente et désordonnée, interchangeable et innombrable,
faible et désarmée ».369(*)
Le concept d'espace homogène de René Descartes y
est transposé, toutes choses restant égales par ailleurs, comme
espace social. « Le schéma de l'espace social (...) peut
être aussi lu comme un tableau rigoureux des catégories
historiquement constituées et acquises qui organisent la pensée
du monde social de l'ensemble des sujets appartement à ce monde et
façonnés par lui. »370(*) Seulement, il faut dire que Bourdieu est un
rationaliste d'un type nouveau qui théorise non pas l'espace
homogène mais l'espace social.
Sur la même question de construction de la
réalité sociale, Bourdieu reproche à certains
spécialistes en la matière le fait « qu'ils omettent de
poser la question de la construction sociale des principes de construction de
cette réalité que les agents mettent en oeuvre dans le travail de
construction, individuel et aussi collectif. »371(*) Ces principes ne sont autres
dans la société dite complexe que « les schèmes
pratiques de perception, d'appréciation et d'action ».372(*) « Dans les
sociétés peu différenciées ,c'est à travers
toute l'organisation spatiale et temporelle de la vie sociale et, aussi ,
à travers les rites d'institution établissant des
différences définitives entre ceux qui ont subi le rite (par
exemple la circoncision) et ceux (ou celles)qui ne l'ont pas subi(femmes) que
s'instituent dans le corps ,sous forme de schème pratique (plutôt
que des catégories),les principes de visions et division communs (dont
le paradigme est l'opposition entre le masculin et le
féminin) ».373(*)
Pierre Bourdieu est dans la ligne de ceux qui critiquent la
rationalité et la modernité et cela à l'envers de John
Searle au moyen du principe qu'il appelle l'habitus, schème constructeur
de la réalité sociale. En effet, « un concept qui,
comme celui de l'habitus ,dit-il, s'est imposé à moi à
l'origine comme le seul moyen de rendre compte des décalages
qui s'observaient ,dans une économie comme celle de l'Algérie des
années soixante(et encore aujourd'hui dans beaucoup de pays dits
« en voie de développement »), entre les structures
objectives et les structures incorporées ,entre les institutions
économiques importées et imposées par la colonisation (ou
aujourd'hui par les contraintes du marché) et les dispositions
économiques apportées par les agents directement issus du monde
précapitaliste. Cette situation quasi expérimentale avait
pour effet de faire apparaître en négatif, à travers toutes
les conduites qui étaient alors communément décrites
comme des manquements à la « rationalité » et
des « résistances à la modernité », et
souvent imputées à de mystérieux facteurs culturels, comme
l'islam, les conditions cachées du fonctionnement des institutions
économiques ».374(*)
2.4. Illustration de la
construction de la réalité sociale ordinaire
Depuis 1949, date de parution du livre intitulé
Deuxième Sexe de Simone de Beauvoir, il était
déjà bien connu qu' « on ne naît pas femme, l'on le
devient » et les courants féministes ont fait comprendre que
le « genre » (opposé au sexe, produit de
la « nature ») est un construit
social. »375(*) En fait, « les femmes et les
hommes ont tenu pour acquis que la perception masculine du monde était
normale et naturelle alors qu'en réalité, les postulats (...) qui
gouvernent nos modes de pensée et d'agir sont des artéfacts
sociaux, issus et construits à partir de l'expérience masculine
(Randour, 1987).»376(*) Il fallait le préciser à la suite de
Weiler, « le sexe, la classe, la race, l'appartenance sexuelle
et la capacité physique donnent forme à nos
vies ».377(*)
Jeannine Ouellette affirme à propos des femmes
qu'« il ne faut jamais perdre de vue que les théories sont des
constructions humaines et, dans la fabrication masculine de la
réalité, c'est la femme qui est l'Autre..., qui est
différente de l'homme. Ce modèle déficitaire repose sur le
postulat que ce sont les femmes qui doivent changer ; les hommes seraient
les modèles de réussite et, comparativement aux hommes, les
femmes n'arriveraient pas à gravir tous les échelons (Gaskellet
coll., 1989) ».378(*) La femme « se détermine et se
différencie par rapport à l'homme et non ceux-ci par rapport
à elle ; elle est inessentielle en face de l'essentiel. Il est
Sujet, il est l'Absolu : elle est l'Autre ».379(*)
Aujourd'hui « le nombre de femmes qui
résistent à l'assimilation inconsciente au modèle masculin
est un fait social évident ».380(*) « Les femmes de
toutes les générations relèvent ce défi et
dépassent les limites de leur siècle et de leur époque en
redéfinissant les frontières pour réinventer la
société ».381(*) Pour prendre l'exemple du concept de
« genre » que nous venons d'évoquer, la question
essentielle est celle-ci : la vision essentiellement masculine de la
réalité prévaut dans la majorité des disciplines,
comment sortir de cette vision masculine ? Pour une
épistémologie coloniale, la question est simple : la vision
coloniale de la réalité prévaut encore dans la
majorité des disciples en sciences sociales et humaines, comment sortir
de cette vision coloniale ?
A propos, il existe des obstacles à la
réinvention d'une nouvelle société et non les moindres,
à titre d'exemple : « les mots sont porteurs de valeurs et de
symboles. Il n'est pas si simple de modifier ou de transformer les rapports
d'une société avec les mots ».382(*) Par exemple « La
langue européenne moderne comme le français reflète, dans
sa structure profonde, les institutions nomades indo-européennes,
défavorables à la femme : il n'existe pas de terme propre en
français pour exprimer le meurtre de la mère et de la
soeur ; on utilise, respectivement, les termes relatifs au meurtre du
père, ou du frère : parricide= meurtre du père, ou de
la mère par extension- fratricide= meurtre du frère, ou de la
soeur par extension ».383(*) Les mots sont des instruments d'émancipation
ou d'aliénation.
Pour l'épistémologie sociale de Pierre Bourdieu
justement, « le genre, la nation, l'ethnie ou la race sont des
constructions sociales,il est naïf , donc dangereux ,de croire et de
laisser croire qu'il suffit de « déconstruire » les
artéfacts sociaux , dans une célébration purement
performative de la « résistance » pour les
détruire : c'est en effet ignorer que,si la catégorie selon
le sexe, la race ou la nation est bien une
« invention »raciste,sexiste,nationaliste,elle est inscrite
dans l'objectivité des institutions. »384(*) Nous allons largement
illustrer, non le cas de genre (gender), mais le fait que les sciences
coloniales à propos des peuples Aborigènes d'Australie, des
Indiens d'Amérique et surtout des Noirs d'Afrique, sont des
constructions hautement stratégiques et souvent irrationnelles.
Jeannine M.Ouellette propose, pour sortir de la vision
masculine de la réalité « le concept d'autonomie
intellectuelle (qui) s'actualise dans (la) position
épistémologique où les femmes se perçoivent comme
créatrices et aussi comme dispensatrices du
savoir ».385(*) Du point de vue constructiviste,
« les femmes accordent maintenant une place équivalente
à la raison et à l'intuition, sans toutefois négliger la
contribution du savoir provenant de sources
extérieures ».386(*) Et de conclure par une note nettement
éclairante : « Les liens (...) entre les niveaux de
développement - le moi, la parole et la pensée- sont utiles pour
avoir une vue d'ensemble et mieux saisir les enjeux multiples de la
socialisation et de l'effet global de vivre dans une société
patriarcale ».387(*)
2.5. Conclusion partielle
Nous pouvons dire que l'échantillon des approches que
nous avons analysées dans ce chapitre a deux perspectives : celle
qui relève d'une approche ordinaire et celle d'une approche savante. Ces
deux perspectives peuvent être intégrées au moyen d'une
reconstruction ontologique et épistémologique. Nous allons
maintenant présenter l'approche analytico-cognitiviste de John Searle
qui tente une telle synthèse.
Chapitre III :
Contribution searlienne à la construction
ordinaire et théorique de la réalité sociale
3.0.
Sommaire du chapitre
Le chapitre III donne une présentation de John Searle
et analyse la transformation searlienne des déterminations structuro
-fonctionnelles d'Emile Durkheim. Cette reconstruction nous permet de
dégager les convergentes et les divergences entre Emile Durkheim et John
Searle.
John Rogers Searle est un philosophe américain
né à Denver (Colorado) le 31 Juillet 1932, il étudie la
philosophie à l'université d'Oxford. En 1959, il devient
professeur de philosophie du langage à l'université de
Californie, à Berkeley. Il s'est particulièrement
intéressé à la philosophie du langage et à la
philosophie de l'esprit (The mind). Il fait sa carrière en tant que
professeur de philosophie à l'Université de Californie, Berkeley.
Il élabore depuis une théorie de la construction de la
réalité sociale enracinée dans son livre monumental
Les actes de la parole ; essai de philosophie du langage de 1969.
Emile Durkheim dans Les règles de la méthode
sociologique, nous donne des points d'encrages théoriques qui nous
introduisent dans le contexte de la question sociale de John Searle. Ce
livre peut être une des références pour discuter
avec Searle pour autant que le fonctionnalisme d'E. Durkheim et sa
primauté du collectif y est mis en exergue. C'est là tout un
programme de recherche qui se recoupe avec celui actuel de John Searle. Proche
d'une telle problématique, nous sommes d'avis que John Searle se pose
une foule de questions qui se recoupent : comment les faits institutionnels
sont-ils possibles ? Et quelle est exactement la structure de ce genre de
faits ? Comment une réalité sociale construite est-elle
possible ? Comment peut-il y avoir une réalité objective qui
existe, pour une part, en vertu de l'accord des hommes ? Par exemple,
comment peut-il être un fait complètement objectif que les bouts
de papier qui se trouvent dans ma poche soient de l'argent, si quelque chose
n'est de l'argent que parce que nous le croyons ? Et quel est le
rôle du langage dans la constitution de tels faits ?388(*)
A propos John Searle évoque le fonctionnalisme dans un
contexte théorique qui se recoupe entre autre avec la manière de
voir d'Emile Durkheim. Toutefois, Searle refuse le rapprochement avec le
fonctionnalisme : « il vaut peut être la peine de noter
qu'en employant la notion de fonction je n'ai assurément pas l'intention
de souscrire à quelque « analyse fonctionnelle » ou
« explication fonctionnelle » que ce soit en matière
de recherche sociologique ».389(*)
John Searle englobe cette question en portant son
intérêt sur les problèmes méthodologiques,
épistémologiques de fondement et celle la validité de la
connaissance en sciences sociales. Répondre plus
précisément à la question principale de dépassement
du fonctionnalisme traditionnel suppose la démarcation qu'il y a
à faire avec les autres approches théoriques et des concepts
centraux de reconstruction en sciences sociales. En fin de compte, nous nous
servons d'un réflecteur, en l'occurrence du fonctionnalisme de John
Searle pour construire notre hypothèse générale du
dépassement. Searle considère le cadre théorique d'Emile
Durkheim comme essentialiste.
Dans les sciences sociales, selon Etienne Le Roy
justement, « John Searle, parmi d'autres, a pourtant
montré que le fonctionnalisme est nécessairement lié
à une conception intentionnaliste des choses ».390(*) Searle reconstruit le cadre
général structuro -fonctionnaliste d'un point de vue
intentionnaliste. Le système de Durkheim est
intrinsèque. Le système fonctionnel de Searle est
attributif. Un agent intentionnel attribue une fonction à une chose,
à un évènement ou à une personne. Il part du fait
qu'il ne faut pas postuler d'emblée comme le fait Durkheim que les
rapports entre le Tout et ses parties sont normaux et fonctionnent. D'où
l'importance du langage dans la création de la réalité
sociale en général. En effet, selon Searle «les
fonctions ne sont jamais intrinsèques ; elles sont assignées
relativement aux intérêts d'utilisateur, et
d'observateurs ».391(*) C'est nous qui le construisons en assignant ou
imposant des fonctions.
A travers la formule langagière des règles
constitutives de Searle, X vaut Y dans le contexte C (entendez par exemple
cette femme (X) est déclarée mariée (Y) dans le contexte
où cela est dit par l'officier de l'état civil(C)). Ce
système de X, Y et C n'existe pas en lui-même ; X et Y se
situent dans un rapport non intrinsèque comme dans un rapport de Tout et
de ses parties.
Searle considère X et Y comme des
variables : « j'emploi les expressions « terme
X », « terme Y », et « terme
C » pour faire référence indifféremment soit aux
entités réelles qui sont les valeurs de ces trois
variables ».392(*) Dans ces conditions où le système
n'est pas intrinsèque, il y a bien un problème de
causalité et de normativité automatiques.
« Chaque fois que la fonction de X est de Y, alors X est
censé causer Y ou, sinon, résulter en Y. Cette
composante normative inhérente aux fonctions ne peut se réduire
à la seule causalité, à ce qui se passe en fait comme
résultat de X, parce que X peut avoir pour fonction de faire -Y
même dans les cas où X ne parvient pas tout le temps ,ni
même la plupart de temps ,à provoquer Y ».393(*)
La transformation searlienne donne des résultats
suivants : l'exigence d'incorporer la subjectivité humaine. En
fait, la reconstruction de Searle suppose en même temps le
fonctionnalisme et le structuralisme : « la fonction de X
est de Y, X et Y sont les parties d'un système où le
système est en partie défini par des fins et, de
manière générale, par des
valeurs ».394(*)
Les propos ici vont consister, comme on peut le remarquer
à présenter, la conception constructiviste de la
réalité sociale selon John Searle. Comme le débat se
situe, par rapport à la communauté scientifique au double point
de vue diachronique et synchronique, nous allons tenter ,pour
présenter sa conception, de subsumer les différents points
d'encrages qui ne sont pas donnés d'emblée.
Ce chapitre contient essentiellement deux grandes
questions : la reconstruction structuro-fonctionnaliste de Searle d'abord,
cette partie a ceci d'intéressant qu'elle éclaire pas mal de
points théoriques en sciences sociales à la recherche de sa
rénovation, surtout en Afrique d'une part, et d'autre part, elle met en
exergue le point de départ onto-théologique ou naturaliste d'un
contexte théorique,point de départ qui a l'avantage de servir de
balise contre l'éparpillement de cette question qui embrasse finalement
plusieurs domaines des sciences : de la physique à la culture, en
passant par la biologie et le statut des savoirs, etc. La seconde partie se
penchera ensuite sur les accointances et/ou diversités entre Searle et
Durkheim.
3.1.
La transformation searlienne des déterminations structuro
-fonctionnelles
De quoi s'agit -il ici ? Nous allons montrer d'une part
les différentes divergences de John Searle avec l'approche dite
structuro-fonctionnalisme, en tant qu'elle se réalise de façon
reconstructive, et les différentes convergences d'autre part. Searle
tente ici justement la transformation pragmatico - intentionnelle du structuro-
fonctionnalisme. Nous verrons que son point de départ est intentionnel
ou cognitiviste (dans le naturalisme la Raison émerge à un
certain niveau comme émerge la conscience du biologique : la
conscience émerge du processus neurobiologique dans le physicalisme de
Searle), et qu'il retourne subrepticement sur ses premières amours
pragmatistes à la fin. Sa reconstruction épistémologique
des approches est au demeurant intentionnalico- langagière. Finalement
Searle débouche sur ses propres modalités de la construction de
la réalité sociale.
Toutefois, il faut dire que sa conception de la construction
de la réalité sociale, bien que proche de celle de Friedrich
Hayek, ne manque pas de forcer l'admiration par sa richesse en tant qu'elle se
ressource dans la logique, dans le cognitivisme, dans la philosophie de la
nature et dans la sémio -pragmatique. Searle part d'un projet colossal
d'un édifice naturaliste qui reprend la physique comme base, la biologie
comme le sommet et la psychologie comme stade intermédiaire.
Nous pouvons ici évoquer chez Searle la reconstruction
épistémologique au moyen du concept normatif de
« comportement régi par des règles » des
structures profondes. A ce propos, John Searle réfute plusieurs points
de vue qui recèlent en fait des contradictions : « nous
ne pouvons pas (...) décrire (...) ces structures comme des ensembles de
règles de calcul inconscient, ainsi qu'on le fait aujourd'hui en
sciences cognitives et en linguistique, parce qu'il est incohérent de
postuler un suivi des règles inconscientes qui soit en principe
inaccessible à la conscience ».395(*)
Les règles phonologiques que Claude Lévi-Strauss
a utilisées sont remplacées chez Searle par des règles
constitutives que nous verrons. Searle reconstruit cette problématique
de l'omniprésence de l' « inconscient » par la
notion de l'Arrière-plan.
A propos Searle et Pierre Bourdieu se démarquent du
concept de l'inconscient pour respectivement l'Habitus et
l'Arrière-plan. Marc Maesschalck nous renseigne par ailleurs que le
recours à l'Habitus est « une réaction à la
prédominance de l'oeuvre de Lévi-Strauss sur le travail
sociologique à l'époque où Bourdieu menait ses
études sur les structures de parenté au Bearn et en
Kabylie ».396(*) La notion de l'Arrière-plan est une
reconstruction de la question de la commande du langage, du mental et de
l'interaction au moyen des structures profondes comme un ensemble des
règles.
La question théorique de John Searle est la
suivante : « quelle est (...) la bonne méthodologie,
pour décrire la structure de la réalité
sociale ? »397(*) Pour lui déjà, en effet « ce
qui crée un problème au théoricien, c'est le
caractère invisible de la structure de la réalité
sociale ».398(*) La cristallisation théorique de cette
question est, par delà la rupture saussurienne et le rôle des
règles dans les sciences sociales, la fameuse question de Ludwig
Wittgenstein, celle de savoir si les règles causent l'action ou ce
qu'obéir à la règle signifie. 399(*) Qu'est-ce qu'être
commandé par les règles ?
On part du fait que « les gens qui participent aux
institutions (comme l'argent, la guerre, la propriété, le
mariage, le procès, etc.) ne sont pas conscients, habituellement, de ces
règles ; ils ont même souvent de fausses croyances sur la
nature de l'institution, et il arrive même que ceux qui ont
créé en personne l'institution n'aient pas conscience de sa
structure ».400(*) Comment Searle explique-t-il cette situation ? Il
rappelle le fait que « Chomsky dans son analyse de la Grammaire
universelle, dit que l'enfant n'est capable d'apprendre la grammaire d'une
langue naturelle donnée que parce qu'il ou elle est déjà
de façon innée en possession des règles d'une Grammaire
universelle, et ces règles sont si profondément inconscientes
qu'il n'y a aucun moyen pour un enfant de prendre conscience de leur
déroulement. Ces analyses ne me satisfont pas,
conclut-il.»401(*)
Et il poursuit, «cette façon de procéder est très
courante en science cognitive. Fodor dit que pour comprendre une langue quelle
qu'elle soit, il nous faut tous connaître le Langage de la
Pensée. Et ce langage est profondément inconscient que nous ne
pouvons jamais prendre conscience de son
déroulement ».402(*)
John Searle ne procède pas de cette
façon : « depuis Freud, nous trouvons utile et
commode de parler de manière désinvolte de l'esprit inconscient
sans en payer le prix : expliquer exactement ce que nous entendons par
là ».403(*) Quelle est la thèse de Searle ?
« Pour expliquer comment nous pouvons rattacher à des
règles des structures telles que le langage, la propriété,
l'argent, le mariage, et ainsi de suite, dans le cas ou nous ne connaissons pas
les règles et ne les suivons ni consciemment ni inconsciemment, je dois
faire appel à la notion que j'ai appelé
l' « Arrière-plan » ».404(*) Searle distingue les
règles de l'Arrière-plan.
Cette problématique est à la suite de
l'hypothèse de Ludwig Wittgenstein selon la quelle « parler
est un type de comportement régi par des règles ».
Searle présente déjà 1969 la nature des règles.
En fait, John Searle explicite justement l'aphorisme de Ludwig Wittgenstein
selon lequel « parler une langue c'est accomplir des actes
conformément à des systèmes des règles
constitutives ».405(*) Plusieurs règles peuvent ici entrer en
compte : les règles constitutives, les règles normatives,
les règles de force illocutoire (les règles de contenu
propositionnel, les règles essentielles, les règles de
sincérité, etc.). Pour Searle, ces règles sont celles
fondamentales auxquelles obéit d'une façon
générale l'activité communicationnelle dans le monde de la
vie quotidienne. « Il existe (donc ) des règles constitutives
du monde vécu ».406(*)
Ce que tente de faire John Searle,c'est de mettre en exergue
ces règles : « Les institutions comme l'argent, la
propriété, la syntaxe, et les actes de langage sont des
systèmes des règles constitutives, et nous voulons
connaître le rôle de cette structure régulatrice dans
l'explication causale du comportement humain ».407(*) Les règles ne
fonctionnent pas comme les causes du comportement. « Les
règles sont donc un procédé qu'emploie le linguiste pour
caractériser les phénomènes, mais elles se bornent
à décrire le comportement, elles ne jouent en
vérité aucun rôle pour ce qui est de le
causer ».408(*)
Et Searle de conclure : « Je propose donc de
dire, c'est Searle qui conclut ainsi, qu'en apprenant à se
débrouiller avec la réalité sociale, nous acquérons
un ensemble d'aptitudes cognitives (Arrière-plan) qui sont partout
sensibles à une structure intentionnelle, et en particulier aux
structures régulatrices d'institutions complexes, sans
nécessairement contenir partout de représentations des
règles de ces institutions ».409(*) Il s'oppose ici à la
non intentionnalité d'Emile Durkheim.
3.1.1.
Les convergences et les divergences entre Emile Durkheim et John Searle
Il y a en effet plusieurs points de convergences entre Searle
et Durkheim. Savas Tsohatzidis dit à juste titre que « several
commentators ( notably Gross 2006 ) have been struck by what they see as a
convergence between this account and that of Emile Durkheim ,who ,one century
earlier, set out his account of social reality in his the Rules of Sociological
Method (Durkheim 1982),whose first chapter asks what is a Social Fact?
»410(*) Ils se
demandent tous deux ce qu'est-ce qu'un fait social ?
Il y a certes des convergences mais aussi des divergences,
Searle pense qu'il diffère fondamentalement de Durkheim parce que
l'ontologie fondamentale de ce dernier est
problématique : « nevertheless, Searle roundly
rejects the idea that their views converge. (...) Searle countens that
« the fundamental ontology in Durkheim is mistaken ».411(*)
Searle revient abondamment sur la question
d'Intentionnalité dans sa reconstruction. « Les explications
fonctionnalistes tendent à étudier les institutions
indépendamment des intentions des acteurs qui y sont
impliqués ; elles recourent à une téléologie
sans agents intentionnels ».412(*) Alors que pour Searle « les sciences
sociales en général concernent différents aspects de
l'intentionnalité ».413(*) L'économie par exemple n'est pas
basée « sur des faits systématiques portant sur la
structure moléculaire (l'organicisme), mais sur des faits concernant
l'intentionnalité humaine, les désirs, les pratiques,
l'état de la technologie et de la connaissance, il s'en suit que
l'économie n'est indépendante ni de l'histoire ni du
contexte».414(*)
Ceci approche le point de vue de l'économie normative de W .Pareto.
La linguistique est une science appliquée de l'intentionnalité
qui s'occupe de spécifier les contenus intentionnels
déterminés de façon historique dans l'esprit de celui qui
parle les différents langages qui justifient de fait la
compétence linguistique humaine.415(*)
3.1.2
Le programme philosophique global de John Searle
La transformation de l'approche structuralisme chez John
Searle en une approche pragmatico - intentionnelle passe également par
la logique. La notion de cause ou plus exactement la relation de cause
à effet que suppose le structuro -fonctionnalisme est analysée
comme une implication stricte en logique : « p
implique strictement q » comme « il est
nécessaire que p implique q ». Cette
position est aussi soutenue par Thierry Lucas.416(*) « Le
structuralisme (...) relève de modèles formels tout aussi
rigoureux, ce que Lévi- Strauss ne manque pas de
rappeler. »417(*) Dès lors qu'une relation entre
phénomènes peut être décrite en termes de variables,
de fonctions ou de structure. On rejette « le vocabulaire et les
métaphores organicistes au profit de langage alternatif : celui
d'une codification logique de l'analyse fonctionnelle ».418(*)
Toutefois, rappelons que le programme global de John Searle
est gouverné par la volonté ou l'exigence d'élaborer une
théorie unitaire de l'esprit (la cognition), de l'action et du langage.
L'ambition ainsi exprimée vise ultimement à mettre ensemble la
logique, la grammaire (la sémantique), la théorie de l'esprit et
la théorie de l'action.
Ce programme peut remonter selon Daniel Vanderveken, à
la Grammaire générale et raisonnée de Port-Royal,
qui distingue l'affirmation faite par le locuteur d'une affirmation
conçue par le locuteur, et esquisse une théorie des actes de
pensée ou actions de l'esprit pour rendre compte aussi bien des
énoncés non déclaratifs que des énoncés
déclaratifs.
Il faut au point de départ disposer d'une
théorie de la vérité qui soit compatible avec la
théorie du succès et de la satisfaction. Il faut donc concilier
la logique formelle à la logique pragmatique. John Searle et Daniel
Vanderveken ont ainsi cherché à identifier les conditions de
satisfaction d'un acte illocutoire élémentaire avec les
conditions de vérité de son contenu proportionnel.
Disons d'emblée qu'ils ont dans cette ligne,
élaboré une « logique illocutoire » qui
sous-tend la théorie de l'évolution sociale, notamment sous le
thème de la construction de la réalité sociale. Justement
,dans l'optique de la philosophie du langage, la notion de la force illocutoire
de John Searle est à la base de sa théorisation de la
société.
A la différence de la sémantique
appliquée à la linguistique, la sémantique
générale du succès et de la satisfaction de John Searle
est philosophique. Son objectif principal est d'articuler et même de
rendre vivante la structure logique profonde commune à toutes les
langues naturelles possibles en utilisant une logique unifiée
illocutoire et Intentionnelle.419(*) En effet, la sémantique philosophique (du
succès et de satisfaction) porte sur le rapport conventionnel qui relie
ce que dit la proposition, son sens, et ce sur quoi elle porte, sa
référence.
A la suite de cette présentation, il faut ajouter le
fait qu'aux actes de langage correspondent des états mentaux en tant
qu'actes de pensée. Les mots énoncés sous un mode
littéral indiquent formellement la manière dont ils doivent
être compris (interrogation, affirmation, ordre, promesse). Les actes
sous le mode langagier sont des actes de langage assertif, promissif,
directif, etc. ; et sous le mode psychologique, sont des états
Intentionnels : croyance, désir, intention, perception, etc.
Les propositions sont les contenus de nos actes illocutoires
(assertions, promesses et questions) et de nos attitudes propositionnelles
(croyance, désirs et intentions) à propos des objets et faits
d'une part, et d'autre part, elles sont des sens d'énoncés
pourvus de conditions de vérité : elles sont vraies en une
circonstance quand elles représentent un fait existant.420(*)
Le contenu représentatif /propositionnel doué de
signification, selon que c'est un état psychologique ou un acte de
langage, détermine le rapport au monde, et par là même leur
direction d'ajustement, c'est-à-dire la direction de la
causalité, et leurs conditions de satisfaction (pour être un acte
de langage réussi).
Il y a là plusieurs causalités, outre la
causalité mentale ou la causalité physique brute, Searle parle de
la causalité de l'Arrière-plan. « La clé pour
comprendre les relations causales entre la structure de l'Arrière-plan
et la structure des institutions, c'est de voir que l'Arrière-plan peut
être causalement sensible aux formes spécifiques des règles
constitutives sans contenir réellement de croyances, de désir,
ou de représentations de ces règles ». 421(*) Autrement dit,
« tout état intentionnel ne fonctionne , c'est-à-dire
ne détermine des conditions de satisfaction que sur fond d'un ensemble
d'aptitudes, de dispositions et de capacités d'Arrière-plan qui
ne font pas partie du contenu intentionnel et ne sauraient être incluses
comme une partie du contenu ».422(*)
Les actes de langage ou les états psychologiques se
présentent face au monde selon les directions d'ajustement particulier.
On peut dire que les directions d'ajustement sont des déterminations
logiques. « La relation entre le contenu représentatif
R et le mode psychologique (états Intentionnels) S
(croyance, désir, intention, la pensée, etc.) est similaire
à celle qui réunit le contenu propositionnel p et la
force illocutoire F (impératif, assertif, expressif,
performatif, promission) ».423(*)
Les discours sont des actions pourvues des forces, nous
pouvons étudier les conditions de leur réussite ou de leur
succès. A propos, le langage courant distingue de nombreuses forces
illocutoires directes : demandes, questions, requêtes,
sollicitations, prières, invitations, supplications, implorations,
ordres, commandements, revendications, exigences, conseils, recommandations, au
tant de directives de forces distinctes à accomplir dans des conditions
différentes.
Les conditions qui doivent être remplies pour qu'un acte
de langage réussisse sont : l'ajustement entre la signification
linguistique et l'état de chose auquel elle se réfère. La
direction d'ajustement qui relie ainsi le contenu propositionnel au monde est
déterminée par la force illocutoire : celle -ci
spécifie les modalités de « traitement » de
l'état des choses représenté par l'acte de langage.
Les actes de langage et les états intentionnels
permettent d'avoir des conditions de satisfaction précises (échec
ou réussite de l'acte) selon le rapport qu'ils ont envers le monde ou la
direction d'ajustement en tant que direction de causalité.
« La notion de conditions de satisfaction s'applique à la fois
à tous les actes de langage et à tous les états
Intentionnels pourvus d'une direction d'ajustement ».424(*) Les conditions d'ajustement
spécifient les exigences d'adéquation auxquelles chaque acte de
langage ou attitude propositionnelle sont supposés répondre.
Les états Intentionnels tels que la croyance et la
perception s'ajustent de l'esprit au monde, alors que le désir et
l'intention s'ajustent inversement du monde à l'esprit. Il existe
d'autres états Intentionnels qui n'ont pas de direction d'ajustement.
De même, la relation qui réunit le contenu
propositionnel p avec la force illocutoire F (impératif,
assertif, expressif, performatif, déclaratif, promissif)
détermine la manière dont les mots sont censés s'ajuster
au monde. Les assertifs, les affirmatifs, les explicatifs ou les descriptifs,
s'ajustent selon une direction qui va des mots au monde. Les promissifs,
c'est-à-dire pour les promesses, serments, menaces, contrat,
l'ajustement va du monde aux mots : c'est le locuteur qui s'est
engagé à faire quelque chose dans le futur.
Les normes appartiennent à la classe des directifs,
c'est-à-dire des actes de langage au moyen desquels on cherche à
influencer la conduite d'autrui. Les directifs, c'est-à-dire pour les
ordres ou demandes l'ajustement va du monde aux mots. Les directifs les plus
forts, par exemple, les commandements ou les ordres de faire ou de ne pas faire
quelque chose, sont appelés prescriptifs.
Les expressifs (excuses, remerciement, félicitations)
se caractérisent par l'absence totale de direction d'ajustement. Par
exemple l'affirmation « cette grenouille est verte »
et la croyance que cette grenouille est verte représentent les
mêmes conditions de satisfaction et toutes deux ont une direction
d'ajustement qui va du mot /esprit au monde ».425(*) Les conditions de
satisfaction répondent à des conditions de vérité
(assertif, croyance). Aux conditions de vérité il faut adjoindre
les conditions d'intelligibilité.
Les conditions de satisfaction elles, dépendent de la
direction d'ajustement de force. Pour qu'il y ait satisfaction, il ne suffit
pas qu'il y ait correspondance (la vérité -correspondance),
faut-il encore que la correspondance soit établie selon la direction
d'ajustement voulue. D' où l'analyse des marqueurs de forces.
Ici, « les différentes forces
illocutionnaires relient le contenu propositionnel au monde réel de
différentes manières, avec des directions d'ajustement
différents, on aura besoin de mots différents pour marquer le
succès ou l'échec de l'ajustement entre la proposition et le
monde réel ».426(*)
Les phrases suivantes : « (« Je te
baptise »), ou « Je décrète l'état
d'urgence », etc.), échappent à l'alternative du vrai
et du faux ou à une vérité d'adéquation, qu'Austin
remplace par la réussite (felicity) ou l'échec de la formulation
(utterence) » .427(*) Enoncer « les conditions de
vérité pour les énoncés n'est pas la même
chose qu'énoncer les conditions de satisfactions pour d'autres sortes
d'actes de langage. (Ainsi donc), il faudra introduire des
dispositifs pour effectuer toutes sortes d'actes de langage standard, tels que
les énoncés, les questions, les ordres, et les promesses. Pour
cela il vous faudrait des manières de marquer la distinction entre le
contenu propositionnel et la force illocutoire de l'acte de
langage ». 428(*)
« Du fait que les différentes forces
illocutoires relient le contenu propositionnel au monde réel de
différents manières, avec des directions d'ajustement
différents, on aura besoin de mots différents pour marquer le
succès ou l'échec de l'ajustement entre la proposition et le
monde réel ».429(*) Searle présente différents types de
forces illocutoires en formalisant leur portée. La taxinomie des actes
illocutoires repère les usages fondamentaux de la langue.
Rappelons-nous que John Searle considère qu'il doit y
avoir une continuité entre le biologique (les actes mentaux :
désir, croyance, intention, action) et le culturel (le langage). Il
ainsi restaure trois paliers : le biologique physico-chimique, les actes
mentaux et la réalité sociale (langage et culture).
Selon Daniel Vanderveken, les logiciens devraient se
concentrer aussi bien sur l'analyse des conditions de vérité des
énoncés déclaratifs que sur les actes illocutoires.
« Nous comprenons déjà assez clairement comment les
affirmations représentent leurs conditions de vérité,
comment les promesses représentent leurs conditions de
réalisation, comment les ordres représentent leurs conditions
d'exécution et comment, dans l'énonciation d'une expression
référentielle, le locuteur réfère à un
objet ».430(*)
Pour Daniel Vanderveken, la logique illocutoire présente une
nouveauté dans l'histoire de la logique philosophique.
Pour analyser la structure logique des forces, Searle et
Vanderveken ont décomposé en logique illocutoire chaque force en
cinq espèces de composantes à savoir : un but
illocutoire, un mode d'atteinte de ce but, des conditions sur le
contenu propositionnel, des conditions préparatoires de
sincérité, et un degré de puissance.431(*) Déjà ici nous
pouvons voir en filigrane la réplique à une théorie de
l'action de Talcott Parsons.
C'est ici que Searle culmine avec sa philosophie analytique
des sciences sociales à partir du théorème fondamental de
Talcott Parsons : « l'environnement symbolique et culturel qui
propose des buts, à atteindre et des moyens appropriés,
établit des limites à l'action permise, des
propriétés et suggère des choix ».432(*) La fonction du symbolisme (a
priori) dans l'action sociale est justement de médiatiser les
règles de conduite, les normes, les valeurs culturelles qui servent
à guider l'action dans l'organisation de son action. La poursuite
des buts constitue la dimension de tout système d'action.
Parsons classe dans cette catégorie toutes les actions qui servent
à définir les buts du système, a mobiliser et gérer
les ressources et les énergies en vue de l'obtention de ces buts et
à obtenir finalement la gratification recherchée. C'est
précisément la capacité de se fixer des buts et de les
poursuivre méthodiquement qui distingue le système d'action des
systèmes de non-action, c'est-à-dire des systèmes physique
ou biologique.
Comment la forme conceptuelle s'ajuste-t-elle à la
structure empirique ? John Searle tente d'y répondre à
travers la théorie de l'ajustement.
Nous abordons directement cette question par la logique
illocutoire de Searle. Pour rappel, la relation qui réunit le contenu
propositionnel p avec la force illocutoire F (impératif,
assertif, expressif, performatif, déclaratif, promissif)
détermine la manière dont les mots sont censés
s'ajuster au monde. Les assertifs, les affirmatifs, les explicatifs ou
les descriptifs, s'ajustent selon une direction qui va des mots au monde. Les
expressifs (excuses, remerciement, félicitations) se
caractérisent par l'absence totale de direction d'ajustement.
Les conditions de satisfactions spécifient les exigences
d'adéquation auxquelles chaque acte de langage est supposé
répondre.
Pour Searle en effet, « la notion clef de la
structure du comportement est l'intentionnalité ».433(*) Un état intentionnel
- croyance, désir, intention au sens commun- est
caractérisé par deux composantes. Tout d'abord ,ce que l'on peut
appeler son « contenu »,qui fait qu'il porte sur
quelque chose ,puis son « type »,ou son « mode
psychologique ». « Le contenu et le type de l'état
vont servir à lier l'état mental au monde. Chaque état, en
lui-même, détermine les conditions dans lesquelles il est vrai
(dans le cas de croyance), dans lesquelles il est exaucé (dans le cas de
désir) ou les conditions dans lesquelles il est concrétisé
(dans le cas d'une intention) ».434(*)
Ces états ont une caractéristique qui leur
permet d'engendrer des événements. Par exemple, si je veux aller
au cinéma, et si j'y vais, normalement mon désir va
représenter l'événement même qu'il
représente : le fait que je vais aller au cinéma. Dans ces
situations, il existe une liaison interne entre la cause et l'effet, car la
cause est une représentation de l'état même qu'elle
provoque. La cause représente et en même temps provoque l'effet
».435(*)
Searle donne à ce genre de causalité le nom de
« causalité intentionnelle » et souligne son
importance dans l'explication de la structure de l'action humaine. Il revient
justement sur la forme de causalité bien différente de la forme
traditionnelle de causalité. Il ne s'agit ni de
régularités, ni de lois globales, ni de conjonctions constantes.
« La causalité intentionnelle est caractérisée
par le fait qu'il s'agit d'un état mental qui cause la survenue d'autre
chose ».436(*)
La force illocutoire, entendez cet acte de la parole (voeux,
souhait, contrat, etc) devient les normes collectives régulatrices.
Autrement dit, cette construction est justement pragmatique en ce qu'elle est
un acte de la parole ou un acte interprétatif.
John Searle exploite manifestement les limites de la
philosophie du langage, notamment l'existence des « actes
Intentionnels » (voir Brentano).
Ainsi, pour lui, la double structure du langage (contenu
propositionnel et force illocutoire) devait s'appliquer aussi aux attitudes
propositionnelles pour rendre les états mentaux tout aussi publics.
L'entreprise n'est pas complète ; Searle tente d'exposer les liens
entre les actes de langage, les états mentaux et les
événements mentaux. En somme, l'appareillage théorique
complet qu'il utilise appelle les notions suivantes : le contenu
propositionnel, la force illocutoire, la direction d'ajustements des actes de
langage et des états mentaux, le Réseau des états
intentionnels et l'Arrière-plan.
3.1.3.
L'application du cadre théorique à la création de la
réalité sociale
John Searle définit la réalité sociale de
plusieurs manières ; nous nous proposons de partir de la
première définition qu'il nous donne dans son livre
intitulé La construction de la réalité sociale.
La réalité sociale est faite, « des portions du monde
réel, des faits objectifs dans le monde, qui ne sont des faits que par
l'accord des hommes. En ce sens, il y a des choses qui n'existent que parce que
nous y croyons. Je pense, dit-il, à des choses comme l'argent, les
propriétés foncières, les gouvernements, et les
mariages. J'ai donné, ajoute-t-il, à certains des faits qui
dépendent de l'accord des hommes le nom de « faits
institutionnels », par contraste avec les faits non institutionnels
ou « bruts » ».437(*) Le fait institutionnel est un terme qui est
déjà utilisé plus de trois décennies avant par
lui-même dans son livre Les actes de langage.
Commençons par la question principale de la
théorie sociale de Searle, celle qui consiste à savoir comment
nous créons la réalité sociale à partir des actes
de langage en tant qu'ils forment les structures
élémentaires de la réalité. Ici,nous
effleurons déjà son structuralisme. Il s'agit justement des
réalités sociales telles que l'argent, le mariage, la
propriété, l'activité de recrutement, de renvoi, la
guerre, les révolutions, les soirées mondaines, les
gouvernements, les réunions, les syndicats, les parlements, les
corporations, les lois, les restaurants, les congés, le fait qu'il y a
des avocats, des professeurs, des médecins, des chevaliers
médiévaux et des impôts, etc.438(*)
La réponse c'est que, selon John Searle, nous imposons
des fonctions -statuts à des actes de langage. Qu'est-ce qu'imposer une
fonction -statut à un acte de langage? En ce qui concerne le mariage par
exemple, schématiquement « le fait d'effectuer tel ou tel
acte de langage (le terme X) devant une autorité officielle qui
préside la cérémonie (le terme C) est compté
à présent comme le fait d'être marié (le terme Y).
Enoncer les mêmes mots exactement dans un contexte différent
(...) ne constituera pas le fait d'être marié. Le terme Y assigne
à présent un nouveau statut à ces actes de langage. Les
promesses faites durant la cérémonie nuptiale créent un
nouveau fait institutionnel, un mariage, parce que, dans ce contexte, faire ces
promesses est compté comme être marié ».439(*)
A. La
capacité sociale émergente
La construction de ces faits sociaux est comprise comme issue
de la capacité émergente, « qu'ont les agents
conscients de créer des faits sociaux par l'assignation de fonctions
à des objets et à d'autres
phénomènes ».440(*) La symbolisation qui est centrale dans la
création des faits sociaux est également une capacité
sociale émergente de la forme : X compte pour Y dans un contexte C.
Ce papier compte pour de l'argent dans les transactions en République
Démocratique du Congo,etc.
La création du mariage se fait au point de
départ à partir des phénomènes biologiques
primitifs, la tendance des hommes et des femmes à s'unir. C'est une
imposition des fonctions- statuts à des entités ontologiques, en
l'occurrence à des personnes. Cette continuité peut cependant se
faire aussi sur des entités auxquelles on a déjà
imposé une fonction -statut.
John Searle considère le mariage comme un cas
paradigmatique de structure institutionnelle qui appelle une
concaténation de création successive des faits institutionnels.
Ainsi, pour détailler l'exemple du mariage : émettre
certains sons est compté comme prononcer une phrase en français,
prononcer une certaine phrase en français est compté dans
certaines circonstances comme faire une promesse, ce qui, à son tour,
est compté comme souscrire un contrat, souscrire certains contrats
étant à son tour compté comme se marier. La
cérémonie de mariage crée un nouveau fait institutionnel,
le mariage, en imposant une fonction spécifique à un ensemble
d'actes de langage. »441(*) Il existe donc une structure hiérarchique
dans la création d'un grand nombre de faits institutionnels.
Tentons de comprendre le fait institutionnel d'argent.
« S'agissant de l'argent, les statuts ont été
imposés à des morceaux de métal et de papier, et leur
fonction consiste à servir de moyen d'échange, de
réceptacle de valeur, etc. ».442(*) Ici on impose des statuts
-fonctions à des entités brutes mais qui impliquent toujours les
actes de langage dans la mesure où on y écrit 10 francs congolais
ou 500 francs congolais.
Plus explicitement aussi, les « droits de
propriété sont habituellement créés par des actes
de langage. (...) Supposons que je donne ma montre à mon fils. Je peux
le faire en disant « Elle est à
toi », « Tu peux en disposer », ou plus
pompeusement avec le performatif « Je te donne, par la
présente déclaration, ma montre ». J'ai
désormais imposé une nouvelle fonction -statut à ces actes
de langage, celle de transférer la possession ».443(*) Ainsi, la
propriété «commence par une simple possession physique,
(puis) vient se superposer à la possession physique brute d'objets,
(...) une structure que nous construisons d'achats et de vente, de legs, de
transfert partiel, d'hypothèque, etc. de propriété. Les
dispositifs caractéristiques employés sont des actes de langage-
titres, actes de vente, certificats d'enregistrement, testaments,
etc. ».444(*)
L'assignation de fonction s'opère selon la structure
formelle de substituabilité : « X compte comme Y dans
C ». Par exemple, les billets délivrés par
l'Hôtel de monnaie congolaise (X) sont couplés comme de l'argent
(Y) en RD Congo (C). Il est écrit sur le billet de cinq francs
congolais, « cinq francs congolais » parce que c'est l'acte
de langage qui confère la fonction -statut. Dans le cas de l'assignation
d'une fonction -statut à une réalité ontologique :
« La neige est blanche »(S), appelle sa formulation par la
phrase elle-même « p ».
B. Les
grandes catégories et le contenu de fonction - statut
De ce qui précède, John Searle représente
les fonctions -statuts à travers une taxinomie des faits institutionnels
en quatre grandes catégories en tant que l'assignation des statuts
-fonctions dans un rapport de pouvoir : « la plupart des
créations des faits institutionnels (sinon tous) confèrent
précisément des pouvoirs ».445(*) Il y a justement attribution
de pouvoir dans les phrases suivantes : Ceci c'est de l'argent, celui-ci
est sujet de droit.
En effet, Searle spécifie la nature de ces pouvoirs,
« la structure des faits institutionnels est une structure de
relations de pouvoirs, y compris de pouvoirs négatifs et positifs,
conditionnels et catégoriques, collectifs et
individuels »446(*) :
Premièrement, il s'agit des pouvoirs symboliques des
signes articulés à l'intérieur des phrases dans la
création des significations.
Deuxièmement, il s'agit de l'assignation des fonctions
en tant qu'elle est une question de droit, de devoir et de
responsabilité, etc. En effet, en imposant la fonction -statut
« nous imposons des droits, des responsabilités, des
obligations, des devoirs, des privilèges, des habilitations, des
sanctions, des autorisations, des permissions ».447(*) Ces pouvoirs dits
déontiques positifs et négatifs peuvent être
identifiés quand nous analysons les phrases suivantes :
1) Jean a cent mille francs à la banque
Paul est un citoyen français
Clinton est président
Josiane est avocate
Léon possède un restaurant
2) Anne a perdu tout son argent
La fortune d'Ivan en roubles ne vaut plus rien avec
l'inflation
Juppé a démissionné, etc.
Enfin pour terminer, nous dirons que les deux derniers types
catégoriels des fonctions- statuts sont de modalité du pouvoir
lui-même, c'est -à- dire, en premier, celui du statut pour
lui-même : l'honneur. Par exemple : Marc a gagné le
championnat de France de ski ou McCarthy a été censuré par
le sénat américain. En deuxième lieu, des étapes
procédurales sur le chemin du pouvoir et de l'honneur. Par
exemple : Bill a voté pour Obama ou Barack a reçu
l'investiture du parti démocrate pour les présidentielles.
C. Le
contenu de la fonction -statut
Après cette analyse de la forme de fonctions -statuts,
Searle passe à la question de leur contenu. En effet, il pose la
question de savoir : quel est le contenu donné à cette
imposition de fonction -statut ?
Le fait de posséder un morceau de papier quelconque
n'en fait pas spontanément du papier -monnaie. Il faut qu'un consensus
social détermine la nature de la fonction -statut à
conférer à l'objet et alors, seulement, les
propriétés intrinsèques de l'objet seront
dépassées par un mécanisme de symbolisation. Il faut
d'abord une interaction : « dans une majorité de cas, le
contenu implique un certain mode de pouvoir conventionnel dans lequel le sujet
est en relation avec un certain type d'action ou une certaine série
d'actions ».448(*) Le contenu appelle une interaction.
Deuxièmement, un système de
représentation doit préalablement exister afin de passer de X
à Y.449(*) Le
contenu est justement la reconnaissance, la croyance, etc. « Il faut
de la part des membres de la communauté, un ensemble d'attitudes, de
croyances, etc., ce qui nécessite, dit Searle, un système de
représentations tel que le langage ».450(*)
En effet, l'assignation de fonction - statut aux choses
appelle une reconnaissance collective au sein d'une communauté
d'appartenance. Par exemple, les billets en euros (morceaux de papier)
délivrés par la Banque centrale européenne (X) constituent
la monnaie (Y) au sein des sociétés marchandes qui reconnaissent
l'euro (C) ».451(*)
Ainsi schématiquement au niveau du contenu de fonction
-statut : « le contenu propositionnel des fonctions
-statuts de pouvoir est toujours en partie que452(*) :
(S fait A)
C'est un acte de langage. « Il faut aussi, puisque
les caractéristiques physiques spécifiées par le terme X
ne suffisant pas à garantir que la fonction assignée s'effectue
bien, qu'il y ait une reconnaissance ou un accord collectif continu concernant
la validité de la fonction assignée ; sans quoi la fonction
ne peut pas bien s'accomplir ». 453(*) A la différence des
faits bruts ou d'autres types de faits sociaux, l'existence et la
pérennité des faits institutionnels restent tributaire d'une
croyance unanimement partagée.
En effet, les fonctions - statut assignées étant
détachées de leurs supports physiques, c'est la foi que les
individus accordent à l'institution qui permet de l'auto -entretenir.
Cela est particulièrement probant pour la monnaie se présentant
sous la forme de morceaux de papier. Aussi faut-il entretenir cette acceptation
par des indicateurs, un arsenal élaboré de prestige et
d'honneur. « Les armées, les salles de tribunal et, dans
une moindre mesure, les universités ont recours à des
cérémonies, des insignes, des habits d'apparat, des honneurs, des
grades, et même de la musique, pour encourager la continuelle acceptation
de la structure ».454(*)
En imaginant qu'un individu né il y a trois mille ans
remonte le temps jusqu'à notre époque, comment peut-il comprendre
de lui-même qu'un morceau de papier sur lequel il est écrit
lisiblement « 500 euros» a un pouvoir d'achat
immédiat et sans contrepartie sur l'ensemble des biens et services
vendus au sein d'une société ? C'est par la reconnaissance
sociale qui s'exprime dans les phénomènes respectifs de croyance
et de confiance (en tant qu'elle) est essentielle à l'existence et
à la continuité des faits institutionnels.455(*) « Pour que le
concept argent s'applique à cette chose qui se trouve dans ma poche, il
faut que ce soit le genre de chose que les gens pensent être de l'argent.
Si tout le monde cesse de croire que c'est de l'argent, il cesse de fonctionner
comme de l'argent, et cesse finalement d'en être ».456(*)
John Searle tente maintenant une formulation carrément
logique. Etant donné que l'intentionnalité collective est
sous-jacente à l'assignation de fonction -statuts et que tout cela se
fait par l'entremise de la relation du pouvoir (S fait A), la forme
sous-jacente de l'intentionnalité collective serait en partie ceci :
Nous acceptons collectivement, sommes d'accord sur le fait,
etc., que (S a le pouvoir (S fait A)).
La forme abrégée est comme suit :
Nous acceptons (S a le pouvoir (S fait A))
Dans la formulation négative par exemple :
Nous acceptons (Il est exigé de S, la personne à
qui on délivre X (S paye une taxe pour une période bien
spécifiée)457(*).
John Searle fait intervenir une autre notion, celle de la
structure formelle de ce pouvoir conventionnel comme une application aux
formes de pouvoir. Il prend le modèle sur ce qu'il dit tirer de certains
systèmes de logique déontique pour en arriver à la
logique « institutionnelle ».
O (p) ssi -P (-p)
(Il est obligatoire que p si et seulement s'il n'est
pas permissible que non p.)
Structure parallèle en
logique « institutionnelle » serait :
S est habilité à ( S fait A) ss - il
est exigé de S (- S fait A) ?
(S est habilité à accomplir l'acte A si et
seulement s'il n'est pas le cas qu'il est exigé de S de ne pas accomplir
l'acte A.)
Il conclut finalement au fait qu'« il y a exactement
une et une seule opération logique primitive présidant à
la création et à l'institution de la réalité
institutionnelle. Elle a la forme suivante »458(*) : Nous acceptons (S a
le pouvoir (S fait A)). Il appelle ceci la « structure de
base ». « L'extraordinaire complexité de la
réalité institutionnelle dans son ensemble a une ossature
simple ».459(*)
D. La
théorie de pouvoir déontique négatif de Searle
Searle place aussi des choses sous le signe d'une construction
négative illustrée par sa théorie de pouvoir
déontique négatif. La construction de la réalité
sociale peut à ce moment être tout simplement négative.
« Par exemple, lorsqu'un employé est viré ou qu'une
cour de justice prononce un divorce, dans chacun de ces cas un pouvoir
conventionnel préalablement existant est détruit par retrait de
son acceptation. Ainsi, « vous êtes
viré » est équivalent au retrait du pouvoir
conventionnel :
Nous retirons les pouvoirs (vous êtes employé)
Ce qui est équivalent à :
Nous n'acceptons plus (S a les droits et obligations (S agit
comme employé)). »460(*)
3.2.
L'Arrière- plan chez John Searle et le connexionnisme
Venons- en maintenant à la notion d'Arrière-plan
qui s'assimile au connexionnisme chez John Searle. Il approche sa notion de
l'Arrière-plan au paradigme connexionniste : « tout le
discours sur l'Arrière-plan, dit-il, est ...en accord avec le
modèle connexionniste de la cognition ».461(*)
Le connexionnisme s'oppose au dualisme et au
séparatisme entre la corporéité et le cognitivisme, c'est
un continuisme. Nous voulons expliquer la notion de l'Arrière-plan par
rapport à la conception du constructivisme radical de Francisco Varela.
Ce dernier en donne une explication similaire mais relativement plus
détaillée. Varela affirme que « lorsqu'on
réexamine la connaissance et la cognition, le meilleur qualificatif est,
me semble-t-il, dit-il, abstraite : rien ne caractérise
mieux les unités de connaissance jugées les plus
« naturelles ». (...) Les disciplines qu'on regroupe sous
le nom de sciences de la cognition acceptent peu à peu l'idée que
les choses ne se présentent pas du tout de cette façon, et,
d'autre part, qu'un changement paradigmatique ou épistémologique
radical se développe rapidement. On trouve au coeur même de cette
opinion naissante la conviction que les connaissances sont essentiellement
concrètes, incarnées,
vécues ».462(*) C'est l'idée même de
l'Arrière-plan.
Il y a continuité des processus dans le
mécanisme de la vision ou une scène de vision prise comme
système « une mosaïque de modalités visuelles,
parmi lesquelles on comptera au moins la forme (contour, dimensions,
rigidité), les propriétés superficielles (couleur,
texture, réflexion spéculaire, transparence), les relations
spatiales tridimensionnelles (position relative, orientation tridimensionnelle
dans l'espace, distance) et le mouvement tridimensionnel (trajectoire,
rotation) ».463(*)
« Les leçons importantes ... (ce sont qu'il
y a) connexions entre les comportements, (...) l'intelligence doit être
cherchée dans les schémas de comportement plutôt que dans
la connaissance individuelle. »464(*) Par exemple «lorsque nous allons pour la
première fois dans un pays étranger, il y a une absence
très nette de disposition à agir et de micromondes
récurrents. Beaucoup d'activités simples comme converser ou
manger, doivent être apprises. En d'autres termes, les micromondes /
micro-identités sont historiquement
constitués ».465(*)
Finalement « la cognition dépend des
expériences qu'implique le fait d'avoir un corps doté de
différentes capacités sensori -motrices ; ces
capacités s'inscrivent dans un contexte biologique et culturel plus
large.»466(*)
L'Arrière-plan est profond et local. L'Arrière-plan inclut les
registres suivants : l'Arrière-plan profond qui comprend
« toutes les capacités qui sont communes à tous les
êtres humains normaux sur la base de leur équipement
biologique : les capacités de marcher, manger, tenir un objet,
percevoir, reconnaître, la position préintentionnelle rendant
compte de la solidité des choses, l'existence indépendante des
objets et d'autrui. Puis ce qu'on pourrait appeler l'Arrière-plan
local » ou les « pratiques culturelles locales »,
qui comprendraient des choses comme ouvrir les portes, se verser à
boire, ou la position préintentionnelle que nous prenons face à
des choses comme les voitures, les réfrigérateurs, l'argent ou
les dîners en ville ».467(*)
Dans le même ordre d'idée « dans la
cognition vécue, les processus sensoriels et moteurs, la perception et
l'action, sont fondamentalement inséparables (c'est le connexionnisme)
et qu'ils ne sont pas simplement liés de manière contingente
comme des couples entrée-sortie ».468(*) En fait « le point
de départ n'est plus un monde préexistant, indépendant du
sujet percevant, mais la structure sensori-motrice de l'agent cognitif, la
manière dont le système nerveux relie les aires sensorielles et
motrices. C'est cette structure -la manière dont le sujet percevant
s'incarne- et non un monde préexistant qui dicte comment le sujet
percevant peut agir et être influencé par
l'environnement »469(*). Le connexionnisme s'explique en deux temps :
l'espace de codage et l'apprentissage neuronal. Les notions les plus
importantes au niveau de l'espace de codage sont métaphoriquement
les suivantes : les positions, les dimensions et les valeurs. Les positions
représentent, par exemple, les quatre récepteurs sensoriels du
goût qui se trouvent sur la langue ou dans l'exemple d'une scène
visuelle, les « récepteurs » capables de coder la
forme des visages, et qui développent des dimensions de l'objet
codé respectivement et diversement pour arriver à une
configuration holistique globale. C'est donc une architecture
distribuée. Il y a traitement de l'information non centralisée,
mais parallèle et distribuée.
Pour parler comme Francisco Varela, mise à part le
jugement rationnel, l'action cognitive de l'homme est fragmentaire et
truffée des ruptures et des micro -mondes. « Lorsque nous nous
asseyons à table avec un parent ou un ami, nous disposons
immédiatement de tout un savoir-faire complexe- manipulation des
couverts, position du corps, pauses dans la conversation- sans avoir à
réfléchir ».470(*) Ces explications de Varela suggèrent bien
sûr la notion searlienne de l'Arrière-plan des capacités et
de dispositions.
Pour Francisco Varela, « nous sommes habitués
au mode causal traditionnel du type entrée -traitement -sortie. Rien ne
suggère que le fonctionnement du cerveau soit analogue au traitement
séquentiel de l'information ; ce type de description informatisante
commune ne correspond pas du tout à la nature réelle du
cerveau ».471(*)Il s'agit d' « une entrée
douée de sens et une sortie qui l'est aussi ,mais où, entre les
deux ,il y a aucune étape de traitement symbolique ;il y a
plutôt une série tout simplement de noeuds avec différentes
forces de connexions entre eux, et des signaux qui passent d'un noeud à
l'autre ,et finalement des changements dans les forces de connexion qui donnent
la bonne mesure entre les entrées et le sorties ,sans qu'intervienne,
dans l'intervalle, le moindre ensemble de règles ou des principes
logiques ».472(*) Nous avons expliqué cette notion parce qu'il
est crucial dans le dispositif explicatif de Searle.
Cette analyse de l'Arrière-plan est reconstruction,
chez Searle ,du point de vue du langage. Reprenons les exemples de la
compréhension du sens littéral pour l'expliquer :
Le Président a ouvert la séance
L'artillerie a ouvert le feu
Pierre a ouvert un restaurant
« Supposons qu'à l'ordre « Ouvrez
la porte » je me mette à faire des incisions dans la porte
avec un bistouri, ai-je ouvert a porte ? Autrement dit, ai-je obéi
littéralement à l'ordre littéral « Ouvrez
la porte » ? Je pense que non. L'énonciation
littérale de la phrase « Ouvrez la
porte » exige, pour être comprise, quelque chose de plus
que le contenu sémantique des expressions qui la composent et les
règles de leur combinaison en phrase. (...) Ainsi, affirme Searle, ce
que j'ai tenté de faire jusqu'ici, c'est de montrer que comprendre c'est
autre chose que saisir un sens, car, sommairement, ce que l'on comprend va
au-delà du sens. »473(*) Ici « chaque phrase de la (...) liste est
comprise avec un réseau d'états intentionnels (i.e. croyances et
actions ) et sur fond d'un Arrière-plan des capacités et des
pratiques sociales »474(*). Ansi « l'Arrière-plan est une
precondition de la représentation. »475(*) Aussi, « si la
représentation requiert un Arrière-plan, il n'est as possible que
l'Arrière-plan consiste lui-même en représentations sans
engendrer une régression à l'infini ».476(*)
Ce qui est intéressant est le fait que « la
thèse de l'Arrière-plan de Searle peut être entendue des
contenus sémantiques aux contenus intentionnels en
général. (Ainsi) tout état intentionnel ne fonctionne
, c'est-à-dire ne détermine des conditions de satisfaction que
sur fond d'un ensemble d'aptitudes, de dispositions et de capacités
d'Arrière-plan qui ne font pas partie du contenu intentionnel et ne
sauraient être incluses comme une partie du contenu ».477(*)
L'analyse sémantique des énoncés ne peut
être séparée de celle des actes d'énonciation, car
leur portée « agissante » est une
propriété structurelle du langage. La sémantique porte sur
le rapport conventionnel qui relie ce que dit la proposition, son sens, et ce
sur quoi elle porte, sa référence, alors que la pragmatique
renvoie aux pratiques et aptitudes collectives ainsi qu'aux
contraintes contextuelles qui régissent la production des
énoncés. Ainsi, la logique dite
« illocutoire », tout en s'occupant des états
mentaux aussi bien que des états langagiers, est transcendantale au sens
d'Emmanuel Kant : elle détermine les conditions possibles de
succès des énonciations ou les conditions de
vérité.
3.3.
Du Projet théorique de John Searle
Le projet de Searle que nous examinons est celui de la
totalisation interdisciplinaire des sciences sociales comme le fait Jürgen
Habermas. Un tel projet est selon Habermas la tâche majeure qu'il assigne
explicitement à la philosophie aujourd'hui.478(*) Il s'agit d'apporter au
cadre théorique existant- principalement d'une philosophie de la
conscience ou de l'être - des éléments de précision
en ayant recours à des approches complémentaires
empruntées aux « approches concurrentes » des
sciences sociales complémentaires.479(*) Nous pouvons dire, à l'instar de Habermas
,que Searle fait appel à sa manière aux approches
structuralistes, socio-évolutionniste, fonctionnaliste et
systémique, pour compléter l'approche analytique avant de les
dépasser à leur tour en s'appuyant sur le cognitivisme pour
définir enfin sa propre perspective.
L'optique analytique de John Searle se comprend à
travers une double conception, c'est une fois de plus sa stratégie
argumentative, à la suite de deux tendances de la philosophie du
langage - que l'on comprend par rapport aux deux types de travaux de Ludwig
Wittgenstein -480(*). Il
réfléchit de ce point de vue à cheval entre la philosophie
du langage formalisé et la philosophie du langage ordinaire. Dans
l'optique de la philosophie du langage ordinaire, nous avons vu que sa
théorie va de la sémantique à la pragmatique en passant
par l'intentionnalité, pour les phénomènes sociaux. Searle
tente de fonder justement la révolution pragmatico -linguistique par la
philosophie intentionnelle des états mentaux.
Le programme théorique intégratif de Searle est
fort large, il atteint le paradigme constructiviste radical issu de la biologie
de connaissance de Francisco Varela et d'Umberto Maturana. C'est en fait un
ensemble des programmes « non anthropocentriques »,
c'est-à-dire qui ne partent pas spécialement de l'homme, mais
des règnes biologiques en général. A ce titre ils
dépassent et englobent les deux paradigmes philosophiques : le
double paradigme anthropocentrique de la philosophie du sujet et celui du
langage. C'est en cela qu'il est intéressant. A propos, formulés
de cette manière leurs points de vue supposent l'idée actuelle
selon laquelle la nature de l'homme est avant toutes choses biologique au lieu
d'être culturelles. Cette position appelle pour John Searle au
dépassement d'une philosophie du langage vers le constructivisme
biologique. Mais est-ce que ce modèle est auto-transcendant ? C'est
sera notre critique.
Le nouveau programme de recherche de Searle amorcé dans
la décennie quatre vingt est intentionnaliste, pragmatique, non
anthropocentrique et biologique. Au point de vue de ce genre de recherche qui
s'ambitionne d'être globale, Searle affirme à juste titre ce qui
suit : « la théorie de l'esprit que j'ai essayé de
développer constitue pour une bonne part une tentative de réponse
à cette autre question : comment une réalité mentale,
un monde de conscience, d'intentionnnalité, et d'autres
phénomènes mentaux, s'ajustent -ils à un monde
entièrement constitué de particules physiques dans un champ de
force ? ».481(*) Le programme de
« naturalisation » qui englobe les
phénomènes physique, chimique et biologique.
D'où pour Searle l'émergence des questions qui
guident son programme de recherche en sciences humaines : « les
caractéristiques les plus fondamentales de ce monde sont celles que
décrivent la physique, la chimie et les autres sciences de la nature.
Mais l'existence de phénomènes qui ne sont pas de manière
évidente physique ou chimiques est source de perplexité :
comment, par exemple, des états de conscience ou des actes de langage
doués de signification peuvent -ils bien faire partie du monde
physique ? ».482(*)
Consécutivement à la théorie de l'esprit
Searle développe la question sociale qui fait suite au même projet
constructiviste dans son « livre intitulé : La
construction de la réalité sociale- qui étend la
recherche à la question de savoir : comment peut-il y avoir un
monde objectif d'argent ,de propriétés foncières, de
mariages, de gouvernement, d'élections, de matches de foot ball , de
soirées mondaines, et de cours de justice, dans le monde
entièrement constitué de particules physiques dans des champs de
force, et dans lequel certaines de ces particules s'organisent en des
systèmes qui sont des animaux biologiques, conscients, tels que
nous ? »483(*) Le constructivisme searlien saisit du point de vue
de l'observateur la réalité sociale comme des faits
émergents du langage, et en tant que telle cette réalité
ressort d'une subjectivité ontologique et d'une objectivité
épistémologique. L'objectivité de la réalité
sociale étant tout simplement épistémique.
John Searle est l'un des philosophes analytiques qui
présentent aujourd'hui une vision des faits institutionnels et de
la réalité sociale comme des faits émergeant du
langage ; il tente de montrer aussi comment la
« conscience » est un fait émergeant de la
biologie. Ainsi, de proche en proche le biologique fonde les faits mentaux, les
faits mentaux fondent le langage, le langage fonde la réalité
sociale.
John Searle considère qu'il doit y avoir une
continuité entre le biologique (les actes mentaux : désir,
croyance, intention, action) et le culturel (le langage). Il postule donc
une construction biologique de la réalité sociale. Il restaure
donc trois paliers : le biologique physico-chimique, les actes mentaux et
la réalité sociale (langage et culture). Il essaie de refonder
les acquis de la philosophie du langage à partir de ce que nous
appelions la philosophie de l'esprit en cherchant les conditions de
possibilité de nos pratiques linguistiques.
Justement, John Searle tente de reconstruire et de refonder
la philosophie du langage (spécialement, son livre Les actes de
langage) à partir d'un arrière-plan biologique ou de ce
qu'il convient d'appeler la philosophie de l'esprit ou tout simplement de la
biologie de la connaissance. Nous verrons qu'après les actes de
langage en 1972(1969), Searle écrit successivement Du cerveau
au savoir, Hermann, 1985(ce livre contient le point de vue constructiviste
détaillé de Searle) ; L'Intentionalité : essai de
philosophie des états mentaux, 1985 ; La redécouverte de
l'esprit, Gallimard, 1992 ; Déconstruction ou Le langage
dans tous ses états, 1992 ; Mind, language and society:
philosophy in the real world, 1998; La construction de la
réalité sociale, 1998. Pour Searle, c'est une étude
programmatique qui doit s'achever en une présentation des fondements des
Actes du langage.
Pour John Searle, « il faut abandonner une fois
pour toutes les idées que les sciences sociales sont dans le même
état que la physique avant Newton, et qu'il nous faut un ensemble de
lois comparables à celles de Newton et applicables à l'esprit et
à la société ».484(*) En effet, continue
-t-il, « dans cette discussion sur cette discontinuité
radicale qui existe entre les sciences sociales et les sciences naturelles,
l'étape la plus importante repose sur le caractère mental des
phénomènes sociaux ».485(*)
John Searle, comme la philosophie américaine dans son
ensemble, qualifie lui-même sa thèse de « naturalisme
biologique », en ce qu'elle postule un certain nombre des
caractéristiques biologiques. Le naturaliste ne postule pas la
conscience comme un phénomène purement mental au sens du dualisme
de René Descartes. « Dans le cas du problème du
rapport esprit / corps, nous étions gêné, affirme Searle,
par une fausse présupposition qui se manifeste au niveau de la
terminologie dans laquelle nous posons le problème. La terminologie du
mental et du physique, du matérialisme et du dualisme, de l'esprit et de
la chair, contient une présupposition fausse faisant de ces notions des
catégories de la réalité réciproquement exclusives
l'une et l'autre -dans une telle perspective, nos états conscients en
tant que subjectifs, privés, qualitatifs, etc. ne peuvent être des
propriétés physiques, biologiques, ordinaires de notre cerveau.
(...) Tous nos états mentaux sont causés par des processus
neurobiologiques se réalisant à un niveau supérieur ou
systématique ».486(*) Tout s'explique par la Nature, d'un point de vue
onto-théologique sous -jacent à notre hypothèse une telle
position est gravement réductrice.
Les états mentaux supérieurs (la conscience,
l'esprit (the mind)) sont des phénomènes émergents. Searle
va aussi montrer dans cette optique comment la réalité sociale
forme un ensemble des faits émergents.
Lorsque Searle parle « des systèmes qui sont
des animaux biologiques, conscients »487(*), il utilise un concept
commun entre autre avec des auteurs aussi divers que le constructivisme radical
de Houmberto Maturana et de Franscisco Varela, et spécifie justement
quelques caractéristiques, notamment : « les limites
des systèmes (...) fixés par des relations causales
»488(*) et le
caractère internaliste du système. En ce sens
« les phénomènes mentaux sont causés par des
processus neurophysiologiques cérébraux et sont eux-mêmes
des caractéristiques du cerveau ».489(*) A propos de la
conscience, Marc Measschalck voit bien quand il affirme à ce sujet
le fait que le « savoir n'est donc pas dépendant d'un
« hors de soi »».490(*)
Nous dirons en plus que l'extension des capacités
biologiques plus fondamentales des systèmes vivants doués de
conscience ne sont rien d'autre que l'Intentionnalité ou cette
capacité de renvoyer à quelques choses dans le monde.
Cette capacité renvoie par delà le biologique au
culturel et donc à une approche pragmatique : « la
capacité qu'ont les actes de langage de représenter les objets et
les états de choses du monde est une extension des capacités
biologiquement plus fondamentales qu'a l'esprit (ou le cerveau) de mettre
l'organisme en rapport avec le monde au moyen d'états mentaux tels que
la croyance ou le désir, et en particulier au travers de l'action et de
la perception ».491(*)
Consécutivement à cela, ajoutons que le concept
de mise en rapport ou de l'ajustement (ou d'adaptation) des systèmes
est, du point de vue constructiviste, un concept central ; il est au
centre de la logique illocutoire de Searle que nous avons
développée.
3.4. Le concept de construction de
droit chez John Searle
A propos du Droit, Searle adopte la conception juspositiviste.
Les règles de droit civil par exemple sont conçues comme des
règles constitutives ou le cas d'imposition des fonctions -statuts,
c'est-à-dire construisant ce que c'est qu'être un citoyen, ou un
propriétaire, ou un marié. La construction de la parenté
par le droit ouvre des possibilités qui ne se justifieraient pas sans
lui, par exemple le fait que des personnes qui ne peuvent pas concevoir
d'enfant puissent cependant être pleinement parents.
Qu'en est-il de l'exemple de l'imposition de fonction -statut
appliqué aux droits de l'homme ? « Les droits de l'homme
comme ceux de l'animal sont des cas d'impositions de fonctions -statut par le
biais d'une intentionnalité collective ».492(*) Le maintien collectif de
fonctions -statut joue également ici un rôle
prépondérant. « Avant la période des
Lumières en Europe, affirme Searle, le concept de droits ne s'appliquait
que dans le cadre d'une structure institutionnelle -droits de
propriété, droits maritaux, droit du seigneur, etc. Mais pour
telle ou telle raison, on en vint à accepter collectivement
l'idée qu'il ne pourrait y avoir de fonction -statut qu'en vertu du fait
d'être un être humain, que le terme X était
« humain » et le terme Y « détenteur de
droits inaliénables ». Ce n'est pas un hasard si l'acceptation
collective de ce mouvement a trouvé l'appui de l'idée
d'autorité divine : « Ils sont dotés par leur
Créateur de certains droits inaliénables, parmi lesquels la Vie,
la Liberté, et la poursuite du Bonheur. L'idée de droits de
l'homme a survécu au déclin de la croyance religieuse, et s'est
internationalisée. La déclaration d'Helsinki sur les Droits de
l'homme est quelque chose à quoi on fait souvent appel, à des
degrés d'efficacité divers, contre les régimes
dictatoriaux ».493(*)
De même, « le pouvoir est issu d'organisation,
c'est-à-dire d'arrangements systématiques de fonctions -statuts.
(...) Et dans une telle organisation... le réel pouvoir se trouve entre
les mains de celui qui est assis à un bureau et fait de bruits avec sa
bouche et des marques sur le papier ».494(*) Les armes exigent
« l'intentionnalité collective et des faits
institutionnels ».495(*)
En ce qui concerne les gouvernements, ils « ont
leur origine dans une série de phénomènes biologiques
primitifs, tels que la tendance qu'ont la plupart des groupes sociaux de
primates à former des hiérarchies -statuts, la tendance qu'ont
les animaux à accepter d'être sous la coupe d'autres animaux, et
dans certains cas à accepter la pure et simple force physique que
certains animaux peuvent exercer sur d'autres ».496(*) Nous voyons ici
exprimée sa position réaliste. De l'origine biologique,il s'en
suit l'évolution sous forme de structures institutionnelles par
l'intermédiaire de l'imposition de fonctions -statuts se
superposant : « des structures de citoyenneté, de droits
et de responsabilité, de pouvoirs et de charges, d'élections et
de mise en accusation, et d'autres méthodes de sélection et de
renvoi des gouvernants ».497(*)
Bien entendu, cette structure itérative qui part des
faits biologiques est essentielle « pour comprendre la
philosophie politique que le sont de nombreux autres traits dont on discute
traditionnellement, comme le contrat social »498(*). L'application de la
règle « X compte comme Y dans un contexte C » comme
assignation d'un nouveau statut nous fait comprendre par ailleurs en quoi,
selon Rousseau, le citoyen ayant une existence politique et collective remplace
l'individu biologique qui n'a qu'une existence individuelle et
biologique.499(*)
En somme, « le statut Y peut être
imposé (ou retiré) à plusieurs catégories
ontologiques différentes de phénomènes : des gens
(par exemple des présidents, des épouses, des prêtres, des
professeurs) ; des objets (par exemple des phrases, des billets de cinq
dollars, des certificats de naissance, de permis de conduire) ; et des
événements (des élections, des noces, des soirées
mondaines, des guerres) ».500(*)
3.5.
L'esquisse d'une ontologie des faits sociaux juridiques
L'ontologie juridique vise justement une prise directe du
droit sur la réalité sociale actuelle en
« intégrant à la norme juridique d'autres normes, (on
enrichit) le droit d'une prise directe sur les réalités vivantes
du milieu professionnel ou social. La norme juridique ainsi enrichie prend
pied dans la réalité sociale évitant (...) la
clôture des systèmes juridiques sur eux-mêmes
».501(*)
Quelle est la nature des faits sociaux juridiques ? Nous
allons emprunter la réponse Samuel Jerry : « En tant
que faits sociaux, les règles juridiques n'ont pas l'existence propre
indépendamment de la signification que les individus leur octroient
».502(*) Ici, les
faits sociaux juridiques dépendent d'un a priori qui est humain. Cette
assertion peut être explicitée comme suite : les
règles de droit « sont avant tout des règles
mentaux, de contenus de pensées, d'intentionnalité et des
croyances individuelles ».503(*)
Cette entrée théorique qui s'opère par la
question de signification à octroyer aux faits sociaux juridiques
rétablit les liens, non continuels avec Durkheim, entre la
société et l'individu. Les « caractères
subjectifs des faits sociaux sont, pour reprendre l'expression de Robert
Nadeau, constitués causalement par les croyances et les opinions des
gens. Dans les sciences sociales les choses sont ce que les individus pensent
qu'elles sont. La monnaie est la monnaie, un mot est un mot. (...) Si et parce
que les individus le croient ».504(*)
A propos, allons plus en détails pour signaler que
« Hayek opère une distinction entre deux sortes d'idées
ou d'opinions : les idées constitutives (ou opinions constituantes)
et les idées explicatives (ou vues spéculatives) : celles
qui `font partie de leur objet' et celles qui sont ` idées sur
cet objet' ».505(*) Il y a « là des idées qui
sont réellement constitutives des faits sociaux des autres idées
théoriques ».506(*) Cette distinction sera reprise par John Searle.
L'effort qui est poursuivi est l'analyse
précisément des faits sociaux en tant qu'ils se distinguent des
faits tout simplement physiques. « La plupart des objets de
l'action humaine ou sociale sont distincts des « faits
objectifs » au sens précis et étroit où ce terme
est utilisé par les sciences(...) et ne peuvent être
définis en termes physiques. »507(*) Friedrich Hayek insiste
donc sur la distinction à établir « entre les sciences
de la nature et l'étude (sociale) du langage ou du marché, du
droit et de la plupart des autres institutions humaines. Ces faits sont une
catégorie particulière des faits car ils sont
subjectifs ».508(*)
La dimension significative est centrale dans la
démarcation : « les croyances partagées sont
non seulement une condition du fait social mais sa cause. Renoncer à
mettre au centre du social l'intentionnalité des agents et leurs
croyances subjectives serait alors renoncer aux sciences sociales tout court.
On ne verrait plus dans la monnaie par exemple que des « disques
ronds de métal ».509(*) Ainsi, « depuis le tournant des
années 1960 la théorie générale de droit a
été marquée parce que l'on a appelé le tournant
herméneutique ».510(*)
Cette idée qui se rapporte à la loi comme
fait social est corroborée également par Jules
Coleman : « la loi est (...) à comprendre comme un
fait social (social fact thesis), écrit Marc Maesschalck, qui
incorpore ou inclut une pratique collective de reconnaissance constitutive du
système juridique lui-même et de notre compréhension de la
règle de droit ».511(*) Ceci participe de la révolution pragmatiste
en théorie du droit aujourd'hui et suppose le double dépassement
des paradigmes juridique du positivisme juridique et de position
herméneutique tel que nous l'explique Marc Maesschalck. En effet,
dit-il, notre conception philosophique actuelle de la loi se situe sur
l'horizon d'une coupure épistémologique fondamentale entre
positivisme et herméneutique héritée du XX e
siècle. (Parce que), alors que le positivisme juridique visait à
construire une théorie du droit autonome, fondée sur un concept
d'usage des règles à même de réduire l'incertitude
des habitudes et prédictions, l'herméneutique tendait à
montrer le rôle primordial pour tout jugement interne au droit d'une
référence aux standards de moralité de la
communauté d'appartenance, c'est-dire d'une référence
à un état déterminé des idéaux de
régulation sociale du groupe concerné ».512(*)
Les deux positions se cristallisent dans la position
herméneutique de Donald Dworkin et dans la position positiviste de
Hart : « chez Dworkin (position herméneutique), la
moralité individuelle du juge devient la garantie d'un système
dont le principe réside dans l'intégrité de la
référence à une « morale substantielle
supposée homogène au groupe social et à un juge
idéalisé capable d'en assumer une réinterprétation
constante »513(*), le juge Hercule. « Chez Hart (position
positiviste), l'existence d'un ordre juridique est garantie par la pratique
convergente des officiels fondés sur le type de convention de
coordination qu'ils adoptent entre eux pour maintenir la cohésion de
leurs pratiques ».514(*) Ainsi, « là où Dworkin
juge nécessaire l'exclusion d'une forme de coordination préalable
des praticiens au profit d'un sens du devoir intériorisé par
chaque patricien, Hart renvoie à une forme implicite de convention de
coordination supposée garantir la convergence de l'action des
praticiens ».515(*)
Finalement quel est l'enjeu du tournant pragmatiste que nous
avons annoncé ? C'est, explique Marc Maesscchalck
celui « de déterminer la structure normative du type de
comportement auquel les différents acteurs concernés s'engagent
dans la pratique d'un système juridique. Cette pratique collective,
Jules Coleman propose d'en approcher l'unité référentielle
à partir du modèle d'action coopérative partagée
par Micheal Bratman. Rendre justice constitue une action fondée sur une
règle de reconnaissance inhérente à la fonction
d'officiel ».516(*) Ce qui fait que « la question de la
normativité du droit se déplace alors de la cohérence
formelle de son contenu sémantique vers son potentiel pragmatique de
gouvernance comme institution sociale. Ce potentiel de gouvernance
dépend d'un engagement collectif des acteurs concernés allant
au-delà de l'adhésion à des objectifs conjoints : il
s'agit de partager une responsabilité (mutuel responsiveness)
à l'égard de la réalisation conjointe de ces objectifs,
tant au niveau des moyens à mettre en oeuvre qu'au niveau du soutien
éventuel à apporter au maintien des différents
rôles à remplir (commitment to mutuel
support) ».517(*) La loi acquiert une nouvelle mission, celle
d'encadrement pédagogique où les vertus de
négociation et de concertation doivent s'avérer
nécessaires pour « rendre possible un processus
d'apprentissage de nouveaux modes d'engagement des acteurs concernés
à son égard. »518(*) D'où l'option de l'expérimentalisme
démocratique où les compétences d'action collective de
groupes eux-mêmes sont en jeu, soutient Marc Maesscchalck.519(*)
Marc Maescchack ,au demeurant, présente les limites
d'un tel système : « il suppose de la part des acteurs
concernés un accroissement de l'intelligence
collective ».520(*) C'est ici que nous proposons le récalibrage
de tout le système avec des nouvelles formes des ressources
cognitives.
Du reste, il faut donner une vue d'ensemble en planchant sur
les trois dimensions constitutives du droit, du point de vue de la philosophie
du droit. Nous pouvons dire qu'un des enjeux de la philosophie du droit depuis
cinq siècles reste l'avancement de la théorie du droit naturel
depuis le XVII e siècle qui a été gravement
arrêté par le positivisme et l'historicisme. Dans l'ordre des
normes, le paradigme admet que le droit positif est nécessaire pour
réaliser le droit naturel. Mais ce droit est composé des normes.
D'où la nécessité de connaître la
spécificité des normes en tentant de répondre à la
question suivante : « Quelle est l'autorité qui
gouverne les normes ? ». La contribution de la tradition
analytique se fait spécialement par l'entremise de Hart. Pour lui la
spécificité des normes se trouve dans la structure d'ensemble du
système juridique.
Dans l'ordre de fait, la tradition analytique est
exploitée sous forme de thématisation par John Searle avec
l'hypothèse de « fait institutionnel »,
destiné à combler l'hiatus de la tradition humienne (entre le
is et le ought) avec une ontologie. Le fait institutionnel
est un fait dont l'existence présuppose les systèmes des
règles constitutives qu'on nomme institutions. En effet, les normes
juridiques créent la réalité avec l'idée des faits
institutionnels.
Dans l'ordre des valeurs pour le jusnaturalisme, une grande
question est au centre du problème : par où passe la
réalisation de la justice et de l'ordre juste, étant donné
que le droit naturel veut se confondre à la notion de justice ? Il
y a certes une réponse avec des nuances multiples
liées : aux rapports entre individus, entre individus et groupes,
à l'organisation de groupe (Cité, Etat), au rapport entre la
philosophie du droit elle-même et la philosophie politique.
Contre la nécessité de l'institutionnalisation
de la Religion (catholicisme médiéval), la Reforme exige la
re-individualisation du christianisme. Le jus naturalisme qui s'est
développé dans les milieux protestants est une sorte de code
supra-positif dont l'expression la plus visible est dans les
Déclarations des droits de l'homme. Les droits de l'homme sont
les droits du chrétien qui exige de l'Etat les différentes formes
de liberté nécessaire pour assumer sans Etat la
responsabilité de son destin. La vie meilleure provient de la
Grâce, l'individu qui est orienté vers sa destinée
surnaturelle transcende les compétences de l'Etat. Il n'attend de l'Etat
que la liberté de diriger sa vie en fonction de ses fins
suprêmes.
3.6.
Utilité de l'Arrière - plan dans la théorie de
connaissance ? Parer au relativisme
Nous passons maintenant à un autre registre de
réflexion de la théorie de la société à la
théorie de connaissance au moyen de son concept reconstruitif central
de l'Arrière-plan. A l'absence de l'Arrière-plan « le
thème de la `construction sociale` devient (...) une machine infernale
(...) à tout déconstruire qui génère scepticisme,
antiréalisme, relativisme et
réductionnisme ».521(*)
Ainsi « si tout est
« construit », alors la démarche critique
privilégiée va consister à
« déconstruire ».522(*) John Searle récuse l'approche de la
construction de la réalité sociale qui ne tient pas compte de la
« réalité première » au moyen du
concept de l'Arrière-plan en appui à son réalisme. C'est
ainsi également que la déconstruction devient dans le cadre de la
doxa postmoderniste une « méthode »,
pouvant s'appliquer à n'importe quel « texte », et
comme tout y est ramené à un texte ou à un discours, son
champ d'action est illimité ».523(*)
L'Arrière-plan est source de capacité comme le
langage. Quelle est la capacité dont disposent les agents :
« La première caractéristique qu'il nous faut noter
dans notre discussion sur la capacité qu'ont les agents
conscients de créer des faits sociaux est l'assignation de fonctions
à des objets et à d'autres
phénomènes ».524(*) En digne héritier de Austin, il met aussi en
évidence l'effet « performatif » du langage et
la (capacité d'agir » intrinsèque des
énoncés qui doivent être considérés non
plus comme les représentants de « signifiés »
objectifs, mais comme des moyens conventionnels d'obtenir dans le discours
certains effets déterminés.
Les conséquences du constructivisme sans
Arrière- plan sont effroyables pour Searle ; en ce moment
« la vérité est toujours en mutation,
influencée par l'histoire, transformée au contact humain, soumise
aux circonstances et au timing des événements. Les
théories ne représentent plus des vérités
immuables, mais bien des modèles dynamiques qui guident
l'expérience et la compréhension des expériences. La
relativité de la connaissance est mise en valeur par la notion de
vérités multiples et changeantes ».525(*)
Ici le constructivisme rejoint l'opposition théorique
de la vérité multiple contre la vérité unique.
Ainsi « les constructivistes tolèrent les contradictions
internes, et l'ambiguïté ne les gêne pas. Elles (les
théories constructivistes) apprennent à côtoyer le conflit,
car ceux-ci ne remettent plus en question leur intégrité
personnelle. (...) Elles évitent de compartimenter, car elles veulent
atténuer la coupure entre la raison et l'émotion, entre la maison
et le travail, entre la moi et l'autre. (...) Pour les constructivistes, la
création du savoir est un acte d'intensité et d'investissement de
soi. Pour elles, toute connaissance est construite, et en tant que personne qui
connaît, elles font partie intégrante de l'objet à
connaître ».526(*)
Le défi fondamental du relativisme demeure :
« où trouverons-nous alors un point archimédien qui
serait au-delà de la culture d'une communauté politique et qui
nous permettrait de justifier le dépassement de conceptions
locales ? »527(*) Si tout change et que rien ne demeure,le
débat de la relativité des connaissances et du relativisme
culturel conduit alors à ce qu'on appelle aujourd'hui aux Etats -Unis
d'Amérique la « guerre des sciences ». La
guerre des sciences est bien différente de la guerre des cultures, elle
« tourne autour de la question de savoir dans quelle mesure les
résultats scientifiques doivent être considérés
comme des constructions sociales plutôt que comme correspondant à
une réalité indépendante de la pensée et de la
société. Cette construction sociale peut être celle d'une
civilisation (la science occidentale) ou celle d'une communauté de
chercheurs. La controverse (...) est liée au développement (...)
des sciences, qui vise à appliquer aux milieux scientifiques la
même démarche qu'à l'égard de n'importe quel milieu
social et à rendre compte de ce que les chercheurs font et de ce qu'ils
disent à partir de (leurs) cadres d'analyse (...) Plutôt
qu'à partir des catégories d'objectivité et de
vérité interne au milieu
étudié. »528(*) Autrement dit la question consiste à savoir
si les variétés des contextes ne sont pas ancrées dans une
même réalité.
Les conséquences du constructivisme sans
arrière-plan ,c'est que les « références
théoriques, ces courants et ces champs d'étude conduisent
à considérer les questions symboliques et culturelles comme
pertinentes par elles-mêmes plutôt que de les rapporter
systématiquement à autre chose, dans la mesure où la
« construction sociale de la réalité »des
discours, des idéologies qui s'expriment dans les actions et
interactions, des rituels, des dispositifs, des procédures, produisant
des phénomènes de racisme, de stigmatisation,
d'assujettissement ».529(*)
Pour Jean Pierre Cometi, en
Amérique « l'attitude des pragmatistes a
été largement inspirée par un anti- fondationnalisme et un
anti-essentialisme qui s'est peu à peu imposé en philosophie,
même si les comportements ne font pas toujours apparaître une
unanimité à cet égard. »530(*) Pour Karl-Otto Apel,
poursuit Cometi, renoncer au souci de `fondement
ultime', « comme Wittgenstein, Rorty, voire Habermas,
reviendrait selon lui à abandonner toute décision à
l'arbitraire, et donc à épouser un
relativisme ».531(*) Et : « On peut aussi avoir, affirme
Jean Pierre Cometti, des raisons de penser que l'inutilité des
fondements (...) ne concerne pas seulement le langage ou la connaissance. Nos
convictions morales ou politiques, quel que soit le prix que nous leur donnons,
quelle que soit l'honneur qu'elles nous inspirent, n'ont probablement rien
à y gagner ni à y perdre ; si l'importance ce que nous
sommes amenés à donner à quelque idée de ce genre y
joue un rôle, ce ne peut être que comme pièce du
jeu ».532(*)
A propos Jürgen Habermas a abandonné la conviction
selon laquelle la « fondation des sciences sociales devait être
menée sur une théorie du langage.533(*) La théorie de
l'activité communicationnelle, « a rompu avec le primat
de l'épistémologie et considère les présuppositions
de l'activité inter- compréhensive, indépendamment des
présuppositions transcendantales de la connaissance. Ce passage de la
théorie de la connaissance à celle de la communication m'a
permis, affirme Habermas, de donner des réponses substantielles à
des questions qui, du point de vue métathéorique, ne pouvaient
être élucidées qu'en tant que questions et selon leurs
présuppositions : la question de la fondation normative d'une
théorie critique de la société ».534(*) Habermas n'est pas non plus
clair sur la question.
Comment la question de fondement des sciences sociales se
présente-t-elle du point de vue de John Searle ? Il faut dire
à ce sujet ce que Damile Gambarara et alii soulignent le fait que
« John Searle et Noam Chomsky ont mené une discussion
approfondie à ce propos. »535(*) Searle part du « relativisme de
Wittgenstein (qui) n'est que d'apparence puisque la pluri-
fonctionnalité du langage fonctionne comme le principe unificateur
reliant dans le concret toutes les formes de vie ».536(*) Il avance comme Apel la
possibilité d'une ressemblance de famille des Formes de vie. Searle
utilise la théorie du langage pour l'entreprise de fondation.
3.6.1. Deux visions des sciences
sociales
Pierre Cossette nous rappelle que « les
chercheurs (...) ont vraiment réalisé qu'il existait des visions
radicalement différentes sur la nature même de la
« science sociale ». (Ces visions) se situent notamment au
plan ontologique, celui où le débat porte essentiellement sur
l'existence de lois régissant la réalité sociale. Burell
et Morgan distinguaient aussi « deux positions mutuellement
exclusives en recherche sociale : le réalisme et le
nominalisme ».537(*)
Ainsi « les chercheurs (qui) adoptent une position
réaliste adhèrent essentiellement au modèle classique de
la science. Ils postulent plus ou moins explicitement l'existence d'un ensemble
des lois immuables ayant un impact déterminant sur le fonctionnement de
la réalité sociale. (...) On croit qu'il existe un ordre
sous-jacent incontournable ».538(*) C'est la position de l'Arrière-plan.
A l'opposé le nominalisme ou conventionnalisme n'est
pas une position déterministe. Ce seraient les êtres humains et
non les lois de la nature qui feraient que la réalité est telle
qu'elle est et qu'elle fonctionne comme elle fonctionne en se fondant notamment
sur leur propre langage qui constitue d'entrée de jeu une leçon
particulière de structures de la réalité. Les individus
deviennent leur propre réalité, contribuant aussi à
« construire » le monde dans lequel ils vivent, un monde en
quelque sorte « négocié » collectivement de
manière plus ou moins délibérée et ayant un sens
pour eux. 539(*)
La thèse de John Searle est particulière, elle
s'oppose plutôt au « constructionnisme social »
anti-réaliste. Son « constructionnisme social »est
justement non relativiste. C'est une construction informée par une
théorie ou un 'schème conceptuel' qui vise à mettre
à jour les structures non immédiatement données ou
« visibles » du phénomène
étudié, non à `inventer' le fait. L'Arrière-plan
est sous- jacent. Notons que le relativisme épistémologique
suppose qu'il n'y a pas d'autres représentations de la
réalité en dehors de celles que nous avons.
La discussion de la relativité conceptuelle de Searle
se cristallise sur la question de la possibilité d'affirmer la
vérité de deux ou plusieurs énoncés
différents sur la même réalité ; ces
énoncés peuvent -ils être vrais à la fois ?
Pour Searle « les énoncés vrais sur le monde peuvent
être simultanément affirmés de manière
consistante...mais nous sommes toujours confrontés aux
problèmes... de l'idéalisation ».540(*) Il s'agit « des
différents `schèmes conceptuels' (qui) peuvent tenter de rendre
compte au mieux d'une réalité existante en dehors des
représentations que nous nous en faisons ».541(*) Ce débat participe de
la préoccupation de fonder la rationalité occidentale sous la
menace du relativisme. La thèse de Searle veut barrer la route au
relativisme.
En fait, sur la relativité des connaissances,
Michel Paty part de « deux manières de décrire les
connaissances du passé, l'immédiateté sur le vif
de l'époque et la plus lointaine, disposant du recul, (qui)
nous montre la relativité des points de vue et comment notre
appréciation des connaissances est dépendante de l'histoire. Mais
cette relativité des connaissances et de leur évaluation n'est
pas « absolue », elle n'est pas la seule chose que
l'on puisse en dire. Le caractère historique de ces connaissances, qui
tient à ce qu'elles sont produites par des êtres humains,
eux-mêmes inscrits dans une existence sociale et historique, n'efface pas
leur contenu. »542(*) Ayons en mémoire la problématique de
l'Etre et du non-être pour suivre maintenant la complexification du
questionnement dans plusieurs domaines.
En effet, il y a des paradoxes inhérents au
relativisme, « si toute position théorique n'est que
l'effet d'une situation ou d'un contexte social déterminé, et ne
peut prétendre dès lors à l'université et à
l'objectivité, le relativisme lui-même ne peut prétendre
à aucune validité »543(*). Cet aspect logique du débat a
donné lieu à de nombreux échanges, notamment aux
Etats-Unis et en Angleterre, où la sociologie de la science a rapidement
eu un écho dépassant le seul cadre de ses investigations. La
question de relativité de connaissance et celui du relativisme culturel
se trouvent ici liée. « Certains, c'est Gérard Fourez
qui parle, (...) - insistent sur une conception selon laquelle
l'objectivité des sciences est presqu' absolue. A la limite il n'y
aurait qu'une seule bonne science, une seule bonne informatique,
pédagogie, etc. D'autres, au contraire, parlent de la relativité
de savoirs (et l'on pourrait citer Feyerabend ou Rorty). Le culturalisme est
une perspective qui souligne comment chaque culture voit le monde selon son
point de vue. De là vient, facilement le
slogan : « A chaque culture sa vérité
» à l'opposé,
les « anti-culturalistes » soutiennent qu'il n'y a
qu'une vérité et qu'elle transcende les
cultures. »544(*) (Ainsi), la thématique du relativisme
épistémologique a pu se lier à celle du relativisme
culturel. »545(*)
On peut même dire du point de vue de la philosophie
politique qu'il y a trois positions : les communautariens ou les
culturalistes, les mondialistes et la position médiane. La question
touche ici la question des frontières étatiques et des
frontières cognitives.
Pour le communautairien comme Walzer « le
particularisme est indépassable et doit être
accepté » 546(*), entendez le tribalisme, l'Etat-Nation, etc.
« Le tribalisme désigne l'attachement des individus et des
groupes à leur propre histoire et leur identité, et cet
attachement (irréductible à l'une de ses manifestations
particulières) constitue un trait permanent de la société
humaine ». La mise en valeur des
culturalistes « travaille à partir des croyances de leur
communauté respective - le monde demeurant un monde composé
de « tribus », de groupes ethniques distincts, souvent
antagoniques. Ainsi « le code des valeurs et des principes
« culturellement homogène et hautement
signifiant », « élaboré »par
chaque société -ne peut être que celle d'une
société particulière ; « les
sociétés sont nécessairement particulières parce
qu'elles ont des membres ... et des souvenirs de leur vie commune »,
tandis que, « l'humanité a des membres mais point de
mémoire, et ainsi ni histoire ni culture ...aucune compréhension
partagée des biens sociaux ».547(*) Et aussi « le
marché mondial ne fait pas une histoire » notait
J.-Lyotard.548(*)
Au demeurant, une « tension (...) existe entre les
individus et les « peuples »qui entrave une telle tentative
(de position intermédiaire) est aussi à la racine de la querelle
entre les communautairiens qui insistent sur le caractère unique des
valeurs et de la culture de chaque société et considèrent
« comme également valide les croyances et les usages de toutes
les sous -communautés reconnues ». Ainsi, « Walzer
apparaît comme un
universaliste hautement « minimaliste » : la
moralité « épaisse »de chaque
société n'est ni basée sur, ni dérivée de la
moralité « fine »des principes universels ; la
seconde « n'est guère qu'un morceau »de la
première ».549(*)
Le culturalisme moderne revient à
l'idée du respect de chaque culture. « La notion d'expression
(expressivité) ajoute, entre autres, une innovation importante :
l'idée que chaque culture, de même que chaque individu qu'elle
englobe, possède une « forme »qui lui est
propre et qui doit être réalisée ; qui plus est, cette
forme est inamovible, aucune autre ne peut ni s'y substituer ni en mettre au
jour les ressorts profonds ».550(*)
Les frontières d'Etat tendent à être
rejetées comme étant arbitraires et dénuées de
valeur morale par les « mondialistes »à l'image de
Martha Nussbaum. Les « universalistes (...) mettent l'accent sur
la nécessité de protéger partout les droits de
l'homme ».551(*)
Cette position, comme on l'a vu à la position
culturaliste qui « met en évidence la signification et
l'importance morales des frontières étatiques. Celles-ci comptent
aux yeux des communautairiens (Miche Walzer et Charles Taylor notamment), comme
aux yeux de tous ceux pour lesquels les peuples et les Etats sont les
entités fondamentales ».552(*)
Pour revenir au réalisme et constructivisme, selon
Arnaud Schmit, « Rorty pousse le raisonnement entamé par
l'idéalisme allemand jusqu'au bout, à savoir que notre
appréhension du monde correspond plus à un processus mental (et
donc subordonné à une étape intermédiaire)
qu'à une connaissance immédiate et innée du réel.
(...) Toute épistémologie est nominaliste, que notre perception
du monde est donc avant tout linguistique : « all awareness
is a linguistic affair » ».553(*)
En fait, le « retour à la
réalité » se veut une révolution pour autant que
nous puissions dire contre René Descartes que la réalité a
été vue sous le prisme de la méthode. Nous avons trop vu
le monde sous le prisme des conventions et des catégories, c'est
là une partie de la thèse ontologique.
Ainsi, « dire que chaque communauté a une
vision du monde qui lui est propre est donc à prendre au sens
littéral. Notre société, notre interprétation des
nombreux stimuli qui nous assaillent perpectuellement, sont le fruit de ce que
Rorty appelle « acculturation » ; c'est bien
évidemment aussi le cas pour tout ce qui est relatif à notre
bagage éthique. John Searle, en partant de ce préalable, a
développé le concept de « background ».
Au demeurant, la question ce que le relativisme reste
« une impasse, plus que cela, un abîme ».554(*) Comment en sortir ? Le
relativisme est un danger à tous points de vue. Comment
l'éviter ? ».555(*) Il faut une thèse qui remplace selon Guy
Bois « l'intolérance et le relativisme (qui) étaient
(les) seules parades ? D'où (déjà) la montée
en puissance d'une posture (je n'ose dire d'une épistémologie)
postmédiévale ressemblant étrangement à la
posture « postmoderne »
d'aujourd'hui ».556(*) Tout cela parce que « la méthode
cartésienne ne peut (et ne pouvait) nous tirer de l'abîme du
relativisme, ni nous met à l'abri des dangers que le relativisme fait
courir à la pensée contemporaine. Elle nous expose plutôt
à ces périls de l'heure présente, et elle nous conduit
à cet abîme ».557(*)
Le choc entre l'universel démasqué (comme
relatif) et la concrétude des contextes (tout aussi relatif) se
répercute à tous les niveaux de la culture. Le relativisme de
culture devient la conséquence du pluralisme culturel. La guerre
de culture ,« sous une forme radicale ,ce sont toutes les
références idéologiques et culturelles de la civilisation
occidentale renvoyant à l'idée d'une humanité universelle
qui sont discréditées ,comme idéaux fondateurs des
régimes politiques(individualisme libéral ,droits de l'homme et
du citoyens) ou les différentes composantes de la notion de Haute
Culture (au sens des grandes oeuvres de l'esprit
humain :littérature, art ,science).Ces références
sont en effet dénoncées comme couverture idéologique de la
domination exercée sur les minorités et les dominés de
toutes natures. En conséquence, il s'agit de défendre
l'idée d'une culture spécifique associée à chaque
sexe comme à chaque « ethnie », devant être
valorisé pour elle-même et dont la littérature, l'art, la
conception de la connaissance doivent être enseignés au même
titre que ceux qui ont constitué jusque-là le
« canon » dominant ».558(*) En procédant ainsi
n'est-ce pas faire la même chose et son contraire ? Certes oui,
lorsque nous ne tenons pas compte de la thèse de la construction de la
réalité sociale non relativiste de Searle.
Le mouvement dit postmodernisme consécutif au
relativisme, s'est étendu dans le monde entier. « L'un des
terrains fertiles de déploiement des thèmes postmodernistes est
constitué, c'est Yves Bonny qui le rappelle, par les différentes
aires régionales ayant historiquement formé
l' « Autre » de l'Occident, qu'il s'agisse des pays
dits du tiers-monde ou de ceux de l'ancien bloc
communiste ».559(*) En plus « les versions
latino-américaines du postmodernisme sont quant à elles
fortement marquées par l'expérience du colonialisme d'abord, puis
de l'hégémonie exercée par les Etats -Unis sur le
continent ».560(*) C'est la question de la décolonisation
intellectuelle.
Pour les tenants de cette pensée, l'enjeu est de
réviser l'ensemble des discours qui fondent l'identité nationale,
les récits de l'histoire, les canons de la littérature, avec
comme cible centrale les programmes de l'enseignement scolaire et les manuels
qui les accompagnent. Il s'agit sous la forme la plus mesurée de
reconnaître les formes de racisme, de stigmatisation, de discrimination
inscrites dans le passé national, notamment dans les manuels
d'histoire, d'éliminer les préjugés, de
célébrer la diversité et les différences, de
favoriser une plus grande tolérance en faisant connaître les
cultures et les religions qui composent le pays. 561(*)
Le mouvement multiculturel a atteint notre pays, la
République Démocratique du Congo, sous plusieurs formes, hormis
le point de vue de Mudimbe , notamment dans la reforme des programmes
académiques. Tout récemment, à la suite de PADEM
(programme de modernisation de l'enseignement supérieur) en
République Démocratique du Congo, il a été
instauré un programme basé sur la thématique identitaire
de Genre (les études féminines dont on a que faire) à la
faculté des Lettres et sciences humaines de l'Université de
Kinshasa et aux Facultés protestantes de Kinshasa. En Philosophie nous
pensons que le programme académique doit tendre vers ce qu'on appelle
aux Etats Unis et maintenant en France, les Lettres et Sciences ou le Ph.D,
Philosophia Doctor, tel que nous tentons de le faire. Ceci est d'autant plus
urgent pour imposer un dialogue entre nos sciences on ne peut plus
cloisonnées.
Il s'agit aussi de trancher des persistances contradictions
dans tous les domaines. Ces contradictions actuelles se focalisent selon Jean
De Munck sur deux tendances: « une théorie de connaissance
(qui) se tend entre une version positiviste dure de la méthodologie, et
la tendance déconstructive. (...) La philosophie morale se divise entre
un néo-formalisme -utilitariste, libéral, néo-kantien- et
des appels à l'authenticité personnelle ou aux traditions
communautaires. La théorie sociale oscille entre de grandes
constructions rationalistes et l'étude moléculaire des
réseaux, des territoires, des styles de vie ».562(*) Au point de vue pratique,
Jean De Munck fait constater la « persistance des
contradictions : au moment où le libéralisme triomphant peut
prétendre occuper tout le champ laissé libre par l'effondrement
du communisme, sa figure inversée, sa négation
systématique ont pris forme des esprits, dans les
événements, dans les configurations
culturelles ».563(*) Et de conclure, « notre monde est à
la fois libéral et postmoderne. (Ils) s'appellent l'un et
l'autre, « et leur constante inversion est l'aporie centrale de
notre temps ».564(*)
« Au moment où le formalisme d'une Raison
économique et politique se redéploie à grande
échelle, le postmodernisme démasque son irrationalité
persistante, l'injustice qu'il génère, le mensonge qu'il
véhicule et la violence qui le soutient. Au clivage de la guerre froide
s'est substitué le nouveau grand partage : non plus les droits de
l'Homme contre les droits collectifs ,mais les droits de l'Homme contre le
droit à la différence ;non plus le marché contre
l'Etat ,mais le marché contre les cultures ; non plus l'individu
,universel et abstrait ,contre le travailleur concret ,mais l'individu
,toujours universel ,toujours abstrait ,contre la diversité des visages
,le pluralisme des tributs ,la diffraction des valeurs ,des styles ,des
convictions ».565(*)
Jean De Munck projette un programme de révisitation de
l'idée de la raison (Jean de Munck, 1999,2). Il affirme le fait que
« la tendance déconstructive, fait ses 'adieux', ne
voulant voir dans es sciences que des constructions contingentes,
dépendantes de lieux, d'histoires et de sombres stratégies de
puissance ».566(*)
Pour nous Jean De Munck dénonce les contradictions persistances de notre
époque sans donner clairement une hypothèse de dépassement
autre que l'histoire à rebours de la rationalité en question.
Le particularisme est aussi la tentation qui nous ante encore
nous africains ; en fait c'est serait un coup de maître de nous
faire sortir du relativisme et de nous éviter la tentation d'y sombrer.
C'est pourquoi nous proposons un retour critique à
l'onto-théologie de l'Egypte antique.
3.6.2. La construction sociale non
relativiste et antiréaliste de Searle
Pour expliquer sa thèse de construction sociale non
relativiste et antiréaliste Searle fait recours à un exemple
emprunté à Putnam. « Imaginons, dit-il, qu'il existe
une partie du monde du type de celle décrite dans la figure
(suivante) :
A
B C
Combien d'objets y a-t-il dans ce mini- monde ? Eh bien,
selon le système de l'arithmétique de Carnap (et selon le sens
commun), il y en a trois. Mais, selon Lesniewski et d'autres logiciens
polonais, il y a sept objets dans le monde, comptés de la manière
suivante :
1 = A
2= B
3=C
4=A+B
5= A+C
6= B+C
7=A+ B+C
Combien d'objets y a-t-il dans ce mini- monde ? Y en
a-t-il réellement trois ou réellement sept ? Il n'a pas de
réponse absolu à cette question ». Le schème
conceptuel vise comme nous pouvons le constater à mettre à jour
les structures non immédiatement données ou `visibles'. Nous
pouvons ajouter une autre question : le schème conceptuel peut -il
être problématique ? Pour Searle, « Nous
sommes toujours confrontés aux problèmes du vague, de
l'indétermination, de la ressemblance de famille, de la texture
ouverte,de la dépendance contextuelle, de l'incommensurabilité
des théories, de l'ambiguïté, de l 'idéalisation
qui ,intervienne dans la construction des théories, des
différentes interprétations possibles, de la sous
-détermination de la théorie par les preuves dont on dispose, et
ainsi de suite ».567(*)
En fait John Searle s'oppose à W.V.O.Quine et sa
théorie de la relativité de la vérité.
« Le fait, dit John Searle, que les schèmes conceptuels rivaux
(contexte d'usage) permettent différentes descriptions de la même
réalité, et qu'il n'y ait pas de description de la
réalité en dehors de tout schème conceptuel, n'a aucun
effet que ce soit sur la vérité du
réalisme ».568(*) John Searle continue la question en la couplant avec
le principe rationaliste de réalisme, il réagit justement contre
le subjectivisme dont on taxe le rationalisme. La thèse de Searle est
celle de la construction de la réalité sociale non relativiste en
tant qu'elle est informée par un schème conceptuel.
Le constructivisme non relativiste de Searle rejette le
relativisme de culture en tant que base d'une doctrine axiologique et
nous prévient contre la réduction à l'infini, d'autant
plus qu'un point de vue scientifique n'est pas à inventer mais à
dévoiler. Ontologiquement, « une réalité
socialement construite présuppose une réalité
indépendante de toutes les constructions sociales, parce qu'il faut bien
quelque chose à partir de quoi construire la
construction »569(*). Ces présuppositions forment « la
réalité extérieure ». Searle le dit plus
explicitement : « le présupposé c'est le
réalisme extérieur (RE) »à la
subjectivité, et le RE « est une condition purement formelle
».570(*) En effet,
« le réalisme externe n'est pas une thèse empirique,
affirme Searle, mais plutôt une condition d'intelligibilité qui
rend possible certaines thèses. Le RE fonctionne comme une partie -
tenue -pour- acquise de l'Arrière-plan ».571(*)
3.6.3. De la relativité
linguistique et de la relativité de la vérité
La difficulté de Searle est d'être
réaliste et constructiviste et de ne l'être pas à la fois.
Il veut concilier des registres différents : l'ontologie, la
logique, l'éthique et l'épistémologie. John Searle pense
que la relativité de la connaissance n'est pas compatible au
réalisme, mais voilà comment la théorie de la
relativité se présente. Nous illustrons cette théorie par
la question de l'Etre. En fait, poser la question du rapport de la
pensée et de la langue, c'est poser l'épineuse question du
rapport entre le langage et la « raison ».
Un des problèmes centraux de la philosophie est celui
de son rapport avec la langue. Plusieurs langues européennes ont
développé non sans peine un vocabulaire et un style philosophique
quasiment inspiré des corpus de textes canoniques en grec et en latin.
On peut ajouter sans doute les textes égyptiens. C'est le cas de
l'allemand, anglais, français, italien, espagnol à peu
près à partir du XVII è siècle. L'héritage
grec est apporté à l'Europe par le monde arabe.
A la question de savoir si la langue exprime ou pas la
structure du langage, Aristote répond par la théorie des
catégories : ce qui est se dit de multiple
façons : accident, comme vrai (et le non étant comme faux),
et selon les schémas de la prédication, c'est-à-dire les
catégories.
Dans Problèmes de linguistique
générale, Emile Benveniste examine le rapport de ces
catégories aristotéliciennes à la structure de la langue
grecque et arrive à la conclusion selon laquelle les catégories
d'Aristote ne peuvent être les catégories de l'être (ou de
la pensée), mais celles de la langue
grecque. « Arrêter notre attention sur ces six
premières catégories dans leur nature et dans leur groupement. Il
nous paraît, dit Benveniste, que ces prédicats correspondent non
point à des attributs découverts dans les choses, mais à
une classification émanant de la langue même... Ce n'est donc pas
sans raison que les catégories se trouvent
énumérées et groupées comme elles sont. Les six
premières se réfèrent toutes à des formes
nominales. C'est dans la particularité de la morphologie grecque
qu'elles trouvent leur unité » : 572(*)
1. Ousia, la substance ou essence, indique la classe
des substantifs.
2. Poson, la quantité, et 3. poion,
la qualité, indiquent deux types d'adjectifs ;
4. Pros ti, la relation, indique soit des
éléments qui sont en eux-mêmes porteurs de relation double,
soit la particularité des adjectifs grecs de posséder une forme
comparative ;
5. Pou, le lieu et 6. Pole, le temps, impliquent
respectivement la classe des dénominations spatiales et temporelles. Les
quatre catégories suivantes relèvent du système verbal,
notamment le passif et l'actif des verbes grecs.
Les catégories aristotéliciennes sont
limitées à la langue grecque. D'où, la relativisation de
la portée universelle et des fondements de la métaphysique
occidentale. La relativité est bien différente du relativisme
parce qu'il est possible de construire sur la base de la même langue
plusieurs ontologies. Emile Benveniste a travaillé sur la langue
africaine Ewe du Togo, sur base de laquelle il était tout aussi
possible de construire une ou plusieurs métaphysiques.
Le verbe être des langues
indo-européennes cumule des fonctions syntaxiques de cohésion et
d'assertion dans la phrase copulaire simple, avec une valeur lexicale
existentielle. En parlant de la copule, on croit avoir affaire à
l'être et à l'existant. Cette confusion est dommageable parce que
de ce que j'affirme de quelque chose qu'il est quelque chose, s'ensuit -il que
je le considère parmi les choses qui sont et qui constituent
l'ameublement dernier du monde ? D'où pour Aristote et son
ontologie : les catégories ne sont pas seulement des moyens plus ou
moins commodes de classer les prédicables, elles classent des
êtres. Finalement, chaque élément de l'une quelconque de
dix catégories est un type d'être.
Contre Emmanuel Kant, Schopenhauer a reconstruit des
catégories sur base des classes des mots : « il est
incontestable que les parties du discours représentent les formes
primordiales revêtues par toute pensée, les formes où l'on
peut observer le moment de la pensée, elles sont les formes essentielles
du langage. Puis il faudrait subordonner les formes de pensées qui
s'expriment par les flexions des formes essentielles, c'est-à-dire par
les déclinaisons et la conjugaison ; d'ailleurs les formes de
pensées peuvent être indiquées à l'aide de l'article
ou du nom (d'une langue) ».573(*) Car la pensée ne saurait être la
même; la pensée au contraire est inséparable de la forme.
D'après Schopenhauer ,« Ces formes
réelles, inaltérables, primordiales de la pensée, sont
exactement celles que Kant énumère dans le Tableau logique des
jugements ; pourtant, ici encore, il convient de négliger toutes
les fausses fenêtres que Kant a dessinées,...Quant à moi,
voici comment je dresserai la liste : Quantité, Qualité,
Modalité, Relation ».574(*)
En plus, à la suite de la question du concours
lancé par l'Académie de Berlin en 1759 sur l'étude des
relations réciproques du langage sur les opinions et des opinions sur le
langage, l'hypothèse de la relativité linguistique qui n'est
qu'une variante de la critique linguistique des catégories d'Aristote,
fut confirmée : le fait est que la
« réalité » est, dans une grande mesure,
inconsciemment construite à partir des habitudes langagières du
groupe. Deux langues ne sont suffisamment semblables pour être
considérées comme représentant la même
réalité sociale. Les mondes où vivent des
sociétés différentes sont des mondes distincts, pas
simplement le même monde avec d'autres étiquettes.575(*)
Ainsi, pour l'ontologie la question essentielle est celle de
savoir si la relativité linguistique, qui est un fait
avéré, entraîne une absence de contenus universaux et la
relativité de la vérité. John Searle pense que non.
3.6.4. Le relativisme moderne en
sciences sociales
Nous allons ici nous référer à
Renée Bouveresse et tirer des extraits de son livre intitulé
Karl Popper, ou, le rationalisme critique, critique du relativisme,
1998, où il affirme le fait que « Hegel parait être le
père du relativisme moderne, dans la mesure où la
vérité était pour lui relative à chaque cadre
culturel et historique : mais il affirmait en même temps, la
vérité absolue de sa propre théorie »576(*). Au
demeurant, « la problématique avec Kuhn s'inscrit dans
un combat philosophique de portée très
générale : celui de la critique par Popper de la
« maladie philosophique essentielle » du XX ème
siècle : le relativisme ».577(*)
Il faut souligner le fait aussi que « Popper a
examiné, poursuit Bouveresse, le « mythe du cadre de
référence » qui est, selon lui, le support majeur du
relativisme moderne, à la fois sous sa forme morale, et sous la forme
intellectuelle dont la thèse de Kuhn est une illustration
particulière. Il entend par là, la thèse selon
laquelle on ne peut discuter ni même communiquer à moins d'avoir
accepté de part et d'autre un certain nombre de postulats de base. Entre
hommes se situant dans des « cadres » de
références différents , aucun dialogue n'est vraiment
possible , et si l'on peut changer de « cadre » c'est de
façon irrationnelle , par un choix arbitraire.»578(*)Le cadre de
référence n'est autre chose qu'un schème conceptuel ou un
paradigme chez Kuhn. Pourtant « si l'on accepte la thèse du
cadre de référence la vérité varie d'un cadre
à l'autre ».579(*)
Selon Renée Bouveresse, « le relativisme est
aujourd'hui largement supporté par les sciences humaines, qui montrent
facilement que chaque société, chaque culture, chaque groupe
social, chaque homme même ont des cadres de pensée
différents. En particulier, elles ont attiré l'attention sur le
fait que chaque langue implique une vision du monde autonome. Whorf a
poussé à la limite le relativisme linguistique en analysant
l'emploi des temps dans la langue Hopi et en montrant qu'ils supposent
une conception du monde totalement incompréhensible pour un
Occidental ».580(*) Aussi « il va se soi que, si l'on accepte
toutes les conséquences de ce que Quine a appelé la
« relativité ontologique », il n'y a plus de place
pour le profil rationnel, puisque celui-ci suppose que l'on puisse communiquer,
et tout remettre en cause ».581(*)
3.6.5. Enjeux : La menace du
réalisme : le post-modernisme
Selon Tom Rockmore, ce débat est recent qui se
cristallise entre Putnam et Searle: « the nature of realism as it is
often undestood in the recent debate ».582(*) Le réalisme parmi
tant d'autres principes de la rationalité moderne a justement fait selon
John Searle583(*)
l'objet d'âpres attaques, et « ces attaques contre le
réalisme sont troublantes à plus d'un
titre ».584(*)
Selon divers théoriciens de la littérature
« post-moderne », soutient Searle, toute connaissance
étant le produit d'une construction sociale et sujette à
l'arbitraire et à la volonté de pouvoir inhérent à
toute construction sociale, le réalisme devrait s'en trouver
menacé. 585(*)
John Searle soutient justement le fait qu'un des grands
enjeux de sa réflexion sur la construction de la réalité
est contre la tendance de renverser indûment la rationalité
occidentale du fait même que les principes inhérents posent des
problèmes de relativisme.
Ainsi, John Searle évoque outre le principe de
réalisme sur lequel il s'appesantit le plus, le principe de
l'impossibilité de l'objectivité, le principe de la
relativité conceptuelle, etc. Le problème posé à
travers le principe de constructivisme touche les questions fondamentales et
des enjeux philosophiques centraux concernant les soubassements
épistémiques et ontologiques sur des notions telles que la
réalité, l'objectivité, la vérité, la
raison, la rationalité, la logique, la connaissance, l'évidence,
et la preuve. Plus explicitement :
Le monde (ou, si l'on veut, la réalité ou
l'universel) existe indépendamment de la représentation que nous
en avons.
L'objectivité épistémologique
complète est difficile, parfois impossible, parce que les recherches que
nous menons se font toujours d'un certain point de vue, motivée par
toutes sortes de facteurs personnels, et dans un certain contexte culturel ou
historique.
Avoir des connaissances, c'est avoir des
représentations vraies pour lesquelles nous pouvons donner certaines
sortes de justifications ou de confirmations empiriques. 586(*)
La thèse que Searle combat
est l'antiréalisme sous ses deux versions que voici :
« en premier lieu, la thèse selon laquelle la
réalité consiste en états conscients et, en second lieu,
la thèse selon laquelle elle est construite socialement, au sens
où ce que nous appelons le « monde réel »
n'est qu'un ensemble de choses construites par des groupes des
gens ».587(*) Searle
appelle la première thèse, l'idéalisme
phénoméniste et la deuxième celle de constructionnisme
social.
Contre l'idéalisme phénoméniste, il
oppose ce qu'il appelle l'argument « transcendantal » dans
un des nombreux sens que Kant donne à ce terme.588(*) John Searle part
également de la Critique de la Raison pure d'Emmanuel
Kant pour présenter son argument en faveur de l'impossibilité
d'une réalité indépendante de nos représentations
humaines. C'est en fait en notre sens, la transformation des formes a priori
de la sensibilité et des catégories de l'entendement de Kant dans
la philosophie analytique dans sa phase pragmatique. Les mots sont ici des
formes a priori de communication humaine. Les mots deviennent les conditions de
réalisation de communication humaine. Elles forment les conditions
d'intelligibilité de la connaissance, qui du point de vue de la pratique
forme l'Arrière-plan. Les formes a priori ne sont pas des choses, elles
sont dans les termes de Kant des illusions sans lesquelles la connaissance
n'est pas possible.
Pour Searle, le relativisme est consécutif à
l'antiréalisme au fait que : « c'est quelque fois
une satisfaction pour notre volonté de puissance que de penser que
« nous » faisons le monde, que la réalité
n'est elle-même rien d'autre qu'une construction sociale, modifiable
à volonté et sujette aux changements futurs qui
« nous » paraissent appropriés. De même,
il semble choquant qu'il y ait une réalité indépendante
des faits bruts - aveugles, sourds, indifférents, et totalement
imperméable à nos préoccupations. Tout cela fait partie de
l'atmosphère intellectuelle générale qui donne
l'impression que les versions antiréalistes du
« poststructuralisme » telle que la déconstruction,
sont intellectuellement acceptables voire excitantes ».589(*)
Ce qui, au demeurant, est en jeu reste la
déconstruction des principes de la rationalité occidentale :
« le postmodernisme, inversion de tous les idéaux de la
rationalité, se répand comme une traînée de
poudre. Alors que le libéralisme ne promet qu'un long processus
d'alignement planétaire des institutions sur les
références rationnelles des droits de l'Homme et du
marché, l'idée même d'évolution historique
homogénéisante est contestée, critiquée,
dépecée par un postmodernisme qui ne voit que des contextes et
leurs « petits récits »inaliénables dans la
« grande histoire » de l'émancipation
».590(*)
Pour éviter la réduction à l'infini, il
faut partir d'un schème conceptuel d'un système juridico -morale
reconnu par la communauté scientifique. Seulement, en tant que normes,
elles sont toujours déjà à présupposer.
3.6.6. Attaque contre le
réalisme : L'origine récente de problème de
relativisme moderne
De façon générale, selon Yves Bonny, sur
les bases du relativisme, « on est amené à
développer la thèse de la pluralité et de
l'incommensurabilité des systèmes de connaissance, ce qui
signifie que l'on ne peut jamais les juger d'un point de vue extérieur
et qu'ils ont tous la même valeur. Ce relativisme est appliqué
à la science et le plus largement à l'ensemble des
références qui sont issues de la civilisation occidentale,
lesquelles sont ramenées à une simple
« culture » parmi tant d'autres. « Une des formes
que prend le relativisme consiste à soutenir que les
« savoirs », et les « connaissances »,
sont toujours relatifs à un référentiel, et que par
conséquent on ne peut les juger que par rapport à
celui-ci ».591(*)
Enfin ,comme le redoute Baillargeon ,le postmodernisme cherche
à s'arroger « les éventuels mérites de la
diffusion du relativisme culturel ou anthropologique et des vertus qui lui sont
associées, comme la tolérance et la reconnaissance et le respect
des différences »,à partir d'un relativisme
épistémologique.(...)Le souci compréhensible de
réhabiliter les représentations et les savoirs non occidentales
ou des « sous -cultures »internes à l'Occident
contre les formes les plus extrêmes du dogmatisme positiviste et de
l'impérialisme ».592(*)
3.6.7. La menace contre le
réalisme : la modernité sur la sellette
La modernité est battue en brèche par la
thèse de relativisme. « La logique profonde de la
modernité ( a consisté) à établir dans tous les
domaines un ordre nouveau, à partir d'une raison législatrice
portée par un sujet « civilisé »,
autocontrôlé, « discipliné »,
capable de maîtriser ses impulsions et passions. Cette logique s'exprime
de la façon à la fois la plus pure et la plus répressive
lorsque les agents modernisateurs sont persuadés de détenir la
vérité et disposent pour l'inscrire dans la vie sociale de toutes
les ressources de la puissance politique, économique et
technique.»593(*)
Cette situation amène à « l'interprétation de
la modernité comme société de surveillance et de
contrôle (...) comme société post- disciplinaire (...)
comme logique de mise en ordre, (comme) la lutte contre l'ambivalence sous
toutes ses formes (...) provoquant partout la certitude et un grand partage
entre raison et son autre ».594(*) Nous devons soit sortir de cet ordre soit le
submerger.
« Dans cette perspective, poursuit Yves Bonny, le
savoir perd l'innocence et le prestige qu'il possède dans les
représentations ordinaires de la science et de la vérité
et devient une composante fondamentale de la construction des rapports sociaux
et de la subjectivité, avec comme orientation dominante la
normalisation et le contrôle ».595(*)(C'est nous qui soulignons).
Or, pour Yves Bonny, en Europe même « toute cette
orientation doit pour être comprise, être resituée dans le
contexte historique du gauchisme des années 70 en France, marqué
par la contestation tous azimuts des normes, des codes et des institutions,
perçus comme intrinsèquement répressifs ».596(*)
3.6.8. La menace contre le
réalisme : le rationalisme en question
« L'une des cibles centrales de la critique
postmoderniste concerne le rationalisme, qui est au coeur de la civilisation
occidentale et s'articule logiquement avec une visée
universaliste. »597(*) Et :« La critique du
rationalisme vise (...) les orientations qui ont présidé à
l'histoire effective des deux derniers siècles et qui au nom de la
rationalisation ont débouché sur des formes de domination
inédites (...) où le colonialisme, l'impérialisme et
différentes formes de violence ont été exercé au
nom de la « mission civilisatrice de
l'Occident ».598(*)
Les critiques sont multiples. « La critique
postmoderniste, écrit Bonny, va mettre en doute et en cause le projet
sur plusieurs angles. D'abord, en soulignant le caractère
autoréférentiel de la raison, c'est-à-dire
l'impossibilité d'une « fondation ultime » du
discours ou des institutions (c'est en ce sens que l'on parle d'une
critique du fondamentalisme dont nous avons
parlé) ».599(*)
En outre, écrit-il encore « le rationalisme
moderne repose sur un ensemble de postulats et d'orientations de la
pensée qui ne constituent en rien une évidence ou un point
d'appui ultime et qui peuvent par conséquent toujours être
discutés et contestés ».600(*) Cela débouche sur le fait que l'usage de la
Raison est toujours situé et que c'est toujours d'un certain point de
vue et depuis une certaine perspective que l'on peut développer une
argumentation cohérente. S'en suit une critique de l'universalisme
moderne.
Les représentations de l'homme que se fait le
rationalisme en tant que culture dominante sont interrogées sous
plusieurs facettes. Une autre orientation de l'analyse est davantage historique
plutôt que philosophique. Elle consiste à soutenir que les
idées développées à partir du rationalisme
véhiculent tout un univers de représentations propres à la
culture occidentale et des acteurs socialement dominants. Pour prendre un
exemple des théories de la connaissance « le modèle
classique de la science opposant un sujet savant à un objet de
connaissance défini de l'extérieur a été
profondément questionné, au profit d'une raison
herméneutique s'élaborant dans l'intersubjectivité,
c'est-à-dire dans un rapport de dialogue avec autrui, mêlé
de distanciation critique, mais refusant une posture de rupture et de surplomb
à son égard ».601(*) Cette posture est présente de façon
insistante dans la philosophie africaine.
Yves Bonny regroupe ces critiques en tant qu'elles
s'organisent comme mouvements autour du phénomène de domination
et d'aliénation, liés à la mise en ordre à
caractère symbolique des rapports sociaux : la théorie
critique de l'Ecole de Francfort ,(...) ,la critique de la culture et du
pouvoir symbolique développée par Bourdieu et son école
,les courants dits poststructuralistes( la démarche de
déconstruction des discours sociaux), ...les cadres et concepts
théoriques issus de tous les domaines d'étude où les
questions d'identité et de subjectivation occupent nécessairement
une position centrale(études sur l'ethnicité ,le genre
,l'homosexualité ,les situations postcoloniales ,les zones
frontalières mettant en rapport le « Nord » et
le« Sud »-à l'exemple des Chicago studies -,les
positionnements subalternes ») ».602(*) Comme se présentent,
le centre et la périphérie, ainsi de suite.
En résumé, sur les bases du
relativisme, on est amené à développer la
thèse de la pluralité et de l'incommensurabilité des
systèmes de connaissance, ce qui signifie que l'on ne peut jamais les
juger d'un point de vue extérieur, et qu'ils ont tous la même
valeur.
Sur la relativité, Searle pense en définitive
qu'un énoncé vrai peut être un système
d'énoncés vrais mais incommensurables par rapport à
d'autres énoncés ou schèmes conceptuels tout aussi vrais
à propos d'un même objet (coréférentialité).
3.7.
Epistémologie américaine et influences subies par John
Searle
Malherbe dit ceci : « avant de tracer les
grandes lignes du modèle d'acte de langage élaboré par
Searle, il est nécessaire d'introduire quelques notions.»603(*). Nous voulons maintenant, et
cela avec insistance dire qu'on peut voir que le programme scientifico -
philosophique de Searle est issu des débats d'un point de vue
épistémologique anglo-saxon, et cela autour de deux termes :
le sens et la référence. Justement, l'épistémologie
anglo-saxonne se focalise autour de deux termes de départ
inaugurés par Frege : le sens et la référence.
« G. Frege inaugure la problématique de l'analyse logique du
langage en instaurant la distinction devenue classique, du sens et du
référent d'une expression ».604(*) Ainsi sa théorie
selon laquelle la tâche de la logique est de repérer les
énoncés dépourvus de sens, sert en quelque sorte
d'arrière-plan à l'ensemble des discussions ultérieures,
même celle de John Searle.
Dans une optique que nous n'allons pas privilégier
ici, la philosophie du langage idéal, Searle cherche les
conditions qui rendent vrais les énoncés à propos du
monde, ipso facto sur le monde social. L'analyse porte sur les rapports entre
le langage et le fait institutionnel, c'est-à-dire sur la
structure de l'énoncé et celle des faits. Cette analyse
de Searle consiste à étudier la structure du monde, en
l'occurrence, la structure du monde social et institutionnel dans leur rapport
avec le langage.
La théorie de l'ajustement renvoie au concept central
d'adaptation dans le constructivisme. « Il nous faut un terme
général pour évaluer le succès et l'échec de
nos représentations à réaliser un ajustement qui ait la
direction d'ajustement des mots vers le monde et ces termes, entre autres
termes importants, sont « vrai » et
« faux » ».605(*)
Par « conception substantielle », Searle,
entend une conception selon laquelle il n'y a vraiment pas de faits non
linguistiques dans le monde, et selon laquelle les énoncés sont
vrais parce qu'ils entretiennent réellement certaines relations avec ces
faits, relations que nous découvrons diversement comme des relations
d'ajustement, d'adéquation, de présentation, ou de correspondance
aux faits ».606(*) Searle table sur l'usage des mots, parce que
«pour tout énoncé vrai, il y a un fait correspondant, parce
que c'est de cette manière que ces mots sont
définis ».607(*)
La notion de « fait » par exemple, chez
Searle sert précisément à exprimer ce qui se tient en
dehors de l'énoncé mais le rend vrai, ou ce en vertu de quoi il
est vrai, s'il est ».608(*) Searle fait ici recours à une version de la
théorie de la vérité - correspondance qui spécifie
un énoncé à propos d'un
énoncé. « Les faits sont ce qu'énoncent les
énoncés (quand ils sont vrais) : ils ne sont pas ce sur quoi
portent les énoncés ».609(*) Nous avons besoin de termes
généraux pour désigner les comment -sont - les-choses
-dans - le - monde, et « fait » est l'un d'entre eux.
«Situation » et « état de
choses » en sont d'autres ».610(*) C'est déjà ici
de l'ontologie sociale en tant que compréhension des termes centraux de
la théorisation sociale. Nous pouvons voir déjà ici la
métaphysique développée par Ludwig Wittgenstein dans le
Tractatus logico -philosophicus (le monde est tout ce qui est le
cas).
Searle précise ici que sa «recherche est une
entreprise de style wittgensteinien appliquée aux jeux de langage que
nous jouons avec ces mots, et son but est de dissiper les fausses images
engendrées par nos contresens sur les jeux de
langage »611(*). Le monde c'est le Fait, l'universel, le terme
général. Ce rapport entre le sujet et l'objet (la
sémantique) s'affine en philosophie analytique ; cette relation
entre le sujet et l'objet qui polarise la réflexion dans la philosophie
mentaliste devient justement sujet, objet et usager
(la pragmatique). Le rapport entre l'énoncé et le monde n'est pas
mentaliste.
Il n'y a à proprement parler aucun rapport entre le
langage et le monde. Il veut savoir comment s'élabore la connexion. Il
part de la question suivante : de quoi dépend la
vérité de l'énoncé ? Un énoncé
sur le soleil, par exemple, est seulement vrai en gros.612(*) A plus forte raison, celui
des sciences humaines. Il passe à une compréhension analytique du
concept de « vrai ». Il examine d'un point de vue de la
philosophie du langage les conditions qui rendent les phrases ou un
système d'énoncés vrais.
« Le mot « fait » (là est
son statut)- de même que dans certains usages, celui de
« situation » et d' « état de
choses »- a fini par devenir le terme général
désignant les producteurs de vérités (les conditions qui
rendent les phrases vraies) ».613(*) Mais aussi, le mot
« correspondance »n'est qu'un terme
général désignant toutes les manières par
lesquelles les phrases sont rendues vraies en vertu des faits qu'elles
décrivent. La vérité est une interprétation
langagière infinie, un énoncé à propos de
l'énoncé. La science est prise ici comme discours à propos
du monde.
Les faits, en un mot, ne sont pas de choses
extralinguistiques614(*). Ce sont des formes a priori et des
catégories interprétatives. « Les faits ne sont pas des
objets complexes, pas plus que des entités linguistiques : ce sont
plutôt les conditions plus précisément, ce sont des
conditions du monde qui satisfont aux conditions de vérité
exprimées par les énoncés »615(*). Nous imposons au
monde dans le processus de connaître, nos formes a priori du langage, de
même nous imposons les fonctions à la
réalité brute.
3.7.1. Le paradigme cognitiviste
chez Searle et la taxinomie des faits
Searle présente dans ce programme naturaliste des
états mentaux au niveau des processus cérébraux. Nous
avons à la base des faits de la physique (les physiques bruts), ensuite
les faits de la cognition (les faits mentaux), les faits biologiques et au
sommet d'une sorte d'arbre de Porphyre les faits sociaux (faits
institutionnels). Il tend à unir les faits mentaux (croyance,
désir, etc.) aux actes du langage (communication, souhait, etc.).
Le schéma reprend chaque fois la double structure du
langage, la partie propositionnelle ou un énoncé et la partie
référentielle, les faits, les faits mentaux, les faits sociaux
ou les faits institutionnels. Pour John Searle son schéma global des
Faits est toujours nécessairement saisi par un énoncé. Le
tableau peut se lire à chaque niveau de l'énoncé au fait.
Le tableau nous donne au premier pallier en dessous de Faits,
des Faits physiques bruts indépendants de nos représentations
humaines et leur ontologie fondamentale ou la structure invisible
inhérente ainsi que l'ontologie des Faits mentaux et des faits sociaux
collectifs dépendant de nous. Ils comprennent l'ontologie des faits
sociaux- ce processus explicite sous-jacente de création des faits
liés à une intentionnalité, à des règles
constitutives.
A propos des faits physiques bruts, qui sont
indépendants de nos représentations, Searle s'inspire d'une
approche de sens commun. Les états psychologiques ou les attitudes
propositionnelles ont tout aussi une structure publique et donc non mentale.
Searle ne rentre donc pas à strictement parler à une
thèse mentaliste. Il est ambigu, il y rentre et il n'y rentre pas
totalement.
Ce schéma peut être développé
à chaque articulation. L' « institution » de
l'argent provient d'une assignation ou de l'imposition collective d'une
fonction au moyen des règles dites constitutives. La proposition
linguistique (ceci est de l'argent) subit des traitements divers, l'impositions
collective de la fonction- statut (ceci est de l'argent, celui-ci est un homme,
ceci est un tournevis, etc.) : à la suite de la théorie
performative et de la logique illocutoire, l'argent, le mariage, la guerre, la
révolution, la propriété, ou tout autre institution
établit un rapport de puissance, de droit, de responsabilité,
etc.
Faits
I
-----------------------------------------------------------------------
I
I
Faits physiques bruts
Faits mentaux
(Il y a de la neige sur le mont Everest)
(J'ai mal)
-------------------------------------------------------------
I
I
Intentionnels Non intentionnels
(Je veux
boire de l'eau) (J'ai mal )
-----------------------------------------------------------------------------
I
I
Intentionnels Singuliers
Faits sociaux collectifs
(Je veux boire de l'eau)
(Les hyènes poursuivent un lion)
-----------------------------------------------------
I
I
Assignation de
fonction Toutes les autres
(Le coeur a pour fonction de pomper le
sang) (Les hyènes poursuivent un lion)
-------------------------------------------------------------------------
I
I
Fonctions non agentives
Fonctions Agentives
(Le coeur a pour fonction
(Ceci est un tournevis)
de pomper le sang)
------------------------------------------------------------
I
I
Fonctions agentives fortuites
Fonctions -statuts
(Ceci est un tournevis)
(Ceci est de l'argent)
------------------------------------------
I I
Linguistiques
Non linguistiques
(Cela est une promesse) (Ceci est de
l'argent)
3.7.2. La théorie de la
réalité sociale et le social chez John Searle
John Searle pense qu'en cas de précarité sociale
la « situation s'améliorera s'il existe un système de
droits faisant l'objet d'une reconnaissance collective, de
responsabilités, de devoirs, d'obligations, et de pouvoirs qui viennent
s'ajouter à la cohabitation et à la possession physique brute- et
qui soit en définitive susceptible de se substituer à
elles ».616(*)
Autrement, il faut un système des valeurs faisant l'objet de
reconnaissance collective qui appelle des vertus et des moyens moraux de
responsabilité, de devoirs et d'obligations pour les réaliser.
Le changement social est donc chez Searle une affaire de la
reconnaissance collective des droits, de cohabitation et de possession physique
brute. Or, ces conditions sont loin d'être acceptées, que
« les dispositifs logiquement plus primitifs (évoluent)
jusqu'à devenir des structures institutionnelles dotées de
fonctions -statuts collectivement reconnues ».617(*)
3.8. Conclusion partielle
L'oeuvre constructiviste de John Searle est
particulière par l'approche analytique et son retour critique sur une
approche plutôt `mentaliste'. Ce retour mentaliste lui donne l'occasion
de trouver des points d'encrages avec le causalisme et l'essentialisme d'Emile
Durkheim en tant que fondateur des sciences sociales. A partir de ce moment, il
renouvelle dans la mouvance constructiviste, en vogue, le débat sur la
« réalité sociale », objet premier des
sciences sociales au moyen d'une question pérenne en philosophie, celle
de l'Etre et du Devenir. Il découvre par la voie analytique le concept
de back- ground pour dépasser l'intentionnalité qu'il restaure
dans sa critique à l'approche structuro-fonctionnaliste. Il situe la
discussion sur plusieurs plans : naturaliste, analytique, intentionnalite,
logique, causaliste, etc. Bref, il procède non de façon oratoire,
mais reconstructiviment, en considérant les acquis de l'Histoire des
sciences sociales. Une oeuvre aussi grandiose ne manque pas de
faiblesses ; c'est ce que nous allons tenter de dénicher dans le
chapitre qui suit.
Chapitre IV:
Portée, limites et dépassement de l'oeuvre
constructiviste de John Searle au moyen du concept de Kheper
4.0. Sommaire du chapitre
Le chapitre III a essayé de présenter
l'oeuvre constructiviste de John Searle. Dans le présent chapitre, nous
tenterons d'étudier en profondeur les arguments de John Searle afin non
seulement de décrypter ses mérites mais, aussi, de surprendre ses
faiblesses en même temps qu'il nous sert de tremplin pour son propre
dépassement. Nous allons ensuite tenter un dépassement du
constructivisme searlien par la clarification qu'apporte la notion de
kheper. A Ce niveau la réflexion a deux grandes parties :
dans la première nous entreprenons de situer le constructivisme
searlien dans le paradigme onto-théologique au moyen du concept de
kheper issu de traditions africaines. Ce concept est justement
reconstruit dans l'approche structuro-fonctionnaliste, d'une part, et d'autre
part, dans l'approche pragmatique et cognitiviste de John Searle. Dans la
deuxième partie, nous initions dans le contexte de l'Afrique une auto-
critique de l'ordre institutionnel de la doctrine de Kheper. Ce
chapitre IV se veut ici résolument dialectique entre la théorie
et la pratique. Sur le plan pratique et institutionnel, il s'agit de parer au
mépris que représentent les vues ethnologiques de John Searle
d'une science sociale qui s'élabore dans les arcanes de visées de
domination qui continue par ailleurs, pour la restauration de la justice et des
normes communes de vie. Ces analyses supposent donc une indispensable auto -
critique nécessaire et la stigmatisation des limites institutionnelles
de l'Afrique traditionnelle et moderne.
Nous voulons donc tant soit peu contribuer à l'effort
de saisie plus critique et davantage constructive de la
« réalité sociale » qui débouchera
sans doute à l'exigence de la justice, d'auto -critique et des normes
de rationalité pour éviter son effondrement que nous vivons
aujourd'hui.
Dans la première partie, l'étude tente de
montrer que le concept de Kheper (la loi de la transformation du
Devenir) donne des variantes tels l'apeiron d'Anaximandre ou
le Devenir infini, et l'hylémorphisme de Stagirite,
et bien d'autres. Ce kheper pourrait aider à remettre à l'endroit
spécialement l'approche fonctionnaliste d'Emile Durkheim et le
structuralisme de Claude Lévi-Strauss. Car le concept de Kheper
peut être aussi pensé pour construire un ordre
institutionnel à la hauteur de la complexité des
sociétés contemporaines. Disons que les institutions sociales
mondiales actuelles, mutatis mutandis, se trouvent dans l'urgence de se
redéfinir face au processus complexe que nous appelons la
mondialisation. A ce propos, les questions de la philosophie du droit occupent
dans notre analyse une place centrale.
Nous commençons par établir un modèle de
tradition africaine qui donne tout son sens aux présupposés de la
théorie des actes de langage et des attitudes propositionnelles chez
Searle. Par la suite, nous introduisons les notions de faillite
institutionnelle telle qu'elle est vécue en Afrique et dans le monde
,dans une discussion depuis le principe de l'émergence de la
modernité économique et juridique jusqu'au
phénomène de la mondialisation. Ceci nous donne l'étendue
d'un essai de dépassement de notre monde commun. Ainsi cette discussion
culmine-t-elle dans la recherche commune de la justice et de
l'égalité.
Cependant, pour rester cohérent avec nous -mêmes,
la philosophie du droit ici est présentée d'un point de vue
à dominance historique qui suppose la philosophie du droit de l'Afrique
antique, en tant qu'elle croise le point de vue à dominance
conceptuelle.
Notre objectif de recherche est justement celui de tenter de
voir clair en disposant des repères et des points de départs
d'une discussion fort tentaculaire qui doit être bien plus
ratissée, c'est-à-dire, dans le cas d'espèces de resituer
dès le point de départ dans la question de la construction
de la réalité sociale en philosophie.
4.1. La portée de l'oeuvre
constructiviste de John Searle
4.1.1. Apports positifs
La pensée de John Searle est fondamentale, et de grande
portée théorique en sciences sociales et humaines. En fait, la
reconstruction théorique de Searle s'efforce de traverser plusieurs
tendances, théories, courants et écoles, (évolutionniste,
fonctionnaliste, structuraliste, cognitiviste, philosophico- analytique,
logique, etc.), rejoignant certains et s'opposant de plusieurs
côtés à d'autres courants tels que le structuro-
fonctionnalisme d'Emile Durkheim, le structuralisme de Claude
Lévi-Strauss, le behaviorisme de Willard Van Orman Quine, etc. A propos,
pour Fabrice Clément et Laurence Kaufmann, « Searle (...) se
rapproche d'une perspective fonctionnaliste ».618(*)
John Searle que nous avons pris comme réflecteur
rejoint la mouvance actuelle en épistémologie des sciences
sociales, d'autant plus que, la connaissance de l'environnement social a
été diversement thématisé au cours de l'histoire
des disciplines. Elle a oscillé entre trois statuts :
- Celui de l'obstacle épistémologique : ce
que nous croyons savoir du social n'est qu'un ensemble des
préjugés ou des
« prénotions » ;
- Celui de l'objet d'étude : ce que les individus
pensent de leur monde, à une époque donnée, dans une
culture donnée, doit être étudié avec autant de
minutie que les diverses traces objectives disponibles ;
- Celui du fondement : la connaissance
« ordinaire » est ce sur quoi s'enracine toute
possibilité de compréhension du social. C'est cette
dernière voie qui aujourd'hui semble bien l'emporter. 619(*)
Le programme de John Searle endosse l'unité des
sciences comme « hypothèse de travail » : les
sciences sociales se situent au sommet d'un édifice dont la base est la
physique et les étages immédiatement inférieurs, la
psychologie et la biologie. Ces différents programmes dits de
« naturalisation » des sciences humaines et sociales
adoptent implicitement ou explicitement l'unité des sciences comme
« hypothèse de travail ».620(*) Une telle démarche
exige de déterminer les relations entre les philosophies et les sciences
sociales et humaines.
Quelle utilité pour ces
efforts d'intégration épistémologique ? Tous ces
efforts apparaissent à la suite du constructivisme social comme une
remise à plat pour comprendre en profondeur la réalité
sociale qui se dérobe à nos grilles de lecture traditionnelles.
Notre lecture de Searle tente de mettre ce programme en exergue.
Le projet de John Searle est en effet programmatique, il
comprend « les multiples dimensions de la réalité
psychologique et sociale sans imposer une rupture, aussi bien horizontale -
entre l'arrière-plan pré-intentionnel (les règles ou
l'arrière-plan) et les états intentionnels -que verticales- entre
les individus et les structures collectives. »621(*) Connexionnisme oblige, le
programme est similaire à la grammaire élaborée par les
sociologues qui décrit la manière dont les individus parviennent
à gérer leur insertion dans le social.
En effet, John Searle a ceci d'intéressant qu'il
combine la révolution linguistique et pragmatique en philosophie et le
cognitivisme. Pour nous, tel que Searle présente le cognitivisme, il
poursuit la critique du mentalisme et donc n'incarne peut être pas une
révolution à proprement parler. La pragmatique de l'esprit est
justement la théorie qui illustre l'effort de John Searle de
transformer le statut des états Intentionnels pour les rendre conformes
à celui des actes du langage. Cette transformation devait
s'avérer importante pour les sciences sociales.
L'ambition de John Searle est bien plus grande ; il
écrit en effet : « comme ces questions touchent,
pourrait-on penser, à des problèmes de fondements pour les
sciences sociales, on pourrait supposer qu'elles ont déjà
été abordées et résolues par ces diverses sciences,
et en particulier par les grands fondateurs des sciences sociales du XIX e
siècle et du début du XXe siècle. Je ne suis certes pas
expert en la matière, mais pour autant que je puisse en juger les
questions que j'aborde dans ce livre n'ont pas reçu de réponse
satisfaisante dans les sciences sociales. Nous devons beaucoup aux grands
philosophes -sociologues des XIX e siècle et XXe siècle -
songeons notamment à Weber, Simmel et Durkheim-, mais d'après
l'impression que je retire de ma fréquentation de leurs travaux, ils
n'étaient pas, me semble-t-il, en position de répondre aux
questions qui me préoccupent, parce qu'ils ne disposaient pas pour cela
des instruments nécessaires. En d'autres termes, et pour des raisons qui
ne leur sont pas imputables, il leur manquait une théorie
adéquate des actes de langage, des performatifs, de
l'intentionnalité, de l'intentionnalité collective, du
comportement régi par des règles, etc. ».622(*)
Searle maintient la structure des questions de nature
englobante : « la théorie des actes de langage se
présente en partie, dit-il, comme une tentative de réponse
à la question suivante : comment passons-nous, dit-il, de la
physique des énonciations à des actes de langage doués de
signification, effectués par des sujets parlant et
écrivant ? ».623(*)
Nous pouvons dire, à propos de la méthode que
John Searle opère une double reconstruction, celle qui est historique,
entendue comme une étape méthodologique
qui « replace » des concepts ou une thèse ou
encore leur restitution dans des traditions philosophiques ou scientifiques
antérieures pour voir en quoi ils innovent. Nous pouvons dans le cas
d'espèce parler des concepts ou des théories des actes de
langage, de l'Intentionnalité, de l'Intentionnalité collective,
des comportements réglés par des normes, de background, etc.,
dans la tradition scientifique des philosophes -sociologues fondateurs des
sciences sociales tels que Emile Durkheim, Max Weber ou George Simmel. Ainsi,
nous sommes- nous appesantis sur le fonctionnalisme d'Emile Durkheim et le
structuralisme de Claude Lévi-Strauss, etc.
Nous pouvons voir comment Searle intègre le point de
vue internaliste dans sa philosophie. John Searle n'hésite pas à
revenir à la « philosophie de la conscience »
longtemps transformée par sa révolution pragmatique dans la
philosophie du langage. Toutefois, nous pouvons percevoir le fait
avéré que ce n'est pas un courant homogène, il n'est pas
un programme de recherche univoque. Cette reconstruction se voulait
analytique - au sens de la philosophie du langage dans sa phase pragmatique- et
cognitive. C'est l'arrière-plan théorique. La construction de la
réalité sociale analytique se démarque de la construction
de la réalité sociale non analytique. Les deux approches
partagent cependant, un point de départ commun : les sciences
sociales et humaines réagissent aujourd'hui dans une mouvance
théorique entendue comme remise à plat des théories
sociales traditionnelles face à la profondeur de la
réalité sociale souvent tronquée, toujours changeante et
dynamique : la crise récurrente des gestions publiques, les
mutations sociales et culturelles, etc.
Ainsi, sous le label de « constructivisme
social » cette mouvance scientifico- philosophique renvoie
ultimement au besoin de révisitation des grilles d'analyse et de lecture
de la réalité sociale forgées en sciences sociales. Cette
reconstruction englobe l'élaboration d'une ontologie sociale entendue
comme une nouvelle réflexion sur le sens des concepts fondamentaux en
sciences sociales et humaines et la relation qu'ils entretiennent entre eux et
une construction d'un noyau conceptuel servant de fondement théorique
général.
Un tel programme épistémologique tente de
décongestionner l'affrontement des grands paradigmes à
visée totalisante, la profusion des hybrides théoriques et
l'hermétisme des écoles rivales, en remettant en cause les
sciences sociales et humaines qui, faute d'un minimum de consensus conceptuel,
multiplient les terminologies et les niveaux de description. L'abondance
conceptuelle va à l'encontre du principe analytique de parcimonie, le
fameux « rasoir d'Occam » selon lequel il ne faut pas
élaborer inutilement de nouveaux concepts pour expliquer des
phénomènes si ceux -ci peuvent être ramenés à
des entités dont l'existence est avérée. Une telle
« économie » conceptuelle a l'avantage de permettre
le rapprochement de phénomènes apparemment incommensurables au
sein d'une même armature logique et de discriminer
précisément les entités qui sont susceptibles d'avoir une
portée explicative.
4.1.2. Les difficultés d'analyse de John Searle
4.1.2.A. Flottement des concepts centraux
En épistémologie des sciences sociales et dans
les disciplines qui se préoccupent sérieusement de savoir ce
qu'est la réalité sociale, le phénomène social, le
fait social, les objets sociaux, et autres concepts semblables, il n'existe pas
d'unanimité, mais plutôt des points de focalisation
différents. Nous retrouvons dans la théorisation de John Searle
plusieurs focalisations :
- Les faits institutionnels tels que les normes (ce qui est
prescrit, permis, recommandé, etc.), l'argent, la
propriété, et autres phénomènes collectifs du genre
ou la valeur qui leur sont liée (impartialité,
fidélité, honneur, etc.).
- Les faits structurels (le pouvoir et sa distribution, le
pouvoir et son prestige, le statut économique ou légal, etc.).
- Les fonctions d'activités sociales et les
impératifs fonctionnels des groupes ou des sociétés
(c'est-à-dire ce qui est nécessaire au maintien ou à la
survie des groupes ou des sociétés).
- Les actions individuelles et collectives en tant qu'elles
sont orientées significativement vers autrui.
- Le rôle des croyances collectives et individuelles.
- Les phénomènes collectifs en tant qu'ils sont
les effets voulus ou non voulus d'actions intentionnelles individuelles.
John Searle laisse de côté d'autres
phénomènes tels que les données agrégés, par
exemple, le taux de chômage, de suicide, les changements de structure
familiale ou de pratiques religieuses, la socialisation, etc., utiles dans la
compréhension et la résolution des problèmes sociaux.
A propos, la reconstruction de John Searle au sujet de la
définition des concepts de la réalité sociale, de
phénomène social, de fait social, des objets sociaux, et autres
concepts ,est de nature globalement conceptuelle ou synchronique :
« la philosophie des sciences
« analytique »issue de la philosophie du langage est, dans
ses tendances dominantes, conceptuelle plutôt
qu'historique ».624(*)
Pris positivement :
1/ Ces travaux « se livrent par la discussion
rationnelle et la synthèse(...), à un effort d'intégration
souvent décisif, rendant possible une vision simultanément
globale et analytique de la réalité sociale. Ils
sélectionnent et articulent les niveaux pertinents et construisent un
indispensable « tableau d'ensemble »,
2/ ils proposent (...) des révisions conceptuelles, des
ajustements théoriques, des formes d'articulations des programmes
participant de l'indispensable travail d'autoréflexion des disciplines
sur elles-mêmes »,625(*)
3/ ils permettent ainsi aux chercheurs, suivant leur
sensibilité, de substituer à leur vulgate de
référence une base raisonnée et épurée de
travail, susceptible de susciter de nouvelles interrogations, d'ouvrir de
nouveaux champs d'investigation ou de renouveler la lecture de
phénomènes connus.
Pris négativement, à la suite de Jean-Michel
Berthelot, nous pouvons dire qu'il y a « deux limites fondamentales
qui, sans invalider ni dans leur fond ni dans leur visée, marquent au
fer rouge la spécificité - de fait, sinon de droit- de l'espace
de connaissance où ils s'élaborent. Ces théories,
systématiquement bâties sur un modèle conceptuel et non
propositionnel, laissent dans l'indétermination les modalités de
leur mise en oeuvre. (...) ».626(*)
4.1.2.B . Contradictions
constructivistes de John Searle
Searle emprunte son concept d'arrière-plan à
plusieurs sources, notamment chez Wittgenstein sans trop le dire. Sandra
Laurier avance en 2001 la thèse selon laquelle pour John Searle l'oeuvre
du second Wittgenstein porte essentiellement sur l'Arrière-plan.
627(*) Sandra Laurier tente
de donner les différents usages de ce mot. Elle nous montre deux
représentations de l'Arrière-plan (background) :
premièrement, celle qu'adopte John Searle à partir de
Wittgenstein II : les institutions constituent l'arrière-plan qui
nous permet d'interpréter le langage, de percevoir, et de suivre des
règles sociales, sans forcément les connaître. Et
deuxièmement, le terme d'arrière-plan (Hinterground)
apparaît dans les Investigations philosophiques pour indiquer
une représentation que nous nous faisons (paragraphe 102), cela n'est
pas pour expliquer quoi que ce soit. Ainsi, l'arrière-plan ne peut avoir
de rôle causal, car il est le langage même -nos usages ordinaires.
L'arrière-plan est le train de vie (das Getriebe des Lebens). Ainsi
donc, les statuts normatifs sont, pour Brandom, en bout de ligne,
constituées par des attitudes et des évaluations normatives.
Nous disons que les reprises reconstructives scientifico -
philosophiques de John Searle que nous avons présentées dans le
chapitre précèdent laissent transparaître, de plusieurs
côtés, des contradictions. Tantôt John Searle soutient le
fait que les hommes ordinaires construisent la réalité sociale
parce que celle-ci n'est pas simplement donnée, qu'il s'agisse des faits
institutionnels comme l'argent, du mariage, de la propriété, de
procès, des normes, de l'avocat, du cuisinier, etc. La
société apparaît à partir de l'homme ordinaire comme
surgissant d'une trame compréhensive d'expériences, d'un creuset
des conversations multiples, permanentes et ininterrompues. Dans cette optique,
le constructivisme social rejoint le point vue de la révolution
pragmatique en philosophie : tout langage est toujours constructif, les
concepts explicatifs de base dans les études sociales sont toujours
déjà constructifs, et ne sont jamais descriptifs: qu'il s'agisse
des mots, des a priori conceptuels ou des principes théoriques.
Tantôt, il part de la construction de la réalité sociale
des savants, c'est-à-dire des concepts centraux de causalité, de
raison, des catégories, d'agent, de structure, de Tout et de ses
parties, etc. En somme, ce programme analytico-cognitiviste et critique tente
de remettre au point de départ la construction théorique de la
réalité sociale des savants et de la rapprocher de la
construction sociale de l'homme ordinaire. Searle oscille donc entre une option
a posteriori de construction sociale contre une option a priori de construction
théorique des savants. Ceci fait que Searle intègre des approches
en sciences sociales fort nombreuses.
John Searle combine les deux conceptions, savante et
ordinaire, ayant en plus ceci de particulier qu'il interprète les
données de base non seulement philosophiquement mais surtout en termes
de sciences sociales centrés sur l'élaboration des faits sociaux.
Devant cette abondance d'approches et d'écoles, son oeuvre est tout
simplement traversée par des options théoriques
antithétiques et des paradigmes contradictoires. En philosophie
analytique de John Searle présente une reconstruction philosophique des
paradigmes qui sont tout aussi antithétiques , le langage
idéal et le langage ordinaire doublé du mentalisme cognitiviste.
Très tôt, dans une perspective que nous
qualifions de pré-constructiviste, alors qu'il présente son
ouvrage monumental intitulé Les actes du langage en 1969, John
Searle adopte une posture double et une optique qui se comprennent à
travers une double conception à la suite de deux tendances de la
philosophie du langage - que l'on comprend par rapport aux deux types de
travaux de Ludwig Wittgenstein - que John Searle entend être
complémentaires.628(*) John Searle, de la philosophie du langage, il
revient aujourd'hui sur le thème de la conscience. Il tente d'ajouter
ainsi à cette démarche qui relève de la
révolution linguistique et pragmatique les points de vue internalistes.
Le renversement de la situation aboutit au fait que la philosophie de l'esprit
et de l'action chez John Searle englobent la philosophie du langage. Le langage
et la conscience y apparaissent comme des entités émergentes du
substrat biologique. Il reprend en somme les concepts mentaliste et
phénoménologique, auxquels il s'opposait avec sa théorie
des Actes de langage dans un réceptacle mêlé des a priori
de la philosophie analytique du point de vue pragmatique. Ainsi son
système apparaît comme une oeuvre de génie mais en
même temps, pour le moins contradictoire, ambiguë sinon
teintée d'une dose d'idéologie libérale manifeste. Tout
dépend de la grille de lecture dont on dispose. Ce préjugé
est renforcé d'un point de vue théorique par son passage des
questions épistémologiques et logiques à l'ontologie sans
ménagement. Selon Fabrice Clément et Laurence Kaufmann il
«confond le modèle de la réalité avec la
réalité du modèle ».629(*)
La portée de la reconstruction searlienne sur
l'Afrique est lié au programme searlien qui porte la marque de son
projet de départ inscrit dans son livre monumental Les Actes de
langage, essai d'une philosophie du langage, qui contenait
déjà son approche rivée sur deux paradigmes :la
philosophie du langage à la fois idéal et ordinaire, et les
concepts centraux de sa théorisation sociale ( fait institutionnel,
règles constitutives, régulatives, etc.) Ce livre reconduit les
deux options de la philosophie analytique qui lui donne la latitude d'oeuvrer
sur un espace théorique fort large mais ambigu. Le passage de
l'analytique au cognitivisme comme théories internalistes est
truffé également des contradictions du même genre. De la
philosophie du langage, Searle rejoint donc plusieurs approches internalistes
en sciences sociales (i.e., le fonctionnalisme d'Emile Durkheim) à
partir d'une approche reconstructive. Une telle entreprise grandiose n'a pu
éviter à propos de la reconstruction africaine des apories
ethnologiques et de la violente symbolique.
La théorisation sociale de John Searle est
l'intentionalisation et repragmatisation cognitiviste des approches
très diverses. Ainsi, tantôt l'ordre social repose sur la force
du récit partagé entre les acteurs en tant que manières
dont la communication participe à la construction de la
réalité, pour l'homme ordinaire, tantôt l'ordre social est
soumis au background. 630(*)
Ce problème est celui de comprendre Searle face aux
ravages induits par un type des sciences sociales qui a cours en Afrique, en
l'occurrence l'ethnologie par rapport à la question de la
décolonisation intellectuelle. Il existe encore des usages des notions
ethnologiques chez lui telles « les sociétés sans
écriture »qui suppose des sociétés de manque
substantiel. Or, Guy Rachet commentant Le livre des morts des anciens
égyptiens affirment dès la première phrase la note
qui suit : « l'écriture apparait dans la
vallée du Nil à la fin du IVe millénaire avant notre
ère ».631(*) Même l'écriture syllabique se
développe à partir des hiéroglyphes cursif et
systématique. Cette question n'est pas principale dans notre analyse
mais elle donne matière à réflexion sur les
préjugés en sciences sociales occidentales.
En ce qui concerne l'ontologie de l'ethnologie que Searle
pratique dans l'usage des termes y relatifs, le projet est justement
imbriqué dans plusieurs présupposés qui ont marqué
l'émergence du discours ethnologique. Les aborigènes d'Australie,
les Noirs d'Afrique et les Indiens d'Amériques, pour ne pas le rappeler,
ont constitué un terrain de « bataille » pour des
chercheurs innombrables ayant chacun une vision de l'homme : les
réformistes, les contre -réformistes catholiques, les humanistes,
les rationalistes idéalistes ou réalistes, etc. Leur point commun
fut à quelques exceptions près la spécificité de
cet Autre de l'Humanité. Justement la vision « rationaliste
et réaliste » de Searle le condamne dans des
considérations récurrentes. Searle fait également usage
outre aux concepts problématiques des « sociétés
sans écriture », à ceux des Seigneurs de guerre en
Afrique. Tout porte à croire que ces questions doivent encore être
revisitées. La réalité sociale africaine semble avoir un
statut autre que celui de sociétés civilisées, des
sociétés à « histoire écrite »,
des « sociétés à démocratie »
aujourd'hui, elle dépend encore de l'essence d'une Humanité
autre. John Searle semble fixer une dichotomie paradigmatique entre la
rationalité digne de ce nom qu'il défend de toutes ses forces ,et
une sorte de pensée « prélogique »
incommensurable qui régente la réalité africaine, des
sociétés « sans écriture » dont la
force principale de recomposition sociale inhérente est le règne
de la violence(les Seigneurs de guerre).
L'attitude de John Searle de ce point de vue théorique
est celle de subordonner les structures logiques à la
réalité sociale empirique. Il y a plusieurs critiques que l'on
adresse à John Searle. Searle fait en effet appel à
certains systèmes logiques pour présenter sa théorie de
la construction sociale. Pour Fabrice Clément et Laurence Kaufmann,
Searle « tend à confondre, le niveau logique de ce qui doit
théoriquement être le cas et le niveau ontologique des causes qui
déterminent ce qui est effectivement le cas. Or, l'enquête
logique appartient à un mode formel de description de la
réalité qu'il ne faut pas confondre avec les
propriétés de la réalité elle-même. Les
comportements humains peuvent être décrits en termes de
règles bien qu'ils n'obéissent pas à des règles
». 632(*)
Les critiques de Fabrice Clément et de Laurence
Kauffmann, dans Le monde selon John Searle, sur cette question sont
claires : l'usage que Searle fait de la logique n'est pas légitime,
affirment-ils. D'où, « la précarité de
l'argument logique » de Searle.633(*) Searle « tend à confondre le
niveau logique de ce qui doit théoriquement être le cas
».634(*) Le
modèle structural fait glisser l'interprétation anthropologique
de l'ordre de la réalité sociale à l'ordre de la
pensée symbolique, de l'ordre du concret à l'ordre de l'abstrait.
Ceci est un « défi pour l'identité propre du
théoricien disposant comme observateur ou analyste d'un pouvoir de
totalisation (propre à l'ordre du discours) ».635(*)
Sur le plan paradigmatique, le reproche que nous lui
adressons, qui sera exposé dans ce chapitre, est qu'il aborde des
questions ouvertes qui ne peuvent être tranchées d'un coup. Sa
stratégie est très féconde, et le maintient longtemps dans
l'actualité scientifique, comme en témoigne son livre monumental
Des actes de langage qui reprend dans une visée unitaire la
révolution linguistique de Ludwig Wittgenstein de Tractatus
Logico-philosophicus et sa contre révolution pragmatique dans
Les Investigations Philosophiques. Ce chapitre ressasse en
détails les contradictions liées au choix de Searle de calfeutrer
les problématiques indicibles : l'être et le non être.
Cette position le fait tanguer entre les deux positions et fait trainer des
casseroles. Ceci conforte sa thèse de son
« Arrière-plan » non critique à quoi il
s'agrippe, des schèmes de pensées finalement non critiques : la
question de la culture non occidentale prise comme son
préréflexif constitue une sorte d'opinion fixe construite depuis
le temps d'esclavage africain et surtout indien. Mais c'est aussi une sorte de
reflexe de conservation en ce temps de crise. Cette situation justifie l'essai
critique des allusions à l'Afrique que nous amorçons dans ce
chapitre à partir des conceptions similaires dont Searle,en les mettant
en exergue et continue de se faire l'écho.
Nous critiquons par ricochet les scientifiques africains
victimes de la violence symbolique, qui ne manquent pas de talents,mais
maintiennent le renouveau des sciences sociales africaines longtemps
stériles au lieu d'oser résoudre nos problèmes et la
construction des modèles théoriques africains alors que ces
modèles de base sont nés en terre africaine, mais,
puisqu'aliénés jusqu'à la moelle des os, sans
exagérer, ils leurs reviennent sans qu'ils acceptent de les reconnaitre,
pire, ils les repoussent de toute leurs forces. Ils sont
répétiteurs à souhait et résignés.
Nous introduisons cette partie d'analyse avec une
pensée bien opportune quant à notre propos sur une échelle
réduite des sciences sociales. Selon Jürgen Habermas en effet,
« l'année 1929 a vu paraître un ouvrage remarquable en
sociologie intitulé Critique de la sociologie. Siegfied
Landshut y développe la thèse selon laquelle c'est la sociologie
qui, par la perspective qui est la sienne crée la
société ».636(*) Nous pouvons bien sûr le dire
également, sans que cela ne paraisse comme une révélation
importante, à propos des discours scientifiques dominants de
l'ethnologie ou de l'anthropologie sociale et culturelle dans la construction
des sociétés africaines. L'anthropologie structurale de Claude
Lévi -Strauss, l'approche structuro- fonctionnaliste, et bien d'autres
courants y ont participé largement.
Notre discussion appelle la problématique
épistémologique des programmes de l'ethnologie passéiste
à cause de la persistance des concepts anti-nègres qui ne sont
pas, on s'en douterait, évacués même du champ scientifique
et philosophique de Searle. L'Afrique Noire est encore placé sous le
signe des « sociétés sans écriture ».
Ceci est évoqué à quelques endroits par
John Searle dans son ouvrage principal sous analyse La Construction de la
réalité sociale. A ce sujet Searle affirme :
« Même dans les sociétés sans écriture les
pièces (de monnaie) sont facilement reconnaissables comme telles, et
ainsi des caractéristiques telles que la forme et la taille marquent le
fait conventionnel que l'objet est une pièce. »637(*) Quelques lignes avant, et
sur le même sujet, il venait de dire : « depuis des
sociétés sans écriture à nos sociétés
actuelles, il y a eu de nombreux marqueurs conventionnels qui ne sont pas
des mots mais fonctionnent exactement comme tels ».638(*) Dans un autre domaine, il
dit à propos de l'Afrique : « dans plusieurs pays
africains, il est absolument impossible de dire où finit l'armée
et où commencent les bandes armées, ou qui est un
« chef militaire » et qui est un « seigneur
de guerre » ».639(*) Cette façon de parler de l'Afrique rejoint
tout simplement l'esprit des sciences sociales coloniales et une certaine
façon de traiter à nouveau frais aujourd'hui cette question
primitiviste.640(*)
Cette façon trop peu critique de re-construire la réalité
africaine par un théoricien de cette trempe semble participer d'un champ
intellectuel néocolonial et préjuge d'un esprit ethnologique
passéiste préjudiciable.
La réaction à une telle attitude est multiple.
Pour nous le concept des « sociétés sans
écriture » et ses modalités actuelles est une image
fort négative de l'Afrique Noire. Alfred Maury déplore :
« De Guignes fait dériver les lettres hébraïques
et grecques des hiéroglyphes égyptiens. En cela, poursuit-il, il
voyait juste ; (...) ce qu'a montré récemment M.De
Rougé, comment la dérivation s'est opérée
».641(*)
Yves Valentin Mudimbe écrit à ce sujet les
lignes suivantes : « Il me semble, dit-il, important de noter
que la « leçon d'écriture » que l'on
invoque de plus en plus fréquemment pour différencier les
traditions africaines et européennes est un critère pour le
moins, contestable. Surgi des vues d'esprit d'ethnologues post-primitivistes,
on la rencontre, à présent, à chaque détour
d'ouvrages philosophiques ou sociologique qui touchent directement ou
indirectement aux sociétés non
occidentales ».642(*) Il donne très vite ce qu'il
considère comme l'origine d'une telle
question : « C'est, je crois, dit-il,
C .Lévi-Strauss qui, le premier, dans Tristes Tropiques,
pose le problème et constate « la possession de
l'écriture multiplie prodigieusement l'aptitude des hommes à
préserver les connaissances. On la concevait volontiers comme une
mémoire artificielle, dont le développement devrait s'accompagner
d'une meilleure conscience du passé, donc d'une plus grande
capacité à organiser le présent et l'avenir. Après
qu'on a éliminé tous les critères proposés pour
distinguer la barbarie de la civilisation, il aimerait au moins retenir
celui-là : peuples avec ou sans écriture, les uns capables
de cumuler les acquisitions anciennes et progressant de plus en plus vite vers
le but qu'ils se sont assigné, tandis que les autres ,impuissants
à retenir le passé au delà de cette frange que la
mémoire individuelle suffit à fixer ,resteraient prisonniers
d'une histoire fluctuante à laquelle manqueraient toujours une origine
et la conscience durable d'un projet » ».643(*) La connaissance, à la
suite de Thomas Kuhn progresse par sauts qualitatifs sinon par ruptures
paradigmatiques et non par accumulation écrite. A rebours, si
l'écriture n'est pas substantielle dans le progrès de
connaissance, à plus forte raison l'oralité.
Mudimbe cite Manga Bekombo toujours à ce
sujet : « La responsabilité du savant
européen - ou plutôt, sa grandeur- est lourde, dans le processus
de production de stéréotypes anti- nègres ; ces
stéréotypes, parfois figurés dans une peinture, sont
périodiquement utilisés comme arguments, restitués dans le
creux de la représentation collective grâce à la
manipulation littéraire. Alors, l'exotisme prend son sens : il
opère comme la fête, le carnaval, c'est l'explosion instinctive
qui valorise davantage encore le prestige de la raison ».644(*)
« Une société sans
écriture » est une société de
l'oralité ; en tant que telle, elle ne devrait pas faire
problème pour un semio-pragmaticien comme Searle. Car justement
l'oralité, en Afrique ou ailleurs, est un régime d'actes de
parole par excellence ; l'écriture n'est fondamentalement commode
qu'à la conservation de la pensée. Pour Ludwig Wittgenstein,
parler c'est penser. Parler présuppose un minimum de normes d'entente,
ce n'est donc pas un état de nature. Nous allons vraiment y revenir avec
force détails.
La violence peut donc être le plus souvent inscrite
insidieusement dans des champs scientifiques constructeurs des
sociétés. Nous avons évoqué pour cela la question
des sociétés dites « sans écriture ».
Nous allons une fois de plus l'illustrer.
Pierre Bourdieu note que « l'autonomie des
sciences sociales coloniales (ou néocoloniales) était grande
envers le pouvoir intellectuel ou le champ intellectuel central ou
métropolitain, mais qu'elle était très dépendante
du pouvoir local (appareil colonial) ».645(*) Il
poursuit : « Une critique nouvelle des accointances
coloniales des sciences sociales et humaines s'est affirmée à
travers les tentatives d'histoire sociale des institutions savantes, qui est
aussi une histoire sociale des intérêts
désintéressés des savants ».646(*) Le paradoxe du relativisme
culturel ce que « l'ethnologue s'affirme le civilisé par
excellence, les civilisés continuant de participer à la barbarie
mais en une mesure moindre que les `barbares' ».647(*)
Nous avons tenté d'illustrer cela, par delà la
critique de Searle, au moyen des constructions concurrentes des savoirs
coloniaux, les dispositifs savants des ecclésiastiques, des laïcs
et des autochtones au Congo Kinshasa.
En effet, l'analyse ethnologique
porte sur des sociétés dites « primitives ».
Le mot « primitif » désignait un vaste ensemble de
population dite restée ignorante de l'écriture. L'expression
subséquente de « société sans
écriture »est encore largement de mise, notamment chez John
Searle, en dépit de l'« évolution » de la
discipline aujourd'hui, qui amène à« une
transformation du contexte d'exercice disciplinaire (pour) engendrer un regard
nouveau, susciter une distance réflexive, inviter à une
révision du cadre de pertinence.»648(*) Aujourd'hui, « le surgissement de la
thématique de l'écriture et du texte, (opère) un
déplacement de l'intérêt épistémique de
l'objet vers le sujet et une redécouverte de la métaphore
centrale de l'herméneutique ».649(*)
Les données ethnologiques
problématiques qui sont liées au statut de la construction d'une
certaine Afrique se sont étalées sur plusieurs siècles
jusqu `à aujourd'hui. Nous allons spécialement examiner
cette différence à la suite des aspects théoriques de
quelques écrits des spécialistes des sciences sociales dans ce
qu'on appelle le Tiers monde. Parmi les noms les plus connus sont certes ceux
de Lucien Lévi -Brulh et de Claude Lévi-Strauss. Théophile
Obenga donne de manière radicale, une carte historique du champ
« ethnologique » sur l'Afrique en plusieurs
époques650(*)
:
- XVI e - XVII siècle : le mythe du
« bon sauvage », Nègre d'Afrique ou Huron
d'Amérique. Le nègre esclave, inférieur. Le noir sensuel,
arriéré ;
- XIX e siècle : historiographie
hégélienne du Nègre, Noir, Africain vivant en marge de la
marche de l'esprit dans l'espace et dans le temps, s'incarnant comme
« Histoire », sauf chez le nègre d'Afrique ;
- XX e siècle : le primitivisme de toute
l'anthropologie de Boas ,Lévy-Bruhl, Lévi-Strauss ,avec la
pensée primitive ,la pensée sauvage ,les bantustans,l'apartheid
,l'africanisme,le racisme de l'anthropologie physique , les non-
civilisés jusqu'à la moelle des os,le tiers monde,les pays
sous-développés ,les sociologies dynamiques,les mutations
africaines dans une longue durée de Chrétien,les peuples sans
histoire de Moniot,les siècles obscurs de R.Mauny, les Afrique
fantôme de M.Meiris,les peuples nus de Max-Pol , les
inégalités des races humaines par Gobineau
réédité en 1963,l'oeuvre à la fois
« surprenante et irritante » de Cheikh Anta Diop par
l'enseignant et chercheur en Histoire de l'Afrique François -Xavier
Fauvelle -Aymar, le Not Out of Africa de Mary Lefkowitz,le multiculturalisme
néo-hégélien d'Arthur Schlesinger (The Disuniting of
America : Reflections on a Multicultural Society),l'IQ de Richard
Herrnstein et Charles Murray (The Bell Curve),le chamito -sémité
de Marcel Cohen, l'afroasiatique de J.H.Greenberg,l'afrisian de Diakonoff, les
Hamites de l'ethnographie allemande et belge, relayé par Chrétien
qui croit fermement à la différence génétique et
humaine entre « Hutu » et « Tutsi »(
voir ses articles dans « le Monde »,Paris),etc.
La question africaine est apparue chez Searle comme
exhumée dans un champ eurocentrique commun d'une science sociale qui
perpétue les problèmes sociaux africains. La science sociale
occidentale s'identifie ici à un acte de foi cynique. Pour cela,
faudrait-il construire une science sociale afrocentrique ?
L'éthique scientifique ne s'accommoderait certes pas dans une telle
voie, en dépit des désastres causés par le scientifique
européen et de l'appel au multiculturalisme à marche
forcée instauré sans aucune forme de procès.
Toutefois, il se fait que devenue étrangère
à elle-même, le scientifique africain ne se reconnait plus dans ce
qu'il a légué à l'Humanité. Le concept de kheper ,
la loi de la trasformation du Devenir dans l'analyse du social. C'est la
tâche difficile que nous voulons entamer.
4.1. Esquisse de
dépassement : Le concept de kheper
4.2.0. Pour une reprise africaine de constructivisme
social
Du point de vue des théories et des concepts, il est
supposé en général que nous construisons le monde social
au moyen du mental, du langage et de l'interaction dans notre oeuvre culturelle
à travers des structures profondes qui sont des
éléments minimaux synthétisés. C'est autrement dit,
la question de « la détermination des activités par la
société et de leurs déterminations par les agents
individuels ». 651(*) La détermination causale, celles structurale
et fonctionnelle qui se systématisent dans le fonctionnalisme d'Emile
Durkheim et dans le structuralisme de Claude Lévi-Strauss, peuvent
être expliquées justement par la notion du Devenir :
« lorsque je change je reste le même. Il faut donc combiner le
principe de permanence et le principe de changement au lieu de les renvoyer dos
à dos. (...) Le principe dit matériel (hyle) est le
principe de changement et le principe dit formel (eidos) est le
principe de permanence. Eidos désigne le tout et peut
être traduit par structure (ou ce qui fait d'une collection de parties un
organisé) (...), et hyle désigne les parties ou les
éléments du tout. »652(*) Comme on le sait, le modèle de Tout et de ses
parties occupe une place centrale dans les sciences sociales classiques. Ainsi
« lorsque le tout change de forme (la forme suit le principe de
permanence, elle se transforme), ses transformations sont
déterminées par les relations entre ses parties,
c'est-à-dire entre les composants ».653(*) Il y a donc
différents axes de transformation : « l'axe de
déterminations horizontales et ce qui détermine (verticalement)
le tout et ses changements ».654(*)
Comment se présentent les déterminations de
différents niveaux inhérents au principe du devenir
et à celui de l'auto- organisation ? « Pour expliquer le
devenir d'une unité à un niveau quelconque, il s'agit donc de
décrire comment ses composants au niveau inférieur se rapportent
entre eux (déterminations causales ou autres déterminations
horizontales : distributionnelle, etc.) (...) Il faut aussi décrire
comment les relations horizontales entre les parties déterminent le tout
(détermination fonctionnelle) ; et il faut pourvoir décrire
comment le tout, ou 'l'arrangement `des parties, détermine
celles-ci (détermination structurale, `loi' structurale et `loi' du
devenir) à se rapporter entre elles comme elles le
font ».655(*)
Nous pouvons joindre la parenté théorique entre
l' hylémorphisme , l'apeiron et le kheper
égyptien : « Aristote dans son livre la
(Physique, a 6) parle de l'Infini d'Anaximandre qui
est, `immortel et indestructible' comme élément divin
(théion). Il y a donc identité entre to theion
(le divin) et to apeiron (l'infini, le devenir
infini)».656(*)
« L'apeiron d'Anaximandre rappelle bien des aspects du
Kheper égyptien qui est un principe infini dans le
Devenir, et selon la 'vérité-Justice' toujours jeune en
tant que principe de Khepri ».657(*) Dans l'esprit des Egyptiens
anciens, il faut ajouter que « la création est un processus.
Kheper est bien le principe qui assure la transformation de la
matière. (...) L'esprit (la conscience primordiale) se trouve au
départ de l'action ».658(*) « Ô pays du silence où se
font des choses mystérieuses, qui crée les formes comme
khepri ».659(*)
« Au chapitre XVII du livre des Morts, le
Maitre Universel, s'exprime de la manière
suivante : « c'est moi le Devenir de
khepra, lorsque devint pour moi le Devenir des
Devenirs après mon Devenir, car nombreux ont
été les désirs sortant de ma
bouche... »660(*) D'autres versions parlent de la
« régénération » ou du
Devenir en tant qu'ils sont associés à la notion de
l'acte de la parole et de la Conscience Primordiale (ce qui rappelle bien une
divinité qui crée par la parole en tant que ce qui sont
créés sont les désirs de son coeur).
Au demeurant, il ne nous faudra pas insister pour
répéter le fait que tout ce programme, tourne autour de la
question de la Régénération ou du
Devenir dans ses rapports avec la conscience , le langage et l'action.
En témoigne justement la mouvance théorique actuelle de la
reconstruction des sciences sociales classiques, en vue de donner la place au
processus de signification. Nous y sommes revenus avec quelques commentateurs
de Friedrich Hayek, Peter Berger, Jürgen Habermas, Charles Sanders Peirce,
etc. En somme, « la loi du Devenir prend en charge tous les
éléments et se donne entre autre pour tâche de les faire
passer de la puissance à l'acte, d'une puissance d'exister à
l'existence ».661(*)
Claude Lévi-Strauss s'est aidé des règles
de la linguistique, spécialement de la phonologie pour essayer de
détecter les « structures invisibles » de la
réalité sociale. Nous pouvons dire que l'approche de Claude
Lévi-Strauss considère justement que « la linguistique
moderne (est) la route qui mène à la connaissance positive des
faits sociaux ».662(*) C'est sur cette base que Lévi-Strauss s'y est
pris dans son Anthropologie structurale avec les structures
élémentaires de la parenté.
Claude Lévi-Strauss a rappelé par ailleurs
l'importance qu'il y avait dans les sciences sociales à ne pas s'en
tenir aux formes sociales empiriques pour expliquer les
phénomènes sociaux, et il a plaidé pour la
nécessité de recourir, au-delà des formes empiriques,
à leur structure conceptuelle. Le principe fondamental est que la notion
de structure sociale ne se rapporte pas à la réalité
empirique, mais au modèle construit d'après celle-ci,
écrit-il. Ainsi apparaît la différence entre deux notions
si voisines qu'on les a souvent confondues, je veux dire celle de structure
sociale et celle de relations sociales. Les relations sociales sont la
matière première employée pour la construction des
modèles qui rendent manifeste la structure sociale elle-même
».663(*) Et :
« Les formes sociales d'association sont des structures, et les
modèles théoriques qui les expliquent sont aussi des
structures ».664(*)
La géométrie analytique de René
Descartes, qui s'incruste dans sa philosophie de la nature, notamment dans son
livre intitulé Regulae ad directionem ingenii a, au demeurant,
influencé profondément les vues de Claude Lévi -Strauss
à l'étude d'un système matrilinéaire plus global
composé de quatre types de relations : frère/soeur,
mari/femme, père/fils, oncle maternel /fils de la soeur. Ainsi,
« la loi peut se formuler comme suit : la relation entre oncle
maternel et neveu est, à la relation entre frère et soeur, comme
la relation entre père et fils est à la relation entre mari et
femme. Si bien qu'un couple de relations étant connu, il serait toujours
possible de détruire l'autre. »665(*) Les
présupposés en jeu appellent l'étape
« microsociologique » où on espère apercevoir
les lois de structure les plus générales, comme la
linguistique découvre les siennes à l'étape
infraphonémique, ou le physicien à l'étape infra -
moléculaire, c'est-à-dire au niveau de
l'atome ».666(*) Comme « l'atomisme et le mécanisme
triomphaient »667(*) à l'époque d'avant Claude
Lévi-Strauss, Searle utilise la physique quantique dans son livre
intitulé Liberté et neurobiologie. On cherche les lois
générales de structures.
L'anthropologie structurale de Lévi-Strauss
est justement plus attentive aux formes abstraites (les modèles
hypothético-déductifs) qu'aux rapports réels auxquels
celles-ci référent, aux discours que les sociétés
tiennent sur elles-mêmes (langage de la parenté, le langage de la
mythologie) qu'aux pratiques sociales (le fonctionnement concret de ces
systèmes). Déjà ces trois axes principaux d'analyse des
phénomènes sociaux se présentent comme trois
schèmes reconstructeurs principaux en sciences sociales.
Seulement Claude Lévi-Strauss, tel que nous
l'évoquons, situe hors du temps et de l'histoire les structures logiques
qui sont censées régir la société ; il
substitue la relation logique à la relation humaine.
John Searle ,même avec ses actes de la parole, sa
logique illocutoire, sa théorie de l'ajustement (adaptation biologique),
et autres théories dépendent encore de la philosophie
pérenne, celle du Devenir venue des traditions et des cultures
immémoriales diverses. En fait, notre relecture voudrait
également, dans la même ligne, analyser le naturalisme de John
Searle sous l'hypothèse centrale des icônes et des concepts des
traditions africaines millénaires qui plongent leur racine dans
l'espèce biologique en l'occurrence le scarabée sacré,
des traditions et des cosmologies africaines dans lesquelles la création
se fait aussi par le Verbe. Ces cosmologies contiennent la théorie de
l'acte de langage en tant qu'acte de création mis en avant dans la
philosophie analytique, etc.
Nous signalons par ailleurs qu'il ne s'agit pas pour nous,
même si un tel prolongement peut être utile dans une étude
postérieure d'entrer dans la discussion qui nous mettrait aux prises
avec par exemple Hans Jonas sur l'éthique de responsabilité,
l'éthique du futur, la gnose, le mysticisme d'un Dieu acosmique ou d'une
thématique de la fin de l'histoire.
Ce chapitre s'occupe ainsi du dépassement du
naturalisme de John Searle qui se dessine comme la coupe qui contient ses
positions cognitivistes, son ontologie générale et son ontologie
des faits institutionnels. Les limites de Searle sont liées à
une vue d'en haut,celle d'une onto-théologie dans laquelle le
naturalisme se trouve enserrée. Ce naturalisme constitue une ontologie
qui doit déboucher toujours déjà nécessairement sur
la théologie, sur laquelle Searle doit garder silence parce que pris
dans la logique d'un type de naturalisme qui ne peut s'auto-transcender. Ce
naturalisme contient en lui-même sa propre raison.
Quant à la question de la revendication d'une science
proprement « africaine »: « nous traitons la
réalité africaine avec des approches venues
d'ailleurs », clament implicitement ou explicitement les
intellectuels africains, tout récemment Bongeli. Pour nous, cette
question recèle un mal entendu grave tant que les concepts à la
base de la discussion sont puisés certes dans plusieurs cultures (chez
les Milésiens dont Anaximandre avec son apeiron, les Grecs avec
la théorie de la forme et de la matière qui donne l'
hylémorphisme du Stagirite) mais aussi et bien avant en Egypte,
le kheper. Pour nous, il ne faut pas demander à devenir
africain ce qui l'ai déjà. Notre position à ce sujet ce
qu'on ne peut pas africaniser ce qui est déjà africain. Ceci
justifie le fait que ceux qui défendent cette thèse sont tout
simplement pris dans un cul de sac parce qu'ils tiennent comme acquis la
science occidentale comme épistémé dominante au sens
où le noyau théorique de base en la matière provient de
l'hylémorphisme d'Aristote alors que nous pouvons aller jusqu'au
kheper.
Cette problématique globale inclut la
conceptualisation d'Yves Valentin Mudimbe ou celle de la diaspora
tiers-mondiste de la question pendante de la décolonisation
intellectuelle qui doit se résoudre en dépassant le langage de la
modernité en philosophie et en se réappropriant
l'épistémè dominante par une critique eurocentrique . Pour
nous, il ne s'agit pas d'élaborer un autre discours. Car dans ces
conditions le point de vue africain restera toujours une
épistémé subalterne dans une sorte
d'épistémologie de frontière qui n'élabore pas une
reconstruction inscrite dans un régime d'historicité très
longue. Le dépassement du langage de la modernité depuis le
rationalisme de son fondateur René Descartes nous amène, au point
de départ, à un auteur comme John Searle qui fait une
reconstruction théorique à partir des sciences sociales
classiques ; et la reconstruction historique non eurocentrique nous
amène au kheper.
Ainsi, nous relativisons le constructionnisme a posteriori de
Sylvie Mesure et de Patrick Savidan dans leur Dictionnaire des sciences
humaines, qui pensent que l'enjeu c'est que la construction sociale
comme approche envahit toutes les sciences sociales, à cause du fait que
la « réalité sociale(...) se transforme en profondeur,
(et) résiste toujours davantage à nos grille d'analyse
traditionnelles et rend ainsi opaques des univers que l'on croyait jusque
là familiers » .668(*) De cela « chacun ressent intimement le
besoin de faire à nouveau le point sur ce que nous savons de
l'être humain et de la société. (A propos, cette
tâche tente de (relever le défi de la compréhension du
temps présent (...) des différentes sciences humaines.
Anthropologie, sociologie, psychologie, psychanalyse, droit, économie,
linguistique, histoire, géographie ».669(*) C'est donc une remise
à plat des nos grilles de lecture courantes de la réalité
sociale, l'onto-théologie étant prise comme la pierre de touche.
C'est plutôt un choix a priori des théoriciens.
4.2.1. Remise en question du naturalisme de John Searle
L'écriture hiéroglyphique symbolise le
Kpr (kheper), c'est-à-dire la loi de la transformation du
Devenir par le « scarabée
sacré ». Le scarabée place sa larve dans la bouse qu'il
enroule, qui, après une période donnée donne un autre
scarabée adulte. Ce schéma a inspiré sans doute le
naturalisme searlien qui refuse « de chercher en dehors de la nature
un principe explicatif de la nature. C'est dans la nature qu'il se trouve, car
la raison est dans la nature, soit qu'elle y oeuvre (Dewey), soit qu'elle en
émerge à un niveau donné(Sellers) ».670(*) Cette dernière
alternative coïncide bien avec la conscience qui, chez Searle,
émerge du processus neurophysiologique, d'un processus physicaliste.
Dans le naturalisme américain en général « la
conscience dans un être qui possède le langage dénote
l'aperception (awarness) ou la perception des significations. L'esprit est au
corps ce que la raison est à la nature, son entéléchie
seconde ».671(*)
Au demeurant, et dans l'ensemble, « héritier
de Peirce, le naturalisme américain est métaphysique, d'une
métaphysique qui se nourrit de la science, en utilise les
méthodes et en adopte les conclusions : il est à la fois
ontologique, expérimental et évolutionniste. Peirce, dit
Schneider, «conclut la théorie des universaux comme faisant partie
intégrante des sciences de la nature et considère son
système des catégories comme une analyse formelle des
procédés scientifiques et une ontologie ».672(*) La nature est donc
« la somme totale de ses propres conditions », elle est
-« l'objet global, les parties observées plus les parties
interpolées »- le seul fait existant en soi. L'esprit est un
élément de ce complexe, mais il n'est ni sa propre condition ni
la condition des autres objets ».673(*) Il n'y a pas une extériorité, c'est
donc une doctrine immanentiste.
John Dewey qui est plus proche de William James d'un
pragmatisme qui mise sur les résultats de l'action, « dirait
volontiers d'ailleurs qu'il n'y a rien à voir dans la nature, pas de
substances en tout cas, rien que des transactions. Les distinctions
établies entre, `l'homme et le monde, l'intérieur et le
public, le moi et le non -moi', le sujet et l'objet, l'individuel et le social,
le privé et le public, etc... sont en réalité des parties
(au sens de participants : parties) dans des transactions
biologiques ».674(*) Le concept d'expérience transactionnelle est
central dans sa philosophie ; c'est pourquoi il est
considéré par Gérard Deledalle comme un des pères
de la démocratie américaine.
Pour la tendance naturaliste, l'égalité, la
liberté et la propriété sont déduites des
conditions de la Création. Tout ce qui appartient en propre à un
individu, ne peut lui être enlevé sans son consentement. Dieu a
donné à tous les hommes la possession et la jouissance commune.
675(*) Le naturalisme
frise en fin de compte une position religieuse, tout s'explique par la Nature.
Le naturalisme biologique s'opère dans une pensée gnostique d'un
Dieu acosmique comme le théorise un peu Hans Jonas. Il est important de
souligner le fait que la question qui est au centre de notre étude
implique tout le réel. Par exemple, à la suite de la notion de
processualité du réel, poser le problème de contexte de
l'esprit dans la philosophie de l'esprit, c'est poser la question du
réel même, vouloir savoir : Quel est le
« lieu »de l'esprit ? Jean De Munck pose cette
question et tente d'y répondre : pour lui, « il n'y
a pas un dehors et un dedans, un organe spirituel dans une
extériorité chaotique, un Moi-qui-pense dans un contexte informe
et dénué d'universalité. Si la raison est une
procédure discursive, l'esprit ne se tient pas face au monde, mais se
mêle à lui, s'y mélange et l'épouse, de sorte que
l'un et l'autre se conditionnent réciproquement dans un échange
sans fin ».676(*) C'est ce que nous appelons le naturalisme non
auto-transcendant. Dans ce sens « l'esprit est, comme le souligne
Putnam, intrication pragmatique avec le monde et avec
autrui »677(*), affirme De Munckqui ajoute : « Les
procédures de l'esprit sont instituées, et ce sont ces
institutions qui les ancrent dans les contextes mondains. Inversement, les
institutions mettent en forme les contextes d'usage, et les rendent accessibles
à l'esprit ».678(*) Il n'y a pas à proprement parler
d'extériorité dans une ontologie de ce genre. C'est un
immanentisme cosmologique.
Le processualisme du réel ici est internaliste. Et
d'ajouter que « l'esprit dénote tout le système de
signification en tant qu'incorporé dans les opérations de la vie
organique ».679(*)
Il faut dire aussi, ce texte le prouve, que le naturalisme est lié
à la sémiotique. Or, la sémiotique peircienne anticipe la
révolution pragmatique de Ludwig Wittgenstein.
4.2.3. La reconstruction d'un modèle de
tradition congolaise
Cette étude tente de présenter
épistémologiquement une notion opératoire que partagent
toutes les grandes civilisations et subsumer la conception
générale à laquelle se réfèrent les
philosophies dominantes et même la science en général.
Nous nous situons ici d'un point de vue des traditions
typiquement congolaises pour illustrer la composante linguistique de la
création de la réalité sociale sous la forme sacrée
de la création par le Verbe,le point de départ de la
théorie anglo-saxonne des « actes de la parole ». A
ce propos T. Fourche et H. Morlighem, dans leurs commentaires de ce qu'ils
appellent Une bible noire680(*), ne se limitent pas au travail fort salutaire
de conservation de textes et d'une restitution de la pensée ; ils
essaient de reconstruire des multiples concepts centraux.
Marc Poncelet affirme que sur le plan strictement
épistémologique, en ce qui concerne l'Histoire sociale de la
pensée coloniale et congolaise, un des premiers grands débats
épistémologiques au Congo est celui qui eut lieu à l'IRCB
(Institut Royal Colonial Belge) à l'âge d'or du champ colonial
savant des années 30. La tendance dominante était le refus de
situer le savoir des autochtones dans le processus général de
l'histoire de l'humanité. C'est en l'occurrence le mémoire de
Tiarko Fourche et de H. Morlighem médecin et aide -médecin de
leur état, parce qu'il « fut ajourné pour sa part pour
complément d'information ».681(*) Et pour cause : « L'ethnologie
catholique (a) combattu systématiquement toute tentative
d'interprétation (considérée comme `hâtive',
'littéraire' ou `spéculative') visant à insérer les
observations ethnologiques dans un schéma évolutionniste
susceptible de tracer les axes d'une histoire universelle et raisonnée
des croyances religieuses humaines ».682(*)
Le tort de T. Fourche et H. Morlighem, chercheurs en
médecine naturelle et des techniques phytothérapiques - est
d'avoir osé , contre l'avis des ethnologues ecclésiastiques
coloniaux ,présenter à propos des congolais des conceptions qui
rencontraient d'autres traditions universelles. Les commentaires de T. Fourche
et H. Morlighem sur les différents thèmes qu'ils recueillent dans
Une Bible noire se réfèrent à la comparaison des
traditions congolaises - Luba (Lulua, Songhé, etc.) -Lunda (Pende,
Cokwe, Bindji, etc.)- ou à plusieurs grands foyers des cultures tels
l'Egypte antique, le Hindou683(*), la conception médiévale, etc.
La création par le Verbe, cette conception dans
Une bible noire semble uniquement renvoyer à la
tradition de l'Egypte antique : Selon T. Fourche et H.
Morlighem,Le « Ku-Ela-Diyi », en tshiluba,
émettre une parole (impérative), un ordre, le
« verbe » (plur. »Ku-Ela-Meyi »- on dit
par exemple à la 2ème et 3ème
personne du singuler : Wela Meyi (Ouela Meyi) est comparable dans sa forme
et dans son esprit au « Ouzou Medou »des Egyptiens
antiques (Voir A.MORET : Le Nil et la Civilisation Egyptienne
,page 439). Mais dans le langage courant, cette expression, qui garde en
certains cas toute sa valeur impérativement symbolique a pris le sens
commun de « parler ». (Parler : Ku -Akula -
Faculté de la parole : Diakula).684(*)
Tout cela est lié à une vision du monde. A
propos des spéculations cosmiques touchant aux étoiles, aux
galaxies et à la voie lactée, nos auteurs rapprochent certains
termes d'Une Bible noire à la conception
médiévale, notamment à propos de ce que Une Bible
noire appelle des Choses primordiales ou Choses
Aînées, « Il nous arrive, disent -ils, de dire
« éléments » (terme absent du vocabulaire des
indignes, qui ont pourtant une conception médiévale) et
« astres », pour traduire ces
« choses aînées ».685(*) De par ces
références, nos auteurs procèdent
méthodologiquement à des comparaisons topologiques.
En ce qui concerne le sujet se rapportant aux couleurs :
« Cette conception des « couleurs de
création » est à rapprocher de la conception Hindu des
sept rayons qui ont, aux termes de la doctrine ésotérique,
teinté successivement la création. Le rapprochement est d'autant
plus frappant que le mot de sens très général
« Dikolo »(pl. Makolo ,en Tshiluba ) dont l'intention
signifie ici « couleur »,se traduit par
« rangée », « ligne », « rayon »,avec
une nuance qui suggère l'ordonnance ;que ne traduit pas exactement
le gris, mais toutes les couleurs non franche, sera subdivisé
lui-même en quatre teintes ; soit en tout, sept couleur ;blanc,
noir, rouge, indécis, blanchâtre, noirâtre et
rougeâtre ».686(*) Cette pensée peut être resituée
dans l'histoire de la Pensée en général.
4.3.
La faillite institutionnelle
A. Rappel succint
Nous avons tenté de montrer le rôle du
« paradigme kheperien », qu'on nous passe l'expression,
dans l'histoire de la pensée, ou dans les sciences et
particulièrment dans les sciences sociales et humaines. Cependant, d'un
point de vue auto- critique, il faut souligner le fait que toute formulation de
la pensée devrait atteindre sa finalité naturelle en tant que
principe pratique et institutionnel de vie.
Pour nous, toutes ou presque toutes les pensées et
idéologies africaines récentes peinent à se muer en
processus social, juridique et politique efficace à la hauteur des
enjeux contemporains dans leur mutation comme institutions pertinentes de
l'époque de la « mondialisation ». La
démocratie représentative a trouvé une forme
procédurale et institutionnelle usuelle à partir des conceptions
politiques classiques des temps modernes européens, qui ont donné
à la souveraineté populaire une forme procédurale (i. e.
les suffrages universels). Bien entendu, ces conceptions classiques de
l'institutionnalisation des procédures démocratiques ne vont pas
sans poser des problèmes aujourd'hui. Pour nous, ceci
nécessite une réflexion ontologique, qui tente une fois de plus
d'aller aux sources philosophiques.
B.
Problématiques de l'origine et de la spécificité de la
modernité occidentale
Jürgen Habermas fait prévaloir le fait que c'est
le principe organisateur de l'émergence de la modernité construit
par Karl Marx qui explique l'origine et la nature de la modernité
occidentale : le couple salariat et capital, contrat et propriété
en tant qu'ils ont été à la base du développement
du droit privé. En effet, « on peut dire que, affirme
Habermas, Marx a découvert dans le rapport salaire/capital le nouveau
principe organisateur. L'institution du salariat -qui permet l'apparition d'une
classe sociale de libres producteurs, dégagés des liens
traditionnels définis par l'organisation féodale du travail et
des corporations-devient le noyau d'un système de droit
privé qui ne s'est à vrai dire complètement
développé qu'au XVII e siècle ».687(*)
Toutefois, Habermas ne met pas en exergue la
singularité de la modernité occidentale :« On
parviendra à une explication plus complexe et ,à mon sens dit
Habermas ,plus pertinente si l'on part de la thèse selon la quelle le
potentiel universalisme n'a nullement été l'apanage des
traditions Occidentales ,mais déjà présent ,comme on peut
le montrer ,dans toutes les conceptions du monde apparues, entre 880 et 300
av .J.-C, en Chine ,en Inde, en Grèce et en
Israël ».688(*) Notons que Habermas et Marx excluent ici l'Egypte
antique et la Mésopotamie.
Dans les premières grandes civilisations d'Egypte, de
Mésopotamie, de la Chine ancienne ,de l'inde ancienne et de
l'Amérique précolombienne, la terre est propriété
de l'Etat ,administrée par la classe sacerdotale ,l'armée et la
bureaucratie, avec quelque résidus de propriété communale
de village(c'est ce qu'on appelle mode de production asiatique ou africain ).
Dans les sociétés primitives, le travail et la distribution sont
organisés grâce aux relations de parenté, il n'y a pas
d'accès privé à la nature et aux moyens de production
(c'est le mode de production du communisme primitif). En Grèce ,à
Rome et dans les autres sociétés méditerranéennes,
le propriétaire privé de la terre a à la fois la position
d'un maître despote régnant sur les esclaves et des journaliers
dans le cadre d'une économie domestique et la position d'un citoyen
libre dans la communauté politique de la ville ou de l'Etat(c'est le
mode de production antique).
Karl Marx voit dans l'autarcie économique, dans
l'immutabilité, une des raisons de la stagnation de l'Etat à Mode
de Production Asiatique (africaine). Le divorce du travail et des conditions
du travail n'est pas réalisé ; l'agriculture et l'industrie
domestique sont liées dans l `activité villageoise. On
appelle contradiction fondamentale des sociétés M.P.A., le fait
qu'une production « capitaliste d'Etat »se
développe sur des bases communautaires caractérisées par
l'appropriation collective de la terre. La société à
M.P.A., ne recèle pas assez de forces internes pour développer
cette contradiction jusqu'à son terme, c'est-à-dire
jusqu'à la dissolution de la propriété collective et
l'apparition de la propriété privée individuelle du
sol.
Pour Marx ,la condition de la production capitaliste
réside dans le divorce entre travail et les conditions du
travail ,il est nécessaire que les masses paysannes villageoises
soient expropriées pour devenir des travailleurs aliénés
,ne possédant plus les moyens de production et n'ayant que leur force de
travail à vendre ,soit au fermier campagnard, soit au chef d'entreprise
des villes : cette main-d'oeuvre salariée est la condition
nécessaire et suffisante pour que naisse et fonctionne le système
capitaliste.
Nous émettons des réserves sur le sens exclusif
du principe de la naissance de la modernité occidentale incrustée
dans le salariat et le développement subséquent du système
de droit privé. Le vrai principe est pour Cheik Anta Diop, le mode
esclavagiste de production occidental qui continue : les plantations
d'Amérique, l'esclavage en Afrique, les guerres actuelles du Moyen
Orient, etc. C'est en fait toujours une logique binaire de modernité et
de colonialité.
C.
L'optique historique de la philosophie du droit
L'émergence du droit privé semble lié au
couple travail / salariat. Il nous semble que cette situation ne peut
être unique. « Pour Schulin seules deux approches de l'histoire
universelle seraient légitimes :d'une part le comparatisme
typologique qui prendrait pour objet des structures générales
,comme c'est le cas des travaux de Max Weber,( ...),et d'autre part une
historiographie qui se donnerait des limites spatio-temporelles pour analyser
seulement certaines cultures(et leurs relations )en tenant compte ,cependant
,des interconnexions sur le plan mondial et des contraintes propres à
chaque système qui les affecteraient ».689(*) La deuxième approche
justifie notre postulat des liens entre l'Egypte Antique et la Grèce
antique, l'Egypte Antique et les traditions africaines et, de surcroit,
congolaises. Bien sûr il ne s'agit pas nécessairement d'une
façon linéaire mais spaciale.
Ainsi, sommes-nous d'avis que « la
compréhension des débats contemporains autour de la philosophie
du droit suppose une double mise en perspective : d'une part, celle de
l'histoire, en envoyant les lecteurs vers des problématiques
antiques... (et ce terrain doit encore être défriché),
d'autre part en tentant de dessiner assez précisément les
contours des constructions théoriques multiples et souvent concurrentes
du XXe siècle ».690(*) Les problématiques antiques doivent remonter
jusqu'à tous les grands foyers de cultures. C'est-à-dire, mettre
au clair des doctrines qui conditionnent en grande partie les débats
contemporains. C'est une structure hétéronomique de
l'histoire.
Bien sûr, cette approche invite à une discussion
dans le cadre plus large d'une philosophie politique et juridique alors que les
recherches en philosophie de droit de notre temps se rattachent à des
approches bien nombreuses (le néo-pragmatisme, la
phénoménologie, l'empirisme logique, les sciences humaines, la
sémiotique ou la psychanalyse). Le prolongement des courants
plutôt traditionnels avance aussi dans le sens des travaux sur des
concepts employés pour déterminer le fond du droit, i.e .le
concept de citoyenneté. Ces genres des concepts matériels
étant susceptibles d'évolution à partir de certaines
contraintes notamment technologiques, politique, économique (i.e. la
mondialisation) ou de celles liés à la forme ou à la
structure du droit, et de leurs présupposés philosophiques.
Jean-Cassien Billier et Aglaé Maryoli , dans leur
ouvrage intitulé Histoire de la philosophie du droit ,Armand
Colin,/VUEF ,Paris,2001,commencent leur livre par un thème me semble
-t-il important ,celui de la fondation problématique grecque de la
raison, ipso facto de la raison juridique : « L'enjeu d'une
telle question a toujours été trop considérable pour
admettre une réponse simple et univoque : il s'agit de rien de
moins que de revendiquer une identité philosophique et politique de
l'Europe face au reste du monde (chinois ,indien, musulman...(l'auteur n'a pas
mis africain, nous ajoutons africain)),voire à l'exclusion du reste du
monde ».691(*)
Déjà plusieurs interprétations sont en jeu, de quelle
Grèce s'agit-il ? « Il y a la Grèce de
Heidegger, celle de Hannah Arendt, Leo Strauss, de Michel Foucault, etc., puis
celle des Historiens, et, parmi eux, des historiens du
droit ».692(*)
D.
Tradition et modernité juridique
Pour tenter d'éclaircir la question de la non
exclusivité de la philosophie du droit cantonné dans une culture,
nous partons de la question suivante : Comment surgissent le pouvoir
politique et le droit sanctionné par l'Etat à partir d'un
ordre primitif ? La constitution co-originaire du droit étatique et du
pouvoir politique part de la situation selon laquelle (c'est
l'hypothétique ) « un chef qui, au départ, ne
dispose que de son prestige et d'un pouvoir social factuellement reconnu, peut
concentrer sur lui les fonctions, jusque-là dispersées, du
règlement des conflits ; il le fait en se chargeant de la gestion
des biens sacrés et en se faisant l'interprète exclusif des
normes de la communauté, pour autant que celles-ci sont porteuses d'une
force d'obligation morale ».693(*) Le pouvoir factuel se change maintenant en pouvoir
légitime. Cette situation est similaire à celle de tout
Pharaon-dieu.
Le droit sacré pré -étatique, lié
aux moeurs et à la morale, confère en effet autorité
à la position de son interprète qualifié. A la longue, le
droit sacré doit changer de forme parce que la pratique du
règlement des confits est fondée sur des normes ayant
l'obligation morale. Le droit est dès lors sanctionné par le
souverain primaire. Deux pôles se forment : l'autorisation du
pouvoir par un droit sacré, et la sanction apportée au droit par
le pouvoir social.
Lorsque la légitimation sacrée et religieuse par
la rationalisation sociale s'est effondrée, la convention l'a
remplacé. D'un point de vue communicationnel, dans les institutions des
sociétés tribales, les comportements sont définis par des
cérémonies et les rites, les restrictions de la libre expression
mettent la valeur de l'autorité à l'abri de toute
problématisation possible. En revanche, la libre expression
recèle un potentiel de rationalité qui imprègne toute la
société et problématise des sociétés
traditionnelles.694(*) A
mesure qu'ils sont désenchantés dans le processus de
l'évolution sociale, les ensembles de convictions fondées sur le
sacré se décomposent selon les critères de validité
différenciés. Ceci veut dire que le processus de
différenciation sociale entraîne une multiplication des
tâches, des rôles sociaux et des intérêts
fonctionnellement spécialisés, si bien que l'activité
communicationnelle quitte les engagements institutionnels étroitement
définis pour entrer dans des marges d'option élargies,
libérant et en même temps exigeant dans des domaines de plus en
plus larges un type d'action fondé sur l'intérêt et le
succès individuel. Ce processus illustre le passage d'une forme de vie
traditionnelle fondé sur le sacré vers l'individualisme moderne
sous l'effet de rationalisation continue de toutes les sphères de
vie.
Sur l'arrière-plan de visions religieuses du monde
reconnues par tous ,le droit a d'abord disposé d'un fondement
sacré ; en règle générale géré
et interprété par des juristes théologiques ,ce droit
était largement accepté en tant que composante
réifiée soit d'un ordre divin du salut soit d'un ordre naturel du
monde ,étant en tant que tel soustrait au pouvoir humain . Dans sa
qualité de seigneur justicier suprême, celui qui détenait
les positions de la domination politique étant lui aussi
subordonné à ce droit naturel. Le droit
« positif » au sens prémoderne, bureaucratiquement
édicté par le prince, fondait son autorité soit sur la
légitimité de ce même prince (par l'intermédiaire de
sa compétence de juge), soit sur son interprétation d'un ordre
juridique préalablement donné, soit encore sur la coutume, le
droit coutumier étant de son côté garanti par
l'autorité de la tradition. Or, avec le passage à la
modernité lorsque, perdant sa force d'obligation, la vision religieuse
du monde se désintégra pour donner naissance à la
puissance des croyances subjectives et pour priver ainsi le droit à la
fois de sa dignité et de sa non-instrumentalité
métaphysique, cette constellation dut changer de fond en comble.
Nous ne nions pas le fait que les institutions juridiques se
distinguent des ordres institutionnels primitifs par leur rationalité
comparativement plus élevée ;car elles incarnent un
système de savoir ayant la forme d'une doctrine élaborée,
autrement dit un système de savoir articulé, élevé
à un niveau scientifique et lié à une morale fondée
sur des principes. Ce sont des aspects internes du passage du droit
traditionnel à une justification rationnelle, et à un statut
positif.
Un droit devenu conventionnel se sépara alors de la
morale rationnelle du type postconventionnel , si bien qu'il dépendait
désormais de décisions d'un Législateur politique capable
de programmer à la fois la justice et l'Administration . La constitution
de la forme du droit devint nécessaire pour compenser les
déficits qui apparaissent avec le déclin de la morale sociale
traditionnelle. Le droit né de l'abandon de la violence, le droit a pour
fonction de canaliser une violence identifiée au pouvoir.
4.3.3 Construction d'une
éthique politique et l'exigence d'une auto- critique
éclairée
A. Sens et tâche d'une reconstruction
socio-éthique en Afrique
Nous voulons mettre en exergue la dimension de
l'éthique politique qui est impliquée dans ces discussions
à l'instar de « la sociologie (qui) s'est sentie, affirme
Michel Wieviorka, souvent proche de politiques de centre-gauche, (et) du
solidarisme ».695(*)
Ce qui nous a préoccupé dès notre
introduction était justement le changement profond et perpétuel
de la « réalité sociale » dans le monde
au plan théorique et au plan pratique : aujourd'hui on parle de
changement de la nature du travail,de la crise des institutions publiques, de
la vie familiale moderne, des tendances démographiques qui engendrent la
frénésie dans la politique d'immigration en Europe, la place de
la femme dans la société, la mobilité sociale, des
inégalités persistantes, le changement des valeurs, les
sociétés deviennent multiculturelles. La réalité
de la société africaine est bien pire encore : la pauvreté
socio-économique, paupérisation anthropologique (le rafle de
notre histoire millénaire , de notre culture, de notre art, de notre
mémoire collective, de nos traditions en tant qu'Âme africaine),
dans le domaine de la nature du travail aujourd'hui c'est l'informel qui domine
et l'économie ménagère ou clanique ; dans la vie
familiale, c'est l'institutionnalisation des enfants de la rue ; la place
des femmes, toujours plus inégalitaires, etc. ; le tout
couronné par la violence sociale et politique comme force de
recomposition. Pour pouvoir répondre à cette évolution des
réalités sociales, par des politiques efficaces, il faut
logiquement d'abord avoir une compréhension théorique
approfondie, avons- nous affirmé.
L'ordre qui a émergé du concept de kheper
n'est-il pas critiquable ? Certes si ne fût-ce qu'au niveau
pratique de la réalisation, une chose est d'être une rampe de
lancement théorique, une autre chose est de réaliser le potentiel
inhérent.
La nécessité de conciliation des horizons nous
semble bien résumée dans un des épilogues de Marc
Maesschalck , cela face à « des attitudes
défensives du passé » et des attentes inhérentes
de ceux qui ont été désabusés qui, par ailleurs se
trouvent engagés dans « un processus de construction sociale
de la normativité des normes ».696(*) Ceci n'est possible qu'en
sachant qu'aucun ordre n'a un rôle figé, chacun accompagne la
totalité du processus.
Il faut donc dans une approche expérimentaliste
pragmatique « développer la connaissance de ces
attentes ». Ce processus vise le déplacement des blocages
d'auto-transformation qui doit passer par la production symbolique d'une
identité d'action ouverte à sa mobilité intrinsèque
(i.e. à l'acceptation de sa constante réévaluation
interne, au plan de l'institution).697(*) Ce processus stigmatise bien entendu la
« reconnaissance intergroupe (réciprocité), si bien
qu'il faut, préalablement à toute réflexion critique sur
les conditions de l'intervention sociale, revoir les exigences d'alliance et
d'auto-transformation qui déterminent les attentes normatives des
groupes d'acteurs concernés ».698(*)
Notre hypothèse qui consiste en la reconstruction
sociale au moyen de l'icône et du concept de Kheper contient la
revendication de la légitimité d'un Ordre, qui n'épuise
pas par ailleurs tous les ordres au plan surtout de la pratique et de la
réalisation, mais met en exergue un conflit qui appelle un arbitrage par
l'éthique politique. Reconnaitre chaque étape de l'ordre de la
pratique, de l'ordre épistémologique et du nécessaire
ordre génétique intrinsèque nous parait bien
justifié. « C'est processuelllement, dans le mouvement
pragmatique de l'expérimentation, qu'une transformation des cadres
d'action peut avoir lieu ; non en fonction d'un
« méta-cadre » fixé par la raison
idéale des intervenants, mais en fonction d'un prototype de cadre
variable, proposé pour favoriser à la fois sa propre
transformation et la transformation de tous les cadres ».699(*) Cela débouche sur
« la possibilité d'une nouvelle histoire
commune ».700(*) Ainsi nous pouvons dire, du point de vue des
approches, à titre d'exemple que Sédar Senghor « avait
rejeté d'importants aspects de marxisme, mais il partageait avec Marx la
croyance en des similarités dans l'évolution sociale de tous les
peuples ».701(*)
Ce qui est dangereux c'est « la tentation (...) qui
consiste à envisager toutes les questions en fonction de notre
expérience, de notre passé et de nos préférences.
Elle implique un jugement de valeur, qui nous est évidemment favorable,
et relève de cette « tradition d'ethnocentrisme des
Occidentaux » que les anthropologues (R. Linton) se sont
attachés à dénoncer ».702(*)
Qu'il nous soit donc permis de plancher ici sur la conception
de la question de l'éthique politique telle que nous en faisons la
lecture chez Marc Maesschalck et de corroborer ses vues quant à des
situations de désajustement institutionnels comme celles que vit
l'Afrique aujourd'hui.
Du point de vue de son objectif, l'éthique politique
« met en question la figure du réel qui construit un domaine
d'activité, elle interroge ses conditions de production, son insertion
dans l'ordre économique mondial, son rapport au pouvoir et son approche
des cultures ».703(*) Ainsi ,« l'enjeu (est) de changer les
critères sémantico -culturels pour stabiliser
l'indécidabilité des références axiologiques en
partant des exigences posées par une interaction intramondaine
intégrant les différences (sans les
supprimer) ».704(*)
Quel en est en le danger ? Marc Maesschalck pense que
« l'extrapolation d'un modèle d'activité peut devenir
totalitaire avec ses horizons sémantiques et lorsqu'il entend traiter le
sens de théories morales, politiques et religieuses sur le même
pied d'égalité que les hypothèses scientifiques dont la
valeur ad hoc selon Feyerabend, est la meilleure garantie de leur
fécondité ».705(*) En ce qui concerne la nature même de
l'éthique contemporaine, elle « est éminemment
politique, puisqu'elle vise à établir un consensus (acceptable
pour tous) sur des règles de vie en commun ».706(*) Ceci peut se faire sur base
de « la mission historique de savant ».707(*) Le problème, c'est
que « l'énoncé scientifique est toujours la
réduction d'un monde à la cohérence de l'opérable
et une visée d'adéquation à la forme des objets de ce
monde (construction), c'est-à-dire à leur
opérabilité ».708(*) Tout cela part d'un constat
unanime : « le fait scientifique est entièrement
construit et la référence à une réalité
préexistante n'a d'autre vertu que rhétorique pour renforcer la
position du savant ».709(*) Il s'agit plus que de« surmonter l'effet
de construction des sciences en annulant les conflits de frontière par
un principe d'incommensurabilité ».710(*)
Nous présentons ce point de vue de l'éthique
politique parce qu'« il s'agit de créer les conditions
concrètes d'un espace collectif de vigilance où puissent
s'élaborer de nouvelles normes de vie en commun »711(*)et
d'« établir les conditions performatives d'une action
orientée vers la construction d'un monde commun ».712(*)
Maesschalck résume les tâches à accomplir
en trois régimes théoriques qui dépendent des conditions
internes des cultures :
- Lorsque la condition interne de pertinence des pratiques est
la cohérence de la culture de base,
- Lorsque la condition interne d'un débat sur la
cohérence des interprétations, est l'insertion des pratiques dans
leur tradition culturelle (fond d'apparence,
l` « inconditionnel »),
- Lorsque la condition interne des pratiques discursives de
légitimation sont les pratiques concrètes de contrôle
social ou la condition interne d'un discours sur l'origine du pouvoir comme vie
sociale sont les pratiques de résistance. 713(*)
Jürgen Habermas nous gratifie d'une formule romantique de
Schelling qui désigne la Raison comme étant « une
folie soumise à des règles (qui) prend un sens
particulièrement actuel et angoissant à une époque
où la technique étend sa domination à une pratique qui
n'est séparée de la théorie que par
elle. »714(*)
C'est ici que gît le défi. Pierre Bourdieu tente de
répondre à cette question d'auto -transformation du champ
scientifique en recourant à l'habitus scientifique comme théorie
réflexive du regard théorique des théoriciens mis dans la
situation de s'ajuster rationnellement à l'état
général d'un champ des forces .715(*) L'habitus scientifique pourrait permettre une prise
de conscience des savants.
Ainsi, « une fois satisfaits l'ensemble des
critères de recevabilité des propositions scientifiques, le
consensus de la communauté scientifique (sera) le garant de
l'acceptabilité effective d'une proposition. »716(*) Cela peut conduire à
la dimension politique de la science, « la communication scientifique
éclairée -dont le processus serait institutionnalisé dans
la sphère publique de la politique - mettrait en branle des mesures
sociales techniques qui supprimeraient toutes les formes substantielles de
domination- et, au nom de leur émancipation, maintiendraient durablement
présente dans la réflexion des citoyens cette suppression
elle-même ».717(*)
Pour Habermas, « le rationalisme, dans les limites
positivistes...requiert d'abord seulement qu'un nombre aussi grand que possible
d'individus adoptent une attitude rationaliste. Cette attitude, qu'elle
concerne leur comportement dans les démarches de la recherche ou dans la
pratique sociale, prend pour guide les règles d'une méthodologie
scientifique. Elle accepte les normes habituelles de la discussion
scientifique, elle est au fait en particulier, du dualisme des faits et des
décisions et elle connaît les limites de validité de la
connaissance intersubjective. C'est pourquoi elle se dresse contre le
dogmatisme tel que le comprennent les positivistes et s'oblige, lorsqu'elle
juge des systèmes de valeurs et manière générale
des normes sociales, à respecter des principes qui fixent les rapports
de la théorie et de la pratique. »718(*) Habermas
ajoute : « l'extrapolation sociopolitique d'une
méthodologie fait cependant apparaître plus que le
côté seulement formel de la réalisation rationnelle du
sens ; on y trouve déjà un sens déterminé et
la visée d'un ordre social spécifique : l'ordre
libéral de la « société
ouverte » ».719(*)
Marc Maesschalck souligne d'ailleurs le fait de savoir comment
les enjeux d'une construction éthique et d'une construction sociale tels
qu'ils se croisent : « les enjeux de société
croisent donc l'éthique dans la mesure où ils s'expriment
à travers les constructions normatives qui ont pour fonction de
coordonner l'activité du sujet ».720(*)
Il y a certes une différence entre un vouloir louable
de construire une « éthique » prospective de ce
genre et les faits institutionnels ou les faits sociaux au sens strict tel que
nous allons tenter de le démontrer. Du reste, les finalités se
croisent forcément : « conscient enfin d'une image de
l'humanité qui se joue en toute pratique sociale, l'éthique
rejoint le vouloir -être des humains, c'est-à-dire le moment
d'élaboration des formes éthico- politiques qui tentent
d'exprimer, sur le mode de la finalité, l'intérêt du plus
grand nombre, l'intérêt
général ».721(*)
En tout état de cause, tout le monde ne soutient pas
cette thèse. On peut dire qu'il existe des thèses contraires
à l'exigence de normes de rationalité dans la mesure où
« la réduction de la normativité scientifique à
son insertion stratégique dans un réseau social de
négociation et de contrôle est une opération
superflue pour la réalisation de son programme, voire
même une opération contradictoire dans la mesure où elle
ferme l'accès à une réintépretation des contenus
normatifs dans l'ordre stratégique ».722(*)
Les normes de la rationalité sont donc les normes
socialement institutionnalisées de la rationalité, et il n'y a
pas d'au-delà .La rationalité se confond avec la
définition positive de la rationalité dans une
société donnée. 723(*) Cette thèse nous conduit tout droit au
relativisme autoréfutatoire. Qui va les imposer ?
« L'énoncé de cette thèse a une portée
universelle. Mais si elle est universelle, elle s'applique à elle
-même : sa validité est donc conditionnée par les
normes d'une société particulière. Elle
s'autodétruit du même coup comme énoncé
universel ».724(*) Le dépassement de cette thèse
dépend de l'idéalité entre acceptation et
acceptabilité. Ces normes sont des conventions
institutionnalisées au sein d'une communauté linguistique. Ces
normes définissent les critères de la signification, et notamment
de la signification du prédicat « ...être
rationnel ».
Au demeurent, il nous semble, d'un point de vue
méthodologique nous dirons que le Professeur Marc Maesschalck s'investit
globalement, dans son livre intitulé, Normes et contextes dans
une approche complexe : sémantico -logique, pragmatique et
cognitive à l'analyse de la sphère éthique qui est une
réalité normative, mais bien spécifique et distincte de la
sphère strictement sociale telle que nous l'envisageons. Ces
sphères partagent en commun le fait qu'elles relèvent d'une
réalité normativement construite d'un autre type, et se
distinguent d'une réalité extérieure ou alors strictement
intentionnelle.
Le cadre théorique logico- sémantique,
pragmatique et intentionnel nous permet de cerner un champ fort large. Le
Professeur Marc Maesschalck, par exemple nous dit à ce propos ce qui
suit : « Plutôt que d'en rester à la
frontière d'une anthropologie sémantique et pragmatique qui tente
de se limiter à un principe de non-contradiction performative, (...) a
préféré orienter sa recherche vers un modèle
logiquement prometteur. Il s'agit de l'indécidabilité pragmatique
des formes de vie et des références sémantiques qui permet
de se démarquer radicalement de toute herméneutique du sens
commun et de donner un statut épistémologique au rapport
post-conventionnel à la norme proposé par
Habermas »725(*).
Les normes deviennent une exigence de l'ambivalence
même de la science : « en tant que force productive, la
science apporte autant de bienfaits lorsqu'elle débouche sur une science
conçue comme force émancipatrice qu'elle engendre de malheurs
dès qu'elle prétend soumettre sous son contrôle exclusif le
domaine de la pratique, dont on ne saurait disposer par des moyens
techniques ».726(*) Et : « Seule une Raison, dit
Habermas, qui considère comme faisant partie intégrante d'elle
-même cet intérêt aux progrès de la réflexion
vers l'émancipation, qu'on trouve irréductiblement à
l'oeuvre dans toute discussion rationnelle, pourra acquérir la force qui
lui fera transcender la conscience de son enrichissement dans le
matériel. Elle seule pourra réfléchir sur la domination
positiviste de l'intérêt de connaissance technique en comprenant
ses liens avec une société industrielle qui intègre la
science à ses forces productives et se met ainsi totalement à
l'abri de la connaissance critique. Elle seule pourra se passer de sacrifier la
rationalité dialectique du langage auquel elle est parvenue, aux
critères profondément irraisonnés d'une rationalité
technologique bornée. Elle seule pourra vraiment aborder les contraintes
structurales de l'histoire -contraintes qui demeurent dialectiques tant
qu'elles ne sont pas devenues libre dialogue entre les hommes
émancipés ».727(*)
La construction de la réalité sociale
appliquée à des sociétés colonisées est
faite par exemple contre la tentative de l'anthropologie juridique
appliquée à ces sociétés colonisées en
opposition avec le droit naturel des temps modernes européen par
exemple. Le droit de l'homme a été la poursuite de ce mouvement
de la construction européenne. « Le devoir de civiliser,
l'argument du droit de civiliser portait sur le droit de mise en valeur de
ressources incombant aux peuples capables de réaliser celle-ci de
manière supérieure aux pratiques locales. Cet argument ne fut pas
théorisé par l'ethnologie, mais par le droit
naturel ».728(*) Et :« L'arrière-plan d'une
société permet d'invalider une pratique institutionnelle qui
tenterait d'imposer un seul mode de légitimation des normes,
c'est-à-dire qui serait incapable de reconnaître des droits
collectifs à des `'sociétés distinctes''».729(*)
Prenons d'emblée une illustration : « la
civilisation du travail - celle de loisir- forme un bon exemple (justement) de
(la réalité sociale construite). (De telle sorte que) les
humains qui ont participé à son élan ont cru être
enfin en mesure de bâtir un monde nouveau pour leurs enfants,
maîtrisés par les forces de production. ( ...) Mais cette
émancipation productiviste a été remise en question par
ses héritiers qui ne sont pas parvenus à entrer dans cet univers
préfabriqué. (C'est un blocage) ».730(*) Cela va de même de
l'expansionnisme qui transporte sur le terrain de la colonisation une
civilisation industrielle qui, à son effondrement, a emporté
l'arrière-plan qui le fondait, i.e., le capitalisme industriel qui en
avait constitué la base.
De ce qui précède Marc Maesschalck stigmatise
l'enjeu : « Il ne s'agit pas de transformer une pratique
institutionnelle donnée, mais de changer de civilisation
».731(*) Une telle
situation débouche sur l'exigence d'« une éthique de la
construction sociale (qui doit considérer) toutes les activités
comme intégrées à l'enjeu décisif de l'existence
collective, c'est-à-dire l'institution de l'autonomie sociale qui
implique directement la responsabilité des tous les acteurs de
manière interne au processus social. »732(*) Pour nous, c'est ce que nous
tentons de démontrer, une « société (doit être
considérée d'abord) en tant que'' significations
subjectives''».733(*) Seulement, il faut l'avouer, « la solution
dépend (rait) encore de l'application des structures de décision
de la communauté politique ».734(*) Parce que « une
chose est d'être une norme en principe acceptable, une autre d'être
une norme en pratique valable ».735(*)
Ainsi, soutient Maesschalck, « élaborer des
principes d'action, penser les conditions d'orientation de l'action, ce n'est
pas encore élaborer une pensée de l'action ,c'est-à-dire
un discours naissant de l'effectuation elle-même ,un discours inscrit
dans l'événement de
l'effectuation ».736(*) Ainsi, « on rejoint (...) une
nouvelle base, la dimension politique de la normativité des normes. Les
communautariens ont aussi insisté, face au proceduralisme, sur le
rôle pratique d'une culture politique de la
normativité ».737(*) C'est entre autre de ce genre des normes que nous
voulons parler.
Marc Maesschalck en discussion avec les
éthiques procédurales telle que celle de Habermas met en exergue
la dimension politique de l'éthique. Ceci est consécutif par
exemple à « la révolution technologique de
l'information (qui) rend possible aujourd'hui de nouveaux modes d'organisation
de la production, du contrôle des citoyens et d'intégration de
l'économie et du pouvoir au plan mondial. Une telle puissance de
hiérarchie sociale ne peut simplement être
considérée sectoriellement par
l'éthique ».738(*)
La question c'est que selon Marc Maesschalck nous sommes
à « la fin de l'ordre conventionnel (qui) se marque par
la multiplicité des conflits de frontières entre les
régimes de justification ».739(*) C'est l'aboutissement naturel de la
modernisation sociale caractérisée par le polythéisme des
valeurs et la différenciation du monde vécu.
C'est aussi dans la voie du naturalisme que doivent se
définir des nouveaux programmes de recherche pour faire face aux enjeux
actuels du déficit de système de suffrage universel, ou de
représentation politique qui tend à être
dépassé par la complexité de notre société
et l'exigence d'une expertise de plus en plus exigeante pour la gestion
publique.
Marc Maesschalck présente le contexte favorable dans
lequel un tel débat peut se poursuivre : la recherche
développée par l'unité de théorie des normes du
programme sur la gouvernance réflexive (REFGOV) bénéficie
d'un autre environnement épistémologique dans la mesure où
son débat avec le tournant néo- pragmatiste aux Etats-Unis la
situe dans un contexte résolument post-déconstructiviste , au
moment où le débat déconstructiviste rejaillit sur le
vieux continent face à l'emprise des théories naturalistes de
l'action. « Face à cette ultime résurgence du
naturalisme, la phénoménologie permet de dépasser l'aporie
ainsi posée entre le scepticisme critique et l'optimisme
herméneutique. (...) C'est de cette relation générative
que peut naitre un discours normatif. Il est donc évidemment trop
tôt pour en décider lorsque la limite de la déconstruction
n'est pas encore identifiée, mais également trop tard pour
décider quand il ne s'agit plus que de réinterpréter ce
qui s'est déjà présenté comme une nouveauté
ou une rupture ».740(*)
Il ajoute : « La force du point de vue
phénoménologique quand il emprunte les voies de la
déconstruction est qu'il demeure articulé à une
méthode génétique et régressive qui permet de
transformer le point aporétique de la déconstruction en un
nouveau point de départ ». Le schéma de recherche
imposé par ce contexte est quasiment inverse à celui suivi dans
le cadre de l'ANR. C'est en effet le front des
« capabilities » qui prédomine ici et les processus
empiriques d'innovation dans la résolution des problèmes. A ce
arrière-plan de capacités s'applique un constructivisme pour
lequel la fonction de la production normative est d'opérer au plan des
designs institutionnels comme un réducteur d'incertitude face à
limite des calculs rationnels ».741(*)
En définitive, les recherches futures pourraient
à juste titre se focaliser sur « les formes primordiales que
doivent prendre des actes collectifs susceptibles de produire des formes de vie
en commun et satisfaisantes, (ou les) les attitudes fondamentales ou
archétypiques à travers lesquelles des groupes d'acteurs, voire
des sociétés, s'engagent au nom d'un bien être ensemble et
tentent ainsi de se reconnaître comme humanité ».742(*) Cependant Marc Measschalck
recommande en plus, pour cela ,la nécessité de la pratique
d'enquête sur le terrain.
Nous nous sommes sans doute trouvés à coup
sûr dans un « cadre de convergence ouvert » en tant
qu'il combine une multiplicité de portes d'entrée avec les
différentes dimensions d'une exigence de radicalisation du
questionnement philosophique.743(*)
B. La problématique des
inégalités
Sommes-nous inégaux ? Cette question s'impose en
nous d'un point de vue moral pour donner à cette réflexion un
relief de l'exaltation des valeurs à la base d'une vie en commun. Jean
Jacques Rousseau, dans l'origine des inégalité parmi des
hommes, affirme qu'il conçoit « dans l'espèce
humaine, deux sortes d'inégalités : l'une ,que j'appelle
naturelle ou physique ,parce qu'elle est établie par la nature, et qui
consiste dans la différence des âges, de la santé, des
forces du corps et des qualités de l'esprit ou de
l'âme ;l'autre, qu'on peut appeler inégalité morale ou
politique ,parce qu'elle dépend d'une sorte de convention ,et qu'elle
est établie ou du moins autorisée par le consentement des hommes.
Celle-ci donne les différents privilèges dont quelques uns
jouissent au préjudice des autres, comme l'être plus riche, plus
honoré, plus puissant qu'eux, ou même de s'en faire
obéir ».744(*)
L' « égalité et la
hiérarchie » sont des problèmes permanents de la
philosophie. En effet, la priorité donnée à la notion de
l'égalité dans les sociétés modernes
n'empêche nullement celles-ci d'être traversées par les
inégalités de richesse, de pouvoir, d'influence, etc.745(*)
Pour la tendance naturaliste, l'égalité, la
liberté et la propriété sont déduites des
conditions de la Création. Tout ce qui appartient en propre à un
individu, ne peut lui être enlevé sans son consentement. Dieu a
donné à tous les hommes la possession et la jouissance commune.
746(*)
Du point de vue de la compréhension profonde de
l'histoire de la pensée moderne, il y a trois tendances à travers
cette analyse : proche de la nature, celle qui est près de
l'histoire ou une synthèse de deux. Il se remarque au Temps moderne
européen, nettement le refus de la référence à la
Nature au profit de calculs stratégiques de l'homo oeconomicus, une
interminable expropriation du sujet.
« La pensée contemporaine tient volontiers
pour évident que l'homme est un « être
historique » et que cela restait méconnu de la philosophie
antique. De Descartes et Hobbes aux lumières, la première
modernité a tendu, au contraire, à se réclamer de la
« Nature » et à réaffirmer contre
l'autorité de l'histoire, les droits de la
« Raison ». En effet, « pour s'en tenir
à la philosophie politique, les grandes oeuvres des « Droits
naturels modernes » se présentent comme une enquête sur
la « Nature ». Du Léviathan à Hobbes, de
Rousseau, « la genèse de l'Etat continue d'apparaître
comme un processus rationnel, fondé sur la nature humaine, et non comme
instrument pour penser l'historicité ».747(*) La genèse ne doit
rien à l'histoire. Ces présupposés éclairent donc
la pensée des uns et des autres.
L'histoire semble parfois remplacer la nature comme
problème central de la philosophe. Les lois « découlent
de la nature des choses ». « On peut considérer que
la place centrale que l'histoire a fini par occuper dans la philosophie moderne
tient à la manière dont se pose dans celle-ci le problème
ontologique des relations entre la « Nature » et la
« liberté »748(*). Il faut d'abord, comprendre comment
l'action « libre » de chaque individu (qui suit sa
nature propre ou qui au contraire, obéit à son « libre
arbitre ») est conciliable avec la cohérence de
l'ensemble : c'est le problème de la
« théodicée » qui, de Leibniz à Hegel,
va conduire de faire de l' « histoire » le
véhicule de la « Raison » dont la ruse consiste
à réaliser ses fins universelles à travers le jeu
apparemment irrationnel des intérêts et des passions.
« Il faut comprendre comment l'existence d'un être libre (dont
l'action par définition irréductible à tout
déterminisme naturel ) est possible dans l'histoire ;la
« perfectibilité » dans la quelle Rousseau voyait le
propre de l `homme va ainsi apparaître comme l'indice de la destination
morale de l'Humanité(Kant ,Idée d'une histoire d'un point de
vue cosmopolitique) et c'est à partir delà que l'on pourra
comprendre ce qu'a voulu la Nature,qui ne fait rien en vain en nous donnant la
Raison,qui ne fait pas notre bonheur(Fondement de la métaphysique
des moeurs,1ère section) ».749(*)
L' « être se déploie (et se voile)
dans une histoire dont les époques sont radicalement
hétérogènes parce qu'irréductible au principe de
raison suffisante : on peut donc voir dans la pensée de l'Etre la
négation de l'unité de la Nature au nom de la
« différence » ;mais l'être ne peut
mieux se comprendre qu'en méditant le sens originel de la Physis dont se
fait encore l'écho la Physique d'Aristote,qui est
« en retrait ,et pour cette raison jamais suffisamment
traversée par la pensée,le livre de fond de la philosophie
occidentale ».750(*)
A l'illusion platonicienne de la
« vérité »absolue, Nietzsche oppose
un « perspectivisme » qui n'est pas cependant un
simple relativisme ; ce qui nous ramène au
« problème de la hiérarchie ». Le
perspectivisme n'est pas égalitaire, parce que toutes les perspectives
ne se valent pas, et c'est précisément cela qui permet à
Nietzsche de dépasser l'antinomie de l'apparence et de la
réalité, sans pour autant « admettre qu'il y ait une
opposition radicale entre le vrai et le faux. » Si Nietzsche
critique la fondation platonicienne de la vérité, c'est,
pourrait-on dire, parce que chez lui la hiérarchie prend la place de la
vérité.751(*) Il est illusoire de fonder
l'inégalité, comme le faisait Platon, sur l'inégale
capacité des hommes à parvenir à la
vérité ; il faut, au contraire, partir du fait de
l'inégalité pour dépasser l'opposition entre
vérité et apparence752(*).
La singularité de Nietzsche vient du fait qu'il se
démarque de deux tendances : «
L'émancipation à l'égard de la tradition ne peut venir que
d'une folie créatrice- et non de la raison critique (Aurore,
§6 ; cf., chez Max Weber, l'analyse des relations entre la tradition
et le « charisme »).753(*) Seul celui qui est apte à la domination est
vraiment digne d'être libre. « Le problème de la
hiérarchie » est celui-là même
des « esprits libres ».754(*) Dériver les formes
politiques du rapport entre les puissances, au lieu de réduire le
gouvernement au rang d' « organe du peuple. » La
dévalorisation de la vie domine l'histoire de l'Occident dont le
Christianisme a été le principal relais culturel.755(*) Au lieu de la culture qui
crée au terme d'un dur processus de « dressage et
sélection », la loi est valorisée comme instrument
d'éducation.
La « justice » qui veut la
hiérarchie, doit aussi établir un équilibre entre les
forces opposées et le plaidoyer de Nietzsche pour les
« Maîtres » qui a surtout valeur de
réparation, dans un monde dominé par les valeurs
égalitaires.756(*)
A une société fondée sur l'agir
stratégique d'échanges matériels nous opposons l'a priori
d'un l'agir communicationnel. Bien que restant dans une perspective de
l'historicité, ici nous opposons l'égalité des partenaires
dialogaux qui, au moyen de l'interchangeabilité des rôles sociaux,
s'éloigne de la hiérarchie. Tout cela à partir des
présupposées de la structure du dialogue. En plus, Habermas
développe en morale une position constructiviste : « le
monde moral que, en tant que personnes morales nous avons à faire
advenir, possède une signification constructive. C'est la raison pour
laquelle la projection d'un monde social inclusif, constitué par les
relations interpersonnelles bien ordonnées intervenant entre les
membres, libres et égaux, d'une association s'auto-déterminant -
traduction du Royaume des fins de Kant-, peut servir comme substitut à
la référence ontologique à un monde
objectif »757(*). Cette conception de la réalité inclut
essentiellement la notion d'une communauté sans limites bien
définies. Peirce explicite la vérité dans le sens d'une
acceptabilité rationnelle, c'est-à-dire de la réalisation
d'une prétention à la validité critiquable dans les
conditions de communication d'un auditoire idéalement élargi dans
l'espace social et dans le temps historique, et composé
d'interprètes capables de jugement. 758(*)
Contre Nietzsche, Habermas écrit : « Le
problème n'est pas de devenir plus fort que l'autre, mais de se laisser
emporter tous deux par la force de la vérité en présence.
Le dialogue suppose dans une visée commune, un horizon commun
d'interrogation ».759(*)
4.4.3. De l'Afrique aujourd'hui
Quelle est la situation actuelle de l'Afrique ?
« Jamais les disparités entre riches et pauvres en termes
d'opportunités à l'échelle mondiale n'ont
été aussi importantes qu'aujourd'hui. A en croire le programme
des nations unies pour le développement (PNUD), le cinquième de
la population mondiale vivant dans les pays les plus riches se partage 86 % du
PIB mondial contre à peine 1 % pour les pauvres ; 82 % des
marchés d'exportation contre à peine 1 % pour les plus
pauvres ; 68 % des investissements directs étrangers contre
à peine 10 % pour les plus pauvres ; 75 % des lignes
téléphoniques mondiales contre à peine 1,5 % pour les plus
pauvres ».760(*)
Alors les gens se posent des questions : « cet accoisement des
disparités est-il la conséquence inévitable de
l'intégration économique mondiale ? Certains le disent, pour
qui l'inégalité est consubstantielle au mode de production
capitaliste. (...) Verra -t-on, au contraire, un renversement de
tendances ? Certains l'affirment, pour qui la convergence est au bout des
efforts de coopération et de partenariat à intensifier, et le
développement humain durable « la nouvelle
frontière »la lueur d'espoir sur laquelle il faut mettre le
cap ».761(*)
Dans tous les cas de figure, il y « la
nécessité de mener un combat vigoureux contre l'idée,
d'autant plus pernicieuse qu'elle n'est pas toujours formulée de
façon explicite, selon laquelle l'Afrique peut être mise entre
parenthèses, oubliée dans les scenarios globaux, car
placée ou s'étant placée en position de hors-jeu
économique ».762(*) Et : « La tendance au déclin,
qui se donne à lire dans la faible productivité du travail et du
capital en Afrique, et le recul de la part de l'Afrique dans la production
manufacturière mondiale et le PIB mondial, ne serait pas prêt de
s'inverser ».763(*)
Pour nous « dans le contexte actuel (d'une crise
profonde du capitalisme )où les enjeux géoéconomiques et
géopolitiques d'hier se redéfinissent en même temps que se
renégocient les nouvelles relations en matière de commerce
international, qui élaborent de nouvelles normes globales et un
calendrier de mise en oeuvre de celles-ci », il faut un nouveau cahier de
charge , notamment celui que nous avons essayé d'ébaucher dans
cette réflexion critique ,auto -critique et prospective, pour la mise en
place d'un grand lobbying africain afin d'être présent dans toutes
les arènes où se négocient l'ordre nouveau et faire
prévaloir la pensée et la vision africaine du futur.
Du point de vue de l'Afrique « la mondialisation de
l'économie nécessite des structures, des processus et des styles
de gouvernance nouveaux dans lesquels la transparence, la collecte, le
traitement et la dissémination de l'information, l'adaptabilité
aux changements dynamiques, la souplesse, le dynamisme et l'innovation sont
plus importants que jamais » 764(*). Il est également également autre
chose : « bien que les gouvernements africains doivent
éliminer tous les obstacles inutiles sur la voie de l'investissement
privé, national et étranger, et des échanges , un cadre
réglementaire adéquat , et à l'abri de la corruption ,est
également nécessaire pour protéger l'intérêt
public ,tant pour les générations actuelles que futures, et
éviter la volatilité élevée des flux
financiers ».765(*)
Notre thèse est la suivante : ce dont l'Afrique a
besoin c'est une orientation unique de fédération de ses
problématiques et de ses recherches. Pouvoir regarder dans la même
direction pour consolider ses divers atouts. La pensée kheperienne offre
cette possibilité. Toute division apparente en Afrique est d'abord au
niveau plus profond, celui de la segmentation des savoirs endogènes.
Avec cette division c'est toute l'efficacité du savoir qui est en
question. Mais comment mettre les africains ensemble ? La réponse
est soit autour des grands travaux soit à partir des savoirs
fédérateurs des enjeux communs.
Par ailleurs, la question de fond de notre analyse est
présentée par Jean Kinyongo: « Comment corriger ce que
Brunetière qualifiait, au 19 è siècle, de
« faillite de la science » à cause de l'impuissance
de recherches positives de l'époque à résoudre les
problèmes fondamentaux de l'homme et de l'entente entre les
hommes ? »766(*) Et il continue, « si René Girard
citant Durkheim a raison de soutenir que le spirituel doit être à
l'origine de tout (cfr. Les choses cachées depuis l'origine du
monde) et si Malraux, prophète d'un XXI ème siècle
spirituel, a lui aussi raison, alors il nous faut, dit-il, chercher de ce
côté -là une manière qui puisse combler le vide de
l'humain dans ce monde et, par là, permettre d'appeler une convergence
planétaire des peuples et des nations plus responsables que par le
passé. »767(*) Après l'exposition d'une manière
africaine de percevoir l'identité et la vocation historique de l'homme
et des peuples ,puisée dans le célèbre mythe de la
création de l'univers et de l'homme dans la tradition de Komo chez les
Bambara, Kinyongo conclut de cette manière-
ci : « ce que doit être notre mission au 3 ème
millénaire dépend de la manière dont nous nous comprenons
maintenant , de la nouvelle compréhension que nous avons de
nous-mêmes, de notre monde , de notre façon de devenir de plus en
plus présent au monde ,et de rendre celui -ci de plus en plus
présence ».768(*)
« Notre vocation historique, poursuit Kinyongo, en
tant que présence fut surtout de bien nommer le monde, les choses et de
les appeler à l'existence, nous les avons effectivement appelés
à l'existence, mais de manière inadéquate. Nous devons
maintenant les appeler et nous appeler à une nouvelle existence pour
plus de présence et plus de participation en vue de rendre la vie de nos
semblables plus humaines. »769(*) Il faut finalement joindre à l'entreprise de
la recherche pour combler le vide de l'humain dans le monde, la construction
subséquente d'une réalité sociale à jamais
dynamique. « Le stade le plus élevé de la
réflexion coïncide avec un progrès dans l'autonomie de
l'individu, avec la suppression de la souffrance et avec l'avènement
d'un bonheur concret ».770(*)
Ces questions que nous abordons pourraient passer pour
être non scientifiques pour au tant que la science s'occupe des questions
de comment, mais ne faudrait -il pas reposer aujourd'hui dans le contexte des
sciences la question véritable du pourquoi ? Parce que pour nous
africains en tout cas, la maîtrise de notre espace vital et
institutionnel reste sujette à caution. Parce que comme le rappelle
Pierre Mutunda avec la docte ironie qui le caractérise : notre
« société est engagée dans une dérive qui
à tout moment peut culminer dans une implosion mentale collective.
Désemparés, les hommes et les femmes ne savent plus à quel
saint se vouer. (...) Le peuple dépouillé de son identité
et du patrimoine ancestral, affamé part ses propres fils qui lui
imposent un nouvel esclavage sous l'oeil indifférent de la
communauté internationale, voire avec la complicité de
l'Occident, chosifié par l'escroquerie de sa classe politique, la
cupidité des `opérateurs économiques', la roublardise de
ses intellectuels diplômés jusqu'aux dents ,mais incapables de
résoudre un seul petit problème sans le concours du ''Blanc'' ,ne
sait plus à quels idéaux souscrire, quel prophète suivre
,quels lendemain espérer ».771(*)
Sommes - nous en Afrique Noire installés dans une
philosophie de la crise qui, finalement n'a pour mérite que
d'être, comme le dit Pierre Mutunda Mwembo, une « tâche
d'une remontée archéologique aux sources d'une historicité
qui se chiffre de manière déficitaire. (...) Une telle
situation est déjà provoquée par l'afro- pessimisme, cette
attitude défaitiste et démobilisatrice qui, `'sur le
marché des écrits médiatiques et idéologico
-scientifiques,...est une valeur sûre depuis plusieurs
décennies'' ».772(*)
Puisque nous évoquons l'histoire, nous dirons dans le
même sens avec Jürgen Habermas que
« l'irrationalité de l'histoire trouve son fondement dans le
fait que c'est nous qui la « faisons », sans pouvoir
jusqu'à présent le faire en toute conscience. C'est pourquoi on
ne fera pas progresser la rationalisation de l'histoire en étendant le
pouvoir de contrôle d'hommes..., mais seulement en élevant le
niveau de réflexion et en aidant la conscience des individus
agissant à progresser dans
l'émancipation. »773(*) Paradoxalement, « les potentialités
sociales des sciences, dit Jürgen Habermas, se sont réduites
à l'exercice d'un pouvoir technique et ne peuvent plus être
considérées comme les potentialités d'une action
éclairée ».774(*)
Quelle est pour nous la tâche urgente ? Comme le dit
encore si bien Mutunda, il a s'agit « de déblayer des voies et
moyens pour une reprise de l'initiative historique par l'Africain, une
mobilisation des énergies en vue d'assumer l'existence, de
l'infléchir en une destinée voulue et maîtrisée,
orientée vers une réalisation positive de la
vie ».775(*)
4.5. Conclusion partielle :
La question du réalisme chez Searle et le
kheper
Poser la question du réalisme et du constructivisme,
c'est poser la question de la fondation de notre connaissance, ou encore de l'a
priori ontologique du constructeur. Le réalisme searlien dont nous
parlons est consécutif au fait justement que la construction sociale
scientifique ou ordinaire suppose toujours déjà un a priori
à partir de quoi on a construit. Il y a en effet toujours du Réel
(au sens ontologique), dans la construction sociale. John Searle se situe au
milieu d'une activité qui porte sur deux démarches
extrêmes. Du point de vue des modernes, la démarche semble
répondre au mot d'ordre de détranscendataliser
l`idéalisme d'Emmanuel Kant par son extrême, c'est-à-dire
par le matérialisme, la naturalisation ou biologisation de la
connaissance. Nous notons justement qu'à l'opposé de la
construction, le paradoxe de la déconstruction est à la suite de
Pierre Bourdieu que « « la
déconstruction » (...) omet de
« déconstruire » le
« déconstructeur ». (...) Le philosophe sans lieu ni
milieu, atopos, entend échapper, selon la métaphore
nietzschéenne de la danse, à toute localisation, à tout
point de vue fixe de spectateur immobile et toute perspective objectiviste,
s'affirmant capable d'adopter, en face du texte soumis à la
« déconstruction », un nombre infini de point de vue
inaccessibles tant à l'auteur qu'au critique.» 776(*) Cette conception de Bourdieu
n'est pas loin de celle de Searle.
Nous soulignons le fait que le réalisme searlien
s'imbrique dans la théorie du Devenir greffé du langage
et de la conscience. L'ossature complète de cette doctrine est
déjà bien présente dans la tradition africaine.
Le potentiel théorique dont regorge le concept de
kheper, notion essentielle pour l'avenir des sciences sociales
africaines, peut encore être exploité pour les crises qui
assaillent notre monde commun, qu'il s'agisse de la crise du capitalisme, de la
crise alimentaire, de la crise de l'environnement, et autre. Cette notion est
née du sol africain. La dimension du divin que recèle le
kheper , dimension prophétique à en croire
d'André Maulraux devait être théorisée pour une foi
nouvelle dans la « réalité sociale », qui est
en danger de s'effondrer puisqu'encore fragile. La leçon pour nous
africains, c'est la confiance en nous-mêmes comme créateurs et
promoteurs de notre destinée dans le concert du village
planétaire.
CONCLUSION GENERALE
Nous aimerions dans cette conclusion présenter les
résultats, auxquels nous sommes arrivé après l'application
de notre méthode de reconstruction philosophique au-delà du fait
qu'une bonne partie de notre exposé a tout simplement été
réflexive. Notre réflexion a voulu après la
présentation de l'exigence de rénovation des sciences sociales en
Afrique, restituer la double doctrine du « réalisme et du
constructivisme ». L'objectif était d'étudier la
réalité sociale, telle que reprise en sciences sociales
aujourd'hui, à partir des traditions philosophiques antiques, et de sa
reconstruction comme philosophie de la Nature, de sa reprise dans l'approche
structuro-fonctionnaliste. En effet, ceci importe car le fonctionnalisme
d'Emile Durkheim et l'anthropologie structurale de Claude Lévi-Strauss
ont constitué une double approche est restée paradoxalement
encore dominante en Afrique ; et leur réplique dans la double
approche pragmatique et cognitive chez John Searle nous a servi de
réflecteur.
Dans le prolongement des approches structuro-fonctionnaliste
et dialectique en sciences sociales, le débat essentiel actuellement est
entre l'holisme et le naturalisme, dans la mesure où il s'agit bien
là de deux formes de « causalisme (externe
/interne) ».777(*) En effet, « le débat avec les
sciences cognitives et le naturalisme a pris beaucoup d'ampleur (...) l'holisme
lui-même réapparaît ou tend à
réapparaître, au moins dans nombre d'études
philosophiques...le contexte d'une critique des sciences cognitives ...cela
veut dire aussi que le débat avec (...) le constructivisme social n'est
pas le seul débat actuel ».778(*) Tel a été le contexte actuel de notre
discussion.
Pour une étude plus approfondie, nous avons
abordé plusieurs questions théoriques, en l'occurrence, la
construction scientifique ad hoc tant bien sur la causalité que
concernant les quatre méthodes dominantes en sciences sociales (le
structuralisme, le fonctionnalisme et/ou systémique et la dialectique).
Ces quatre méthodes peuvent être subsumées en sociologie,
en démographie, en ethnologie ou anthropologie structurale et en
psychologie sociale, tout cela avec un statut explicatif problématique
pour l'Afrique Noire. Cette situation appelle une vision relativiée des
sciences sociales qu'une approche réaliste réfute. Nous sommes
tout de même parti de la théorie du relativisme avec pour fond ou
filigrane cette autre théorie de la mentalité primitive de Lucien
Lévi -Bruhl dans un contexte de philosophie du langage.
Chemin faisant, nous nous sommes particulièrement
attelé à l'étude critique de la pensée d'Emile
Durkheim dans son livre intitulé : Les règles
de la méthode sociologique. Justement le chapitre IV qui se
focalise sur : les règles relatives à la constitution des types
sociaux. Ce chapitre vise à montrer les parties constitutives dont est
formée toute la société. Ainsi, pour Durkheim
« l'évolution sociale commence par de petits agrégats
simples ; qu'elle progresse par l'union de quelques-uns de ces
agrégats en agrégats plus grands, et d'après s'être
consolidés, ces groupes s'unissent avec d'autres semblables à eux
pour former des agrégats encore plus grands ».779(*) Il s'agit des fameux
éléments minimaux qui structurent le mental, le langage et
l'interaction au moyen des systèmes de règles et de
l'Arrière-plan intentionnellement ou pas. Comme on pourra l'apercevoir,
à la lecture de ce chapitre, Durkheim n'en donne qu'une ébauche
sommaire, tout en affirmant le fait que « ce problème trop
complexe pourrait pouvoir être traité ainsi (tel qu'il le fait),
comme en passant ; il suppose, au contraire, tout un ensemble de longues
et spéciales recherches ».780(*) Searle tente de continuer justement ces recherches,
nous par ailleurs aussi.
Jean-Michel Berthelot présente une
périodicité topologique des repères chronologiques
à propos des sciences sociales dont la reconstruction de Searle essaie
de tenir compte. En effet, «l'histoire des sciences sociales donne le
spectacle d'un passage d'une polarité à l'autre (par exemple de
structuralisme (pôle II) à l'individualisme méthodologique
et au « au retour de l'action» (pôle II) dans les
années 1970- 1990 ; de ces dernières à un possible
retour au naturalisme causal ou fonctionnel (pôle I) (Van Parijs,
1981 ; Kincaide, 1996 ; Sperber ,1996) dans la période
actuelle ».781(*) Searle réunit en un seul système ces
deux grandes périodes.
La portée de la théorie analytico- cognitiviste
de la construction de la réalité sociale de John Searle a permis
de reconstruire plusieurs autres approches mêmes non analytiques. La
réflexion s'est poursuivie vers des reconstructions des
« sciences sociales et des philosophies » diverses et de
« sciences sociales africaines » en particulier.
Toutefois, notre thèse est partie de ce que nous
appelons les limites institutionnelles actuelles face à l'enjeu de
domestication des crises sociales, et de la nécessité pour nous
de recourir à l'onto-théologie pour saisir le changement
drastique de la réalité sociale. Aujourd'hui, le contexte
général des théories de la « construction de la
réalité sociale » se situe à notre sens dans la
recherche de ce genre de ressources onto-théologiques. Notre
thèse s'est ressourcée fondamentalement dans les traditions
africaines millénaires et plus ou moins récentes qui ont un
impact certain sur la philosophie et la science sociale. Nous avons
présenté les aspects aussi bien ontologiques
qu'épistémologiques parce que la philosophie des sciences
sociales, par rapport à quoi nous nous situons, contient en son sein une
ontologie sociale, une épistémologie sociale et une
méthodologie. Une des idées sous-jacentes à notre position
fait prévaloir, c'est que la philosophie et la science restent
inextricablement liées.
Notre exposé a présenté ainsi les
différents aspects, liés aux phénomènes sociaux, de
l'existence de la « réalité sociale » en
général. Il a fallu définir le constructivisme en
opposition avec le réalisme, le fameux dualisme entre la forme et la
matière, les particularités du constructivisme et du
réalisme. Le livre de John Searle intitulé La
découverte de l'esprit qui se penche sur la question de la
philosophie des sciences sociales en problématise la question
du dualisme cartésien, la question se développe aussi dans
d'autres de ses livres : L'Intentionnalité et dans La
construction de la réalité sociale. Les chapitres VII et
VIII de La construction de la réalité sociale sont
consacrés à cette question particulière du
réalisme, Searle y réfute les autres conceptions concurrentes du
réalisme pour présenter sa propre conception, étayant
« l'un des buts de ce livre (...) montrer comment cela est possible,
comment le monde des institutions fait partie du
monde « physique » ».782(*) Ainsi, le réalisme
est chez lui un outil méthodologique sur l'analyse de la
réalité sociale, le réalisme nous renseigne sur
l'Arrière-plan qui est une condition d'intelligibilité de la
réalité sociale. Pour arriver à montrer l'apport et la
faiblesse de John Searle, nous avons tenté de déconstruire sa
pensée en la démontant pour la reconstituer enfin ; nous
avons démontré « les théories dont on entreprend
l'appropriation critique » et « sa pensée propre se
retrouvant à l'horizon d'une (interprétation) des théories
critiquées ».783(*)
La méthodologie de la reconstruction que John Searle a
utilisée ne lui est pas exclusive ;elle a été
thématisée et pratiquée abondamment par plusieurs auteurs
dont Rudolf Carnap dans son livre La construction logique du monde et
Jürgen Habermas. Il a fallu expliquer le concept de la
réalité sociale en le redéfinissant. Rudolf
Carnap : « entends, par reconstruction rationnelle la
recherche des nouvelles définitions pour d'anciens concepts. ( ...) Les
nouvelles définitions doivent l'emporter sur les anciennes en
clarté et en exactitude et surtout mieux s'intégrer dans un
édifice conceptuel systématique. Une telle clarification
conceptuelle, poursuit-il, souvent nommée aujourd'hui
« explication », me semble demeurer l'une de tâches
les plus importantes de la philosophie, notamment lorsqu'elle se rapporte aux
principales catégories humaines. »784(*)Une telle clarification peut
se faire soit avec un concept unique soit avec plusieurs concepts.
John Searle a utilisé plusieurs concepts au niveau
théorique et conceptuel, les règles constitutives,
l'intentionnalité, l'intentionnalité collective,
l'Arrière-plan, etc. Nous avons tenté un dépassement par
le concept de kheper en faisant l'inverse, présenter une
clarification des nouveaux concepts par des anciens. C'est justement dans la
ligne de l'ontologie sociale que les chercheurs en sciences sociales, John
Searle compris, tentent une reprise à nouveau frais de l'étude la
réalité sociale avec la notion centrale de back ground ou
d'Arrière-plan. La transformation épistémologique
searlienne de plusieurs approches en sciences sociales et humaines, tient
à l'opérationalité et à la fécondité
de ce concept et outil central qu'il utilise, tel qu'il se trouve être
au centre de son entreprise programmatique. L'effort
épistémologique que nous déployons tente de dégager
les lignes de force des constructions théoriques de l'approche
analysée. Notre explicitation devait avoir pour but de tenter de montrer
aussi son innovation.
Il s'agissait également de chercher des relations soit
observables soit conceptuelles : il s'agit en fait de réduire
les concepts des choses à des concepts psychiques ou d'autres concepts
des choses au moyen des artifices mathématico-logiques. John Searle
passe du langage organiciste au langage logique à l'instar de Charles
Sanders Peirce à l'instar de ses trois grandes catégories de
priméité, secondéité et de tierceité. Les
règles de coordination liant les termes théoriques aux termes
observationnels, ceux du psychisme à ceux du monde vécu dans son
approche pragmatico- cognitiviste.
Jürgen Habermas utilise également cette
méthode. Chez lui la méthodologie a deux acceptions. La
première acception se comprend comme une recherche du caché et
comme une mise en évidence de l'implicite. 785(*) Elle fonctionne à
cette étape comme une restitution. La deuxième acception de la
méthode de la reconstruction est liée à tous les
philosophes de génie qui ont pratiqué pareille reconstruction
systématique et/ou historique des philosophies et des traditions
scientifiques antérieures. A cette étape l'auteur utilise les
concepts centraux restitués ou construits. La reconstruction
philosophique se fait en Egypte( à l'école Memphitique ou
Héliopolitainne ou autres ) avec la concept de kheper, chez
Anaximandre avec l'apeiron, chez Aristote autour du couple
Matière et Forme, René Descartes dans la philosophie de
la Nature autour de l'espace homogène et de mouvement local, chez
Leibniz avec le concept d'entéléchie , la force qui remplace la
forme , Placide Tempels en philosophie africaine autour de la « force
vitale », John Searle avec la bipolarité de « forme
et matière » ou du constructivisme /réalisme qui
traverse sa logique illocutoire , sa théorie de direction d'ajustement
de l'esprit vers le monde ou vice-versa, son réalisme non relativiste,
son Arrière-plan, en tant que capacité , aptitude non
représentationnelle, etc.
L'intérêt d'une réflexion de ce genre,
à notre avis, rejoint, pour le rappeler une fois de plus, les
contributions parues en 2007 réunies dans le livre intitulé
Les sciences sociales au Congo -Kinshasa : Cinquante ans
après : quel apport ?786(*) En effet, les spécialistes en sciences
humaines au Congo-Kinshasa en appellent aujourd'hui à une recherche
urgente de l'innovation sur le terrain africain. Pour nous, repenser
fondamentalement les sciences sociales devrait revenir à subsumer leurs
présupposés philosophiques. Ces liens ne semblent suffisamment
pas pris au sérieux par beaucoup de scientifiques pour rénover
leurs approches.
Des problèmes épistémologiques des
sciences sociales en Afrique sont de plusieurs ordres, nous nous sommes
contenté d'en esquisser quelques uns, du moins quelques concepts
centraux des études sociales africaines en mettant au clair, dans le cas
d'espèce, les structures théoriques sous- jacentes ou l'ontologie
sociale de ces courants et écoles. Plusieurs théories de la
société se chevauchent, l'effort de les distinguer à
partir de certains concepts opératoires ou schèmes
théoriques distincts liés à chaque école
théorique, se ferait justement sous le nom générique de la
reconstruction philosophique. Une telle tâche que nous nous sommes
assignée a demandé de dialoguer avec d'autres experts de la
théorisation sociale afin de prendre acte de la
multidimentionnalité d'une telle recherche.
John Searle est entré dans notre stratégie
argumentative, il nous a servi de balise et de cadre. Le nom de Searle est
repris constamment dans notre travail, il n'a cessé de revenir. En
fait, cet auteur est philosophe analytique et aujourd'hui cognitiviste, de
l'Université California Berkeley des Etats-Unis
d'Amérique ;sa pensée nous a prêté un
dispositif essentiel dans notre stratégie argumentative. Son importance
est qu'il retourne théoriquement aux sciences sociales classiques et aux
fondateurs pour remonter jusqu'à aujourd'hui. Le Professeur John Searle
traverse, dans l'optique analytique et cognitivistes tous ou presque tous les
grands débats philosophique et scientifique contemporains
inhérents. Il nous a servi d'accompagnateur pour visiter critiquement
certains de ces grands débats qui ont trait à la
« réalité sociale » qu'il aborde
sérieusement depuis 1995. Il nous servi en fait de partenaire de
discussion sinon de réflecteur.
Du point de vue de la question de la décolonisation
intellectuelle, pour dépasser le langage de la philosophie moderne qui
présuppose la colonialité , il nous a fallu un auteur analytique
qui se situe dans la continuité de cette ligne et qui aborde notre
problématique directement ou indirectement. Il se fait que John Searle
se situe dans cette ligne ; il oeuvre dans la pragmatique prise ici au
sens des théories de signification à la suite de la tradition
américaine de Charles Sanders Pierce (de sa sémiotique et de son
naturalisme) ou plus immédiatement à la suite de John Austin.
Nous devons dire que John Searle nous a servi ainsi à cette fin et nous
a servi également comme pierre de touche de l'approche de la
construction analytique et cognitiviste de la réalité sociale.
Nous sommes parti des reconstructions théoriques que
nous supposons les plus « avancées » entant que
paradigme dominant, puis en descendant vers les théories dont
celles-là se démarquent et,en ,en situant le courant dans lequel
les théories dites les plus avancées se trouvent. Dans le cas
d'espèce, la théorie pragmatico-cognitiviste de la construction
de la réalité sociale de John Searle se démarque des
philosophes- sociologues fondateurs des sciences sociales, i.e., de la
sociologie classique, et se situe elle-même dans la révolution
sémiotique de Peirce (qui anticipe la révolution linguistique et
pragmatique de Ludwig Wittgenstein) ,qui est construite sur des relations
cosmologiques et logique de priméité , de
secondéité et de tierceité. Toutefois, sont restés
des aspects eurocentriques que nous nous sommes évertué de
relever.
La philosophie des sciences sociales mobilise aujourd'hui des
philosophes qui s'efforcent d'être informés de l'état des
recherches empiriques , de leurs limites mais aussi de leurs
résultats ; en tant que telle, elle n'est plus seulement une
méthodologie, elle reconnaît des relations à
l'épistémologie générale et prend au sérieux
les questions que l'on appelle aujourd'hui l'ontologie sociale, une
redéfinition des concepts centraux en sciences sociales : fait
social, action sociale, etc. Repenser fondamentalement les sciences revient
aussi à subsumer les présupposés philosophiques.
Ces constats ne préjugent pas une sorte de
supériorité de la philosophie par rapport aux sciences. Il y a
des liens de réciprocités ou de discontinuité.
L'inspiration durkheimienne ou même celle de Pierre Bourdieu sont de
plusieurs côtés puisées entre autre dans la
philosophie ; ces liens doivent être pris en compte pour
rénover les approches, ce que la plupart des spécialistes en
sciences humaines en Afrique ne semblent pas mettre suffisamment à
profit.787(*)
En effet, sans vouloir placer la philosophie dans une position
illusoire de supériorité ,rappelons des propos qui nous
conviennent parfaitement dans ce contexte, avec Renée Bouveresse , une
« controverse a semblé évidente entre l'activité
philosophique et celle des praticiens des sciences humaines, aboutissant
à un accord à l'amiable et à une répartition des
rôles :les sciences humaines fournissent des matériaux ,la
philosophie confronte ces matériaux entre eux ,et essaie de les
intégrer dans des schémas conceptuels unitaires ,schémas
qui d'ailleurs peuvent ,une fois élaborés, répartir vers
les sciences humaines et servir à découvrir de nouvelles
régions de l'expérience ».788(*) Tel nous semble être
le cas ici. Le paradigme cognitiviste prend au sérieux
l'idée que la science et la philosophie forment une
unité inextricable. Francisco Varela prenait « au séreux
l'idée qu'il n'y a pas de distinction très nette entre la science
et la philosophie, des philosophes comme Descartes, Locke, Leibniz, Hume, Kant
et Husserl ont revêtu une nouvelle importance : on pourrait les
considérer, être autres, comme des
protocognitivistes ».789(*)
En effet, le courant analytique a le plus insisté sur
la complémentarité de la philosophie et des sciences humaines,
cela pour deux raisons :
Il y a un accord de sensibilité entre les sciences
humaines « compréhensives » et la philosophie
analytique. Le principe le plus fondamental de l'activité analytique
consiste à décrire les activités psychologiques des agents
(entendus comme des actes de pensée ayant la même structure que
les actes de langage) en termes de modifications du monde visé
intentionnellement ou représenté langagièrement par eux.
Sur base de cette convergence des analyses, la philosophie
analytique croit aussi pouvoir affirmer que son projet est
nécessairement complémentaire des sciences humaines.
Au demeurant, la philosophie telle qu'elle se pratique
globalement encore dans notre Université est perçue globalement
par les autres collègues enseignants comme un discours
« dépassé » ; philosopher serait
s'enfermer dans des concepts que seuls nous philosophes comprenons. Le contexte
dans lequel prend forme la réflexion que nous proposons. Nous trouvons
à propos qu'il y avait un besoin d'échange théorique
réel qui demandait de jeter des ponts pour relier les sciences sociales
et humaines ; en général - le travail de Pierre Bourdieu par
exemple offre un modèle de ce genre. Pierre Bourdieu n'est pas
très connu dans une tradition où l'essentiel du personnel vient
des grands séminaires. Un tel contexte contrastait avec
l'épistémologie telle qu'elle s'enseigne dans notre
Université qui semble rester plutôt
« générale », alors que autres chercheurs
semblent attendre un échange théorique
« compréhensible » de notre part pour qu'ils se
dédouanent des multiples « impasses » qui ont
jeté leurs sciences dans une véritable routine, en même
temps que si de notre côté leurs calculs statistiques et
méthodes quantitatives pour les enquêtes sociales de tous ordres
nous laissaient pantois. En témoigne leur cri de coeur ; qu'il
suffise pour cela de citer plus récemment Bongeli Yeikelo Ya
Ato : « Le moment présent, marqué par une
crise multiforme et en apparence cyclique, se prête le mieux à la
réflexion épistémologique ».790(*) Et :
« L'impasse dans laquelle se trouve plongées les connaissances
produites face à une crise rebelle et le blocage actuel en sciences
sociales sur l'Afrique en général et le Congo en particulier
nécessitent que l'on s'interroge sur la validité des
méthodes classiques »791(*). Et : « Les réalités
sociales africaines, par exemple, peu ou mal étudiées sont
difficiles à reconstituer à partir de ses seules techniques
dominantes de recherche ».792(*) Sans avaliser l'ensemble de ces propos, il faut dire
que là gisait notre motivation. C'est avec la volonté de tenter
de rencontrer ces multiples attentes que nous avons, bien au delà de ces
trois années de thèse de Doctorat, ces recherches diverses qui
attendaient une hypothèse adéquate pour les mettre en
ordre : le kheper.
Le thème de notre étude a été
justement La problématique de rénovation des sciences sociales,
lecture et reprise critique de la théorie searlienne de la construction
de la réalité sociale. Il faut avouer que les différents
sous- titres de cette dissertation que nous proposons devenaient, au fil des
recherches et par la force de développement de la réflexion, des
chapitres. Nous voulions traiter du statut des normes dans le contexte de la
mondialisation, le thème s'est retrouvé en arrière-plan
par rapport à un examen critique nécessaire de la doctrine du
constructivisme ; l'essai de reconstruction des thèses de John
Searle est un thème s'est qui retrouvé « mis en
minorité » par la profondeur des traditions africaines qu'il
contribue à illustrer qui le justifient en
« arrière-plan ».
Notre démarche a consisté donc à
déployer critiquement la théorie la reconstruction de John
Searle. Le défi était de taille devant la pluralité des
théories : évolutionnisme, fonctionnalisme, structuralisme, la
mouvance marxienne à laquellle Searle s'oppose, le constructivisme
radical, etc. Cette pluralité des démarches en sciences sociales
entraîne à coup sûr ce que Marc Maesschalck appelle la
« recomposition des cadres théoriques ».793(*) Sans être exempte
d'indéterminations, notre hypothèse a été de
montrer que toute reconstruction épistémologique et rationnelle
des sciences sociales dépend des outils théoriques indispensables
qui appellent chaque fois une évaluation. Le problème c'est que,
à la suite de Marc Measschalck, nous sommes à « la fin
de l'ordre conventionnel (qui) se marque par la multiplicité des
conflits de frontières entre les régimes de justification
».794(*)
C'est « l'aboutissement naturel de la modernisation sociale
caractérisée par le polythéisme des valeurs et la
différenciation du monde vécu en fonction de cette pluralisation
des régimes axiologiques ».795(*) Ceci nous ouvre à d'autres formes de
recherches : dans ce contexte on peut mesurer le sens réel du temps
social, le régime historique capable de réaliser un ordre
juridique durable et les conditions cognitives. En fait, démocratie et
formation juridique par exemple pourraient supposer un régime historique
au niveau génétique. Nous pouvons nous référer au
concept de réciprocité et de répétition dans
l'arbre conceptuel de la normativité des normes chez Marc
Maessschalck.796(*)
Notre approche a été ainsi globale,en
déphasage la conception continentale de l'épistémologie
d'inspiration cartésienne. La question concerne les différentes
distinctions de critiques intra et extra- épistémologiques. La
critique extra -épistémique touche les domaines
suivants797(*):
L'Histoire des sciences qui tente de retracer la succession, le
développement des interprétations, le déroulement et/ou la
croissance des idées et des débats scientifiques, et même
des ruptures théoriques ; la Sociologie des sciences qui ouvre
l'enquête autour des questions sociales, des options politiques
d'exigence des normes de rationalité, des discussions sur le financement
et la recherche scientifique, de la localisation des sociétés
savantes ou des clubs des savants ; la Psychologie de la connaissance qui
s'occupe de l'origine subjective des formes de la connaissance. La
question rejoint aussi la critique intra -épistémique de la
Méthodologie qualitative et de la Philosophie des sciences. Cette
réflexion peut donc faire partie de la philosophie des sciences qui
comprend outre la méthodologie, l'Ethique des applications
scientifiques et l'ontologie.
Le Professeur Marc Measschalck résume le cadre pour
repenser ces enjeux : il englobe la situation des conditions
institutionnelles nouvelles en tant que conditions d'une démocratie
d'acteurs collectifs, telles qu'elles se structurent sur l'approche
pragmatique, cognitive, génétique et dans le domaine
épistémologique. Il pose au niveau génétique la
question de la sortie de la colonialité du pouvoir, question de la
modernité/colonialité, la question des rapports intergroupes
dans la création du droit social, de l'épistémologie
frontalière, et donc de la construction des nouvelles arènes
publiques, de l'apprentissage comme coopération intellectuelle et
auto-gouvernante au niveau cognitif, c'est-à-dire des ressources
cognitives qui accompagnent la génétisation ( une
génétisation de l'agir ,de l'activation de puissance ou de
l'immanence de l'action recherchée) des acteurs collectifs, de
l'intelligence collective des formes de vie possibles, et du temps social dans
lequel elles peuvent se réaliser, et enfin au niveau
épistémologique , c'est-à-dire de l'interprétation
de la normativité propre à l`identification des ressources , du
point de vue immanent et de la transformabilité des affects.798(*)
Epistémologiquement parlant, l'heure parait à
plusieurs égards comme le moment de sauvetage général qui
est propice à la définition d'une nouvelle réalité
sociale : « dans la position constructiviste, l'organisation du
réel fait appel à l'équilibre entre les extrêmes.
Ainsi, elle reconnait une gamme de possibilités entre la
séparation et la connexion, entre l'inclusion et l'exclusion ;
c'est la pensée intégrée ».799(*) Et : « Les
constructivistes valorisent les stratégies objectives et les
stratégies subjectives dans leur façon de connaître selon
les contextes et les situations (...) (et) deux aspects distinguent la position
constructiviste des autres positions : l'intégration des voix
intérieures et extérieures et l'émergence d'une parole
authentique ».800(*)
Fabrice Clément et Laurence Kaufmann concluent au fait
qu' une fois réagencé, le système de Searle
peut malgré tout rendre de grands services aux sciences sociales en
permettant de réconcilier des démarches souvent conçues
comme radicalement antagonistes. 801(*) Les concepts principaux sont moulés dans un
seul réceptacle théorique. Ce réceptacle est
élaboré par John Searle sur plus de trois décennies en
suivant l'évolution de la science sociale et humaine. « Bien
que, pensent Fabrice Clément et alii, pendant fort longtemps, Searle
n'ait pas véritablement organisé ses interrogations dans une
démarche systématique, il est néanmoins possible de
décomposer son oeuvre en une série d'étapes qui, sans
avoir été nécessairement planifiées, dessinent en
creux une construction théorique qui se révèle remarquable
à plus d'un titre ».802(*) Nous nous sommes attelé à cette
tâche.
Cette façon de procéder a rejoint la question de
la fondation théorique des connaissances, en partant des sciences
sociales. Tiercelin, dans le post face de l'ouvrage de John Searle
intitulé La construction de la réalité sociale
signale sans ambages le fait que Searle rappelle toutes les sciences humaines
à l'ordre de leur fondation.803(*) Tout cela parce que, « dépourvues
d'une fondation théorique (...), les diverses recherches tendent
à générer leur propre typologie et à faire
coexister les instruments d'analyse qui, force de se régler sur leur
objet, deviennent des « simples » outils descriptifs
».804(*)
L'effort épistémologique que nous avons
déployé en tant que critique de l'objectivité scientifique
a tenté de dégager les lignes de force des constructions
théoriques de chaque approche analysée. Cette activité de
recherche essaie ainsi de mettre au clair, par ricochet, la structure
théorique sous - jacente ou l'ontologie sociale des courants et
écoles.
Au demeurant , d'un point de vue concret et pratique, nous
sommes parti du fait que le constructivisme social en général est
un démenti d'une longue tradition des sciences sociales et humaines qui
ont élu domicile ,sous le prétexte d'une réponse aux
mutations sociales et culturelles profondes aussi bien en Europe qu'en Afrique
(la décomposition des normes et leurs différents modes de gestion
qui appelle des médiations diverses, la différenciation de mondes
vécus et de systèmes, le désajustement des classes
sociales ,les sociétés très différenciées,
la rationalisation téléologique selon le terme de Jürgen
Habermas que Lukacs assimile au capitalisme, le passage des institutions aux
dispositions, l'exclusion sociale, bref, le désordre social et culturel,
etc.). Le constructivisme est une réponse aux problèmes
liés au statut épistémologique des savoirs, entendez
(l'absolutisation des savoirs et des normes venus de l'Europe).805(*)
A la question théorique et conceptuelle de
dépassement de la double approche structuro-fonctionnaliste, le concept
de kheper est notre paradigme de dépassement du conflit
réalisme -constructiviste. John Searle s'inscrit dans ce programme, il
le reconstruit ou l'enveloppe au point de vue de la double approche
linguistico-pragmatique et cognitiviste. L'icône ressemble au mode de
reproduction de la symbolique de « scarabée
égyptien » qui exprime le Devenir et le sacré.
Le constructivisme searlien est donc un programme a priori dans un contexte
onto- théologique au quel on fait recours et qui prend en compte
théoriquement les concepts centraux de : matière,
forme, langage, parole, actes de langage, états mentaux, et enfin le
divin.
En Afrique, spécifiquement, il s'est agi des
problèmes de l'ethnocentrisme occidental persistant, de la
« pauvreté », du déficit interne de la
gestion publique, etc. Les mutations sus - évoquées forment le
prétexte du renouvellement des théories et des approches en
sciences sociales :la norme est dès lors analysée dans une
approche globale qui implique la philosophie de droit, la philosophie politique
et la philosophie morale.
En somme, le constructivisme apparaît dans son usage
dominant comme une reconstruction épistémologique complexe de
reprise critique des acquis méthodologique, conceptuelle et
théorique à propos de la réalité sociale. Tout part
de la nécessité de la reconstruction de l'espace théorique
qui joue le rôle de fondement théorique pour saisir la nature
profonde de ces mutations, afin de considérer finalement sous un nouveau
jour l'ensemble des démarches antérieures.
Il faut cadrer le monde social bien plus complexe, on peut
schématiquement le présenter en trois sphères, toutes
traversées par une raison processuelle :
- La sphère stratégique des marchés, de
l'Etat lié au droit positif (positivisme juridique), de la connaissance
objective scientifique et de la technique, un monde qui se situe dans une
position de colonisateur par rapport à ces autres
sphères ;
- la sphère normative du monde vécu
(appropriation symbolique, production culturelle et institutions
traditionnelles et sociales), où nous trouvons la société
civile (tissu associatif, communautés, personnalités, espace
public), et ses usages sociaux : les droits de l'homme (jusnaturalisme),
l'opinion publique, la coutume, etc. et son arrière plan de
mémoire culturelle ;
- la sphère intentionnelle de la subjectivité,
le monde dramaturgique esthétique de l'art.
D'un point de vue de la philosophie africaine, nous avons
voulu faire nôtre cet appel de Crispin Ngwey qui pense que nous devons
maintenant penser autrement : « la philosophie africaine
sortie des revendications de sa possibilité, fatiguée
d'ethnophilosophie ne se sent-elle pas obligée ces derniers temps de
prendre à bras le corps le vécu réel des africains.( ...)
Plus fondamentalement, ne sera-t-elle pas obligée de s'esquisser
systématiquement en termes de révision, de métaphysique,
de l'éthique, de l'épistémologie et même de la
cosmologie plus élargies et plus susceptibles de nous offrir un cadre
conceptuel, spéculatif et même métaphorique susceptible de
permettre de penser l'homme de cette fin de XX è siècle à
nouveau frais ? »806(*) Une partie de notre analyse avait l'ambition de
participer à un tel élan. Pour nous, d'un point de vue
théorique, l'onto-théologie est le suppôt à partir
de quoi reposer le problème de l'Afrique. Il s'agit aussi de montrer les
dessous des sciences sociales. Nous avons tenté de reconstruire et
dégager les schèmes, les concepts centraux, les notions et
structures sous-jacentes et finalement d'aller à la genèse de
cette science pour identifier justement les acteurs, le leitmotiv, la nature,
la valeur de cette connaissance, les intérêts en jeu, etc.
En sciences sociales au Congo, la première
période pourrait être caractérisée par la science du
lointain. Ces sciences sont parties des grands travaux géographiques des
découvertes du bassin du fleuve Congo, dont notre destin en tant que
pays va dépendre ; ceci offre la structure et les conditions de
possibilités pour l'émergence de la science coloniale :
l'ethnologie, la colonisation comparée, l'administration indirecte, le
droit indigène, etc.
La science sociale congolaise est pourtant globalement
désajustée par rapport aux problèmes du pays.
Déjà, selon Poncelet, au lendemain de la deuxième guerre
mondiale, et à la suite d'un important activisme scientifique au Congo,
l'ensemble du dispositif métropolitain des savoirs coloniaux avouera son
extrême indigence quant à son accès sur le terrain. Face
à une crise sociale sans précèdent et à la nouvelle
attention internationale sur les colonies, on découvrira un Congo
dépourvu de toute possibilité d'appareillage scientifique
susceptible de reconfigurer l'image de la colonie, de donner à ses
responsables publics le sentiment qu'une direction nouvelle est à donner
à l'évolution sociale. Ce n'est guère qu'entre 1950 et
1955 que les universités descendront sur le terrain807(*). En fait, déjà
dans les années 1920-30, durant ce que Poncelet appelle l'âge d'or
de la science coloniale, seuls professaient des notables coloniaux, les
diplômés proprement dits portant le titre de licenciés sont
très peu nombreux.
L'indépendance du Congo fut en n'en point douter ce
moment qui consacra enfin la catastrophe épistémologique du
dispositif colonial savant. Le travail de la déconstruction à
entreprendre était, déjà alors, fort immense parce
que « dans les universités (belges), les centres de
recherche, les filières de cours, les diplômes, (aujourd'hui) les
dispositifs de coopération, etc., sont les héritiers directs de
l'institutionnalisation de sciences coloniales ».808(*)
Après la décennie 60 au Congo, les gros travaux
lancés furent une occasion manquée pour entamer collectivement
une reconstruction des présupposés théoriques et
idéologiques de cette science sociale coloniale qui a élu
domicile chez nous. Aujourd'hui, les gros travaux de reconstruction sociale
devraient être ce lieu d'évaluation du chemin parcouru et de
l'orientation théorique à prendre.809(*) Seulement ce genre d'enjeux
ne semble pas présent dans le processus d'élaboration de notre
science. Et qu'en dire pour un Etat qui octroie à la recherche une
allocation modique déjà difficile à décaisser sauf
pour des programmes bidons du secrétariat général au
Ministère de la recherche scientifique et technologique, qui se l'est
appropriée longtemps, un Etat qui ne prend pas en compte, avec son
Ministère , la vision de la science qui devait être
élaborée par le Conseil Scientifique National comme partout au
monde, un Conseil qui par ailleurs n'a même pas de bureaux. A se
référer aux administratifs entêtés, la science
semble répondre plutôt à une exigence exclusivement
spéculative, éparse et venue d'ailleurs ou de nulle part.
Quelle leçon faudrait-il tirer du travail et des
revers d'une bonne partie des sciences ? Ecoutons un avis pertinent :
« même une civilisation scientifique ne se trouve pas
dispensée de résoudre les problèmes pratiques, ajoute
Habermas ; c'est pourquoi l'on court un risque certain lorsque le
processus de scientifisation dépasse les limites des questions pratiques
sans se libérer pour autant de la rationalité bornée qui
caractérise une réflexion technologique. (...) La théorie,
lorsqu'elle se rapportait encore à la pratique en son sens original,
concevait la société comme l'ensemble composé par les
actions de sujets parlants qui intégraient leurs relations sociales
à un contexte communicationnel conscient et devaient s'y constituer en
sujet collectif apte à l'action ; sinon leur destin, au sein d'une
société qui dans le détail est de plus en plus
rigoureusement rationnalisée, échapperait à la discipline
rationnelle dont ils ont justement le plus besoin. Mais une théorie qui
confond le pouvoir d'agir et le pouvoir de manipuler les choses est incapable
de se placer dans cette perspective ».810(*)
Nous avons pris la question des
« sociétés sans écriture » comme
prétexte pour aborder les présupposés
épistémologiques généraux des sciences sociales en
Afrique. Il y a lieu de montrer la trame discontinue des traditions
théoriques des sciences sociales telles qu'elles structurent et
déstructurent nos sociétés. A ce moment là, il
faudra identifier les différentes conceptions théoriques
à partir de quoi reconstruire philosophiquement. Plusieurs
théories de la société se chevauchent, l'effort de les
distinguer à partir de certains concepts opératoires ou
schèmes théoriques distincts liés à chaque
école théorique, se ferait justement sous le nom
générique de « reconstruction philosophique
». C'était notre méthodologie.
Avant même de procéder à reconstruire une
approche théorique à travers ses schèmes
généraux, ses concepts principaux, il était logique de par
notre méthodologie, de dire les problèmes qu'elle pose. Les
problèmes épistémologiques (théoriques et
idéologiques) des sciences sociales sont de plusieurs ordres, nous nous
sommes contenté d'en esquisser quelques uns, du moins concernat quelques
approches dominantes des études africanistes.811(*)
Il était aussi possible de constater les innovations
qui ont permis des ruptures ou des continuités plus opératoires
de ces notions. Ces notions théoriques centrales sont , hélas
restées, les mêmes mais leur signification peut différer,
on peut s'en douter, selon les champs d'application ce qui veut dire selon
qu'il s'agissait de l'Occident ou de l'Autre de l'humanité. Notre
explicitation devait avoir pour but de tenter de montrer l'innovation qui
survient avec chaque concept opératoire et être ainsi une matrice
théorique capable de présenter plusieurs niveaux d'analyse et de
donner des traits généraux aux adaptations théoriques.
Finalement il nous faudra dire en liminaire à propos
des sciences sociales qu' « il devient presque banal de le rappeler
-, les données relèvent d'une mise en forme à travers des
catégories et des relations déterminées :
répartition statistiques, descriptions d'interactions, les récits
d'histoires (...), les matériaux du chercheur peuvent être aussi
bien « données »-dans des archives, par exemple -que
« construits »- par observation, entretien, questionnaire,
etc. Dans les deux cas, ils sont
structurés, « parlent », suggèrent des
raisons, des mécanismes ; ils sont déjà porteurs
d'une intelligibilité qui n'est pas foncièrement
différente de celle du chercheur. »812(*) Et :« Le
travail de l'analyse n'est pas de « faire parler » une
nature muette, ( ) mais d'opérer les confrontations entre les
données, déjà signifiantes et organisées,
et une structure d'explication possible. (...) L'expérience des sciences
sociales prouve que le résultat - c'est-à- dire la structure
explicative proposée, quels que soient sa forme et ses ressorts - est
considérée comme recevable dès lors qu'il peut être
soumis à la discussion argumentative et empirique, c'est -
à- dire être confrontée à une explication autre, qui
paraisse plus raisonnable, et à des données
complémentaires et nouvelles ».813(*) Ceci est notre
hypothèse, pour autant que, de ce qui précède
dépend le statut même épistémologique des
schèmes reconstructeurs.
En effet, les problèmes épistémologiques
en sciences sociales et humaines ne sont pas liés qu'aux
problèmes théoriques, ils sont aussi de problèmes de leur
l'origine. Il a fallu par exemple interroger le fondement des découpages
disciplinaires : ils ne résultent ni d'une segmentation
« naturelle » de l'ordre des choses, ni d'un plan rationnel
de connaissance ; ils sont les héritiers et les produits
continûment retravaillés d'une histoire , qui n'est pas
seulement une histoire des idées , mais également une histoire de
la production sociale des connaissances et des savoirs , de la construction de
dispositifs pratiques de connaissance, dans lesquels se sont moulées des
procédures , se sont dessinés de schèmes de pensée
et d'action , et qui, par-delà leur renouvellement et leurs frottements
permanents , continuent d'être vivants.
Que de théories et de paroles ! Voilà le
reproche qui nous sera adressé si nous en restons à une approche
théorique. La réflexion a débouché sur l'ontologie
du droit et la nécessité de penser l'opérationnalisation
de la pensée africaine, comme des institutions. Il reste à
construire une autre Afrique dans la pratique aussi. Bien entendu,
déjà cette attitude ethnologique que nous avons
stigmatisée est aujourd'hui fortement nuancée dans plusieurs
domaines : l'herméneutique, l'anthropologie et la sociologie des
catégories, etc. Sur le terrain africain, cela est bien utile, mais
il faut passer à l'action. Nous avons présenté un essai de
reconstruction de quelques aspects des sciences sociales sur
l'Afrique ;tout cela s'est avéré nécessaire et
pertinent parce que , aujourd'hui encore, nous pouvons continuer d'affirmer
qu'il existe une relation étroite, par ailleurs nouée il y a bien
longtemps, dans le cas d'espèce entre la science coloniale et une
construction et les institutions actuelles chez nous : « les
institutions...qui survivent aux confins de quelques disciplines ou
filières universitaires,...étaient des héritages des
sciences coloniales, ou, plus généralement, étaient de
l'institutionnalisation des rapports politico -savants entre la
métropole et l'Afrique belge ».814(*)
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LES AUTRES ARTICLES :
- BERTHELOT Jean-Michel, « Les sciences du
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Puf, Paris, 2001.
- BERTHELOT Jean-Michel « Programmes, paradigmes,
disciplines : pluralité et unité des sciences
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Epistémologie des sciences sociales, Puf, Paris,2001.
- BONNY Yves, « Introduction : Michel Freitag ou
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- CLEMENT Fabrice et KAUFFMAN Laurence, « Esquisse
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TABLE
DES MATIERES
Dédicace
2
Remerciements
3
0.1. Etat de la
question
...............................................................
4
0.2.
Problématique 10
0.3.
Hypothèses 17
0.4.
Méthodologie
3
0.5. Structure du
travail
21
Chapitre I :
22
Le débat sur la réévaluation
et la reforme des sciences sociales dans le monde et en Afrique
22
1.0. Sommaire du chapitre
1.1. Les mutations sociales et culturelles, et
mouvance constructiviste
23
1.1.0. La mise en perspective historique et
institutionnelle en Europe
1.1.1. Les mutations de la réalité
sociale juridique dans le saint Empire romain
29
1.1.2. Les limites institutionnelles actuelles et
la mondialisation
39
1.1.3. L'effondrement de l'acceptation collective
comme principe de mutation
42
1.2. Les problèmes majeurs des sciences sociales en
Afrique
Une logique de la pratique et quelques écueils
épistémologiques
1.2.0. Du concept théorique de base :
la « race » et des présupposés
connexes
45
1.2.1. Du constructivisme de Yves Valentin Mudimbe
face à l'Histoire africaine et la critique de Jan
Vansina
64
Le projet de l'épistémologie de la
différence et l'épistémologie
constructiviste de la continuité
1.2.2. la « mentalité
mystique et prélogique» de Lucien Lévi Bruhl
comme violence symbolique.
74
1.2.3. L'Habitus et la logique pratique de Pierre
Bourdieu
83
1.4. Conclusion
partielle.........................................................85
Chapitre II : Les promesses du
constructivisme......................87
2.0. Sommaire du
chapitre.......................................................87
2.1. Approches
conceptuelles
88
2.1.1. Courants du constructivisme
social
88
2.1.2. Le constructivisme : de l'ontologie
sociale
90
2.1.3. De l'intérêt de la construction
sociale
93
2.2. De l'objet et du sujet de la construction
sociale
94
2.2.1. La mouvance
« constructiviste »
95
2.2.2. Une ontologie en sociologie
96
2.2.3. De la thèse
épistémologique
98
2.2.4. De
l' « épistémologie sociale »
100
2.3. Actualité du constructivisme
social
104
2.3.0. Langage et
ontologie................................................105
2.3.1. Le retour aux sources philosophiques et la
reconstruction des sciences sociales
105
2.3.1.1. Emile Durkheim et l'ontologie sociale du
structuro- fonctionnaliste
108
A. Explication fonctionnelle et causale
111
B. La primauté de concept de totalité
et du Tout
115
C. Le principe fondamental
116
D. La réalité sociale
objective
118
E. Les entités émergentes
119
F. De la représentation
121
G. Les faits sociaux
122
2.3.1.2. L'explication causale, structurale et/ou
systémique, et
dialectique
124
A. Fonctionnalisme et structuralisme
124
B. Le structuralisme de
Lévi-Strauss
125
C. Essai de reconstruction historique
126
D. L'explication dialectique
129
2.3.2. Le constructivisme linguistique et
l'analyse de la situation de la parole
130
2.3.2.1. Du concept de la réalité
sociale et approches théoriques
135
2.3.2.2. Les théories de
l'action
138
2.3.3. Le constructivisme sociologico -
phénoménologique de Peter Berger et
Thomas Luckman
139
A. L'apport de la sociologie compréhensive
et de la sociologie du savoir
141
B. La société et le sens
143
C. La société et l'action
145
D. Changement social et problèmes
sociaux
146
2.3.4. Construction sociologico -philosophique
chez Pierre Bourdieu
147
2.3.5. La construction sociale dans les domaines de
l'anthropologie de la santé et de
l'anthropologie des représentations
151
2.4. Illustration de la construction de la
réalité sociale ordinaire
158
2.5. Conclusion
partielle............................................................161
Chapitre III: La contribution de l'oeuvre constructiviste de
John Searle ...162
3.0. Sommaire du
chapitre........................................................163
3.1. La transformation searlienne des
déterminations structuro -fonctionnelles
166
3.1.1. Les convergences et les divergences entre
Emile Durkheim et John Searle
170
3.1.2 Le programme philosophique global de John
Searle
171
3.1.3. L'application du cadre théorique
à la création de la réalité sociale
181
A. La capacité sociale
émergente
182
B. Les grandes catégories et le contenu de
fonction - statut
184
C. Le contenu de la fonction -statut
186
D. La théorie de pouvoir déontique
négatif de Searle
190
3.2. L'Arrière- plan chez John Searle et le
connexionnisme
190
3.3. Du Projet théorique de John
Searle
196
3.4. Le concept de construction de droit chez John
Searle
202
3.5. L'esquisse d'une ontologie des faits sociaux
juridiques
204
3.6. Utilité de l'Arrière -
plan dans la théorie de connaissance ? Parer au
relativisme
....................................................................
210
3.6.0. Deux visions des sciences
sociales
214
3.6.1. La construction sociale non relativiste et
antiréaliste de Searle
224
3.6.2. De la relativité linguistique et de
la relativité de la vérité
226
3.6.3. Le relativisme moderne en sciences
sociales
230
3.6.4. Enjeux : La menace du
réalisme : le post-modernisme
231
3.6.5. Attaque contre le réalisme :
L'origine récente de problème de
relativisme moderne
234
3.6.6. La menace contre le réalisme :
la modernité sur la sellette
235
3.6.7. La menace contre le réalisme :
le rationalisme en question
236
3.7. Epistémologie américaine et
influences subies par John Searle
239
3.7.0. Le paradigme cognitiviste chez Searle et la
taxinomie des faits
242
3.7.1. La théorie de la
réalité sociale et le social chez John Searle
245
3.8. Conclusion
partielle............................................................245
Chapitre IV:
La portée, les limites et la perspective de
dépassement de l'oeuvre constructiviste de John
Searle au moyen de concept de Kheper ..
3
4.0. Sommaire du
chapitre
247
4.1. La portée de
l'oeuvre constructiviste de John Searle
249
4.1.1.Apport positifs
249
4.1.2. Difficultés d'analyse de John
Searle.................................254
4.1.2. A Flottement des concepts
centraux..............................254
4.1.2.B.
Contradictions constructivistes de John
Searle
256
4.2. Esquisse de dépassement de concept de kheper
4.2.0. Pour une reprise africaine du constructivisme
social
4.2.1. Remise en question du naturalisme de John
Searle
276
4.2.2. La reconstruction d'un modèle de tradition
congolaise..............279
4.3. La faillite institutionnelle
282
A. Rappel
succinct............................................................282
B. Problématiques de l'origine et de la
spécificité de la modernité
occidentale
282
C. L'optique historique de la philosophie du
droit
285
D. Tradition et modernité
juridique
287
4.3.3. Construction d'une éthique politique
et l'exigence d'une auto- critique
éclairée
289
A. Sens et tâche d'une reconstruction socio-
éthique en Afrique....289
B. La problématique des
inégalités
302
4.4.3. De l'Afrique aujourd'hui
307
4.5. Conclusion
partielle..........................................................312
Conclusion générale
314
Bibliographie
337
Ouvrages de John Searle
337
Autres ouvrages
340
Dictionnaires
353
Documents
353
Table des matières
355
* 1 Voir Pascale JAMOULE,
Des hommes sur le fil, construction de l'identité masculine en
milieux précaires, La Découverte/Poche, Paris, p.14.
* 2 L'approche naturaliste
englobe l'interactionnisme symbolique et l'ethno- méthodologie.
L'approche culturelle des organisations se compare à l'étude
anthropologique de forme de travail, du folklore et d'une culture.
* 3 Ces traditions reviennent
notamment dans la tradition pragmatique ou interprétative investie de la
communication de l'organisation et privilégie la méthode
participante de telle sorte que la réalité sociale est
partiellement construite par le chercheur.
* 4 Ruwen
OGIEN, « La philosophie des sciences sociales », in
Jean-Michel BERTHELOT (Dir.), Epistémologie des sciences
sociales, Puf, 2001, Paris, p.534.
* 5 Voir François
DUBET, Sociologie de l'expérience, Le Seuil, Paris, 1994 ;
CURCOFF Ph., Les nouvelles sociologies, Nathan, Paris, 1995.
* 6 Luc Van CAMPENHOUDT,
Jean-Michel CHAUMONT, Abraham FRANSSEN, La méthode d'analyse en
groupe ; applications aux phénomènes sociaux, Dunod,
Paris, 2005, p.34.
* 7 Voir Ali KAZANCIGIL et
David MAKINSON (Dir.), Les sciences sociales dans le monde,
l'Unesco, Maison des sciences de l'homme, Paris, 2001.
* 8 Luc Van CAMPENHOUDT,
Jean-Michel CHAUMONT, Abraham FRANSSEN, La méthode d'analyse en
groupe, p.27.
* 9 Ibidem, p.29.
* 10 Ibidem,
p.1.
* 11 Ibidem,
p.313.
* 12 Jean COPANS, Les
sciences sociales africaines ont-elles une âme de
philosophie ?,2000 .
www.politique-africaine.com/numeros/pdf/077054.pdf
* 13 Manfred LACHS, Le
monde de la pensée en droit international ; Théorie et
pratique, Collection, Droit international, Economica, Paris, 1989,
p.48.
*On désigne par saint Empire romain, l'Empire romain
d'occident qui fait référence à la partie occidentale de
l'Empire romain à partir de sa division par Dioclétien en 286. Sa
capitale fut Milan jusqu'en 402, puis Ravenne.
* 14 Ibidem,
p.48.
* 15 Michel VIRALLY, La
pensée juridique, Panthéon -Assas, L.G.D.J., E.J.A., Paris,
rééditée en 1998, p.XXI.
* 16 Ibidem, p.
XXII.
* 17 Jürgen HABERMAS,
Droit et démocratie, entre faits et normes, traduit de
l'Allemand par Rainer Rochltz et Christian Bouchindhomme, Gallimard, Paris,
1997, p.152.
* 18 Benoit FRUDMAN,
« Le droit à la lumière de la philosophie de
l'action », in Pierre LIVET, (DIR.), L'argumentation :
droit, philosophie et science sociales, Sainte - Foy(Québec),
Presse de l'unversité de Laval, Paris, Montréal, L'Harmattan,
2000, p.146.
* 19 Jürgen HABERMAS,
Droit et démocratie, p.459.
* 20 Andre-Jean ARNAUD,
FARINAS DULCE Maria Jose, Introduction à l'analyse sociologique des
systèmes juridiques, Academia -Bruylant, Bruxelles, 1998,
p.286.
* 21Jean -Louis GENARD, "La
justice en contexte" in Le rapport des citoyens à la justice:
composantes de la Problématique, Bruxelles, Centre d'études
sociologiques (FUSL) - Centre interdisciplinaire d'études
juridiques (FUSL) - Département de sociologie (UCL), Louvain, 1999,
p.15.
* 22 Jürgen HABERMAS,
Après l'Etat-nation, p.54.
* 23 Ibidem,
p.72.
* 24 bidem.
* 25 Ibidem,
p.68.
* 26.Jürgen HABERMAS,
Droit et démocratie, p.10.
* 27 Ibidem
,p.46.
* 28 Ibidem .
* 29 Jürgen HABERMAS,
Après l'Etat-nation, p.14.
* 30 Marc MAESSCHALCK,
Normes et contextes, p.17.
* 31 Ibidem,
p.154.
* 32 Ibidem.
* 33 Ibidem,
p.121.
* 34 Ibidem,
p.126.
* 35 Blandine DESTREMAU,
Agnès DEBOULET, François IRETON, Dynamique de la
pauvreté en Afrique du Nord et au Moyen -Orient, Maisonneuve,
Paris/Lyon, 2004, p.38.
* 36 Marc PONCELET,
Sciences sociales, colonisation et développement ; une histoire
sociale du siècle d'africanisme belge, thèse,
Université de l'Ille, p.421.
* 37 Ibidem,
p.422.
* 38 Ibidem,
p.420.
* 39 Jean -Michel
BERTHELOT, « les sciences du social »,
op.cit., p.205.
* 40Marc
PONCELET,op.cit., p.420.
* 41Ibidem, p.421.
* 42 Ibidem,
p.422.
* 43Ibidem,
p.256.
* 44Ibidem,
p.256.
* 45 Ibidem,
p.258.
* 46 Marc MAESSCHALCK,
op.cit.,p.147.
* 47
Ibidem,p.147.
* 48
Ibidem,p.147.
* 49
Ibidem,p.153.
* 50 Ibidem,
p.262.
* 51 Jean-Michel BERTHELOT,
« Les sciences du social », art.cit., p.205.
* 52 Ibidem, ,
p.212.
* 53Ibidem,
p.205.
* 54 Marc
PONCELET,op.cit., p.49.
* 55 Marc PONCELET,
Sciences sociales, colonisation et développement ; une histoire
sociale du siècle d'africanisme belge, thèse,
Université de l'Ille, p.254.
* 56 Claudine VITAL
cité par Marc PONCELET, Sciences sociales, colonisation,
p.258.
* 57 Jean -Loup AMSELLE et
ELIKIA M'BOKOLO (Dir.), Au coeur de l'ethnie ; ethnies, tribalisme et
Etat en Afrique, La Découverte, Paris, 1999, p.190.
* 58Ibidem,
p.190.
* 59 Gregory QUENET, Les
tremblements de terre aux XVII è et XVIIIè siècles :
la naissance d'un risque, Champ Vallon, Seyssel, 2005, p.68.
* 60NTUMBA LUKUNGA
, « La remise en question théorique et
méthodologique des sciences sociales et humaines au Congo :Effort
de contextualisation » dans Sylvain SHOMBA KINYAMBA( Dir.) , Les
sciences sociales au Congo -Kinshasa :Cinquante ans
après :quel apport ?,L'Harmattan, Paris,2007,p.52.
* 61Ibidem,
p.188.
* 62Jean -Loup AMSELLE et
ELIKIA M'BOKOLO (Dir.),op.cit., p.188.
* 63 Ibidem,
p.188.
* 64Ibidem.
* 65Ibidem ,p.
11.
* 66 Ibidem.
* 67 Marc MAESSCHALCK,
op.cit.,p.159.
* 68
Ibidem,p.159.
* 69 Ibidem.
* 70 Ibidem,
p.256.
* 71
Ibidem,p.24.
* 72
Ibidem,p.83.
* 73 Ibidem.
* 74
Ibidem,p.159.
* 75 Marc PONCELET,
Sciences sociales, colonisation et développement, p.285.
* 76 Ibidem,
p.284.
* 77 KADIMA NZUJI MUKALA,
Sémon KOMLAN GHANOU, L'Afrique au miroir des littératures,
des sciences de l'homme et de la société : mélanges
offerts à Y.V.Mudimbe, Archives et musée de
littérature, Paris -Bruxelles, L'Harmattan, Archives et musées de
la littérature, 2002, p.169 ; dans ce sens l'Etat belge doit
emboîter les pas à l'Italie sur le dédommagement colonial
comme l'a fait Silvio Bertoli avec la Libye le 30 Août 2008.
* 78 Marc PONCELET,
Sciences sociales, colonisation et développement, p.417.
* 79 Ibidem,
p.417.
* 80 Jean-Michel BERTHELOT,
« Les sciences du social », dans Epistémologie
des sciences sociales, Puf, Paris, 2001, p.227.
* 81 Ibidem,
p.227.
* 82 Marc PONCELET,
Sciences sociales, colonisation et développement, p.254.
* 83 Rodolphe GHIGLIONE et
Jean -François RICHARD (Dir.), Cours de psychologie, 3 e
édition, Dunod, Paris, 1999, p.19.
* 84 Ibidem,
p.19.
* 85 Ibidem.
* 86 Raymond MUTUZA KABE,
De la philosophie occidentale à la philosophie negro-
africaine ; apport des philosophes zaïrois, Universitaires
Africaines et Arc-en-ciel, Kinshasa, 2006, pp.247, 268.
* 87 Histoire de
l'humanité, Unesco, Paris, 1969, pp.727-757, cité par
Raymond MUTUZA KABE, De la philosophie occidentale à la philosophie
negro- africaine ; apport des philosophes zaïrois,
Universitaires Africaines et Arc-en-ciel, Kinshasa, Kinshasa, 2006, P.268.
* 88 Jean -Loup AMSELLE et
ELIKIA M'BOKOLO (Dir.),op.cit. ,p. VIII.
* 89 Ibidem ,p.
IX.
* 90 Jan VANSINA, Les
anciens royaumes de la savane, les états des Savanes méridionales
de l'Afrique Centrale des origines à l'occupation coloniale, 2
è édition, Presses Universitaires du Zaïre, Kinshasa, 1976,
p.13.
* 91 Ibidem,
p.14.
* 92Ibidem,
p.11.
* 93 Ibidem,
p.14.
* 94 Ibidem,p.
182.
* 95 Jan VANSINA,
Les anciens royaumes de la savane,p. 183.
* 96 Ibidem,
p.16.
* 97 Ibidem,
p.15 .
* 98 Ibidem,
p.16.
* 99 Ibidem,
p.15.
* 100 Ibidem,
p.16.
* 101 Jan VANSINA,
Les anciens royaumes de la savane, p.16.
* 102 Ibidem,
p.10.
* 103 Ibidem,
p.7.
* 104Ibidem,
p.8.
* 105 Ibidem,
p.10.
* 106 KASEREKA
KAVWAHIREHI, Y .V .Mudimbe et la ré -invention de
l'Afrique poétique et politique de la décolonisation des sciences
humaines, 2 è édition, Netlibrary ,Rodopi,
Amsterdam ;New York,2006, p.336.
* 107 Ibidem,
p.217.
* 108 Jean COPANS, La
longue marche de la modernité africaine : savoirs,
intellectuels, démocratie, 2 è édition rev.et
augment., Karthala, Paris, 1998, p.145.
* 109 KASEREKA
KAVWAHIREHI, Y .V .Mudimbe et la ré -invention de
l'Afrique poétique et politique de la décolonisation des sciences
humaines, 2 è édition, Netlibrary ,Rodopi,
2006,Amsterdam ;New York,,p.336.
* 110 Bernard MOURALIS,
Y .V.Mudimbe ou le discours, l'écart et l'écriture,
Présence africaine, 198, p.104.
* 111KASEREKA KAVWAHIREHI,
Y .V .Mudimbe,p.24.
* 112 Janet VAILLANT, Abdou
DIOUF, Vie de Léopold Sédar Senghor, Karthala, Paris,
2006, p.18.
* 113 Présence
francophone : revue internationale de langue et de
littérature, Université de Sherbrooke, Centre d'étude
des littératures d'expression française, 2003, p.49.
* 114 Jules VANDERLINDER
(Dir.), Du Congo au Zaïre.1960-1980. Essai de bilan, Centre de
recherche et d'information socio-politiques- CRISP, Bruxelles, 1980, p.392.
* 115Yves Valentin
MUDIMBE, « La culture congolaise », dans
Jacques VANDERLINDEN (Dir.), Du Congo au Zaïre.1960-1980. Essai de
bilan, Centre de recherche et d'information socio-politiques- CRISP,
Bruxelles, 1980, p.390.
* 116Yves Valentin
MUDIMBE, « La culture congolaise »,
art.cit., p.398.
* 117 MAMADOU DIOUF,
L'historiographie indienne en débat : colonialisme,
nationalisme et sociétés postcoloniales, Karthala,
Amsterdam, 1999, p.29.
* 118 Ibidem,
p.29.
* 119Yves Valentin
MUDIMBE, « La culture congolaise »,
art.cit., p.395.
* 120 Yves Valentin
MUDIMBE, L'autre face du royaume, Lausanne, Éditions
L'Âge d'homme, 1973, p.35 ; Justin KALULU BISANSWA,
« V. Y. Mudimbe. Réflexion sur les sciences humaines et
sociales en Afrique », Cahiers d'études africaines,
160,2000 ; http://etudesafricaines.revues.org/document45.html
* 121 Cités par
Barnabé MILALA, « La lutte contre la pauvreté et
le respect des droits économiques, sociaux et culturels en
Afrique : Apport du panafricanisme » dans Cahiers Africains
des Droits de l'Homme et de la Démocratie, N° 21, Vol.I,
Janvier -Mars 2005, Kinshasa, p.52 ; MUDIMBE
Y.V., « libération d'une parole africaine. Notes sur
quelques limites du discours scientifique », in MUTUZA KABE,
Apport des philosophes zaïrois à la philosophie africaine,
Presse universitaire du Zaire, Kinshasa, 1987, pp.132-139.
* 122 Ibidem,
pp.132-139.
* 123Yves Valentin
MUDIMBE, « La culture congolaise », dans
(Dir.) Jacques VANDERLINDEN, Du Congo au Zaïre.1960-1980. Essai de
bilan, Centre de recherche et d'information socio-politiques- CRISP,
Bruxelles, 1980, p.398.
* 124 H.NTUMBA LUKUNGA,
art.cit., p.53.
* 125 Ibidem,
pp.132-139.
* 126Ibidem,
pp.136.
* 127 Voir BAJOIT G.,
Pour une sociologie relationnelle, Paris, Puf, 2009.
* 128 Jacques DUBOIS,
Pascal DURAND, Le symbolique et le social : réception
internationale de la pensée de Pierre Bourdieu, Actes du Colloque
de Cerisy -la- Salle, Edition de l'Université de Liège,
Liège, 2005, p.18.
* 129 Ibidem.
* 130 L'Autre renvoie ici
à l'enfant, au fou et au primitif.
* 131
Frédéric KECK, Le problème de la mentalité
primitive, Lévy- Bruhl, entre philosophe et anthropologie,
Thèse de doctorat, Université, Charles de Gaulle -Lille III,
U.F.R. de philosophie, 2003, p.4. (Inédit)
* 132 Patrick CHAMPAGNE et
Olivier CHRISTIN, Mouvements d'une pensée, Pierre Bourdieu,
Bordas, Paris, 2004, p.24.
* 133 Pierre BOURDIEU,
Méditations pascaliennes, éditions du Seuil, Paris,
1997, p.65.
* 134 Ibidem,
p.4.
* 135 Ibidem,
p.5.
* 136 Ibidem,
p.7.
* 137 Ibidem.
* 138
Frédéric KECK, Le problème de la mentalité
primitive, p.8.
* 139 Ibidem.
* 140
Frédéric KECK, Le problème de la mentalité
primitive,p.7.
* 141
Ibidem,p.6.
* 142 Ibidem,
p.6.
* 143 Ibidem,
p.9.
* 144 Raphaël NTAMBUE
TSHIMBULU, La logique formelle en Afrique noire, Problématique,
enseignement et essais, Bruylant- Academia, Bruxelles, 1997, p.21.
* 145
Frédéric KECK, op.cit., p.9.
* 146
Ibidem,p.9.
* 147
Ibidem,p.10.
* 148
Ibidem,p.11.
* 149
Ibidem,p.12.
* 150 Ibidem.
* 151 Ibidem.
* 152 Pierre POURDIEU,
La distinction, critique sociale du jugement, les éditions de
Minuit, Paris, 1979, p.545.
* 153 Amartya SEN,
Ethique et économie, 2 ème
édition, « Quadrige », Puf, Paris, 2002,
p.14.
* 154 Linda ROULEAU,
Théories des organisations : approches classiques,
contemporaines et de l'avant-garde, Québec, Presses universitaire
de Québec, 2007, p.163.
* 155Philippe JONNAERT,
Compétences et socioconstructivisme : un cadre
théorique, troisième tirage, De Boeck, Bruxelles, 2006.
* 156 Blandine DESTREMAU,
Agnès DEBOULET, François IRETON, Dynamique de la
pauvreté en Afrique du Nord et au Moyen -Orient, Khartala,
2004, p.63.
* 157 Ian HACKING,
Entre science et réalité sociale. La construction sociale de
quoi ?, la découverte, 2001, Paris, p.27.
* 158 Linda ROULEAU,
op.cit., p.161.
* 159 Henri DORVIL et
Robert MAYER (Dir.), Problèmes sociaux, Théories et
méthodologies, Presses de l'Université du Québec,
Tome 1, Sainte-Foy, 2001, p.117.
* 160 Voir Pierre LIVET et
Ruwen OGIEN, L'enquête ontologique du mode d'existence des objets
sociaux,éd. Ecole des Hautes études en sciences sociales
,Paris,2000.
* 161 Laurent MCFALLS,
Nicolas LIORZOU, Julie PERREAULT, ANCA-ELENA MOT, Construire le
politique : contingence, causalité et connaissance dans la science
politique, Presses de l'Université de Laval, Québec, 2006,
p.19.
* 162 Robert HEINER,
Social problems: an introduction to critical constructionism , Oxford
University Press, Oxford, New York, 2002, p.68.
* 163 Voir Smith BARRY,
John Searle, Cambridge, Cambridge University Press, 2003 ;Sylvie
MESURE, Patrick SAVIDAN (Dir.), Dictionnaire des sciences humaines,
collections `Grands Dictionnaires', Puf, Paris, 2006.
* 164 Georg SIMMEL,
Etudes sur les formes de la socialisation, Puf, Paris, 1999,pp.
63-79.
* 165 L'Europe et le
Sud à l'aube du XXI è siècle, enjeux et renouvellement de
la coopération, Actes de la 9 è conférence
générale de l'EADI, Karthala, Paris, 2002,p.68.
* 166 Le « fait
social » est une terminologie qui diffère des faits
institutionnels chez John Searle. Les faits sociaux prennent en compte aussi
bien les animaux puisque capables d'actions collectives que les hommes. Le
fait institutionnel renvoie plutôt à la structure de symbolisation
et l'imposition de fonctions -statut.
* 167 Magali UHL, Jean
-Marie BROHM, Le sexe des sociologues, La lettre volée,
Bruxelles, 2003, p.13.
* 168 Blandine DESTREMAU,
Agnès DEBOULET, François IRETON, Dynamique de la
pauvreté en Afrique du Nord et au Moyen -Orient, 2004, p. (64).
* 169 Ian HACKING,
Entre science et réalité sociale. La construction sociale de
quoi ?, la découverte, Paris, 2001, p.27.
* 170 Ibidem.
* 171 Ibidem.
* 172 Ibidem.
* 173Ibidem.
* 174 Blandine DESTREMAU,
op.cit., p. 65.
* 175 Ibidem, p.
(65).
* 176 Ibidem.
* 177 Monique HIRSCHHORN,
L'individu social : autres réalités, autres
sociologies ? Presse de l'Université de Laval, Laval,2007,
p.170.
* 178 Ibidem.
* 179 Ibidem.
* 180 Yves BONNY,
« Introduction : Michel Freitag ou la sociologie dans la
monde » in Michel FREITAG , L'oubli de la
société : une théorie critique de la
postmodernité, Presses de l'Université de Laval, Laval,
Presse Universitaire de Renn, Renn, 2002, p.19.
* 181 Ibidem.
* 182 Ibidem.
* 183 Ibidem.
* 184 Ibidem,
p.20.
* 185 Ibidem
,p.19.
* 186 Linda ROULEAU,
Théories des organisations : approches classiques, Presses
Universitaires de Québec, Québec, 2007, p.161.
* 187 Ibidem
, p.162.
* 188 Barthélemy
COURMONT, L'empire blessé : Washington à
l'épreuve de l'asymétrie, P.U.M, Montréal, 2001
p.77.
* 189 Christian NADEAU,
La philosophie de l'histoire : hommages offerts à Maurice
Lagueux, Université de Laval, Saint -Foy, Québec, 2007,
p.282.
* 190 Jean-Louis LE MOIGNE,
Le constructivisme, tome2 : des
épistémologies, ESF, Paris, p.280.
* 191 Ibidem,
p.14.
* 192 Blandine DESTREMAU,
et alii, op.cit., p. 65.
* 193 Gloria ORIGGINI
, « croyance, déférence et
témoignage » dans Elisabeth PECHERIE, Joëlle
PROUST(Dir.),La philosophie cognitive, Fondation de la maison de la
science de l'homme, Orphrys, Paris,
p.144.
* 194 Ibidem.
* 195 Elisabeth PECHERIE,
Joëlle PROUST (Dir.), La philosophie cognitive, Fondation de la
maison de la science de l'homme, Orphrys, Paris,
p.147.
* 196 Gloria ORIGGINI,
art.cit., p.158.
* 197 Ibidem.
* 198 Ibidem.
* 199 Elisabeth PECHERIE,
Joëlle PROUST (Dir.),op.cit ., p.145.
* 200 Ibidem,
p.152.
* 201 Ibidem.
* 202 Ibidem.
* 203 Ibidem,
p.148.
* 204 Elisabeth PECHERIE,
Joëlle PROUST (Dir.),op.cit ., p.156.
* 205 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.11.
* 206Ibidem,
p.13.
* 207Ibidem, p.10.
* 208 Ibidem,
p.58.
* 209 Ibidem.
* 210 Ibidem.
* 211 Ibidem.
* 212 Ibidem.
* 213 Voir De Michel De
COSTER, Bernadette BAWIN-LEGROS, Marc PONCELET, Introduction à la
sociologie, De Boeck, Bruxelles ,2001
* 214 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.10.
* 215 Jean-Michel
BERTHELOT, « Programmes, paradigmes, disciplines :
pluralité et unité des sciences sociales », dans,
(Jean-Michel BERTHELOT, (Dir.), Epistémologie des sciences
sociales, Puf, 2001, p.466.
* 216 Alban BOUVIER,
Philosophie des sciences sociales, Puf, Paris, 1999, p.51.
* 217 Emile DURKHEIM,
Les règles de la méthode sociologique, Puf, Paris,
1967.
* 218 Ibidem,
p.51.
* 219 Ibidem .
* 220 Ibidem,
p.59.
* 221 BERGER Peter et
LUCKMANN Thomas, La construction sociale de la réalité,
Armand Colin, Paris, 2006, p.8.
* 222 Ruwen OGIEN,
« Philosophie des sciences sociales», dans, (Jean-Michel
BERTHELOT, (Dir.), Epistémologie des sciences sociales, Puf,
2001, p.532.
* 223 Robert
FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles,
systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles
complémentaires ? » in Faut-il chercher aux causes
une raison ? L'explication causale dans les sciences humaines,
Librairie Philosophique, Vrin, Paris, 1994, p.280.
* 224 Jürgen HABERMAS,
La logique des sciences sociales et autres essais, Quadrige /Puf,
Paris, 1987, p.103.
* 225 Jean-Michel
BERTHELOT, « Les sciences du social», dans
Epistémologie des sciences sociales, Puf, 2001, p.237.
* 226 Fabrice CLEMENT et
Laurence KAUFMANN, Le monde selon John Searle, Cerf, 2005, Paris,
p.90.
* 227 Emile DURKHEIM,
Les règles de la méthode sociologique, p.XIII.
* 228 Ibidem.
* 229 Ibidem,
p.IX.
* 230 Ibidem.
* 231 Robert
FRANCK, « Histoire et structure » dans Jean-Michel
Berthelot (Dir.) Epistémologie des sciences sociales, Puf,
p.338.
* 232 Emile DURKHEIM,
Les règles de la méthode sociologique, p.112.
* 233 Ibidem ,p.
XVII.
* 234 Ibidem,
p.XIX.
* 235 Ibidem ,
p.XX.
* 236 Laurent MCFALLS,
Nicolas LIORZOU, Julie PERREAULT, Anca - Elena MOT, Construire la
politique : contingence, causalité et connaissance dans la science
politique contemporaine, Presses de l'Université de Laval,
Québec, 2006, p.249.
* 237 Ibidem,
p.249.
* 238 Ibidem,
p.235.
* 239 Emile DURKHEIM,
Les règles de la méthode sociologique, p.101.
* 240 Ibidem,
p.283.
* 241 Ibidem,
p.87.
* 242 Ibidem,
p.280.
* 243 Emile DURKHEIM,
Les règles de la méthode sociologique, p.280.
* 244 Ibidem ,
p.279.
* 245 Ibidem,
p.281.
* 246 Ibidem,
p.280.
* 247 Ibidem,
p.278.
* 248 Ibidem.
* 249 Ibidem.
* 250 Emile DURKHEIM,
Les règles de la méthode sociologique, p.XXII
* 251 Ibidem.
* 252 Ibidem,
p.XVI.
* 253 Ibidem,
p.XXII.
* 254 Ibidem.
* 255 Ibidem.
* 256 Ibidem,
p.XXII.
* 257 Ibidem,
p.80.
* 258 Ibidem,
p.95.
* 259Ibidem,
p.XVII.
* 260 Robert
FRANCK, « Histoire et structure » dans Jean-Michel
BERTHELOT (Dir.) Epistémologie des sciences sociales, Puf,
Paris, p.340.
* 261 Luc Van CAMPENHOUDT,
Jean -Michel CHAUMONT, Abraham FRANSSEN, La méthode d'analyse en
groupe, application aux phénomènes sociaux, Dunod, Paris,
p.40.
* 262 Emile DURKHEIM,
Les règles de la méthode sociologique, p.XXII.
* 263 Ibidem,
p.XI.
* 264 Ibidem,
p.5.
* 265 Emile DURKHEIM,
Les règles de la méthode sociologique, p.XX.
* 266 Ibidem,
p.XXII.
* 267 Fabrice CLEMENT,
op.cit., p.105.
* 268 SAVAS TSOHATZIDIS,
Intentional Acts and Institutional Facts :Essays on John Searle `s
Social Ontology, Springer ,2007,p.192.
* 269 Ibidem,
p.6.
* 270 Emile DURKHEIM,
op.cit., p.4.
* 271 Ibidem,
p.103.
* 272 Ibidem,
p.280.
* 273 Ibidem.
* 274 Jean-Michel
BERTHELOT, « Les sciences du social», dans
Epistémologie des sciences sociales, Puf, 2001,p.236.
* 275
Ibidem,p.236.
* 276 Thierry
LUCAS, « Sur le concept de nécessité en
logique » in Faut-il chercher aux causes une raison ?
L'explication causale dans les sciences humaines, Vrin, Paris, 1994,
p.234.
* 277 Jean-Michel
BERTHELOT, « Les sciences du social», art.cit.,
,p.240.
* 278
Ibidem,p.238.
* 279 Ibidem,
p.283.
* 280 Robert
FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles,
systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles
complémentaires ? » in Faut-il chercher aux causes
une raison ? L'explication causale dans les sciences humaines,
Librairie philosophique J.Vrin, Paris, 1994, p.283. Mais, à vrai dire,
c'est aux formes empiriques d'associations sociales -non aux relations
sociales- qu'il oppose sa conception des structures sociales. Il refuse de
qualifier de structure les formes d'association auxquelles se
référait généralement la sociologie depuis
Durkheim, formes d'association qui étaient au centre de l'approche
fonctionnaliste de Parsons, par exemple, ou de Radcliffe-Brown : il ne
s'agit pas là de relations singulières, labiles et ponctuelles,
mais des réseaux stabilisés de relations, telles que
des « organisations ».
* 281 Robert FRANCK,
« Histoire et structure », dans Jean-Michel BERTHELOT
(Dir.), Epistémologie des sciences sociales, Puf, Paris,2001
,p.345.
* 282 ELUNGU PENE ELUNGU,
Etendue et connaissance dans la philosophie de Malebranche, Librairie
philosophique J.Vrin , Paris, 1973, p.23.
* 283 Robert
FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles,
... », art.cit. p.284.
* 284 Ibidem,
p.284.
* 285 Ibidem,
p.285.
* 286 Ibidem.
* 287Robert
FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles,
systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles
complémentaires ? » ,p.285.
* 288 Ibidem,
p.286.
* 289 Ibidem,
p.287.
* 290 Ibidem.
* 291 Robert
FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles,
systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles
complémentaires ? » ,p.297.
* 292 Ibidem.
* 293 Ibidem.
* 294 Jürgen HABERMAS,
Droit et démocratie, p.24.
* 295 Ibidem,
p.28.
* 296 Ibidem.
* 297 Ibidem,
p.29.
* 298Jürgen HABERMAS,
Droit et démocratie, p.31.
* 299 Daniel VANDERVEKEN,
« La structure logique des dialogues intelligents » in
Bernard MOULI et al (éds.) Analyse et modélisation des
discours. Des conversations humaines aux interactions entre agents
logiciels, Collection Informatique, l'interdiscipline, Montréal,
1999, p.28 ,29.
* 300 Guy ROCHER,
Talcott Parsons et la sociologie américaine, édition
électronique, Collection « Classique des sciences
sociales », Centre de Recherche en droit public, Université de
Montréal, Québec, 1998 , p.39.
* 301 Patrick CHAMPAGNE et
Olivier CHRISTIN, Mouvements d'une pensée, Pierre Bourdieu,
Bordas, Paris, 2004, p.24.
* 302 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.169.
* 303 Pierre LIVET,
« Normes et faits », dans L'Univers philosophique,
Puf, Paris, p.129.
* 304 Jürgen HABERMAS,
Logique des sciences sociales et autres essais, Puf, 2005, p.363.
* 305 Jürgen HABERMAS,
Logique des sciences sociales, p.365.
* 306 John SEARLE, Les
actes de langage, essai de philosophie du langage, Hermann, Paris,1972,
p.120.
* 307 Jürgen HABERMAS,
Logique des sciences sociales et autres essais, p.365.
* 308 Marc MAESSCHALCK,
Normes et contextes, les fondements d'une pragmatique contextuelle, Georg
Olms Verlag Hildesheim, Zürich, New York, 2001, p.166.
* 309 Ibidem,
p.166.
* 310 Voir Jürgen
HABERMAS, Droit et démocratie, Entre faits et normes,
Gallimard, Paris, 1997, p.29.
* 311 Ibidem.
* 312 Jürgen HABERMAS,
Théorie de l'agir communicationnel, rationalité de l'agir et
rationalisation de la société, Tome I, Fayard, 1987,
p.92.
* 313 Peter BERGER et
Thomas LUCKMANN, op.cit., p.17.
* 314 Ibidem,
p.18.
* 315 Blandine DESTREMAU,
Agnès DEBOULET, François IRETON,op.cit., p. 56.
* 316 Peter BERGER et
Thomas LUCKMANN, op.cit., p.18.
* 317 Jürgen HABERMAS,
La logique des sciences sociales et autres essais, p.144.
* 318 Ibidem,
p.143.
* 319 Ibidem,
p.137.
* 320 Ibidem,
p.143.
* 321 Ibidem,
p.143.
* 322 Ibidem,
p.136. Quand nous suivons Jürgen Habermas, le programme de Cicourel est
par ailleurs celui de savoir : « Quels sont les fondements
appropriés de la mesure en sociologie ? ».
* 323 Ibidem,
p.141.
* 324 Peter BERGER et
Thomas LUCKMANN, op.cit., p.304.
* 325 Peter BERGER et
Thomas LUCKMANN, Avant -propos de Danilo Martuccelli ,op.cit .,
p.22.
* 326 Ibidem,
p.8.
* 327 Ibidem,
p.9.
* 328 Ibidem,
p.22.
* 329 Ibidem,
p.24.
* 330 Ibidem,
p.38.
* 331 Ibidem,
p.36.
* 332 Ibidem.
* 333 Ibidem.
* 334 Ibidem.
* 335 Ibidem,
p.37.
* 336 Ibidem,
p.123.
* 337 Ibidem,
p.122.
* 338 Ibidem,
pp.116-112.
* 339 Ibidem,
p.169.
* 340 Ibidem,
p.163.
* 341Jürgen HABERMAS,
Connaissance et intérêt, (Préface), p.19
* 342 Pierre BOURDIEU,
La distinction ; critique sociale du jugement, éditions
de Minuit, Paris, 1979, p.544.
* 343 Ibidem,
p.194.
* 344Ibidem,
p.215.
* 345 Pierre BOURDIEU,
Méditations pascaliennes, Seuil, Paris, 1997, p.216.
* 346 Pierre BOURDIEU,
La distinction, p.195.
* 347 Pierre BOURDIEU,
Méditations pascaliennes, p.190.
* 348
Ibidem,p.210.
* 349 Ibidem,
p.211.
* 350 Ibidem,
p.191.
* 351 Pierre BOURDIEU,
La distinction, p.189.
* 352 Leo CHALL,
Sociological Abstract, 2003, p.950.
* 353 Gustavo FAIGENBAUM,
Conversations with John Searle, p.83.
* 354 Yannick JAFFRE et
Jean Pierre OLIVIER DE SARDAN (Dir.), La construction sociale de la
réalité des maladies, entités nosologiques populaires en
Afrique de l'ouest, Paris,Puf, 1999, p.7.
* 355 Ibidem,
p.7.
* 356 Ibidem
p.11.
* 357 Ibidem,
pp.7,11.
* 358 Ibidem
,p.17.
* 359 Yannick JAFFRE et
Jean Pierre OLIVIER DE SARDAN (Dir.), op.cit ., pp.18, 19.
* 360 Ibidem,
p.18.
* 361 Pierre BOURDIEU,
La distinction , p.545.
* 362 Ibidem
,p.547.
* 363 Pierre BOURDIEU,
Méditations pascaliennes, p.216.
* 364 Pierre BOURDIEU,
La distinction,p.512.
* 365 Pierre BOURDIEU,
Méditations pascaliennes, p.214.
* 366 Ibidem
,p.217.
* 367 Ibidem,
p.218.
* 368 Ibidem,
p.217.
* 369 Pierre BOURDIEU,
La distinction , p.546.
* 370 Ibidem,
p.547.
* 371 Pierre POURDIEU,
Méditations pascaliennes, p.208.
* 372 Ibidem
,p.209.
* 373 Ibidem,
p.209.
* 374 Ibidem,
p.189.
* 375 Blandine DESTREMAU,
Agnès DEBOULET, François IRETON,op.cit.,
, p. 64.
* 376 Jeannine OUELLETTE,
Les femmes en milieu universitaire : liberté d'apprendre
autrement, Les Presses Universitaires d'Ottawa, Etudes des femmes, Ottawa,
1999, p.15.
* 377 Ibidem,
p.23.
* 378 Jeannine OUELLETTE,
op.cit., p.17.
* 379 Simone de BEAUVOIR,
Le deuxième sexe, cité par Jeannine OUELLETTE,
op.cit., p.17.
* 380 Jeannine OUELLETTE,
op.cit., p.13.
* 381Ibidem,
p.13.
* 382 Ibidem,
p.16.
* 383 Cheikh Anta DIOP,
Civilisation ou barbarie, une anthropologie sans complaisance,
Présence Africaine, Paris, 1981, p.145.
* 384 Pierre BOURDIEU,
Méditations pascaliennes, p.130.
* 385Ibidem,
p.89.
* 386Jeannine OUELLETTE,
op.cit., p.89.
* 387 Ibidem,
p.92.
* 388John Rogers SEARLE,
La construction de la réalité sociale, p.14-15.
* 389 Ibidem,
p.150.
* 390 Étienne LE ROY, Les pluralismes
juridiques, Laboratoire d'anthropologie juridique de Paris, Geneviève
Chrétien- Vernicos ,Paris,2004, p.84.
* 391 John Rogers SEARLE,
La construction de la réalité sociale, p.35.
* 392 Ibidem,
p.294.
* 393 Ibidem,
p.36.
* 394 Ibidem,
p.35.
* 395 John Rogers SEARLE,
La constrcuction de la réaliét sociale, p.18.
* 396 Marc MAESSCHALCK,
Normes et contextes , p.113.
* 397 John Rogers SEARLE,
La construction de la réalité sociale, p.18.
* 398 Ibidem.
* 399 Pierre LIVET, Les
normes, Armand Colin, Paris, 2006, p.168.
* 400 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.167.
* 401 Ibidem,
p.168.
* 402 Ibidem.
* 403 Ibidem.
* 404 Ibidem,
p.169.
* 405 John SEARLE, Les
actes de langage ; essai de philosophie de langage, Herman, Paris,
1972, p.93.
* 406 Jürgen HABERMAS,
La logique des sciences sociales et autres essais,
« édition Puf, 1987, première édition
« Quadrige », Paris, 2005, p.139.
* 407John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.183.
* 408Ibidem,
p.182.
* 409 Ibidem,
p.189.
* 410 SAVAS TSOHATZIDIS,
Intentionnal Acts and Institutionnal Facts :Essays on John Searle `s
social ontology, Springer, Dordrecht, 2007,p.191.
* 411
Ibidem,p.192.
* 412 Fabrice CLEMENT et
Laurence KAUFMANN, Le monde selon John Searle, Cerf, 2005, Paris,
p.91.
* 413 John SEARLE, Du
cerveau au savoir, Hermann, Paris, 1985, p.116.
* 414 Ibidem
,p.117.
* 415 Ibidem,
p.119.
* 416 Thierry
LUCAS, « Sur le concept de nécessité en
logique » in Faut-il chercher aux causes une raison ?
L'explication causale dans les sciences humaines, Philosophique ?,
VRIN, Paris, 1994, p.234.
* 417 Jean-Michel
BERTHELOT, « Les sciences du social», art.cit.,
p.240.
* 418 Ibidem,
p.238.
* 419 C'est la
généralisation et l'extension théoriques de la logique
intentionnelle de Montague ; Daniel VANDERVEKEN, « La
logique illocutoire »dans R.Klibansty et J. Ayoub(éds),La
philosophie d'expression française au Canada, Québec
,Presses de l'Université de Laval,1998,(p.289-360).
* 420 Daniel VANDERVEKEN,
« Aspects cognitifs en logique intentionnelle et théorie de la
vérité »dans Cahiers
d'épistémologie, Département de philosophie,
Université du Québec à Montréal, cahiers n°
2005-05,328e numéro, 2005, p.5.
* 421 John Rogers SEARLE,
La construction de la réalité sociale, p.172.
* 422 Ibidem,
p.172.
* 423 Fabrice CLEMENT ET
Laurence KAUFFMAN, « Esquisse d'une ontologie des faits sociaux. La
posologie proposée par John Searle », in
Réseau, n°79 CNET,Paris, 1996.p.131.
* 424 John SEARLE,
L'intentionnalité ; Essai de philosophie des états
mentaux,traduction de l'américain par Claude Pichevin,Cambridge
University Press,1983,Les éditions de Minuit,
Paris,1985 ,p.25.
* 425 Fabrice CLEMENT et
alii, op.cit., p .131.
* 426 John Rogers SEARLE,
La construction de la réalité sociale, p.274.
* 427 Daniel BOUGROUX
, « les sciences du lange et de la communication, »,
dans (Dir.) Jean-Michel BERTHELOT, Epistémologie des sciences
sociales, Puf, 2001, Paris, p.194.
* 428John Rogers SEARLE,
La construction de la réalité sociale, p.273.
* 429Ibidem,
p.274.
* 430 John SEARLE,
L'intentionnalité, p.19.
* 431 Daniel VANDERVEKEN,
« La structure logique des dialogues intelligents » in
Bernard et Moulin et al (éds.) Analyse et modélisation des
discours. Des conversations humaines aux interactions entre agents
logiciels, Collection Informatique, l'interdiscipline, 1999, p.61-99.
(Voir p.28 -29)
* 432 Guy ROCHER,
Talcott Parsons et la sociologie américaine, édition
électronique, Collection « Classique des sciences
sociales », Centre de Recherche en droit public, Université de
Montréal, Québec, 1988, p.39.
* 433 John SEARLE, Du
cerveau au savoir, p.83.
* 434 Ibidem,
p.84.
* 435 Ibidem,
p.85.
* 436 Ibidem,
p.90.
* 437 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.13.
* 438 Ibidem,
p.107.
* 439 Ibidem,
p.111.
* 440 Ibidem,
p.37.
* 441 Ibidem,
p.111.
* 442 Ibidem,
p.112.
* 443 Ibidem,
p.114.
* 444 Ibidem.
* 445
Ibidem,p.127.
* 446 Ibidem,
p.125.
* 447 Ibidem,
p.133.
* 448 Ibidem,
p.139.
* 449 Ibidem.
* 450 Ibidem,
p.56.
* 451 Grégory ODE,
Analyse hétérodoxe de la monnaie appliquée à
l'euro : l'originalité et le pari d'une monnaie pionnière en
son genre, produit de la rationalité économique,
Mémoire de Master, Dirigé par Jérôme Lallement,
Université de Paris I, Panthéon -Sorbonne, Paris ,2005-2006,
p.3.
* 452Ibidem,
p.138.
* 453 Ibidem.
* 454 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.153.
* 455 Grégory
ODE,op.cit.,p.5.
* 456 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.50.
* 457 Ibidem,
p.140.
* 458 Ibidem.
* 459 Ibidem,
p.147.
* 460 Ibidem,
p.143.
* 461 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.184.
* 462 Ibidem,
p.22.
* 463 Francisco VARELA,
Quel savoir pour l'éthique ? Action, sagesse et cognition,
Editions La Découverte, Paris, 2004, p.78.
* 464 Ibidem,
p.129.
* 465 Ibidem,
p.26.
* 466 Ibidem,
p.28.
* 467 John
SEARLE,L'intentionnalité ;Essai de philosophie des états
mentaux, traduction de l'américain par Claude Pichevin, Les
éditions de Minuit,1985, Paris,p.175.
* 468 Ibidem,
p.29.
* 469 Ibidem.
* 470Ibidem,
p.25.
* 471 Francisco VARELA,
op.cit., p.79.
* 472 John Rogers SEARLE,
La construction de la réalité sociale, p.183.
* 473 John SEARLE,
L'intentionnalité, Essai de philosophie des états
mentaux, Traduit de l'américain par Claude Pichin, Cambridge
University Press, 1983,Editions Du Minuit,1985,p.178.
* 474 Ibidem,
p.179.
* 475 Ibidem,
p.179.
* 476 Ibidem,
p.179.
* 477 John Rogers SEARLE,
La construction de la réalité sociale, p.172.
* 478 Jürgen HABERMAS,
Après Marx, Librairie Arthème Fayard,Paris, 1985,p.9.
* 479 Ibidem.
* 480 Voir John SEARLE,
Les actes de langage ; essai de philosophie de langage, Herman,
Paris, 1972, p.55.
* 481 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.9.
* 482 Ibidem,
p.10.
* 483 Ibidem.
* 484 John SEARLE, Du
cerveau au savoir, Hermann, Paris, 1985, p.105.
* 485 Ibidem,
p.111.
* 486 John SEARLE,
Liberté et neurobiologie, Nouveau collège philosophique,
Grasset et Frasquelle, Paris, 2004, p.13.
* 487 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.9.
* 488 Ibidem,
p.18.
* 489 John SEARLE, La
redécourte de l'esprit, The MIT Press, 1992, essais, Gallimard,
traduction française, 1995, Paris, p.19.
* 490 Marc MEASSCHALCK,
Normes et contextes, p.166.
* 491 John SEARLE,
L'intentionnalité : essai de philosophie des états
mentaux, Cambridge university Press, 1983, Les éditions de Minuit,
1985, Paris, p .9.
* 492 John Rogers SEARLE,
La construction de la réalité sociale, p.125.
* 493 Ibidem,
p.125.
* 494 Ibidem,
p.154 ; dans les pays africains, il est absolument impossible de dire
où finit l'armée et où commencent les bandes
armées, ou qui est « chef militaire» et qui est
« seigneur de guerre ». C'est une
généralisation problématique.
* 495 Ibidem,
p.154.
* 496 Ibidem,
p.115.
* 497 Ibidem.
* 498Ibidem.
* 499 Voir Du contrat
social, Livre II, chap.7, Du législateur.
* 500 Ibidem,
p.130.
* 501 Eric CARPANO,
Etat de droit et droits européens, évolution du modèle
de l'Etat de droit, dans le cadre de l'européanisation de
systèmes juridiques, L'Harmattan, Paris, Budapest,
Turin,2005,p.352.
* 502 Samuel
JERRY, « Economie et le juge : réflexion sur la
théorie hayekienne du droit »in Cahier d'économie
politique : histoire de la pensée et théorie,
N° 54, L'Harmattan, 2008, p.71.
* 503 Ibidem.
* 504 Ibidem,
p.70.
* 505 Ibidem.
* 506 Ibidem,
p.72.
* 507 Ibidem,
p.70.
* 508 Ibidem.
* 509 Ibidem,
p.71.
* 510 Ibidem,
p.58.
* 511 Marc MAESSCHALCK,
« La loi, entre délibération et
apprentissage », dans Philippe ABADIE, Aujourd'hui, lire la
Bible, exégèses contemporaines et recherches universitaires,
Profac, Bruxelles ,2008, p.297.
* 512 Ibidem,
p.296.
* 513 Ibidem.
* 514 Ibidem.
* 515 Ibidem.
* 516 Ibidem,
p.297.
* 517 Ibidem,
p.298.
* 518 Ibidem,
p.299.
* 519 Marc MAESSCHALCK,
« La loi, entre délibération et
apprentissage », p.302.
* 520Ibidem,
p.305.
* 521 Ibidem.
* 522 Yves BONNY,
Sociologie du temps présent ; modernité avancée
ou postmodernité ?, Armand Colin, Paris, 2004, p.83.
* 523 Ibidem.
* 524 Ibidem,
p.35.
* 525 Jeannine M.
OUELLETTE, Les femmes en milieu universitaire, liberté d'apprendre
autrement, Presses de l'Université d'Ottawa, Ottawa, 1999, p.90.
* 526 Ibidem.
* 527 Lukas SOSOE , Chantal
Des LAURIERS , EMONGO LOMOMBA , Janie PELABAY, Diversité humaine,
démocratie , multiculturalité et citoyenneté, Presses
de l'Université Laval, Sainte-Foy, Québec, L'Harmattan, Paris,
2002,p.46.
* 528Yves BONNY, Sociologie
du temps présent, p.82.
* 529 Ibidem,
p.127.
* 530 Jean Pierre COMETI,
Le philosophe et la poule de Kircher : quelques contemporains,
Edition de l'Eclat, Paris, 1997, p.156.
* 531 Ibidem,
p.156.
* 532 Ibidem,
p.156.
* 533 Jean De MUNCK,
L'institution sociale de l'esprit, Puf, 1995, p.4.
* 534 Jürgen HABERMAS,
Logique des sciences sociales et autres essais, p.5.
* 535Damile GAMBARARA, Anna
bella D'ATRI, Idélogia, filosofia e linguistica : atti del
convergno internazionale di Studi : Rende(SC) ,Bulzoni,1982,p. 79.
* 536 Ibidem.
* 537 Pierre COSSETTE,
L'organisation : une perspective cognitiviste, Presse de
l'Université de Laval, Québec, 2004, p.352.
* 538 Ibidem.
* 539 Ibidem.
* 540 John Rogers SEARLE,
La construction de la réalité sociale, p.212.
* 541Blandine DESTREMAU,
Agnès DEBOULET, François IRETON, op.cit.,38.
* 542 Michel PATY, La
physique du XX è siècle, EDP Sciences, Paris, 2003, p.5.
* 543 Gérard FOUREZ,
La construction des sciences : les logiques des inventions
scientifiques, 2001, De Boeck Université, Bruxelles, p.368.
* 544 Ibidem.
* 545 Jean Michel
BERTHELOT, Sociologie : Epistémologie d'une discipline ;
Textes fondamentaux, Puf ,2000, Paris ,p.388.
* 546Ibidem ,
p.134.
* 547 Ibidem,
p.133.
* 548 Cité par Jean
De MUNCK, L'institution sociale de l'esprit, p.3.
* 549 Ibidem ,
p.134.
* 550 Charles TAYLOR,
Hegel et la société moderne, Cerf, 1998, p.X.
* 551 Stanley
HOFFMANN, « Mondes idéaux », dans John
RAWLS, Le droit des gens, Ed. Esprit, Paris, 1996, p.132.
* 552 Stanley
HOFFMANN, art.cit., p.132.
* 553 Arnaud
SCHMIT, « Les communautés ethnocentriques, selon Richard Rorty
», in YC GRANDJEAT (Dir.) , Le sens de la communauté dans les
sociétés, les littératures et les arts d'Amérique
du Nord, Annales du CLAN n°30, Maison des Sciences de l'Homme
d'Aquitaine, Pessac ,2006, p.229.
* 554 Ibidem,
p.375.
* 555 Ibidem,
p.375.
* 556 Guy BOIS, La
grande dépression médiévale : ce
précédent d'une crise systémique, Puf, Paris, 2000,
p.173.
* 557 Saint MAXIMIN,
« Revue doctrinale de la théologie et de
philolophie »,in Revue thomiste de Saint Maximin(France),
Ecole de Théologie pour les missions, (Toulouse ,France),
Desclée,1914 ,p.376.
* 558 Ibidem,
p.81.
* 559 Ibidem,
p.62.
* 560Ibidem, p.62.
* 561 Ibidem,
p.81.
* 562 Jean de MUNCK,
L'institution sociale de l'esprit, Puf, l'interrogation philosophique,
Paris,1999,p.3.
* 563
Ibidem , p.3.
* 564 Ibidem,
p.4.
* 565 Ibidem,
p.3.
* 566 Ibidem.
* 567 Voir John SEARLE,
La construction de la réalité sociale.
* 568 Ibidem,
p.212.
* 569 Ibidem,
p.243.
* 570 Ibidem,
p.240.
* 571 Ibidem,
p.234.
* 572 Emile BENVENISTE,
Problèmes de linguiste générale, Gallimard,
Paris, 1966, p.65.
* 573 Voir Arthur
SCHOPENHAUER, Le Monde comme volonté et comme
représentation, Édition F. Alcan, Traduit en français
par A. Burdeau , Paris, 1909-1913.
* 574 Ibidem.
* 575 Ibidem.
* 576 René
BOUVERESSE, Karl Popper, ou, le rationalisme critique, critique du
relativisme, 2è édition, Vrin, 1998, p.92.
* 577 Ibidem.
* 578 Ibidem.
* 579 Ibidem.
* 580 Ibidem,
p.92.
* 581 Ibidem.
* 582 Tom ROCKMORE, On
foundationalisme: A strategy of Metaphysical Realism, Lanham, MD [u.a.]
Rowman & Littlefield ,Harvard ,2004, p.18.
* 583 Les
présupposés philosophiques de John Searle ressemblent fort aux
présupposés du sens commun ou à ce qu'on peut appeler le
« réalisme naïf » : il y a une partie
importante de la réalité qui est indépendante de nos
représentations humaines. Dans son article intitulé
« Rationalité et réalisme : ce qui est en
jeu ? », un article qui présente un résumé
de son livre La construction de la réalité sociale,
à propos de la rationalité en question John Searle parle plus
précisément de la rationalité occidentale.
http://peccatte.karefil.com/SearleRR.html
* 584 Ibidem,
p.203.
* 585 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.205.
* 586 Ibidem,
p.195.
* 587 Ibidem,
p.234.
* 588 Ibidem.
* 589 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.202.
* 590 Jean De MUNCK,
L'institution sociale de l'esprit, p.3.
* 591 Yves BONNY,
op.cit. , p.83.
* 592 Ibidem.
* 593 Ibidem,
p.119.
* 594 Yves BONNY,
op.cit. ,p.118.
* 595 Ibidem,
p.53.
* 596 Ibidem.
* 597 Ibidem,
p.72.
* 598 Ibidem,
p.73.
* 599 Yves BONNY,
op.cit., p.72.
* 600 Ibidem.
* 601 Ibidem,
p.76.
* 602Ibidem,
p.126.
* 603 Jean François
MALHERBE, Epistémologies anglo-saxonnes, Puf, Paris, 1981,
p.115.
* 604Ibidem,
p.1.
* 605 John Rogers SEARLE,
La construction de la réalité sociale, p.269.
* 606 Ibidem,
p.265.
* 607 Ibidem
,p.271.
* 608 Ibidem,
p.267.
* 609 Ibidem,
p.260.
* 610 Ibidem
,p.277.
* 611 Ibidem,
p.266.
* 612 Ibidem
,p.255.
*
613Ibidem,p.257.
* 614Ibidem,
p.260.
* 615 Ibidem,
p.268.
* 616 Ibidem.
* 617 Ibidem.
* 618 Fabrice CLEMENT et
Laurence KAUFFMAN, Le monde selon Searle, Cerf, 2005, Paris, p.90.
* 619 Jean-Michel
BERTHELOT, « Programmes, paradigmes, disciplines »,
p.13.
* 620Voir Ruwen
OGIEN, « Philosophie des sciences sociales »,
p.525.
* 621 Fabrice CLEMENT et
Laurence KAUFMANN, « Esquisse d'une ontologie des faits sociaux, la
posologie proposée par John Searle », p.158.
* 622 John Rogers SEARLE,
La construction de la réalité sociale, p.10.
* 623 Ibidem,
p.9.
* 624 Ibidem,
p.522.
* 625 Jean-Michel
BERTHELOT, « Programmes, paradigmes, disciplines »,
p.55.
* 626 Ibidem,
p.514.
* 627 Voir Jocelyn BENOIST
et Sandra LAUGIER-RABATE , Strawson et l'idée de métaphysique
descriptive, J.Vrin, Paris, 2005.
* 628 Voir John SEARLE,
Les actes de langage ; essai de philosophie de langage, Herman,
Paris, 1972, p.55.
* 629 Fabrice CLEMENT et
Laurence KAUFMANN, Le monde selon John Searle, Cerf, 2005, Paris,
p.78.
* 630 Peter BERGER et
Thomas LUCKMANN, op.cit., p.9, Avant -propos de Danilo Martuccelli.
* 631 Guy RACHET
(Présentation et notes), Le livre des morts des anciens
Egyptiens, France Loisirs, Paris, 1994, p.7.
* 632 Ibidem,
p.78.
* 633 Ibidem,
p.79.
* 634Ibidem,
p.78.
* 635 Marc MAESSCHALCK,
Normes et contextes, Georg OLMS Verlag, Hildesheim-Zürich-New
York, 2001, p.115.
* 636 Jürgen HABERMAS,
Après l'Etat-nation, une nouvelle constellation
politique, Traduit de l'Allemand par Rainer Rochelitz, Fayard, Paris,
2000.p.43.
* 637 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.156.
* 638 Ibidem,
p.102.
* 639 Ibidem,
p.154.
* 640 Voir la question de
la mentalité africaine chez Axelle KABU, Et si l'Afrique refusait
le développement, L'Harmattan, Paris, 1991.
* 641 Alfred MAURY, Les
Académies d'autrefois. L'ancienne Académie des inscriptions et
belles lettres, Didier, 2è édition, Paris, 1864, p.262.
* 642 Yves Valentin
MUDIMBE, L'odeur du père, Présence africaine, Paris,
1982, p.193.
* 643 Ibidem,
p.194.
* 644 Ibidem,
p.13.
* 645 Ibidem,
p.263.
* 646 Ibidem,
p.261.
* 647 Jean POUILLON, Pierre
MARTANDA, Echange et communication : mélanges offertes à
Claude Lévi-Strauss à l'occasion de son 60 è
anniversaire, Mouton, La Haye, 1970, p.944.
* 648 Jean-Michel
BERTHELOT, « Les sciences du social», dans
Epistémologie des sciences sociales, Puf, 2001, p.228.
* 649 Ibidem,
p.228.
* 650 Voir Théophile
OBENGA , Le sens de la lutte contre l'africanisme eurocentriste
, KHEPERA et L'Harmattan , Paris, 2004 .
* 651 Pierre
LIVET, « Action et cognition en sciences sociales »,
dans (Dir. Jean-Michel BERTHELOT) dans Epistémologie des sciences
sociales, Puf, 2001, p.295.
* 652 Robert
FRANCK, « Les explications causales, fonctionnelles,
systémiques ou structurales et dialectiques, sont -elles
complémentaires ? » in Faut-il chercher aux causes
une raison ? L'explication causale dans les sciences humaines, VRIN,
Paris, 1994, p.294.
* 653 Ibidem,
p.294.
* 654 Ibidem.
* 655Ibidem,
p.295.
* 656 Théophile
OBENGA, L'Egypte, la Grèce et l'école d'Alexandrie :
histoire culturelle dans l'Antiquité : aux sources
égyptiennes de la philosophie grecque, L'Harmattan, Kinshasa,
Budapest, Paris, 2006, p.33.
* 657 Ibidem.
* 658 Mbog BASSONG, Les
fondements de l'état de droit en Afrique précoloniale,
L'Harmattan, Paris, 2007, p.215.
* 659 Guy RACHET
(Présentation et notes), Le livre des morts des anciens
Egyptiens, France Loisirs, Paris, 1994, p.111.
* 660 Voir Paul BARGUET,
Le livre des morts des anciens Egyptiens, Editions du Seuil,
Paris, 1979 ; cité par Cheikh MOCTAR BA, Etudes comparatives
entre les cosmogonies grecques et africaines, L'Harmattan, Paris,
p.251.
* 661 Ibidem,
p.252.
* 662 Claude LEVI-STRAUSS,
Anthropologie structurale, Plon, Paris, 1958, p.37.
* 663 Ibidem,
p.344.
* 664 Robert FRANCK,
« Histoire et structure », dans Jean-Michel BERTHELOT
(Dir.) Epistémologie des sciences sociales, Puf, p. 344.
* 665 Ibidem,
p.52.
* 666 Ibidem,
p.43.
* 667 Ibidem,
p.48.
* 668 Voir Sylvie MESURE,
Patrick SAVIDAN (Dir.), Dictionnaire des sciences humaines,
collections `Grands Dictionnaires', Puf, p.2006.
http ://www.juif.com/wiki/Autre collections : le dictionnaire
des sciences humaines
* 669 Ibidem.
* 670 Gérard
DELEDALLE, La philosophie américaine, De Boeck
Université, Bruxelles, 1998, p.96
* 671 Ibidem,
p.99.
* 672 SANTAYANA,
Scepticisme and Animal Faith, New York, Charres Scribner's, Ins, 1923,
p.VII, cité par Gérard DELEDALLE, La philosophie
américaine, De Boeck Université, Bruxelles, 1998,
p.96.
* 673 Ibidem.
* 674 Ibidem,
p.101.
* 675 Philipe RAYMOND et
Stéphane RIALS, (Dir.), Dictionnaire de la philosophie
politique, Puf, Paris, 1996, Pp.354-355.
* 676 Jean De MUNCK,
L'institution sociale de l'esprit, Puf, Paris, p.9.
* 677 Ibidem,
p.10.
* 678 Ibidem.
* 679 Gérard
DELEDALLE, La philosophie américaine, p.96
* 680 C'est un recueil qui
réunit des cosmogonies traditionnelles de la région congolaise
qui va de la rivière Lomami à la rivière Kasaï, en RD
Congo.
* 681 Marc PONCELET,
Sciences sociales, colonisation et développement ; une histoire
sociale du siècle d'africanisme belge, Dissertation doctorale,
Université de l'Ille I, Tome I, 1995, (inédit), p.461.
* 682 Ibidem,
p.462.
* 683 Ibidem,
p.65 ; les commentaires soutiennent qu'à propos de la physiologie
d'Une bible noire, la conception de ce qui est appelé ici
les centres de l'homme, liés à des facultés et pouvoirs,
réunit des notions particulières de physiologie et une notion
très comparable à celle de Chakras Hindu. Cakras: Sanskrit:
«roue». Un lieu de concentration d'énergie et de conscience
situé dans les corps intérieurs de l'être humain. Ce sont
les centres nerveux, plexus et ganglions, ainsi que les glandes qui
correspondent aux chakras principaux, qui se trouvent dans le corps physique,
le long de la colonne vertébrale, du bas jusqu'au sommet du crâne.
(Notons qu'il y a correspondance, et non identité entre les chakras et
les centres nerveux, glandes, etc.) Il y a sept chakras principaux qui sont les
plus connus et le plus souvent décrits dans les livres. Mais en
réalité, il y en a d'autres encore. On peut voir les chakras par
le psychique; ils ressemblent à des lotus aux nombreux pétales de
diverses couleurs. Voir: manipura-chakra, muladhara-chakra, nadi,
sahasrara-chakra.
* 684 Tiarko FOURCHE et
Henri MORLIGHEM, Une bible noire, Max Arnold, Bruxelles,
1976 , p.37.
* 685 Ibidem,
p.19.
* 686 Ibidem,
p.24.
* 687 Jürgen HABERMAS,
Après Marx, Fayard, édition française, Paris,
1985, p.226.
* 688
Ibidem,p.233.
* 689 Jürgen HABERMAS,
Après Marx, p.166.
* 690 Jean-Cassien BILLIER
et Aglaé MARYIOLI, Histoire de la philosophie du droit, Armand
Colin,/VUEF , Paris, 2001, p.7.
* 691
Ibidem,p.14 .
* 692 Ibidem.
* 693 Jürgen
HABERMAS, Droit et démocratie, entre faits et normes,
traduit de l'Allemand par Rainer Rochltz et Christian Bouchinndhomme,
Gallimard, Paris,1997, p. 160.
* 694 Ibidem,
p.39.
* 695 Michel WIEVIORKA,
Aude Marie DEBARLE, Les sciences en mutations, 2007, p.27.
* 696 Marc MEASSCHALCK,
Epilogue, Nivelles, (Belgique), 2009, p.270. (À paraitre). Ce
texte porte sur ce que nous pouvons appeler les tâches actuelles de la
philosophie des normes.
* 697 Ibidem.
* 698 Ibidem.
* 699 Ibidem.
* 700 Ibidem.
* 701 Janet VAILLANT, Abdou
DIOUF, Vie de Léopold Sédar Senghor, Karthala, 2006,
Paris, p.18.
* 702 Georges BALANDIER,
Le « tiers monde », sous -développement et
développement, Puf, 1961, p.16.
* 703Marc MAESSCHALCK,
Normes et contextes, p.26.
* 704 Ibidem,
162.
* 705 Ibidem,
p.27.
* 706
Ibidem,p.81.
* 707
Ibidem,p.91.
* 708
Ibidem,p.123.
* 709
Ibidem,p.126.
* 710
Ibidem,p.124.
* 711 Ibidem,
p.30.
* 712 Ibidem,
p.33.
* 713
Ibidem,p.163.
* 714 Jürgen HABERMAS,
Théorie et pratique, Payot, Hermann Luchterhand Verlag, 1963,
éditions Payot et Rivages, Paris, 2006, p.345.
* 715 Marc MAESSCHALCK,
Normes et contextes, p.116.
* 716
Ibidem,p.82.
* 717 Jürgen HABERMAS,
Théorie et pratique, p.342.
* 718 Ibidem.
* 719 Ibidem,
p.342.
* 720 Ibidem,
p.30.
* 721 Ibidem,
p.28.
* 722 Ibidem,
p.128.
* 723 Jean De MUNCK,
L'institution sociale de l'esprit, Puf, Paris,1999, p.93.
* 724 Ibidem,
p.93.
* 725 Marc MEASSCHALCK,
Normes et contextes, p.2.
* 726 Jürgen HABERMAS,
Théorie et pratique, p.345.
* 727 Ibidem,
p.345.
* 728 Ibidem,
p.256.
* 729 Marc MAESSCHALCK,
Normes et contextes, p.159.
* 730Ibidem,
p.159.
* 731 Ibidem.
* 732
Ibidem,p.24.
* 733
Ibidem,p.159.
* 734
Ibidem,p.83.
* 735 Ibidem.
* 736
Ibidem,p.84.
* 737
Ibidem,p.85.
* 738 Ibidem,
p.26.
* 739 Ibidem,
p.2.
* 740 Marc MAESSCHALCK,
« Entre éthique et gouvernance : la philosophie des
normes », Introduction. Manuscrit à paraitre.
* 741 Ibidem.
* 742 Ibidem.
* 743 Marc MAESSCHALCK,
Démocratie et acteurs collectifs ou
« comment construire les conditions d'une démocratie
d'acteurs collectifs ? », Note interne, Université
catholique de Louvain, Janvier 2009, CPDR, p.17 .
* 744 Jean Jacques
ROUSSEAU, « Discours sur cette question proposée par
l'académie de Dijon : Quelle est l'origine de
l'inégalité parmi les hommes et si elle est autorisée par
la loi naturelle », dans Oeuvres philosophiques de Jean Jacques
Rousseau, Garnier, Paris, 1966, p.39.
* 745 Philipe RAYMOND et
Stéphane RIALS, (Dir.), Dictionnaire la philosophie politique,
Puf, Paris, 1996, p.194.
* 746 Ibidem,
pp.354-355.
* 747 Philipe RAYMOND et
alii, op.cit., P.428.
* 748 Ibidem,
p.429.
* 749 Ibidem,
p.430.
* 750 Ibidem.
* 751 Ibidem.
* 752 Ibidem.
* 753 Ibidem,
p.432.
* 754 Ibidem.
* 755 Ibidem,
p.433.
* 756 Ibidem,
p.434.
* 757Jürgen HABERMAS,
l'éthique de la discussion et la question de la
vérité, Bernard Gasset, Paris, 2003, p.78.
* 758 Ibidem,
p.29.
* 759) Jürgen.
HABERMAS, Théorie de l'agir communicationnel. Rationalité de
l'agir et rationalisation de la société, Fayard, Tome 1,
Paris, p. 315.
* 760Alionne SALL (Dir.),
La compétitivité future des économies africaines,
Actes du Forum de Dakar 5 du 3 au 5 mars 1999 ,organisé par
l'équipe de Futur africain, éd. Khartala, Sankoré, Futur
africain, Abidjan, Dakar, Paris, 2000, p.9.
* 761
Ibidem ,p.9.
* 762 Ibidem,
p.12.
* 763 Ibidem.
* 764 Ibidem,
p.377.
* 765 Ibidem.
* 766 Jean KINYONGO JEKI,
« L'histoire d'un drame », dans Philosophie et destins
des peuples, Actes des journées philosophiques de Canisuis, Mars
1999, éditions Loyola, 2000, p.24.
* 767 Ibidem.
* 768 Ibidem,
p.26.
* 769 Ibidem.
* 770 Jürgen HABERMAS,
Théorie et pratique, p.320.
* 771 Pierre MTUNDA
MWEMBO, art.cit. p.47.
* 772
VERLEY, « Crise économique » dans
Encyclopédie Univesalis, p.770, cité par Pierre MUTUNDA
MWEMBO, art.cit. p.51.
* 773 Jürgen HABERMAS,
Théorie et pratique, Payot, Hermann Luchterhand Verlag, 1963,
éditions Payot et Rivages, 2006, Paris, p.340.
* 774 Ibidem,
p.320.
* 775 Pierre MUTUNDA
MWEMBO, art.cit., p.51.
* 776 Pierre BOURDIEU,
Méditations pascaliennes, éditions du Seuil, Paris,
1997, p.129.
* 777 Alban BOUVIER, La
philosophie des sciences sociales, Puf, Paris,1999, p.107.
* 778 Ibidem,
p.107.
* 779 Emile DURKHEIM,
op.cit., p.81.
* 780 Ibidem,
p.84.
* 781 Ibidem,
p.460.
* 782 John SEARLE, La
construction de la réalité sociale, p.158.
* 783 Jürgen HABERMAS,
Après Marx, Fayard, 1985, Paris, p.9.
* 784 Rudolf
CARNAP, La construction logique du monde, Librairie philosophique
J. Vrin, Paris, 2002, p.45.
* 785 Voir Jürgen
HABERMAS, Après Marx, p.11.
* 786 Voir Sylvain SHOMBA
KINYAMBA (Dir.), Les sciences sociales au Congo -Kinshasa : Cinquante
ans après : quel apport ?, L'Harmattan, Paris, 2007.
* 787 Voir Sylvain SHOMBA
KINYAMBA (Dir.), Les sciences sociales au Congo -Kinshasa ,
2007.
* 788 Renée
BOUVERESSE, La philosophie et les sciences de l'homme,
Ellipses/édition Marketing S.A., Paris, 1998, p.15.
* 789 Francisco VARELA,
Quel savoir pour l'éthique ? Action, sagesse et cognition,
Editions La découverte, Paris, 1996, 2004, p.46.
* 790 BONGELI YEIKELO YA
ATO, Sociologie et sociologues africains: pour une recherche sociale
citoyenne au Congo- Kinshasa, L'Harmattan, Paris, 2007 ,p.43.
* 791 Ibidem,
p.44.
* 792 Ibidem,
p.61.
* 793 Marc MEASSCHALCK,
Normes et contextes, p.7.
* 794
Ibidem,p.2.
* 795 Ibidem.
* 796 MAESSCHALCK Marc,
Démocratie et acteurs collectifs ou « comment construire
les conditions d'une démocratie d'acteurs collectifs ?»,
Note interne, CPDR, UCL, 2009, p.23.
* 797 Ceci corrobore la
topologie de Joseph N'KWASA BUPELE, Cours d'épistémologie des
sciences de la communication, Unikin ,2008.
* 798 MAESSCHALCK Marc,
Démocratie et acteurs collectifs ou « comment
construire les conditions d'une démocratie d'acteurs
collectifs ?», Note interne, CPDR, UCL, 2009, pp.14-16.
* 799Ibidem,
p.90.
* 800 Ibidem,
p.89.
* 801 Voir Fabrice CLEMENT
et Laurence KAUFMANN, « Esquisse d'une ontologie des faits sociaux
», p.125.
* 802 Ibidem,
(Avant-propos).
* 803 Voir John Rogers
SEARLE, La construction de la réalité sociale, p.
1995.
* 804 Fabrice CLEMENT et
alii, op.cit., p.125.
* 805 Ces mutations
affectent par ailleurs l'Afrique.
* 806 Crispin NGWEY NGOND'A
NDENGE, « Pour une pensée et une praxis autonomes des
sociétés africaines », dans Philosophie et destins
des peuples, Actes des journées philosophiques de Canisius, Mars
1999, Editions Loyola, 2000, p.109.
* 807 Marc PONCELET,
Sciences sociales, colonisation et développement, p.365.
* 808 Ibidem.
* 809 Les recommandations
de la Conférence Nationale Souveraine se focalisent sur la
réhabilitation du Conseil Scientifique National comme
« intelligence nationale » pour piloter tous les Instituts
et Centres de Recherche en RD Congo.
* 810 Jürgen HABERMAS,
Théorie et pratique, p.321.
* 811 Cette notion est
évoquée ici sans connotation péjorative, il s'agit tout
simplement des études sur l'Afrique.
* 812 Jean-Michel
BERTHELOT, « Programmes, paradigmes », p.488.
* 813 Ibidem, p.
488.
* 814 Marc PONCELET,
Sciences sociales, colonisation et développement, p.25.
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