6. L'installation de la dépendance des personnes
âgées en foyer-logement
Une difficulté majeure des foyers-logements est
l'installation de la dépendance des résidents. En effet, ce type
de structure accueille des personnes retraitées autonomes et
indépendantes. Lorsque s'installe une dépendance psychique et/ou
physique, le résident demande plus de soins que ce que la structure ne
peut lui apporter. Il n'est pas rare de voir la famille, les professionnels,
l'établissement en général, persister à vouloir
garder cette personne dans un lieu inadapté à ses besoins en
essayant de l'adapter elle-même à l'institution. Les raisons les
plus souvent évoquées, selon T. Darnaud (2008), pour
déroger aux règles (c'est-à-dire aux limites de la
résidence), sont par exemple la notoriété de la famille,
la possible amélioration de l'état de santé de leur parent
(« il est dans une mauvaise passe, ça va s'arranger) ou la
remise en cause de l'institution par la demande (« vous pourriez
faire une exception, aller lui faire sa toilette un peu plus souvent, s'il n'y
a qu'elle ») [8].
Mais derrière le refus des familles de changer leur
proche d'établissement, nous pouvons faire deux
hypothèses :
Il existerait un coût important engendré
par le changement. Il s'agit du coût financier
car les EHPAD sont plus onéreux que les foyers-logements, étant
donné qu'un forfait dépendance est à payer. Il s'agit
également d'un coût énergétique car
la famille doit chercher un nouvel hébergement, s'occuper de l'aspect
administratif de départ (résiliation du bail) et d'arrivée
dans la nouvelle structure, c'est-à-dire gérer d'un point de vue
organisationnel le changement.
Ensuite, envisager ce nouveau changement provoque
l'apparition d'une nouvelle crise dans le système
familial. L'entrée en résidence a souvent été,
comme nous l'avons vu, la source et l'aboutissement d'une crise dans la
famille. Il a fallu du temps au sujet lui-même et à son entourage
pour s'adapter à ce nouvel habitat. Lorsque le changement
d'établissement est envisagé, cela signe une nouvelle crise
à gérer pour le système familial. Cette crise est d'autant
plus difficile à vivre qu'elle est cette fois-ci accompagnée de
la notion de mort : la maison de retraite signe pour la famille un pas de
plus vers le décès de la personne, marquée par
l'installation de la dépendance.
Lorsque la résidence garde la personne devenue
dépendante, elle entame alors selon T. Darnaud un « processus
irréversible » sans s'en rendre compte [8]. Nous pouvons nous
demander pour quelles raisons psychologiques la résidence garde la
personne, pourquoi ne fait-elle pas appel aux règles officielles en
matière d'hébergement, qu'est ce que cela signifie pour les
soignants ?
A ces questions nous pouvons émettre l'hypothèse
suivante : la résidence a été chargée d'une
mission de la part de la famille, celle de garder « en
état » son proche, c'est-à-dire indépendant
comme il l'est à l'entrée. Lorsque la dépendance du sujet
ne permet plus une prise en charge par le foyer-logement, la famille accuse
alors l'établissement et donc son premier interlocuteur :
l'infirmière, d'avoir failli à sa mission. L'entourage
utiliserait alors comme mécanisme de défense pour refuser cette
dépendance, la recherche d'un bouc émissaire, d'un responsable.
Cela nous amène, comme nous le verrons dans la seconde
partie, à analyser la manière dont ce sujet est abordé par
les professionnels lors de l'inscription.
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