Université Paris I
Panthéon-Sorbonne
UFR de sciences économiques 02
Master 2 Recherche Economie des ressources humaines et des
politiques sociales
L'influence des principes de la doctrine
sociale de l 'Eglise sur les politiques de
ressources humaines des entreprises
Sous la direction du Professeur Jean-Marie
Monnier Mémoire présenté et soutenu par Ranim
El-Hage
Paris
L'Université de Paris I Panthéon - Sorbonne
n'entend donner aucune approbation ni désapprobation aux opinions
émises dans ce mémoire ; elles doivent être
considérées comme propres à leur auteur.
A la mémoire de Père Simon El-Zind
Remerciements
Je tiens à assurer de mes remerciements tous ceux qui ont
contribué à la réussite de ce mémoire.
Ma meilleure reconnaissance va au Professeur Jean-Marie
Monnier, directeur de ce travail, qui a généreusement
donné de son temps pour orienter mes efforts et me procurer quelques
références-clés. Je tiens particulièrement à
lui exprimer toute ma gratitude pour ses encouragements réconfortants,
surtout lorsque j'allais à nos réunions de travail avec le
sentiment d'avoir fait du surplace depuis la dernière rencontre.
Un grand merci à M. le Professeur Bernard Gazier,
directeur de ce master. C'est lui qui, dès la réunion de
prérentrée, m'a donné le feu vert pour entamer ce sujet
pas très exploité dans les filières académiques, et
m'a suggéré comme directeur le Professeur Jean-Marie Monnier,
expert dans les questions inhérentes au catholicisme social.
Je voudrais surtout exprimer ma très grande gratitude
aux interlocuteurs de ce mémoire, MM. Pierre Deschamps, Emmanuel Gravier
et Xavier Grenet, qui sont les dignes messagers de la pensée sociale
chrétienne et qui confirment la pertinence sociale et la portée
humaine de cette doctrine.
Je tiens également à remercier à l'avance
tous les membres du jury pour le temps qu'ils accorderont à la lecture
et à l'évaluation de ce mémoire.
Finalement, je voudrais remercier mon père, Dr. Youssef
Kamal El-Hage, à qui je dois mon éclairage sur la doctrine
sociale de l'Eglise et mon intérêt pour ses principes depuis que
j'ai décidé, il y a deux ans, de poursuivre mes études
dans la voie de l'économie du travail et des ressources humaines.
Introduction
Le communisme, on le sait bien, s'est effondré.
Cependant on pourrait, dans une certaine mesure, comparer ses buts à
ceux de la « Doctrine Sociale de l'Eglise » (DSE),1 qui
s'est progressivement affirmée pendant plus d'un siècle :
comparer les buts, certes, surtout celui de contrebalancer le pouvoir du
capital lorsque ce dernier piétine la dignité de «
l'inférieur », mais pas les moyens. En effet, le communisme
«met une arme tranchante au service de sa doctrine, l'arme de la lutte
des classes, mobilisant les foules. »2 Cette arme est
offensive et souvent sanglante, à l'opposé même de la
pensée chrétienne qui, quant à elle, n'espère que
réconcilier, de manière harmonieuse et pacifique, capital et
travail.
L'histoire de la DSE commence en 1891, avec l'encyclique
Rerum novarum du Pape Léon XIII, qui pose les bases des trois
axes fondamentaux de l'entreprise : la justice sociale, la recherche du bien
commun et le rôle des corps intermédiaires. Mais le terme
« entreprise » n'apparaît pour la première fois qu'en
1931. Des concepts tels que « organisation, formation et évolution
des carrières » sont encore plus tardifs. Ce n'est qu'après
la Seconde Guerre mondiale que l'entreprise s'insère vraiment, en tant
que telle, dans l'ensemble de la DSE, dont les exigences et articulations, en
perpétuelle expansion, y font de plus en plus référence.
Aujourd'hui, on pourrait dire que les grands principes de la DSE sont
considérés par les grands entrepreneurs de ce monde, constamment
déchirés dans leurs réflexions entre rentabilité
financière et solidarité humaine, comme une vision d'ensemble de
plus en plus directrice. Cette vision, quant à elle, aspire à
« l'organisation de la cité », notamment à l'heure
actuelle où le retour du capital et de l'actionnariat, et le
développement de la société de consommation et de ses
médias, lancent les valeurs chrétiennes de l'entreprise dans une
aventure sans précédent. La « guerre non sanglante » de
la DSE contre le déséquilibre capital-travail n'est pas encore
gagnée, d'autant moins que les armes du capitalisme à outrance se
sont encore plus dangereusement développées
1 Par le terme « Eglise », nous entendons
plus précisément l'Eglise catholique tout au long de ce
travail.
2 Michel Albert, Les Eglises face à l'entreprise,
Ed. du Centurion, 1991, p. 9
et que se sont ajoutés à la bataille les chiffres
d'affaires colossaux des « monstres internationaux souterrains » qui
parasitent l'économie mondiale et la santé humaine.
Le corpus de l'enseignement social de l'Eglise ne cesse,
depuis plus de cent ans, de se développer au rythme des besoins de
l'humanité. En cela, il consolide les activités de toutes les ONG
ramant à contre-courant dans un monde cruel, toujours témoin de
la dangereuse séduction de la fortune au détriment des exigences
de justice et de solidarité humaine.
Aussi, dès ses premières interventions dans
l'entreprise, l'Eglise s'est efforcée d'enrichir de manière
convaincante le vocabulaire managérial en ajoutant « participation
», « consultation » et « dialogue » à «
rentabilité », « déficit » et « marché
financier ».
L'Eglise n'a donc ni défendu le socialisme, ni
adopté le libéralisme. Elle a soigneusement recueilli de chacun
des idées-forces qui, une fois explicitées de façon plus
nuancée, se révèlent conformes aux valeurs
chrétiennes. Ainsi, la DSE défend la liberté individuelle
d'entreprendre et le droit à la propriété privée,
tous deux issus du libéralisme, mais seulement dans la mesure où
leurs fruits bénéficieront au bien commun, au
développement de l'Homme et à la préservation de
l'environnement. Et bien que l'Eglise ait sanctionné l'idée de
l'existence de « syndicats » pour les travailleurs, idée
curieusement amorcée par le libéralisme, elle ne cesse de
rappeler que « les rapports au sein du monde du travail doivent
être caractérisés par la collaboration », car
« dans tout système social, autant le travail que le capital
sont indispensables au processus de production. »3 Enfin,
si le socialisme entend par principe de subsidiarité l'idée selon
laquelle l'Union est tenue de prendre en charge toute tâche qui, du fait
de son ampleur et pour des motifs de mise en oeuvre efficace, est susceptible
d'être mieux exécutée par l'Union que par les Etats pris
isolément, le pape Pie XI entend par contre, dans son encyclique
Quadragesimo anno de 1931, que l'élément
supérieur aide l'élément inférieur
3 Conseil Pontifical Justice et Paix, Compendium
de la Doctrine Sociale de l 'Eglise, Libreria Editrice Vaticana , 2005, n.
306.
à mieux exécuter par lui-même la
tâche que ce dernier est à même d'entreprendre de la
manière la plus efficace, sans toutefois se substituer à lui ou
le faire à sa place. Ainsi, l'Eglise entend encourager l'individu
à l'innovation et à la création simultanée de
valeur et d'emploi plutôt que de le voir démotivé par
l'assistanat et donc démuni de tout esprit d'initiative pouvant servir
la communauté.
Cette idéologie nouvelle, une sorte de troisième
voie, une doctrine de « juste milieu », soutenue sans réserve
par les uns, farouchement contestée par les autres, surtout pour sa
position jugée plutôt indécise et sans option ferme, a
suscité l'apparition d'une abondante littérature couvrant tous
les aspects de la vie sociale, notamment le monde du travail, la vie des
entreprises et le partenariat social. Mais c'est bien le « Compendium
de la Doctrine Sociale de l'Eglise », publié en 2005 par les
soins du « Conseil Pontifical Justice et Paix », qui regroupe le
mieux les grands principes de la pensée chrétienne sur la
question sociale. Ce Compendium est devenu un peu comme une « Bible du
management », qu'un nombre non négligeable de croyants, de
prêtres, de penseurs, de sociologues mais aussi d'entrepreneurs et de
responsables économiques, consultent régulièrement pour
prendre du recul et parfois pour s'y réfugier loin du monde implacable
des affaires. Les décideurs chrétiens en affaires deviennent
conscients qu'ils sont trop souvent conditionnés par la seule loi du
profit, ce qui les éloigne de leur vraie vocation. Ces moments de recul
et de recueillement sont certes rares, mais perçus comme chers et
sacrés, et parfois déterminants dans toute prise de
décision radicale, susceptible de bousculer les collaborateurs dans
l'entreprise, le groupe ou le réseau d'entreprises. Que de fois, en
effet, une simple signature d'un contrat « mal pensé », ou un
deal « appétissant » pour faire monter en flèche la
valeur des actions, a pu mettre des centaines de travailleurs au chômage,
des milliers d'enfants hors des écoles, et enfoncer d'innombrables
foyers dans la misère.
Penser avant d'agir, traduire son idéal de vie par des
initiatives quotidiennes, exercer l'autorité pour coordonner et non pour
détrôner, résister aux difficultés
économiques par la créativité, l'innovation, et
l'investissement dans le capital productif, voire essentiellement dans le
capital humain, au lieu d'en réduire lâchement l'effectif :
tels sont les principaux défis
économico-éthiques posés aux responsables entrepreneuriaux
dans les moments de crise et qu'ils sont tenus de relever.
Le but de ce mémoire est de retracer l'histoire de la DSE
depuis ses origines et de déceler son impact actuel sur le «
business contemporain ».
Dans une première partie, nous passerons en revue les
principales encycliques sociales ainsi que quelques interventions des papes
dans le monde du travail. Dans cette même partie, l'éthique
d'entreprise sera formalisée dans son cadre universel « laïque
», sans encore rentrer dans le détail de l'apport spécifique
de l'enseignement social de l'Eglise pour cette éthique. Dans une
deuxième partie, nous discuterons des principes de la DSE touchant le
monde du travail et des ressources humaines, pour dégager ensuite, dans
une troisième partie, les fondements d'un modèle de management
chrétien. La quatrième partie, empirique quant à elle,
présentera diverses associations et regroupements de dirigeants
chrétiens en France ainsi que leurs principales activités. La
dernière partie, qui complète la précédente,
portera sur des entrevues que j 'ai pu passer avec des entrepreneurs
chrétiens engagés, soucieux de mettre les exigences de leur foi
au service des communautés qu'ils dirigent. Leur souci de rendre
aisé mon accès aux locaux de leurs entreprises, l'observation de
leur cadre de travail, l'expression des visages de leurs collaborateurs, ainsi
que la transparence de leurs entretiens avec moi, seraient en soi dignes
d'être longuement relatés tant ils sont intimement
corrélés au contenu même des témoignages,
eux-mêmes fidèles aux principes fondamentaux de la DSE. Je
synthétiserai les difficultés auxquelles ces chefs d'entreprise
ont dû faire face, ainsi que les erreurs que nombre d'entre eux ont
avoué avoir commises et dont ils ont pu éviter les
conséquences néfastes grâce à une négociation
loyale avec leurs partenaires dans l'entreprise. Ces cadres occupent des postes
de responsabilités différentes : membre d'un directoire
hétérogène, DRH, propriétaire PDG. Les marges de
manoeuvre dont ils disposent varient en conséquence. Mais autant la
marge est réduite, autant le responsable est naturellement porté
à incarner un plus grand faisceau de valeurs humaines. Investi de la
confiance de ses supérieurs, il peut alors engendrer, grâce
à sa conscience professionnelle innée et à
ses convictions éthiques et humaines par-delà
l'entreprise, une nette amélioration des conditions de travail.
***
I. Les principaux textes de l'Eglise sur le
monde du travail et l'éthique
d'entreprise
I.1 Les principales encycliques sociales sur le travail
de Léon XIII à Jean-Paul II
I.1.a Léon XIII : Encyclique « Rerum novarum
» sur la condition des ouvriers (1891)
La toute première encyclique sociale de l'Eglise,
Rerum novarum, promulguée par Léon XIII en 1891, est
apparue au moment du passage d'une partie de l'Europe de l'agriculture à
la société industrielle (voir annexe 1). Cette encyclique
historique constitue à juste titre la charte des travailleurs et la base
de toutes les encycliques sociales ultérieures sur le travail. Son
inspiration sera régulièrement célébrée et
actualisée par plusieurs encycliques ou lettres apostoliques
postérieures (Quadragesimo anno de Pie XI, Mater et
Magistra de Jean XXIII, Octogesima adveniens de Paul VI,
Laborem exercens et Centesimus annus de Jean-Paul II).
L'axe de réflexion central dans Rerum novarum
est la question ouvrière dans toute son ampleur. L'encyclique
analyse les rapports travail-capital et les modalités de coexistence des
classes dans un climat sain et productif. Travailleurs, capitalistes, et
dirigeants publics ont des devoirs les uns envers les autres. Tous ont des
droits inaliénables qu'il est digne de respecter et d'acquérir,
tout en respectant le principe de collaboration, opposé à la
lutte des classes, comme moteur fondamental pour le changement social, une
approche en soi tout à fait non-marxiste puisqu'elle n'engendre pas le
conflit. C'est le passage de l'ère agricole à l'ère
industrielle qui a opéré une transformation dramatique dans les
rapports entre patrons et ouvriers. Les nouveaux rythmes de travail industriel,
conditionnés par la production de masse et à la chaîne, ont
figé les travailleurs et renforcé leur dépendance
vis-à-vis de l'usine, devenue leur source, parfois unique, de
gagne-pain. A la même époque, les corporations étaient
abolies, d'où la disparition d'une protection autrefois indispensable
pour les subordonnés. Dans ce contexte, tout sentiment d'appartenance,
religieuse ou autre, disparaissait, et les
travailleurs se retrouvaient isolés et sans
résistance face à leurs maîtres, qui se partageaient la
majorité des richesses mondiales en la concentrant dans leurs
réseaux industriels et commerciaux.
Le fait est que chaque partenaire social - travailleurs,
patrons, pouvoirs publics - doit apporter son concours pour harmoniser l'action
commune dans un environnement désormais
déréglementé. Rerum novarum insiste sur le fait
que les classes ne doivent pas être ennemies mais complémentaires,
et l'équilibre de leur co-existence doit être assuré et
entretenu. Une sorte de « solidarité organique » au sein d'une
collectivité dans laquelle « l'individu tout en devenant plus
autonome apparaît aussi comme plus dépendant.
»4 La survie de l'une de ces classes dépend alors
de celle de l'autre. L'ouvrier a le devoir d'accomplir fidèlement le
travail qu'il s'est engagé à honorer, et ce par contrat libre et
initiative personnelle. Il doit prendre soin du capital matériel que son
patron lui a confié, et mettre toute son âme pour assurer une
production de qualité, quelque soit sa nature. Le travailleur a
d'ailleurs bien plus d'estime pour la matière, rare à ses yeux,
que le patron. Ses revendications doivent se faire à travers un dialogue
noble avec son supérieur. Toute réaction violente doit être
évitée. Toutefois, un travailleur intelligent est avant tout
vigilant dans le choix de ses maîtres. Il doit savoir échapper
à tout contrat qui soit « trop beau pour être vrai »,
qui ne mènerait qu'à la ruine de la relation d'emploi. Le travail
physique n'est point une honte pour l'homme ; bien au contraire. C'est un moyen
de préserver son dynamisme et sa vitalité. Le patron doit veiller
à la dignité de son dépendant. Au-delà des
conditions de travail et du respect des différences d'âge et de
sexe, il doit respecter le temps libre du travailleur, que ce dernier aimerait
et même devrait consacrer à sa famille et à sa formation
continue. Le patron n'a aucun droit d'entraver l'épargne du travailleur,
qui n'est pas abondante et dont l'accumulation lui confie un droit de «
propriété privée ». L'Etat, quant à lui, doit
veiller tout particulièrement sur le sort des travailleurs, qui sont les
plus démunis dans l'édifice social, et s'engager à
améliorer leurs conditions de vie, tant pour assurer la
sécurité générale de tous que pour éviter
les crimes de subsistance.
4 Emile Durkheim, Préface de De la division
du travail, 1893.
I.1.b Pie XI : Encyclique « Quadragesimo
anno » sur l'instauration de l'ordre social (1931)
Quarante ans après Rerum novarum, la relation
capital-travail a de nouveau évolué. Deux ans après la
grave crise économique de 1929, les entreprises sont en
difficulté et le chômage touche de plein fouet le monde ouvrier.
Dans la foulée de cette crise mondiale sans précédent, Pie
XI publie en 1931 son encyclique Quadragesimo anno pour
commémorer les quarante ans de Rerum novarum. Il y
préconise un nouvel ordre social, basé sur une nouvelle
manière de répartir les fruits de la croissance. L'idée du
salaire de subsistance devrait désormais être
écartée. Certes, la propriété privée du
capitaliste est toujours respectée, mais le développement et la
multiplication du fruit du capital ne pourraient avoir lieu sans le roulement
et la consommation de la société. Il faut revenir à
l'idée de l'accumulation de l'épargne, qui permet au pauvre de
faire face aux charges familiales, et à l'incertitude qui le touche en
premier. Le subordonné a le droit de pouvoir offrir à ses enfants
plus de chances et d'opportunités qu'il n'en a eu lui-même. De ce
fait, ouvriers et employés devraient être plus impliqués
dans la propriété de l'entreprise, dans sa gestion et dans ses
profits.
Léon XIII avait déjà
précisé que le salaire ne se calculait pas simplement par une
formule mathématique proportionnelle à la productivité du
« louage d'ouvrage ». Notons aussi que les professions sont
étroitement solidaires, car la force de travail bénéficie
aussi bien à l'individu qu'à la société. La
rémunération devrait alors augmenter proportionnellement aux
avantages dont bénéficie l'entourage suite à la
consommation ou l'utilisation de la valeur créée, et ce en
particulier à une époque où la femme n'avait pas encore
accédé officiellement au marché du travail, et où
il était primordial qu'elle ne soit pas obligée de
négliger l'éducation des enfants et l'harmonie de son foyer pour
travailler à la survie du ménage dans des conditions
épuisantes. Le salaire masculin devrait donc suppléer aux besoins
de toute la famille, sans pour cela atteindre des niveaux utopiques qui
mettraient en péril la compétitivité de l'entreprise et
accélèreraient sa ruine, au détriment du travailleur
lui-même et de la société, exposée de ce fait
à un chômage de masse, voire à une ruine structurelle. En
contrepartie, l'entreprise aurait le devoir de ne point négliger le
souci de son développement et de son progrès économique,
et devrait se
voir dans l'obligation d'assumer la responsabilité pour
toute dépression qu'elle aurait pu éviter si elle avait
été plus vigilante dans sa gouvernance.
Dans ce contexte de crise généralisée
à laquelle l'entreprise est incapable de faire face, même en
mettant tous ses efforts dans la bonne gérance interne, les pouvoirs
publics ont un rôle primordial à jouer. Et si la
prospérité des nations est étroitement liée
à la modération des tensions entre les classes, il est
nécessaire de faire converger les efforts vers l'élaboration
d'une politique salariale qui soit acceptée par tous, une politique qui
permette à l'ouvrier de se procurer, au-delà de la simple
subsistance, des fonds de réserve lui permettant de saisir les
opportunités nouvelles pour améliorer son statut
économique. A ce niveau, les autorités publiques ne sont pas
uniquement tenues d'améliorer la situation des défavorisés
à travers une redistribution des richesses, mais surtout en leur
délégant le maximum de tâches qu'ils seraient aptes
à entreprendre. Ceci découle du respect du principe de
subsidiarité, qui sera par la suite abondamment abordé et mis en
valeur dans cette encyclique.
Pour ce qui est de l'ordre social, préconisé par
Pie XI, il consiste à regrouper les travailleurs par métiers et
par branches d'activité afin qu'ils puissent valoriser leurs
intérêts communs et les défendre continuellement, tout en
les orientant vers le bien commun de la société, qui ne peut ni
être livrée au libre jeu de la concurrence, ni
délaissée entre les mains de la dictature, et qui a donc besoin
d'institutions intermédiaires conçues sur les principes de
justice, de charité et de collaboration économique. On
était bien loin de cet idéal dans le monde de Pie XI, régi
par des oligarchies sans aucun scrupule éthique ou professionnel. Ces
oligarchies accaparaient pouvoir et richesses, disposant illégalement
des ressources des nations, qu'ils détournaient à leurs profits
personnels. Cette immoralité des dirigeants avait fini par atteindre les
travailleurs, surtout les plus jeunes, qui se voyaient lésés,
harcelés et désorientés en début de parcours
professionnel. Ils étaient alors séduits par l'argent facile et
succombaient, souvent bien tôt, aux réseaux de corruption d'autant
que la Grande Guerre et la Grande Crise avaient poussé les gens à
se lancer dans la criminalité et dans les affaires du « dirty money
».
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