Dynamique des Associations paysannes en Haïti et le Développement local (cas de l'Arrondissement de Belle-Anse)( Télécharger le fichier original )par Antony JEAN-BAPTISTE Université Catholique de Louvain & Faculté des sciences Agronomiques de Gembloux - Master Complémentaire en Développement, environnement et Sociétés 2008 |
CHAPITRE II- CADRE DE L'ÉTUDE ET DÉFINITION DES CONCEPTSLes organisations paysannes haïtiennes étudiées définissent une forte dynamique participative pour l'implication de la population dans les activités de développement. Ces acteurs locaux se sont bien organisés dans leur espace de vie pour construire leur projet de territoire. En admettant que des acteurs locaux bien organisés dans un espace donné sont capables d'avoir un projet commun à travers d'une part, la participation et d'autre part, de bonnes stratégies territoriales ; le cadre théorique du mémoire est lié principalement à la présentation de deux concepts : le développement local et la participation. Ce cadre théorique va servir de guide pour l'analyse des informations disponibles puisées à partir de la littérature grise consultée et à partir des entretiens réalisés. Ce chapitre comprend essentiellement 4 parties :
Son contenu va être utilisé comme point de repère pour l'analyse et la discussion des résultats trouvés. 2.1- DÉVELOPPEMENT LOCAL 2.1.1- Approches conceptuelles Le concept de développement local fait appel à de nombreuses définitions et de diverses appellations depuis plus de deux décennies. Certains auteurs comme (Aydalot, 1986 & Proulx, 1995) parlent d'une vision de développement par le bas ce qui est contraire au paradigme de développement par le haut (Aydalot, 1985 in S. Tremblay, 1999). Il est devenu un concept d'actualité un peu partout à travers le monde, dans les pays du Nord comme dans les pays du Sud. En Europe, les auteurs parlent surtout de développement local qui se produit à l'échelle territoriale c'est-à-dire le milieu est considéré comme facteur de développement ; tandis que dans les pays comme le Canada et les États-Unis d'Amérique, les écrits parlent plutôt du développement communautaire. Cette dernière conception est cadrée « sur une vision globale et sociale du développement et fondée à la fois sur les solidarités et les initiatives à l'échelle locale pour empêcher les effets du développement libéral et des interventions ou des non-interventions de l'État » (S. Tremblay, 1999 : 26). Parfois certains auteurs parlent de développement endogène c'est-à-dire de développement émanant de territoire et donc de l'implication et de la participation des acteurs locaux. Dans P. Prévost (2001 : 15-16) et pour leur part (Greffe, 1984 ; Pecqueur, 1989 ; Vachon, 1993 ; Tremblay, 1994 et Gouttebel, 2001), « il n'y pas de modèle de développement unique ; le développement local comporte une dimension territoriale ; il s'appuie sur une force endogène ; il fait appel à une volonté de concertation et la mise en place de mécanismes de partenariat et de réseaux ; il intègre des dimensions sociales et économiques ; enfin l'approche du développement local implique une stratégie participative et une responsabilisation des citoyens envers la collectivité ». Le processus de développement local se présente sous l'angle de la construction d'un territoire. Il correspond à un processus dynamique de construction d'un territoire pour faire de l'action publique. Il est considéré comme le lieu de la mise en action des initiatives individuelles ou collectives en fonction des ressources sur un territoire précis (A. Joyal, 2002). Pour B. Pecqueur (2000 : 14), « le développement local doit être durable, c'est-à-dire qu'il doit rendre compatible la rentabilité économique et la viabilité écologique et démographique dans une perspective à la fois de court et de long terme ». Il doit impliquer une dynamique mettant en évidence l'efficacité des biens et des services marchands pour la valorisation des richesses locales. Pour B. Husson (2001), la naissance du développement local est liée à l'incapacité de l'État à conduire lui seul les initiatives de développement des territoires. Sa pratique exige de la part des acteurs individuels ou collectifs une dynamique sociale, économique, culturelle et environnementale sur un territoire donné. Nécessairement, le développement local requiert la détermination politique des acteurs compétents et formés. L'État a pour obligation de favoriser l'émergence d'associations collectives au niveau local. Le développement local n'est pas le résultat entre un partenariat financier établit entre les acteurs externes et locales mais plutôt le fruit d'un système de coopération construit par des artisans locaux pour le développement futur de leur communauté. 2.1.2- Acteurs du développement local Dans F. Debuyst (2001 : 117), un schéma actionnel définit les interactions existant entre les acteurs de développement en fonction des ressources disponibles tout en considérant les acteurs et facteurs à la fois favorables et défavorables. Ils se sont considérés comme étant des « individus ou groupes sociaux qui interviennent, à plus d'un titre, dans une action et se sentent impliqués dans les objectifs de cette action ». Par rapport aux types d'activités conduites ou des missions à accomplir, les acteurs sont classés en deux groupes : les acteurs institutionnels qui sont considérés comme les acteurs publics et « disposent d'une autorité légitime et/ou d'un pouvoir accordé dans un cadre institutionnel reconnu » ; les acteurs non-institutionnels, désignés par les acteurs privés, sont dépourvus d'un pouvoir de type institutionnel et dans certains cas, sont associés à de groupements et/ou d'associations collectifs. Cette présente étude tient compte principalement de ce deuxième groupe d'acteurs qui sera étudié à travers le regroupement d'habitants sous la forme associative. En vertu de ces précédentes considérations, les acteurs publics sont désignés par les élus locaux et les responsables des institutions locales et ceux privés par des entrepreneurs locaux, les professionnels du développement, les travailleurs et la population. Les partenaires externes se révèlent aussi un acteur important dans l'application de nouvelles politiques de développement local. Ces derniers peuvent jouer un rôle important par leur appui financier et technique aux initiatives prises au niveau local. En ce sens, les acteurs ne sont plus considérés comme les programmes ou les structures qui dirigent les actifs au niveau communautaire, mais plutôt ceux qui travaillent au profit de la communauté locale (P. Prévost 2001). Certains actifs sont importants pour la mise en place d'un processus de développement local, P. Prévost (2001) et J - R ESSOMBÈ ÉDIMO (2005) ne considèrent que l'ensemble des organisations à propriété locale, les institutions locales, les agences de développement, les organisations suffisamment bien décentralisées, les entreprises et les collectivités locales puissent assurer la réussite du développement local pour la construction d'une identité territoriale. Avec l'utilisation de leurs ressources, toutes ces entités peuvent produire des effets sur le chemin du développement par l'exécution de certains programmes de l'éducation, de la santé, etc. 2.1.2.1- Stratégies d'acteurs D'après F. Debuyst (2001 : 118 & 119), « la stratégie d'acteurs est principalement une démarche qui peut être définie comme la conception et le mode d'actualisation des ressources combinées pour atteindre un but ». L'auteur distingue les stratégies de types relationnelles qui réfutent à des options et des logiques d'interventions ou d'actions relatives aux acteurs qui sont étroitement engagés et les stratégies de réalisation qui tiennent compte des pistes et des programmes de réalisations pour atteindre un but. Pour sa part, G. Logié (2000 : 2 & 3) insiste sur la participation et l'appropriation des acteurs locaux aux activités d'exécution sur un territoire donné pour qu'il y ait le développement local. Dans cette même logique, l'auteur illustre un ensemble de conditions qui doivent être réunies du côté des acteurs. Il s'agit de :
2.2- PARTICIPATION ET DÉVELOPPEMENT La participation est devenue un concept inéluctable dans la réussite des programmes et projets de développement local. Cette partie du mémoire se consacre, d'abord à une approche conceptuelle et l'évolution du concept à travers le temps ; ensuite, à la typologie de la participation et enfin, aux enjeux de la participation populaire dans les programmes et les projets de développement. 2.2.1- Approches conceptuelles Les deux notions participation et développement sont intimement liées. La période d'après la deuxième guerre mondiale a jadis coïncidée avec l'émergence des mouvements populaires où les populations du sud ont entamé des démarches pour leur décolonisation. Au cours des années 60, la participation populaire a été initiée à travers plusieurs programmes de développement, notamment les projets de développement communautaire en Asie ; les campagnes d'alphabétisation et de conscientisation en Amérique Latine ; ou encore des programmes d'animation rurale en Afrique francophone. Cette participation se faisait par l'intégration conjointe de beaucoup d'acteurs aux secteurs d'activités sociopolitiques au profit du local (A. Meister, 1970 in A. Jones, 2006). La notion de participation a vraiment connue son apparition par la recherche des modèles alternatifs de développement d'où la remise en cause du modèle traditionnel de développement des années 70 où l'État était appelé uniquement à dicter les normes et principes de développement (A. Jones, 2006). De nouvelles appellations comme celles de développement alternatif, de développement à visage humain, de développement à la base, de développement endogène ont fait leur apparition. Leur point de convergence, c'est qu'elles mettaient la communauté locale au centre des discussions pour réaliser le développement (A. Jones, 2006). Pendant les années 70-80, la participation populaire fut pris en considération par l'implication des individus dans la réalisation des programmes d'activités avec des objectifs préalablement fixés. Cette mode de participation concevait l'intégration passive des populations dans les activités exécutées au niveau local. Au début des années 80, la nouvelle conception de la participation a exigé l'implication de la population dans les phases d'exécution d'une activité de développement c'est-à-dire depuis son identification jusqu'au suivi-évaluation. Dans un sens, il existe une différence entre la participation des bénéficiaires à un projet c'est-à-dire les personnes choisies pour en bénéficier les avantages directs et celle de l'ensemble des habitants vivant dans toute une communauté donnée. Dans l'autre sens, « la participation communautaire authentique » ne signifie non plus que la population ait le contrôle total d'un processus d'activités (A.T. White, 1982 : 20). Au cours des décennies 1980-1990, dans les rapports respectifs sur le développement dans le monde publiés par la Banque Mondiale13, la participation populaire fut considérée 13 Banque mondiale (1980). Rapport sur le développement dans le monde: Pauvreté et développement humain, Washington D.C.: Banque mondiale. Banque Mondiale (1990). World Development Report 1990: Poverty, Washington D.C.: Banque Mondiale. comme le principal moyen à utiliser pour induire les changements de valeurs et de comportements sociaux des populations pour l'amélioration de l'efficacité des programmes de développement. Dans ce cas, les organisations paysannes de base, religieuses ou autres qui existantes au niveau local étaient ciblées pour aider à maximiser l'efficacité des programmes. Dans son rapport de 1990, la banque a réitéré son engagement de répondre aux besoins des populations locales pauvres par leur implication davantage dans les programmes via la participation (Banque Mondiale, 1980 & 1990 in G. Simard, 2008). L'échec du Programme d'Ajustement Structurel dans les pays en voie de développement a permis à la Banque Mondiale et le FMI d'accorder plus d'importance aux structures institutionnelles et culturelles de développement. En 1999, pour l'élaboration du Document Stratégique de Réduction de la Pauvreté (DSRP), ces institutions ont exigé aux pays de guider la préparation dudit document et de garantir l'appropriation de la stratégie de développement par une large participation de la société civile dans toutes les phases du processus (FMI, 2005)14. 2.2.2- Typologie de la participation Il est difficile de définir universellement la participation populaire. La littérature souligne de nombreuses définitions qui se réfèrent à l'intégration obligatoire de la population dans les activités de développement à l'échelle locale. « La population locale intègre les processus de décisions des projets de développement ou leur exécution » (A.T. White, 1982 : 19). Dans un document préparé au renforcement des capacités de la Recherche Agricole pour le Développement (RAD) pour le compte du Centre International de la Recherche Agricole orientée vers le développement (ICRA), Jules Pretty et al. (s. d. : 2 & 3) ont considéré la participation populaire comme l'intégration de la population rurale dans toutes les étapes de mise en oeuvre d'un processus de développement. Par rapport à cette considération, ces auteurs proposent une typologie de la participation pouvant servir de support pour évaluer la dimension participative d'un projet. Il s'agit de : Participation passive : souvent appelée la « non-participation » c'est-à-dire, la population est simplement informée de la réalisation d'une activité planifiée par les autorités ; Participation consultative : la population ne dispose aucune possibilité d'influer sur le processus de mise en place des activités et son degré de participation est faible ; 14 Fonds Monétaires International (FMI) (2005). Fiche technique pour les documents Stratégiques de Réduction de la Pauvreté. [En ligne]. [Mise en ligne en septembre 2005]. [Consulté le 05 juillet 2009]. Disponible sur World Wide Web: « ( http://www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/prspf.htm». Participation rémunérée : la population est récompensée pour un travail fournit ce qui accuse dans certains cas la démotivation pour conduire les activités après la période de rémunération ; Participation fonctionnelle : elle correspond à la participation de certaines associations dans un projet qui sont créées pour en bénéficier uniquement des avantages. En général, elles disparaissent après la phase d'exécution du projet ; Participation interactive : il y a l'implication de la population locale dans la mise en place des activités du projet par les agents extérieurs. Après la phase d'exécution du projet les associations locales intégrées ont la possibilité de contrôler et de poursuivre les activités du projet ; Auto-mobilisation : la population se mobilise pour poser des actions collectives sans l'intervention des agents externes. Toutefois, elle peut solliciter l'appui des agents externes tout en continuant d'être le responsable de leur propre destin. « Elle s'oppose aux centres des pouvoirs établis » (Jules Pretty et al., (s. d) : 3). 2.2.3- Enjeux de la participation D'abord, « la participation est considérée comme une « doctrine sociopolitique ouverte », tolérante qui accepte une évolution progressive pour la réceptivité aux contributions des différentes couches de la population » (UNESCO, 1982 : 4). Dans ce cas, les apports de l'extérieur ne doivent pas trop influer sur les décisions prises au niveau local. L'État doit faire de la participation locale « la force motrice » au niveau national c'est-à-dire, il ne suffit pas que l'État parle uniquement de la participation dans les institutions mais à l'obligation de poser des actions concrètes. La mise en application de la participation nécessite une stratégie politique globale pour empêcher les influences des forces qui lui sont contraires. En tant qu'outil indispensable à la réussite du développement endogène, la participation doit pénétrer toutes « les activités à caractère politique, économique, sociale, culturelle et familial ». Elle est même considérée comme un besoin « d'épanouissement personnel » d'un citoyen et comme un « droit fondamental de l'homme » dans la société de vie. Mise à part la volonté politique de l'État pour faire de la participation sa pierre angulaire, la participation nécessite aussi l'intégration des institutions et des organisations sociales au niveau local. L'État doit aussi garantir la mise en place des législations et des institutions adéquates pour sa réussite (UNESCO, 1982 : 6). Toujours pour l'UNESCO, certaines causes peuvent entraver la réussite de la participation. Il s'agit de : « l'analphabétisme et l'insuffisance d'information, les barrières linguistiques et culturelles, le manque de temps et de disponibilité, l'habitude de l'abstention, le scepticisme quant à l'effort demandé, etc. ». Dans ce cas, l'État a pour obligation de garantir tout ce qui revienne de sa responsabilité pour assurer la vraie participation des citoyens. Cependant, plusieurs facteurs peuvent contribuer à rendre la participation efficace ; ce sont : « le niveau d'éducation et les compétences des interlocuteurs, le volume d'informations à traiter, la quantité et le temps accordé pour traiter les informations disponibles ». Pour cela, l'UNESCO recommande de former des cadres techniques appropriés pour l'étude et le traitement des programmes de développement. L'éducation permanente pour la population et la formation spécifique des cadres, constituent d'autres aspects importants pour réussir la participation populaire (UNESCO, 1982 : 8). 2.2.3.1- Pratique de la participation populaire Pour A. Dumas (1983), la participation populaire devrait être réalisée à travers des structures locales comme les associations ou organisations communautaires de base, les autorités locales, les associations privées, etc. En général, puisque la population s'organise de part elle-même à travers ces structures, les agents externes n'ont aucune obligation de créer d'autres structures parallèles qui ne sont pas toujours compatibles aux structures locales préexistantes. Les agents externes doivent nécessairement jouer leur rôle dans le montage technique et l'évaluation du projet tout en associant la population à toutes les démarches. Après le montage du projet, il est utile d'utiliser la main-d'oeuvre locale ou encore de valoriser certaines ressources locales surtout dans le montage d'un chantier d'exécution. De plus, ces acteurs ont pour obligation d'assurer techniquement la formation des agents locaux. La participation locale participerait aussi dans la gestion du projet conjointement aux organes administratifs désignés. Il revient à la charge des agents externes d'assurer l'évaluation « expost et le suivi du projet » (A. Dumas, 1983 : 522). En résumé, l'appui des communautés locales se résume à l'identification de leurs problèmes et la détermination des causes, la mobilisation des ressources et la répartition des avantages et celui des agents externes se résument à un appui technique au profit des bénéficiaires du projet (A. Dumas, 1983). 2.2.4- Différentes interprétations de la participation Nombreux sont ceux qui ont manifesté la volonté de prendre en considération la participation dans l'exécution des projets et programmes de développement. Mais, son application a quand même suscité de diverses interprétations quant à sa mise en valeur réelle de la part des acteurs concernés (A. Jones, 2006). Pour certains, elle représente un moyen et SRYrfli'lYJrhs,flhTThflconstitue une fin en soi dans le développement. Pour le premier cas, elle sous-entend l'implication et l'appropriation des projets par les populations bénéficiaires pour les rendre plus efficaces, c'est-à-dire la population doit être responsable de leur propre développement (B. Gueye, 1999 in A. Jones, 2006). Dans le second cas, la participation est constituée comme un processus et une opportunité que les groupes vulnérables doivent saisir pour mieux réaliser leur développement (R. Chambers, 1983 in A. Jones, 2006). Au bout du compte, la participation a connu son essor à un moment où le modèle de développement fut remis en cause. Elle est devenue donc, une notion très à la mode en faisant l'objet de nombreux débats pendant environ deux décennies de la part des bailleurs de fonds, des organisations internationales de développement en prenant sa place dans l'agenda de développement. Face à toute son importance, il s'avère urgent de la considérer dans quelque soit l'exécution d'un type de projets et programmes de développement (A. Jones, 2006). 2.2.5- Participation et Développement Communautaire Participatif Depuis la fin de la guerre froide, plusieurs raisons ont porté les pays développés à changer leurs stratégies d'intervention dans les pays du sud. Parmi ces raisons, J- P Platteau (2004 : 159) cite « les contraintes budgétaires des pays riches et l'augmentation de flux capitaux privés vers les pays en développement. Cette situation a induit la diminution de leur aide vis-à-vis des pays du sud depuis le début des années 90 ». Au cours de cette même période, des débats autour de la question ont permis à la communauté internationale d'identifier des facteurs qui empêchent la réussite du développement local dans les pays du sud. « La capacité des pays pauvres à absorber l'aide reçu et les détournements de fonds par certaines élites locales sont connus comme les facteurs les plus importants » en constituant des handicaps au succès dudit processus. Ce constat a provoqué la remise en cause de la formule d'attributions d'aide au développement pour permettre l'utilisation à bon escient des ressources fournies par les pays développés aux pays en développement. Avec cette pratique, la population était considérée comme « un véritable réceptacle » de l'aide fournit sans pouvoir participer à toutes les étapes d'activités de développement dans sa communauté (J- P Platteau 2004 : 160). Le début du XXIème siècle a coïncidé avec l'arrivée du modèle de développement communautaire participatif pour aider à réduire la pauvreté dans les pays pauvres. Cette nouvelle forme d'attribution de l'aide au développement a été prise en charge immédiatement par les grands bailleurs de fons internationaux comme la Banque Mondiale et le Fonds International de Développement Agricole (FIDA). « Le principal intérêt du développement communautaire participatif c'est qu'il permet d'avoir une connaissance des conditions et des contraintes locales (environnementales, sociales et économiques) liées aux communautés locales » (J- P Platteau 2004 : 164). En outre, le développement communautaire participatif permet « une exploitation du capital social car la population est invitée non seulement à identifier ses problèmes, définir ses priorités, identifier les bénéficiaires potentiels, préparer leur projet, mais aussi imposer les règles, contrôler les comportements et vérifier les actions » (J- P Platteau 2004 : 164). L'auteur a proposé son modèle de développement à partir d'interactions définies entre trois principaux acteurs : l'agence donatrice, le responsable local et les citoyens de base. Pour lui, la pratique du développement communautaire participatif doit garantir l'autonomie « des communautés locales » après une certaine période (J- P Platteau 2004 : 227). 2.2.5.1- Participation et développement communautaire participatif en Haïti Dans le contexte d'Haïti, l'essai de la participation réelle des collectivités dans les programmes ou les projets de développement ne date pas de très longtemps. Cette nouvelle orientation qui vise à favoriser une meilleure intégration de la population dans les décisions prises en sa faveur a été encouragée par des agents extérieurs. Tout a débuté, vers les années 2004-2005 avec d'une part, le Projet National de Développement Communautaire Participatif (PRODEP), financé par la Banque Mondiale et d'autre part, avec le Programme de Développement Local (PDL), financé par la Banque Interaméricaine de Développement. Respectivement, la gestion de ces deux programmes est assurée par le Bureau de Monétisation des Programmes d'Aide au Développement (BMPAD) et le Fonds d'Assistance Économique et Social (FAES), deux institutions autonomes de l'État, placées sous la tutelle du Ministère de l'Économie et des Finances. Selon les informations puisées dans la base des données du BMPAD, le Projet National de Développement Communautaire Participatif (PRODEP) vise à améliorer l'accès des Organisations communautaires de base aux infrastructures socio-économiques de base et à appuyer les activités génératrices de revenus par le financement des petits projets d'investissements15. La participation des organisations communautaires est prévue à toutes les étapes de la mise en place et à la gestion des petits projets identifiés par elles-mêmes. Dans ce cas, un conseil de gestion appelé COPRODEP est prévu dans chacune des Communes bénéficiaires des activités. Ce dernier est un ensemble formé majoritairement par les représentants des organisations communautaires de base et une partie des élus locaux et des notables. De plus, les Conseils du Projet (COPRODEP) représentent des structures communautaires pérennes, qui garantissent, d'une part, une gestion participative, démocratique et transparente des sous-projets et, d'autre part, la durabilité des acquis de l'expérience16. Tout comme le Projet National de Développement Communautaire Participatif, d'après des informations disponibles dans la base de données du FAES, l'objectif du Programme de Développement Local c'est de favoriser la participation et l'intégration de la population locale dans tout le processus de la mise en place d'un projet communautaire de développement17. A travers ce programme, la population d'une collectivité participe à la réalisation du processus de diagnostic de sa zone y compris dans le montage des projets pour ensuite doter cette collectivité d'un plan de développement permettant d'identifier les grands axes de son développement et d'apporter quelques éléments de réponses aux problèmes fondamentaux chroniques18. Ce programme a initié la mise en place d'un Comité de Développement par Section Communale bénéficiaire des projets. Ce comité de développement est formé par des élus locaux et des membres de la société civile y compris les représentants des organisations communautaires de base. Pour ces deux programmes réunis, voici les types de projets19 qui rentrent dans leur agenda : V' Des projets d'infrastructure : aménagement de routes, captage de source et alimentation en eau potable, construction de canaux d'irrigation ; V' Des projets productifs (économiques) : magasins communautaires, boutiques d'intrants agricoles, moulins de transformation de grains accompagnés de générateurs de courant électrique, petit élevage, transformation agro- alimentaire, production de cultures maraîchères; 15« http://www.prodep.bureaudegestion.gouv.ht/actualite.php?id_actualite=4» 16 Ibid. 17 http://www.faes.gouv.ht/index.php?option=com_content&task=view&id=35&Itemid=50 18 Ibid. 19 Ces informations sont puisées sur le site du Programme de développement local, géré par le FAES et celui du Programme national de développement communautaire participatif, géré par le B MA D V' Des projets sociaux : construction de centres culturels, montage de centres cybernétiques, aménagement d'écoles, aménagement de centre de santé, formation et renforcement des organisations communautaires de base ; V' Des projets environnementaux : reforestation et conservation des sols, assainissement. Le BMPAD confie la coordination technique des projets sur le terrain à la Fondation Panaméricaine de Développement (PADF), une ONG internationale. Le FAES recrute des ONG locales ou des consultants individuels pour l'exécution de ses projets. Tout compte fait, ces nouvelles pratiques du développement en Haïti incluent depuis vers les 2004-2005, une certaine participation de beaucoup d'acteurs locaux bénéficiaires des projets. Quoique les stratégies d'interventions pour ces deux programmes de développement ne soient pas totalement identiques, ils sont construits de part et d'autre sur le principe de la participation des principaux acteurs locaux dans la gestion globale des projets. Cependant, un mémoire de Diplôme d'Études Approfondies (D.E.A) en environnement-populationdéveloppement portant sur la problématique de la participation de femmes dans les projets de développement local a déjà soulevée l'accès difficile et la participation limitée des femmes dans les prises de décisions. L'auteur a souligné que le processus participatif laisse généralement les femmes de côté. « Cette situation renforce les inégalités et l'exploitation allant à l'encontre du bien-être des femmes et des hommes. Les femmes ne sont guères intégrées dans les postes de décision des projets » (R. E. Fleurant Sincimat, 2007 : xi) Ces affirmations ont été soulevées à travers un projet de renforcement des capacités communales pour la production, la transformation et la commercialisation des fruits tropicaux dans la Section Communale de Platon Dufresne (Commune de Carrefour) du Département de l'Ouest d'Haïti (R. E. Fleurant Sincimat, 2007). 2.3- PROBLÉMATIQUE DU PROCESSUS DE DÉCENTRALISATION ET DU DÉVELOPPEMENT LOCAL EN HAÏTI En 2003, des expériences réalisées par l'Agence de Développement Internationale (ACDI) sur la valorisation des expériences de développement local en Haïti, en ont permis au chercheur Paul Prévost et autres de soulever certaines interrogations pour la réussite du processus de décentralisation et de développement local. Par rapport à la division territoriale, quoique la Commune et la Section Communale soient considérées comme le niveau local, elles se différencient respectivement par rapport au milieu urbain et rural. « Ces découpages administratifs ne semblent pas assimilés à la communauté de vie puisque l'espace administratif n'est pas nécessairement l'espace vécu, c'est-à-dire la communauté d'appartenance sur laquelle se passe l'unité du développement local ». Cette situation est en partie liée à la dispersion des habitats en milieu rural où la population n'est pas toujours proche de certains services de base disponibles (P. Prévost et al, 2003 : 23). Sur le plan de la politique, « l'État haïtien demeure trop faible pour assurer le développement des collectivités ce qui favorise la centralisation du pouvoir ». Cet état de fait persiste en raison des crises politiques répétées et de manque de finances publics. Mais aussi, la politique en matière de développement local révèle trop de controverses par rapport aux ambiguïtés existantes (P. Prévost et al, 2003 : 23). De plus, la République d'Haïti fait face à de nombreux problèmes sur le plan macroéconomique, social, environnemental et culturel. Son économie repose en majeure partie sur une agriculture de subsistance pratiquée par 93 % de la population en milieu rural (IHSI, 2003). L'activité agricole contribue à hauteur de 27.4 % au faible PIB total20 d'Haïti contre 17% du secteur industriel. Son budget de fonctionnement annuel dépend à environ 60 % de l'aide internationale. Le pays souffre d'un déséquilibre monstrueux des échanges commerciaux en raison de son faible pouvoir d'exportation (P. Prévost et al, 2003 : 23). Sa croissance démographique élevée autour de 2.4 % (IHSI, 2003) contribue à la constitution des bidonvilles. Le Document de Stratégie Nationale pour la Croissance et la Réduction de la Pauvreté (DSNCRP) parle d'un environnement rural haïtien en dégradation accélérée lié aux facteurs de déboisement et de l'érosion. Étant constitué de plus de 2/3 de montagnes avec des pentes de plus de 20%, le phénomène de l'érosion hydrique est très poussée et des millions de tonnes de terre vont à la mer chaque à cause de l'érosion des sols. La couverture végétale nationale est estimée à environ 2% en raison de la coupe anarchique des arbres (DSNCRP, 2007). Quant au secteur de développement local, souvent les projets sont amenés de l'extérieur sans la participation réelle des acteurs locaux pour leur exécution. Les programmes sont morcelés et disséminés ce qui empêche à la population locale de bien exprimer son savoir-faire. Le niveau local souffre de la carence de ressources compétentes nécessaires pour 20 Selon les statistiques mondiales, le PIB d'Haïti était estimé à 6 137 millions de dollars en 2007. enclencher le processus. Le contexte socio-politique et culturel d'Haïti rend la population rurale d'avoir une certaine méfiance vis-à-vis des agences de développement externes. En outre, la faiblesse dans la coopération internationale liée à la durabilité des projets, les stratégies de décaissement et les stratégies d'évaluation sont, entre autres, d'autres contraintes soulignées par l'ACDI quant à la réussite du développement local (P. Prévost et al., 2003). Cependant, la même étude a souligné la volonté manifestée par l'État haïtien de réussir le développement territorial. Le gouvernement haïtien dispose de plusieurs Ministères qui s'occupent de la question avec des ressources humaines appropriées. Au niveau des Collectivités Territoriales, les populations locales témoignent de leur désir pour améliorer leurs conditions générales de vie. Enfin, « les paysans haïtiens sont de bons collaborateurs, de travailleurs infatigables, ils aiment leur milieu de vie, ils sont fiers de leur origine, ils sont curieux et pourvus d'un esprit créatif » (P. Prévost et al., 2003 : 62). « En résumé, les principales barrières qui empêchent le développement local sont liées, d'une part, à des risques exogènes et d'autre part, à des risques endogènes comme le manque de compétences au niveau local, le manque de leadership local, le manque de synergie entre tous les acteurs concernés, la mauvaise compréhension de la réalité par les agences externes, le manque de mise en valeur de la compétence locale, etc. » (P. Prévost et al., 2003 : 15). 2.4- RÉSULTATS D'ÉTUDES RÉALISÉES SUR LE DÉVELOPPEMENT LOCAL EN HAÏTI Certains travaux se sont déjà réalisés sur la participation des acteurs locaux au processus de développement local en Haïti. Ils se diffèrent de part leur contexte de réalisation ou de la méthodologie utilisée par les auteurs. Ils sont 4 recherches portant sur la tridimensionnal ité développement-environnement-population dont 2 mémoires de Diplômes d'Études Approfondies (D.E.A) et 2 thèses sanctionnant le Diplôme de Doctorat. A. Coq (2006), dans son mémoire du D.E.A en Développement, environnement et sociétés a présenté « l'écotourisme et le développement local en Haïti à travers l'expérience conduite par une association paysanne haïtienne du nom de l'Association des Paysans de Vallue (APV) dans la commune de Petit-Goave ». Les résultats obtenus par l'auteur ont montré que l'écotourisme constitue un outil de développement local en Haïti et, ce qui est bien approprié par les acteurs locaux dans ce milieu. Grâce à un système de solidarité mis en place, les paysans membres de l'APV sont considérés à eux seuls comme de véritables acteurs d'un développement endogène au profit de leur communauté. Cette considération est faite en fonction d'un système dynamique mis en place par ces acteurs leur permettant de construire ensemble un projet commun avec la participation populaire. « L'APV a comme objectif d'accompagner le paysan dans la concrétisation de ses rêves et des aspirations » (C. Aricie, 2006 : 42). Leur système dynamique induit des changements socio-environnementaux au niveau de la zone de Vallue sans nécessairement bénéficier de supports d'acteurs extérieurs. Ces paysans s'unissent autour d'une même structure leur permettant d'augmenter leur productivité agricole et la création d'autres secteurs d'activités, entre autres, l'artisanat. Ce dernier est beaucoup mis en valeur et le tourisme régional manifeste de l'intérêt. L'arrivée des touristes écologiques permet aussi aux « acteurs-paysans » d'avoir un meilleur marché pour la vente de leur production agricole, d'une part ; et d'autre part, le renforcement des liens sociaux entre les visiteurs et les agriculteurs. L'auteur a admis dans sa recherche que la philosophie de l'association paysanne se fonde sur la participation des acteurs, elle soutient ses membres et les aident à valoriser leur savoir-faire. V. Lamothe (2007), pour son mémoire du D.E.A en
Développement, environnement et initiatives de développement prises par les associations communautaires sont à caractère social (construction d'écoles privées, d'hôpital, d'églises et d'infrastructures routières). Dans ce cas, l'auteur a souligné l'insuffisance d'activités de création d'emplois pouvant contribuer à l'autofinancement des acteurs locaux. Il a poursuivi la présentation des résultats de sa recherche en soulignant que la réalisation de certains projets communs dans la commune de La Vallée de Jacmel implique une certaine participation populaire. Mobilisée par les leaders locaux, la participation de la population est limitée quasiment à l'exploitation entière ou totale de la main-d'oeuvre gratuite ou à des dons de matériaux ou de terrains. « Cette forme de participation s'est révélée insuffisante pour produire un véritable développement territorial, car la population n'implique que dans la réalisation des activités et non dans la définition des objectifs ». Pour conclure son travail, il a proposé aux principaux initiateurs d'activités de développement dans la commune La Vallée de Jacmel de toucher le secteur économique et la structuration organisationnelle. Ce dernier axe favoriserait une meilleure appropriation des activités par la population locale (V. Lamothe, 2007 : 94). Dans le cadre de sa thèse de Doctorat en développement-environnement-population en 2007, Fritz Dorvilier a réalisé une étude traitant de « l'apprentissage organisationnel et dynamique de développement local en Haïti ». Pour son étude de cas, basée sur la Section Communale de Belle-Fontaine, l'auteur a identifié qu'une dynamique associative entre les paysans de ce niveau territorial crée du développement communautaire par la valorisation des secteurs d'ordre économique social et politique. Cette dynamique associative entre les paysans vise l'amélioration de leur condition de vie, ce qui leur a permis de redéfinir leurs pratiques économiques, sociales et politiques. Dans le secteur économique, l'augmentation de la productivité agricole et l'amélioration des revenus sont considérées comme la priorité des paysans. Leur modèle de production vise l'augmentation de la productivité agricole et se construit autour « des principes éthiques promouvant l'égalité et la solidarité » (p. 313). Cette pratique leur a permis d'assurer de part eux-mêmes l'autosuffisance alimentaire. Sur le plan social, la Section Communale de Belle- Fontaine souffre de la rareté « des services publics de base (éducation, santé, eau potable, voies de communication routières)». Mais, les revenus agricoles générés par les paysans grâce à leurs initiatives groupées leur permettaient d'assurer l'éducation scolaire de leurs enfants. « Les paysans s'investissent dans une dynamique socio-organisationnel » leur permettant de serrer les liens entre' eux. Cette forme d'organisation pratiquée par ces acteurs locaux a incité une dynamique collective pour le développement territorial. Ce système d'apprentissage organisationnel a permis aux paysans de mieux comprendre leur réalité de vie en milieu rural. Ils définissent de part eux-mêmes plusieurs formes d'organisations du travail de manière collective. Pour la construction d'un système politique, les paysans réclament des acteurs dominants leur participation active en vue de la définition de leur priorité. A travers cette dynamique associative, ces « acteurs-paysans » visent la gestion durable de leur territoire tout en évitant les erreurs commises par les mouvements populaires associatifs du XIXème siècle et début du XXème siècle. Toutefois, les « acteurs-paysans » concernés restent vigilants vis-à-vis des acteurs nationaux afin d'éviter que leur mouvement soit désorienté par ces derniers pour des raisons purement politiques (F. Dorvilier, 2007 : 315). Y. Sainsiné (2007) a présenté sa thèse de doctorat en développement-environnementpopulation autour de « la mondialisation, développement et paysans en Haïti : proposition d'une approche en termes de résistance ». Cette étude a été menée dans trois Sections Communales haïtiennes (Bastien, Médor et Poste-Pierrot) du Département de l'Artibonite. Les résultats obtenus par l'auteur ont montré que les communautés paysannes des ces Sections Communales d'Haïti pratiquent un modèle de « développement autocentré ». Ce modèle se définit à travers des initiatives de développement à caractère social, politique, économique et culturel. Cette pratique permet à la communauté locale d'avoir une capacité de satisfaire ses besoins fondamentaux avec l'utilisation des « ressources humaines et matérielles locales ». Les paysans s'organisent autour des associations et arrivent à mettre en place des stratégies (autofinancement, épargne collective, prêt/dons d'intrants agricoles, etc.) pour essayer de résoudre en particulier les problèmes liés à la productivité agricole. Chaque communauté s'emploie à redéfinir des règles de vie en collectivité et prônent l'interdépendance de ses membres afin de lutter contre l'enrichissement individuel. La réussite individuelle est souvent mal perçue et est vue comme un risque potentiel de désagrégement de la communauté et des solidarités prônées comme valeurs primordiales (Y. Sainsiné, 2007 : 290). « Ce repli associatif, communautaire ou local observé dans les pratiques menées par les paysans haïtiens, particulièrement dans ces trois sections communales du Département de l'Artibonite n'est pas gratuit » (Y. Sainsiné, 2007 : 298). L'auteur a souligné l'importance des immigrés qui permettent aux communautés locales de surmonter à certains problèmes (construction écoles, routes,...) par l'aide (souvent financière) qu'ils se chargent d'apporter. Pour finir, Y. Sainsiné (2007) n'a souligné que les pratiques associatives dans ces zones d'Haïti constituent l'un des éléments de réponses aux divers problèmes socio-environnementaux, politiques, économiques et culturels que connaisse le pays depuis plus d'un demi-siècle. La résistance des paysans est présentée comme un moyen utilisé par ces derniers pour contrecarrer les mauvaises pratiques de l'État et d'autres formes d'actions de l'extérieur qui ne sont pas cohérentes à leur milieu de vie. Ces 4 modèles de développement local présentés précédemment sont statués autour des initiatives prises par des « acteur-paysans » par la création d'associations de développement. Leur volonté d'innovation est liée au désir d'apporter certaines améliorations à leurs conditions de vie en milieu rural. Quoique des faiblesses dans la participation populaire soient identifiées dans certains cas, les bénéficiaires des activités de développement exécutées par les associations paysannes respectives participent à leur initiative de développement à un certain niveau. Les études ont montré que les « acteurs-paysans » essayent toujours de construire quelque chose en commun. En outre, ces études ont annoncé le manque de support fournit par l'État quant au développement des zones rurales en Haïti. Par contre, certains acteurs de la société civile tels les ONG, la diaspora, les religieux et les notables sont identifiés comme étant des acteurs qui contribuent fortement au développement de ces zones par leur support financier. Considérant que la présente étude tient compte de ce même groupe « d'acteurspaysans » de développement, il sera très utile de comparer leurs modèles de participation populaire aux initiatives de développement local dans l'analyse des résultats obtenus. DEUXIÈME PARTIE : DÉCENTRALISATION EN HAÏTI ET DÉVELOPPEMENT LOCAL CHAPITRE III- DÉCENTRALISATION DANS LE CONTEXTE HAÏTIEN Depuis plus d'une vingtaine d'années, la décentralisation est apparue comme l'outil utilisé par les États pour promouvoir le développement. Cette démarche s'oppose du même coup à l'aménagement du territoire centralisé utilisé au cours des années 50-70. Dans le cas de la République d'Haïti, la mise en marche de ce processus a commencé avec la fin de la dictature en 1986 et l'adoption de la nouvelle constitution de 1987. Dès lors, les différents gouvernements qui se sont succédé ont toujours mis l'accent, tout au moins, dans leur discours sur la décentralisation et le développement local. La société civile haïtienne et les ONG internationales représentent perpétuellement des acteurs importants- le premier pour l'encouragement et la dénonciation des mauvaises pratiques de développement local à l'image de la Plate-forme Haïtienne pour un Développement Alternatif (PAPDA)21- le second, surtout pour le support financier et technique aux initiatives de développement local. Ce chapitre du mémoire est divisé en 3 parties : Primo, la présentation de l'historique de la division territoriale et du processus de la décentralisation à fin de mieux comprendre son importance pour la réussite du développement local ; Secundo, la situation générale de la décentralisation et du développement local en tenant compte des écrits d'autres auteurs et sa situation à l'époque contemporaine ; Tertio, le regard sur le niveau politico-économique du processus de décentralisation et du développement local. 3.1- HISTORIQUE DE LA DIVISION TERRITORIALE ET DU PROCESSUS DE DÉCENTRALISATION EN HAÏTI Dans cette partie de l'étude, il consiste à présenter spécialement la décentralisation au regard de la participation populaire au développement local. Dans ce cas, les aspects politiques ne sont pas pris en considération de manière détaillée. 21 Elle un regroupement de mouvements sociaux et d'organisations de la société civile haïtienne qui travaille sur les politiques publiques par le biais de l'information, la formation, l'analyse critique et l'élaboration de propositions alternatives, fondée le 7 novembre 1995 À la veille de l'Indépendance haïtienne le 01 janvier 1804, malheureusement une bonne prise en charge de ce « coin de terre » n'avait pas eu lieu à cause de la non-organisation de ces héritiers. « La nation haïtienne a connu une véritable scission avec, comme point de clivage, la position par rapport au type de développement à adopter, au type d'évolution à suivre » (G. Barthélemy 1989 : 23). Le passé colonial22 a permis à la République d'Haïti de bénéficier la forme d'organisation territoriale existante en France au début du 19ème siècle (Département, Arrondissement, Paroisses, etc.). La constitution de 1816 a changé la Paroisse en Commune qui représentait « une circonscription administrative importante de l'État ». Le pouvoir central demeurait centralisé et les militaires ont largement dominé le milieu rural ce qui a entravée l'émergence de ce dernier (C. L. Cadet, 2001 :7). La centralisation du pouvoir en Haïti a continué avec l'occupation américaine (19 15- 1934). Cette situation a conduit à la réduction des pouvoirs des zones rurales. Malgré les tentatives de résistance de la population rurale, cette idéologie de centralisation des pouvoir a été renforcée pendant les deux périodes de dictature des DUVALIER de 1957 -1986 (V. Dorner, 2006). En 1986, la République d'Haïti a connu un nouveau départ avec la chute de la deuxième période de dictature dirigé par le pouvoir de Jean Claude DUVALIER (1971-1986) et l'une des premières actions posées autour de la décentralisation, fut la création de la Constitution de 1987 qui en a bien fait la considération. « L'idée de la décentralisation en Haïti n'a pas été importée, elle a de préférence bénéficié d'un support de la population locale face à la dégradation de l'espace de vie par les pouvoirs précédents et de l'incapacité de ces derniers à assurer le développement seul » (Oriol M. et al, 1995 : 7 in V. Dorner, 2006). En effet, la constitution haïtienne de 1987 dans son article 61 divise le territoire haïtien en 3 Collectivités Territoriales23 qui sont le Département, la Commune et la Section Communale. Elles constituent des entités politico-administratives décentralisées dans l'État unitaire décentralisé d'Haïti. Dans un département, plusieurs Communes se regroupent autour d'un Arrondissement qui constitue une subdivision de celui-ci. Les Collectivités Territoriales ont pour missions principales d'encourager la participation citoyenne pour l'application des politiques administratives du territoire et à la gestion des affaires publiques (art. 62). 22 Haïti était une colonie française de 1697 à 1803 avant l'indépendance. 23 Elles sont citées dans l'ordre de la plus grande unité à la plus petite unité territoriale. Spécifiquement, l'article 66 parle de l'autonomie financière et administrative de la Commune. Selon les articles 66, 66-1 et 67, la Commune est dirigée par un Conseil Municipal de 3 personnes élues pour 4 ans au suffrage universel, avec un mandat indéfiniment rééligible. Ce conseil est assisté dans l'accomplissement de ses tâches d'une Assemblée Municipale formée par un représentant de chaque Conseil d'Administration de Section Communale (CASEC). Le Département est une personnalité morale, pourvue d'une autonomie pour poser des actions et prendre des décisions appropriées (art. 77). Il représente la plus grande entité territoriale administrative (art. 76) et doit être dirigé par un conseil de 3 membres élus pour 4 ans par l'Assemblée Départementale qui elle-même se forme à partir d'un représentant de chaque Assemblée Municipale (art. 78). L'article 87 précise que le pouvoir exécutif est assisté d'un Conseil Interdépartemental dont les membres sont désignés par les Assemblées Départementales. Le Conseil Interdépartemental, conjointement avec l'exécutif, étudie et planifie les projets de décentralisation et de développement du pays, au point de vue social, économique, commercial, agricole et industriel (art. 87-2). Chaque Conseil Départemental est pourvu de la tâche spécifique d'élaborer le plan de développement de son Département. L'article 87-4 précise que la décentralisation doit être accompagnée de la déconcentration des services publics avec délégation de pouvoir et du cloisonnement industriel au profit des départements. Malheureusement, ces représentants du Département n'ont jamais été mis en place à l'exception de l'Assemblée Départementale qui a existé pendant la courte période de 1997-1999 (W. Bertrand et al., 2007). Cette présentation a permis de constater la volonté manifestée par l'État central pour réussir la décentralisation et le développement local. Il est vrai que le développement local n'est pas mentionné comme tel dans la constitution de 1987, des outils d'applications y sont quand même présents. Malgré certaines faiblesses identifiées, l'État a quand même soutenu l'application du processus de décentralisation via la mise en place des structures décentralisées à tous les niveaux de son territoire administratif. L'État a garantit la mise en place « des législations et des institutions adéquates pour réaliser le développement endogène » comme l'a écrit (UNESCO, 1982). Dans l'ensemble, ces institutions décentralisées devraient représenter des actifs pour la réussite du développement territorial (P. Prévost, 2001 ; J- R Essombè Édimo, 2005) et elles disposent d'un pouvoir légitime (F. Debuyst, 2001). Il est évident d'annoncer que la tâche spécifique pour la planification et la réussite du développement était accordée uniquement au Conseil Départemental. Ce dernier est chargé d'élaborer un plan de développement pour toutes les Collectivités Territoriales. Par rapport à cette considération, les représentants de la Commune et de la Section Communale qui représentent les deux autres Collectivités Territoriales n'ont pas été suffisamment impliqués à la préparation de leur plan de développement local respectif. Cependant, aucune précision n'a été donnée quant à la participation populaire à l'élaboration du plan de développement du Département. Toutefois, la possibilité pour les représentants de la Commune de participer à l'élaboration du plan de développement pour leur département est lié à leur présence au Conseil Départemental. L'un des plus grands handicaps est lié à l'inexistence de l'Assemblée Départemental qui devrait aboutir à la formation du Conseil Départemental voir celui d'Interdépartemental pour la réussite d'un vrai développement territorial. De plus, l'Assemblée de Section Communale (ASEC) qui devrait remplir le rôle d'un « parlement local » n'a existé qu'en 1997 après la promulgation de la loi décrivant en même temps leurs rôles et ceux du CASEC. Ce retard dans la publication de la loi sur les fonctions de ces institutions locales a sans doute entravé la réussite du processus de développement local. La Section Communale étant le territoire administratif étudié, sa présentation est faite au point ci-après. 3.1.1- Genèse des Sections Communales en Haïti et le développement territorial Pour V. Dorner (2006), l'État haïtien a déjà pris en compte cette Collectivité Territoriale depuis le Code Rural de 1826 sans donner aucune description. De même cet espace avait existé sous le nom de Section Rurale depuis la Constitution de 1946 jusqu'à la fin de la dictature en 1986. Ce territoire administratif actuel a vu le jour avec la promulgation de la Constitution du 29 mars 1987. Les Sections Communales actuelles sont hétérogènes avec des superficies et des populations très variables, respectivement de 10 à 40 km2 et de 1000 à 45000 habitants (IHSI, 2003)24. Elles sont de 2 types : les Sections Communales rurales et les Sections Communales urbaines. La population des Sections Communales urbaines jouit de certains privilèges en raison de leur proximité aux services de base disponibles, contrairement à celle des Sections Communales rurales. À ce niveau du territoire, les premiers élus ont été mis en place en février 1991 après les élections réalisées en décembre 1990. Avant cette époque, l'État était présent dans ce milieu par des Chefs de Sections. Nommés par le pouvoir central, ces derniers ont exercé leur fonction sous le strict contrôle de l'Armée et la population rurale a toujours subit beaucoup de répressions de leur part. Les Chefs de Sections étaient l'unique représentant de l'État au niveau des Sections Communales, bien que le milieu rural était habité par environ 80 % de la population haïtienne jusqu'en 198625. L'exode rural qui a commencé à partir de 1986 a vu un grand nombre de paysans laisser les campagnes à destination des villes et en 2003, la part de la population haïtienne vivant en milieu rural n'était que de 59 % (IHSI, 2003). Selon les témoignages des notables rencontrés dans les deux unités étudiées, le Chef de Section et ses adjoints26 ont eu pour missions principales de faire le jugement entre deux personnes en conflit, de collecter les taxes au niveau des marchés publics, de délivrer des laissez-passer et de procéder aux constats. Donc, aucune fonction n'ayant véritablement des liens au développement socio-économique, culturel et environnemental des Sections Communales et à la prospérité de la population rurale marginalisée. Au cours de cette même période, la population ne disposait aucune possibilité de s'organiser en des associations pour leur développement personnel. La constitution du 29 mars 1987 dans son article 62 précise que la Section Communale représente la plus petite entité territoriale administrative parmi les trois Collectivités Territoriales. Pour les articles 63 et 63-1, elle doit être administrée par un conseil de 3 personnes appelé : Conseil d'Administration de la Section Communale (CASEC). Les membres du CASEC doivent être élus au suffrage universel par la population pour un mandat de 4 ans et ils sont indéfiniment rééligibles. Le CASEC est assisté dans l'exercice de ses fonctions par un conseil délibérant appelé : Assemblée de la Section Communale (ASEC) qui est élu par la population à raison d'un représentant par localité27. Dans cette même constitution, aucune précision n'a été mentionnée pour le fonctionnement et les attributions de ces deux organes qui représentent l'État à ce niveau territorial. Cette omission s'est déjà soulevée par des auteurs tels G. Danroc (1996), M. Oriol et al. (1994) in V. Dorner (2006). Dans V. Dorner (2006), la période 1991-1996 a été marquée par d'importants débats relatifs au découpage approprié pour la délimitation d'une collectivité pouvant garantir le développement endogène. Ainsi, fut apparut la loi sur les fonctions de ces deux représentants 25 En 1986, la population haïtienne était estimée à environ 5.6 millions d'habitants. 26 Le Chef de Section a eu le pouvoir de nommer ses adjoints et la quantité d'adjoints varie avec la population et la superficie de la Section Communale. 27 Les Sections Communales sont divisées en plusieurs localités et le nombre de personnes membres d'une ASEC varie avec la population et l'étendue de la Section Communale. de l'État au plus bas niveau des Collectivités Territoriales haïtiennes seulement 10 ans après la promulgation de la constitution en vigueur. En effet, la loi portant « sur l'organisation de la Section Communale haïtienne » était publiée au Journal Officiel Le Moniteur du jeudi 04 avril 1996. Malgré tout, un document de travail préparé par des experts nationaux et internationaux pour le compte de la Commission Nationale de la Réforme Administrative ont soulevé certaines interrogations relatives aux différents aspects tels son mode de fonctionnement, sa vraie autonomie administrative et financière, son indépendance de la Commune, sa légitimité pour agir directement sur son territoire et son droit d'associer (CNRA, 2002 : 6). La loi du 04 avril 1996 attribuait à ces deux entités administratives (CASEC et ASEC) qui représentent le pouvoir exécutif au niveau des Sections Communales des attributions complémentaires pour la réussite du processus de développement local. Selon l'article 11-1, l'Assemblée de la Section Communale (ASEC) a pour rôle de sanctionner et ratifier la politique de la Section Communale préparée et présentée par le CASEC. L'article 19-3 donne le droit au CASEC de préparer le plan de développement de sa Section Communale en collaboration avec les institutions compétentes, sur la base des demandes collectives largement exprimées par la population et en tenant compte des avantages et des contraintes à leur concrétisation. D'après l'article 19-4, le Conseil d'Administration de la Section Communale a pour obligation de recevoir et canaliser de concert avec l'Assemblée des Sections Communales selon le plan de développement établit, toute initiative au projet de développement provenant du Gouvernement, de la Commune, des organismes de développement multisectoriel, des organismes non gouvernementaux et des particuliers, encourager particulièrement les projets de production générateurs d'emploi en utilisant les ressources et potentialité propres à la Section Communale. Enfin, l'article 19-12 précise que le CASEC doit préparer un projet de budget de fonctionnement et de développement de la Section Communale qui doit frtre ratifiée par l'Assemblée de la Section Communale et soumis à l'approbation du Conseil Municipal et Départemental pour l'intégration au Budget Communal. La conception de la Section Communale actuelle peut faciliter le développement endogène. Les « acteurs-paysans » se chargent de s'organiser eux-mêmes à travers différentes formes d'associations de travail et ils sont supportés par des ONG nationales et internationales d'aide au développement. En milieu rural haïtien, le secteur agricole est dominé par des cultures vivrières : maïs, manioc, patates douces, haricots, riz, plantain et des cultures commerciales : café, mangues, cacao, noix de coco, bois, etc. À partir de la production locale, les paysans assurent leur autoconsommation (C. L. Cadet (2001). Malgré tout, C. L. Cadet (2001) a souligné deux problèmes majeurs quant à la réussite du développement territorial au niveau de la Section Communale. D'une part, elle n'est pas réellement considérée dans la dynamique politique et administrative et d'autre part, elle ne dispose pas d'un cadre institutionnel adéquat pour enclencher un vrai processus de développement. Cette présente problématique du développement des Sections Communales renforce les idées énoncées par P. Prévost et al., (2003). Les modèles de développement appliqués écartent souvent la population rurale qui constitue malgré tout un élément majeur pour le développement démocratique contemporain. Cette forme d'exclusion de la population rurale a été jadis soulignée par G. Barthélemy (1989) où ce milieu est toujours considéré comme « le pays en dehors ». Cette illustration a permis d'identifier les efforts opérés par l'État central pour atterrir la décentralisation au plus bas niveau de son territoire. Depuis l'élection des membres de l'ASEC en 1996, l'état était suffisamment bien décentralisé pour favoriser le développement endogène comme l'a dit P. Prévost (2001). Ce changement a induit une meilleure participation populaire dans la préparation du plan de développement de la Section Communale. Parmi les missions du CASEC et de l'ASEC, ils se chargent d'encourager l'exécution des projets générateurs d'emploi au profit de la population locale y compris la valorisation des ressources locales. Toutefois, les élus des Sections Communales ne sont pas suffisamment formés pour remplir convenablement leurs fonctions comme l'a dit P. Prévost (2003). En outre, des retards dans l'application réelle de cette loi ont toujours représenté des handicaps pour permettre à ces élus locaux de remplir convenablement leurs fonctions. Lors des entretiens réalisés, les membres du Conseil d'Administration de la Section Communale (CASEC) et de l'Assemblée des Sections Communales (ASEC) ont déclaré leur manque de moyens disponibles pour apporter leur contribution à la satisfaction de certains besoins de la population locale. Ils déploraient l'insuffisance d'encadrements techniques et financiers fournis par l'État central sans passer par des ONG. 3.2- DÉCENTRALISATION ET DÉVELOPPEMENT LOCAL EN HAÏTI À L'ÉPOQUE CONTEMPORAINE En février 2006 dans le journal officiel Le Moniteur, le pouvoir exécutif publiait un décret-loi « définissant le cadre général de la décentralisation, les principes d'organisation et de fonctionnement des collectivités territoriales haïtiennes ». Son article 70 stipule que chaque Collectivité Territoriale, Département, Commune ou Section Communale devra élaborer un plan de développement. Selon l'article 87-2, le Conseil Interdépartemental se réunit avec celui des Ministres du Gouvernement quand ce dernier se penche sur des questions de décentralisation et du développement économique, commercial, agricole et industriel. Ce Conseil Interdépartemental, malheureusement à l'heure actuelle n'existe pas. Les missions des Collectivités Territoriales sont remises en cause à partir de ce décret- loi. L'article 64 spécifie que la Section Communale s'occupe de la formation civique, économique, sociale et culturelle. La Commune prend charge de la gestion des biens et des services (art. 73 & 74). Enfin, le Département doit travailler sur l'aspect de la planification de développement (art. 81). Donc, des missions différentes pour ces trois Collectivités Territoriales qui s'unissent pour former le territoire administratif haïtien. D'après l'article 133 de ce même décret-loi, les Collectivités Territoriales ont le pouvoir d'établir leurs propres relations internationales c'est-à-dire elles peuvent établir avec des collectivités territoriales étrangères des relations individuelles et développer ainsi une coopération décentralisée dans les domaines économique, culturel et social. Donc, beaucoup de risques pour la création d'intérêts divergents avec l'existence d'un pluralisme politique au niveau d'un seul département (F. Saint Jean, 2005)28. Suite à la publication de ce décret-loi au 1er février 2006, le Pouvoir Exécutif venait de déposer au Parlement haïtien en date du 29 mars 2009 « une proposition de loi établissant le cadre général de la décentralisation territoriale, de l'organisation et du fonctionnement des collectivités territoriales haïtiennes, dans la perspective de la fourniture adéquate et équitable des services publics à la population, du développement local et du renforcement de la démocratie tant représentative que participative » (art. 1). Après une première analyse par les deux chambres29, une première proposition est faite et publiée au 14 mai 2009. Ce document comprend 7 titres et 5 d'entre' eux sont liés aux dispositions générales relatives au fonctionnement des collectivités (titre 1), à l'organisation des trois Collectivités Territoriales 28Ce point de vue avait été donné le 15 décembre 2005, avant même la publication du décret-loi au premier février 2006 au journal officiel Le Moniteur. 29Le parlement haïtien comprend une chambre basse composée des Députés et une chambre haute composée des Sénateurs de la République. (titre 2) et à leurs relations (titre 3), aux compétences des Collectivités Territoriales (titre 4), au financement des Collectivités Territoriales et de leurs ressources (titre 5). Leur contenu peut être résumé à partir de certains chapitres traitant la situation de la décentralisation et du développement territorial. Il s'agit : y' Des principes de base de la décentralisation, d'organisation et de l'autonomie des Collectivités Territoriales ; y' Des instances participatives de développement et de la décentralisation de certains services ; y' Des relations de contrôle et d'encadrement des Collectivités Territoriales ; y' Des relations de collaboration et de partage entre les Collectivités Territoriales et de leurs relations avec les habitants ; y' Des conditions d'octroi et de transfert des compétences techniques ; y' Du budget des Collectivités Territoriales et de leurs différentes façons de générer des ressources au niveau du territoire respectif. À travers cette présentation, il est évident de constater de nouveaux efforts effectués par l'État central pour encourager l'application du processus de la décentralisation et du développement local. Ces nouveaux textes de lois favorisent au mieux la participation des élus locaux à tous les niveaux territoriaux dans la planification du développement de leur communauté. Contrairement aux prévisions faites par la constitution haïtienne de 1987, le décret-loi de 2006 accorde le pouvoir aux autorités locales d'établir leur propre coopération externe. Dans ce cas, elles bénéficient d'une opportunité pour réaliser le partage d'expériences et d'échanges avec l'extérieur pour induire le développement endogène comme l'a dit G. Logié (2000). Le projet-loi de 2009 donne la possibilité aux élus des Collectivités Territoriales d'utiliser les ressources de leur territoire respectif pour réaliser leur propre développement. Ce texte de loi recommande aux élus locaux le partage d'expériences tant au niveau interne qu'au niveau externe. Aussi, la participation populaire est favorisée entre les habitants d'une communauté et leur représentant. De plus, le pouvoir exécutif haïtien, par le biais du premier ministre, Madame Michèle Duvivier Pierre-Louis, venait d'organiser les 15 et 16 mai 2009 « un colloque autour de la formation permanente et la gestion des cadres territoriaux ». Des experts venant d'autres pays comme la France, le Chili, la Martinique, entre autres, devraient partager leurs expériences avec environ 100 acteurs du pouvoir législatif et de la société civile y compris des élus de Collectivités Territoriales. Dans son allocution, la cheffe du gouvernement a déclaré aux représentants des Collectivités Territoriales que « le gouvernement qu'elle dirige va faire de la décentralisation et du développement local la pierre angulaire de l'action gouvernementale. Le gouvernement veut miser sur la plus petite division territoriale pour entamer le processus de développement local ». Elle a poursuivit son discours en insistant sur l'importance de cadres mieux formés pouvant assurer le contrôle de leur localité en y adoptant des choix de développement durables appropriés. Pour conclure, elle s'est déclarée ouverte aux partages d'expériences et à la coopération internationale pour permettre aux élus locaux et leur personnel de disposer de meilleurs outils de gestion de leur collectivité (C. Michel, 2009). Comme l'a annoncé P. Prévost (2003), cette récente initiative exprime la volonté des acteurs institutionnels haïtiens à la réussite du processus de décentralisation et du développement local. Cette tentative rejoint l'idéologie de G. Logié (2000) qui considère que la réussite du processus de développement local nécessite que les acteurs locaux fassent le partage d'expériences en prenant les idées des autres pour inventer chez eux. L'intention de doter aux élus locaux de nouveaux outils pour mieux gérer leur collectivité est considérée comme un moyen pour rendre leur projet plus efficace, c'est-à-dire ils peuvent devenir le maître de leur propre développement. Enfin, Frédéric Gérald CHÉRY vient de publier en mai 2009 un document traitant la décentralisation et le développement local en Haïti. Un article publié par le quotidien haïtien LE NOUVELLSITE, en date du 08 juin 2009, avait présenté une synthèse du travail publié par ce chercheur haïtien. Selon F. G. Chéry (2009), lu au journal LE NOUVELLISTE30, le développement local conduira à des changements progressifs et décisifs pour l'économie haïtienne. Son étude a surtout pris en compte la dimension économique de la décentralisation présentée à partir de certains chiffres31. Selon lui, le développement n'est plus un problème social et/ou politique contrairement à certaines autres visions. La politique de décentralisation et du développement local engendra des changements au niveau économique et des impacts locaux. Au niveau communal, les acteurs peuvent eux-mêmes contribuer à la création d'entreprises locales via des biens de l'État. Il a poursuivit ses réflexions en annonçant que le pouvoir décentralisé doit encourager cette voie sans toutefois recourir forcément à un relèvement de la pression fiscale des subventions de l'État Comme appui à cette proposition, 30 L'article est publié dans le journal sans avoir un auteur précis 31 Aucune possibilité d'analyser les chiffres, n'ayant pas lu directement le livre l'auteur parle, entre autres, des sources d'eau non exploitées et du tourisme local à partir des monuments historiques, etc. Il est évident que les réflexions faites par F. G. Chéry (2009) pour réussir le développement local en Haïti se divergent de ce qu'a constaté le chercheur P. Prévost dans son étude d'évaluation dudit secteur en Haïti pour le compte de l'Agence Canadienne de Développement International (ACDI). Haïti fait face à des crises au niveau social, politique, économique, environnemental et culturel qui l'emp~che d'assurer la décentralisation et le développement local (P. Prévost, 2003). Les propositions annoncées par F. G. Chéry parlent de la création d'entreprise au niveau local avec l'utilisation des biens du domaine public, donc la valorisation des ressources locales comme l'ont bien dit B. Pecqueur (2000) et A. Joyal (2002) par des acteurs institutionnels d'après les définitions de F. Debuyst (2001), P. Prévost (2001) et J- R Essombè Édimo (2005). En comparaison à des expériences réussites de l'Association des Paysans de Vallue (APV) sur l'écotourisme (A. Coq, 2006), la valorisation du tourisme local via des monuments historiques jusqu'ici inexploités pourrait considérer comme une très bonne propagande pour enclencher le processus de territorialisation dans plusieurs zones du pays où les monuments sont véritablement subsistés. L'exploitation de cette ressource matérielle peut être utilisée comme une stratégie par les acteurs locaux institutionnels pour construire leur destin commun. Il serait bon que tous les acteurs de la vie haïtienne se penchent sur ces suggestions avancées par l'auteur Frédéric Gérald Chéry. D'ailleurs, la constitution haïtienne en vigueur et le projet-loi de 2009 confèrent ce niveau de compétences aux élus locaux. 3.3- REGARD SUR LE NIVEAU POLITICO-ÉCONOMIQUE DU
PROCESSUS DE Depuis l'adoption en 1987 de la nouvelle constitution haïtienne, la décentralisation se situe au centre des discours portant sur la réforme de l'État central. L'objectif principal affiché est d'arriver à renverser la situation de pauvreté chronique qui prévale surtout en milieu rural. Pour y arriver, les autorités de l'État ont compris que la découpe des Collectivités Territoriales constitue le point de départ pour la réussite du développement local (T. Cantave, 2006). Cependant, bien que la présente constitution et la loi de 1996 parlent de l'autonomie financière et administrative des Collectivités Territoriales, celles-ci à l'exception de certaines Communes de la zone métropolitaine32 de Port-au-Prince, demeurent financièrement dépendantes du pouvoir exécutif via le Ministère de l'Intérieur et des Collectivités territoriales (C. L. Cadet, 2001). De plus, les élections indirectes qui devraient permettre la mise en place des Conseils Départementaux et Interdépartementaux et qui, étudieront et planifieront conjointement avec l'Exécutif les projets de décentralisation et de développement à tous les secteurs d'Haïti n'ont jamais existé. Dans (P. Prévost et al., 2003), le financement du développement local en Haïti est assuré à la fois par des acteurs institutionnels que par des acteurs non-institutionnels. L'appui financier de l'acteur public s'est toujours révélé insuffisant, ce qui renforce la liaison entre les Collectivités Territoriales et les bailleurs de fonds nationaux et internationaux. Le Schéma 1 présente globalement les structures mises en place par l'État pour le financement des activités de développement local. FONDS D'INVESTISSEMENT PUBLIC (FIP) Programme et projets
d'envergure Plans Communaux de Développement (PCD / FIC) Projets Locaux de Développement au niveau Sections Communales (PIL / FIL) Programmes et Projets Plan Départemental de Figure 2 : Organisation de l'État unitaire
décentralisé d'Haïti et Plan National de
Développement Cette Figure fait ressortir le caractère politique-économique de développement de la République d'Haïti. Sa gestion conjointe est assurée par l'Administration Centrale du Pouvoir Exécutif et les Collectivités Territoriales représentées par le Conseil Interdépartemental. Ce dernier, comme mentionné au titre 3.1 devrait jouer un grand rôle dans l'application des projets de décentralisation et du développement local. Le Plan National de Développement (PND) comprenant les programmes et projets d'envergure nationale est l'émanation de l'orientation de la politique du Pouvoir Exécutif codifié par le Premier Ministre dans son ÉNONCÉ de POLITIQUE GÉNÉRALE approuvé par le parlement, traduit de façon opérationnelle dans le Programme d'Investissement Public (PIP) et porté au budget annuel de l'État qui est financé par le trésor public et les apports de la Communauté Internationale. Il intègre aussi les Plans Départementaux de Développement constitués par les Plans Communaux Intercommunaux de Développement élaboré par les dirigeants des Collectivités Territoriales Municipales (Conseils et Assemblées) en articulation avec les Organisations de la Société Civile et les structures déconcentrées de l'État et ceci à partir des Projets de Développement Local provenant les habitations des Collectivités Territoriales de Sections Communales qui les composent à partir des besoins exprimés (T. Cantave, 2006). Le décret-loi sur le Fonds d'Investissement Public du 4 octobre 1984 et l'arrr~té d'application du 11 septembre 1985 constituent, encore de nos jours, les premières orientations nécessaires à la nouvelle approche pour le financement des programmes d'investissements dans le cadre du budget annuel de l'État Unitaire Décentralisé L'article 2 dudit décret-loi stipule que le Programme d'Investissements publics est un instrument qui rend opérationnel le Plan Annuel de Développement (T. Cantave, 2006). Ce même article 2 confie la responsabilité au Ministère de la Planification et de la Coopération Externe d'élaborer un Plan de Développement National, mais le nouveau décret- loi du 01 février 2006 attribuait cette tâche à chaque Collectivité Territoriale comme déjà présenté au point 3.3. L'article 5 mentionne que les ressources consacrées au financement des opérations de développement du secteur public peuvent provenir des fonds nationaux ou internationaux (Journal officiel Le Moniteur, 1984). Il est évident que l'État continue à manifester sa volonté à la réussite du développement local ; le principal handicap se situe autour de sa dépendance de l'aide extérieur, d'une part et d'autre part, de la faiblesse au niveau des compétences disponibles au niveau local. Cette situation a toujours retenue l'attention des acteurs de la société civile comme c'est le cas de l'Agence Canadienne de Développement International en 2003. Par conséquent, l'État devrait combler ses faiblesses au niveau local, ce qui permettrait la création de richesses pour une meilleure réussite du développement durable. |
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