7.2 Des rapports de force
entre le Nord et le Sud
L'histoire entre le Nord et le Sud est
caractérisée par des rapports de force et d'assistance
humanitaire. Le plan Marshall a développé une pensée sur
l'aide aux pays sous-développés qui en favorisait l'assistance
plutôt que le partenariat. De plus, le travail de théorisation du
processus de développement des Nations Unies qui a misé sur le
rôle primordial de l'économie, et du fait même des bailleurs
de fonds, a fait des pays sous-développés des pays
assistés.
Hier, les échanges étaient fortement
caractérisés par des rapports de force tendant à
reléguer au rang d'assistés, les pays dits pauvres. La
révolution industrielle ayant favorisé un essor économique
des pays de l'Europe occidentale et plus tard, des États-Unis
d'Amérique, il s'est créé une division artificielle du
monde en pays industrialisés ou développés et pays en voie
de développement, géographiquement concentrés dans la
partie sud de la planète. Dans ce contexte, les relations
internationales sont dictées par des formules et des
considérations visant à drainer vers les pays pauvres, les
capitaux et les technologies ayant fait leurs preuves ailleurs, dans le but de
les aider à rattraper leur retard. Nous connaissons aujourd'hui le
résultat... Plusieurs décennies n'ont pas suffi à cette
démarche pour résoudre le problème de mal
développement. De plus, le partenariat signifiait avant tout, aide au
développement ou à la croissance économique, ce qui
évidemment signifiait que le partenaire possédant la force
financière était maître du jeu et était censé
dicter la conduite à tenir, d'où des rapports parfois tendus
par-ci par-là, ne laissant aucun espace de créativité et
d'affirmation des partenaires dits pauvres (L'Aigle de Songhaï,
développement, 2000, no 40-41).
Cette tendance doit composer avec de nouvelles
réalités comme la souveraineté des pays jadis
colonisés et les échecs des programmes de développement et
d'ajustement structurel. L'information plus accessible à l'ensemble du
monde et la mobilisation des sociétés civiles ont aussi concouru
à une nouvelle conjoncture. À partir de ces
événements, des initiatives locales se sont mises sur pied pour
contrer les manques en matière de travail, de santé,
d'éducation que les approches sectorielles des ajustements structurels
avaient concouru à dégrader. Les modèles alternatifs comme
Songhaï ont transformé la façon de faire des partenariats
entre le Nord et le Sud, en partant d'une base civile, des besoins de la
population. Ils jouent maintenant un rôle important dans la façon
de faire le développement des pays du Sud.
Malheureusement, le système de coopération
internationale attire toujours des organisations qui veulent aussi avoir leur
«part du gâteau». Les programmes sectoriels ont
entraîné des effets pervers : le développement par
programme ne prend pas en compte toutes les facettes d'une
société donnée et cela favorise un développement
anarchique, non planifié. Le développement par programme a aussi
attiré des O.N.G. du Sud qui ont modifié leur mission pour
obtenir des fonds. Ensuite, même lorsqu'une approche sectorielle est
favorisée, planifiée et gérée par le gouvernement
du pays, les programmes du FMI et de la Banque Mondiale qui sont imposés
n'ont pu relancer les économies du Sud. Les intérêts
inavoués des uns et des autres causent des écueils dans les
stratégies du modèle dominant ainsi que dans celles du
modèle alternatif, car ils viennent interférer dans le
développement
Malheureusement, l'affluence massive des organisations et
associations vers des réseaux est en grande partie dictée par le
souci d'y puiser quelque chose pour bâtir sa propre structure. On se
préoccupe très peu de ce que l'on est en devoir d'apporter aux
autres. Lorsque l'on ne reçoit plus à un moment donné,
c'est la « fin » de la participation. Cette situation se
complique par l'opinion selon laquelle les réseaux dont font partie les
institutions du Nord sont les mieux indiqués. Justement parce que ces
dernières sont considérées comme des vaches à lait.
La participation aux réseaux s'apparente alors à un
pâturage incontrôlé où l'on abandonne le pré
dès lors que l'herbe se raréfie (L'Aigle de Songhaï,
développement, 2000, no 40-41).
Ce rapport ambigu qu'entretiennent les bailleurs de fonds du
Nord et les gouvernements ainsi que les O.N.G. du Sud, n'est pas le seul
possible pour le développement du Sud.
7.2.1 Partenariats Sud-Sud,
une alternative
Certains mouvements comme Songhaï ont
décidé de promouvoir aussi les partenariats Sud-Sud parce qu'ils
semblent plus adaptés aux réalités du Sud, aux
développements locaux et favorisent les économies continentales
ou transcontinentales des pays pauvres.
Songer davantage à des réseaux favorisant
les échanges Sud-Sud serait la bienvenue pour les pays africains. Cela
permet de découvrir et d'utiliser les compétences locales, moins
onéreuses et mieux adaptées aux réalités de nos
pays. C'est par exemple le cas d'ASFODEVH (Association pour la Formation en
Développement Humain) au sein de laquelle Songhaï milite
activement. Au Bénin particulièrement, ASFODEVH a permis à
Songhaï de tisser des relations très fructueuses avec plusieurs
institutions partageant les mêmes valeurs et les mêmes champs de
combat contre le mal développement (L'Aigle de Songhaï,
développement, 2000, no 40-41).
Le point de vue de certains bailleurs de fonds du Nord, tel
que OXFAM-Québec, ajoute que les rapports Nord-Sud sont toujours
unilatéraux et qu'il n'existe pas encore d'initiatives Sud-Nord. Cette
idée renvoie au fait que le Sud a peu à apporter au Nord, qu'il
est en position de recevoir ou d'assistance. Pourtant, les initiatives
d'économie sociale au Sud sont des exemples intéressants de
renouvellement des pratiques sociales et économiques. Songhaï est
un exemple de développement harmonieux grâce à la vision
holistique qu'elle emprunte, et elle pourrait nourrir plusieurs
réflexions sur le développement des régions dans les pays
du Nord. Des régions qui sont souvent aux prises avec de forts taux de
chômage, l'exode des jeunes vers les villes et l'appauvrissement des
populations. Le Sud doit donc interpeller le Nord afin de redéfinir le
partenariat et d'échanger sur des bases plus égalitaires.
Il y a beaucoup de travail à faire,
énormément de travail à faire. D'ailleurs, on dit toujours
relation Nord-Sud, on dit jamais Sud-Nord. C'est donc très
orienté et je pense qu'on gagnerait beaucoup dans le Sud-Sud et
Sud-Nord. Mais jusqu'à maintenant on n'a pas trouvé les moyens de
favoriser, ces échanges-là, sur un plan plus égalitaire et
équitable, car je pense qu'on a beaucoup à apprendre des
relations Sud-Sud et Sud-Nord. C'est une question qu'il y avait eue il y a deux
ans où trois ans, le CCCI (Conseil Canadien sur la Coopération
Internationale) Canada qui avait lancé un sondage questionnaire
auprès des membres des O.N.G. canadiennes avec beaucoup de questions et
l'une de ces questions était exactement « Que pensez-vous de
la coopération internationale Nord-Sud ? » Donc, on avait
eu un grand débat sur cette question là. J'étais au
Burkina Fasso à cette époque. Mais effectivement, il y a
énormément de travail à faire et moi je ne suis pas du
tout pour le sens unique, la flèche verticale qui a été
construite Nord-Sud (Entrevue OXFAM-Québec, 2004).
Toutefois, le rapport entre les États du Nord et ceux
du Sud est remis en cause avec l'échec des politiques d'ajustements
structurels et par les approches sectorielles des bailleurs de fonds
internationaux comme la Banque Mondiale et le FMI. Ensuite, les O.N.G. du Sud
tentent de trouver des alternatives qui favoriseraient leur
développement en créant des partenariats dans d'autres pays du
Sud.
Un modèle alternatif de développement comme
Songhaï doit composer avec, non seulement les rapports de force
économique Nord-Sud, mais aussi avec le rapport de force
idéologique qui consiste à dire que le Nord est comme le
« grand frère » qui doit montrer le chemin parce
qu'il a réussi dans son développement. Pourtant, les
économies et les systèmes sociaux du Nord sont en implosion avec
la montée du chômage et la perte des acquis sociaux. Le
libéralisme économique a aussi ses conséquences sur le
Nord avec le déplacement de ses industries dans des zones franches du
Sud afin d'économiser sur les salaires pour optimiser les ventes. Le
développement n'est pas que l'affaire du Sud ; le Nord est
concerné, non seulement parce qu'il doit partager ses richesses, mais
parce que bientôt il sera face à des problèmes qui seront
comparables à ceux du Sud au niveau du désengagement de
l'État dans le service aux populations. Le Nord et le Sud sont des
pôles indissociables, il faudra donc trouver un terrain d'entente pour
harmoniser leur développement.
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