CHAPITRE VI
RÉSULTATS DE LA
RECHERCHE : SONGHAÏ ET SES PARTENAIRES
Ce chapitre traite de la création de partenariats et de
multipartenariats avec les différentes modalités que sont les
audits, les résultats et les recommandations. Le processus
de création de ces partenariats entre les bailleurs de fonds et
Songhaï nous permettra de comprendre la dynamique Nord-Sud à
travers le cas particulier de Songhaï. De plus, les enjeux
rattachés à la création de ces partenariats tels que le
financement des bailleurs de fonds illustrent certains rapports de forces qui
façonnent le monde de la coopération internationale.
6.1 Partenariats et
développement
La caractéristique des partenariats ou des
multipartenariats est le renforcement mutuel des stratégies d'acteurs,
par la mise en commun d'intérêts et de force afin d'atteindre les
résultats recherchés de part et d'autre (Kolosy, 1997). Et comme
nous l'avons vu plus tôt, Songhaï compte sur ses résultats et
sa culture de l'excellence pour nouer des partenariats prometteurs. Que ce soit
au niveau national ou international, il y a différentes façons de
concevoir le développement. Le fondateur de Songhaï, Nzamujo, croit
que le dialogue est la base d'un partenariat entre le Nord et le Sud et que la
mondialisation n'est qu'un nouveau défi à relever, défi
qui permettra peut-être de renouveler le rapport entre les
sociétés du Nord et celles du Sud. Nzamujo (2004) critique la
façon actuelle de faire du développement, car il ne croit pas que
cela réponde adéquatement aux besoins des pays concernés.
Plusieurs O.N.G. sur le terrain adaptent leurs missions afin de répondre
aux critères des bailleurs de fonds et du gouvernement béninois,
en compromettant parfois le développement durable, car aussitôt
que les critères changent suivant les aléas de la politique, les
programmes ne financent plus les projets entrepris antérieurement.
Les gens changent leur mission pour entrer dans les
programmes sectoriels, le gouvernement canadien a voté tant de millions
pour les gens qui vont faire ce projet. Le gouvernement américain a
voté. Et là tout le monde va réaliser des beaux projets
pour que ça plaise. Mais en faisant cela, on abandonne et c'est
ça qu'on appelle « ajustement structurel »,
« lutte contre la pauvreté » et bla-bla-bla, et la
finalité c'est quoi? Le vrai développement personne ne s'occupe
de ça ( Entrevue Nzamujo, 2004).
La « troisième voie » que
prône Nzamujo (2004) avec son projet est de proposer une alternative au
développement sectoriel et par programme en faisant de l'absorption
sélective dans les programmes de développement international et
gouvernemental. La stratégie est de choisir et d'intégrer les
différents aspects proposés par les programmes afin de faire
reculer les formes d'exclusion, qu'elles soient économiques, politiques
ou culturelles et sociales comme le préconise le développement
durable (Boucher, 1999). Cette alternative s'adapte aux programmes tout en
diminuant la dépendance de Songhaï envers ses bailleurs de fonds,
puisqu'il les a diversifiés.
Absorption sélective. C'est à dire,
absorbé de l'extérieur, mais sélectivement. Absorber des
idées... mais sélectivement en fonction des programmes. Ça
c'est important et c'est crucial (Entrevue Nzamujo, 2004).
Le projet Songhaï est un projet à caractère
social, il est donc très varié et il répond à
différents critères qui composent les programmes de
différents bailleurs de fonds et du gouvernement béninois. C'est
donc un atout pour trouver des financements, mais c'est aussi une façon
globale de voir le développement. L'idée de s'intégrer
dans différents réseaux et de faire prospérer
différents aspects de l'agriculture (transformation, commercialisation,
restauration et hôtellerie, etc.) favorise l'insertion des jeunes, des
femmes, agriculteurs ou commerçants. C'est la revalorisation de toute
une économie qui entre en jeu et le déploiement des forces
civiles de la base qui sont en émergence. Les modèles alternatifs
sont moins en attente auprès d'une structure hiérarchique afin
qu'elle réponde a leurs besoins. Comme le disait Favreau (2002), c'est
souvent dans des régions où les instances supérieures
répondent peu ou pas aux besoins des populations que les individus
s'organisent afin de pallier aux manques en créant des réseaux et
des modèles de développement non conventionnels tels que
Songhaï.
L'initiative Songhaï est née de l'effort de
volontaires, et après avoir donné de bons résultats,
Songhaï a demandé à être financé par des
bailleurs de fonds internationaux qui proposent des fonds par programme, mais
aussi conjointement avec le gouvernement du Bénin, dans le cadre
d'accords bilatéraux et multilatéraux des approches sectorielles
(réduction de la pauvreté et développement
économique).
6.1.1 Les critères
d'octrois des bailleurs de fonds internationaux
Les rapports de pouvoir en coopération internationale
sont déterminants. Le bailleur de fonds peut décider de ne pas
renouveler la subvention parce que les bénéficiaires n'ont pas
atteint les résultats escomptés. Mais Songhaï propose ici
une autre façon de faire. Puisqu'on parle de partenariat et de partage
du risque, Songhaï veut que son partenaire lui apporte des idées
quand certaines facettes du plan de développement n'ont pas
répondu aux attentes. Même si Songhaï est au volant et qu'il
sélectionne ce qui lui convient auprès des bailleurs de fonds, il
n'est pas pour autant sourd aux critiques, car un partenariat doit se nourrir
de part et d'autre.
Il n'y a pas de jeux de pouvoir, ni d'un
côté, ni de l'autre côté. Ils ont le droit de
critiquer. Voilà ce que vous avez fait là, voilà les
résultats, et on dit OK excusez moi, regarde c'est pas bon. Ils ont le
droit parce qu'ils sont nos partenaires, ils ne sont pas des gens qui nous
jettent de l'argent pour partir, ce sont nos partenaires. Ils ont leurs droits
parce que ça les intéresse qu'on leur montre les
résultats, il se peut qu'ils trouvent des idées, il y en a qui
font du développement depuis des années, ils ont des
idées. Donc, il faut partager ça avec nous, si on n'est pas
d'accord, on n'est pas d'accord. Oh! ça c'est intéressant, merci
bien. Et voilà, des idées parce que des gens ont travaillé
ailleurs, ils peuvent avoir des idées qui ont déjà fait
des preuves. On a besoin de leur « input »
(Entrevue Nzamujo, 2004).
Les partenaires ont des critères de sélection
qui renvoient à leurs préoccupations. Ils ont aussi des
expertises en matière de développement qui démontrent leur
vision de ce même développement.
L'approche partenariat OXFAM-Québec se fonde sur un
travail pour l'égalité. Le soutien financier poursuit le
renforcement du pouvoir des partenaires locaux et non pas leur
dépendance. Le même principe guide l'établissement de liens
entre partenaires, la circulation de l'information, la formation et
l'éducation, le développement de stratégies communes et la
coopération dans le travail de plaidoyer. Nous croyons que
l'« empowerment » des organisations locales est essentiel
à la justice sociale et économique et pour l'obtention et
l'exercice des droits civils et politiques
(http://www.oxfam.qc.ca).
Songhaï s'est adjoint des partenaires qui partagent une
part de son modèle de développement surtout en ce qui a trait
à l'autonomie des populations et à l'éducation populaire.
Lors de notre entrevue avec un représentant de l'USAID, il nous
expliquait que le domaine prioritaire de l'USAID a été jusqu'ici
le secteur de l'éducation, car le Bénin s'est engagé dans
un processus de réforme de son système éducatif. En effet,
selon l'USAID, le développement ne peut prendre place dans un pays que
lorsque des citoyens éduqués et formés peuvent être
capables de résoudre les problèmes par eux-mêmes.
Songhaï promeut cette approche, et son enseignement n'est pas
essentiellement théorique ; il forme des citoyens capables de
résoudre des problèmes de toutes sortes. Ainsi, Songhaï
à travers son modèle de développement a pu rencontrer les
critères de l'USAID. Le partenariat avec l'USAID s'est fait par un
accord multilatéral entre le gouvernement du Bénin et
Songhaï ; c'est-à-dire que l'USAID finance le secteur de
l'éducation du Bénin par le biais du gouvernement qui
présente Songhaï comme l'un des acteurs qui va répondre
à ce secteur.
On peut donc percevoir des liens de convergence entre les
partenaires et penser que le modèle de développement local que
préconise Songhaï n'est pas incompatible avec le modèle par
programme et sectoriel des bailleurs de fonds internationaux, et du
gouvernement si un dialogue est établi et que les positions de chacun
convergent.
La consolidation des partenariats se fait souvent dès
les premiers audits. Le dialogue est engagé et les intérêts
de chacun sont mis en lumière de façon plus évidente.
6.1.1.1 Audit
Les audits sont les moments privilégiés
où l'on fait le point sur le plan établi au tout début du
partenariat et où l'on voit si les résultats sont atteints, mais
aussi si l'action était pertinente.
On fait des audits et des comptes rendus
parce que c'est notre responsabilité de les informer afin qu'ils
comprennent. Ils ont le droit de regard. Ils ont le droit de regarder comment
on gère, c'est leur droit et je ferais la même chose. Puisqu'ils
ne nous disent pas comment le faire, mais ils ont le regard pour voir, est-ce
qu'on fait ça bien, est-ce qu'on utilise les fonds bien, est-ce qu'on a
gaspillé ça. On n'a plus le choix de demander. On appelle
ça « accountability » en anglais. Ils voient les
résultats de l'audit en question comme ça il y a
l'évaluation et il y a tout ça qui participe. Donc ils ont le
droit, on l'exige même et ça nous aide, car on voit, et il y a des
gens qui voient de l'extérieur parce que si on ne contrôle pas
ça peut déraper. Donc nos partenaires on exige et ils ont le
droit de regarder, car c'est leur argent et c'est leur assistance technique
qu'il faut, disons... car si je te donne quelque chose, je veux voir comment
ça marche parce que c'est mon argent, c'est mon énergie...(
Entrevue Nzamujo, 2004).
Ce travail sur les résultats est donc essentiel afin
d'éviter des dérapages, mais aussi afin d'évaluer, de
faire le point sur la situation, sur le projet, et de le mettre à jour
constamment.
|