JF Doucet
Contribution à l'étude du processus
créatif
dans un laboratoire de physiologie médicale
norvégien
Eiriksgate 10 - 0650 Oslo Norvège
Remerciements
Je remercie Mr Aage Trollsås qui m' a mis en contact
avec le laboratoire de physiologie médicale d' Oslo
Je remercie R. Abibon d' avoir pris le temps de dialoguer avec
moi par courriel
Je remercie également tous mes correspondants sur Internet
dialoguant avec moi sur ce thème.
Je remercie T. Berg de m'avoir donné
accès à un exemple où mettre à
l'épreuve certains concepts importants pour moi.
0.-Introduction
Après avoir étudié
découvertes, inventions et productions artistiques pour en extraire
certaines caractéristiques communes, la mesure de la tension
artérielle des rats de laboratoire utilisés en physiologie
médicale servira de cas concret pour, en retour, tester
l'adéquation entre les concepts retenus au cours des études
précédentes et l'intervention de l'imagination dans l'obtention
des réponses aux questions posées par un laboratoire particulier.
Sans doute doit-on attribuer à l'absence de ces concepts, l'aveuglement
de la recherche scientifique actuelle qui se cantonne bien souvent à
l'obtention de résultats déjà connus. Si cette
connaissance ne peut évidemment pas nuire à la vie des
laboratoires, le but assigné aux centres de recherche n'est pas de
reproduire des connaissances anciennes ou même de les vérifier
mais à partir de ces dernières d'établir des relations
nouvelles entre les paramètres caractérisant les objets
d'études. Se demander à quelles conditions - au moins
nécessaires - un milieu de recherche peut émettre des
résulats nouveaux devient donc urgent.
0.1.- Les objectifs et résultats attendus.
Pour une modeste part également, la mise en
évidence d'éléments subjectifs dans le processus de
recherche pourra équilibrer les méfaits du triomphe de la science
actuelle. Prenant l'avantage sur les deux autres discours spéculatifs
d'appréhension du monde extérieur, le discours philosophique et
religieux, la science, entretient, en effet, l'illusion pour le commun
d'être une certitude objective. Si, du fait de leur impact sur la
réalité, ses résultats prennent valeur de certitude, le
processus qui y mène, en revanche est loin d'être ni purement
rationnel ni certain1. La subjectivité du
chercheur qui laisse place au doute et aux produits de son imagination
n'apparaît évidemment pas dans l'énoncé des
résultats. Les analogies, en outre, produites par la
subjectivité du chercheur et absentes des résultats finaux du
fait de leur faible
1 A cet égard, les travaux de J. Kepler sont
probants : dans son livre de 1596 « Mysterium Cosmographicum »,
Kepler construit son modèle de l' Univers en remarquant que les 6
sphères des 6 planètes connues du Soleil pouvaient être
contenues dans les 5 solides de Platon,qui, parfaits, s' accordaient bien
à la nature divine de la création.
valeur épistémologique, pourront, une fois
remises à leur juste place, retrouver leur
fécondité.
Pour ce qui concerne en particulier l'étude du
processus créatif, l'essai d'utiliser les données
expérimentales dans un modèle de simulation devrait mettre en
lumière le rôle de l' anomalie dans le processus
: elle apparaît plus clairement par comparaison entre les données
expérimentales et les résultats obtenus par simulation. Faire
apparaître cette divergence ne peut, en effet, que stimuler les
recherches ultérieures.
0.1.- Le processus créatif sous 4 aspects
Depuis quelques années, ma conviction s'est
forgée sur quelques aspects du processus créatif :
essentiellement une pratique, il se trouve être hors de ce que les
philosophes appellent la » clôture logocentrique »
c'est-à-dire, à proprement parler, hors de ce qui peut se dire.
De plus, pour préciser le point de vue de mon approche, j'ai dû
choisir la théorie psychanalytique du sujet qui tient compte de l'
inconscient. Ce dernier a été décrit par J. Lacan comme
» Les alluvions laissés par le langage » tandis que G.
Rosolato énonçait une conséquence de cette théorie,
à savoir que tout énoncé d' une chaîne signifiante
se double d' une autre chaîne, inconsciente celle-là dont l'
origine est le désir (sexuel ) inconscient. Concernant non plus le sujet
mais l' objet, ma conviction, fondée sur la distinction
cartésienne entre le « res cogitans » et le « res extensa
» s'était portée vers une conception de l' objet, par
nature, non différent du sujet2. Après tout, le monde
matériel qui nous entoure est fait, comme nous, de molécules et
ce qu'on appelle la vie semble être un attribut particulier à
certains objets sans que leur composition soit de nature différente.
Pour marquer cette nature semblable de l'objet et du sujet, j'ai utilisé
la même notation A (objet ou sujet apportant satisfaction) ou Ë
(objet ou sujet apportant frustration) pour exprimer l'imperfection sous forme
d' une barre qui manque à Ë pour s'écrire A. Du même
coup, si je supposais que le sujet était le siège du
désir, et par conséquent métonymique par nature, l'objet
de parfait dans un certain état est découvert imparfait dans un
autre avant que ne se déroule le processus créatif aboutissant
à une nouveauté. Le cadre de l'étude est, lui,
calqué sur les aspects abordés lors du questionnement.
2 A l'égard du sujet et de l' objet
supposé de même nature, j' ai été séduit par
les théories de Maturana et Vasela ou de F. Capra qui tentent de rompre
avec la dichotomie cartésienne distinguant un » Res extensa »
d' un » Res cogitans » pour marquer la différence de nature
entre le sujet ( vivant ) et l' objet ( inanimé ).
1.- L' environnement : c ' est la question posée à
un groupe de chercheurs dans une discipline considérée.
2.- la situation créative où la réponse est
cherchée grâce à un dispositif technique (invention )
artistique ( oeuvre d' art ) ou scientifique ( découverte)
3.-le ou les sujet(s) créateur(s) disposé(s)
à un réarrangement symbolique. 4.-la création qui est le
produit auquel aboutit tout le processus.
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1.- L'environnement de la recherche
Avant d'entrer dans les détails du dispositif de
recherche aboutissant ou non à une réponse à la question
posée, un bref aperçu du contexte dans lequel la recherche
s'effectue est nécessaire. Si la question des causes de l'hypertension
artérielle est un problème mondial, le laboratoire de physiologie
dans lequel les expériences sont faites est, en revanche,
norvégien.
Sans se livrer à une étude de culture
comparée, il apparait important d'esquisser les caractéristiques
culturelles du cadre dans lequel s'effectuent les recherches médicales,
objet de cette étude. Comparé à un pays latin comme la
France dont le modèle comportemental principal se résume par un
couple « punition / récompense «, la Norvège, de
tradition luthérienne, est caractérisée par «Fais ton
devoir et exige ton droit « dont le couple correspondant est «
droit/devoir ». Cette différence s'accompagne également de
visions de la vie assez éloignées. Si l' on place la France dans
la catégorie des pays où règne le principe de plaisir, la
Norvège au contraire, serait plutôt le pays du principe de
réalité. Le modèle norvégien « par objectifs
«pragmatique », d' autre part, allant jusqu'à diviser les
objectifs principaux en sous-objectifs, donne à la Norvège son
efficacité très terre-à- terre.
On doit à Aksel Sandemose la loi de Janteloven3
qui s' exprime de la manière suivante :
1. Tu ne crois pas que tu es quelqu' un.
2. Tu ne dois pas croire que tu vaut autant que nous.
3. Tu ne dois pas croire que tu es plus astucieux que nous.
4. Tu ne dois pas te figurer que tu es mieux que nous.
5. Tu ne dois pas croire que tu sais plus que nous.
6. Tu ne dois pas croire que tu es plus que nous.
7. Tu ne dois pas croire que tu as du talent dans quelque
domaine que ce soit.
8. Tu ne dois pas te moquer de nous.
3 La loi de Jante (Janteloven ) a
éte formulée par Aksel Sandemose en 1933, dans
« En flyktning krysser sitt spor» ( un
réfugié retrouve ses traces ) .Cette loi, selon Aksel
Sandemose, donne une bonne image «des gens pleins de
méchanceté et capables de s'écraser les uns les autres.
9. Tu ne dois pas croire que quelqu un se preoccupe de toi.
10. Tu ne dois pas croire que tu peux nous apprendre quelque
chose.
et qui marque profondément la mentalité
norvégienne et donc a des conséquences sur les activités
de recherches. Cette « janteloven » régulant la vie sociale
norvégienne, est l'envers de la médaille d' un pays devenu riche
en découvrant le pétrole, un peu plus grand que la moitié
de la superficie francaise4 mais 6 fois moins peuplé,
puritain où les idéaux de sociabilité ou de morale sont
extrèmement hauts.
En particulier, la morale du devoir (Exige ton droit et fais
ton devoir ) marque profondément les mentalités de la recherche
scientifique. Habitué à étudier un « pensum »
dès son plus jeune âge, un universitaire norvégien passe
à force de volonté à travers une masse d'informations.
S'il est ainsi capable de connaître un certain nombre de données,
il ne lui est que rarement demandé de »briller » ou de montrer
ses talents. La crainte de se distinguer de ses compatriotes est
également une constante qui trouve son origine dans la pression sociale
du groupe. Peu de gens osant se distinguer de l'ensemble de ses concitoyens, la
société norvégienne est typiquement celle de » homme
moyen ».
Dans une société, d' autre part, où la
vie d'un individu est supposée essentiellement sociale, le besoin de
satisfaction propre est reporté à un avenir lointain et diffus,
les règles élémentaires d'économie libidinales
(engagement, deuil ) ne sont alors respectées que pour une infime
minorité (Famille royale, prêtrise etc ). Les valeurs d'
égalité non pas de droits mais de pouvoir économique fait
alors de la Norvège une société de «frères
jaloux « comparées aux sociétés latines de «
pères rivaux «.
Généralement très réservés,
les chercheurs norvégiens sont, d' autre part, bien socialement
organisés de telle sorte qu'aucune prise de décision ne se fait
sans d'âpres discussions.5 dûment
régulées. Mais l'idée généralement admise
que certains
4 Superficie de la France : 675 417km2
pour 64 102 000 hab. Soit une densité de 93,59 hab./km2.
Superficie correspondante de la Norvège : 324 220 km2 pour 4
640 219 hab. Soit une densite de 14 hab./km2
5 En 1979, Bruno Latour, publie avec Steve Woolgar
Laboratory Life: the Social Construction of Scientific Facts ( le
titre français la Vie de laboratoire : la Production des faits
scientifiques (1988)). Dans cet ouvrage, les deux auteurs entreprennent
une étude ethnologique d'un laboratoire de recherche
spécialisé en neuroendocrinologie au Salk Institute. Ils montrent
que la description naïve de la méthode scientifique, selon laquelle
la réussite ou l'échec d'une théorie dépendent du
résultat d'une seule expérience, ne correspond pas à la
pratique réelle des laboratoires. Généralement, une
expérience produit seulement des données peu concluantes,
attribuées à un défaut du dispositif expérimental
ou de la procédure. Ainsi, une grande partie de l'éducation
scientifique consiste à apprendre comment trier les données qui
doivent être gardées et celle qui doivent être
jetées, un processus qui semble, pour un regard extérieur non-
éduqué, une manière d'ignorer les données qui
contredisent l'orthodoxie scientifique.
» phares » apparaissent dans un milieu de recherche
qui entrainent d'autres chercheurs dans leur questionnement n' est pas
très visible dans les départements scientifiques de l'
Université. Il faut bien du temps au contraire, au chercheur
extérieur à la Norvège pour découvrir autre chose
que des chercheurs extrèmement réservés peu enclins
à partager leurs connaissances. Dans ces conditions, en situation de
recherche, la réponse considérée comme inscription de
relations nouvelles laissant intactes d' autres, inscription encore
nommée »mobile immuable6» prendra un aspect bien
particulier en Norvège : la pression sociale tend à donner
à la production de connaissances nouvelles l' avantage non pas aux
éléments mobiles inédits qui pourraient déboucher
sur l'inscription de la réponse mais aux éléments
immuables répétant à quelques détails près
des connaissances établies depuis longtemps. La réserve des
chercheurs norvégiens, de plus, présuppose un certain rapport
à la parole. En terme d'énergie psychique, la régulation
des débats, si elle assure à chacun un égal temps de
parole, ne permet pas de pertes indispensables à la production
d'organisation signifiantes nouvelles. La féconditié de leur
production dépend pour une lage part des possibilités offertes
aux locuteurs d'exprimer un certain nombre d'erreurs évaluées
selon les critères de validité retenus pour la recherche ainsi
qu'une certaine quantité d'énoncés « hors sujet
». L' obligation faite à chacun de ne pas se distinguer d'autrui ou
d'exprimer autre chose de des données factuelles, interdit du même
coup l' apparition de paroles «hors sujet « ou « bavardage
«. Seule peut-être la culture féminine connait-elle « la
papote « qui est pratiquée à des fins d'activation mentale
et de décharge émotionnelle. « Cette papote » (ou
parlote), considérée en Norvège, comme pure perte de temps
est l' très loin de la tradition de l' arbre à palabre
africain7 !
La production d'organisations signifiantes nouvelles, d' autre
part, provient , du point de vue adopté pour la
créativité, d'une métaphore du sujet, métaphore
générée à la suite d'une conversation8
où le signifiant présente 2 faces, l' une du coté de
l'émetteur et l'autre du coté du récepteur.
Latour et Woolgar proposent une vision
hétérodoxe et très controversée des sciences. Ils
défendent l'idée que les objets d'étude scientifiques sont
« socialement construits » dans les laboratoires, qu'ils n'ont pas
d'existence en dehors des instruments de mesure et des esprits qui les
interprètent. Ils considèrent l'activité scientifique
comme un système de croyances, de traditions orales et de pratiques
culturelles spécifiques.
6 En terme lacanien, on écrirait : une
création est une ré-écriture de la réalité
à l'aide du Symbolique
7 Dans les 2 sens du terme, loin
(éloigné géographiquement ) et loin ( loin de pratiquer
)
8 A cet effet, on peut classer les conversations en 3
niveaux :
1.-celles où il s' agit d'échanger de l'
information pour une action orientée vers un but ( le si gnifiant est
supposé porter un sens invariable qui pass d' un interlocuteur à
l' autre ),
2.-celles où les interlocuteurs sont d' accord sur une
réalité commune,
3.-celles où les interloctueurs construisent une
réalité nouvelle à partir d' une plate-forme commune.
Le laboratoire observé se trouve d' autre part dans une
structure hiérarchisée comme dans toute Université, la
hiérarchie donnant la valeur des connaissances détenues par les
chercheurs-enseignants, les étudiants et le personnel administratif. Au
sommet de la hiérarchie se trouvent les professeurs, supposés
détenir un savoir
d' experts9 qui donnent les prémisses de la
recherche. Dans le processus de production des connaissances leur importance
est considérable dans la mesure où, détenteurs d'un savoir
étendu, ils sont supposés seuls à pouvoir renouveler le
savoir en apportant une vision nouvelle sur un ancien thème.
Le découpage de l'Université en disciplines est
d' autre part, une condition de production de nouvelles connaissances mais
aussi un obstacle au « décloisonnement « des recherches pour
les «transferts de technologie». Les recherches multidisciplinaires
ont tenté de remèdier aux inconvénients du cloisonnement
de l'Université en disciplines et à l' extrème
spécialisation des chercheurs. Mais dans le cas présent, la
recherche pluridisciplinaire n' a été envisagée que
tardivement dans le processus pour la très simple raison que les experts
éventuellement concernés par la recherche sont peu nombreux en
Norvège.
Du point de vue de la créativité toutefois, les
exemples sont nombreux où les véritables innovations ne sont pas
venues des experts en la matière mais de « transfuges « d' une
discipline à une autre. Pour prendre un exemple norvégien, J.
Vaaler, ingénieur et mathématicien a surtout brillé par
l'invention du trombone10 loin de préoccupations
scientifiques puisque, c' est en tordant des cure-pipes, que l'idée lui
serait venue d' attacher les feuilles de papier avec un tortillon de fer. Mais
il est probable que beaucoup de gens ont tordu des cure-pipes avant J. Vaaler
sans pour autant en découvrir un usage astucieux.
Si la richesse du pays 11 d' autre part, laisse
supposer une abondance de moyens financiers, les objectifs de recherche, en
revanche, sont largement
9 En terminologie lacanienne parmi les 4 discours
1.- Bureaucrate, (Universitaire )
2.- Travailleur ( Maître)
3.-Chômeur (Hystérique)
4.-Cabinet de recrutement ( Analyste)
5.-Employeur ( Capitaliste)
le discourse du professeur est à classer dans une des 2
catégorie (Bureaucrate ) ou du Travailleur (Maître))
10 L'invention du trombone est attribuée
au mathématicien et ingénieur électricien
norvégien,
Johan Vaaler de Lierfoss. En 1899, il présente ses
idées à une Commission norvégienne. Comme la
Norvège n'avait pas de bureau de brevets à cette époque,
J. Vaaler enregistre son invention en Allemagne. Deux ans après, il
obtient un brevet americain. J. Vaaler n'est jamais devenu riche :
américains et britaniques acquièrent des brevets pour des
concepts voisins plus proches du trombone à double tour que nous
connaissons aujourd' hui. Toutefois, les norvégiens ont choisi le
trombone pendant la Seconde Guerre Mondiale comme symbole de
ralliement contre l' occupant.
11 PIB par habitant (2002) : 34 500 euros (France :
24837 euros en 2002) Statistiques OCDE
tributaires de la masse critique12 en expertise, en
temps et en partenariat pour l' obtention de résultats significatifs.
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