CHAPITRE IV : LES EFFETS PERVERS DES INCITATIONS
MONETAIRES SUR L'EFFORT DES SALARIES
Introduction au chapitre IV
Comme la théorie de l'évaluation cognitive a
précédemment indiqué, les incitations monétaires
nuisent à la motivation intrinsèque et donc à l'effort des
salariés lorsqu'elles sont perçues par ces derniers comme un
moyen de contrôle, c'est-à-dire qu'elles ne satisfont pas les
besoins psychologiques des salariés tels que le besoin de
compétence et le besoin d'autonomie ou d'autodétermination dans
une exécution des tâches intrinsèquement
intéressantes. Au contraire, si elles ne sont pas perçues comme
un moyen de contrôle, non seulement elles ne nuisent pas à la
motivation intrinsèque, mais aussi elles la favorisent. Depuis
longtemps, il y a une controverse entre les points de vue des psychologues et
des économistes au sujet des effets des incitations monétaires
sur le comportement des salariés au sein de la firme. Les approches
économiques standard des incitations généralement assument
que les incitations monétaires comme les récompenses contingentes
à la performance peuvent augmenter l'effort des salariés et donc
leur performance alors que les études des psychologues montent que ces
incitations peuvent conduire à la réduction d'effort des
salariés, en particulier dans les activités
intrinsèquement motivantes. Même s'il y a ces points de vue
contradictoires, les études d'expériences récentes des
économistes partagent également le point de vue des psychologues
qui estiment que les incitations monétaires évincent la
motivation intrinsèque, et donc l'effort des salariés.
Dans la section 1 du chapitre, nous allons montrer les
études expérimentales et empiriques des psychologues et des
économistes, ainsi que le modèle principal-agent étudiant
la motivation intrinsèque, pour constituer le support de l'effet
d'éviction de la motivation intrinsèque par les incitations
monétaires. Cependant, les travaux récents sur la motivation
intrinsèque indiquent que la dichotomie traditionnelle entre la
motivation intrinsèque et extrinsèque semble moins
évidente - les récompenses extrinsèques ne sont pas
nécessairement nuisibles, mais peuvent plutôt jouer un rôle
complémentaire à la motivation intrinsèque parce que ces
récompenses peuvent être internalisées et
intégrées par les salariés.
Dans la section 2, nous allons donc exposer la nouvelle
perspective de l'interaction entre la motivation intrinsèque et les
récompenses extrinsèques en général ou les
récompenses monétaires en particulier dans le cadre
théorique psychologique de l'autodétermination - nous
étudierons comment et dans quelles conditions les salariés
internalisent et intègrent leur motivation extrinsèque et puis
nous réexaminerons les effets des récompenses
monétaires.
Section 1 : Les incitations monétaires sont
nuisibles à la motivation intrinsèque et à l'effort
Dans cette section, nous allons présenter non seulement
les évidences expérimentales réalisées par les
psychologues, mais également par les économistes, ainsi qu'un
modèle économique, pour supporter l'effet d'éviction de la
motivation intrinsèque et de l'effort par les incitations
extrinsèques, spécifiquement les incitations
monétaires.
1- L'effet d'éviction de la motivation
intrinsèque
L'argument que nous évoquons ici considère que
les incitations monétaires peuvent réduire la motivation
intrinsèque à accomplir une activité [Deci et Ryan, 1985;
Kreps, 1997], et donc nuire à l'effort. A partir de l'explication dans
la section 2 du chapitre précédent, l'idée sous-jacente
est que la motivation intrinsèque et la motivation extrinsèque
sont chacun source d'effort mais que leur introduction simultanée est
contreproductive, les incitations monétaires - et les incitations
extrinsèques en général - exerçant un effet
d'éviction (Crowding out effect) à l'encontre de la
motivation intrinsèque [Deci et al., 1999a]. De plus, en psychologie
expérimentale, l'effet négatif des récompenses
monétaires sur la motivation intrinsèque est connu sous le
vocable de coûts dissimulés ou coûts cachés de la
récompense (Hidden cost of rewards).
Selon la théorie de l'évaluation cognitive [Deci
et Ryan, 1985] précédemment étudiée, les
incitations monétaires sont susceptibles de démotiver l'individu
si elles sont perçues comme un moyen de contrôle puisqu'elles
affectent alors négativement le besoin d'autonomie et le sentiment de
compétence des salariés. Le sens de l'autodétermination
des agents peut être altéré lorsque l'intervention des
incitations monétaires est perçue comme une restriction de leur
autonomie. De même, si cette intervention se traduit par un renforcement
du contrôle, elle sera perçue comme une non reconnaissance de leur
compétence et donc les incitations monétaires évincent la
motivation intrinsèque des individus. En outre, le contrôle subi
dans
les entreprises sous la forme d'incitations financières
est vécu par les salariés comme aliénant et
déshumanisant [Etchart-Vincent, 2006]. Le modèle
principal-agent84 proposé par James Jr. [2005] établit
ainsi que la motivation intrinsèque est évincée par la
rémunération extrinsèque lorsque cette dernière est
perçue par l'agent comme un moyen de contrôle dans son
activité.
Une autre approche intéressante est celle liée
à la théorie de l'auto-perception (Self- perception).
Les individus parfois ne connaissent pas parfaitement les raisons de leurs
comportements, plus précisément dans quelle mesure les
caractéristiques inhérentes à la tâche (motivation
intrinsèque) déterminent leurs comportements [Fehr et Falk, 2002;
Sliwka, 2003; Moussaoui, 2004]. Par conséquent, ils vont inférer
les motifs de leurs comportements à partir des circonstances qui ont
conduit à l'accomplissement de la tâche. Selon cette
théorie, les individus ont tendance à attribuer les motifs de
leurs actions aux stimuli les plus dominants. En l'absence d'incitations
externes, notamment d'incitations monétaires, les individus attribueront
leurs raisons d'agir aux caractéristiques inhérentes à la
tâche. Si des incitations monétaires sont mises en oeuvre pour une
activité, alors un individu conclut qu'il exécute cette
activité en raison de ces incitations, en développant une
désutilité de l'effort [Kreps, 1997; James Jr., 2005]. Ceci
correspond à l'économie standard de motivation qui confirme que
seules les incitations externes de type monétaire sont mises en avant,
ce qui pousse les agents à croire que la raison d'accomplir une
tâche revient à ce type d'incitation. Ainsi, la conception de la
motivation de la personne pour le travail se trouve également
modifiée. Par contre, si les incitations externes sont réduites
ou arrêtées, les agents cesseront d'accomplir la tâche en
question puisque la source commanditaire de l'action s'est
déplacée de l'intérieur à l'extérieur.
Cependant, cet effet d'éviction n'est pas automatique
[Moussaoui, 2004; Osterloh et Frey, 1999]. En effet, chaque intervention des
incitations monétaires comporte deux aspects pour les individus : (i)
l'aspect contrôleur qui renforce l'impression du contrôle externe
et le sentiment d'être dirigé de l'extérieur ; (ii)
l'aspect informateur sur l'appréciation par les autres, de leur
compétence et leur performance, ce qui renforce leur sens de
contrôle interne. Suivant que le premier aspect est dominant ou le second
aspect qu'il l'est, la motivation intrinsèque est évincée
ou renforcée.
Les résultats de méta-analyse de 128
expériences de Deci et al. [1999a; 1999b] indiquent que les
récompenses tangibles tendent à avoir un effet essentiellement
négatif sur la
84 Nous allons démontrer ce type de
modèle principal-agent qui est proposé par James Jr. [2005] dans
la sous- section 2. Selon cet auteur, l'effet d'éviction se produira
davantage lorsque les intérêts du principal et ceux de l'agent se
confondent que lorsque l'agent est intrinsèquement motivé par des
valeurs générales, distinctes du principal.
motivation intrinsèque. Même lorsque des
récompenses tangibles sont offertes comme indicateurs de bonne
performance, elles diminuent typiquement la motivation intrinsèque pour
des activités intéressantes. En outre, quand les organisations
optent pour l'utilisation des récompenses pour contrôler le
comportement, les récompenses sont susceptibles d'être
accompagnées par une plus grande surveillance, évaluation et
compétition, qui se sont également avérées miner la
motivation intrinsèque [Deci et Ryan, 1985]. Ce sapement est
particulièrement vrai pour les compensations monétaires qui ont
été perçues par les sujets d'expérience comme un
moyen de contrôle et ont donc tendu à évincer la motivation
intrinsèque [Osterloh et Frey, 1999]. Selon Deci et al. [1 999a],
l'effet d'éviction est plus fort avec les récompenses
monétaires qu'avec les récompenses symboliques. Deci et al. [1
999a] concluent également que l'effet d'éviction est
également plus grand avec les récompenses attendues qu'avec les
récompenses inattendues. De plus, pour eux, les récompenses
inattendues et les récompenses non-contingentes à la tâche
(Task-noncontingent rewards) n'ont pas un effet néfaste sur la
motivation intrinsèque parce que les individus n'exécutent pas la
tâche afin d'obtenir ces récompenses, ainsi ils ne se sentent pas
contrôlés par ces récompenses. Ces auteurs indiquent
également que les récompenses ne minent pas la motivation
intrinsèque pour une activité qui n'est pas
intrinsèquement motivante (c'est-à-dire, une tâche simple
et inintéressante). Par conséquent, aucun effet d'éviction
ne peut avoir lieu s'il n'y a aucune motivation intrinsèque en premier
lieu [Osterloh et Frey, 1999]. Cette condition tient pour les tâches
simples. Dans ce cas, selon ces auteurs, l'évidence empirique prouve que
l'effet des prix augmente l'effort et la performance des individus. Lazear
[2000] fournit un exemple empirique, dans une compagnie de pare-brise, que nous
avons présenté dans la partie précédente ; les
tâches d'installation de pare-brise sont considérées
simples.
Bien que reconnue par les psychologues sociaux [Deci et Ryan,
1985], l'idée que « fournir des incitations extrinsèques
pour des employés peut être contreproductif parce qu'il peut
détruire la motivation intrinsèque de l'employé, ce qui
conduit à diminuer le niveau d'effort et les bénéfices
nets pour l'employeur » est juste un fait stylisé en
économie85. Néanmoins, les économistes
accumulent l'évidence pour cet effet, connu sous le nom de
l'éviction de la motivation [Frey et Jegen, 2000] 86 . Ces
auteurs ont expliqué l'effet d'éviction de la motivation
intrinsèque des salariés par le graphique ci-dessous.
85 Kreps, D. M. [1997], « Intrinsic Motivation
and Extrinsic Incentives », American Economic Review, vol. 87,
n° 2, p. 360.
86 Frey et Jegen [2000] passe en revue les
résultats des expériences psychologiques en perspective
économique.
R
O
Figure 8: L'interaction entre l'effet d'éviction
et l'effet du prix87 Récompense
S'
S
B
C
A"A A' Effort
Cette figure illustre la relation entre la récompense
monétaire et l'effort des individus. La courbe (S) représente
l'offre de l'effort du travail basé sur l'effet relatif des prix. Si une
récompense (R) est payée pour effectuer le travail, l'effet des
prix augmente l'effort du travail de A à A'. Lorsqu'une certaine
motivation intrinsèque du travail est assumée exister, la
quantité d'effort du travail (OA) est assurée même si
aucune compensation monétaire n'est payée. Si la motivation
intrinsèque du travail est minée, la courbe d'offre du travail
est décalée vers l'arrière à S'. Ainsi, une
augmentation de la récompense de O à R conduit à
déplacer l'effort du travail de point B à C. La figure est
dessinée de telle manière que l'effet de motivation domine
l'effet des prix : l'augmentation de la récompense réduit
l'effort du travail de A à A"88. Cependant, les auteurs
ajoutent que quand la motivation intrinsèque a été
complètement évincée, une augmentation de la
récompense accroît l'effort du travail (mouvement le long de
S').
Gneezy et Rustichini [2000] dans son étude
expérimentale corroborent la relation présentée sur la
figure 8 au dessus. Ils ont constaté que les incitations
monétaires plus élevées induisent un plus grand effort, et
puis un rendement élevé. Mais ce rendement ou performance peut
être inférieur(e) par rapport au cas de la nulle compensation, en
raison de l'introduction de la compensation monétaire. En
conséquence, les auteurs ont considéré que des agents sont
motivés par des facteurs extrinsèques et intrinsèques et
que l'introduction des incitations monétaires sape la motivation
intrinsèque. Fehr et Gächter [2002] ont rapporté les
résultats
87 Frey, B. S. et Jegen, R. [2000], « Motivation
Crowding Theory: A Survey of Empirical Evidence », Working Paper N°
49, Institute for Empirical Research in Economics, University of Zurich, p.
8.
88 Nous soulignons.
semblables d'une expérience dans laquelle un principal
a offert un contrat aux agents pour fournir l'effort en échange du
paiement. Dans certains contrats, le principal a offert seulement les salaires
fixes. Les résultats confirment que des contrats incitatifs
évincent la réciprocité ou la coopération
volontaire qui peut être considérée comme un type
spécial de motivation intrinsèque, c'est-à-dire que les
contrats incitatifs, en moyenne, ont obtenu des niveaux d'effort plus bas des
agents par rapport aux contrats de salaire fixe. Ils ont montré que le
groupe d'individus à qui l'on a proposé des contrats basés
sur des incitations explicites a fourni moins d'effort que le groupe
d'individus pour qui l'on fait appel à la norme de
réciprocité pour les inciter à produire les efforts
désirés. Ce qu'il faut souligner au passage c'est que,
malgré le fait que le recours à des incitations monétaires
engendre un surplus total plus faible que celui obtenu par les incitations
basées sur la réciprocité, les « principal »
préfèrent le premier mécanisme incitatif, puisqu'ils ont
la possibilité de s'approprier la plus grande part du surplus. Fehr et
Falk [2002] soulignent également l'existence de motivations sociales non
monétaires, comme le désir de réciprocité ou celui
d'éviter la désapprobation sociale et le désir de
travailler dans les tâches intéressantes, qui sont puissamment
incitatives en soi et peuvent être détruites par les incitations
monétaires.
Gächter et Falk [2000] étudient
expérimentalement les effets pervers des contrats incitatifs explicites
sur la réciprocité. Leur résultat prouve que les contrats
incitatifs ont évincé la réciprocité89
et ont mené à un degré élevé de comportement
opportuniste des individus. Ils voient ceci comme une évidence que
l'introduction des incitations pécuniaires dans un rapport
réciproque supporte des coûts cachés dans le sens
où elle peut affaiblir des incitations totales pour la provision
d'effort.
D'après Freeman [1997], le travail volontaire est une
illustration typique de la motivation intrinsèque dans le sens où
les individus accomplissent des tâches pour leur intérêt et
non pas pour une récompense monétaire. Frey et Goette [1999] ont
essayé de tester l'hypothèse de l'effet d'éviction de la
motivation intrinsèque en utilisant une approche
économétrique. Ils utilisent un ensemble de données de
Suisse pour évaluer comment les récompenses financières
affectent l'effort des volontaires mis dans le travail volontaire. Leurs
résultats montrent que, d'une part, la taille des incitations
financières poussent les volontaires à fournir plus d'effort, et
d'autre part, le fait d'être payé pour son volontariat baisse
significativement le niveau d'effort fourni d'environ quatre heures en dessous
de la moyenne.
89 Dans leur contexte, ils se
réfèrent à la réciprocité comme motivation
intrinsèque parce qu'ils la voient comme une bonne volonté
psychique innée de répondre en nature. Dans leurs
expériences, la tâche expérimentale d'un choix d'effort
peut être motivée par la motivation intrinsèque de la
réciprocité bien que ce soit une tâche artificielle qui
soit la plus susceptible de ne pas être exécutée par la
satisfaction intrinsèque.
Par conséquent, les résultats de Frey et Goette
sont en conformité avec l'évidence expérimentale en
psychologie sociale, indiquant que les récompenses financières
peuvent réduire la motivation intrinsèque et l'effort des
individus pour une activité.
Une autre confirmation du désintérêt des
employés pour une tâche lorsqu'elle est régulée par
des incitations financières ou par du monitoring est le travail
de Bewley [1995]. Celui-ci avait collecté 344 interviews avec 372
décideurs sur le marché du travail, car il y avait plus d'un
répondant à certaines interviews. Cette interview a
été faite de 1992 à 1994. Particulièrement, les
praticiens semblent conscients des pièges possibles des arrangements de
paiement à la performance. Ils se rendent compte que l'intervention
externe via des incitations monétaires ne devrait pas être
utilisée en tant que moyen de contrôle, car elle peut miner les
réalités intrinsèques comme un moral ou la
créativité du travail. Alors, Bewley ressort de cette
étude que les employés ont plusieurs opportunités pour
tricher et exploiter les employeurs. C'est pour cette raison qu'il ne faut pas
compter uniquement sur les incitations financières et la coercition pour
les motiver. Il faut faire appel à d'autres moyens en renforcement dont
l'effet est complémentaire. Ainsi, il ne faut pas perdre de vue que la
nature de la tâche accomplie par un employé procure de la
satisfaction (estime de soi, autonomie, reconnaissance de sa compétence,
etc.) en dehors du revenu qui lui est associé. Par conséquent,
des employés qui ne se sentent pas reconnus, qui ne peuvent pas prendre
des initiatives ne donneront pas le meilleur d'eux-mêmes, même si
l'on augmente les incitations financières et/ou l'on renforce les
contrôles.
L'effet d'éviction de la motivation intrinsèque
par les incitations monétaires est aussi confirmé par le
résultat dans l'expérience du laboratoire d'Irlenbusch et Sliwka
[2005]. Ils conçoivent une expérience pour explorer une nouvelle
explication possible sur la question : pourquoi les incitations
extrinsèques peuvent évincer l'effort ? Ils se sont
intéressés en particulier par l'influence que l'arrangement de
rémunération à la pièce peut avoir sur la
perception cognitive des agents de la situation. En comparant les niveaux
d'effort dans leurs deux traitements, ils trouvent un effet d'éviction
étonnamment clair, c'est-à-dire que l'effort s'avère
être considérablement inférieur dans le traitement
où les incitations explicites sont introduites. Les
bénéfices et le bien-être sont également plus
élevés dans le cas où seulement des salaires fixes sont
introduits. En outre, l'effort moyen et l'efficacité globale sont
sensiblement plus élevés sous des salaires purement fixes si les
agents n'ont pas antérieurement éprouvé le salaire
variable. En revanche, une fois que des salaires à la pièce ont
été éprouvés, il peut mener à de plus
mauvais résultats (effort des individus inférieur) bien que le
système de compensation ait été changé en salaires
fixes dans la deuxième période.
Ainsi, l'utilisation des salaires à la pièce change
considérablement la perception des agents de la situation et
évince leur motivation intrinsèque.
Selon James Jr. [2005], la clef pour comprendre
l'éviction de la motivation se conçoit par un modèle dans
lequel l'utilité d'un agent reflète (a) soit des facteurs
extrinsèques et intrinsèques si les récompenses
extrinsèques ne sont pas perçues comme un moyen de
contrôle, (b) soit des facteurs extrinsèques seulement si les
récompenses extrinsèques sont perçues comme un moyen de
contrôle. Il y a beaucoup d'évidences en psychologie et en
économie soutenant cet effet d'éviction. Les récompenses
extrinsèques peuvent être perçues comme un moyen de
contrôle dans deux conditions. La première condition est quand la
taille de la récompense est grande. L'évidence empirique
suggère également que la taille de récompense est
négativement liée à la motivation intrinsèque. La
raison est que les processus par lesquels un agent rationalise son comportement
peut devenir ainsi accablé par le « salience » des
récompenses extrinsèques qu'il est rationnellement obligé
d'attribuer son comportement à la compensation plutôt qu'à
ses préférences intrinsèques. Cette idée a
été également reconnue par Kreps [1997] qui a dit que
lorsque l'individu entreprend une tâche sans être soutenu par des
incitations monétaires, il rationalise l'effort mis en oeuvre, ce
dernier étant perçu comme le reflet du plaisir trouvé dans
l'accomplissement de la tâche - ce plaisir stimulant à son tour
l'effort. Mais si les incitations extrinsèques sont mises en place,
alors l'individu attribue son effort aux seules incitations et développe
une désutilité de l'effort. En d'autres termes, selon Deci et al.
[1 999b], les grandes récompenses peuvent contraindre un agent à
reconnaître que le locus de la causalité est externe plutôt
qu'interne, et ce qui est perçu comme un moyen de contrôle. Ceci
minera le besoin inhérent de l'agent de l'autonomie, et par
conséquent, ne fournit aucune satisfaction intrinsèque pour
s'engager dans le comportement contrôlé.
La deuxième condition est que l'objet de la motivation
intrinsèque d'un agent est également la source des
récompenses. Par exemple, si un agent est initialement
intrinsèquement motivé à agir dans l'intérêt
d'un principal qui paye également les salaires aux ouvriers, alors
l'introduction des incitations par le principal pourrait être
perçue par l'agent comme tentative de manipulation. Cette perception
minera le besoin de l'agent de l'autonomie, ce qui entraîne un effet
d'éviction de la motivation. Cependant, si l'agent est motivé par
les normes généralisées comme « provide an honest
day 's work for an honest day 's pay » qui par la nature sont
externes aux intérêts plus étroits du principal, alors les
incitations extrinsèques présentées par le principal ne
pourrait pas être perçu comme un
moyen de contrôle mais plutôt comme affirmation de la
compétence. Ainsi, cela va supporter plutôt qu'évincer la
motivation intrinsèque des agents.
Dans ce qui suit, nous allons montrer, en empruntant les
travaux de James Jr. [2005], un simple modèle principal-agent dont
l'objectif est de démontrer comment la taille de la compensation
monétaire et l'objet sur lequel la motivation intrinsèque de
l'agent est placée interagissent afin d'induire un agent, maximisant
l'utilité comportant les éléments extrinsèques et
intrinsèques, à se comporter comme si la motivation
intrinsèque est évincée.
2- Le modèle principal-agent avec la motivation
intrinsèque90
Initialement, on suppose que l'objet de la motivation
intrinsèque de l'agent est également la source de sa
compensation, c'est-à-dire que l'agent est intrinsèquement
motivé à produire des bénéfices pour le principal.
Ce modèle est utilisé pour montrer comment l'introduction des
incitations monétaires peut entraîner une réduction
discontinue d'effort des salariés si les incitations explicites minent
leur motivation intrinsèque. Mais ce modèle permet aussi de
montrer l'importance de la taille de la compensation incitative afin de
comprendre pourquoi un agent intrinsèquement motivé à agir
dans l'intérêt d'un principal se comporte comme s'il est
motivé par des facteurs extrinsèques seulement. Le modèle
est ensuite révisé pour refléter la motivation
intrinsèque d'un agent qui est attachée à une norme
généralisée du comportement plutôt qu'aux
intérêts d'un principal. Cette révision illustre pourquoi
l'objet auquel la motivation intrinsèque est attachée est
important pour comprendre pourquoi l'éviction de la motivation a
lieu.
Les incitations extrinsèques et la
réduction discontinue de l'effort
Comment expliquons-nous l'évidence que l'introduction
d'incitations a pour résultat une réduction discontinue d'effort
des salariés?
Pour répondre à cette question, on exige un
modèle de l'utilité qui contient des sources extrinsèques
et intrinsèques d'utilité. Alors, dans ce modèle,
l'utilité d'un agent incorpore les éléments
extrinsèques et intrinsèques. Supposons qu'un principal emploie
un agent à offrir un effort e en échange de la
compensation, w. Si p est le revenu produit par unité
d'effort, alors les bénéfices du principal sont de pe -
w.
90 Nous empruntons les travaux de James Jr. [2005].
Si la désutilité d'effort du travailleur est
e2, alors son utilité extrinsèque est de
w - e2. D'une manière optimale, le travailleur
devrait fournir l'effort91 e* = p/2, qui maximise le
bien-être social (les bénéfices plus l'utilité).
Ainsi, l'agent choisit l'effort e pour maximiser la
fonction suivante comportant les éléments extrinsèques et
intrinsèques:
U = w + re - e2 + I5s (1)
La motivation extrinsèque de l'agent est w + re -
e2, qui se compose de salaire
fixe w, le paiement incitatif r, net de
coût d'effort e2. I5s représente la
motivation intrinsèque de l'agent. La variable I est un
indicateur de la présence ou de l'absence de la motivation
intrinsèque de l'agent. On suppose que I = 1 si l'agent est
intrinsèquement motivé et I = 0 si cette motivation
intrinsèque est évincée. Le paramètre 5
représente une intensité de la motivation intrinsèque de
l'agent pour un certain objet s, où un agent avec un haut
5 aura une motivation plus forte vers s qu'un agent avec un
bas 5.
Pour la simplicité, supposons que p > r (de
sorte que les incitations soient marginalement profitables au principal) et
5 > 0 (de sorte que l'agent soit motivé pour
être productif plutôt que destructif). D'ailleurs, le cadre de
ce modèle est divisé en deux périodes : Dans la
première période, le principal offre un contrat d'emploi à
un agent aléatoirement tiré de la population se composant des
travailleurs dont le salaire de réservation est zéro et qui
sont identiques pour leurs capacités, mais sont différents pour
la taille de 5 définissant la force de la motivation
intrinsèque qu'ils se sentent; les agents avec 5s plus
élevé sont plus intrinsèquement motivés que des
agents avec 5s inférieur, toutes choses égales
par ailleurs. En outre, supposons que le niveau du 5 est une
information privée et non bien informé du principal à
n'importe quel coût. Enfin, supposons que 5, l'intensité
de la motivation intrinsèque de l'agent est fixe parce que la
question d'intérêt est seulement si l'agent se comporte comme
si intrinsèquement motivé, i.e. si I = 1 ou I =
0, et non comment il est intrinsèquement motivé, i.e. si
5 est grand ou petit. Le contrat offert à l'agent se
compose d'un salaire fixe w, et de taux incitatif, r
? 0, en échange de l'effort e choisi par l'agent.
Dans la deuxième période, l'agent fait le choix
d'effort et le principal compense l'agent, qui se produit
simultanément.
Initialement, nous supposons que l'objet de la motivation
intrinsèque de l'agent est le principal. Autrement dit, l'agent est
motivé à produire des bénéfices pour le principal
pour
91 Le salarié maximise son effort au point
où son bénéfice marginal est égal au coût
marginal de son effort.
que s = pe - (w+ re) ou s = pe - w- re. Nous
assumons également que le principal est intéressé à
assurer des bénéfices maximisés. Alors, l'équation
(1) devient:
U =w + re - e2 + Iä(pe - w- re) (2)
En maximisant la fonction d'utilité de l'agent (2) avec le
respect à l'effort e, on obtient son choix optimal de l'effort
ê92 :
ê - +
= ä (3a)
I ( p r ) r
2
Considérons maintenant deux scénarios
stylisés différents.
En premier lieu, l'agent se voit offrir seulement des salaires
fixes pour la participation, mais il est également
intrinsèquement motivé à offrir l'effort. Dans ce cas,
r = 0 et I = 1 de sorte que l'agent assure l'effort
ê = äp/2 = ê1.
En second lieu, l'agent se voit offrir des salaires fixes et
une incitation r pour l'effort mais il n'a aucune motivation
intrinsèque pour fournir l'effort au delà de ce que l'incitation
offre. Dans ce cas, r >0 and I = 0 de sorte que l'agent
assure l'effort ê = r/2 = ê2. Notons que dans ce
deuxième cas, l'effort augmente à mesure que le salaire à
la pièce augmente.
Ces deux scénarios se conforment à la
stylisation de problème d'éviction de la motivation dans la
littérature parce que les ouvriers sont souvent intrinsèquement
motivés quand aucune compensation incitative n'est offerte (r = 0 et I =
1) mais ne sont pas intrinsèquement motivés quand des incitations
sont offertes (r > 0 et I = 0). On peut résumer le choix d'effort de
l'agent dans chaque scenario.
ê
=
? ? ?
ä p ê si r I
/ 2 0 , 1
= = =
1
r ê si r I
/ 2 0 , 0
= > =
2
|
(3b)
|
Selon une évidence expérimentale, l'effort
fourni dans le cadre d'un contrat de salaire fixe avec un agent
intrinsèquement motivé sera souvent égal à ou
excèdera l'effort assuré par un agent non intrinsèquement
motivé une fois qu'il est contrôlé par un contrat incitatif
(ê1 = ê2)93. ä ? r/p suggère que la
motivation intrinsèque de l'agent doit être suffisamment forte. Si
les incitations sont, par la suite, introduites et minent la motivation
intrinsèque de l'agent (I = 0), alors le choix d'effort de
l'agent diminue de manière discontinue de ê1 à
ê2. Ensuite,
?U
92 La solution est que 0
= ou ? [w + re - e2 + Iä (pe - w -
re)]/ ? e = 0. A partir de cette dérivation, on
?e
obtient l'effort optimal choisi par l'agent : r - 2e +
Iä (p - r) = 0 ou bien
|
ê=
|
I ( p r ) r
ä - +
|
|
|
.
|
2
93 ê1 = ê2 puisque äp/2
= r/2, ou bien ä ? r/p , avec la condition p > r et
ä > 0.
l'augmentation des salaires à la pièce a pour
conséquence un effort accru, c'est-à-dire, à mesure que
r augmente, ê2 augmente sans interruption94.
Cela est illustré dans la figure 9.
Figure 9 : L'effet des incitations monétaires sur
l'effort Salaire aux pièces, r
ä > r/p ä < r/p
0 ê1 = äp/2 Effort, e
ê2 = r/2
L'éviction de la motivation quand l'objet est
orienté vers un principal
Pourquoi les incitations positives (r > 0) peuvent-elles
être associées avec les agents se comportant comme si la
motivation intrinsèque est évincée (I = 0)? Afin
de comprendre pourquoi un agent avec l'utilité comportant les
éléments extrinsèques et intrinsèques choisissent
l'effort comme si la motivation intrinsèque ont été
minée, nous devons examiner l'utilité de l'agent quand I = 0
(la motivation intrinsèque évincée) et I = 1
(la motivation intrinsèque positive) sous les deux cas de r = 0
(aucune compensation incitative) et r > 0 (la compensation
incitative positive).
a- Cas n° 1: r = 0 et I = 0
D'abord, considérons le cas dans lequel aucune
compensation incitative n'est offerte (r = 0). Si la motivation
intrinsèque de l'agent est sapée (I = 0), alors son
utilité sera95:
U (ê| r = 0, I = 0) = w (4a)
Comme r = 0 et I = 0, par l'équation
(3a), l'agent va offrir l'effort ê = 0.
94 Ce résultat est similaire à celui de
Frey et Jegen [2000] présenté dans la sous-section 1.
95 Par l'équation (2) qui est la fonction
d'utilité de l'agent, comme r = 0 et I = 0 ainsi que
ê = 0, alors on
obtient U = w.
b- Cas n° 2: r = 0 et I = 1
Si l'agent est intrinsèquement motivé au moment
où aucune compensation incitative n'est offerte, son utilité
sera96 :
U (ê| r = 0, I = 1) = (ä2p2
- 4 äw + 4 w)/4 (4b)
Cela correspond à l'effort choisi par l'agent de
ê1 = äp/2 (voir l'équation (3b)). L'agent aura une
plus grande utilité quand intrinsèquement motivé,
c'est-à-dire quand l'équation (4b) n'est pas moins que (4a), ou
quand97:
ä ? 4 w /p2 ? äSF (5)
L'équation (5) définit le seuil
déterminant à partir duquel un agent sera intrinsèquement
motivé pour fournir l'effort pour un principal quand on lui offre
seulement un contrat du salaire fixe (SF), i.e. quand r = 0. Quand
ä ? äSF, ou quand la motivation intrinsèque d'un
agent à agir dans l'intérêt du principal est relativement
élevé, alors il aura une utilité plus élevée
que lorsqu'intrinsèquement motivé. Cependant, quand ä
< äSF, ou quand la motivation intrinsèque de l'agent est
relativement faible, alors il aura une utilité plus élevée
en choisissant l'effort comme si non intrinsèquement motivé, i.e.
I = 0 ; c'est-à-dire que la motivation intrinsèque est
minée. Nous observons que le seuil äSF augmente en
fonction du montant du salaire fixe, mais diminue avec une augmentation du
revenu produit par unité d'effort. En d'autres termes, toutes choses
égales par ailleurs, plus le salaire fixe offert à l'agent est
grand, plus la motivation intrinsèque innée de l'agent devrait
être élevée afin de l'induire à fournir l'effort.
Par conséquent, lorsqu'un salaire fixe est offert mais
sans compensation incitative, la plupart des individus semblent être
disposés à travailler comme si intrinsèquement
motivé (I = 1), en suggérant que ä ? äSF avec
l'effort correspondant au ê1.
c- Cas n° 3: r > 0 et I = 0
Maintenant, nous considérons le troisième cas
dans lequel la compensation incitative est offerte (r > 0). Si la motivation
intrinsèque de l'agent est évincée (I = 0), alors son
utilité sera98 :
96 A partir de l'équation (2), quand r = 0, I =
1 et l'effort choisi par l'agent est de ê1 = äp/2, alors U = w
- e2 + ä(pe - w ) = w -
(äp/2)2 + ä[p(äp/2) -w] ou bien U =
(ä2p2 - 4 ä w +
4w)/4.
97 Si l'équation (4b) = (4a), alors,
(ä2p2 - 4 ä w + 4w
)/4 = w ou ä ? 4w /p2.
U (ê| r >0, I = 0) = (r2 + 4 w)/4
(6a)
Dans ce cas, l'agent va choisir l'effort ê2 = r/2.
d- Cas n° 4: r > 0 et I = 1
Si la compensation monétaire incitative est introduite (r
> 0) et l'agent est intrinsèquement motivé (I = 1), son
utilité sera99 :
U (ê| r >0, I = 1) = [ä2(p -
r)2 + 2ä(pr - r2 - 2w) + r2+ 4 w]/4
(6b)
Dans ce cas, le niveau d'effort choisi par l'agent est de
ê - +
= ä . L'agent, ( p r )
r
2
quand intrinsèquement motivé, aura une plus grande
utilité quand l'équation (6b) n'est pas moins que (6a), ou
quand100 :
ä ? [4w- 2r(p - r)]/(p - r)2 ? äCI
(7)
Cette équation définit le seuil
déterminant à partir duquel un agent sera intrinsèquement
motivé quand on lui offre un contrat de la compensation incitative (CI)
(r > 0). Si ä ? äCI, ou si la motivation intrinsèque
innée de l'agent vers le principal est suffisamment forte, puis
même lorsque la compensation incitative est offerte, il sera plus utile
pour l'agent d'être intrinsèquement motivé en choisissant
le niveau de l'effort à offrir pour le principal. Si, cependant, la
motivation intrinsèque innée de l'agent est trop faible dans le
sens où ä < äCI, alors l'agent aura une faible satisfaction
lorsque sa motivation intrinsèque est sapée puisqu'il choisit
l'effort en se basant seulement sur la taille de l'incitation
extrinsèque, r. En effet, la compensation incitative a pour
conséquence une désactivation rationnelle de la motivation
intrinsèque de l'agent. Comme dans le cas où aucune compensation
incitative n'est offerte, le seuil äCI a une corrélation
positive avec le montant du salaire fixe.
En conséquence, l'évidence expérimentale
suggère que les agents se comportent généralement comme si
intrinsèquement motivé quand un salaire fixe est offert mais
aucune compensation incitative n'est offerte (quand ä ? äSF). Dans ce
cas, l'agent choisit le niveau d'effort à ê1 = äp/2.
L'évidence expérimentale suggère également que
quand les travailleurs
98 Par l'équation (2), comme r > 0, I =
0 et e = ê2 = r/2, l'utilité de l'agent devient :
U = w + r(r/2) - r2/4 ou bien U = (r2 +
4w)/4.
99 On calcule cette utilité de l'agent en
remplaçant r > 0, I = 1 et e =
|
ê=
|
ä ( p r ) r
- +
|
dans l'équation (2): U =
|
|
2
w + re - e2 + Iä(pe - w- re).
100 On calcule l'inéquation (6b) = (6a).
sont offerts la compensation incitative, beaucoup de ceux qui
étaient déjà intrinsèquement motivés quand
aucune incitation monétaire n'a été payée par la
suite agissent comme s'ils ne sont pas intrinsèquement motivés,
en suggérant ä < äCI plutôt que ä ? äCI.
Pourquoi l'introduction de la compensation incitative
impliquerait-elle que l'effort soit observé dans le cas n° 3 et non
dans le cas n° 4 ? Pourquoi l'introduction d'une incitation
impliquerait-elle que ä < äCI plutôt que ä ?
äCI?
Pour répondre à ces questions, nous devons
déterminer si et quand il est possible que
äSF ? ä < äCI. Cette expression est vraie
lorsque 4w/p2 < [4w- 2r (p - r)]/ (p -
r)2, ou lorsque:
r > [p (p2 - 4w)]/ (p2 -
2w) = r (8)
Cette équation démontre que si le taux incitatif
offert par le principal est trop élevé, certains agents
intrinsèquement motivés à fournir l'effort en l'absence de
la compensation incitative (i.e., avec ä ? äSF) ne le seraient plus
lorsque la compensation incitative est offerte (i.e., ä < äCI).
Autrement dit, leur motivation intrinsèque serait évincée
par les incitations
extrinsèques. En revanche, si r = r, alors
äSF ? äCI. Par conséquent, les agents qui seraient
intrinsèquement motivés quand aucune compensation incitative
n'est offerte (ä ? äSF) le seraient également quand les
incitations sont offertes, car le ä ? äSF et äSF ? äCI
implique ä > äCI dans ce cas. En d'autres termes, pour certains
agents, la question du pourquoi l'introduction des compensations
extrinsèques mine la motivation intrinsèque, ce qui a donc pour
résultat un niveau d'effort plus bas, dépend en partie de la
taille de la compensation incitative offerte.
Comme expliqué ci-dessus, une raison pour laquelle les
grandes récompenses sapent la motivation intrinsèque est qu'elles
peuvent être perçues par les agents comme un moyen de
contrôle et donc elles ne fournissent aucune satisfaction
intrinsèque à l'agent. Dans ce cas, le comportement de l'agent
refléterait probablement la satisfaction extrinsèque
seulement.
L'auteur James Jr. continue à prouver que même
les petites incitations monétaires induisent les agents à se
comporter comme si non intrinsèquement motivés en relation avec
l'estimation de la valeur de l'effort réalisé par l'agent aux
yeux du pincipal, la taille du salaire fixe, l'intensité de motivation
intrinsèque innée de l'agent et d'autres facteurs. Il observe
encore que r diminue dans le montant des salaires fixes,
w car:
?
(9)
r 2p3 / (p2 - 2 w
)2 < 0
?
= -
w
Par conséquent, quand on paie aux agents les salaires
fixes très grands, où même lorsqu'ils
bénéficient d'incitations monétaires modestes, il se
produit inévitablement un effet d'éviction de la motivation.
D'ailleurs, l'auteur continue à démontrer que
quand l'objet de la motivation intrinsèque d'un agent est une norme
sociale généralisée, comme « provide an honest
day 's work for an honest day 's pay » ou « honor your
contractual obligations », les agents croient qu'ils devraient
fournir au moins un certain niveau d'effort lorsqu'ils sont employés par
le principal. Dans ce cas, le niveau de la motivation intrinsèque
innée nécessaire à induire la motivation
intrinsèque lorsque les incitations sont offertes sera toujours
inférieur au niveau requis quand seule la compensation fixe est offerte
(äCI < äSF). Ainsi, si l'agent est déjà
intrinsèquement motivé à travailler lorsqu'il n'y a pas
d'incitations extrinsèques, alors la motivation intrinsèque ne
serait pas évincée quand la compensation incitative est
offerte.
En conséquence, ce modèle illustre comment et
pourquoi l'introduction des incitations monétaires peut avoir pour effet
l'éviction de la motivation intrinsèque des travailleurs. Le
modèle utilise des perspicacités de théorie de
l'évaluation cognitive qui établit pour principe que les
événements perçus en tant que moyen de contrôle
induisent des agents à ne pas être intrinsèquement
motivés puisque le comportement contrôlé ne fournit pas la
satisfaction intrinsèque. Le modèle prouve que deux facteurs sont
importants pour comprendre comment un agent pourrait percevoir l'introduction
d'une incitation explicite comme moyen de contrôle : l'objet auquel la
motivation intrinsèque est attachée et la taille de la
compensation incitative et fixe.
Bonner et Sprinkle [2002] soutiennent également que,
sur un plan théorique, des incitations monétaires
élevées ne sont pas nécessairement plus efficaces. En
effet, la perspective d'une richesse accrue peut dissuader l'effort au lieu de
le stimuler et, si l'individu souffre d'un manque d'estime de soi, le sentiment
de ne pas arriver à atteindre le niveau de performance requis peut
définitivement le décourager.
L'argument dans cette section est vraiment contraire à
celui dans la partie précédente. Dans la partie 1, les
économistes ont émis un argument de taille soutenus par des
preuves empiriques que les incitations monétaires influencent
positivement l'effort des salariés. Mais les chercheurs dans cette
section, s'appuyant sur des études expérimentales des
psychologues et des économistes, clament le contraire,
c'est-à-dire que les incitations monétaires nuisent à la
motivation intrinsèques des salariés et donc à leur
effort. Les psychologues reconnaissent aussi que les incitations
monétaires peuvent booster la motivation intrinsèque et aussi
l'effort
des salariés si elles ne sont pas perçues par ces
derniers comme un moyen de contrôle, i.e., si elles incitent en eux un
sentiment de compétence et d'autodétermination.
Cependant, la recherche récente sur la motivation
intrinsèque indique que bien que la motivation intrinsèque et
extrinsèque aient été initialement conçues comme
dichotomie, beaucoup de chercheurs, actuellement, ne tiennent plus compte de
cette notion [Kunz et Pfaff, 2002]. Plusieurs études ont prouvé
que les récompenses extrinsèques augmentent la motivation
intrinsèque [Ryan, 1982; Ryan et al., 1983]. Par conséquent, il
est apparu de plus en plus clairement que les récompenses
extrinsèques ne sont pas nécessairement nuisibles, mais
plutôt peuvent jouer un rôle complémentaire à la
motivation intrinsèque.
Gagné et Deci [2005] exposent certains problèmes
de la théorie de l'évaluation cognitive. Premièrement, la
plupart des études qui ont testé cette théorie
étaient des expériences de laboratoire plutôt que des
études d'organisation. Deuxièmement, il était difficile
d'incorporer des propositions de la théorie de l'évaluation
cognitive aux approches répandues comportementales et d'attente-valence.
Troisièmement, de nombreuses activités dans les organisations du
travail ne sont pas intrinsèquement intéressantes et
l'utilisation des stratégies telles que la participation à
l'augmentation de la motivation intrinsèque n'est pas toujours
réalisable. Quatrièmement, la plupart des personnes qui
travaillent doivent gagner de l'argent, ainsi utiliser les
récompenses monétaires101 comme une
stratégie de motivation centrale semble pratique et attrayante.
Cinquièmement, la théorie de l'évaluation cognitive a
semblé impliquer que les managers et les théoriciens de
management devraient se concentrer sur l'un ou l'autre - c'est-à-dire,
soit sur une augmentation de la motivation intrinsèque par la
participation et l'empowerment 102 en minimisant
l'utilisation des facteurs extrinsèques, soit sur l'utilisation des
récompenses et d'autres contingences extrinsèques pour maximiser
la motivation extrinsèque en ignorant l'importance de la motivation
intrinsèque.
Par conséquent, Deci et ses collègues se sont
clairement dissociés de l'ancienne dichotomie fallacieuse de la
motivation intrinsèque et extrinsèque [Kunz et Pfaff, 2002]. Ils
ont présenté une analyse différenciée de la
motivation extrinsèque en utilisant les concepts de l'internalisation,
qui adresse directement les critiques formulées ci-dessus au sujet de la
théorie de l'évaluation cognitive. Dans leur concept, ils
supposent que les individus tendent à internaliser et intégrer
les régulations du comportement extrinsèquement motivé
afin de faire
101 Nous soulignons.
102 « L'empowerment [est] promu par Peter F.
Drucker, ce terme désigne le management qui consiste à substituer
la confiance a priori au contrôle, de manière à
favoriser la confiance entre niveaux hiérarchiques. Ce concept que l'on
croit volontiers récent est en réalité très proche
de l'idée de « pouvoir coactif » (capacité de faire les
choses en commun), [...] » [Filleau et Marques-Ripoull, 1999, p. 73].
face efficacement à leur monde social. Par
conséquent, la dichotomie traditionnelle est remplacée par une
conceptualisation de la motivation extrinsèque comme un continuum
d'internalisation et d'intégration. Cela correspond à la
théorie de l'autodétermination qui incorpore la théorie de
l'évaluation cognitive, mais elle est beaucoup plus large que cette
dernière dans la portée.
Dans la section suivante, nous allons donc aborder une analyse
de l'autorégulation qui explique comment les gens incluent des valeurs
sociales et des contingences extrinsèques et progressivement les
transforment en valeurs personnelles et auto-motivations. Dans la discussion,
nous exposerons sommairement les différentes formes de motivation
internalisée, en adressant leurs corrélations comportementales et
d'expériences et les conditions qui sont susceptibles de favoriser ces
différentes motivations et également en réexaminant les
effets des incitations monétaires.
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