CHAPITRE III : LE CADRE THEORIQUE DE
LA MOTIVATION
Introduction au chapitre III
Qu'est-ce que la motivation ? La motivation est définie
comme « le processus par lequel un individu confère à son
action une intensité, une direction et une persistance, en vue
d'atteindre un objectif donné »61 [Robbins et al.,
2006]. Nous rappelons que ces éléments (une intensité, une
direction et une persistance ou une durée de l'effort) constituent un
effort que nous avons exposé dans le chapitre I. Donc, la manifestation
la plus proche de la motivation est l'ensemble des efforts
déployés dans le travail dirigés avec intensité et
de manière persistante vers des objectifs attendus. La motivation est
donc une clé du succès aussi bien des entreprises que des
individus. Un individu motivé est promis à une belle
réussite, de même qu'une organisation qui sait gérer la
motivation des salariés a des chances d'être plus performante que
ses concurrentes. Cette conception suppose qu'il existe un lien de
causalité entre motivation et réussite [Alexandre-Bailley et al.,
2006].
Parmi plusieurs types de théories de la motivation,
nous n'allons aborder d'abord dans ce chapitre que les théories dites de
contenu qui proposent une analyse des différents besoins des individus,
qui vont les pousser à agir de façon à satisfaire leurs
attentes. Ensuite, nous allons présenter la notion de la motivation qui
se distingue en deux types : la motivation intrinsèque et la motivation
extrinsèque. Dans ce point, nous étudierons également les
interactions entre ces deux types de motivation, surtout les effets
négatifs des incitations monétaires sur la motivation
intrinsèque des salariés. Ceci se situe la théorie de
l'évaluation cognitive (Coginitive evaluation theory) qui est
initialement développée par Deci et Ryan dans les années
1970.
61 L'intensité renvoie à la vigueur
avec laquelle la personne se met à la tâche. Cependant, une forte
intensité a peu de chances de conduire à un résultat
optimal en termes de performance à moins que l'effort ne soit
canalisé dans une direction précise. Il faut donc prendre en
compte la qualité de l'effort tout autant que son intensité. La
notion de persistance concerne la durée de l'effort des salariés.
Les salariés motivés sont capables de consacrer tout le temps
nécessaire à l'accomplissement de leurs tâches.
Section 1 : Les théories du contenu
Une façon d'aborder la motivation consiste à
explorer les différents besoins et de désirs qui vont pousser
l'employé à agir pour les satisfaire. C'est ce dont traitent les
théories du contenu. Une des questions de base qui a animé les
recherches sur la motivation, est celle de son contenu. Les théories
dites de contenu permettent de répondre aux questions principales de la
motivation : Qu'est-ce qui motive les individus à travailler? Pourquoi
sont- ils motivés? Dans cette section, nous allons étudier deux
grands modèles dans le cadre des théories du contenu : le
modèle de Maslow et le modèle d'Herzberg.
1- Le modèle de Maslow
La réponse classique qui a été faite
à cette question du contenu est celle du besoin62
[Michel, 1989]. Dans le prolongement des travaux de Mayo, Maslow, l'un des
premiers psychologues, met l'accent sur l'analyse des besoins de l'homme dans
l'organisation et il propose une théorie de hiérarchie des
besoins à partir d'observations cliniques dans les années 1940
[Maslow, 1943]. Il formule l'idée directrice selon laquelle le
comportement humain au travail est d'autant plus coopératif et productif
qu'il trouve dans l'organisation une occasion de réalisation de soi et
d'épanouissement personnel [Plane, 2000]. Selon Maslow, la motivation de
tout individu serait suscitée par la volonté de satisfaire des
besoins (force interne). Dès lors que l'individu a cette volonté,
il agit, il est motivé. Les besoins déclenchent les comportements
adaptés et l'assouvissement des besoins est au coeur de toute action
motivée. Alors, la notion de besoin place la source des motivations
à l'intérieur de l'homme.
Dans le modèle de Maslow, on retiendra deux
idées essentielles63. En premier lieu, Maslow tente de
hiérarchiser les besoins en une théorie des besoins souvent dite
théorie de la motivation. Les besoins sont organisés en niveaux
et ces niveaux peuvent être représentés par une pyramide.
Constatons que la pyramide des besoins de Maslow demeure très
certainement la plus connue des théories de la motivation [Robbins et
al., 2006]. D'après Maslow, une personne est motivée par cinq
types de besoins (Voir Figure 6). Au bas de la pyramide se trouvent les besoins
physiologiques (ce sont les besoins de manger, de boire, de respirer, de se
62 L'auteur souligne.
63 Michel, S. [1989], Peut-on gérer les
motivations ?, 1er édition, Presses Universitaires de
France, Paris, p. 20.
détendre, de se reproduire,...), puis les besoins de
sécurité64 (sécurité matérielle,
se protéger contre les aléas naturels, stabilité de
l'emploi, avantages sociaux,...), puis les besoins sociaux (ce sont des besoins
de rapports sociaux, de donner et de recevoir de l'affection, de se sentir
accepté et appartenir à un groupe, d'avoir une bonne relation
avec les collègues et avec les supérieurs,...), et enfin les deux
derniers niveaux concernent les besoins d'estime (ce sont des besoins de
confiance en soi, de recevoir une attention, une reconnaissance et une
appréciation des autres,...) et de réalisation de soi (ce sont
des besoins de créativité, de développement personnel, de
s'épanouir, de devenir tout ce qu'on est capable d'être, ...).
Cette hiérarchie des besoins, selon Maslow, est la même pour tous
les hommes et les femmes qui travaillent, quelles que soient leur culture et
leurs qualifications [Lévy-Leboyer, 1993]. Maslow invente le concept de
hiérarchie des besoins, des plus élémentaires aux plus
complexes, pour définir les origines de la motivation humaine.
Figure 6 : La pyramide des besoins de
Maslow
Besoins de réalisation de soi
Besoins d'estime
Besoins sociaux
Besoins de sécurité
Besoins physiologiques
En deuxième lieu, il faut que les besoins d'un niveau
soient satisfaits pour que l'individu soit motivé par les besoins du
niveau supérieur. Une fois les besoins de premier niveau assouvis, ils
ne constituent plus un facteur de motivation et la personne passe aux besoins
de second niveau, et ainsi de suite. Ainsi, la motivation qui le pousse
à l'effort s'éteindra dès qu'il aura trouvé ce
qu'il cherche. Rares sont les individus qui peuvent parvenir à
satisfaire le besoin de réalisation de soi.
64 Dans la vie quotidienne du travailleur, ces besoins se
manifestent par le respect des lois et des règlements, par
l'adhésion à des mouvements syndicaux, par le paiement de
contributions à un régime de retraite et par le paiement de
primes d'assurance de toutes sortes [Roussel, 1996]. De plus, les besoins
physiologiques et de sécurité sont supposés être
satisfaits plus efficacement par l'argent [Rynes et al., 2005].
Maslow différencie encore ces cinq besoins en
besoins de niveau inférieur65 et
besoins de niveau supérieur66 [Schermerhorn
et al., 2002]. Les besoins physiologiques, de sécurité et sociaux
appartiennent au premier niveau, tandis que les besoins d'estime et de
réalisation de soi sont des besoins appartenant au niveau
supérieur.
Une telle théorie permet de défendre
l'idée que l'organisation doit non seulement satisfaire les besoins
« de base », mais aussi fournir à ses membres la
possibilité de se réaliser. Le succès de l'organisation
résiderait dans sa capacité à assurer la
réalisation de ses membres [Filleau et Marques-Ripoull, 1999]. Dans
cette théorie, la motivation est donc totalement liée à la
satisfaction des besoins. Ici, le besoin est comme une source essentielle de la
motivation car l'homme a des besoins qu'il doit satisfaire et qui le pousse
à agir, sous peine de tension pénible.
Par conséquent, la grande leçon que nous pouvons
retenir de Maslow est la nécessité de répondre d'abord
à des besoins de salaires minimum, de conditions de travail, et de
sécurité dans l'emploi avant de se lancer dans de grands discours
sur la motivation [Michel, 1989]. Ainsi, nous pouvons conclure, dans le sens de
Maslow, que les incitations externes en général et les
incitations monétaires67 en particulier sont les besoins
inférieurs qui poussent les salariés à fournir un effort
au travail élevé afin encore de satisfaire le niveau des besoins
supérieur qui correspond à la motivation
intrinsèque68.
Cependant, la théorie de Maslow comporte certaines grandes
limites69.
Tout d'abord, le principe même d'une hiérarchie
universelle des besoins postule que tout le monde fonctionne de la même
façon. Comment alors expliquer le comportement d'hommes manquant du
minimum et revendiquant pour leur dignité ? Comment analyser
l'enthousiasme des créateurs d'entreprise qui démarrent sans
sécurité, sans moyen matériel ? Comment comprendre les
revendications salariales de cadres ayant largement de quoi vivre et des
emplois stimulants ? Il est donc peu raisonnable de supposer que tout le monde
a la même hiérarchie de besoins, quelles que soient l'histoire
personnelle, la culture d'appartenance ou la structure organisationnelle. De
plus, un besoin ne disparaît pas quand il est assouvi, il continue
à agir.
65 Ces besoins trouvent essentiellement satisfaction
de façon externe (au travers du salaire, du syndicalisme, de la
titularisation à un poste, ...). Ceci correspond à la motivation
extrinsèque.
66 Ces besoins sont satisfaits au niveau interne (par
la personne elle-même). Ceci correspond à la motivation
intrinsèque.
67 Nous soulignons.
68 Nous allons aborder la motivation
intrinsèque et extrinsèque en détail dans la section
suivante.
69 Ces limites sont repérées par Michel
[1989], Bruno et David [1993] et Alexandre-Bailley et al. [2006].
Ensuite, le principe du passage successif d'un niveau à
un autre est discutable : il est tout à fait possible d'être
motivé par le fait d'être reconnu, même lorsque l'on n'a pas
assuré les besoins des premiers niveaux. Cela signifie que les
incitations externes ou les incitations monétaires en
spécifique ne sont pas forcément nécessaires pour motiver
les salariés dans la firme.
Enfin, cette théorie ne permet pas d'expliquer la
démotivation puisque le dernier niveau est par définition infini.
A partir de la pyramide, comment alors expliquer que des gens qui n'ont pas
répondu à leurs besoins d'estime ou de réalisation de soi
ne soient pas motivés et n'adoptent pas des comportements de recherche
de satisfaction ?
Ces questions sont sans doute aussi dues au fait que
l'ensemble de cette théorie est basé sur l'analyse des besoins,
concept qui nous semble décevant si l'on veut comprendre ce qu'est la
motivation au-delà de la physiologie. Le second grand théoricien
de ce courant centré sur le contenu est Frederick Herzberg.
2- Le modèle d'Herzberg
Reprenant les travaux de Maslow, Frederick Herzberg,
psychologue clinicien, a développé une autre théorie
populaire de la motivation, appelée la théorie
bi-factorielle. Ses travaux portent pour l'essentiel sur la question de la
motivation humaine au travail. D'après Roussel [2000], la théorie
bi-factorielle d'Herzberg affirme également que la motivation est
suscitée par la recherche d'une satisfaction optimale de certains
besoins. Le sentiment de satisfaction va dépendre de ce que l'individu
veut retirer de son travail et de ce qu'il pense que le travail va lui
offrir.
L'idée principale de cette théorie est que les
circonstances qui conduisent à la satisfaction et à la motivation
au travail ne sont pas de même nature que celles qui conduisent à
l'insatisfaction et au mécontentement [Filleau et Marques-Ripoull, 1999;
Plane, 2000]. Grâce à une étude statistique, Herzberg
découvre qu'il y a deux catégories de facteurs dans le milieu de
travail qui interviennent de manière très différente dans
le mécanisme de la motivation (Voir Figure 7). La première
catégorie regroupe des facteurs extrinsèques (les facteurs
d'hygiène ou d'insatisfaction) dont l'absence procure de
l'insatisfaction mais qui, lorsqu'ils sont présents, sont
considérés comme normaux et ne produisent aucune satisfaction
particulière. Ils poussent l'individu à agir sans
véritable motivation. Ils sont nécessaires pour empêcher
l'insatisfaction au travail, mais ils ne sont pas capables de
générer soit la
satisfaction au travail, soit le comportement motivé. Les
facteurs extrinsèques correspondent à des données
objectives et concrètes.
Figure 7 : La théorie bi-factorielle
d'Herzberg70
|
Facteurs d'insatisfaction
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Facteurs de satisfaction
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·
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Sécurité de l'emploi, le prestige
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·
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Possibilité de développement
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·
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Relations avec les collègues
|
·
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Avancement ou promotion
|
·
|
Niveau de salaire
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·
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Responsabilité
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·
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Conditions de travail
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·
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Travail proprement dit (objet
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·
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Relations avec les collègues, les
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du travail)
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subordonnés et les supérieurs
|
·
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Reconnaissance
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·
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Politique et administration d'entreprise
|
·
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Accomplissement
|
Ordre croissant
La deuxième catégorie rassemble les facteurs
intrinsèques (les facteurs de satisfaction ou de motivation) qui
auraient la capacité à apporter de la satisfaction aux
employés en lien avec le travail lui-même ou les résultats
qui en découlent directement. Ces facteurs inciteraient l'individu
à faire des efforts pour satisfaire les besoins auxquels ils
correspondent. Alors, les facteurs intrinsèques se situent à
l'intérieur71 de l'individu, ils sont liés
à la façon dont l'expérience est ressentie et au plaisir
subjectif qui en est retiré [Michel, 1989]. Par exemple, le salaire ou
l'incitation monétaire est la récompense extrinsèque alors
que la fierté d'avoir accompli tel effort, d'avoir réussi dans
telle tâche, le plaisir de bien faire son métier sont des
récompenses intrinsèques.
Ainsi, ce n'est pas parce qu'on a un salaire correct que
le travail procure de la satisfaction72. En revanche, un
salaire insuffisant est une source d'insatisfaction, et doit être
rangé parmi les facteurs d'hygiène. Ce qui contribue à la
motivation, ce sont les facteurs de motivation, autrement dit ceux qui sont
liés essentiellement au contenu du travail car ils
70 Ces facteurs sont cités par Francès
[1995], Roussel [2000], Plane [2000], Louart [2002], Robbins et al. [2006],
Alexandre-Bailley et al. [2006], et Latham et Ernst [2006].
71 L'auteur souligne.
72 Nous soulignons.
tendent à susciter des sentiments de
développement personnel, et non pas aux conditions qui l'entourent, ce
qui se rapporte au contexte du travail [Roussel, 1996; 2000; Alexandre-Bailley
et al., 2006]. Alors, Herzberg conclut que les causes de satisfaction et
d'insatisfaction ne sont pas du même ordre. Les facteurs de motivation
peuvent produire de la satisfaction, ou, dans le pire des cas, de la non
satisfaction ; ils ne sont pas à l'origine de l'insatisfaction.
Autrement dit, l'opposé de « satisfaction » n'est pas «
insatisfaction » et l'opposé d' « insatisfaction » n'est
pas « satisfaction » [Robbins et al., 2006]. Par exemple, le fait que
l'insatisfaction diminue ne signifie pas que la satisfaction augmente.
Par conséquent, Herzberg distingue deux
catégories de besoins : les besoins physiologiques,
associés aux facteurs extrinsèques, et les besoins
psychologiques, associés aux facteurs intrinsèques (ou
facteurs de motivation)73 [Roussel, 2000]. Il tire comme conclusion
que les directions d'entreprises doivent individuellement élargir et
enrichir le travail de chacun (l'enrichissement du travail). Pour motiver un
employé dans son travail, il faut modifier la répartition des
tâches. L'enrichissement des tâches consiste à restructurer
le travail de façon à ce qu'il retrouve un sens pour celui qui le
fait. Cela passe par le développement de l'autonomie, des
responsabilités et l'augmentation des compétences de l'individu
[Rojot et Bergmann, 1989; Filleau et Marques-Ripoull, 1999; Plane, 2000]. Il
s'agit de l'importance de la tâche elle-même, du contenu du travail
comme source de motivation, ce qui pousse des salariés à faire
des efforts au travail [Michel, 1989].
En bref, ces deux théories du contenu ont en commun de
donner quelques idées aux managers sur les éléments
susceptibles de constituer des sources de motivation. Elles induisent alors la
nécessité de détecter la présence ou l'absence de
ces éléments chez les salariés. Plus
précisément, notamment dans la théorie bi-factorielle, les
incitations monétaires ne sont pas considérées comme un
facteur de motivation pour pousser les individus à offrir l'effort
élevé dans le travail, mais elles sont seulement un facteur pour
éliminer l'insatisfaction des salariés. Ainsi, lorsqu'elles sont
présentes, les salariés sont indifférents ou normaux et
leur absence apporte de l'insatisfaction.
Un ensemble de théories développées au
cours des années 1970-1980 postule que le déclenchement de la
motivation est suscité par la volonté de satisfaire
essentiellement des besoins psychologiques ou d'ordre supérieur. Partant
de ce principe de base, ces théories tentent d'identifier quelles sont
les forces internes et externes qui agissent sur la décision
individuelle d'agir de façon motivée. Cette idée est
conforme au concept de la théorie de
73 Nous soulignons.
l'évaluation cognitive [Roussel, 2000]. Cependant, il y
a des différences importantes entre la théorie de
l'évaluation cognitive et les théories du contenu. Tandis que les
théories du contenu se concentrent principalement sur les
énergisants de l'action motivée, la théorie de
l'évaluation cognitive étudie aussi les besoins psychologiques de
base qui doivent être satisfaits pour le fonctionnement et le
bien-être optimaux et de plus, les influences des récompenses
externes, en particulier les incitations monétaires sur la motivation
intrinsèque.
Alors, dans la section suivante, avant d'exposer la
théorie de l'évaluation cognitive qui aborde notamment les
interactions entre les incitations extrinsèques en général
ou les incitations monétaires en particulier et la motivation
intrinsèque que l'on considère comme une source d'augmentation du
niveau d'effort des salariés dans le travail, il est utile de bien
connaître le concept de la motivation intrinsèque et
extrinsèque.
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