CONCLUSION :
Lorsqu'on compare l'état de langue du
français classique à celui du français moderne, on se rend
compte que les écarts ne proviennent pas de la norme mais de l'usage. En
effet ces deux périodes partagent le même système
grammatical et les mêmes principes car le français moderne a
hérité des règles du français classique. Ces
écarts sont dus au fait que la plupart des écrivains du XVIIe
siècle avaient maintenu certaines règles héritées
de l'ancien ou du moyen français en dépit des nouvelles exigences
de leur époque. Cela pourrait s'expliquer ou par des raisons
liées au style ou par une certaine incapacité de se
défaire spontanément d'un état de langue jusque là
utilisé avec beaucoup de liberté pour se plier à une
nouvelle exigence : celles des grammairiens et théoriciens du XVIIe
siècle. Ces derniers ont établi des règles plus
rigoureuses en ce qui concerne la clarté du style et la netteté
dans l'expression comme on le constate dans la norme qui exige la
proximité de l'antécédent et du pronom. En effet ce
procédé permet le repérage facile du
référent dans le cas de l'approche textuelle de l'anaphore.
Cependant, comme le révèle notre
étude, les emplois anaphoriques dans les textes classiques n'ont pas
toujours été fidèles à cette règle de
proximité. Et dans ce cas, trouver l'antécédent du pronom
personnel anaphorique nécessite un autre moyen qui fait appel à
la pensée du lecteur. Cette méthode, c'est
« l'approche
mémorielle » dont parle le Professeur
Sarré, et qui, sur le plan syntaxique, n'exige pas la
même rigueur que la première. Elle convient à
l'étude de la référence pronominale dans les textes
classiques qui manquaient souvent de concision. Ce qui n'est pas le cas dans
les textes du français moderne où la syntaxe indique clairement
le mot auquel rapporte le pronom anaphorique.
Dans la langue actuelle, l'approche
mémorielle pourrait servir dans l'usage du pronom
il déictique qui n'est pas souvent pris en
compte, mais qui néanmoins existe et s'emploie souvent dans les
conversations. Pour trouver le référent du pronom personnel de la
troisième personne en emploi déictique il faudrait faire appel
à la méthode de « l'approche
mémorielle » qui convient lorsque le
référent du pronom représentant n'est pas mis en
évidence. Dans le cas de l'anaphore, cette approche définit comme
référent du pronom le terme le plus saillant du texte. Mais
lorsqu'il s'agit de la référence déictique, le
référent serait alors celui à qui on pense ou ce à
quoi on pense (sans le nommer) au moment de la communication ou de
l'énonciation. Avec ces deux approches, la référence
pronominale est sans équivoques pour le lecteur, comme l'ont toujours
voulu les grammairiens du XVIIe siècle.
Les remarqueurs de la langue classique se sont plus
intéressés à l'étude de la référence
des pronoms personnels qu'à celui de leur place dans la phrase. En
effet, l'essentiel des lois d'emplacement du pronom personnel a
été fixé bien avant la période classique, ce qui
fait que l'usage n'a pas eu du mal à s'y conformer. Et les cas auxquels
ils se sont intéressés sont ceux qui ont été
révisés après le XVIe siècle comme par
exemple :
* la place du pronom personnel, complément de
l'infinitif régi par un autre verbe ou de deux verbes successifs.
* la place du pronom personnel devant un impératif
coordonné.
* l'omission du pronom personnel.
Ces emplois ont été revus à
l'époque classique, ce qui explique les écarts qu'ils
engendrent dans l'usage entre la langue du XVIIe siècle et celle
d'aujourd'hui. En effet, tout comme les règles de la
représentation pronominale qui sont instaurées en
français classique, les lois concernant la place des pronoms personnels,
dans ces cas précités, n'ont pas toujours été
respectées dans l'usage de la langue au XVIIe siècle. Les
écrivains n'avaient pas encore, à cette période,
maîtrisé ces règles récentes qui ont
été appliquées avec plus de rigueur en français
moderne.
Nous remarquons ainsi qu'au XVIIe les tournures
inusitées ne disparaissent pas définitivement ou automatiquement
de l'usage de la langue comme le voudrait la norme établie par les
grammairiens. Elles apparaissent parfois dans la langue écrite comme de
simples faits de style ou bien elles surgissent de temps en temps dans la
langue populaire comme une habitude langagière. Brunot
explique en effet, à propos des règles instaurées pour
l'usage de la langue au XVIIe siècle,
que : « dans la pratique, naturellement,
la langue est loin de se conformer à une réglementation aussi
restrictive, soit tradition, soit nécessité de
style. »76
(76) Brunot (F.), Histoire de la langue
française, Tome VI (2e partie), Paris, Armand Colin,
1966. p.1627
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