IV) L'ordonnance du 23 Mars 2006 ; une réforme
inachevée
Le législateur n'a repris que deux solutions
proposées par le Groupe Grimaldi : le gage de monnaie fiduciaire
(A) et le nantissement de solde de compte en cours de fonctionnement (B).
A) Le gage de monnaie fiduciaire
78. L'obligation de conservation de l'assiette du
gage : renvoi - Dans l'esprit du législateur, la remise de
monnaie fiduciaire à titre de garantie relève des règles
du gage. Le nouvel article 2341 du Code civil dispose que :
« Lorsque le gage avec dépossession a pour objet des
choses fongibles, il doit les tenir séparées des choses de
même nature qui lui appartiennent. A défaut, le constituant
peut se prévaloir des dispositions du premier alinéa de l'article
2344 ».
Ainsi, le créancier a désormais l'obligation de
maintenir l'individualité des sommes d'argent remises à titre de
gage. Cette obligation découle directement de l'obligation de
conservation du créancier gagiste. Dès lors si le
créancier ne respecte pas cette obligation, le constituant est en droit
de réclamer la restitution des sommes d'argent affectées en
garantie. C'est ce que prévoit l'article 2344 aliéna du Code
civil : « Lorsque le gage est constitué avec
dépossession, le constituant peut réclamer la restitution du
bien gagé, ..., si le créancier ne satisfait pas à son
obligation de conservation du gage ».
B) Le nantissement de compte en cours de
fonctionnement
79. Le nantissement de compte en cours de
fonctionnement : un nantissement de créance - Le
législateur n'a prévu que le nantissement de compte en cours de
fonctionnement. Dans son esprit, il s'agit d'un nantissement de créance.
Encore une fois, la fongibilité monétaire influe directement sur
la qualification de la sûreté.
Le nouvel article 2360 alinéa 1 prévoit
que : « Lorsque le nantissement porte sur un compte, la
créance nantie s'entend du solde créditeur, provisoire ou
définitif, au jour de la réalisation de la
sûreté... ». Le nantissement de compte en cours de
fonctionnement a pour objet la créance de solde existante au jour de la
réalisation de la sûreté. Il s'agira alors d'un
nantissement de créance future.
C) Le nantissement de monnaie
scripturale
80. Le nantissement de compte
bloqué : renvoi aux règles du gage de biens corporels
- Le nantissement de monnaie scripturale, tel que proposé par
le Groupe Grimaldi, n'est pas prévu par la loi nouvelle.
Toutefois, l'article 2355 al.5 permet son existence. En
effet, cette nouvelle disposition prévoit que :
« Celui (le nantissement) qui porte sur d'autres meubles
incorporels est soumis, à défaut de dispositions
spéciales, aux règles prévues pour le gage de meubles
corporels ». Cette disposition permet de constituer un
nantissement de monnaie scripturale inscrite au crédit d'un compte
bloqué. Il s'agira d'un nantissement de choses incorporelles tenues
séparément de celles appartenant au créancier. On
retombera alors sous l'empire de l'article 2341 du Code civil avec obligation
de conservation et sa sanction par l'action en restitution des sommes inscrites
au crédit du compte.
81. Le nantissement de monnaie scripturale :
renvoi aux règles du gage de biens corporels - De même
l'affectation en garantie de monnaie scripturale par remise directe au
créancier sera soumise aux règles du gage. Ainsi, le
créancier aura l'obligation de les tenir séparément de
celle lui appartenant. Cette application de la règle posée
à l'article 2341 al.1 n'est pas adaptée au regard des modes de
circulation de cette monnaie. La remise de monnaie scripturale se fera par
inscription en compte soit au moyen de l'encaissement d'un chèque ou de
l'exécution du virement. Lors de l'inscription au crédit du
compte appartenant au créancier, les unités scripturales
viendront se fondre dans le compte en banque. Dès lors il deviendra
difficile au créancier de « les tenir
séparées des choses de même nature lui
appartenant ». Il ne pourra même pas identifier la monnaie
scripturale ainsi remise. Il en deviendra donc propriétaire dès
l'inscription au crédit du compte. Ainsi, le nantissement de monnaie
scripturale constituera un transfert de propriété à titre
de garantie. Le créancier aura une obligation de
« restitution » par équivalent. Les règles
prévues sont donc inadaptées à ce type de nantissement.
82. Conclusion : l'éclatement de la
nature juridique du gage-espèces - Cette aperçu rapide
démontre que la réforme n'a pas réglé tous les
problèmes relatifs au gage-espèces. Cette sûreté n'a
pas un régime juridique mais plusieurs régimes juridiques :
gage de bien corporel (gage de monnaie fiduciaire), nantissement de
créance (nantissement de compte en cours de fonctionnement),
nantissement de monnaie scripturale (nantissement de compte bloqué),
transfert de propriété à titre de garantie (gage de
monnaie fiduciaire sans obligation de conservation, nantissement de monnaie
scripturale). La réforme du droit des sûretés
prévoit que le constituant conserve la propriété de la
somme d'argent affectée en garantie. Mais cette conservation de la
propriété est fragile. Elle suppose que le créancier
maintienne la somme séparée de celles lui appartenant. Si cette
solution est théoriquement possible en présence d'un gage ayant
pour objet de la monnaie fiduciaire, elle est impraticable en matière de
nantissement de monnaie scripturale.
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