Le gage-espèces( Télécharger le fichier original )par Fouad HAMIDI Université Paris I - Master 2 Recherche Droit patrimonial approfondi 2006 |
II) La validité du transfert fiduciaire à titre de garantieDans un ordre logique, nous présenterons la liberté de constitution des droits réels (A) et la cause du transfert fiduciaire (B) A) La liberté de constitution des droits réels Cette liberté est affirmée tant en doctrine qu'en jurisprudence. 117. La doctrine - Les partisans de la liberté avancent un argument textuel : l'article 543 du Code civil ne pose un principe de limitation des droits réels. En effet, littéralement, le texte ne pose par un principe de limitation : il affirme seulement que l' « On peut avoir » et non pas « On ne peut que avoir ». Cette précision grammaticale devrait d'une part affirmer que l'article 543 du Code civil ne pose que des exemples de droits réels. Hormis cet argument littéral, un autre argument peut être avancé : l'article 543 du Code civil ne prévoit pas tous les droits réels. On ne retrouve pas par exemple le droit réel d'hypothèque ou de gage. Pourtant personne n'oserait affirmer que ces droits ne constituent pas des droits réels. 118. La jurisprudence : affirmation du principe de liberté de création des droits réels - La jurisprudence a admis, dans un arrêt de principe, la liberté de création des droits réels. Par un arrêt du 16 février 1834136(*), la Chambre des Requêtes a énoncé que : « Les articles 544, 546 et 522 du Code civil sont déclaratifs de droit commun relativement à la nature et aux effets de la propriété ; ni ces articles, ni aucune autre loi n'excluent les diverses modifications et décompositions dont le droit ordinaire est susceptible ». Ainsi, il est loisible aux parties de créer toutes sortes de droits réels. Cette consécration jurisprudentielle devrait permettre de justifier la validité de la propriété fiduciaire. A notre avis, cette décision n'est d'aucun secours. En effet, cet arrêt ne fait qu'admettre la validité des « modifications et décompositions » du droit de propriété. Or en matière de transfert fiduciaire de propriété à titre de garantie, il n'y a pas transfert du droit de propriété ni création d'un droit réel. Le droit de propriété du constituant s'éteint pour permettre au créancier d'établir un lien d'appropriation fiduciaire. Cette propriété fiduciaire ne constitue pas un droit réel. Les droits réels sont des droits sur la chose d'autrui. Or en l'espèce, le créancier est propriétaire de l'universalité. Il n'a pas un droit de préférence et un droit de suite (droit réel) mais un droit exclusif sur l'assiette de la sûreté. Pour ces raisons, l'invocation de cette jurisprudence n'est d'aucun secours. 119. Application en matière de sûretés réelles : la validité des clauses de réserve de propriété antérieurement à la loi du 12 mai 1980 - Il faudrait plutôt se tourner vers la réserve de propriété pour admettre la validité de la propriété fiduciaire. La réserve de propriété n'a jamais été contestée dans sa validité137(*) antérieurement à sa consécration législative par la loi du 12 mai 1980. Pourtant, il faut bien admettre que la propriété réservée crée une propriété diminuée : la propriété est affectée en garantie. A notre sens, la propriété réservée n'est pas une propriété de droit commun ; le propriétaire ne peut pas jouir et disposer de la chose de la manière la plus absolue. Toutefois, il conserve la propriété ce qui lui permet de revendiquer le bien au cas où le débiteur ne paie pas le prix convenu. Cette propriété affectée n'a pas été contestée dans son principe. Elle l'était seulement dans son effet : les tribunaux estimaient que la clause de réserve de propriété était inopposable à la masse des créanciers138(*). La loi du 12 juin 1980 a pallié à ce manque d'inefficacité. De même, la loi du 10 juin 1994 a étendu cette efficacité au domaine des choses fongibles. B) La cause du transfert de propriété 120. Le caractère non limitatif des catégories de cause posées par le Code - L'argument principal avancé pour contester la validité de la fiducie-sûreté était que le contrat l'instituant n'avait pas une cause rentrant dans celles prévues par le législateur de 1804, c'est-à-dire qu'il n'était ni à titre gratuit ni à titre onéreux. Le Code pose-t-il seulement des modèles ou des catégories limitatives ? La réponse à cette question est nécessaire. En effet, se référer aux seules causes de transfert prévues par le Code pour en déduire que la fiducie serait un transfert de propriété sans cause est admettre que le Code pose des catégories limitatives auxquelles les parties ne peuvent déroger. Cet avis n'est pas partagé par la doctrine dans son ensemble. Certains auteurs admettent que le transfert de propriété puisse avoir une cause autre que celles prévues pas le Code. Dans sa thèse consacré à l'étude de la fiducie139(*), M. Claude WITZ prend ce parti : « Malgré l'absence d'une consécration jurisprudentielle ou d'une affirmation doctrinale de principe, il convient d'admettre que le transfert du droit de propriété peut s'opérer par des actes juridiques autre que ceux traditionnellement considérés comme translatifs de propriété140(*) ». 121. L'affectation en garantie : une cause hors modèle - Une interprétation modéliste du Code permet d'admettre que le transfert fiduciaire ait une cause. Le Code civil pose deux modèles de cause : l'onérosité et la gratuité. Toutefois, il est possible de s'écarter de ces modèles et de rechercher d'autres causes envisageables. C'est ainsi que Melle KUHN justifie le transfert de propriété dans les opérations fiduciaires : « L'originalité de l'opération fiduciaire demeure, l'aliénation fiduciae causa ne relevant pas d'un contrat translatif nommé. Toutefois, la liste des actes juridiques réalisant un transfert de propriété n'est pas limitative....Les actes translatifs ne sont pas enfermés comme en droit romain dans une nomenclature rigide et préétablie. Le contrat de fiducie trouve alors parfaitement sa place au sein de cette catégorie juridique. ». Le transfert fiduciaire dans le cadre d'une fiducie-sûreté pourrait alors trouver sa justification dans un autre type de cause : l'affectation en garantie. Le transfert de propriété ne sera ni à titre onéreux, ni à titre gratuit mais à titre de garantie. Si l'on quitte le Code civil pour explorer d'autres branches du droit, on trouve des traces de cette affirmation.
122. Exemples législatifs - Tout d'abord, en matière de garanties financières, le nouvel Article L. 431-7-3 dispose que : « A titre de garantie des obligations financières présentes ou futures mentionnées au I de l'article L. 431-7, les parties peuvent prévoir des remises en pleine propriété... » Ensuite, en matière de cessions de créances professionnelles, l'article L. 313-24 du même Code prévoit que : « Même lorsqu'elle est effectuée à titre de garantie et sans stipulation de prix, la cession de créance transfère au cessionnaire la propriété de la créance cédée ». Ce texte précise que la propriété peut être transférée même si elle n'est pas faite à titre onéreux. Il valide le transfert de propriété à titre de garantie. Enfin, en matière de mobilisations des créances à moyen terme, l'article L. 313-48 du Code monétaire et financier utilisent l'expression : « Les contrats ainsi mis à titre de garantie... ». Dans ces trois contrats, un objet est transféré en propriété. Ce transfert n'est pas dépourvu de cause juridique : il est effectué à titre de garantie141(*), comme la vente l'est à titre onéreux et la donation à titre gratuit. 123. La cause du transfert de propriété dans le gage-espèces : l'affectation en garantie - Le transfert fiduciaire est donc envisageable en matière de gage-espèces. Après avoir crée l'universalité, le constituant conclut avec son créancier un contrat de fiducie en vertu duquel il lui transfère l'universalité en sa propriété. Ce transfert de propriété aura pour cause la sûreté (ou la garantie) de la dette principale. Comme nous le verrons dans la deuxième partie, le créancier aura une propriété affectée. En raison de cette affectation, il devra prendre des engagements ne serait-ce parce qu'il sera potentiellement tenu de transférer l'universalité en cas d'exécution de la dette garantie. * 136 Req. 16 février 1834, Caquelard ; S.1834.1.205 -, Les grands arrêts de la jurisprudence civile - Tome 1, 11ème éd. par H. CAPITANT, F. TERRE & Y. LEQUETTE, Dalloz, Paris, 2000, n°60, p.311 et s. * 137 R. LIBCHABER, Une fiducie française, inutile et incertaine, précité, n°7, p.311 * 138 Cass., 28 mars et 22 Octobre 1934 - D.1934.1.151, note VANDAME * 139 Cl. WITZ, La fiducie en droit privé, préf. D. SCHMIDT, Economica, 1991 - C. KUHN, Le patrimoine fiduciaire - Contribution à l'étude de l'universalité, Thèse Paris I, sous la direction du Professeur Thierry REVET, 2003, n°330, p.250 : « L'originalité de l'opération fiduciaire demeure, l'aliénation fiducia causa ne relevant pas d'un contrat translatif nommé. Toutefois, la liste des actes juridiques réalisant un transfert de propriété n'est pas limitative. Les actes translatifs ne sont pas enfermés comme en droit romain dans une nomenclature rigide et préétablie. Le contrat de fiducie trouve parfaitement sa place au sein de cette catégorie juridique. » * 140 Cl. WITZ, La fiducie en droit privé, précité note 140, n°244, p.239 - C. KUHN, Le patrimoine fiduciaire - Contribution à l'étude de l'universalité, Thèse Paris I, sous la direction du Professeur Thierry REVET, 2003, n°330, p.250 : « L'originalité de l'opération fiduciaire demeure, l'aliénation fiducia causa ne relevant pas d'un contrat translatif nommé. Toutefois, la liste des actes juridiques réalisant un transfert de propriété n'est pas limitative. Les actes translatifs ne sont pas enfermés comme en droit romain dans une nomenclature rigide et préétablie. Le contrat de fiducie trouve parfaitement sa place au sein de cette catégorie juridique. » * 141 Comp. : Com. 3 juin 1997, Bull.civ. IV, n°165 - D.1998.Som.104, obs. S. PEDELIEVRE - JCP G 1997.II.22891 : « ...les actes constitutifs de la sûreté dispensaient la banque, en cas de non-paiement à l'échéance, de son obligation de restituer les sommes d'argent dont la propriété lui avait été transférée à titre de garantie ; » |
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