I.2. LA FORMULATION DU PROBLEME
Les rapports entre l'interculturel et
l'enseignement/apprentissage de la langue française constituent une
préoccupation assez sérieuse et d'actualité quand on voit
comment la langue française est envahie - tant dans les
nouvelles écritures africaines que dans les interactions
langagières quotidiennes des Camerounais- d'emprunts de l'anglais, du
pidgin-english et du camfranglais, des termes et
expressions issus des langues locales. Pour ce qui est du camfranglais,
il est un parler populaire issu du mélange de structures provenant
des langues locales du Cameroun, du français et de l'anglais. Cette
réalité linguistique multicolore, Onguéné Essono
(2003 : 57-72) l'a merveilleusement décrite dans un
article intitulé « La norme en éclats pour un
français correct au Cameroun ».
Ainsi, la lecture et la compréhension des textes
caractéristiques des nouvelles écritures africaines
exigeraient des élèves comme des enseignants une culture
riche et diversifiée, mieux des savoirs correspondant à ce que
Abdallah-Pretceille (1996 :33) appelle «
la culturalité [qui] renvoie au fait que le culture est mouvante,
fuyante, « tigrée »,
alvéolaire ». Cette culturalité devrait permettre
aux protagonistes de l'action didactique non seulement de saisir, mais aussi
d'expliquer les phénomènes linguistiques et langagiers
variés présents dans les textes. Une telle situation s'inscrit en
droite ligne d'un aspect du phénomène que Bikoi
(2003 :79) dénomme les « problèmes
liés au souci d'adaptation de l'enseignement du français aux
réalités contemporaines ». Et il s'agit ici d'une
adaptation interculturelle parce que impliquant, pour les enseignants comme
pour les apprenants, la capacité à appréhender, à
comprendre, à expliquer et à justifier les
phénomènes sémiologiques variés tant normaux que
marginaux provenant de plusieurs cultures. Cette capacité, autrement
appelée compétence interculturelle, est à la base du
problème central de la présente étude, problème
libellé ainsi qu'il suit : la compétence
interculturelle de l'enseignant en classe de langue peut-elle avoir un impact
significatif sur son efficacité didactique ? Autrement dit,
l'enseignant compétent interculturel maîtrise-t-il mieux la
didactique des langues et transmet-il mieux les savoirs lors de son
enseignement que celui qui ne l'est pas ? Ce qui implique une
préoccupation corollaire : les élèves du
premier seraient-ils être plus performants que ceux du
second ?
C'est donc cette question diversement posée qui est
abordée ici, question à laquelle l'étude tente de trouver
des réponses. Mais, au lieu de procéder par une démarche
qui prenne pour base le culturel dans son ensemble à travers les
langues, les stratégies discursives, les us et coutumes, les mets,
l'habillement, l'art, ..., ou par une démarche qui prenne pour base un
corpus disparate collecté au gré des circonstances de
communication et interactions langagières, nous voulons partir
d'extraits de textes qu'on pourrait à raison nommer corpus de
référence pour une telle interrogation. Il s'agit des extraits ou
de passages des romans africains contemporains tels que Temps de chien
de Nganang (2001) qui peut être considéré comme un texte
de référence des nouvelles écritures
africaines pour avoir été lauréat de deux
prix littéraires, à savoir le Prix francophone Marguerite
Yourcenar (2001) et le Grand prix littéraire de l'Afrique noire (2002).
Il s'agit aussi des extraits des textes comme Moi Taximan de Kuitche
Fonkou (2001), Branle-bas en noir et blanc de Mongo Beti (2000), ...,
oeuvres écrites dans le même style et le même ton.
D'emblée, les textes ci-dessus cités peuvent
être considérés comme les marques irréfutables d'une
créativité débordante. Pourtant, il faut se rendre
à l'évidence du fait qu'ils présentent des situations
où, comme le dit si bien Thomas (2002 :13), « nous
constatons que nos mots sont intraduisibles », des situations
où « nous souhaitons expliciter nos
stéréotypes pour dépasser les
préjugés », des situations qui impliquent et
exigent trois attitudes indispensables à leur compréhension,
à savoir « l'empathie », « le travail sur
les divergences et les conflits » et la volonté de
coopération ». Pour cela, leurs extraits en
particulier et ceux des nouvelles écritures africaines francophones en
général constituent non seulement des corpus ou des supports
didactiques de référence pour l'enseignement de la langue
française en contexte scolaire, mais aussi et surtout le
témoignage des mutations observables et appréciables d'une langue
et de pratiques langagières caractéristiques d'une
époque : l'époque contemporaine, la nôtre.
Voilà le contexte qui, intégrant des oeuvres configurant des
savoirs pluriels résultant, comme le dit Gourmelin-Berchoud
(1996 :52), « des interactions entre culture(s)
d'origine(s) et culture mondialisée issue de
l'Occident », suscite, suggère cette étude et en
justifie les objectifs.
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