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Les publications des violations des droits de l'homme dans la presse écrite au Burkina : Essai d'analyse éthique

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par Mahamadou Soré
Université de Nantes - Diplome universitaire de troisième cycle en Droits Fondamentaux 2008
  

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Remerciements

Aux personnes qui m'ont soutenu moralement ou techniquement à la réalisation du présent travail de recherche, je leur exprime mes reconnaissances. Un proverbe au Burkina Faso dit que la vache qui s'abreuve au marigot ne lui dit pas merci, car elle sait qu'elle y reviendra. C'est mon cas.

Je cite :

· Mon épouse Kady, pour m'avoir rappelé à l'ordre quand elle sentait que certaines de mes activités risquaient de prendre le pas sur la formation en droits fondamentaux ;

· Monsieur Jacques Amar, mon tuteur à distance qui, dès ses premiers messages m'a accordé sa confiance ;

· Professeur Patrick Chaumette, coordinateur pédagogique du DUDF, à travers son encadrement et ses mots pleins d'interrogations dignes de la maïeutique socratique ;

· L'infatigable Brigitte Gassié, pour son appui technique à la formation,

· Ibrahiman Sakandé du journal Sidwaya et Songré Etienne Sawadogo du Conseil Supérieur de la Communication (CSC) du Burkina Faso, pour m'avoir donné quelques éclairages sur le thème.

· Les amis et parents qui m'ont encouragé dans ce travail.

Liste des sigles et abréviations

ACAT : Action des Chrétiens pour l'Abolition de la Torture

AFJB : Association des Femmes Juristes du Burkina Faso

AJB : Association des Journalistes Burkinabé

CADHP : Charte Africaine des Droits de l'Homme et des Peuples

CEDH : Convention Européenne des Droits de l'Homme

CNDH : Commission Nationale des Droits Humains

CNE : Comité National d'Ethique

CODES : Campus Ouvert Droit, Ethique et Société

CSC : Conseil Supérieur de la Communication

DH : Droits de l'Homme

DUDH : Déclaration Universelle des Droits de l'Homme

FCFA : Franc de la Communauté Financière de l'Afrique

ICHRP: International Council on Human Rights policy

LIDEJEL : Ligue pour la Défense de la Justice et la Liberté

MBDHP : Mouvement Burkinabé des Droits de l'Homme et des Peuples

MBEJUS : Mouvement Burkinabé pour l'Emergence d'une Justice Sociale

NDLR : Note De La Rédaction

ONAP : Observatoire National de la Presse

ONG : Organisation Non Gouvernementale

PIDCP : Pacte International relatif aux Droits Civils et Politiques

RSF : Reporters Sans Frontière

UEMOA : Union Economique et Monétaire de l'Afrique de l'Ouest

UIDH: Union Interafricaine des Droits de l'Homme et des Peuples

Introduction générale

« Si chercher le paradoxe est d'un sophiste, le fuir, quand il est imposé par les faits, est d'un esprit sans courage ou sans foi dans la science »

Emile Durkheim, Les règles de la méthode sociologique, (préface à la première édition)

Dans les Etats de droit, la liberté d'expression dont la liberté de presse constitue la principale traduction est reconnue comme faisant partie des droits fondamentaux. La presse joue un rôle déterminant dans la construction et la consolidation de la démocratie de par sa fonction d'expression des opinions plurielles. A coté des trois pouvoirs qui constituent les institutions démocratiques au sein des Etats modernes à savoir l'exécutif, le législatif et le judiciaire, la presse est souvent classée comme étant le quatrième.

Dans le domaine particulier des droits de l'homme, les médias jouent un rôle important en publiant leurs violations ou les actions en faveur de la promotion de leur respect. Ce dernier aspect est d'autant important que la Déclaration universelle des Droits de l'Homme (DUDH) adoptée par les Nations Unies en 1948 reconnaît dans son préambule que c'est entre autres la méconnaissance des droits de l'homme qui a conduit aux atrocités des deux guerres mondiales.

Pour s'en convaincre, l'organisation mondiale, de renommée internationale, de protection des droits de l'homme qu'est Amnesty International1(*) (AI) est née en 1961 suite à une publication par la presse britannique d'une violation des droits de l'homme. En effet, c'est consécutivement à la révélation, par la presse écrite, de la détention de deux jeunes portugais qui auraient levé un toast à la liberté que vint à l'idée de l'avocat britannique Peter Benenson de lancer un appel pour leur libération. Cet appel est publié dans la presse britannique sous le titre de « forgotten prisonners 2(*)» le 28 mai 1961. L'appel se base sur la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme - adopté en 1948 - notamment en ces articles 18 et 19, pour exiger la libération sans condition de tous « les prisonniers d'opinion »3(*) à travers le monde.

Dès lors, on perçoit le rôle que joue la presse aussi bien dans la révélation des atteintes aux droits fondamentaux de l'homme que dans la médiatisation des actions en faveur de leur cessation.

Aujourd'hui encore, que ce soit pour Amnesty International ou d'autres organisations de promotion et de protection des droits de l'Homme, et surtout pour l'opinion publique, la presse demeure une source privilégiée de révélation des violations comme pour leur dénonciation. C'est en cela que la résolution 1995/40 de la Commission des droits de l'homme4(*) des Nations Unies du 3 mars 1995 sur le droit à la liberté d'opinion et d'expression mentionne les « liens d'interdépendance qui existent entre le droit à la liberté d'opinion et d'expression et tous les autres droits de l'homme dont ils renforcent l'exercice ».

Dans la fonction de dévoilement des infractions aux droits fondamentaux, il se trouve toutefois que les publications de la presse fassent fi de l'éthique, agissant ainsi à contre-courant de la promotion de ces droits. Autrement dit, parfois, les articles publiés bien que révélant des cas de violations en font un traitement qui dévoie ce qu'on pourrait appeler le « message des droits de l'homme ». Si fait qu'au lieu de promouvoir ces droits inhérents aux individus, elles font un black-out sur les droits violés si ce n'est une apologie à peine voilée des violations constatées. En conséquence, l'intervention de la presse dans le domaine des droits de l'homme peut s'avérer contreproductive. Ceci d'autant, que la presse de par son audience joue un rôle déterminant sur la formation des opinions et partant sur les actes des individus.

En plus, la plupart des restrictions à la liberté de presse concernent des violations dont les victimes, facilement identifiables, disposent de capacité d'ester en justice ou de demander toute autre forme de réparation. Il s'agit, en l'espèce des délits liés au respect des droits ou de la réputation d'autrui et de ceux visant à la sauvegarde de la sécurité nationale, de l'ordre public, de la santé ou de la moralité publique. Ce qui n'est pas forcement le cas des publications qui portent atteinte à l'éthique des droits de l'homme. Ces derniers types de violations n'ont pas une victime connue ou identifiable car enfreignant à des principes d'ordre éthique en matière des droits de l'homme. A titre d'illustration, c'est le cas par exemple d'un journal, qui publiant un cas avéré d'exécution extrajudiciaire de présumés délinquants, en arrive à louanger l'acte comme une participation à la sécurité des populations. Ces types de violations sont, de ce fait insidieux, et nécessitent pour leur respect non une action civile de la victime mais celle d'une puissance publique habilitée qui peut être au delà du juge - gardien des droits fondamentaux - une ONG ou un organe consultatif le cas échéant.

Ramener au cas du Burkina Faso, la présente étude a pour but d'analyser la fonction de révélation - autrement dit de surveillance - des violations des droits de l'homme à travers les publications de la presse écrite quotidienne sous une perspective éthique. Sous une forme interrogative, il s'agira de répondre à la question suivante : « Les publications relatives aux violations des droits fondamentaux publiés par la presse écrite au Burkina Faso sont elles éthiquement acceptables ? »

A travers, la recherche, il s'agira plus spécifiquement de mener de réflexions autour des axes suivants :

1. étudier certains articles publiés sur des violations des droits de l'homme dans la presse burkinabé afin d'en abstraire les questions éthiques qu'ils posent ;

2. analyser les instruments et mécanismes d'encadrement de la presse en ce qui concerne la relation des violations des droits de l'homme au Burkina Faso ;

3. proposer, à partir d'une analyse des facteurs juridiques et sociologiques explicatifs de la réalité étudiée, des recommandations pour une presse écrite éthique en matière de traitement des violations des droits de l'homme.

La présente recherche se veut donc une réflexion sur le rôle de la presse dans la promotion des droits fondamentaux, de l'Etat de droit et de la démocratie à travers sa fonction de révélation des violations des droits de l'homme. Elle s'insère dans un champ dans lequel les garanties offertes par les textes internes et internationaux restent peu effectives. Car dans la réalité, la plupart des instruments internationaux sur la liberté d'expression et de presse évoquent davantage les droits liés à ces libertés que les obligations qui doivent y être associées. En conséquence, les restrictions à ces libertés restent limitées à l'atteinte de quelques droits subjectifs individuels (vie privée, diffamation) ou collectifs (ordre public, santé publique, sécurité publique). Il existe certes, des textes relatifs au rôle de la presse soit dans la contribution de la promotion des droits de l'homme soit à l'interdiction d'atteinte à ceux-ci. Mais, la plupart de ces instruments sont de type déclaratoire donc dénués de force obligatoire. C'est le cas par exemple de :

· la déclaration universelle des droits de l'homme à travers son article 30 ;

· la déclaration sur les principes fondamentaux concernant la contribution des organes d'information au renforcement de la paix et de la compréhension internationale, à la promotion des droits de l'homme et à la lutte contre le racisme, l'apartheid et l'incitation à la guerre - 28 novembre 1978,

· la résolution 1995/40 de la Commission des droits de l'homme du 3 mars 1995 sur le droit à la liberté d'opinion et d'expression

Et au niveau national, les restrictions à la liberté de la presse sont à l'image de ceux édictés dans l'ordre international. Si fait que les manquements à l'éthique des droits de l'homme contenus dans les publications des quotidiens restent « impunis » contrairement aux atteintes faites à l'ordre public ou à la réputation d'autrui. De même, les mécanismes nationaux de garantie des droits de l'homme constitués par l'articulation des juridictions nationales, du ministère de la promotion des droits humains, du Comité National d'Ethique, du Conseil Supérieur de la Communication (CSC), de la Commission Nationale des Droits de l'Homme (CNDH), des associations des droits de l'homme et de la presse n'ont - à ce jour - interpellé un quotidien sur un traitement peu éthique d'une violation des droits de l'homme. Ceci bien que la réalité offre à lire ce genre d'articles dans les journaux. Par contre, en ce qui concerne les publications ayant un caractère attentatoire à la sûreté de l'Etat5(*), aux valeurs culturelles nationales, à la réputation d'individus6(*) y compris les autorités politiques,... les cas de saisine des mécanismes sont légion.

Par ailleurs, la presse jouant un rôle prépondérant dans la formation des opinions et par delà des attitudes, il s'en suit que ses dérives peuvent être préjudiciables à la construction puis à la consolidation de l'Etat de droit en construction dans un pays comme le Burkina Faso. Cette affirmation est d'autant importante qu'au regard de l'audience et de la crédibilité dont ils jouissent, les journaux au Burkina Faso constituent une alternative pour la garantie des droits fondamentaux. Elles ont aussi dans ce sens un rôle de « watch dog »7(*) de la situation de l'Etat de droit.

Sur un plan sociopolitique, le Burkina Faso est un Etat qui vient de renouer avec la démocratie et l'Etat de droit depuis 1991 avec l'adoption d'une constitution. Toutefois, selon les constitutionnalistes burkinabé Augustin Loada et Luc Marc Ibriga, « la culture des droits de l'homme n'est pas assez ancrée au Burkina Faso. L'ignorance, la pauvreté, les coutumes rétrogrades conduisent souvent les individus et les groupes sociaux à méconnaître les droits fondamentaux dans leurs relations sociales. La violence sociale, les mutilations génitales féminines, les lynchages des délinquants ou présumés voleurs par les populations elles-mêmes sont autant d'exemples. Les autorités étatiques elles-mêmes ne sont pas non plus irréprochables... Il en va ainsi des disparitions ou des exécutions sommaires enregistrées dans le cadre de la lutte contre l'insécurité menée par les forces de l'ordre, souvent elles mêmes victimes des braqueurs. Ces pratiques sont cependant niées par les autorités du ministère de la sécurité. Mais les rapports et les témoignages de la presse8(*) et de certaines organisations de défense des droits de l'homme son assez éloquents. De même, les traitements inhumains, cruels, dégradants et humiliants, la torture physique ou morale ne sont pas rares »9(*). C'est un tel contexte, que la presse écrite du Burkina Faso vit, avec de toute évidence, une influence de son milieu. Autrement dit, les représentations que les populations ont des droits fondamentaux ont des répercussions sur le traitement de l'information y afférent par la presse écrite et vice-versa.

Enfin, la fonction de révélation des violations des droits de l'homme, ou disons de dénonciations desdites violations n'est pas la chose la plus aisée pour la presse au Burkina Faso. En rappel, c'est pendant qu'il faisait des publications sur un meurtre impliquant le frère cadet du chef de l'Etat du Burkina Faso que le journaliste Norbert Zongo a été retrouvé mort, criblé de balles puis calciné le 13 décembre 1998. C'est justement suite à la grave crise sociopolitique née de ce meurtre que de nombreuses reformes institutionnelles ont été initiées par le gouvernement. Le Comité National d'Ethique fait partie des organes créés à cette occasion. Dans cette situation, faire table rase voire faire l'apologie des atteintes des droits de l'homme au Burkina Faso semble - consciemment ou inconsciemment - le penchant naturel vers lequel tendent les écrits de la presse lorsqu'ils en relatent des cas.

En définitive, il s'agit de mener une étude sur une fonction ignorée de la presse qui a un impact sur l'Etat de droit, les droits de l'homme et la démocratie. Ceci dans le but d'aboutir à une réflexion sur une presse écrite respectueuse des principes éthiques des droits fondamentaux.

* 1 AI est un mouvement mondial, indépendant de bénévoles qui interviennent pour le respect universel des droits de l'homme.

* 2 In « The observer », 28 mai 1961

* 3 Un prisonnier d'opinion dans la terminologie d'Amnesty international est toute personne détenu du fait des distinctions comme la race, le sexe, l'opinion politique ou l'appartenance religieuse (AI, Mandat 1999).

* 4 La commission des droits de l'homme a été remplacée en 2006 par le Conseil des Droits de l'Homme

* 5 Voir à ce sujet Amnesty International, Rapport annuel 2000, Page 94 ; RSF, Rapport annuel 2007 et MBDHP, Rapport sur l'Etat des droits humains au Burkina Faso, période 1996 - 2002

* 6 Voir à ce sujet CSC, Rapport public 2006, Pages 163 à 170

* 7 Expression anglaise signifiant « chien de garde ». Elle est utilisée pour qualifier la fonction de surveillance des droits de l'homme

* 8 Souligné par nous

* 9 Augustin LOADA, Luc M. IBRIGA, Droit constitutionnel et institutions politiques, Collection précis de droit burkinabé, mars 2007, P.444

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"Les esprits médiocres condamnent d'ordinaire tout ce qui passe leur portée"   François de la Rochefoucauld