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Quel questionnement philosophique sur les conflits en Afrique ?

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par Emmanuel MOUTI NDONGO
Grand seminaire - Fin cycle de philosophie 2006
  

Disponible en mode multipage

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DEDICACE

A mes parents :

Joséphine MENGBWA, icône de dignité et de justice dont l'amour de prédilection pour moi me veut aussi parfait malgré mes faiblesses.

Jeanne et Luc NDONGO qui durant leur vie terrestre ont considéré qu'il était de leur devoir de m'éduquer plus que de s'attendrir sur ma sensibilité.

REMERCIEMENTS

Au terme de l'élaboration de ce travail, je tiens à exprimer mon immense action de grâce au Tout Puissant, de qui je tiens l'être et le mouvement.

J'adresse toute ma reconnaissance à Mgr Roger PIRENNE, archevêque de Bertoua qui m'a fait confiance en m'accueillant comme séminariste de son diocèse.

Je remercie aussi très vivement l'Abbé Igor KUATE pour les soins qu'il m'a apportés si généreusement pour l'exactitude scientifique de ce travail.

Avec le même empressement, je veux dire ma gratitude spéciale à Joséphine MENGBWA, ma "Petite Maman" pour sa confiance enthousiaste et ses innombrables sacrifices.

Je dis merci au Père Louis NDJANA et à mes formateurs du grand séminaire de Bertoua.

Ma reconnaissance émue se tourne vers l'Abbé Grégoire ATANGANA, Ignace BIKOULA et les moniales de Sainte Claire qui ont nourri et encouragé mon choix.

J'ai une pensée reconnaissante pour le Père Paul NDE, les Abbés Albert ANYA et Hilary OGOCHUKWU pour leurs conseils d'aînés.

J'associe à cette gratitude mes frangines Madeleine AVOTO et Francine ATANGANA pour leur chaleureuse tendresse.

J'exprime ma reconnaissance à Franck MBIDA, Serge ONDOBO, Germain MANGA, Louis NGONO et Laurent MFOUMOU mes confrères dans le cheminement.

J'adresse des remerciements à mes amis Louise ZEMENGUE, Godefroy NDZANA, Michèle METANGMO, Annette ENDALLE et Valentin EWONDO pour leur attachement.

EPIGRAPHE

Je dormais et je rêvais...

que la vie n'était que joie,

Je m'éveillais et je vis...

que la vie n'était que service ;

Je servis et je vis...

que le service était la joie.

Rabindranath TAGORE

INTRODUCTION

GENERALE

Aborder le problème des conflits apparaît comme un écheveau particulièrement complexe à démêler. Depuis des lustres, l'Afrique vit dans l'effervescence des événements horribles qui s'enchevêtrent au quotidien et au fil des ans. « Meurtri par l'esclavage, spolié par la colonisation et fragilisé par des indépendances mal négociées »1(*), le continent africain écrit son histoire en termes de sang. Du Caire au Cap, de Freetown à Mogadiscio, les conflits s'accumulent et s'amplifient avec la même intensité. Sous tous les cieux dans le continent, c'est la même horreur : coulée de sang, traînées de drames, montées des périls, pluie de feu et de plomb. Cette situation hallucinante donne à l'Afrique la place d'un continent maudit voué à un sort funeste. Comme dans une tragédie classique, l'on peut s'exclamer : quelle sinistre destinée !

Nous intitulons notre étude : « Quel questionnement sur les conflits en Afrique ? Réflexion sur la tragédie des Etats africains ». Elle analyse cette situation sombre que vit le continent africain. Notre hypothèse de travail est un ensemble de réflexions qui situent l'Afrique dans un contexte précis. Si les Africains pouvaient s'étonner et s'interroger sur le tableau triste qu'offre le « berceau de l'humanité », notre continent pourrait savourer les délices qu'offre la paix qui doit exister entre les différents peuples. Or la montée des égoïsmes et la haine de l'autre s'avèrent paradoxales à la paix qui est le profond désir et défi majeur du XXIème siècle.

Cette réflexion comme toutes les autres recherchent la stabilité de l'Afrique par la révision des rapports intersubjectifs. Le problème est non seulement de pacifier le continent africain, mais de se demander, quels sont les facteurs ou sources identifiables d'antagonismes en Afrique ? La réponse, à cette question va inéluctablement engendrer une autre interrogation : Comment faire pour que les Africains cessent de se poser en consciences conflictuelles pour exister ; et que la paix, qui est un état positif soit non plus une utopie mais une réalité et un quotidien vécus? Des possibles réponses à ces préoccupations, nous découvrirons que la paix, fruit d'un comportement vertueux et non belliqueux est une marche vers la plénitude de l'homme.

Notre réflexion se fera à travers une méthode analytico-critique. Elle est analytique dans la mesure où elle décompose et dissèque l'existence et les causes des luttes en Afrique, afin de mettre en lumière les faits et événements conflictuels de notre continent. Notre méthode se veut aussi critique car par une activité réflexive, les résultats de l'analyse nous permettrons de circonscrire le champ de la vérité et de l'erreur pour parvenir à proposer une autre voie différente de celle de la violence.

Pour atteindre cet objectif, ceci à travers plusieurs étapes, nous avons accordé à notre démarche réflexive la forme d'un triptyque. Chaque tableau s'articule autour de trois pôles réflexifs importants. Le premier grand tableau nous plonge dans l'effectivité même des conflits, leurs effets sur les Africains. Le deuxième tableau s'intéresse à la racine des conflits et leurs sources. Le dernier suggère une lumière philosophique pour guérir un tant soit peu le « grand malade » qu'est l'Afrique.

Notre travail a pour ambition de poser le problème des conflits sur le continent africain. Loin de nous la prétention de résoudre définitivement tous les différends que connaît l'Afrique. OEuvre d'un débutant en philosophie, notre honnêteté nous contraint d'admettre que la présente réflexion pourrait souffrir de quelques insuffisances. Il faut reconnaître que la question des conflits a déjà été explorée par d'autres disciplines ; les cas de guerres que nous évoquons ici peuvent déjà être dépassés par l'actualité. Enfin nous voulons dire que nous nous sommes heurtés à l'écueil de la carence d'ouvrages. Cependant, la fin poursuivie est de jeter une lumière aussi partielle soit-elle sur le drame que l'Afrique vit du fait des conflits.

PREMIERE PARTIE 

DE L'EXISTENCE DES
CONFLITS EN AFRIQUE

PRESENTATION DU PROBLEME

Parler des conflits en Afrique ne relève pas d'une sinécure. Dans cette portion du globe « peu de pays jouissent de la paix »2(*). Un panorama du continent africain laisse entrevoir l'existence de plusieurs différends internes ou externes aux Etats africains.

La région des Grands Lacs nous offre « l'exemple le plus tragique de cette Afrique du drame permanent »3(*) avec le génocide rwandais qui a fait plus de 800 000 morts. A côté, c'est la République Démocratique du Congo qui voit se multiplier des massacres à grande échelle.

Au septentrion du continent, le Soudan est toujours en quête d'une paix qui tarde à s'installer depuis trente ans. Le Maroc et la Mauritanie s'opposent sur la question du Sahara occidental. Ce dernier pays vient d'être ulcéré par un coup d'Etat qui l'a mis dans un chaos politique.

En Afrique centrale et occidentale, le Cameroun et le Nigeria se regardent en chiens de faïence au sujet de la péninsule de Bakassi. La Côte d'Ivoire après le coup de force de 1999, a fait de l'instabilité et de l'anarchie son quotidien. A côté c'est le Togo et le Libéria qui sortent peu à peu des guerres civiles qui ont secoué ces deux Etats.

La corne de l'Afrique est déchirée par le différend frontalier qui crée une vive hostilité entre l'Ethiopie et l'Erythrée. Cela dit, nous constatons qu'aucune région du continent africain n'est exempte de la guerre. L'Afrique apparaît ainsi comme un pandémonium.

Dans cette première partie de notre réflexion, nous voulons jeter une lumière sur la typologie et les caractéristiques des conflits sur le continent africain. Puis, nous verrons les conséquences et l'ampleur de ces conflits sur la société africaine.

CHAPITRE 1 

TYPOLOGIE DES CONFLITS

EN AFRIQUE

Pour parvenir à une analyse des conflits africains, il convient d'établir une typologie de cette réalité. Afin d'y arriver, nous pouvons recourir à plusieurs critères. Dans le cadre de notre travail, nous allons en retenir trois.

I.1.1. En fonction des auteurs des conflits

A partir de ce critère nous pouvons classer d'une part « les conflits internes au départ mais qui par la suite deviennent internationaux en raison des circonstances particulières qui les entourent »4(*), c'est le cas des guerres civiles qui dévastèrent le Nigeria de 1967 à 1997. La guerre civile de l'ex-Zaïre qui depuis la chute du régime du président Mobutu a pris un caractère régional avec l'ingérence des pays voisins tels que le Rwanda, l'Ouganda et même la Tanzanie. Dans ce même registre nous pouvons d'autre part classer les conflits qui opposent « deux ou plusieurs Etats africains »5(*), comme ce fut le cas de la Namibie qui a dû passer par une guerre sanglante pour se libérer du « joug sud-africain »6(*).

I.1.2. En fonction de leur objet

Ce deuxième critère nous introduit dans un vaste champ de conflits qui comprend :
Des conflits frontaliers visant la révision des frontières héritées de la colonisation. La dispute frontalière entre le Cameroun et le Nigeria au sujet de la péninsule de Bakassi l'illustre suffisamment.

Ensuite, nous pouvons avoir à partir de ce critère des conflits politico-économiques « destinés à assurer par exemple la propagation d'une idéologie, la défense d'une position stratégique ou de sources de richesses économiques »7(*). Les multiples guerres civiles du Libéria, du Togo et du Soudan rentrent bien dans cet ordre.

I.1.3. En fonction du degré d'intensité des conflits africains

A partir de ce critère, nous pouvons construire une échelle des conflits en Afrique. Il faut noter que certains conflits partent souvent de la simple crise politique à la véritable guerre en passant par « des situations d'antagonisme affirmé et des actes d'agression »8(*) dont l'ampleur est très souvent démentielle de par les effets. La situation qu'a vécu l'Etat du Togo en février 2005 suite au décès du président Gnassingbé Eyadema est venue confirmer l'actualité de ce type de conflits.

La nature des conflits ayant été cernée par la connaissance de leur typologie, il convient maintenant de voir ce qui peut faire la particularité et la spécificité des antagonismes africains.

CHAPITRE 2 

CARACTERISTIQUES

DES CONFLITS AFRICAINS

Cette étude des types de conflits qui menacent les Etats du continent africain et leur existence, nous a fait remarquer que les différends africains même s'ils sont politiques ont aussi une nature personnelle. Il convient de voir comment ils se caractérisent dans la réalité.

I.2.1. Les conflits africains sont politiques

Les Etats africains dans l'ensemble sont de création relativement récente. La plupart de ceux-ci ont moins d'un demi-siècle d'existence. Cette jeunesse les conduit inéluctablement à « une quête d'équilibre et d'harmonie »9(*). Cela étant, les Etats Africains sont exposés à une instabilité infernale. Celle-ci se manifeste par une remise en cause des règles juridiques qui ont servi à leur fondement et ont débouché sur leur constitution.

C'est ainsi que certains Etats africains manifestent leur antagonisme frontalier par le désir de la modification d'une frontière connue ou la délimitation d'une frontière inexistante et imprécise. Tel fut le cas des conflits algero-marocain et camerouno-gabonais.

D'autres conflits peuvent revêtir un caractère territorial lorsque le différend se manifeste par la revendication d'une fraction plus ou moins grande du territoire d'un autre Etat. Les litiges somalo-ethiopien et tchado-lybien se sont manifestés de la sorte.

Les conflits africains au plan politique sont caractérisés par la contestation des autorités politiques établies à la tête de certains Etats. Cette situation se manifeste par les nombreuses guerres civiles que connaît le continent africain : le départ de Konan Bédié en décembre 1999 et la chute du régime d'Ange Félix Patassé en République centrafricaine en 2003. Cette action pernicieuse peut aussi venir d'un Etat tiers qui nie toute valeur à un système établi dans un autre Etat. Ainsi, le conflit dans ce cas est caractérisé par la recherche de l'affaiblissement et même la disparition du gouvernement contesté.

I.2.2. Les conflits africains sont personnalisés

Le caractère personnalisé des conflits en Afrique tient au fait que dans cette partie du globe, un seul individu concentre dans ses mains le pouvoir qu'il ne partage avec personne lorsqu'il ne l'incarne pas tout simplement. Aussi les litiges africains sont-ils personnalisés aussi bien dans leur survenance que dans leur développement.

Dans leur survenance, les conflits opposent les chefs d'Etat. Ils ne touchent pas l'Etat voire la Nation comme personnes morales distinctes des personnes physiques. Ils touchent plutôt le chef d'Etat qui est la personnification de l'Etat et de la Nation. C'est ainsi qu'entre deux chefs d'Etat aux orientations politiques et idéologiques divergentes, peut naître un embrasement. Et une fois la tension créée, le conflit va rester « au sommet » puisque opposant essentiellement deux autorités politiques suprêmes et nationalités différentes ; et surtout en raison des corps intermédiaires. Ces conflits resteront davantage au sommet et atteindront rarement le niveau national car « de part et d'autre des frontières, vivent souvent les mêmes tribus parlant les mêmes langues et vivant en parfaite harmonie, confrontés aux mêmes problèmes quotidiens et ne se sentant nullement concernées par les conflits opposant les "sommets" »10(*).

Même si dans sa survenance le conflit africain dépend de la volonté des chefs d'Etat, il faut aussi dire que son amplification est liée à cette même volonté.

La personnalisation des différends africains dans leur aggravation ou leur atténuation tient au fait que ceux-ci n'obéissent qu'aux adversités des personnalités en présence. C'est ainsi que les conflits liés aux options idéologiques différentes de quelques chefs d'Etat suivent la courbe ascendante ou descendante de leurs humeurs. De même un changement de régime politique et donc de chef d'Etat peut faire disparaître le conflit existant. Ceci s'est illustré par les litiges qui, dans les années 60 envenimèrent fréquemment les relations entre le Ghana de NKrumah et le groupe de conseil de l'Entente (Côte d'Ivoire, Haute-Volta, Niger, Bénin, Togo). Ceux-ci cessèrent brusquement avec l'éviction du leader ghanéen du pouvoir. Et de l'autre côté, nous pouvons mentionner la dégradation brutale des relations entre l'Ouganda du président Amin et la Tanzanie du président Nyéréré suite au départ brutal du président Milton Oboté.

I.2.3. Les conflits africains sont identitaires

Loin des aspects politiques, la dimension identitaire est rarement absente des situations qui agitent le continent africain.

Des ethnies, des tribus et même des religions en Afrique s'affrontent férocement à l'effet d'imposer leurs façons de faire et leurs convictions aux autres. Même s'ils ne se déploient pas sur le même spectre que les conflits à caractère politique, ils ont des objectifs comparables. C'est ainsi qu'ils recherchent le contrôle du pouvoir par leur tribu ou les membres de la même religion. Certains au niveau ethnique vont rechercher la réunification des ethnies de même origine. Dans l'aspect religieux ou confessionnel, on cherche à répandre ses croyances sur toute la nation.

Les conflits africains ayant été ainsi caractérisés de politiques, de personnalisés et d'identitaires aussi bien dans leur survenance que dans leur développement, il est maintenant opportun de voir les conséquences que ces situations tristes entraînent dans la vie du continent africain.

CHAPITRE 3 

LES CONSEQUENCES DES CONFLITS

SUR LES PEUPLES AFRICAINS

L'âpreté des conflits qui se déroulent sur le continent ne va pas sans une incidence sur la vie des peuples africains que sur le continent tout entier. Les effets de ces affrontements qui sèment la destruction et une terreur inouïes touche la vie politique et économique ainsi que la vie sociale et anthropologique.

I.3.1. Les conséquences politico-économiques

Les conséquences des conflits en Afrique touchent à l'essence même de l'Etat. En effet, la situation de crise de plusieurs Etats africains prive ceux-ci de leur souveraineté. Les Etats en guerre à cause de cette situation triste vivent dans une certaine anarchie politique. Les conflits font qu'ils puissent exister sans doctrine ou idéologie politique qui promeuve une bonne organisation interne. Dépourvus de cette indépendance ou de cette autonomie du fait des conflits, les Etats africains sont contraints de se tourner vers l'extérieure d'où leur seront dictés les voies et autres programmes de gouvernance concernant leurs pays.

L'état de guerre dans lequel les Africains vivent a aussi pour conséquence une forte instabilité politique et une crise institutionnelle profonde qui empêche l'Etat de fonctionner ou à des administrations de se mettre en place. Sur le plan matériel, ces dernières sont victimes de la déprédation qui, inéluctablement conduit à une sclérose de tout un régime politique.

Dans le contexte qui est celui de notre époque où l'homme éprouve le désir de s'exprimer, de se reconnaître dans la vie politique de son pays et de prendre part à la gestion des affaires publiques, les guerres civiles et autres affrontements créent un déficit démocratique. Dans cette situation, le peuple est littéralement muselé et regarde le jeu politique en spectateur passif et silencieux de la gestion de la cité. Ainsi la société se constitue de sujets plutôt que de citoyens.

Les affres de la guerre et des conflits en Afrique ont une grande incidence sur les économies du continent. Vivant déjà dans une pauvreté abjecte les guerres plongent l'Afrique dans « une crise économique aveugle, insatiable, implacable, lâchée comme une meute de chiens sur nos peuples »11(*). L'univers de la pauvreté étant déjà celui de l'Afrique, les conflits viennent en ajouter par le pillage et l'érosion des ressources et autres richesses naturelles. Car il est fort opportun de remarquer que les régions aux multiples richesses et ayant un sous-sol bien garni sont les cadres de prédilection pour le déploiement des conflits.

Tout ceci conduit les économies africaines à stagner au meilleur des cas et à régresser irréversiblement. C'est ainsi que les Etats sont obligés de recourir à l'écrasante solution de l'endettement auprès des pays riches. La dette augmentant de jour en jour, les pays africains deviennent « chaque jour plus pauvres, plus asservis, plus accablés et pratiquement plus insolvables »12(*). Ainsi obérés, les peuples africains sont réduits à un esclavage économique qui les fait travailler à perpétuité pour rembourser des dettes usurières.

I.3.2. Les conséquences sociales

La société est sans doute l'une des plus grandes victimes des conflits qui ravagent l'Afrique. Ces affrontements sèment dans le tissu social « l'anarchie, la haine, la délinquance, la criminalité et la désagrégation des familles et des communautés »13(*). Déjà déchirée depuis la colonisation, la société africaine du fait des guerres, connaît une autre fissure qui hérisse des frères entre eux. Ceci entraîne de facto le dépeuplement de certaines régions du continent. Fuyant la guerre, plus de 2 millions de personnes ont dû quitter la région des Grands Lacs lors du début des hostilités en 1994 pour aller s'entasser dans les pays limitrophes14(*). Cet état des choses conduit à l'effondrement du vouloir vivre ensemble qui devrait animer les membres d'une société. Ceci justifie d'ailleurs l'inconfort dans lequel sont plongés les peuples d'Afrique.

Les effets ravageurs des guerres touchent aussi les instances essentielles de socialisation que sont la famille et l'école. La première est vidée de sa substance, car ses membres sont littéralement amputés. L'institution elle-même est bafouée et les liens entre parents et enfants étiolés.

L'école aussi subit les secousses des conflits africains. Les systèmes éducatifs sont inexistants, les structures pillées et saccagées par des belligérants qui les transforment en bases militaires. Les enfants africains pourtant éprouvent une grande soif d'étudier et d'être instruits. C'est ce désespoir d'une jeunesse africaine involontairement aux abois que Yaguine Koïta et Fodé Tounkara ont voulu exprimer. Découverts en juillet 1999 dans la loge du train d'atterrissage d'un Airbus de la compagnie belge Sabena assurant la liaison Conakry-Bruxelles, ces deux jeunes guinéens âgés respectivement de 14 et 15 ans ont tenté comme beaucoup d'autres africains de rejoindre l'Europe par une voie radicale et impossible. Afin que nul n'ignore la tragédie que vit la jeunesse en terre africaine, ils ont laissé à la postérité un testament, « une lettre, une simple empreinte de la candeur maladroite de l'adolescence »15(*). Dans ce testament découvert sur la poitrine glacée de Yaguine, les deux jeunes écrivent :

 « Nous avons (...) un grand manque d'éducation (...), si vous voyez que nous nous sacrifions et exposons notre vie, c'est parce qu'on souffre trop en Afrique et qu'on a besoin de vous pour lutter contre la pauvreté et mettre fin à la guerre en Afrique. Néanmoins, nous voulons étudier et nous vous demandons de nous aider à étudier pour être comme vous, en Afrique »16(*).

Le diagnostic de ces jeunes africains frappe par son acuité et sa profondeur. Dans le continent, la guerre ruine tout sur son passage. Elle nous met mal à l'aise sur notre propre terre.

I.3.3. Les conséquences anthropologiques et psychologiques

L'homme est indubitablement le plus affecté par les différents affrontements qui sèment désolation et mort dans les coeurs et la vie des hommes. A ce propos, les chiffres sont très éloquents : l' «automne de sang » du Burundi et  «l'été meurtrier » du Rwanda ont fait plus d'un million de morts. Les massacres à grande échelle dans l'ex-Zaïre devenu République Démocratique du Congo ont coûté la vie à 3 millions de personnes17(*) ; au Soudan, la spirale de violence que connaît ce pays depuis un demi-siècle a déjà causé la tuerie de plus de 2 millions d'êtres humains18(*) ; la guerre civile au Tchad a fait périr plus de 300 000 personnes.

Au-delà de ce funeste constat, il faut dire que les conflits africains ont une autre incidence. Ils sont à l'origine d'une annihilation anthropologique. Celle-ci dépouille l'homme de « ses attributs humains, pour le réduire à l'état de bête de somme, pour l'instrumentaliser, le chosifier »19(*). Dans ce registre de l'instrumentalisation, les enfants sont les premières victimes. Enrôlés dans des factions armées, de nombreux enfants africains deviennent soldats et hypothèquent leur avenir car considérés comme des instruments pour une fin militaire.

Leurs mamans connaissent aussi un sort similaire. Elles sont « victimes de violence et d'humiliation de toutes sortes »20(*) et constituent des armes de guerre, un butin pour les vainqueurs et des objets soumis au bon vouloir des belligérants. Les conflits font du viol des femmes une arme de guerre, les corps de celles-ci sont devenus des champs d'armés lorsqu'ils ne sont tout simplement pas mis à prix.

Ce qui précède témoigne du triste destin de l'Homme dans l'Afrique des conflits. Cette situation « affecte la condition humaine dans ses racines les plus profondes et dans ses droits fondamentaux »21(*). C'est donc toute la condition humaine que les conflits sapent. L'homme ici est dénié de son humanité, blessé dans son être, vidé de sa substance humaine et de sa sève anthropologique.

Cet état de chose pousse notre réflexion à examiner les causes qui ont conduit l'Afrique dans cette situation. Tel sera l'objet de la prochaine partie de notre travail.

DEUXIEME PARTIE 

LES CAUSES DES CONFLITS

PRESENTATION DU PROBLEME

La partie précédente nous a permis de nous rendre à l'évidence de l'effectivité des conflits sur le continent africain. Cela était nécessaire dans la mesure où pour parler d'une réalité, il faut être certain de son existence. Ainsi nous avons pu prendre connaissance des types de conflits qui agitent l'Afrique, de leur spécificité et des conséquences que ceux-ci ont sur l'ensemble du continent africain.

La réflexion que nous conduisons veut à ce stade mettre en lumière la réalité que constituent les conflits. Pour y arriver, il nous faut cerner l'ensemble des conditions des violences. Nous voulons comprendre et élucider ce qui fait que la vie des communautés humaines en Afrique soit une source d'agression et de luttes. Ceci va nous conduire à une analyse des facteurs qui rendent hostile la cohabitation des hommes sur le continent africain. Dans le cadre de notre travail, nous allons arrêter une trilogie de facteurs qui mettent la paix en péril sur le continent. Pour ce faire, nous distinguerons des causes qui vont de la gestion des hommes, de leur vie dans la communauté jusqu'à leur identité.

CHAPITRE 4 

LES CAUSES POLITIQUES

Nous allons ici nous intéresser aux facteurs se rapportant à l'organisation de la vie collective et à l'exercice du pouvoir. Nous voulons comprendre comment ils arrivent à être à l'origine d'antagonismes. Notre analyse à ce niveau va s'articuler autour de la convoitise des grandes puissances pour l'Afrique et de la gestion du pouvoir.

II. 4.1  Le dépeçage et la balkanisation de l'Afrique

Fait historique, la colonisation a légué à l'Afrique des frontières artificielles. Exclusivement réalisé sur la carte et non sur le terrain, un tel découpage ne pouvait être que vague et approximatif. Ayant rassemblé sur une même aire géographique des peuples épars et hostiles, un tel découpage a formé non pas des sociétés mais des agrégations. Les hommes ainsi mis ensemble ont formé des groupes où « la conscience nationale et le vouloir le vivre-ensemble sont inexistants »22(*). Et puisque les hommes lorsqu'ils sont arrachés à leurs racines sont enclins à s'attaquer et à se détruire, l'on comprend aisément la naissance des antagonismes au sein des sociétés africaines.

Usant soit du procédé astronomique qui fixe la frontière suivant un degré de méridien ou de parallèle, soit du procédé géométrique qui se contente de suivre des lignes rectilignes, soit à un degré moindre des limites naturelles.23(*) Ce partage a donc exacerbé les particularismes qui habitent la nature humaine. Et en l'absence d'une forme «d'association qui défende et protège de toute la force commune la personne et les biens de chaque associé, et par laquelle chacun, s'unissant à tous, n'obéisse pourtant qu'à lui même, et reste aussi libre qu'auparavant »24(*), l'on a eu droit à une forme de division pour mieux gouverner et exploiter. C'est alors que les peuples ne pouvaient que sombrer dans les querelles entretenues par la méfiance et la rivalité qui caractérisent la nature humaine. Il faut admettre que chaque peuple est foncièrement enclin à prendre l'offensive en vue de son profit, de sa sécurité et de sa réputation.

Arbitrairement façonnée, cette délimitation du continent ne pouvait que préparer le lit à l'impérialisme occidental. La logique de celui-ci était de semer la discorde afin de s'installer et de régner.

II.4.2. L'ingérence des grandes puissances

Les soubresauts qui agitent l'Afrique, s'expliquent aussi par la tendance des grandes puissances à dominer les Etats pauvres du continent africain. L'Afrique se trouve alors happée par plusieurs puissances aux volontés expansionnistes avouées et à l'hégémonie établie. Avec des appétits aiguisés, ces grandes puissances s'affrontent très farouchement sur le sol africain avec pour seul objectif, contrôler leurs positions et satisfaire leur instinct de conservation.

Cette insidieuse immixtion des grandes puissances se manifeste aussi par des politiques dangereuses que sont l'impérialisme, le colonialisme et le néo-colonialisme. Toutes ces politiques visent à réaliser la dépendance des Etats africains, à les contrôler et à transformer les dirigeants « en marionnettes ou en toupies entre les mains des manipulateurs »25(*) occidentaux. Retrouvant en face des Etats africains qui se refusent à être des nations saprophytes, la situation ne peut que se tuméfier. Conscients aussi que « la souveraineté est inaliénable, et indivisible »26(*), les Etats d'Afrique seront contraints de défendre leur autonomie arrachée à l'envahisseur Blanc au prix du sang. Ceci va dégénérer en tensions violentes car d'un côté il y a cette volonté des grandes puissances d'asservir les jeunes Etats africains ; et de l'autre les pays africains qui jaloux de leur indépendance veulent plutôt fonder leurs relations avec les nations occidentales sur le principe de la souveraineté qui est le fondement de tout Etat.

Si cette menace à la stabilité du continent africain est externe à celui-ci, il faut dire qu'il existe aussi au sein même du continent une autre menace tout aussi grave. Celle-ci est liée à l'organisation du pouvoir.

II.4.3. Le déficit démocratique et la régionalisation du pouvoir

Une autre source de conflit en Afrique apparaît dans l'exclusion du peuple de la gestion des affaires de la société et la confiscation du pouvoir par un clan ou une région. Dans de nombreux Etats africains, les dirigeants règnent sans partage et en usurpateurs de l'autorité souveraine. Leurs Etats sont régis par des régimes où la volonté du chef vaut la loi, « c'est le règne de la subjectivité, de l'arbitraire d'une conscience qui agit dans son seul intérêt, au mépris du bien commun »27(*), et celui de la cité.

En l'absence de toute volonté générale, les dirigeants africains ne rendent les comptes de leur gestion du pouvoir à personne. Les hommes dont le gouvernement leur revient sont considérés comme des esclaves. Ces chefs concentrent entre leurs mains tous les pouvoirs. L'apparente distinction de ceux-ci est superficielle et de l'ordre du simulacre. Avec des leaders « exigeant une obéissance extrême, sans négociation ni accordement »28(*), les Etats africains sont des lieux d'oppressions, de bestialité, du déni d'humanité et du refus de toute liberté.

Il y a peut-être lieux de se rebeller en Afrique lorsque ceux qui tiennent les rênes du pouvoir ne garantissent pas les libertés liées à la personne humaine et lui refusent la dignité relative à tout homme. Dans ces conditions, les dirigeants s'approprient le pouvoir non pour le bonheur des citoyens mais pour les avantages qu'il leur confère (honneurs et richesses). Et en l'absence de toute vertu, les leaders africains gouvernent sans amour de la patrie, de la justice et de la frugalité. C'est alors que les hommes assoiffés de justice et se reconnaissant égaux quant aux facultés du corps et de l'esprit, et désireux d'exprimer leur opinion vont prendre d'assaut les régimes liberticides.

Quand ce n'est pas un seul individu qui confisque le pouvoir, c'est une minorité d'individus qui dirige. Or dans une société, pour que règne l'harmonie, il est nécessaire « que toutes les voix soient comptées ; toute exclusion formelle rompt la généralité »29(*). Une large proportion de l'Etat est ainsi mise en marge du pouvoir puisque réduite à obéir à une infime minorité qui « tient tous les autres sous sa dépendance et veut garder le pouvoir absolu, qu'il a déjà acquis et sans restriction de l'utiliser. Il régente les autres, les exploite, les pille »30(*). Cette minorité détient la réalité et l'exclusivité du pouvoir. Récupérée par un leader charismatique, cette injustice dégénère très vite en des antagonismes épouvantables.

Ce schéma des causes politiques des violences en Afrique influe inéluctablement sur la vie en société dans le continent. Là aussi d'autres facteurs sont à l'origine des différends.

CHAPITRE 5 

LES CAUSES SOCIALES

La société africaine est divisée. Lieu de l'épanouissement de l'homme et de son accomplissement, la vie sociale en Afrique est hostile à l'homme. Régie par la loi des fauves, la société africaine dévalorise l'homme. Les facteurs de ce paradoxe vont du mauvais partage des biens de la communauté, des ressources et l'inaptitude à gérer les nouveaux enjeux démographiques.

II.5.1. La répartition disproportionnée du bien commun

Dans un Etat, la fin du pouvoir établi est la poursuite du bien commun des membres de la société pour leur procurer le bonheur. Le bien commun est la fin recherchée par tous les membres d'une société. Les efforts des détenteurs du pouvoir doivent tendre vers ce bien. Car le gouvernement des hommes par d'autres hommes ne se justifie que par la recherche du bien des gouvernés. Le bien commun se présente donc comme la première exigence de la société et une propriété de la vie publique.

Mais il se trouve que sur le continent africain, la notion du bien commun est évacuée de la plupart des sociétés. Bien de tous et de chacun, le bien commun est mis en péril par le nombrilisme et l'égoïsme qui habitent les Africains. Ne se souciant pas de l'autre, une minorité s'approprie les privilèges dus à tous les membres de la communauté. Ceci est favorisé par l'attitude des dirigeants qui accèdent au pouvoir dépourvus de vertu communautaire. Nous assistons à une situation où l'individu a la primauté sur la communauté. La valeur de celle-ci et le sens du bien commun perdent prise et reculent car la société est devenue le lieu où une « forme d'individualisme égocentrique et antisocial fait prévaloir les intérêts particuliers sur le bien commun »31(*). Cette situation crée des déséquilibres et fait des marginalisés qui pour vivre vont revendiquer leur droit au bien commun.

Cette recherche du bien individuel au détriment du bien commun trouve son corollaire dans la distribution des ressources issues des efforts communs.

II.5.2. L'inégal partage des ressources

L'essor du particularisme en Afrique a son prolongement dans le partage des ressources issues des sacrifices communs. Pour assurer des conditions de vie décentes, les peuples partageant une même aire géographique doivent vivre une unité qui les conduit à construire l'histoire. Au-delà d'une unité territoriale et biologique, ces peuples doivent refléter une unité supra individuelle. Cette unité en Afrique semble inexistante lorsqu'il s'agit d'établir des équilibres pour partager les ressources, fruit de l'effort de tous.

En effet, comme dans la danse des forts, les individualismes se font jour. Les plus puissants sur le continent soumettent les petits et les faibles pour tirer parti des richesses communes à leur propre fin. Comment ne pas s'étonner que cette injustice et cette partialité deviennent une règle sur le continent africain ? Des régions entières et des peuples nombreux sont exclus et mis à l'écart lors de la redistribution des retombées des sacrifices collectifs. Entre deux parties d'une même nation, le fossé est grand et béant : l'une prospère et se développe rapidement, tandis que l'autre s'enfonce dans les profondeurs de la misère. Où est passé le sens de la communauté et de la solidarité, valeurs traditionnelles de l'Afrique ? Ce serait juste de dire que l'Africain veut rentrer à son état primitif où le sens du partage, de l'égalité n'était valable que dans le groupe dont il était issu. Ce rejet de l'autre se manifeste aujourd'hui en Afrique par l'abandon dont souffrent certains peuples de la part de leurs gouvernants.

La justification de cette partialité cache un autre facteur de conflit qui trouve son origine au sein de la société. Il s'agit de nouveaux enjeux démographiques.

II.5.3. La mauvaise maîtrise du boom démographique

L'évolution de chaque société est liée à des profondes mutations. L'une des faces visibles de cette métamorphose c'est la croissance de la population. Dans de nombreux Etats du continent africain, le nombre d'habitants a presque doublé. Ceci fait naître de nouvelles nécessités et des défis majeurs : satisfaction des besoins physiques, affectifs, intellectuels et culturels.

De par sa nature, l'homme aspire à un état supérieur. Sa lutte constante consiste à effectuer « le passage des conditions de vie moins humaines aux conditions de vie plus humaines »32(*). Dans sa singularité et son dynamisme, la personne humaine est tendue vers la plénitude. L'atteinte de cette fin est conditionnée par la mise en place des structures favorables à l'achèvement de l'homme et donc de la société tout entière. Lorsque ces structures font défaut, l'avenir devient incertain et la vie précaire. Ceci est le cas du continent africain où la personne humaine n'arrive pas à satisfaire ses besoins fondamentaux et à s'assurer un minimum de bien-être. Il n'a plus de dignité et vit dans une peur et une inquiétude permanentes. Afin de se munir d'une assurance et de pouvoir survivre, il fait la guerre à l'autre.

Ce tableau des disparités sociales qui génèrent les conflits est comme l'arbre qui cache la forêt. Si les antagonismes existent bien à l'intérieur du tissu social, cela est révélateur d'une source de conflit qui se cache en l'homme et partout dans sa culture.

CHAPITRE 6 

LES CAUSES

IDENTITAIRES ET CULTURELLES

Souvent négligée ou même ignorée, la question de l'identité et de la culture se révèle aujourd'hui comme le berceau des conflits en Afrique. La considération que l'Africain a de lui-même et le regard qu'il pose sur son frère caressent des éruptions de violence. Celles-ci se situent au niveau intersubjectif, ethnique et religieux.

II.6.1. le repli sur soi et le rejet de l'altérité

L'Africain est soumis dans la relation qu'il entretient avec l'autre à des égoïsmes. Les échanges qu'il a avec son semblable sont marqués et teintés d'individualisme et du rejet de l'autre. Pour l'homme africain, l'autre est un ennemi et non une source d'enrichissement et d'épanouissement. C'est pourquoi, il cherche à assimiler son frère, à l'absorber et même à l'annihiler. L'Africain cherche au quotidien par tous les moyens nécessaires à se conserver, il « trouve son compte dans le malheur d'autrui »33(*), la disparition de celui-ci fait sa prospérité.

A l'égard de l'autre, l'Africain entretient des préjugés dévalorisants et dégradants qui, loin d'élever son frère, le rabaissent et le diminuent. Tout ceci vise à ravaler le mérite que l'autre peut avoir. Chacun se croit au-dessus de l'autre et entretient un complexe de supériorité et une grande outrecuidance34(*).

Ceci est une attitude réciproque que les hommes africains ont entre eux. Les différences et les divergences sont plutôt des fonds de commerce pour des oppositions et des luttes violentes. Ainsi, naissent des rivalités incessantes qui se justifient par le fait que l'Africain n'admet pas que l'homme dans sa constitution métaphysique est limité et imparfait. Il est nécessaire pour lui de s'ouvrir à l'altérité pour être finalisé et atteindre son accomplissement.

L'homme africain refuse d'admettre l'autre, de le reconnaître comme son semblable et son alter ego. Il se replie et se referme sur lui-même. Il ne reconnaît pas l'autre comme personne humaine et le regarde à travers le prisme déformant d'un subjectivisme déshumanisant et diabolisant35(*). Chacun voulant valoriser son humanité et exprimer son instinct de conservation, l'Afrique ne peut que se transformer en pugilat géant.

II.6.2. Le mythe de la culture et de la tribu

A la suite de l'enfermement sur soi qui caractérise l'Africain, la question tribale et culturelle, manifeste de façon retentissante les égoïsmes de l'homme africain. L'allégorie et l'amplification que l'Africain cultive autour de sa tribu et de sa culture est une donnée essentielle dans la compréhension des facteurs qui agitent l'Afrique36(*).

En effet, l'Africain tient à sa culture, à sa tribu et ne s'en cache point. Il voue à celle-ci un véritable culte. Faisant d'elle un mythe, l'Africain pense que la culture à laquelle il appartient est supérieure à toutes les autres et ne peut rien recevoir d'elles. Convaincu de la pureté et du caractère immaculé de sa culture, l'homme africain s'enferme dans celle-ci et s'oppose à toute ouverture. Il pense que c'est sa culture qui devrait être imposée aux autres. Ce refus de l'interculturalité enferme l'Africain dans un isolement culturel ; réalité qui ne peut que renforcer les clivages entre les peuples et accroître le sectarisme, le népotisme et le tribalisme.

Cette exacerbation de la conscience culturelle nourrit chez l'Africain le préjugé ombilical. Celui-ci fait croire que les autres cultures relèvent simplement du barbarisme. C'est pourquoi au niveau social, chacun « se sent une responsabilité extrême pour sa région [culturelle] et s'emploie à la développer de façon préférentielle »37(*) au détriment des autres.

Même le partage d'une aire géographique par des tribus de cultures différentes n'est pas sans oppositions. Ressemblant davantage à un dîner avec le diable, ces ethnies ne partagent ni les valeurs, ni les émotions encore moins des productions spirituelles. La réticence très vivace à donner sa fille en mariage dans une entité culturelle autre que la sienne illustre cette hostilité ad libitum. C'est cette animosité que le poète a entrevue quand il écrit :

« Le kota n'aime pas le téké

Qui n'aime pas le vili

Qui ignore le Kassaï

Ils ont la chrétienté

Qui les rattache à Rome »38(*)

mais point à l'Afrique leur mère.

Cette coloration ethnique et culturelle des relations entre africains « dresse des barrières de préjugés qui renforcent l'isolement social »39(*) et qui entretiennent les antagonismes dans les rapports quotidiens. La diversité et la différence culturelles qui doivent être des sources d'enrichissement humain sont plutôt des armes d'opposition.

II.6.3. La fielleuse cohabitation interreligieuse

Réalité sous estimée ou fait occulté, la dimension religieuse est rarement absente de nombre de situations qui alimentent les conflits en Afrique. S'enracinant au sein d'une tradition, la religion s'épanouit dans la communauté. Dans ce contexte, la religion est appelée à servir l'intégration dans une société en favorisant la convivialité sociale. Elle doit aussi véhiculer l'accueil de la différence autant culturelle qu'éthique.

Mais à l'intérieur des frontières africaines, la coexistence des religions différentes rencontre des difficultés dues à des graves hostilités réciproques.40(*) Et puisque la religion est véhiculée par une culture, il ne peut en être autrement dans le cas de la coexistence interreligieuse. Avec des enjeux culturels et même politiques, la diversité religieuse est la tumeur privilégiée de l'enflement des antagonismes africains du fait de « l'héritage du passé mal intégré, à cause d'une connaissance et d'une compréhension superficielle de la religion de l'autre et à cause de l'intolérance religieuse, du fanatisme religieux, de la méfiance et de la suspicion à l'égard »41(*) des autres confessions religieuses.

Nous le voyons, le fondamentalisme intrépide et militant de chaque religion, rejette les différences et la fraternité inter religieuses.

Dans ces conditions, comment l'échange des idées, la tolérance, l'ouverture spirituelle et la réciprocité peuvent-ils s'épanouir ? Aussi, l'Afrique sombre-t-elle dans l'opiniâtreté des spasmes qui agitent sa stabilité.

Nous venons de faire un examen des facteurs générateurs des conflits et des violences en Afrique. Des sources politiques, sociales et culturelles, notre analyse nous a permis de nous rendre à l'évidence que les égoïsmes, l'instinct de conservation et l'individualisme sont la racine pivotante des luttes africaines. Eu égard à cela, comment faire comprendre à l'homme africain que de part sa nature limitée, il doit accepter l'autre malgré sa différence pour atteindre son accomplissement ?

TROISIEME PARTIE 

ALTERNATIVES PHILOSOPHIQUES FACE AU DRAME DES CONFLITS

EN AFRIQUE

PRESENTATION DU PROBLEME

Dans la partie antérieure, nous avons pu identifier les différentes sources des affrontements. Ceci nous a permis de comprendre les origines des conflits africains. Cette étape était nécessaire dans la mesure où nous avons pu poser le diagnostic de la tragédie africaine afin de pouvoir en proposer une cure. Nous le savons, nous ne pouvons prétendre guérir un malade si nous nous trompons sur le diagnostic de son mal.

A ce niveau de notre réflexion, nous voulons suggérer les voies idoines que les Africains devraient emprunter pour juguler cette avalanche de déchirements que connaît le continent. C'est grâce à cela que les relations entre africains loin d'être hostiles, pourraient être empreintes d'aménité et de tolérance. Aussi est-il opportun de souligner que dans le cadre de la réflexion que nous menons, nous exclurons toute alternative qui vise la destruction, la soumission de l'homme, et qui cherche à imposer la paix par la force.

Nous ne nous intéresserons qu'aux alternatives qui façonnent l'homme, l'élèvent, le respectent, le valorisent, le conduisent à la vertu et à un dépassement de son ego. A cet égard, l'éducation apparaît comme l'antidote efficace pour réduire au maximum les désordres existants en Afrique.

CHAPITRE 7 

VERS UNE TRANSCENDANCE

DE L'INDIVIDU

L'individualisme et le rejet de l'altérité, semblent être à n'en point douter les sources des conflits en Afrique. Dépasser l'individu apparaît alors nécessaire pour que les relations intersubjectives soient moins conflictuelles.

III.7.1. S'éduquer à la réciprocité

L'éducation est le chemin que doivent emprunter les Africains pour mettre fin aux individualismes. Elle est la voie par laquelle l'individu meurt en lui et sort de ses cercles égoïstes. Pour ce faire, l'Africain doit s'éduquer à la réciprocité. Par celle-ci, l'individu cesse de se renfermer sur lui-même et s'ouvre à l'autre malgré la différence qui les caractérise. A cet égard, la société humaine cesse d'être un champ de luttes des intérêts subjectifs pour devenir un lieu de partage  et d'échange.

Cette éducation à la réciprocité doit amener les Africains à accéder à la valeur humaine qu'est la solidarité. Si l'Africain s'approprie cette valeur, il pourra désormais se dépasser et « s'ouvrir à tous et oeuvrer pour tous dans un engagement personnalisé et communautaire »42(*). Ainsi tout en gardant son individualité, l'homme africain deviendra un être communautaire qui tait les intérêts particuliers, générateur de luttes ; pour faire prévaloir l'intérêt de tous. En s'éduquant à la solidarité, l'Africain fera naître en lui les qualités que sont : L'amour, la charité, l'assistance et la parenté humaine. C'est alors que les individus peuvent vivre ensemble, s'ouvrir mutuellement et s'engager à édifier une Afrique plus humanisée. A ce titre, l'éducation à la solidarité fonde la paix et appelle à l'altérité.

Il faut que l'Africain s'éduque à l'altérité pour dédramatiser le continent. Celle-ci convie à une ouverture qui attribue à l'autre une place dans mon être. Avec elle, l'homme africain reconnaîtra que le bien être de l'Afrique passe par la contribution de tous et l'acceptation de l'autre. Ainsi tous les Africains peuvent s'accueillir et s'unir sur l'unique base universelle de leur identique nature et de leur égale dignité. Et c'est au nom de cette altérité que les Africains « sont appelés à dépasser les différences qui les séparent qu'elles soient naturelles (familles, tribus, ethnies, race...) ou conventionnelles (associations, religions, nations) »43(*) pour rejoindre l'autre dans sa divergence, sa particularité et construire une société universelle.

III.7.2. S'éduquer à une conscience de la paix

L'analyse des causes des conflits nous a fait constater que l'Afrique s'est bâtie une nouvelle culture : celle de la guerre et de la violence. A l'origine de celle-ci, les appétits démesurés, les passions non maîtrisées des africains. Il faut donc transformer cette culture de l'agression en une culture de la non violence et de la concorde.

Pour y arriver, l'homme africain doit s'éduquer à la conscience de la paix. Dans son agir et dans son être, il doit en faire son option fondamentale au quotidien. La paix est donc une construction permanente. Plus que la corvée de Sisyphe dans la mythologie grecque, elle est le travail de l'araignée tissant sa toile. Ceci se fait dans un effort constant que l'Africain aura, de se rapprocher de l'autre dans la vérité, la liberté, la justice, la fraternité et le pardon.

Dans la vérité, l'Africain doit apprendre à écouter l'autre et avoir le souci d'intégrer la part de vérité dont il est porteur.

Dans la liberté, l'Africain doit se débarrasser de ce désir et de cette volonté de tout ramener à lui, à accumuler les avantages, l'argent, les richesses et le pouvoir. Ceci doit le libérer de la peur qui diabolise l'autre et « engendre les mécanismes de défenses que sont les préjugés, les procès d'intention, les caricatures de l'autre, les jugements dévalorisants, les discours xénophobes ou racistes »44(*).

Dans la justice, l'Africain doit s'astreindre au respect de certains droits et devoirs : Droit à l'éducation, à la santé, au travail et au respect de la dignité humaine.

Dans la fraternité, l'Africain doit détruire les murs qui le séparent des autres et les accueillir dans la grande famille humaine qui est au dessus des liens naturels et conventionnels.

Dans le pardon, l'homme d'Afrique refusera de réduire l'autre au seul acte qu'il a posé et acceptera de renouer une relation avec lui. C'est grâce à cela qu'ils pourront ouvrir un horizon nouveau et préparer de façon édifiante l'avenir.

Cette éducation à une conscience de la paix devra amener l'Africain à avoir un respect aigu de « la vie conçue, naissante, croissante et vieillissante (...) car l'avenir de l'humanité dépend nécessairement »45(*) du prix accordé à celle-ci.

La conscience de la paix à laquelle l'Africain doit se former ne fait pas table rase du passé. Elle garde plutôt éveillé la mémoire de ce dernier et le souvenir de celui-ci « l'empêche de reproduire des tragédies qui ont eu lieu dans le monde et l'aide à bien organiser la vie sociale »46(*). Sans exclure les divisions et les rivalités, mais seulement leur expression violente ; la conscience de la paix doit dépasser la simple absence de troubles pour établir entre les Africains une confiance réciproque et pérenne. C'est dans cet état que ceux-ci peuvent tisser des liens sociaux et « faire éclore les potentialités de chaque personne qui peut alors se développer, s'affirmer et se réaliser »47(*) pour le bonheur de tous.

III.7.3. S'éduquer à la vertu et aux valeurs

Le déficit de vertu est observable chez l'Africain48(*). Aussi est-il porté à agir de façon excessive et passionnée. Cette carence convie à une éducation à la vertu prise ici dans le sens d'une disposition habituelle à réaliser des actes moraux, à vouloir le bien et à le faire.

Humainement, l'Africain doit s'éduquer à pratiquer les quatre vertus cardinales que sont : La tempérance, la prudence, la force et la justice49(*).

Il devra davantage s'approprier la prudence qui consiste dans la force de l'esprit et dans la connaissance de la vérité. Celle-ci lui permettra d'acquérir la prévoyance par laquelle il peut éviter les dangers de la vie.

La justice, première vertu sociale devra aussi être pratiquée. Elle permettra à l'Africain de se décentrer de lui-même. Elle implique en fait toutes les autres vertus sur lesquelles elle exerce une fonction ordonnatrice. Celle-ci aidera l'Africain à reconnaître jusqu'à quel point il est légitime de respecter autrui dans ses idées, ses sentiments, sa liberté et sa propriété. Par l'exercice de la justice, l'homme d'Afrique saura apprécier les mesures générales qui s'impose à tous et permettent de bien attribuer les avantages communautaires.

Au niveau politique, l'éducation à la vertu doit cultiver en l'Africain « cet amour demandant une préférence continuelle de l'intérêt public au sien propre »50(*). Cet amour est le principe de la république et de la démocratie. Cela exige de l'Africain une prédilection pour l'Etat et non pour son propre salut. Ceci n'est pas facile car il est question de renoncer à soi-même pour faire des actions utiles aux autres.

En outre, l'homme africain devrait s'éduquer à la valeur suprême et sacrée qu'est la vie. Celle-ci est ce par quoi la personne humaine arrive dans le monde et existe. Par elle l'homme se réalise et s'accomplit dans l'histoire de façon singulière. A ce titre, il faudrait savoir que la vie est précieuse et revêt un caractère inviolable. Il s'agit de prendre conscience que « la vie est une caractéristique fondamentale de la condition sociale de la personne humaine. Sans elle, la famille, la société (...) n'existeraient pas (...). Elle est tout et sans elle rien n'est »51(*). Il est dès lors question de cultiver la vie, de la faire épanouir en évitant de l'agresser et de l'annihiler. La nature ayant horreur du vide, la vie apparaît comme cette « victoire de l'être sur le néant »52(*). Loin de la supprimer, il faut pour l'Africain apprendre à perpétuer la vie.

L'Africain est convié à sortir de lui-même. Se transcender revient pour lui à dépasser cet amour exclusif et excessif qu'il a de sa personne. C'est la voie pour ne plus subordonner l'intérêt de l'autre au sien propre et de juger tout de ce seul point de vue. Cette tâche est individuelle mais fait aussi appel à une oeuvre communautaire et collective au niveau identitaire.

CHAPITRE 8 

DEPASSER LES DIVERGENCES

IDENTITAIRES

En plus du renoncement à soi qui s'impose à l'Africain, les différences identitaires exigent un surpassement. L'oeuvre d'éducation doit s'opérer au triple plan des identités culturelles, ethnico tribales et religieuses.

III.8.1.  S'éduquer à la transculturalité

La fermeture mutuelle des identités culturelles nous l'avons dit est à l'origine de l'écartèlement dont souffre l'Afrique. Tout l'enjeu est là : comment faire converger ces divergences pour une existence harmonieuse sur le continent ?

L'éducation à la transculturalité doit consister à dépasser la dimension conflictuelle des cultures actuelles qui est liée à leur nature nationale. Cette éducation doit aussi oeuvrer pour une ouverture de chaque culture à « d'autres identités culturelles dans la quête commune des idées universellement valides et transculturelles »53(*). Cette ouverture des identités culturelles particulières devrait se comprendre au sens du rapport que l'universel entretient avec le particulier. Il est donc question d'aller au-delà des bornes géographiques et des liens génétiques ; car la vocation de la culture est d'aller « au-delà de l'unité territoriale et biologique qui définit la nation »54(*) pour valoriser l'homme et le mettre au centre de tout. Le défi majeur de cette transculturalité est de considérer l'homme africain blessé pour le restaurer dans sa dignité.

L'éducation à cette supra culture répond à cette « aspiration plus profonde et plus universelle : les personnes et les groupes ont soif d'une vie pleine et libre, d'une vie digne de l'homme »55(*). Or nous l'avons relevé dans notre réflexion, la blessure systématique des droits de l'homme en Afrique est une réalité, les systèmes tyranniques et les structures injustes sont existants. La tâche de cette transculturalité est d'inculquer à l'Africain l' « idée de l'homme comme icône à la fois de l'humanité et d'une réalité surnaturelle »56(*). Il s'agit de faire connaître à l'Africain que son frère est porteur et représentant « d'une humanité supra-culturelle conçue comme transcendantal des idéaux d'universalité »57(*).

Cette conscience d'une humanité supra-culturelle appelle une interculturalité par laquelle les cultures peuvent dialoguer et échanger. Dans ce dialogue, chaque culture est vivifiée parce qu'elle reçoit des moments et des impulsions d'autres cultures qu'elle doit s'approprier. C'est cet échange qui participe du processus d'individuation dans lequel les individus cherchent à atteindre leur individualité spirituelle ou leur liberté de création58(*).

Seulement, la supra-culture à bâtir serait parcellaire si elle ignorait l'assise spirituelle de l'homme. Le danger est de construire une transculturalité de l'homme de manière unidimensionnelle. Il ne faudrait pas perdre de vue que la spécificité de l'homme tient aussi à sa dimension spirituelle. Celle-ci relie l'homme à « une valeur phare qui le guide et qu'il suit, qui le mobilise tout entier, habite en lui et donne raison et sens à toute activité et à tout être »59(*). Ce fondement spirituel sur lequel la supra culture devrait reposer donnera toute sa plénitude et une splendeur originale à cette entreprise. C'est ainsi que l'homme parviendra à son développement intégral.

III.8.2. Surpasser la conscience ethnico-tribale

Nos analyses précédentes nous ont rendu à l'évidence de l'hostilité que se vouent les ethnies africaines. L'attachement à la tribu et au lien de sang s'est exacerbé. Chaque culture croit à sa suprématie. Ceci crée l'isolement et l'exclusion que nous dénonçons60(*).

L'homme d'Afrique devrait s'éduquer à un échange et à l'accueil interethnique. Ceci est un « facteur de rapprochement entre les êtres, en visée d'égalité, de fraternité, de compréhension mutuelle et donc comme instrument de lutte contre le repli sur soi, le rejet de l'autre »61(*). Cette atténuation de la conscience tribale chez l'Africain brise l'autarcie et fait tomber les murs de l'enfermement ethnique. Ce rapprochement valorise l'homme indépendamment de son extraction tribale. C'est à cela que l'Afrique est conviée pour apparaître indivise, massifiée, « solidaire dans l'égalité des chances et où les communications interpersonnelles et inter sociétales auront une place de choix »62(*).

L'exaspération de la conscience ethnico tribale a conduit le tissu social africain dans les lacunes que sont « le régionalisme et le népotisme dans lesquelles l'individu à cause de la pression sociale et mû par l'intérêt individualiste régional, se sent une responsabilité extrême pour sa région et s'emploie à la développer de façon préférentielle »63(*). Ces tares conduisent au rejet des autres, à la négation de l'humanité qui est en eux et portent un coup dur au lien social avec des conséquences désastreuses. Sans déconseiller l'attachement à sa tribu qui d'ailleurs est légitime, le surpassement de la conscience ethnique et tribale devrait permettre à l'Africain de s'appuyer sur sa communauté d'origine pour le développement de la nation entière. Ceci pourrait faire régresser cette outrecuidance qui existe entre les ethnies africaines pour les établir dans une crédibilité réciproque.

III.8.3. Se soumettre à la tolérance religieuse

L'homme nous l'avons dit a une dimension matérielle et spirituelle. Comme esprit, il fait de la religion en déployant une activité intérieure qui le met en communion avec la transcendance. Comme telle, la religion est un fait individuel mais aussi communautaire car se vivant dans un groupe. Ceci crée donc un pluralisme religieux qui en Afrique est une réalité.

Seulement, la coexistence de plusieurs religions est cause d'affrontements et de luttes. D'où la nécessité d'apprendre et de se soumettre à la tolérance religieuse. Celle-ci favorise la cohabitation pacifique de plusieurs religions et suscite le respect de l'autre.

Cet apprentissage de la tolérance religieuse met un frein à des attitudes subversives, telles que le fanatisme, les guerres de religions et l'extrémisme pour faire prévaloir la liberté religieuse qui « consiste en ce que tous les hommes doivent être soustrait à toute contrainte de la part soit des individus, soit des groupes sociaux et de quelque pouvoir humain que ce soit »64(*). C'est dire que chaque religion doit exister sans crainte ou sans chercher la répression quelconque d'une autre religion. Cette absence de contrainte devrait se faire dans le respect et la responsabilité eu égard à la personne humaine. Car comme valeur et liberté, l'homme a ses convictions religieuses et ne devrait pas être persécuté au non de celles-ci. Rejeter la différence religieuse est l'expression d'une volonté hégémonique.

Cette tolérance religieuse qui est à construire devrait se faire dans le dialogue entre les religions. Ce dialogue implique une connaissance mutuelle entre religions et une promotion globale de l'homme. Celui-ci lorsqu'il est bien mené fait parvenir à une « compréhension mutuelle (...) à cette ouverture entre croyants et religions différentes, en vue de la paix »65(*). Sans vouloir assimiler l'autre, la tolérance religieuse harmonise et rend fructueuses les différences et les similitudes religieuses, qui lorsqu'elles sont mises ensemble, favorisent la consolidation de la société et l'intégration des différents membres.

Revoir la relation avec l'autre, ce qu'il est pour moi, voilà les enjeux qui interpellent l'Afrique. L'acceptation de l'autre, le retrouver dans sa divergence est une nécessité pour que l'exister sur le continent soit moins conflictuel.

CONCLUSION

GENERALE La réflexion que nous menons est arrivée à son terme. Que pouvons nous dire à la fin de ce travail? Il était question au cours de nos investigations de voir comment le quotidien en Afrique peut être exempt de tout déchirement, de toute lutte, mieux comment faire pour que les Africains cessent de se poser en consciences conflictuelles dans leur existence sur leur continent. A travers la méthode analytico-critique, nous nous sommes attelés à montrer l'existence des conflits en terre africaine. Ils sont de plusieurs types, revêtent des spécificités différentes selon qu'ils sont politiques, personnalisés et identitaires. Leurs conséquences sur le continent africain sont diverses mais se font plus ressentir par la négation de l'humanité qui est en l'homme. A l'origine de ce sombre visage que présente notre continent, l'intolérance politique, les disproportionalités sociales et davantage le refus de la différence.

En effet, notre réflexion nous a permis de savoir que le désir immodéré du bien et le penser à l'autre sont des sources de tensions. La crispation des différences identitaires en Afrique charrie des antagonismes énormes. Il n'y a pas cependant à désespérer. D'où l'urgence de construire une Afrique dédramatisée. Ceci passe par la révision du rapport avec autrui et la transcendance des particularismes. Cela invite l'Africain à dépasser les liens de sang pour aller vers les liens spirituels afin de rencontrer l'homme en tant qu'Homme. Sans nier les appartenances ethniques66(*), l'Africain doit courir vers l'essentiel qui est l'Homme indépendamment des extractions tribales. Pour cela, l'Africain devrait accepter l'autre comme présence inaliénable et comme alter ego. En tant que tel il est à la fois semblable et différent de moi. Comme mon semblable, il est une personne humaine et un être raisonnable au même titre que moi. Différent de moi, l'autre est une subjectivité qui a sa vision du monde. Cette différence avons-nous dit devrait être acceptée pour un vivre-ensemble harmonieux en Afrique. Il faut dès lors considérer la différence comme une voie d'enrichissement et d'épanouissement. L'homme comme animal social a besoin des autres pour se réaliser et pour être reconnu comme personne humaine. Cette reconnaissance passe par la négation de l'individu qui est enfermement et repli sur soi pour parvenir à la personne qui est ouverture.

Notre réflexion nous a permis de savoir que la paix est un bien précieux et fondamental pour l'Afrique. Il est alors urgent de la réaliser.

Beaucoup de compétences diplomatiques, politiques et économiques oeuvrent pour la bâtir. Cela est observable à travers les nombreux congrès, sommets et colloques. Mais ceci ressemble davantage à la corvée de Sisyphe dans la mythologie grecque. C'est pourquoi, une lumière philosophique sur les conflits est un nouvel apport pour donner à l'Afrique un visage gai. S'appuyant sur le fait que l'homme est fondamentalement un être d'ouverture, tension vers l'autre67(*), nos analyses nous ont donné de constater que l'interculturalité doit être effective. Celle-ci doit dépasser le simple cadre des voeux pieux pour se concrétiser. Il faudrait donc construire une culture de la tolérance et de la non violence comme force de l'âme et de l'esprit pour combattre toute oppression.

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210 p.

? MVENG E., « paupérisation et développement » in Terroirs, n°001, Gerdes,
Yaoundé, mai 1992, pp.11-119.

? NDONGO C., « Le défi de la paix » in MENDO ZE G., 20 défis pour le
millénaire
, François-Xavier de Guibert, Paris, 2000,
pp.361-388.

? OTO J., Le drame d'un pays, CLE, Yaoundé, 1979, 136 p.

? ROUSSEAU J.-J., Du contrat social, classiques Larousse, Paris, 1953,115 p.

Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi
les hommes
, Nathan, Paris, 1981,159 p.

? SINDAYIGAYA J.-M., Mondialisation, le nouvel esclavage de l'Afrique,
l'Harmattan, Paris, 2000, 268 p.

? SPECTOR C., le pouvoir, GF Flammarion, Paris, 1997, 229 p.

? ZANGA A., L'OUA et le règlement des différends, ABC, Paris, 1987, 214 p.

II - DOCUMENTS DU MAGISTERE

?VATICAN II, « Constitution Dignitatis Humanae » in Les seize documents
conciliaires
, Fides, Montréal, 1967, pp. 555-572.

« Constitution Gaudium et spes » in Les seize documents
conciliaires
, Fides, Montréal, 1967, pp. 176-272.

? JEAN PAUL II, Exhortation Apostolique Ecclesia in Africa, AMA, Yaoundé,
1995, 156 p.

? PAUL VI, Lettre encyclique Populorum Progressio, Fides, Montréal, 1967, 32 p.

III - REVUE

? La Documentation catholique, n° 2321, 3 octobre 2004.

TABLE DES MATIERES

DEDICACE I

REMERCIEMENTS II

EPIGRAPHE III

INTRODUCTION GENERALE 1

PREMIERE PARTIE : DE L' EXISTENCE DES CONFLITS EN AFRIQUE 4

PRESENTATION DU PROBLEME...........................................................5

CHAPITRE 1 : TYPOLOGIE DES CONLITS EN AFRIQUE 6

I.1.1. En fonction des auteurs des conflits 6

I.1.2. En fonction de leur objet 6

I.1.3. En fonction du degré d'intensité des conflits africains 7

CHAPITRE 2 : CARACTERISTIQUES DES CONFLITS AFRICAINS 8

I.2.1. Les conflits africains sont politiques 8

I.2.2. Les conflits africains sont personnalisés 9

I.2.3. Les conflits africains sont identitaires 10

CHAPITRE 3 : LES CONSEQUENCES DES CONFLITS SUR LES PEUPLES
AFRICAINS
11

I.3.1. Les conséquences politico-économiques 11

I.3.2. Les conséquences sociales 12

I.3.3. Les conséquences anthropologiques 14

DEUXIEME PARTIE : LES CAUSES DES CONFLITS 16

PRESENTATION DU PROBLEME.........................................................17

CHAPITRE 4 : LES CAUSES POLITIQUES 18

II. 4.1  Le dépeçage et la balkanisation de l'Afrique 18

II. 4. 2. L'ingérence des grandes puissances 19

II. 4. 3. Le déficit démocratique et la régionalisation du pouvoir 20

CHAPITRE 5 : LES CAUSES SOCIALES 22

II.5.1. La répartition disproportionnée du bien commun 22

II.5.2. L'inégal partage des ressources 23

II.5.3. La mauvaise maîtrise du boom démographique 24

CHAPITRE 6 : LES CAUSES IDENTITAIRES ET CULTURELLES 25

II.6.1. Le repli sur soi et le rejet de l'altérité 25

II.6.2. Le mythe de la culture et de la tribu 26

II.6.3. La fielleuse cohabitation interreligieuse 28

TROISIEME PARTIE: ALTERNATIVES PHILOSOPHIQUES FACE AU DRAME DES
CONFLITS EN AFRIQUE
29

PRESENTATION DU PROBLEME.........................................................30

CHAPITRE 7 : VERS UNE TRANSCENDANCE DE L'INDIVIDU 31

III. 7. 1. S'éduquer à la réciprocité 31

III. 7. 2. S'éduquer à une conscience de la paix 32

III.7. 3. S'éduquer à la vertu et aux valeurs 34

CHAPITRE 8 : DEPASSER LES DIVERGENCES IDENTITAIRES 36

III.8.1.  S'éduquer à la transculturalité 36

III.8.2. Surpasser la conscience ethnico-tribale 38

III.8.3. Se soumettre à la tolérance religieuse 39

CONCLUSION GENERALE 42

BIBLIOGRAPHIE 44

TABLE DES MATIERES 46

* 1 C. NDONGO, « Le défi de la paix », in G. MENDO ZE, 20 défis pour le millénaire, Paris, François-
Xavier de Guibert, 2000, p. 366.

* 2 Père Vincent CABANAC, « L'Afrique peut guérir » in La Documentation catholique, n°2321, 3 octobre 2004, p. 801.

* 3 C. NDONGO, Op. cit., p. 366.

* 4 A. ZANGA, L'OUA et le règlement pacifique des différends, Paris, ABC, 1987, p. 82.

* 5 Id.

* 6 C. NDONGO, Op. cit., p. 367.

* 7 A. ZANGA, Op. cit., p. 82.

* 8 Id.

* 9 A. ZANGA, Op. cit., p. 77.

* 10 Id, p. 81.

* 11 E. MVENG, « Paupérisation et développement en Afrique », in Terroirs, n°001, Ydé, Gerdes
publications, mai 1992, p. 111.

* 12 Id., p. 116.

* 13 Ibid., p. 117.

* 14 Cf. J. M. SINDAYIGAYA, Mondialisation, le nouvel esclavage de l'Afrique, Paris, L'harmattan, 2000, p. 205.

* 15 L'autre Afrique n°95 cité par G. MENDO ZE - G. MBARGA, « Le défi de l'école », in 20 défis pour
le millénaire
, Paris, François-Xavier de Guibert, 2000, p. 80.

* 16 Cf. G. MENDO ZE - G. MBARGA, Op. cit, p. 81.

* 17Mgr. Jean-Pierre, « En revenant de l'Afrique des grands lacs » in La Documentation catholique, 3 octobre 2004, n° 2321, p. 825.

* 18 Id.

* 19 E. MVENG, Op. cit., p. 118.

* 20 Message du Cardinal Renato Raffacle Martino, « A vos côtés dans cette lutte pour la dignité » in La Documentation catholique, 3 octobre 2004, n° 2321, p. 820.

* 21 E. MVENG, Op. cit., p. 119.

* 22 A. ZANGA, Op. cit., p. 26.

* 23 A titre d'illustrations, on peut signaler qu'entre autre cas, le procédé astronomique servit à démarquer
l'Egypte et le Soudan grâce au 22e parallèle de latitude Nord, et que le procédé géométrique délimita
le Niger et la Libye, l'Ethiopie et les Somali française, britannique et italienne.

* 24 J.J ROUSSEAU, Du contrat social, Paris, Classiques Larousse, 1953, p. 24.

* 25 E. MVENG, Op. cit., p. 115.

* 26 J. J. ROUSSEAU, Op. cit., p. 34.

* 27 C. SPECTOR, Le pouvoir, Paris, GF Flammarion, 1997, p. 212.

* 28 Id., p. 213.

* 29 J.J ROUSSEAU, Op. cit., p. 34.

* 30 J. OTO, Le drame d'un pays, Yaoundé, CLÉ, 1979, p. 104.

* 31 J. MBARGA, Valeurs humaines, valeurs morales, Groupe éthique, Yaoundé,
2002, p. 125.

* 32 Paul VI, lettre encyclique Populorum Progressio, 1967, nn. 20-21.

* 33 J.-J. ROUSSEAU, Discours sur l'origine et les fondements de l'inégalité parmi les hommes, Paris,
Nathan, 1983, p. 107.

* 34 Ceci s'illustre par le mépris et la condescendance que les uns ont vis-à-vis des autres. Chacun voulant
jouer les premiers rôles fait prévaloir son ego.

* 35 L'Africain se prend pour la norme et le nombril du monde à partir de desquels tout devrait se rapporter.
Et le regard qu'il pose sur l'autre le réduit simplement à un état d'infra humanité ou à un démon à fuir.

* 36 Chaque Africain considère la culture et la tribu auxquelles il appartient comme des acquis hérités d'une
révélation des dieux. A ce titre il considère que sa culture est immaculée et nourrit à l'égard des autres
un complexe de supériorité.

* 37 Z. BERE, « Quelle culture pour le devenir de l'homme aujourd'hui en Afrique ? », in G. Ndinga,
Relecture critique des origines de la philosophie et ses enjeux pour l'Afrique, Bonneuil,
MENAIBUC, 2003, p. 254.

* 38 TCHIKAYA U TAM'SI cité par J. P BIYITI BI ESSAM, « Le défi de la vie », in G. MENDO ZE,
20 défis pour le millénaire, Paris, François-Xavier de Guibert, 2000, p. 20.

* 39 G. MENDO ZE, « Le défi des mentalités », in G. MENDO ZE, 20 défis pour le millénaire, Paris,
François de Guibert, 2000, p. 54.

* 40 Cf. Jean Paul II, Exhortation apostolique Ecclesia in Africa, n°49.

* 41 J. MBARGA, Op.cit., p. 51

* 42 Z. BERE, Op. cit., p. 249.

* 43 J. MBARGA, Op. cit., p. 51.

* 44Mgr. Jean-Pierre RICARD, « Ensemble au chevet de la paix » in La Documentation catholique, 3 octobre 2004, n° 2321, p. 831.

* 45 J. MBARGA, Op. cit., p. 36.

* 46 Id.

* 47 Ibid., p. 135.

* 48 Aussi bien de la part des dirigeants que des citoyens africains, nous constatons qu'il manque cet habitus
à poser des actes bons et orientés vers le bien tant communautaire qu'individuel. Il y a certes des
exceptions. Mais celles-ci viennent plutôt confirmer notre observation.

* 49 Pour ce qui est de notre travail, seules la prudence et la justice nous intéressent.

* 50 C. DE MONTESQUIEU, De l'esprit des lois, Paris, Classiques Larousse, p. 251.

* 51 J. MBARGA, Op. cit., pp. 33-34.

* 52 Id., p. 34.

* 53 J.C KAPUMBA, Op. cit., p. 287.

* 54 Id., p. 286.

* 55 Gaudium et Spes, n° 3.

* 56 J.C. KAPUMBA AKENDA, Op . cit., p. 295.

* 57 Id., p. 296.

* 58 Cf. Ibid., p. 288.

* 59 Z. BERE, Op. cit., p. 255.

* 60 Au Cameroun par exemple que dans les administrations, le service ne profite qu'à ceux qui sont de la même ethnie que le ministre au grand mépris des exigences de la compétence et du mérite. La vague de remerciements et de motions de soutien qui suivent la nomination de ce dernier témoigne de la reconnaissance exclusive que celui-ci doit à sa tribu. Aussi s'entend-t-on souvent par quelques compatriotes « nous sommes en haut ».

* 61 F.X. DAMINBA, Essayer la folie pour voir. Risque et prudence des Moose, cité par Z. BERE, Op. cit.,
p. 254.

* 62 Id.

* 63 Ibid.

* 64 Dignitatis Humanae, n° 2.

* 65 J. MBARGA, Op.,cit., p. 166.

* 66 Nous ne rejetons pas les liens de sang. Ils sont mêmes à considérer dans la mesure où il faut être soi
pour accueillir l'autre. Mais nous invitons à une purification et à une spiritualisation de ceux-ci.

* 67 Les cinq organes de sens de l'homme au plan physique, orientés vers l'extérieur l'illustrent.






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