5ème partie :
Discussion et conclusion
Notre étude, menée suivant deux approches,
quantitative et qualitative, a mis en évidence plusieurs facteurs
influençant le vécu de l'aidant à l'annonce du diagnostic
de la maladie d'Alzheimer de son parent. Ce vécu est
apprécié par les réactions des aidants dont
l'anxiété, ainsi que par les réajustements psychologiques
qu'ils ont pu mettre en place (mécanismes de défense et
stratégies de coping).
L'approche quantitative a permis de montrer que
l'anxiété de l'aidant à l'annonce peut être
augmentée par un niveau de connaissance faible et une
appréhension importante d'être atteint soi-même de la
maladie. Notre étude a également révélé que
l'anxiété du sujet était plus élevée pour
les époux des patients que pour les enfants. Effectivement, le conjoint,
contrairement aux enfants, a souvent peu de soutien social puisqu'il a
construit sa vie autour de l'être aimé et qu'il vit souvent seul
avec lui.
La recherche par entretien est venue compléter ces
résultats en montrant que les réactions de l'aidant à
l'annonce n'étaient pas influencées par les circonstances selon
lesquelles il est devenu aidant, puisque cela s'est déroulé de
manière naturelle pour la majorité des sujets de notre
population. Nous rejoignons ici Lavoie (2000) qui explique que l'on ne peut pas
parler d'assignation ou de désignation dans l'accession au rôle
d'aidant. L'auteur évoque le concept de
« responsabilisation ». Il existe des explications
différentes dans cette accession naturelle : règles du
statut familial, proximité affective, ressources personnelles
(sentimentales et financières), règle du genre (relation
mère/fille). [20]
Les aidants sont souvent confus et hésitants lorsqu'ils
évoquent la manière dont ils ont perçu la réaction
du patient à l'annonce. Nous avons vu que cela témoigne d'une
difficulté de communication à propos de la maladie au sein des
familles de notre population.
Lorsque les aidants ont dénié les troubles de
leur proche, le dépistage de la maladie est difficilement vécu.
Le déni s'écroule à l'annonce et laisse place à
l'effondrement émotionnel et à l'utilisation de stratégies
de coping centrées sur le problème (recherches d'informations,
mises en place de plan d'actions, projets institutionnels...). Effectivement,
le déni s'écroule et le sujet ne peut plus maîtriser les
événements comme avant et se retrouve confronter à ce
qu'il ne voulait pas voir.
Un lien peut être fait entre le mécanisme de
déni, mis en place avant l'annonce, et les connaissances des aidants sur
la pathologie. L'approche quantitative a mis en évidence qu'un manque de
connaissances et une ignorance sur les caractéristiques de la maladie
accroissent l'anxiété de l'aidant à l'annonce. Nous
pouvons supposer que si ces personnes avaient davantage de connaissances sur la
maladie d'Alzheimer, ils pourraient réaliser un lien entre les troubles
de leurs parents et la pathologie. Ces éléments permettraient
peut-être aux aidants d'accepter progressivement la maladie de leur
proche et de s'attendre à l'annonce. L'effondrement émotionnel
serait moins prégnant et des stratégies de coping adaptées
se mettraient en place dans le but de s'approprier ce qui a été
dit lors de la consultation et d'accompagner au mieux le patient.
D'autres recherches pourraient découler de la
nôtre. Tout d'abord, nous avons mis en évidence quelques uns des
facteurs influençant le vécu des aidants à l'annonce. Les
prochaines études pourraient poursuivre cela en dégageant
d'autres facteurs. Lors des prémices de notre questionnement, nous nous
étions par exemple penchés sur le rôle des
représentations de la maladie pour l'aidant. Nous avons finalement
choisis de travailler autour des connaissances des sujets sur Alzheimer, mais
il s'avèrerait intéressant de réaliser d'autres
études sur ce thème et sur les autres variables, susceptibles
d'influencer les réactions des aidants.
Ensuite, exposer ces éléments ayant un impact
sur les réactions des aidants est important, mais il semble
nécessaire de se servir de ces données pour aider les
sujets : un projet pourrait consister à créer un outil
(questionnaire, livret, guide...) sur la base de ces facteurs pour permettre au
médecin de cerner les connaissances de l'aidant sur la maladie, ses
représentations, son sentiment de menace...Mieux comprendre ces
éléments donnerait certainement lieu à une meilleure
gestion des réactions de l'aidant au moment même de l'annonce.
Depuis 2002, Edusanté a conçu Fil mauve, un programme de soutien
à l'entourage des personnes atteintes de la maladie d'Alzheimer. Il
s'agit ici de leur permettre de comprendre la maladie et de mieux communiquer
avec le parent malade. Cependant, ce projet ne permet pas d'intervenir avant
l'annonce de la maladie pour permettre à l'aidant de mieux accepter
celle-ci. Un projet pourrait alors travailler sur ce domaine.
Notre étude révèle certaines failles et
peut être critiquée dans le but d'améliorer notre
méthode de recherche : Tout d'abord, notre étude de type
quantitatif présente un nombre de sujets trop insuffisant, les
résultats permettent alors de proposer des pistes de réflexions
et de recherches mais aucune généralisation ne peut être
réalisée. Ensuite, en ce qui concerne notre méthode, nous
pouvons mettre en évidence plusieurs erreurs. Lors de la création
du questionnaire, nous n'avons pas réalisé de pré-test. La
passation de l'outil une première fois aurait permis de
réfléchir sur le type de cotation, la compréhension des
items par le sujet... Par exemple, il s'avère que les aidants ont
été très peu nombreux à comprendre le sens du mot
« empathie », cette donnée a pu influencer les
résultats, ce qui aurait pu être maîtrisé par un
pré-test. De plus, la recherche de variables découlant de la
problématique de notre étude a été très
vaste. Nous nous sommes intéressés à deux variables
dépendantes (anxiété et réajustements
psychologiques) et à cinq variables indépendantes, ce qui parait
beaucoup avec le recul. Limiter le nombre de variables à étudier
aurait peut-être permis d'approfondir la recherche en se centrant sur
certains points. A l'inverse, nous n'avons pas contrôlé un nombre
suffisant de variables parasites qui ont pu influencer les scores
d'anxiété. Par exemple, nous n'avons pas étudié
l'influence de l'âge des aidants.
Enfin, certaines de nos mesures se révèlent de
manière générale peu fiables. En analysant notre travail,
nous nous apercevons par exemple que le score de connaissance au moment T
où nous faisons passer le questionnaire est certainement
différent du score du sujet juste après l'annonce du diagnostic
(parfois 10 ans après !). Le meilleur moyen de saisir ces
données de manière fiable aurait été de faire
passer un premier questionnaire avant l'annonce (avec étude des
connaissances, de l'anxiété et de la menace perçue du
sujet), puis de recommencer à la seconde visite 6 mois après.
Cependant, d'un point de vue éthique et déontologique, ceci
n'était pas réalisable. De plus, l'organisation du service et le
temps qui nous était impartis ne nous ont pas permis pas d'envisager
cela.
En conclusion, nous pouvons dire que cette recherche a permis
de mettre en lumière certaines pistes pour étudier les
réactions des aidants lors de l'annonce de la maladie d'Alzheimer de
leur proche, mais aussi de faire naître des réflexions quand
à la prise en charge du vécu de ces aidants et de l'impact de
cela sur le patient lui-même.
D'un point de vue personnel, cette étude nous a permis
de comprendre comment mener une recherche, de l'étape théorique
à la mise en place de la méthode ainsi que de nous questionner
sur la maladie d'Alzheimer touchant de plus en plus de sujets. De plus, nous
avons pu apprécier deux outils, le questionnaire et l'entretien, qui se
sont révélés différents dans leur buts mais
complémentaires par rapport à notre étude. Il
apparaît tout de même clairement que l'utilisation de
questionnaires présente des biais, comme la désirabilité
sociale, et que des informations peuvent être mieux comprises par
l'analyse du discours de la personne.
Enfin, les entretiens de recherche ont été une
expérience très riche d'un point de vue professionnel, car ils
nous ont permis de nous remettre en question concernant notre pratique de
future praticienne.
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