2.2 Analyse thématique
par entretiens
Nous avons mis en évidence au sein de la partie
concernant les résultats de la recherche les thèmes
évoqués par les sujets lors des entretiens. Ici, à l'aide
de l'analyse de contenu, nous allons réaliser une analyse de ces
thèmes, en fonction des variables recherchées dans notre
étude et en nous appuyant sur les éléments
théoriques présentés dans la première partie de
notre étude. Nous avons choisi d'étudier chaque entretien de
manière indépendante (Cf. ANNEXE 8), puis de synthétiser
ces analyses.
2.3 Synthèse de
l'analyse qualitative
Il est important de souligner que les entretiens
révèlent un vécu singulier pour chaque aidant au moment de
l'annonce. Chaque sujet réagit selon son passé, le lien
établit avec le parent atteint de la maladie, le soutien qu'il a pu
obtenir auprès de son entourage...Néanmoins, certaines
réactions sont communes aux aidants lors de l'annonce de la maladie
d'Alzheimer de leur proche. Par conséquent, nous allons essayer de
mettre en évidence les facteurs à l'issus de ces réactions
pour les aidants de notre population.
Nous avons pu synthétiser les perceptions des aidants
concernant la réaction de leur parent à l'annonce de la maladie.
Sur les 10 sujets, 4 ont été très confus par rapport
à cette réaction, sans pouvoir la spécifier ou en
exprimant des propos très contradictoires. Il apparait que ces sujets
ont utilisé des stratégies de coping essentiellement
centrées sur le problème lors de l'annonce, en intellectualisant
par exemple ou en se centrant sur l'organisation matérielle de l'aide.
Un seul aidant ayant été confus concernant la réaction de
son parent a acquiescé passivement lors de l'annonce, mais cela peut
être expliqué par le sexe masculin de l'aidant, qui a
intériorisé sa réaction.
Quatre des autres aidants ont perçu un refus plus ou
moins actif de la maladie par leur parent. Ce type de réaction s'est
manifesté de deux manières différentes selon les
patients : un refus actif centré sur le maintien des
activités et la volonté de guérir, ou le déni,
c'est-à-dire que la personne ne reconnaît pas ses symptômes
et sa maladie. Les réactions des aidants sont diverses : coping
vigilant ou centré sur le problème, sentiment de soulagement,
effondrement émotionnel.
Concernant les deux derniers aidants, l'un n'a pas
perçu de réaction particulière de la part de son parent
à l'annonce de la maladie et l'autre n'a pas mis au courant son proche
de sa maladie. Les réactions des deux aidants sont semblables à
l'annonce, se traduisant par un effondrement émotionnel.
Hormis un sujet, chacun est devenu aidant par assignation
naturelle. Aucun choix n'a pu être effectué directement par la
personne, mais un rapprochement géographique, une proximité
affective ou la présence unique de cette personne, expliquent la
manière dont elle est devenue aidant principal. Un seul sujet est devenu
aidant par obligation, ayant été délaissé par le
reste de la famille pour s'occuper de sa mère.
La plupart des sujets ayant participé à notre
étude qualitative paraissent avoir refusé la maladie de leur
proche avant l'annonce. Effectivement, le déni est une réaction
commune aux aidants qui justifient les différents troubles (cognitifs ou
comportementaux) par le vieillissement de la personne ou par un manque de
vigilance à cet égard. La plupart des aidants, avec le recul, se
rendent compte des éléments qu'ils ont occultés avant
l'annonce et que certains signes auraient pu les avertir du lien avec la
maladie d'Alzheimer. Il apparait qu'à l'annonce, c'est l'effondrement du
déni qui constitue la difficulté du vécu. Les sujets se
sont construit leurs propres explications sur les troubles de leurs parents et
ils ont repoussé le plus possible le moment de l'annonce. Lorsque
quelqu'un d'autorité les informe de la pathologie de leur proche, leurs
explications s'écroulent, ils se retrouvent alors face à la
réalité, indéniable et douloureuse. De plus, des signes de
culpabilité de ne pas « avoir vu avant » se greffent
à cela.
Le déni ne constitue pas pour nos sujets une
réaction à l'annonce mais est présent avant celle-ci.
C'est l'effondrement du déni qui va engendrer les difficultés
d'acceptation du diagnostic. Nous avons effectivement vu que pour les sujets
préparés à l'annonce, c'est-à-dire qui se doutaient
de la concordance entre les troubles et la maladie d'Alzheimer, l'acceptation
de la nouvelle, même si elle est difficile, est moins vécue sur un
mode catastrophique.
Les deux principales réactions des aidants ayant
participé à l'étude sont l'effondrement
émotionnel à l'annonce et l'utilisation d'une
stratégie de coping centré sur le problème.
L'annonce peut être vécue sur le mode d'une
catastrophe, d'un effondrement. Pouillon (2003) montre que les sujets
pleurent souvent, ce que nous retrouvons au cours des entretiens : les
sujets se mettent à pleurer lorsqu'ils évoquent le sujet
difficile de l'annonce de la maladie d'Alzheimer de leur proche. Nous pouvons
analyser cette réaction d'effondrement par deux
éléments : pour les enfants, il peut s'agir du sentiment de
perte d'identité personnelle et sociale du parent comme il était
avant, de l'effondrement de la dynamique familiale à travers la maladie.
Nous avons remarqué que le sentiment de menace de la maladie (lié
à la notion d'hérédité) était
également présent chez ces sujets, même si cela est
exprimé rarement. Pour les conjoints, nous pouvons supposer que le
vieillissement de l'autre sert de modèle à la
représentation de son propre vieillissement : l'aidant
éprouve la perte de l'être aimé, ce qui traduit la
« dimension narcissique du deuil de l'autre passé »
(Pouillon, 2003), mais aussi affronter la peur d'être soi même
atteint de la maladie. [35]
Outre cette réaction d'effondrement, les sujets
évoquent des inquiétudes proches des dimensions concrètes
de la réalité. Comme l'analyse thématique le montre, le
thème « organisation matérielle de l'aide »
est souvent exprimé par les aidants lors des entretiens. Cela traduit
l'utilisation de stratégie de coping centré sur le
problème à l'annonce de la maladie. Soit après avoir
ressenti un sentiment de catastrophe soit pour éviter celui-ci, les
aidants se rattachent à des éléments concrets pour
contenir leur angoisse en leur donnant un espace psychique et une
représentation. Les réponses opératoires et les actions
réalisées permettent de s'approprier la maladie de l'autre et en
quelque sorte d'avoir l'impression de la maîtriser. Le coping
centré sur le problème mis en place par les aidants de notre
étude correspond par conséquent à la recherche de
solution immédiate, la recherche d'informations dans le but de
comprendre et de se rassurer, l'élaboration de plans d'action (recherche
d'institution, sécurisation du domicile, organisation de l'aide au
quotidien...). Le but de cette étude qualitative était de mettre
en évidence les réactions et les réajustements
psychologiques des aidants lors de l'annonce de la maladie d'Alzheimer de leur
proche ainsi que les facteurs communs à ce vécu. L'axe principal
de recherche était de montrer l'impact de la perception de la
réaction du parent et de la manière dont le sujet est devenu
aidant principal sur les réactions à l'annonce.
Notre recherche qualitative a pour but d'étudier les
différentes circonstances selon lesquelles les sujets sont devenus
aidants ainsi que l'impact de celles-ci sur le vécu de la personne
à l'annonce. Nous avons vu que 90% des sujets ayant participé
à notre étude sont devenus l'aidant principal de leur parent de
manière naturelle, selon une explication familiale (enfant unique,
conjoint) ou une proximité géographique. Par conséquent,
cette variable ne possédant pas différentes modalités,
nous ne pouvons mettre en évidence son impact sur le vécu des
sujets.
La perception de la réaction du parent à
l'annonce ne parait pas avoir un impact direct sur les réactions du
sujet à l'annonce. Cependant, nous pouvons noter que les sujets sont
souvent confus lorsqu'ils expliquent leur perception de la réaction de
leur parent à l'annonce. Cela traduit des difficultés de
communication autour de ce thème au sein des familles de nos sujets.
Nous avons remarqué que parmi nos sujets ayant été
très confus dans la perception de cette réaction, plusieurs ont
utilisé une stratégie de coping centré sur le
problème. Cela implique que les aidants ayant du mal à
évoquer la réaction de leur parent à l'annonce de la
maladie se réfugient dans la gestion matérielle de l'aide, dans
le concret, pour échapper aux angoisses liées à la maladie
elle-même.
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