LES ENJEUX DU RECIT LOVECRAFTIEN AU CINEMA
Le problème de l'acclimatation du récit
lovecraftien au cinéma prolonge les réflexions déjà
engagées quant au portage de la création littéraire
à l'écran. Etudier l'adaptation revient bien entendu à
considérer les spécificités des différents
média, la manière dont elles peuvent interagir, et dans quelle
mesure le moyen (ici le medium littérature ou le médium
cinéma) influe sur le propos (le contenu littéraire ou
cinématographique). Nous nous baserons pour commencer sur les travaux de
Francis Vanoye, et en premier lieu sur le tableau qu'il établit lesdites
spécificités.
Récit écrit Récit
filmique
Des événements réels ou imaginaires, des
sentiments, des idées puisées dans un substrat historique,
légendaire, mythique, social, humain...
Substance de l'expression (ou du signifiant) Forme de
l'expression (ou du signifiant)
Substance du contenu (ou du
signifié)
Traces graphiques Espaces blancs
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Phrases, paragraphes, chapitres,
répartition des surfaces
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Image, mouvante, bruit, son musical,
son phonétique, traces graphiques
Montage des images, contrepoints images/son, images/ musique,
images/parole, agencement des formes et des couleurs selon des rapport
d'opposition ou de complémentarité, jeux sur l'échelle des
plans...
Forme du contenu Structure de la
narration, des sentiments, des idées, des thèmes (ou
du signifié)
Figure 2 1
A la lumière du modèle illustré par ce
tableau, on s'aperçoit que le lovecraftien en tant que tel va exacerber
certains problèmes quant à l'expression : en effet, comment
traduire en images une écriture de l'immontrable, en sons réels
des bruits qui ne sont, littéralement et par définition, pas
appréhensibles avec les moyens physiques et conceptuels de l'humain?
A ces questions d'expression viennent s'aj outer des questions
de contenu, puisque qu'ainsi que nous l'avons vu dans notre préliminaire
l'oeuvre de Lovecraft et ses zélateurs offre comme
spécificité première de se situer au confluent du
fantastique et de la fantasy : elle va donc poser à la fois des enjeux
d'adaptation littéraire et d'inscription du récit filmique dans
un univers mythologique.
1 Vanoye, Francis, Récit écrit récit
filmique, p.42, Armand Colin cinéma, 2005
C'est pourquoi nous débuterons notre étude par une
exploration des difficultés et enjeux spécifiques que pose toute
adaptation du lovecraftien.
Puis nous interrogerons les réponses qu'ont
apportées différents cinéastes à ces questions, au
travers d'une étude des différentes démarches des
récits lovecraftiens au cinéma, en commençant par les
adaptations les plus littérales des textes de Lovecraft.
L'univers lovecraftien présente cette
caractéristique intéressante, que l'on a évoquée
dans le préliminaire, d'être un univers littéraire
né de l'imagination d'un auteur, mais qui s'est mis très
tôt, via ses relations épistolaires puis une émulation
encore active autour de ses thèmes, à agir comme une mythologie
antique : c'est un univers dont la cohérence même est
conditionnée par le fait d'être dépeint par moult
intervenants. C'est dans ce fonctionnement mythologique que s'inscrivent les
réalisateurs du cinéma et du multimédia qui donnent
à voir des récits lovecraftiens a priori éloignés,
ou différents, de la lettre de l'oeuvre initiale, tout en apportant leur
pierre à un édifice qui gagne en solidité. En ce penchant
sur ces oeuvres, nous verrons comment à la fois le récit
lovecraftien imbibe un large pan du cinéma de genre moderne, et comment
au travers de ce récit se construit un exemple unique et
résolument moderne de mythologie multimédia, en plein
bouillonnement à l'aube de notre nouveau millénaire.
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