Comment faire du son un média
interactif ?
Une approche serait de penser que le son n'est pas d'essence
linéaire, nos oreilles doivent simplement s'habituer à une autre
façon d'entendre le son. Le fait que nombre de joueurs ne satisfont
d'une qualité très médiocre et d'un brouhaha sonore
justifierait cette théorie. Je pense notamment au déclenchement
des sons par des événements : dans de nombreux jeux de tir
(ex :Perfect Dark sur N64), chaque balle tirée sur un ennemi
déclenche un cri, mais quand les ennemis sont résistants et qu'on
doit utiliser une rafale, chaque cri est souvent déclenché au
détriment du précédent qu'il coupe instantanément.
Ce défaut, qui fait brutalement sortir de l'action et qui confère
au jeu un caractère subitement très mécanique est
inacceptable ! Pourtant quand certains jeux proposent un son de meilleure
qualité, les joueurs le plébiscitent même si ça ne
devient pas leur critère principal. Il parait peu concevable que la
pratique du son dans une narration linéaire devienne totalement caduque
pour un jeu interactif. Le son reste un fil tendu dans le temps quand l'image
est un drap suspendu dans l'espace. A partir de là, le champ est ouvert
pour toutes les expérimentations qui respectent ces deux principes.
L'axe de la scénarisation et de
l'intégration du son dans les jeux
Il existe une grande variété de jeux. Chaque
typologie de jeu possède ses propres contraintes, ses propres codes
d'interaction avec le joueur et requiert une nouvelle réflexion sur le
design sonore.
Pour autant tous ces jeux ont en commun d'associer du son et
des images et ne dérogent pas à un certain nombre de règle
qui ont depuis longtemps été énoncées par le
cinéma. Et si nous prenons l'exemple d'un jeu vidéo d'aventure
(type Zelda), sa forme s'inspire très fortement d'une narration
linéaire classique. Nous verrons à la fois ce qui les distingue
mais comment nous pouvons tenter de les rapprocher en considérant que la
qualité du son c'est d'abord la qualité de
l'intégration. L'intégration est par analogie,
la phase de mixage, le moment où les ressources sonores sont
placées et mises en valeur dans l'espace du jeu. Mais un mixage
modulaire qui prendrait déjà en compte certains
éléments de l'interactivité. C'est une étape
cruciale qui n'est pas directement liée au moteur audio et aux
capacités des ordinateurs mais avant tout aux questions posés par
le design sonore : A quel moment la musique doit démarrer ? A quel
moment l'arrêter ? Comment ne pas créer de ruptures sonores trop
brutales ? Les bruitages doivent-ils jouer un rôle d'identifiant ?
Comment les rendre moins répétitifs ? etc. A partir de là
un moteur audio et une interface peuvent être conçus pour
répondre au mieux à ces questions.
D'un point de vue technique, les questions concernant
l'appareillage lié à la création, à
l'enregistrement, à la modélisation sont donc bien plus vastes
dans le jeu vidéo que les questions de restitution et de diffusion. En
ce qui concerne les supports de diffusion, on a vite fait le tour du sujet
puisque le choix limité du joueur entre l'équipement standard de
la télévision et l'équipement standard de l'ordinateur
n'encouragent pas à une créativité folle et ne sont pas
des critères qui rentrent en compte dans la création sonore.
A ma connaissance, cependant, de nombreux progrès
restent à faire puisqu'aucun jeu n'est mixé en 5.1, et plus
grave, encore : d'après moi, très rares sont ceux qui
exploitent pleinement la stéréo.
La musique dans le jeu
vidéo
La musique de jeu vidéo, en particulier celle datant
d'avant le XXIe siècle, peut être considérée comme
un genre musical à part entière, d'abord parce qu'il s'agit la
plupart du temps de musique programmée, à la différence de
la musique enregistrée en studio ou jouée en live. En effet, les
supports sur lesquels étaient généralement stockés
les jeux vidéo ne permettaient pas, jusqu'à très
récemment, de contenir de la musique préenregistrée.
Celle-ci était donc interprétée par l'ordinateur (ou la
console de jeu) chaque fois que nécessaire. La qualité sonore
dépendait grandement des capacités techniques du support sur
lequel elles étaient interprétées. Les faibles
capacités techniques des supports de jeu ont longtemps été
la cause de la mauvaise qualité (sonore et non pas musicale !) de la
musique de jeu vidéo. Celle-ci se traîne donc une
réputation de sous-musique en raison de son caractère accessoire
et de ses sonorités dépouillées.
Elle a pourtant évolué très rapidement
depuis la fin des années 1990, notamment grâce à
l'avènement du CD ROM, comme supports de jeux vidéo. La
capacité de ce support étant largement supérieure à
celle d'une disquette ou d'une cartouche de jeu, il a été
possible d'y intégrer des bandes-sons toujours plus complexes.
L'évolution des capacités des cartes son et des processeurs
sonores des consoles de jeu a également contribué à cette
amélioration. La qualité des musiques de jeu vidéo se
rapproche aujourd'hui lentement de celle des musiques de films. De nombreux
compositeurs tels que Nobuo Uematsu (Final Fantasy) ou Koji Kondo (Une
cinquantaine de jeux Nintendo dont les illustres Mario,
Zelda, Donkey Kong, Metroid...) se sont fait un nom
grâce au jeu vidéo. Les bande-son des jeux vidéo sont
commercialisées aux côtés des musiques de cinéma, et
sont jouées en concert, en particulier au Japon, devant des foules
certes surexcitées, mais de plus en plus
hétérogènes (j'entends par là, et c'est d'une
grande importance pour moi, que le public de musique de jeu vidéo, comme
du jeu en général, aussi bien que du manga ou même du comic
américain s'est considérablement élargi au-delà du
« GEEK de base », au cours des année 1990, ce qui a
largement contribué à laver la réputation de monomaniaque
boutonneux et asocial dont souffre le fan hardcore, et le Japon a sur ce sujet
des années d'avance sur le reste du monde, puisqu'il n'y est pas rare,
par exemple que les parents regardent les mêmes dessins animés, ou
jouent aux mêmes jeux que leurs enfants).
Les bandes originales de jeux vidéo ont toujours
été difficiles à trouver, en particulier en Europe.
Actuellement, étant donné l'incroyable amélioration de la
qualité sonore, il arrive de plus en plus fréquemment que les
éditeurs décident de mettre en vente la bande originale de
certains de leurs jeux, exactement comme on le ferait pour un film. Les bandes
originales de jeux plus anciens restent, elles, très rares. Le
problème semble toutefois résolu depuis peu puisque de talentueux
hackers ont mis au point des formats spécifiques permettant
d'émuler le son des anciennes consoles de jeu. Le format SPC (Sound
Processing Core) permet par exemple l'émulation du processeur SPC700
intégré à la Super Nintendo. L'apparition de ces formats
fut une véritable aubaine pour les amateurs de musique de jeux
vidéo.
Compositeurs de musiques de jeu vidéo
célèbres
Christophe Heral : Beyond Good and Evil
Jack Wall : Jade Empire
Robin Beanland : Conker
Bill Broum : Rainbow Six
Jesper Kyd : Hitman, Hitman 2: Silent Assassin, hitman:
Contracts, hitman: Blood Money
Danny Elfman : Fable
Amon Tobin : Splinter Cell, Splinter Cell: Pandora Tomorrow,
Splinter Cell: Chaos Theory, ect.
Matt Uelmen : Diablo II
Chris Hülsbeck : Giana Sisters, Turrican, Turrican 2,
etc.
Masashi Hamauzu : SaGa Frontier 2, Final Fantasy X, Unlimited
SaGa, etc.
Shinji Hosoe : Ridge Racer, etc.
Noriyuki Iwadare : Grandia, Radiata Stories, etc.
Koji Kondo : Super Mario, The Legend of Zelda, etc.
Yuzo Koshiro : ActRaiser, Streets of Rage, etc.
Yasunori Mitsuda : Chrono Trigger, Xenogears, Chrono Cross,
Xenosaga, etc.
Hiroshi Miyauchi : OutRun, etc.
Hitoshi Sakimoto : Radiant Silvergun, Final Fantasy Tactics,
Vagrant Story, Final Fantasy XII, etc.
Motoi Sakuraba : Star Ocean, Valkyrie Profile, Golden Sun,
etc.
Yoko Shimomura : Street Fighter II, Super Mario RPG, Parasite
Eve, Legend of Mana, Kingdom Hearts, etc.
Jeremy Soule : Guild Wars, Icewind Dale, Neverwinter Nights,
Morrowind, Oblivion etc.
Koichi Sugiyama : Dragon Quest, etc.
Nobuo Uematsu : Final Fantasy, etc.
David Wise : Donkey Kong, Star Fox Adventures, etc.
Michiru Yamane : Castlevania: Symphony of the Night, etc.
Akira Yamaoka : Silent Hill, etc.
Rob Hubbard (commodore 64)
Martin Galway (commodore 64)
Allister Brimble (Amiga)
Tappy Iwase (Metal Gear Solid, Policenaut, Suikoden)...
Norihiko Hibino (Metal Gear Solid 2: Sons of Liberty, Metal
Gear Solid 3: Snake Eater, Zone of the Enders)...
Marty O'Donnell (Halo: Combat Evolved, Halo 2, ...)
David Bergeaud (Ratchet & Clank...)
Harry Gersson William (Metal Gear Solid 2: Sons of
Liberty)...)
...
Du point de vue de la composition audiovisuelle, on peut dire
que la plupart des musiques de jeu vidéo ont en commun le parti pris de
coller à l'image.
En effet, ces musiques incidentales ont pour
vocation première de renforcer l'idée ou l'émotion
présente à l'écran, ou de caractériser un lieu ou
un personnage (leitmotivs). Elles sont donc terriblement expressives, parfois
caricaturales, mais invariablement soumises à la trame
scénaristique et/ou géographique. Ecoutez-donc les musiques de
Zelda et vous serez capable d'imaginer très facilement une situation
pour chaque plage, car c'est bien le but.
Si ce procédé est en place depuis le
début, je pense que ça n'est pas du fait des compositeurs qui
rêvent sans doute d'une plus grande liberté, mais qu'il s'agit
d'une contrainte de mise en scène ou de production. Ces musiques sont,
le plus souvent bien écrites et efficaces dans ce but, mais c'est une
contradiction notable, lorsqu'on admet le potentiel illimité de
création de mondes imaginaires que peut offrir l'écriture
musicale dans la fiction interactive.
Je ne suis pas complètement critique à ce sujet,
car je pense que si ces musiques continuent dans ce sens et sont de plus en
plus reconnues, c'est qu'elles correspondent à une certaine attente du
public. Peut-être un peu « premier degré »,
mais massive.
Je m'autorise cependant à rêver de la richesse
immense qu'acquerront les jeux, le jour où ces fabricants d'imaginaire
pourront se permettre de nous offrir musiques anempathiques
et autres contrepoints audiovisuels.
Par contre, il n'a aucun moyen de savoir si cela se produira
vraiment...
L'un des plus célèbres d'entre eux est Akira
Yamaoka.
Il était à la fois compositeur et designer
sonore sur Silent Hill, et son travail pour créer une
atmosphère exceptionnellement suffocante, glauque et dérangeante
a tellement émerveillé les joueurs, les critiques, et ses
employeurs de chez Konami, qu'on a décrété qu'il
était responsable du succès du soft, et il est donc devenu game
designer (l'équivalent de réalisateur) sur Silent Hill 2, 3
et 4. De plus, ses compositions sont celles que l'on entend dans la
récente adaptation de Silent Hill par Christophe Gans au
cinéma. C'est malheureusement un cas tout à fait unique (y
compris pour la relative qualité de l'adaptation en question).
Ce jeu complètement tordu était un pari assez
risqué. Pourtant, son succès illustre bien que le public du jeu
vidéo réagit au cercle vicieux culturel comme le fait celui de la
musique et du cinéma.
Il est obligé de s'habituer à la
médiocrité que les productions jugent le plus rentable de
diffuser en masse, mais il a aussi le droit de crier
« FUCK ! » et lorsque, parfois, il
apprécie un produit marginal, il a la possibilité d'encourager
sérieusement la création. Cette idée résume
à elle seule les perspectives d'avenir du jeu vidéo les plus
inquiétantes comme les plus rassurantes, mais ne suffit pas à
prédire ce qu'il en sera concrètement.
En effet, une autre particularité dans ce domaine en
perpétuelle évolution, est le fait que des bouleversements
très rapides peuvent survenir à tout moment et avoir des
conséquences énormes et imprévisibles sur les habitudes
des joueurs, comme des éditeurs. L'instabilité du jeu
vidéo, sa position constante sur le fil du rasoir est,
d'après-moi aussi bien la cause majeure de son succès populaire
que du désamour artistique dont il est victime.
Mais attardons-nous un instant sur le cas très
précis de la musique :
La musique au cinéma a essentiellement un rôle
empathique. C'est à dire qu'elle a la propriété de faire
ressentir des sentiments. C'est en quelque sorte un « catalyseur
d'émotion » qui oriente la vision du spectateur vers une
interprétation plus ou moins dramatique de la scène qu'il voit.
On peut aussi créer un décalage entre une
musique "joyeuse" et des images "dures" pour produire un sentiment de malaise
chez le spectateur/auditeur. Dans tous les cas la musique est présente
à des moments précis de l'image pour renforcer l'émotion
sans effets visuels supplémentaires.
Dans un jeu on utilise aussi cette fonction avec des jingles
de victoire ou de game-over qui désignent les sentiments de
réussite ou d'échec du joueur/personnage. Mais hormis ces cas
particuliers, il est souvent difficile de synchroniser correctement la partie
musicale avec l'action pour obtenir cet effet puisqu'un jeu n'a pas de
durée fixe. En outre pour des raisons de simplicité technique, on
a longtemps utilisé la musique dans les jeux de façon
"géographique", comme illustration sonore (plus
précisément, une musique pour chaque décor, lieu
traversé, mais bien souvent une seule !). Tout effet d'empathie
tombe alors à l'eau puisque la même musique peut être
jouée dans le même décor à n'importe quel stade du
scénario, selon que l'action est lente, rapide, mystérieuse ou
angoissante.
Musique scénarisée
La musique scénarisée, quant à elle,
essaie d'appliquer au jeu les mêmes recettes qu'au cinéma. Pendant
une phase de recherche, on jouera une musique exprimant le mystère,
à l'inverse dans une phase d'action violente, c'est une musique
rythmée et tendue qui sera déclenchée. Cette façon
de procéder en thèmes musicaux plutôt qu'en thèmes
géographiques est beaucoup plus efficace car elle renforce la
dramaturgie sans dialogues supplémentaires. Il est en outre permis de
ménager des phases de silence, sans musique, contrairement aux boucles
musicales rapidement inaudibles des premiers jeux. Il n'est plus ainsi
nécessaire de composer de très longs morceaux pour sonoriser tout
le jeu sans qu'un ennui musical n'envahisse le joueur. Au lieu d'une heure de
musique par exemple, vingt minutes suffiront avec pourtant un sentiment de
lassitude bien moindre.
Cette amélioration « se paye » par contre en
temps d'intégration puisque la musique est programmée en fonction
de toutes les phases de jeu. Dans la plupart des jeux d'aventure où le
scénario est « scripté » dans un fichier au format
« texte » extérieur au programme, les commandes de son pour
déclencher la musique doivent être intégrées
à l'intérieur de ce script en suivant le déroulement de
l'aventure.
Mais cette tâche peut être confiée au sound
designer puisqu'il n'intervient pas dans le code du jeu. Le programmeur peut
ainsi se consacrer uniquement sur le moteur du jeu en déléguant
l'intégration du son au designer dont c'est le métier. Car
l'intégration d'une musique scénarisée demande une
certaine réflexion propre à un jeu interactif puisqu'il ne faut
pas que la musique empêche le joueur d'agir en le prévenant de
tous les dangers. Quand les violons stridents de Bernard Hermann dans Psychose
annoncent la scène du meurtre, le spectateur n'a pas d'autre choix que
d'assister à ce qui va suivre ; le joueur en revanche peut
décider de continuer ou de rebrousser chemin, ce qui n'est pas
forcément l'effet voulu par le game-play. Ce peut-être un
écueil dans certains jeux. Dans les jeux d'aventure, dont la forme se
rapproche du cinéma, la musique scénarisée est
particulièrement adaptée.
Musique interactive
On restait précédemment dans une création
musicale classique adaptée à la non-linéarité d'un
jeu, un pas supplémentaire est franchi avec la musique
interactive. Cette fois-ci, c'est la musique elle-même qui
évolue avec le jeu. On peut ainsi imaginer d'ajouter des instruments
aigus, lors d'une phase de danger, de ralentir ou d'accélérer le
tempo en fonction de l'urgence, changer la tonalité en fonction des
personnages etc....
Paradoxalement les premiers jeux vidéo dans les
années 80 intégraient déjà une sorte de musique
interactive de par leurs limitations techniques. Comme la mémoire
était chiche, il était plus économique de
développer un mini synthétiseur pour générer les
sons en temps réel plutôt que de jouer de la musique
préenregistrée. On sépare ainsi le fichier musical (la
partition en quelque sorte) des sons eux-mêmes. Il est ainsi très
facile de modifier les propriétés du fichier « partition
» en temps réel (tempo, notes...) comme ce fut le cas sur le jeu
Space Invaders où le rapprochement des « envahisseurs » se
traduit par l'accélération du tempo de la musique. Celle-ci avait
beau être extrêmement pauvre musicalement, ce qu'on perdait en
musicalité on le gagnait en plaisir de jeu. C'est d'ailleurs ce
critère qui doit présider à tous choix de musiques et des
techniques associées : son impact sur le gameplay.
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