Edito
Je me dois d'effectuer quelques précisions sur le choix
du sujet.
En effet, après m'être gratté la
tête pendant de nombreux mois pour décider sous quel aspect
très précis aborder le jeu vidéo, sujet qui me passionne,
et à trouver relativement peu d'informations sur chaque sujet, j'ai
finalement tranché : Je vais parler du jeu vidéo en France,
et dans le monde, du son dans le jeu vidéo, de la relation entre le jeu
vidéo et le cinéma, je vais parler du réalisme dans le jeu
vidéo, du jeu vidéo en tant qu'art, de la rivalité entre
Sony et Nintendo, bref de TOUS les aspects du jeu vidéo dont je souhaite
parler .
Donc, pardon d'avance pour ce parti pris très
nombriliste et prétentieux, puisqu'il va vous donner l'impression que je
veux juste ramener ma science très superficiellement sur de nombreux
sujets. Et vous n'aurez peut-être pas tort, mais je ne peux pas
m'empêcher de sauter sur une si belle occasion de le faire.
Pardon également, pour le manque évident de
linéarité dont souffre ce devoir, car il y a donc beaucoup de
thèmes, de parties, de transitions que je n'ai pas eu le temps de
détailler comme j'aurais voulu le faire, pire, il y a même des
articles que je n'ai pas eu le temps de reformuler ou de synthétiser, et
qui sont repris tels quels, ou tout juste traduits.
Peu importe, car j'ai essayé de les utiliser de
façon claire, et je les ai tout de même choisis parce qu'ils
reflétaient ce que qu'un ISTS A passionné de jeu vidéo
peut juger important de communiquer, ce dont un musicien amateur fan de
Nintendo pouvait avoir envie de parler. Bref, mon point de vue sur le jeu
vidéo...
Introduction
Le jeu vidéo est l'un des loisirs les plus populaires
dans le monde, mais il souffre toujours d'une mauvaise image ?
Le jeu vidéo génère aujourd'hui des
rentrées d'argent supérieures au cinéma, mais les studios
indépendants crient famine ?
Le jeu vidéo est un produit moderne, dont
l'évolution reflète parfaitement la vitesse de celle des
nouvelles technologies, mais le seul aspect visuel et réaliste qui le
constitue semble intéresser le grand public ?
Quel est « l'enjeu vidéo » en
Novembre 2006 ?
Comment expliquer ces paradoxes qui font du jeu vidéo
un média au statut populaire et marginal unique ?
Nous tâcherons de répondre à ces questions
dans le devoir qui suit en décrivant la situation, soulevant des
problématiques, puis nous réfléchirons à des
solutions pour dresser des perspectives d'avenir du jeu vidéo.
La situation du jeu vidéo
Le jeu vidéo en chiffres
Une première approche du son dans le jeu
vidéo
Les problématiques
Le son en général
La musique en particulier
Jeu vidéo et cinéma
Analyse/développement/Argumentation
Art et jeux vidéo
La question du réalisme
La bataille des constructeurs et la valeur ajoutée des
jeux Nintendo
Les perspectives d'avenir
Ce que craint le jeu vidéo
La route à suivre pour un avenir brillant.
La situation du jeu vidéo
Le jeu vidéo aujourd'hui
J'aimerai commencer par un condensé d'articles
récents sur le marché du jeu vidéo, le premier (Septembre
06) faisant état de sa situation politique et économique en
France et le second (Octobre 06) donne de nombreux chiffres sur les habitudes
de jeu des français, sachant que ces chiffres peuvent
énormément varier d'un mois sur l'autre.
Enfin, un petit bilan du jeu Online, genre émergeant et
que je me dois de mentionner, car il connait une croissance unique.
J'aimerai cependant en profiter pour préciser que le
jeu online ne revendique aucune différence avec le jeu offline du point
de vue du traitement du son, il n'a rien à lui envier.
Le phénomène récent et très
populaire des jeux gratuits par navigateur (Ogame, Battleknight...) en
est la preuve car ils ne comportent tout simplement aucun son !
Philippe Crouzillacq ,
01net., le 12/09/2006 à
20h02
« L'industrie française du jeu
vidéo est en danger si rien n'est fait pour soutenir et accompagner son
développement. »
Le discours n'est pas
nouveau. Mais il a été répété avec
force, lundi 11 septembre, par les professionnels français du
secteur, à l'occasion d'un colloque à l'Assemblée
nationale, en présence du ministre de la Culture, Renaud Donnedieu de
Vabres.
« L'enjeu est simple, rappelle Jean-Claude
Larue, délégué général du Sell (Syndicat des
éditeurs de logiciels de loisirs), produire un jeu au Canada
coûte aujourd'hui 40 % moins cher qu'en France. Dans ces conditions,
nous ne réclamons pas un statut de privilégié mais une
simple égalité de traitement. » L'industrie
française du jeu vidéo demande depuis de longs mois la mise en
place d'un crédit d'impôt à la production.
Le système est le suivant : une partie des sommes
investies dans la production est déduite de l'impôt dû par
les sociétés et reportée sur les exercices suivants, ce
qui permet de lisser les besoins de trésorerie. Un tel mécanisme
aurait pour effet de donner une bouffée d'air aux studios
français, obligés d'investir fortement, surtout avec
l'arrivée des consoles de jeux de nouvelle génération
(PS3, Wii...).
Le gouvernement français a donné son accord pour
une telle mesure en octobre 2005, mais la décision est suspendue au
bon vouloir de Bruxelles. Et les autorités européennes
n'hésitent pas à prendre le temps de la réflexion.
Après avoir été saisie en décembre 2005, la
direction générale de la concurrence de la Commission
européenne a posé de nouvelles questions cet été et
pourrait bien demander l'ouverture d'une enquête formelle.
Conséquence : toute décision risque d'être
repoussée à la fin de l'année 2008.
Les sollicitations de la France
irritent
Le peu d'empressement de Bruxelles s'explique par plusieurs
facteurs. La France a déjà obtenu de l'Union européenne
des conditions particulières de soutien à son industrie
cinématographique et, plus récemment, la mise en place d'un
crédit d'impôt pour soutenir sa production musicale.
« Par ailleurs, souligne Benoît Clerc, directeur
Software de l'éditeur Big Ben Interactive, au niveau
européen, les sollicitations françaises provoquent parfois
l'irritation de certains pays entrants et nouveaux venus dans la production de
jeux vidéo, comme la Pologne, qui y voient une concurrence
déloyale. »
Pour le Sell, il y a urgence. Certaines sociétés
historiques, comme Infogrames, montrent des signes inquiétants (voir
encadré). « C'est tout le paradoxe de notre
industrie, souligne Jean-Claude Larue, le marché est
florissant (1) mais, à l'autre bout de la chaîne, les studios
de création sont au bord de l'asphyxie. »
Le syndicat professionnel continue de se référer
à l'exemple canadien. Il y a plusieurs années, ce pays et sa
province du Québec ont décidé d'attirer sur leur
territoire les principaux acteurs du loisir interactif. Une politique
volontariste qui s'est traduite par des facilités d'implantation, le
développement de formations universitaires adaptées et, là
encore, des crédits d'impôt.
« On n'attrape pas les mouches avec du
vinaigre », commente Jean-Claude Larue. Résultat :
plus de 15 000 créations d'emplois directes ou indirectes et
un solde fiscal globalement positif, affirme le Sell. Certains éditeurs
français, comme Ubisoft, ont profité de ces conditions
exceptionnelles pour déplacer une grande partie de leurs effectifs de
l'autre côté de l'Atlantique.
En France, le secteur n'est soutenu, pour le moment, que par
des aides publiques traditionnelles telles que le FAEM (Fonds d'aide à
l'édition multimédia) qui dépend du Centre nationale de la
cinématographie, et des aides régionales.
31 Août 2006
L'institut de sondage Mediamétrie vient de
rendre officiellement compte de son enquête menée de front sur le
territoire français concernant la pratique du jeu vidéo. Ayant
pour but initial de cerner l'équipement des joueurs, leurs profils et
leurs habitudes, c'est en s'appuyant sur l'ensemble de ses dispositifs de
mesure et d'enquête que Médiamétrie a mis au point ce
rapport, qui s'impose d'emblée comme une référence -
manque de concurrence aidant - concernant le marché français du
jeu vidéo.
Au niveau de l'équipement, l'enquête
établit qu'environ un français sur deux dispose d'un
micro-ordinateur et que près de trois foyers sur dix (28,1%) dispose
d'une console de salon alors que 14% des foyers français
possèdent une console de jeu portable. Des chiffres encourageants,
même si seulement un français sur dix (9,5%) dispose des trois
à la fois. Concernant le public, ce sont près de 13 millions de
français qui ont pratiqué le jeu vidéo au moins une fois
au cours du dernier mois, dont les deux tiers (64,7%) sont des hommes et dont
la moitié a moins de 24 ans. Ce qui ne veut pas dire que les jeux
vidéo soient réservés aux jeunes, comme le déclare
Médiamétrie : "la pratique des jeux vidéo est surtout
répandue chez les 13-19 ans (plus d'un million chaque jour), et aussi
auprès des 35-49 ans (près de 900 000 joueurs chaque jour en
moyenne)".
Toujours en moyenne, chaque jour ce sont 3,8 millions de
français qui jouent à un jeu vidéo et 44% de
ceux-là ont entre 13 et 24 ans. Dernier point, les sites internet
consacrés aux jeux vidéo concernent 8 millions de français
qui effectuent en moyenne 9 visites par mois. Enfin, le moment auquel l'on joue
le plus en France est le dimanche autour de 18 heures, heure à laquelle
on comptabilise environ 5 millions de joueurs. Qui a dit que la France
n'était pas une terre de joueurs ?
Quelle est la situation du marché des jeux
vidéo en France ? Qui sont les joueurs ? Sur quels types de plateformes
jouent-ils (PC, console, téléphone portable...) ? Quelles sont
leurs intentions d'achat dans les 6 prochains mois ? Que pensent-ils du
placement de produits / marques dans les jeux vidéos ? .... Et par
ailleurs, quels sont leurs loisirs ou leurs occupations en dehors des jeux
vidéo ?
Pour la troisième année
consécutive, depuis 2002, le département des Technologies de
l'Information de TNS Sofres lance une étude sur le marché des
jeux vidéo. L'édition de cette année est encore enrichie
:
· Une cible élargie à tous les joueurs du
foyer y compris les moins de 15 ans ;
· L'opinion des joueurs sur l'apparition des
marques/produits dans les jeux vidéo ;
· Le « casual gaming » (jeux sur
téléphones portables, jeux internet gratuit, jeux sur PC de type
Solitaire...) qui apporte une vision globale sur les jeux vidéo ;
· Les autres loisirs et occupations des joueurs.
L'ordinateur reste la plateforme de jeu la plus
répandue
Près d'un foyer français sur deux est joueur
avec 2 joueurs en moyenne par foyer. Le PC est plébiscité par les
joueurs qui sont 70% à l'utiliser (dont 30% pour le jeu en ligne). 20%
des joueurs déclarent jouer sur les téléphones portables
et PDA. Quant au jeu en ligne, il séduit 23% des joueurs. Toujours
principalement joués depuis un ordinateur, seuls 4% des joueurs jouent
à des jeux en ligne sur console de type Xbox Live ou PS2 Online.
La popularité des jeux sur
PC
Représentatif Foyer
Le palmarès des plateformes
Représentatif Foyer
Le « Casual Gaming », un jeu
à prendre au sérieux...
Moins impliquant, plus simple, ces jeux séduisent une
importante partie des joueurs. Plus de la moitié des joueurs sur
ordinateur jouent aux jeux disponibles sur leur système d'exploitation
comme le démineur ou le solitaire. 40% de ces mêmes joueurs jouent
à des jeux gratuits sur internet. Tous ces types de jeux attirent les
joueurs plus âgés (les 35 ans et plus), ainsi que les femmes.
Plus d'un joueur sur 10 est âgé de moins
de 10 ans... et 40% des joueurs sont des femmes
Les joueurs ont 25 ans en moyenne et sont principalement des
hommes. Le joueur moyen reste donc âgé malgré
l'intégration cette année de tous les joueurs sans limite
d'âge. Cette moyenne est particulièrement boostée par les
joueurs sur PC et téléphone portable - Seuls, les joueurs sur
consoles de salon et consoles portables sont plus jeunes (respectivement 21 et
19 ans). Il est aussi important de souligner que 12% des joueurs ont moins de
10 ans ! Mais près d'un quart d'entre eux a 35 ans ou plus.
Le profil des joueurs au sein des foyers
Représentatif Foyer
Quel est le profil du joueur ? Moins « hardcore
» et plus ouvert sur ses amis et sa famille
Même si les joueurs jouent tout de même en moyenne
5h45 par semaine, le joueur hardcore est minoritaire : quasiment la
moitié des joueurs jouent moins de 3 heures par semaine. Cette moyenne
importante est poussée par les 15-24 ans qui passent plus de 6h à
jouer. Les consoles portables et le jeu en ligne sont aussi
particulièrement chronophages - presque 7h en moyenne par semaine.
Cependant, les joueurs âgés de plus de 15 ans ont
une vie sociale développée en dehors des jeux vidéo. 57%
d'entre eux passent plus de temps avec leurs amis et leur famille qu'à
jouer aux jeux vidéo. Plus du tiers à la moitié d'entre
eux écoutent de la musique, se promènent, regardent la
télévision, surfent sur Internet, lisent des livres, regardent
des DVD et font du sport.
Les loisirs des joueurs
Représentatif Individus 15 ans et +
Plus de
temps Moins
de temps
Le palmarès des plateformes
PS3, « la
grande gagnante » des intentions d'achat
PlayStation 2, encore et toujours, reste le leader
incontesté des consoles de jeux : un tiers des foyers joueurs (34%) en
possèdent une, pour 11% une GameCube et 9% une Xbox.
Notons qu'avec l'arrivée il y a un an de la Xbox 360 -
la première console de nouvelle génération - Microsoft a
renforcé sa présence sur le marché des consoles de salon :
4% des foyers en ont déjà fait l'acquisition.
Enfin, en ce qui concerne les consoles portables, la DS de
Nintendo et la PSP de Sony, sorties toutes les deux début 2005, se
retrouvent ex-aequo à 7%.
12% des foyers français ont l'intention d'acheter une
console de jeux d'ici mars 2007, date de sortie de la PS3. Plus d'un foyer
intentionniste sur 4 n'a pas encore fait son choix. PS3, malgré son
arrivée tardive sur le marché, arrive en tête des
intentions d'achat ; 20% des foyers français ayant l'intention d'acheter
une console de jeux vidéo porteront leur choix sur cette console.
Suivent la DS et la PSP avec respectivement 14% et 12% des
intentions d'achat. 7% pour la Xbox 360 lancée il y a un an. La Wii -
à quelques jours de son lancement - intéresse 5% des «
intentionnistes ».
Les intentions d'achat dans les 6 prochains
mois
En rose, les consoles de nouvelle
génération
Plus de ¾ des joueurs de 15 ans et plus trouvent
acceptable de voir des produits et/ou des marques dans les jeux
vidéo
77% des joueurs trouvent les produits/marques
déjà trop présents dans les jeux vidéo. Cependant,
62% l'acceptent car ce procédé est pour l'instant bien
pensé : bien intégré (71% des citations), il ne
dérange pas le game play (72%), rend le jeu plus réaliste (61%).
Même s'ils acceptent l'idée selon laquelle ce
procédé permettrait aux développeurs de disposer de moyens
supplémentaires pour des jeux de plus en plus chers à produire,
ils sont loin d'être naïfs. La proximité avec la marque ou le
produit n'est pas vécue -consciemment ou non - de manière si
évidente.
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Jeux vidéo massivement multijoueurs en ligne
Etats des lieux et perspectives
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Edition du 11.10.06
Le nouveau rapport de l'IDATE présente un
état de l'art des jeux communautaires en ligne en termes d'usages, de
contenus, de marchés et d'opérateurs, et une analyse des enjeux
qui conditionnent le développement du marché
Le marché des jeux vidéo en ligne massivement
multi-joueurs ou jeux vidéo MMO (Massively Multiplayer Online) ou jeux
vidéo communautaires en ligne connaît un virage fin 2004 lorsque
Vivendi Universal Games installe dans les linéaires son premier et
unique titre du genre, World of Warcraft (WoW), développé par sa
filiale Blizzard Entertainment. Ce jeu de rôle (RPG pour Role Playing
Game) arrive sur un marché très concurrentiel et largement
dominé par le succès de titres sud-coréens. NC Soft est
à cet égard l'heureux éditeur de Lineage, dont le nombre
d'abonnés payants a un temps culminé à 3.2 millions. Hors
d'Asie, le jeu vidéo MMO le plus populaire demeure EverQuest et ses
nombreux add-on. Le jeu de Sony Online Entertainment (SOE) réussit
brillamment, croit-on, à faire "persister" une communauté de plus
de 500 000 abonnés.
World of Warcraft
En huit mois d'exploitation, World of Warcraft réussit
à convaincre 2 millions de joueurs. Un an après, il compte 4.5
millions d'abonnés, et 6.6 millions en juin 2006. Jamais un jeu
vidéo n'avait rencontré un tel succès en aussi peu de
temps.
Le marché des jeux vidéo MMO compte 13 millions
d'abonnements payants à mi-2006. Fin 2006, ce segment de marché
du jeu vidéo représente un chiffre d'affaires au niveau mondial
de 2.5 milliards USD.
A l'horizon 2010, il devrait avoisiner 5.5 milliards USD,
doublant ainsi en 4 ans, et enregistrant chaque année une croissance
à deux chiffres. En ne considérant que les trois principaux
marchés du jeu vidéo, Etats-Unis, Japon et Europe, le chiffre
d'affaires des logiciels de jeux vidéo devrait s'élever à
30.5 milliards USD à l'horizon 2010. Pour la première fois, le
chiffre d'affaires des logiciels de jeux vidéo MMO pourrait
représenter plus de 10% de ce marché.
Le marché des jeux vidéo massivement multi-joueurs (millions USD)
200120022003200420052006Europe136.2167.0207.0238.4273.1371.3Japan122.1135.1152.4138.4133.2163.1USA213.3296.5430.3566.3625.7815.4Asia
Pacific322.3443.7634.0710.0768.9933.3Rest of the
World95.2119.7132.6143.5159.5225.8Total889.11 162.01 556.21 796.61 960.42
508.9
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Le son dans le jeu vidéo
A l'instar du cinéma, la télévision et
tous les médias essentiellement visuels, le son et la musique sont
souvent secondaires, voire oubliés dans la création du jeu
vidéo.
Cela est probablement dû au fait que le son vous atteint
de manière beaucoup plus subtile que des images époustouflantes
ou un gameplay* ultra-rapide.
A dire vrai, la preuve d'un design sonore réussi est
souvent qu'on n'y prête pas attention consciemment.
Mieux, il fonctionne de façon subconsciente : il
fait monter la tension, manipule l'humeur, et vous plonge dans l'imaginaire du
jeu lentement, mais inexorablement.
* Gameplay est un terme
caractérisant des éléments d'une expérience
vidéoludique. Cet anglicisme n'a pas de réel équivalent en
France. Au
Québec,
jouabilité est un terme synonyme
préconisé. Il recouvre plusieurs sens que l'on pourrait tenter de
résumer ainsi : le gameplay serait les règles du jeu, la
manière dont le joueur est censé y jouer, la fluidité de
ces règles une fois appliquées à l'environnement du jeu,
et également la manière dont le joueur peut jouer, les
possibilités offertes par l'environnement (on peut parfois
découvrir une possibilité d'action qui n'était pas
prévue par les programmeurs mais toutefois permise par l'environnement
et l'ensemble des règles ; on parle alors de gameplay
émergent).
Prenons par exemple l'ambiance sinistre de Resident
Evil, dont les effets sonores font partie intégrante du suspens et
de l'horreur lorsque vous débarquez parmi ces zombies acharnés
(dans tous les sens du terme !) qui mâchouillent vos petits
camarades de l'Alpha Team. Même les jeux d'hier tels que Space
Invaders doivent beaucoup de leur pouvoir d'addiction au
martèlement de schémas sonores répétitifs. Quand
les extra-terrestres accélèrent et se rapprochent, la musique
accélère et devient plus chargée. Correctement
réalisées, le son et l'image s'additionnent pour créer une
valeur ajoutée, une expérience de loin supérieure à
la simple somme de ces deux composants.
Les joueurs confirmés se sont mis à
apprécier à quel point un son et une musique réussis
peuvent ajouter à l'expérience globale du gameplay .
Les premiers classiques d'arcade (bornes de jeux dans les
lieux publiques) tels que Pac-Man et Defender reposaient sur
de superbes schémas sonores numériques qui nous fournissaient des
bips, mélodies, bourdonnements, apostrophes sonores jusqu'alors
inouïes. Avec l'introduction de l'ère 16-bit et 32-bit, puis les
capacités de stockage décuplées du CD-ROM, la musique de
jeu vidéo s'est transférée dans la réalité
de la composition « naturelle ». Les bandes originales de
jeux vidéo constituent à présent une discothèque
à part entière, que ce soit en ligne ou non. Cette pollinisation
croisée, à présent commune continue, de
« Pac-Man Fever » (terme qui fait référence
à la mode des jeux « rétro » dont Pac-Man est
le symbole, mais aussi à un tube interplanétaire inspiré
du jeu), au phénomène récent d'artistes techno, rock, ou
même des compositeurs de musique de films qui contribuent à des BO
de jeux (comme Prodigy ou Garbage, ou même Danny Elfman pour
Fable !!)
En l'an 2000, la National Academy of Recording Arts and
Sciences (NARAS) a décidé de laisser concourir les jeux
interactifs lors de la cérémonie annuelle des Grammy Awards. Au
sein même de l'industrie de la musique de jeux, des partisans militent
pour une catégorie spécifique à la musique de jeux
vidéo, mais pour l'instant, de toute façon, aucun groupe de lobby
organisé ne s'est fait connaître, d'après le porte-parole
du NARAS. Comme les choses se présentent actuellement, les compositeurs
autonomes ou les maisons de disques peuvent soumettre des BO de jeux
indépendamment dans l'une des trois catégories
générales : Meilleure Bande Originale, Meilleure Chanson,
Meilleure Composition Instrumentale pour un Film, la Télévision,
ou Autre Média Visuel.
Alors que la technologie progresse et que le design
général des jeux continue à évoluer, la musique des
jeux vidéo promet de devenir un terrain fertile de développement
et de croissance.
Les tout premiers jeux vidéo n'avaient aucun composant
sonore, ceci-dit. En 1958, William Higinbotham, l'ingénieur d'un centre
de recherche nucléaire américain façonna une sorte de jeu
de tennis primitif sur un oscilloscope.
Cinq ans plus tard, le Spacewar d'un étudiant
en science du Massachussetts, affichait deux vaisseaux spatiaux s'affrontant,
contrôlés par des commutateurs séparés.
Il a été crée sur le monstrueux PDP-1,
ordinateur à 12000 dollars, dont l'unité centrale
« dépassait la taille d'une Buick » (grosse voiture
américaine).
Ces deux jeux, de toutes les manières, étaient
silencieux.
Problématiques
Je me suis servi ici d'un article d'un site
américain assez édifiant pour servir d'introduction aux
problématiques rencontrées :
Ces dix dernières années, le jeu vidéo
est devenu la branche de l'industrie du divertissement à la croissance
la plus rapide. Avec ses franchises parmi les plus recherchées
d'Hollywood, et des marges de profits rivalisant avec les plus gros
blockbusters, il attire plus d'attention et de meilleurs talents que jamais.
Cependant, malgré des ventes record et des
consommateurs loyaux, il manque à la plupart des jeux le prestige
accordé aux films par les gens de l'industrie du divertissement. Alors
que la consommation de jeu vidéo progresse, la valeur artistique des
jeux est toujours remise en question par les gens qui continue à les
voir juste comme tels : des jeux.
« Le jeu vidéo est
considéré comme l'enfant illégitime de la culture et du
loisir » affirme Nick Peck.
« Il n'est toujours pas aussi
« cool » (NDT : que le cinéma ou la musique,
les enfants qui ont leur place à la table du banquet). »
Peck, qui est actuellement « supervisor of video
game audio » (NDT : volontairement non traduit pour montrer
qu'il n'existe pas d'équivalent en France) du Skywalker Sound de George
Lucas a récemment parlé à des étudiants en design
sonore de San Francisco. Ses douze ans de carrière incluent la direction
sonore de Lucasart (NDT : franchise qui développe depuis le
début des années 90 en moyenne 2 ou 3 jeux par an adaptés
de l'univers Star Wars), et le poste de designer sonore principal sur les films
« Adaptation » et « Dans la Peau de John
Malkovitch »
En terme de jeux, Peck a travaillé sur pas moins de 10
adaptations Star Wars, « Indiana Jones et le Tombeau de
l'Empereur », «Secret Weapons Over Normandy », et
plus récemment, « Star Wars Episode lll : La Revanche des
Sith »
Selon Peck, le look des jeux vidéo a été
révolutionné par l'introduction de l'animation numérique.
Mais alors que l'animation est devenue beaucoup plus sophistiquée, la
qualité du son commence seulement à vouloir rattraper son retard.
De façon assez similaire à l'industrie cinématographique,
la plupart des sociétés de jeux vidéo traitent le design
sonore comme un élément de dernière minute, investissant
massivement dans l'image, et laissant des budgets ridicules et des contraintes
de temps impossibles pour le son. (NDT : j'en veux pour preuve
l'infructuosité de ma recherche de stage. Les dizaines d'entreprises
dans lesquelles j'ai postulé admettent, pour la plupart des projets,
employer une grosse équipe image pendant plusieurs mois, et laisser la
composition, le design sonore, et le mixage à une même personne en
quelques jours seulement. La vie est injuste.)
Mais comme le jeu vidéo continue de propulser en avant
l'industrie du divertissement, il fait un gros effort pour devenir de plus en
plus cinématographique. L'usage croissant de cinématiques (les
films courts qui entrecoupent les scènes de jeux) fait partie d'une
tendance vers de plus hautes valeurs de création.
En attendant, petit à petit, un peu plus d'espace est
alloué aux designers sonores, pour leur permettre de s'exprimer
d'avantage, et peut-être un jour suffisamment pour égaler et
compléter la richesse visuelle.
« Games are going Hollywood »,
plaisante Peck, mais avec un haut-fond de vérité.
Le futur, c'est le bruitage.
Pour Peck, le véritable avenir du jeu
repose dans le bruitage, c'est à dire le procédé qui
consiste à capturer le son de tout ce que l'on voit à l'image.
(NDT : est-ce utile de préciser que le son direct est inexistant
dans le jeu vidéo ?)
L'introduction de bruitage dans l'audio du jeu crée une
expérience sonore plus complexe qui capture des sons humains beaucoup
plus réalistes.
Si vous dirigez un personnage et le déplacez dans un
FPS (NDT : First Person Shooter = jeu de tir à la première
personne, voire aussi « Doom-Like »), il est très
important d'être capable de renforcer l'illusion avec le tintement de
l'armure, le cliquetis de l'arme, le bon son de bottes dans la neige
grinçante », dit Peck, soulignant l'importance de pouvoir
apporter au jeu les détails et les nuances du son.
Je pense à l'exemple très frappant d'un FPS
multijoueur hilarant que j'affectionne énormément, Time
Splitters : Future Perfect, qui propose un bonus inédit.
En effet, au bout de quelques heures de jeu, on a la
possibilité de remplacer les sons très travaillée des
armes, des véhicules par les même sons, mais bruités
à la bouche !
Je sais que Nick Peck ne pensait pas à ce genre de
« sacrilège », lorsqu'il parlait de bruitage, mais
compléter le look farfelu des personnages (Le Dinosaure, L'Ours, Le
Robot Poisson, ou Léo Krupps, le célèbre dompteur mi
homme-mi lion), l'action démesurément violente et volontairement
confuse par des « Fiouuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuuu PRRRRRRRR »
et autres « TAGADAGADAGADA » scandés sans retenue
par une voix enfantine est vraiment une idée tordante !
L'axe de la qualité pure
« Tant que les capacités sonores des ordinateurs
ressemblent plus à des téléphones, on ne pourra pas parler
de bande son dans le jeu » entendait-on au début des années
90.
Mais après avoir résolu les problèmes de
qualité purement audio en passant en une petite décennie de la
qualité « téléphone » à une
qualité proche du CD audio1, force est de constater que le son dans la
plupart des jeux reste souvent une superposition d'éléments
sonores plus ou moins harmonieuse et aléatoire. Les coupures sonores
intempestives, les boucles insupportables, les répétitions
systématiques de son, les désynchronisations ou des
décrochements importants entre le son et l'image, sont encore le
quotidien des joueurs.
L'axe du rendu sonore en « temps réel
»
Il a bien fallu se rendre à l'évidence, la
qualité du son ne suffit pas pour créer une bande sonore dans un
jeu comme on l'entend au cinéma. L'adéquation du son avec l'image
est encore trop hasardeuse. Mais pour parvenir à suivre les choix des
joueurs, les déplacements des personnages dans l'espace du jeu, le son
ne peut être calculé à l'avance. Cette charge doit
être du ressort de l'ordinateur lui-même. Cette modification du son
en temps réel réclame une puissance de calcul importante au
regard de ce que l'ordinateur doit déjà gérer par
ailleurs. Qu'à cela ne tienne ! Comme il y a des cartes vidéo
dédiées au calcul de l'image, les cartes sons
équipées de processeurs dédiés (DSP) s'en
chargeront !
Hélas, ces cartes ne se répandent pas si
rapidement, et il n'existe pas de norme suffisamment installée pour
encourager les développeurs à implémenter des technologies
que, par-dessus le marché, ils ne maîtrisent pas. Par ailleurs le
surcoût que cela pourrait occasionner n'est pas jugé rentable par
la majorité des productions.
Cet axe est pourtant une évidence pour qui travaille
sur le son des jeux vidéo mais l'usage de moteur audio 3D
nécessite toujours des réglages complexes et des choix
artistiques que l'ordinateur ne peut pas faire. On rencontre ce genre de
problèmes par exemple lors des changements de position de caméra
qui entraîne automatiquement des changements de rendu sonore des plus
inaudibles (un champ/contrechamp par exemple qui fait passer un son de gauche
à droite de façon très fatigante pour l'auditeur/joueur).
Les règles qui rendent cohérent le point de vue et le point
d'écoute dépendent d'un grand nombre de facteurs, pas toujours
les mêmes en fonction de la scène, et qui sont très
difficile à modéliser.
Dans un jeu vidéo, nous sommes souvent obligés
de faire le constat suivant :
L'interactivité d'un jeu va à l'encontre de
certaines lois et fonctions du son.
Ces lois quelles sont elles ?
Au cinéma, devenu parlant, le son a totalement
modifié le montage des plans en introduisant la continuité. Des
plans discontinus se retrouvent, grâce au son, reliés entre eux
dans le temps et aussi dans l'espace. Par exemple la même ambiance de
foule donnera la cohérence d'ensemble au montage d'un concert
filmé à des endroits et à des moments différents.
Dans d'autres cas, le son relie deux plans en anticipant
légèrement la scène à voir (ex : dans Star
Wars, le thème de l'étoile noire qui démarre quelques
secondes avant que n'apparaisse cette dernière et l'introduit en grandes
pompes). Dans tous les cas le son « lisse », en quelque sorte, le
montage image.
Mais dans un film, le réalisateur est totalement
maître du rapport image/son et il peut créer l'effet qu'il
souhaite en déclenchant les éléments sonores en parfait
adéquation avec l'image. Dans un jeu en revanche Le joueur se retrouve
à la fois dans la position du monteur,
déclenchant des évènements sonores au moment qu'il
décide et mixeur, par sa position dans l'espace du jeu.
Les synchronisations ne sont déterminées que ponctuellement (une
animation/un bruitage) pour le reste, les enchaînements sont
imprévisibles, à plus forte raison dans le jeu online où
on peut vite se retrouver avec 30 monteurs/mixeurs dans un même
décor..
Par conséquent comment le son peut-il encore assurer
son rôle de « continuum spatio-temporel » dans un jeu où
l'interactivité rompt constamment cette continuité ?
Comment faire du son un média
interactif ?
Une approche serait de penser que le son n'est pas d'essence
linéaire, nos oreilles doivent simplement s'habituer à une autre
façon d'entendre le son. Le fait que nombre de joueurs ne satisfont
d'une qualité très médiocre et d'un brouhaha sonore
justifierait cette théorie. Je pense notamment au déclenchement
des sons par des événements : dans de nombreux jeux de tir
(ex :Perfect Dark sur N64), chaque balle tirée sur un ennemi
déclenche un cri, mais quand les ennemis sont résistants et qu'on
doit utiliser une rafale, chaque cri est souvent déclenché au
détriment du précédent qu'il coupe instantanément.
Ce défaut, qui fait brutalement sortir de l'action et qui confère
au jeu un caractère subitement très mécanique est
inacceptable ! Pourtant quand certains jeux proposent un son de meilleure
qualité, les joueurs le plébiscitent même si ça ne
devient pas leur critère principal. Il parait peu concevable que la
pratique du son dans une narration linéaire devienne totalement caduque
pour un jeu interactif. Le son reste un fil tendu dans le temps quand l'image
est un drap suspendu dans l'espace. A partir de là, le champ est ouvert
pour toutes les expérimentations qui respectent ces deux principes.
L'axe de la scénarisation et de
l'intégration du son dans les jeux
Il existe une grande variété de jeux. Chaque
typologie de jeu possède ses propres contraintes, ses propres codes
d'interaction avec le joueur et requiert une nouvelle réflexion sur le
design sonore.
Pour autant tous ces jeux ont en commun d'associer du son et
des images et ne dérogent pas à un certain nombre de règle
qui ont depuis longtemps été énoncées par le
cinéma. Et si nous prenons l'exemple d'un jeu vidéo d'aventure
(type Zelda), sa forme s'inspire très fortement d'une narration
linéaire classique. Nous verrons à la fois ce qui les distingue
mais comment nous pouvons tenter de les rapprocher en considérant que la
qualité du son c'est d'abord la qualité de
l'intégration. L'intégration est par analogie,
la phase de mixage, le moment où les ressources sonores sont
placées et mises en valeur dans l'espace du jeu. Mais un mixage
modulaire qui prendrait déjà en compte certains
éléments de l'interactivité. C'est une étape
cruciale qui n'est pas directement liée au moteur audio et aux
capacités des ordinateurs mais avant tout aux questions posés par
le design sonore : A quel moment la musique doit démarrer ? A quel
moment l'arrêter ? Comment ne pas créer de ruptures sonores trop
brutales ? Les bruitages doivent-ils jouer un rôle d'identifiant ?
Comment les rendre moins répétitifs ? etc. A partir de là
un moteur audio et une interface peuvent être conçus pour
répondre au mieux à ces questions.
D'un point de vue technique, les questions concernant
l'appareillage lié à la création, à
l'enregistrement, à la modélisation sont donc bien plus vastes
dans le jeu vidéo que les questions de restitution et de diffusion. En
ce qui concerne les supports de diffusion, on a vite fait le tour du sujet
puisque le choix limité du joueur entre l'équipement standard de
la télévision et l'équipement standard de l'ordinateur
n'encouragent pas à une créativité folle et ne sont pas
des critères qui rentrent en compte dans la création sonore.
A ma connaissance, cependant, de nombreux progrès
restent à faire puisqu'aucun jeu n'est mixé en 5.1, et plus
grave, encore : d'après moi, très rares sont ceux qui
exploitent pleinement la stéréo.
La musique dans le jeu
vidéo
La musique de jeu vidéo, en particulier celle datant
d'avant le XXIe siècle, peut être considérée comme
un genre musical à part entière, d'abord parce qu'il s'agit la
plupart du temps de musique programmée, à la différence de
la musique enregistrée en studio ou jouée en live. En effet, les
supports sur lesquels étaient généralement stockés
les jeux vidéo ne permettaient pas, jusqu'à très
récemment, de contenir de la musique préenregistrée.
Celle-ci était donc interprétée par l'ordinateur (ou la
console de jeu) chaque fois que nécessaire. La qualité sonore
dépendait grandement des capacités techniques du support sur
lequel elles étaient interprétées. Les faibles
capacités techniques des supports de jeu ont longtemps été
la cause de la mauvaise qualité (sonore et non pas musicale !) de la
musique de jeu vidéo. Celle-ci se traîne donc une
réputation de sous-musique en raison de son caractère accessoire
et de ses sonorités dépouillées.
Elle a pourtant évolué très rapidement
depuis la fin des années 1990, notamment grâce à
l'avènement du CD ROM, comme supports de jeux vidéo. La
capacité de ce support étant largement supérieure à
celle d'une disquette ou d'une cartouche de jeu, il a été
possible d'y intégrer des bandes-sons toujours plus complexes.
L'évolution des capacités des cartes son et des processeurs
sonores des consoles de jeu a également contribué à cette
amélioration. La qualité des musiques de jeu vidéo se
rapproche aujourd'hui lentement de celle des musiques de films. De nombreux
compositeurs tels que Nobuo Uematsu (Final Fantasy) ou Koji Kondo (Une
cinquantaine de jeux Nintendo dont les illustres Mario,
Zelda, Donkey Kong, Metroid...) se sont fait un nom
grâce au jeu vidéo. Les bande-son des jeux vidéo sont
commercialisées aux côtés des musiques de cinéma, et
sont jouées en concert, en particulier au Japon, devant des foules
certes surexcitées, mais de plus en plus
hétérogènes (j'entends par là, et c'est d'une
grande importance pour moi, que le public de musique de jeu vidéo, comme
du jeu en général, aussi bien que du manga ou même du comic
américain s'est considérablement élargi au-delà du
« GEEK de base », au cours des année 1990, ce qui a
largement contribué à laver la réputation de monomaniaque
boutonneux et asocial dont souffre le fan hardcore, et le Japon a sur ce sujet
des années d'avance sur le reste du monde, puisqu'il n'y est pas rare,
par exemple que les parents regardent les mêmes dessins animés, ou
jouent aux mêmes jeux que leurs enfants).
Les bandes originales de jeux vidéo ont toujours
été difficiles à trouver, en particulier en Europe.
Actuellement, étant donné l'incroyable amélioration de la
qualité sonore, il arrive de plus en plus fréquemment que les
éditeurs décident de mettre en vente la bande originale de
certains de leurs jeux, exactement comme on le ferait pour un film. Les bandes
originales de jeux plus anciens restent, elles, très rares. Le
problème semble toutefois résolu depuis peu puisque de talentueux
hackers ont mis au point des formats spécifiques permettant
d'émuler le son des anciennes consoles de jeu. Le format SPC (Sound
Processing Core) permet par exemple l'émulation du processeur SPC700
intégré à la Super Nintendo. L'apparition de ces formats
fut une véritable aubaine pour les amateurs de musique de jeux
vidéo.
Compositeurs de musiques de jeu vidéo
célèbres
Christophe Heral : Beyond Good and Evil
Jack Wall : Jade Empire
Robin Beanland : Conker
Bill Broum : Rainbow Six
Jesper Kyd : Hitman, Hitman 2: Silent Assassin, hitman:
Contracts, hitman: Blood Money
Danny Elfman : Fable
Amon Tobin : Splinter Cell, Splinter Cell: Pandora Tomorrow,
Splinter Cell: Chaos Theory, ect.
Matt Uelmen : Diablo II
Chris Hülsbeck : Giana Sisters, Turrican, Turrican 2,
etc.
Masashi Hamauzu : SaGa Frontier 2, Final Fantasy X, Unlimited
SaGa, etc.
Shinji Hosoe : Ridge Racer, etc.
Noriyuki Iwadare : Grandia, Radiata Stories, etc.
Koji Kondo : Super Mario, The Legend of Zelda, etc.
Yuzo Koshiro : ActRaiser, Streets of Rage, etc.
Yasunori Mitsuda : Chrono Trigger, Xenogears, Chrono Cross,
Xenosaga, etc.
Hiroshi Miyauchi : OutRun, etc.
Hitoshi Sakimoto : Radiant Silvergun, Final Fantasy Tactics,
Vagrant Story, Final Fantasy XII, etc.
Motoi Sakuraba : Star Ocean, Valkyrie Profile, Golden Sun,
etc.
Yoko Shimomura : Street Fighter II, Super Mario RPG, Parasite
Eve, Legend of Mana, Kingdom Hearts, etc.
Jeremy Soule : Guild Wars, Icewind Dale, Neverwinter Nights,
Morrowind, Oblivion etc.
Koichi Sugiyama : Dragon Quest, etc.
Nobuo Uematsu : Final Fantasy, etc.
David Wise : Donkey Kong, Star Fox Adventures, etc.
Michiru Yamane : Castlevania: Symphony of the Night, etc.
Akira Yamaoka : Silent Hill, etc.
Rob Hubbard (commodore 64)
Martin Galway (commodore 64)
Allister Brimble (Amiga)
Tappy Iwase (Metal Gear Solid, Policenaut, Suikoden)...
Norihiko Hibino (Metal Gear Solid 2: Sons of Liberty, Metal
Gear Solid 3: Snake Eater, Zone of the Enders)...
Marty O'Donnell (Halo: Combat Evolved, Halo 2, ...)
David Bergeaud (Ratchet & Clank...)
Harry Gersson William (Metal Gear Solid 2: Sons of
Liberty)...)
...
Du point de vue de la composition audiovisuelle, on peut dire
que la plupart des musiques de jeu vidéo ont en commun le parti pris de
coller à l'image.
En effet, ces musiques incidentales ont pour
vocation première de renforcer l'idée ou l'émotion
présente à l'écran, ou de caractériser un lieu ou
un personnage (leitmotivs). Elles sont donc terriblement expressives, parfois
caricaturales, mais invariablement soumises à la trame
scénaristique et/ou géographique. Ecoutez-donc les musiques de
Zelda et vous serez capable d'imaginer très facilement une situation
pour chaque plage, car c'est bien le but.
Si ce procédé est en place depuis le
début, je pense que ça n'est pas du fait des compositeurs qui
rêvent sans doute d'une plus grande liberté, mais qu'il s'agit
d'une contrainte de mise en scène ou de production. Ces musiques sont,
le plus souvent bien écrites et efficaces dans ce but, mais c'est une
contradiction notable, lorsqu'on admet le potentiel illimité de
création de mondes imaginaires que peut offrir l'écriture
musicale dans la fiction interactive.
Je ne suis pas complètement critique à ce sujet,
car je pense que si ces musiques continuent dans ce sens et sont de plus en
plus reconnues, c'est qu'elles correspondent à une certaine attente du
public. Peut-être un peu « premier degré »,
mais massive.
Je m'autorise cependant à rêver de la richesse
immense qu'acquerront les jeux, le jour où ces fabricants d'imaginaire
pourront se permettre de nous offrir musiques anempathiques
et autres contrepoints audiovisuels.
Par contre, il n'a aucun moyen de savoir si cela se produira
vraiment...
L'un des plus célèbres d'entre eux est Akira
Yamaoka.
Il était à la fois compositeur et designer
sonore sur Silent Hill, et son travail pour créer une
atmosphère exceptionnellement suffocante, glauque et dérangeante
a tellement émerveillé les joueurs, les critiques, et ses
employeurs de chez Konami, qu'on a décrété qu'il
était responsable du succès du soft, et il est donc devenu game
designer (l'équivalent de réalisateur) sur Silent Hill 2, 3
et 4. De plus, ses compositions sont celles que l'on entend dans la
récente adaptation de Silent Hill par Christophe Gans au
cinéma. C'est malheureusement un cas tout à fait unique (y
compris pour la relative qualité de l'adaptation en question).
Ce jeu complètement tordu était un pari assez
risqué. Pourtant, son succès illustre bien que le public du jeu
vidéo réagit au cercle vicieux culturel comme le fait celui de la
musique et du cinéma.
Il est obligé de s'habituer à la
médiocrité que les productions jugent le plus rentable de
diffuser en masse, mais il a aussi le droit de crier
« FUCK ! » et lorsque, parfois, il
apprécie un produit marginal, il a la possibilité d'encourager
sérieusement la création. Cette idée résume
à elle seule les perspectives d'avenir du jeu vidéo les plus
inquiétantes comme les plus rassurantes, mais ne suffit pas à
prédire ce qu'il en sera concrètement.
En effet, une autre particularité dans ce domaine en
perpétuelle évolution, est le fait que des bouleversements
très rapides peuvent survenir à tout moment et avoir des
conséquences énormes et imprévisibles sur les habitudes
des joueurs, comme des éditeurs. L'instabilité du jeu
vidéo, sa position constante sur le fil du rasoir est,
d'après-moi aussi bien la cause majeure de son succès populaire
que du désamour artistique dont il est victime.
Mais attardons-nous un instant sur le cas très
précis de la musique :
La musique au cinéma a essentiellement un rôle
empathique. C'est à dire qu'elle a la propriété de faire
ressentir des sentiments. C'est en quelque sorte un « catalyseur
d'émotion » qui oriente la vision du spectateur vers une
interprétation plus ou moins dramatique de la scène qu'il voit.
On peut aussi créer un décalage entre une
musique "joyeuse" et des images "dures" pour produire un sentiment de malaise
chez le spectateur/auditeur. Dans tous les cas la musique est présente
à des moments précis de l'image pour renforcer l'émotion
sans effets visuels supplémentaires.
Dans un jeu on utilise aussi cette fonction avec des jingles
de victoire ou de game-over qui désignent les sentiments de
réussite ou d'échec du joueur/personnage. Mais hormis ces cas
particuliers, il est souvent difficile de synchroniser correctement la partie
musicale avec l'action pour obtenir cet effet puisqu'un jeu n'a pas de
durée fixe. En outre pour des raisons de simplicité technique, on
a longtemps utilisé la musique dans les jeux de façon
"géographique", comme illustration sonore (plus
précisément, une musique pour chaque décor, lieu
traversé, mais bien souvent une seule !). Tout effet d'empathie
tombe alors à l'eau puisque la même musique peut être
jouée dans le même décor à n'importe quel stade du
scénario, selon que l'action est lente, rapide, mystérieuse ou
angoissante.
Musique scénarisée
La musique scénarisée, quant à elle,
essaie d'appliquer au jeu les mêmes recettes qu'au cinéma. Pendant
une phase de recherche, on jouera une musique exprimant le mystère,
à l'inverse dans une phase d'action violente, c'est une musique
rythmée et tendue qui sera déclenchée. Cette façon
de procéder en thèmes musicaux plutôt qu'en thèmes
géographiques est beaucoup plus efficace car elle renforce la
dramaturgie sans dialogues supplémentaires. Il est en outre permis de
ménager des phases de silence, sans musique, contrairement aux boucles
musicales rapidement inaudibles des premiers jeux. Il n'est plus ainsi
nécessaire de composer de très longs morceaux pour sonoriser tout
le jeu sans qu'un ennui musical n'envahisse le joueur. Au lieu d'une heure de
musique par exemple, vingt minutes suffiront avec pourtant un sentiment de
lassitude bien moindre.
Cette amélioration « se paye » par contre en
temps d'intégration puisque la musique est programmée en fonction
de toutes les phases de jeu. Dans la plupart des jeux d'aventure où le
scénario est « scripté » dans un fichier au format
« texte » extérieur au programme, les commandes de son pour
déclencher la musique doivent être intégrées
à l'intérieur de ce script en suivant le déroulement de
l'aventure.
Mais cette tâche peut être confiée au sound
designer puisqu'il n'intervient pas dans le code du jeu. Le programmeur peut
ainsi se consacrer uniquement sur le moteur du jeu en déléguant
l'intégration du son au designer dont c'est le métier. Car
l'intégration d'une musique scénarisée demande une
certaine réflexion propre à un jeu interactif puisqu'il ne faut
pas que la musique empêche le joueur d'agir en le prévenant de
tous les dangers. Quand les violons stridents de Bernard Hermann dans Psychose
annoncent la scène du meurtre, le spectateur n'a pas d'autre choix que
d'assister à ce qui va suivre ; le joueur en revanche peut
décider de continuer ou de rebrousser chemin, ce qui n'est pas
forcément l'effet voulu par le game-play. Ce peut-être un
écueil dans certains jeux. Dans les jeux d'aventure, dont la forme se
rapproche du cinéma, la musique scénarisée est
particulièrement adaptée.
Musique interactive
On restait précédemment dans une création
musicale classique adaptée à la non-linéarité d'un
jeu, un pas supplémentaire est franchi avec la musique
interactive. Cette fois-ci, c'est la musique elle-même qui
évolue avec le jeu. On peut ainsi imaginer d'ajouter des instruments
aigus, lors d'une phase de danger, de ralentir ou d'accélérer le
tempo en fonction de l'urgence, changer la tonalité en fonction des
personnages etc....
Paradoxalement les premiers jeux vidéo dans les
années 80 intégraient déjà une sorte de musique
interactive de par leurs limitations techniques. Comme la mémoire
était chiche, il était plus économique de
développer un mini synthétiseur pour générer les
sons en temps réel plutôt que de jouer de la musique
préenregistrée. On sépare ainsi le fichier musical (la
partition en quelque sorte) des sons eux-mêmes. Il est ainsi très
facile de modifier les propriétés du fichier « partition
» en temps réel (tempo, notes...) comme ce fut le cas sur le jeu
Space Invaders où le rapprochement des « envahisseurs » se
traduit par l'accélération du tempo de la musique. Celle-ci avait
beau être extrêmement pauvre musicalement, ce qu'on perdait en
musicalité on le gagnait en plaisir de jeu. C'est d'ailleurs ce
critère qui doit présider à tous choix de musiques et des
techniques associées : son impact sur le gameplay.
Jeu vidéo et cinéma
Professionnels, journalistes, joueurs, grand public, tout le
monde ne cesse de parler des rapports entre le jeu vidéo et le
cinéma. Ces rapports réciproques sont réels, mais beaucoup
plus complexes qu'il n'y paraît. Analyse.
LES UTILISATIONS FONCTIONNELLES ET
DRAMATIQUES DU LANGAGE CINEMATOGRAPHIQUE DANS LES JEUX VIDEO
Depuis l'avènement de la 3D, partout on affirme,
à tort et à travers, que les jeux vidéo s'apparentent de
plus en plus au cinéma. Ces allégations comportent une part de
vérité, mais elles sont essentiellement superficielles : ce n'est
pas parce qu'un jeu utilise des mouvements de caméra ou des
intermèdes narratifs qu'il tient, pour autant, du cinéma. Les
similarités apparentes entre le cinéma et le jeu vidéo
relèvent en fait de la pure logique : pour dépeindre visuellement
un environnement réel ou imaginaire, on a toujours besoin d'une
caméra, d'un oeil, d'un point de vue -que ce soit celui du
réalisateur, du peintre, du dessinateur de BD ou, ici, du game designer.
Comme le cinéma a établi la manière de décrire un
lieu et de raconter une histoire avec une caméra, le jeu vidéo
s'en est naturellement inspiré pour présenter des univers
virtuels de la manière la plus claire et la plus jouable possible.
Ainsi, le scrolling horizontal ou vertical des jeux en 2D,
ainsi que les mouvements de caméra qui suivent les personnages des jeux
à la troisième personne, sont des équivalents du
travelling cinématographique. Quant à la vue à la
première personne (sur laquelle reposent Wolfenstein 3D,
Doom,
Quake et leurs
très nombreux héritiers), elle est une simple transposition
virtuelle de la vue subjective du cinéma. L'influence fonctionnelle du
cinéma sur les jeux vidéo est parfois plus fine : dans un jeu
comme
Zelda : Majora's
Mask, la caméra sert fréquemment à attirer
l'attention sur les éléments importants du décor (par
exemple, des zooms avant ou arrière qui indiquent le chemin ouvert
après l'actionnement d'un interrupteur).
Resident Evil
L'influence du langage cinématographique sur les jeux
vidéo va cependant au delà de ce simple aspect pratique. Elle se
manifeste aussi dans la narration des jeux -même si le terme de narration
est peu approprié au ludique. Comme une vraie caméra, une
caméra virtuelle a aussi, bien sûr, un inestimable rôle
dramatique. On le voit par exemple dans les plans fixes très expressifs
d'un
Resident Evil
(voir la plongée angoissante de la scène de l'ascenseur). Mais ce
qui s'approche le plus du septième art dans les jeux, ce sont
évidemment les scènes dites "cinématiques" (introductives,
conclusives ou intégrées au déroulement du jeu), qui sont
tout simplement des courts-métrages réalisés le plus
souvent en images de synthèse (parfois y sont incrustés des
acteurs réels, comme dans Riven ou dans Wing
Commander, où l'on retrouve Mark Hamill, le Luke Skywalker de
Star Wars,) et depuis les années 2000,les capacités des
machines permettent de plus en plus des créer ces scènes dans le
moteur du jeu.
DES DANGERS DES SCENES
CINEMATIQUES
Les scènes cinématiques, qui n'ont clairement
rien à voir avec le jeu vidéo, sont peut-être
l'élément le plus maladroitement et le plus excessivement
utilisé dans les jeux actuels. Certains éditeurs ont
complètement oublié qu'il existe bien une écriture propre
aux jeux vidéo, et qu'elle a beaucoup moins de point communs avec celle
du cinéma que l'on pourrait le croire. SquareSoft, avec notamment
FF8 et l'infâme The Bouncer, a complètement
oublié qu'un soft n'est pas un enchaînement de séquences
cinématiques entrecoupé de quelques phases de jeu
pseudo-interactives. Cryo est un autre exemple d'éditeur qui donne la
prééminence à la qualité esthétique et
à la densité narrative d'un jeu plutôt qu'à son
intérêt. Quant au début du pourtant impressionnant
Shenmue de Sega, c'est un modèle de mauvais usage des
scènes cinématiques : une séquence d'introduction longue
et aux effets frelatés (des travellings pendant un dialogue, des
changements de point de vue incessants et des ralentis avec rémanence
complètement grotesques, qui essaient bêtement de singer John
Woo), puis des séquences de dialogue imbuvables tous les cinq pas, qui
donnent à l'action un rythme abominablement saccadé.
"Un jeu vidéo est un réseau de chemins qu'on est
libre ou non de suivre, explique Gérard Delorme du magazine
Première. A chaque embranchement, il faut faire un choix et
parfois prendre des risques. Le spectateur est libre et actif. Au
cinéma, le spectateur est captif et passif : il suit l'histoire d'un
bout à l'autre et sans pouvoir rien y changer, ni dans ses
rebondissements, ni dans son rythme". Il est très agaçant
d'être "captif" dans un jeu, c'est-à-dire de regarder une
séquence dans un état de totale impuissance. Les séquences
cinématiques ne sont pas mauvaises en elles-mêmes, mais elles
doivent être très courtes, maîtrisées,
justifiées et placées au bon moment, et à intervalles
éloignés. Qui a envie de rester cinq minutes dans son fauteuil
sans toucher au paddle ?
Une innovation simple mais stupéfiante est apparue,
cependant, dans Resident Evil 4 (2005, Gamecube), puisque
lors des cinématiques, vous avez, très subitement une combinaison
de touche à effectuer. Lorsque, par exemple on admire lors d'une belle
cinématique le combat de Leon Kennedy au couteau contre son rival, une
commande s'affiche soudain à l'écran qui influe sur le
déroulement du combat. Je vous prie de croire que la première
fois que vous mettez plus que le dixième de seconde alloué
à réagir, et que votre protagoniste se retrouve tout d'un coup
éventré, l'effet est absolument saisissant. Espérons que
cette idée fasse des émules.
L'INTEGRATION DE PROFESSIONNELS
DU SEPTIEME ART AU MONDE DES JEUX VIDEO : MENACE OU BIENFAIT ?
Les séquences cinématiques sont le
côté obscur de l'influence du langage du septième art sur
les jeux vidéo. Certains professionnels des jeux vidéo sont des
frustrés ou des transfuges du cinéma, qui tendent à
plagier leurs pellicules fétiches plutôt qu'à chercher les
spécificités du médium jeu vidéo. C'est très
vrai au Japon, où l'industrie du cinéma est sinistrée :
les amoureux du septième art préfèrent souvent travailler,
à la place, dans l'industrie dynamique des jeux vidéo.
Night Trap
Cela nous mène à cette conclusion : chercher
à intégrer aveuglément des professionnels du cinéma
à l'industrie vidéo-ludique peut mener à la
dégénérescence totale du jeu vidéo, comme l'ont
prouvé les innommables interactive movies de jadis (Night Trap,
Rebel Assault et Dragon's Lair notamment) et certains
non-jeux récents. Heureusement, ce rapprochement entre les deux
divertissements de masse majeurs peut aussi donner plus de densité
artistique et thématique aux jeux vidéo, et ouvrir la voie
à un nouveau type de softs solidement scénarisés. Des
softs cohérents, et riches en événements qui
s'enchaînent avec logique, sans ralentissement du rythme (à cet
égard,
Half-Life et
Zelda : Majora's Mask sont des références absolues). En
gros, il nous faut des Hitchcock ou des Cameron de l'écriture
vidéo-ludique.
LE CINEMA, UN RESERVOIR A
UNIVERS ET A PERSONNAGES
Les mondes, les genres et les icônes auxquels le
cinéma a donné vie ont toujours été une
intarissable source d'inspiration pour les jeux vidéo. Outre les
innombrables adaptations de films en jeux, la quasi-totalité des
développeurs multiplient les emprunts et références au
cinéma, notamment aux blockbusters américains des vingt
dernières années. Bien souvent, les idées de mise en
scène et de gameplay des meilleurs jeux copient ou évoquent les
séquences marquantes de films forts connus. Les réalisateurs les
plus pillés sont John Mc Tiernan (Die Hard,
Predator...), James Cameron (Terminator 1 & 2,
Aliens, Abyss...), George Lucas (les Star Wars...),
John Carpenter (Escape from New York, Los Angeles 2013...),
Ridley Scott (Alien, Blade Runner...), Steven Spielberg
(Indiana Jones, Jurassic Park...), etc. Beaucoup de grands
jeux affichent clairement leurs modèles graphiques et thématiques
: Blade Runner pour Omikron (PC, 99), l'esthétique
gothique de Tim Burton (Batman 1 & 2, Edward aux mains
d'argent, Beetlejuice, Sleepy Hollow...) pour MediEvil
(PS, 98), les films d'horreur de George Romero (La Trilogie des Morts
Vivants) pour les trois Resident Evil (PS, 96, 98 et 99)...
The Nomad Soul
De manière plus anecdotique, le boss aquatique de
Zelda 64 (N64,
98) rappelle l'extraterrestre translucide et polymorphe d'Abyss, un
des niveaux de Lylat Wars (N64, 97) comporte une soucoupe volante
surdimensionnée à la Independence Day (Roland Emmerich,
96), les soldats d'élite de
GoldenEye (N64,
97) ont un flingue dans chaque main façon John Woo (cas extrême
d'adaptation de film qui fait référence à d'autres films
!), certains passages des deux Zelda de la N64 sont des hommages au
western... "Comme le cinéma invente des univers et des histoires, le jeu
vidéo s'en empare et s'en sert de toile de fond pour concevoir un
parcours", explique Gérard Delorme. "Le rapport du cinéma et du
jeu vidéo est à peu près le même que celui du livre
et du film. Le premier nourrit le second. Même si le jeu vidéo
supplante le cinéma en tant que divertissement de masse, le jeu aura
toujours besoin du cinéma, exactement comme le cinéma a toujours
besoin de livres à adapter".
QUAND LA CULTURE JEU VIDEO
DETEINT SUR LE SEPTIEME ART
Les relations qu'entretiennent cinéma et jeu
vidéo ne sont pas unilatérales. En mettant de côté
les insupportables adaptations filmées ou animées de jeux
vidéo (Super Mario, Street Fighter, Mortal
Kombat, Double Dragon...), on constate une réelle
porosité des cinéastes à la culture jeux vidéo. "Le
jeu vidéo rejaillit forcément sur les films, souligne
Gérard Delorme. Matrix en est l'exemple le plus visible, avec
sa mise en parallèle d'un monde virtuel et d'un monde réel, ses
interfaces et ses allusions constantes aux attitudes du joueur (la pilule bleue
ou la rouge ?). Par ailleurs on trouve de plus en plus dans les films (et aussi
dans les romans) des exemples où le personnage principal s'arrête
pour refaire provision d'armes, de munitions, de médicaments, d'outils
et d'accessoires variés".
De Tron à Matrix, une quantité
non négligeable de films ont pris comme sujets le jeu vidéo ou la
réalité virtuelle. Cela a pu donner lieu à des ratages
complets (Le Cobaye), mais aussi à d'intéressantes
réflexions sur les dimensions politiques et philosophiques de ces sujets
(eXistenZ). Progressivement, on voit que toute une nouvelle
génération de cinéastes parvient à fonder
intelligemment ses récits sur la culture vidéo-ludique et
informatique en général. C'est le cas au Japon, où les
réalisateurs de films et séries d'animation ont accouché
de quelques chefs-d'oeuvre sur le sujet (Ghost in the shell,
Lain...). C'est le cas aux Etats-Unis avec les frères
Wachowski, dont le surestimé Matrix a connu un succès
mondial. C'est aussi le cas, depuis peu, en France : le flamboyant Pacte
des loups de Christophe Gans manifeste une passion immodérée
pour le cinéma de genre, mais aussi pour les jeux vidéo (voir les
combats où les armes employées viennent directement de Soul
Calibur).
Ghost in the shell
En quelques années, les jeux vidéo se sont
propagés dans toutes les couches de la création
cinématographique. Ils ont poussé une partie des cinéastes
à raconter d'autres histoires, et à les raconter d'une
manière différente. Le futur du cinéma et du jeu
vidéo dépendra de leur aptitude à s'enrichir mutuellement
sans perdre leurs singularités respectives. Ce n'est pas gagné :
les deux média paraissent plutôt, pour l'instant, se
dénaturer l'un l'autre. Les suites très décevantes de
Metal Gear Solid
et de Matrix, oeuvres symboliques des rapports entre jeux vidéo
et cinéma, sont malheureusement très éclairantes quant aux
avancées réalisées par le dixième et le
septième art. Les relations entre cinéma et jeu vidéo
n'ont décidément pas fini de faire gloser.
n'ont décidément pas
Analyse, développement, argumentation
Le jeu vidéo comme forme d'art
Support au potentiel démesuré, le jeu
vidéo va chercher sa substance dans une multitude d'arts, de techniques
et de disciplines. Quelle est sa nature profonde ? Quelles sont ses
spécificités ? Comment peut-on faire réfléchir,
raconter une histoire, émouvoir avec l'interactivité ? Quels sont
les obstacles théoriques et pratiques au progrès du support ? Et
comment s'annonce son futur ?
Quand Pong est sorti, en 1972, personne n'aurait pu
soupçonner les évolutions qu'allaient traverser les jeux
vidéo. Autrefois purement divertissants, ils s'éloignent
désormais fréquemment de leurs origines. Plus que de simples
lieux d'amusement virtuels, les meilleurs jeux d'aujourd'hui sont des oeuvres
d'art titanesques où l'on aime à se perdre. En près de
trente ans d'existence commerciale, le jeu vidéo a fini par rendre
plausible l'idée de son intégration au cercle restreint des
beaux-arts. Le cinéma est devenu le septième art ; la
télévision, le huitième ; la bande dessinée, le
neuvième. Le jeu vidéo sera assurément le dixième
-certainement le moyen d'expression aux implications les plus importantes.
D'abord parce qu'il remet radicalement en cause le rapport entre le public et
l'oeuvre. Ensuite parce qu'il ouvre des horizons de création
inédits. Enfin parce qu'il pose avec une intensité sans
précédent la question des rapports ténus entre le
réel et le virtuel.
Créer un univers où
vivre une expérience totale : le but ultime du jeu vidéo en tant
qu'art
L'examen des softs majeurs présentés dans notre
historique est
déjà particulièrement éclairant quant à la
nature du jeu vidéo en tant qu'art. De
Chrono Trigger
à
Grim Fandango,
de
Doom à
Metal Gear
Solid, tous ces jeux sont auréolés d'une ambiance
très forte. Car le but ultime du jeu vidéo en tant qu'art, c'est
de faire vivre à son public une expérience
complète, immersive. Selon le défunt réalisateur Samuel
Fuller, le cinéma est "la seule discipline artistique qui contienne
toutes les autres" (in Les Inrockuptibles, été 1991). Le
jeu vidéo va plus loin encore : il permet de construire une oeuvre
totale et colossale, un véritable univers parallèle au
fonctionnement indépendant, avec ses lieux, ses bâtiments, ses
sons, ses variations de lumière et de climat, sa logique interne et ses
habitants. Le jeu vidéo ne fait pas qu'agréger toutes les formes
d'art qui l'ont précédé : il y ajoute la programmation,
une discipline très subtile et très vaste (les moteurs 3D,
l'intelligence artificielle, les moteurs physiques...) qui tient autant de la
science que de l'art.
Le cinéma, la littérature ou l'animation sont
déjà parvenus à dépeindre des mondes imaginaires
avec une extraordinaire précision, mais le jeu vidéo a donc des
outils et des finalités qui lui sont propres. Le rapport d'un gamer
à un jeu n'est évidemment pas le même que celui d'un
spectateur à un film. Un jeu n'a pas pour but de raconter une histoire :
il est fait pour être investi, exploré, modifié
par son public. Le monde de
Zelda 64 se
suffit à lui-même : le joueur peut décider d'abandonner sa
mission et de simplement contempler le royaume d'Hyrule, comme il le ferait
avec un lieu réel. Le cinéma n'offre pas, bien sûr, ce
genre de liberté au public : impossible, dans Sleepy Hollow par
exemple, d'interrompre le cours de la narration pour rentrer dans un plan et
l'observer de n'importe quel angle. En somme, comme l'a très bien dit
Gary Penn, de DMA Design, "les jeux vidéo permettent l'existence d'un
espace, quelque part entre le monde physique et le monde spirituel, une aire
virtuellement réelle où les gens peuvent s'immerger dans
l'imagination des autres" (in Game On, septembre 1999). C'est un peu
l'équivalent d'un pouvoir divin qui est ici offert à l'artiste :
le pouvoir de reproduire ou de recréer la
réalité dans tous ses aspects.
Il n'est donc pas étonnant qu'un jeu mobilise
sporadiquement une armée de programmeurs, de dessinateurs,
d'infographistes, de musiciens, d'animateurs -parfois aussi d'architectes et
d'acteurs-, avec à leur tête un coordinateur indispensable : le
game designer -le plus admiré et le plus connu étant bien
sûr Shigeru Miyamoto (créateur des figures emblématiques de
Nintendo). Cette formidable synergie, qu'on voit distinctement s'opérer
dans un
Zelda 64, un
Shenmue ou un Nomad soul, est bien ce qu'il y a de plus
excitant dans les jeux vidéo.
Zelda 64
Si le jeu vidéo paraît bel et bien être une
nouvelle forme d'art, il convient cependant d'en relativiser la noblesse. "Le
cinéma est, avant tout, une industrie culturelle. Par ailleurs, et
parfois, il est aussi un art", souligne très justement Youssef Ishagpour
dans son livre Le cinéma. Le jeu vidéo, la musique, et
même la littérature contemporaine, sont dans le même cas :
la plupart des sorties ne sont que des produits fadasses et formatés,
aussitôt consommés aussitôt oubliés. Heureusement, de
temps en temps, des miracles artistiques et créatifs surviennent.
Mais, contrairement aux mediums précités, le jeu
vidéo est jeune, hésitant, et plein de promesses. Son histoire
reste à écrire, et son développement en est encore
à l'état embryonnaire. Peut-être parce que les questions
qu'il soulève sont très complexes, et par conséquent
difficiles à cerner : comment conjuguer la liberté d'action du
joueur avec la présence -forcément contraignante- d'un auteur ?
Comment concilier l'interactivité avec le contenu, la narration et
l'émotion ? Comment concevoir l'idée même d'un art
interactif ?
L'image immature des jeux
vidéo ne doit pas empêcher les développeurs de leur donner
plus de contenu
Les jeux vidéo se sont, jusqu'à présent,
essentiellement fondés sur des principes impliquant des actions
violentes et basiques -sauter sur un ennemi, tirer, diriger un vaisseau,
frapper... Pourquoi ? Tout simplement parce que c'est ce qu'il y a de plus
facile à programmer, et à gérer par une machine. Ce n'est
pas un hasard si le premier jeu vidéo de l'histoire, Space War
(1962), est un shoot'em up (de l'anglais « shoot them up »,
qui désigne les jeux de tir, généralement à bord
d'un avion ou d'un vaisseau spatial, en deux dimensions avec un
défilement horizontal ou vertical) Mais désormais, la technologie
est suffisamment avancée pour élargir la marge de manoeuvre dont
dispose le joueur, et épaissir le propos. Malheureusement, des facteurs
économiques, sur lesquels nous reviendrons plus tard, font que les
développeurs ne peuvent souvent pas donner à leurs jeux un vrai
contenu.
Mais le problème est quelquefois plus grave : certains
développeurs ne veulent pas donner une signification à
leurs jeux. Mike Diskett, game designer de Urban Chaos (PC, 99), met
en avant le manque de crédibilité des jeux vidéo : "Mettre
un message dans mes jeux ne fait généralement pas partie de mes
préoccupations, car un soft n'est pas vraiment un bon support pour des
commentaires politiques ou des proclamations générales. Par leur
nature même, les jeux vidéo ne sont pas pris très au
sérieux, donc quel que soit le message que tu voudrais faire passer, il
n'aurait pas beaucoup d'impact". Ce n'est pas faux, mais c'est une
réponse un peu timide qui enclenche un cercle vicieux que seuls les
développeurs peuvent briser. Si ces derniers donnaient plus de contenu
à leurs titres, les jeux vidéo seraient davantage perçus
par le public comme un moyen d'expression légitime. Conséquence :
les développeurs, se sentant davantage écoutés et
reconnus, donneraient in fine plus de contenu à leurs titres, et ainsi
de suite... Entre les lignes, Glen Dahlgren, game designer de Wheel of
Time (PC, 99) est, lui, plus sévère avec ses pairs :
"Personnellement, je ne crois pas que beaucoup de game designers
s'inquiètent de faire passer un message, mais j'en ai connu qui le font,
et je pense qu'aucune histoire ne vaut la peine d'être racontée si
elle n'a rien à dire".
Interactivité et contenu : mettre le
joueur face à des choix moraux, l'inciter
à la réflexion plutôt que de lui
asséner un message
Malgré tout, quelques jeux ont clairement une morale
tacite. Elle est généralement banale, mais elle a au moins le
grand mérite d'exister.
Metal Gear Solid
(PS, 98) comporte un sous-texte pacifiste, le scénario d'
Oddworld (PS et
PC, 97) fait penser à des génocides historiques, Final
Fantasy 7 (PS et PC, 97) est porteur d'une philosophie manifestement
écologique, The Nomad Soul (PC et DC, 1999 et 2000) est une
dénonciation feutrée des régimes totalitaires... Le
problème de ces quatre jeux vient de ce que leur morale est
exprimée sans tenir compte des spécificités des jeux
vidéo. Impuissant, le joueur doit accepter le message qu'on lui
assène. Cette manière de faire passer un message dans un
jeu n'est pas très intéressante, car elle n'est en rien
interactive. La meilleure approche, c'est d'essayer de trouver, dans les
propriétés des jeux vidéo, le moyen de faire passer un
message.
Black & White
Certains créateurs l'ont compris. Republic,
Black & White ou Mafia sont de bons exemples de jeux
d'auteur : à aucun moment le joueur n'est contraint d'adopter une ligne
de conduite définie. Ces trois jeux ont été conçus
pour nous inciter à la réflexion, pour nous mettre
face à des choix moraux. Au joueur de construire sa
réponse.
Interactivité et contenu
: plonger le joueur dans un univers détaillé, cohérent et
qui a du sens, fondé sur des recherches approfondies
Les jeux vidéo ont beaucoup à apprendre de
fascinants sommets du septième art comme Excalibur, de John
Boorman (80) ou Princesse Mononoké, de Hayao Miyazaki (97). Le
premier puise principalement sa matière dans la légende du Roi
Arthur, le second dans le shintoïsme, religion officielle du Japon
jusqu'en 1945. Le souffle, l'amplitude formidables qui innervent ces deux films
viennent de ce qu'ils brassent une thématique et une symbolique
étendues, qui agissent puissamment sur notre inconscient. Qui, en
occident, n'a pas entendu parler du cycle de la table ronde ? Qui, au Japon, ne
connaît pas l'animisme ? La pauvreté de beaucoup de jeux
vidéo tient à ce qu'ils n'ont fait qu'effleurer le fonds culturel
et spirituel de l'humanité, alors que le cinéma et la
littérature l'ont pillé sans complexes -avec raison. En gros, les
seules références des développeurs semblent être
Star Wars, Blade Runner, le cinéma d'action
américain et Tolkien. Rares sont les jeux avec un contenu
travaillé. Encore plus rares sont ceux qui sortent des clichés de
l'heroïc fantasy et de la science-fiction. La notion d'auteur dans les
jeux vidéo atteindra sa plénitude et sa maturité quand les
créatifs de ce milieu chercheront vraiment à diversifier leurs
sources d'idées.
Ne noircissons pas le tableau cependant : certains titres font
l'effort de nous plonger dans un univers détaillé,
cohérent et qui a du sens, souvent fondé sur des recherches
approfondies -ayant notamment trait à l'histoire, à la
littérature, à l'art ou à la mythologie. Cette
démarche pertinente est particulièrement indiquée pour les
jeux d'aventure ou de rôle. L'école française
initiée par Cryo l'a bien senti, mais le gameplay s'est perdu en route :
malgré la richesse de leur monde et de leur sujet, Atlantis,
Ring, Dracula et consorts demeurent
désespérément soporifiques.
Les écoles japonaise et américaine sont plus
douées. Cas unique dans les jeux vidéo, Final Fantasy,
la séminale saga de RPG des nippons de SquareSoft, possède une
imagerie à la fois homogène, foisonnante et évocatrice
-l'art nouveau est une influence évidente-, forgée par l'immense
illustrateur Yoshitaka Amano (voir notre
portrait). Medal of
Honor (PS, 2000), de Dreamworks Interactive, est un doom-like au gameplay
engageant, qui s'inscrit dans un contexte précis -la seconde guerre
mondiale-, d'une noirceur et d'un réalisme pénétrants.
Développé par les brillants yankees de Silicon Knights
(Legacy of Kain, PC et PS, 96), Eternal Darkness,
déjà sorti sur GC aux Etats-Unis, semble assez proche d'un
survival horror par son ambiance. Ce jeu prometteur, dont le scénario
aux multiples embranchements s'étire sur 2000 ans, a été
conçu dans un souci constant de précision historique. Et ses
créateurs disent s'être notamment inspirés d'Edgard Allen
Poe et d'Alfred Hitchcock. Bref, avec ses ambitions didactiques
revendiquées et son gameplay hardi, l'angoissant Eternal
Darkness pourrait bien réussir là où l'école
française a échoué.
Interactivité et
narration : un scénario dirigiste est frustrant mais favorise les
histoires denses, avec des personnages attachants et des rebondissements
Dans un jeu vidéo, quand on raconte une histoire, il
faut à la fois qu'elle soit intéressante, et que le public ait
assez de prise sur elle pour ne pas se sentir frustré par la
façon dont elle évolue. Avant 97, les développeurs
n'étaient guère parvenu à cet équilibre. Au mieux,
plusieurs fins étaient possibles (comme dans
Chrono Trigger
ou
Resident Evil).
Quand le scénario tenait debout, il était narré sous forme
de cinématiques, ce qui est précisément contraire à
la nature des jeux vidéo. C'est d'ailleurs le reproche le plus grave que
l'on peut faire à certains RPG de Square : ils laissent beaucoup trop de
place aux séquences en images de synthèse, au détriment du
jeu pur. Les Final Fantasy sont ainsi, la plupart du temps, d'une
terrible linéarité. Le joueur est emprisonné dans une
structure dramatique traditionnelle : il ne peut réellement participer,
obligé de se soumettre à la vision d'un scénariste.
Le bon côté de cette narration dirigiste, c'est
qu'elle favorise énormément le développement d'une
histoire dense, avec des personnages attachants et des rebondissements. A cet
égard,
Final Fantasy 6
(SFC, 94) est une référence : une héroïne
amnésique dont le passé est progressivement
dévoilé, trois groupes de personnages séparés au
début du jeu qui vivent des aventures parallèles avant de se
rejoindre dans un village, un incroyable cataclysme qui dévaste et
fragmente les continents... C'est grisant, épique et intense, mais
très peu interactif.
Interactivité et
narration : intégrer au jeu des éléments
scénaristiques en temps réel est une voie d'avenir
Depuis 97, les développeurs ont heureusement
trouvé des compromis satisfaisants.
GoldenEye
(N64, 97) présente un scénario correct, calqué sur
celui du film, et découpé en dix-huit niveaux qu'il faut
compléter en réalisant un certain nombre d'objectifs. Cette
structure, a priori contraignante, est en fait très souple :
l'intelligence poussée des ennemis, l'architecture complexe des niveaux
et la pléthore d'armes disponibles font que le nombre de
stratégies pour atteindre un même objectif est presque
incalculable. Au final, une large autonomie est laissée au joueur.
GoldenEye
Wing Commander IV (PC et PS, 97) repose sur un
scénario étonnant, où l'opportunité de modifier
radicalement la suite est vraiment donnée au joueur. A un tournant
décisif de l'histoire, l'on peut même carrément choisir de
trahir son camp ! Une occasion très rare, et donc inestimable, dans les
jeux vidéo.
Lylat Wars (N64, 97) propose une progression
ramifiée, et un intéressant principe de rencontres. A la fin de
chaque niveau, de une à trois routes peuvent être
empruntées par le joueur selon ce qu'il a fait. Dans le niveau du train,
si vous parvenez à activer une série de switchs, la locomotive du
boss finira par dévier de sa trajectoire initiale. Elle s'engouffrera
ensuite à pleine vitesse dans une usine avant d'exploser dans un
monstrueux déluge de feu, ce qui ouvrira une nouvelle voie. Autre
exemple : au début du jeu, si vous rencontrez et abattez une
première fois la patrouille ennemie Star Wolf, celle-ci reviendra
à la fin du jeu sous forme de cyborgs et avec des vaisseaux plus
puissants. Assez simple mais très amusant, ce système
d'interactivité introduit de légères variations dans les
événements qui incitent à rejouer encore et encore.
Unreal et
Half-Life (PC,
98), en intégrant naturellement à leur déroulement des
éléments narratifs en temps réel (un autochtone
extraterrestre est poursuivi par un monstre, un scientifique se fait agresser
par une créature à deux têtes, des marines et des
extraterrestres se livrent un combat sanglant...) dont il est souvent possible
de modifier l'issue, ont intelligemment redéfini la manière de
raconter une histoire dans un jeu. L'absence de cinématiques, ou son
utilisation intelligente fait que le rythme ne se rompt jamais: l'action est
fluide et excitante. C'est probablement cette approche qu'utiliseront la
majorité des développeurs à l'avenir.
Depuis maintenant quelques décennies que le jeu
vidéo se développe, on assiste à l'émergence de
différentes « écoles » du jeu vidéo,
qui ont le mérite de se compléter pour satisfaire un public
toujours plus large.
Mais depuis le début du siècle, cet affrontement
prend de plus en plus la forme d'un duel sans merci.
Le jeu vidéo : une marchandise
soumise, elle aussi à une concurrence impitoyable
En donnant souvent la primauté à l'emballage
technique et commercial plutôt qu'au contenu, Sony a
considérablement élargi le marché, mais en l'aseptisant et
en l'affadissant à bien des égards. Certains genres ont quasiment
disparu (la plate-forme/action, les shoot'em up...), d'autres ont pris des
proportions ridiculement exagérées, notamment le jeu de course
(fait révélateur, un magazine exclusivement dédié
aux jeux automobiles sur PlayStation a même vu le jour en France en 1999
!). Les effets de la pesanteur commerciale sur l'originalité et la
qualité des jeux n'ont jamais été aussi forts. C'est
triste. Et en En donnant souvent la primauté à l'emballage
technique et commercial plutôt qu'au contenu, Sony a
considérablement élargi le marché, mais en l'aseptisant et
en l'affadissant à bien des égards. Certains genres ont quasiment
disparu (la plate-forme/action, les shoot'em up...), d'autres ont pris des
proportions ridiculement exagérées, notamment le jeu de course
(fait révélateur, un magazine exclusivement dédié
aux jeux automobiles sur PlayStation a même vu le jour en France en 1999
!). Les effets de la pesanteur commerciale sur l'originalité et la
qualité des jeux n'ont jamais été aussi forts. C'est
triste. Et en somme, seule une poignée de créatifs vient injecter
l'inventivité nécessaire à la pérennité de
l'industrie tout entière, selon un cheminement que connaissent depuis
longtemps le cinéma et la musique : un artiste lance un mouvement,
lequel est suivi à l'envi pour finalement devenir exsangue ou
acquérir une richesse inexplorée. En somme, seule une
poignée de créatifs vient injecter l'inventivité
nécessaire à la pérennité de l'industrie tout
entière, selon un cheminement que connaissent depuis longtemps le
cinéma et la musique : un artiste lance un mouvement, lequel est suivi
à l'envi pour finalement devenir exsangue ou acquérir une
richesse inexplorée.
Sony a, de fait, rencontré un succès commercial
énorme dans le jeu vidéo, avec ses Playstations 1 et 2, notamment
par ce procédé de « mode » : d'une part
par une surenchère d'esbroufe technique qui a fait qu'une
majorité du grand public s'est dit « wow ! ce jeu a de
beaux graphismes, il faut que je l'achète ! » (Ce qui
pour moi est aussi méprisable qu'un « wow ! ce film a de
bons effets spéciaux, il doit être super ! »),
d'autre part sur les jeux eux-mêmes en adaptant des films à
succès (ce qui est signe de mauvaise qualité, comme chacun le
sait, puisque 2/3 du budget passe dans l'acquisition de la licence) ou des
sports à la mode comme le skate et le BMX. Cette stratégie
commerciale est compréhensible et on ne peut pas en vouloir à une
grande société comme Sony de l'appliquer, plutôt que de se
lancer dans le mécénat créatif, mais son exigence
technique risque de se retourner contre elle puisque la Playstation3, petit
bijou de technologie sortira pour la coquette somme de 600€, ce qui
l'exclut d'emblée du statut de console grand public, et fait que les
attentes des joueurs, les ventes et les estimations depuis l'annonce du prix
officiel des différentes consoles fin octobre et jusque fin 2007 sont
devenues nettement favorables à Nintendo, de source non officielle.
Sony, comme beaucoup d'éditeurs semble mettre au
premier plan une valeur qui prend un sens très particulier dans le monde
du jeu vidéo : Le réalisme.
En effet, selon cette approche, le graphisme revendique une
évolution vers une image qui ressemble de plus en plus à la
réalité (le fait qu'on puisse s'apercevoir à chaque
nouvelle génération de console qu'on en est encore très
loin, en fait un but absurde), d' autre part, le son se contente la
plupart du temps de coller à l'image et suit cette tendance vers le
réalisme.
De plus en plus, les sons ponctuels liés à
l'environnement, aux personnages sont piochés de façon
aléatoire dans une banque de plus en plus fournie.
L'usage du hasard crée ici une possibilité
d'immersion plus efficace car l'imprévu fait partie de la
réalité.
Le souci du détail est de plus en plus pointu, mais la
créativité est forcément limitée tant que le son
est censé se contenter de coller à l'image, de la paraphraser.
Est-ce là l'avenir du son dans le jeu
vidéo ? Est-il condamné à rester purement illustratif
de l'image, purement objectif ?
Ou peut-on espérer la perspective d'un design sonore
aux points d'écoutes variables, osant le contrepoint audiovisuel ou
l'abstraction comme il est désormais commun de le trouver au
cinéma ?
Le jeu qui, selon moi peut revendiquer sa distance face au
réalisme nous entraine délibérément dans un monde
imaginaire, volontairement différent de notre réalité, et
assume (à mon sens) pleinement son statut de divertissement ayant pour
but de nous détacher du réel. C'est vrai, à quoi bon jouer
si l'on aspire à jouer à un jeu se rapprochant le plus possible
du quotidien, de la « vraie vie », qui est finalement
précisément ce que fuit le hardcore-gamer.
Evidemment, cette approche du jeu vidéo est tout
à fait personnelle, mais j'aimerai prendre quelques exemples
frappants :
* La saga des Gran Turismo, jeux de course
ultra-réaliste en leurs temps avec des circuits, des voitures et des
bruits de moteur « comme dans la vie » (chouette !) Je
pense que ces jeux doivent leur énorme succès à leur
réalisme, et c'est pour cette raison que j'aimerai les comparer
à la série des Mariokart. Gran Turismo 2 sur Playstation
a été pendant un temps en concurrence avec Mariokart 64
sur Nintendo 64 vers 1999-2000, et il a remporté une victoire
commerciale sur ce dernier, notamment à cause du visuel et de l'univers
« enfantins » que l'on reprochait aux jeux Nintendo. Je ne
sais pas si vous avez eu l'occasion de jouer à ces deux jeux
récemment, mais la différence est frappante. Qu'on aime ou pas
ces deux jeux, Gran Turismo a pris un véritable coup de vieux,
surtout visuellement, alors que Mariokart a conservé son style
unique, ses décors colorées, ses musiques entraînantes,
son humour avec les hurlements comiques des protagonistes dans des situations
complètement incongrues, ses musiques festives et sa grande
convivialité. Je suis prêt à parier que dans cinq ans, il
en sera de même pour les deux versions actuelles (sur Playstation2 et sur
Gamecube).
* La comparaison est la même entre les deux jeux
suivants : Pro Evolution Soccer, énorme succès de
la simulation de football, qui propose un réalisme inédit :
les « véritables » équipes, les
« véritables » joueurs dans les
« véritables » stades, et même les
véritables sponsors. Et en face, Mario Smash Football, parodie
de match de foot où l'arbitre a délibérément
été supprimé pour laisser aux joueurs la
possibilité de se mettre sur la figure sans limite à coup
d'objets insolites issus de l'univers Mario (comme dans Mariokart, des peaux de
bananes, des carapaces de tortues...), de plaquer cruellement l'adversaire
contre le grillage électrifié pour le simple plaisir d'entendre
son hurlement désespéré. Ici, la fidélité
à l'univers « footballistique », et même
à ses règles est mise de côté pour
privilégier l'élément fondamental du jeu
vidéo : le fun ! Bien-sûr, au-delà du constat
objectif (j'espère) que l'abus de procédés récents
crée un produit trop daté qui prend le risque du mauvais
goût sur le long terme (la comparaison qui me vient en terme de mauvais
goût est le traitement démesurément bourré d'effets
des caisses claires dans la musique des années 80 avec des groupes comme
The Cure, Depeche Mode, etc...leurs tubes sont terriblement datés),
j'admets que toute mon analyse est conditionnée par mon point de vue
nettement favorable à Nintendo, qui, au-delà d'une
stratégie commerciale peut revendiquer une véritable philosophie
du jeu vidéo.
Nintendo
En effet, après de longues et pénibles
années (96-05) de combats perdus face à Sony et sa politique de
séduction des anciens jeunes joueurs par des jeux plus
« matures » , on assiste depuis un peu plus d'un an
à une revanche commerciale de Nintendo grâce à plusieurs
éléments liés essentiellement à
l'élargissement de la cible vidéoludique.
Alors que les plus jeunes joueurs sont toujours séduits
par des sagas comme les Pokémon (abréviation de
« Pocket Monster »), les joueurs aguerris vieillissent et
la nouvelle catégorie des joueurs de 25-40 ans justifie à elle
seule le succès de la vague rétro qui profite aux plus anciens
constructeurs comme Nintendo . Ce dernier réutilise les concepts qui ont
fait ses plus grands succès passés et les refond sur des supports
nouveaux. (Ex : New Super Mario Bros sur Nintendo DS) .
Parallèlement, le « géant de
Kyoto » prend des risques pour sans cesse renouveler le jeu en
proposant toujours de nouvelles expériences.
Si je me permets d'insister autant sur une marque, ce n'est
pas seulement par prosélytisme (je me dois de préciser que j'ai
signé un contrat avec ladite marque cette semaine...), c'est aussi parce
que j'ai l'occasion de parler de ce que je connais le mieux, et surtout parce
que ce qui est en train de se passer est une véritable
révolution.
La DS, dernière console portable du constructeur est un
parfait exemple de son sens du défi : avec des innovations telles
que les hauts-parleurs stéréo, le double écran, le micro
intégré et l'écran tactile, elle propose de toutes
nouvelles sensations de jeu aux « gamers » mais plus
seulement à eux !
Des millions d'adolescentes ont craqué pour Nintendogs
qui permet d'élever un chien, de lui donner des ordres via le micro et
de le caresser sur l'écran tactile, des curieux de tous âges se
sont essayé à Trauma Center, simulation de bloc chirurgical
où votre stylet devient un scalpel, à Phoenix Rights, plaidoirie
interactive où vous incarnez un avocat et criez
« Objection » quand bon vous semble. Plus stupéfiant
encore, plusieurs millions des personnes appartenant à la
catégorie « réfractaire » au jeu
vidéo, c'est à dire les 40-80 ans ont été
convaincus par le Programme d'Entraînement Cérébral du
Professeur Kawashima (logiciel ludique destiné à
l'amélioration et au maintien des capacités
cérébrales élémentaires) rien qu'au Japon, et les
ventes internationales suivent le même chemin.
Nintendo ne compte pas s'arrêter là puisque
l'objectif de sa prochaine console, la Wii, est d'élargir au maximum sa
clientèle avec le principe novateur de la
« Wiimote » (nom de la manette inspiré de l'anglais
« remote »), télécommande simple, utilisable
à une seule main et détectée en trois dimensions dans
l'espace.
Ainsi, le but est de convaincre les membres de la famille plus
habitués à la « zappette » qu'à la
manette, mais surtout de supprimer le fameux temps de conversion.
Je m'explique : les nouveaux joueurs ou joueurs
occasionnels sont systématiquement décontenancés par les
codes du gameplay, puisque, justement par manque d'habitude, il ne leur est
pas naturel de convertir l'action à l'écran en code
« action sur la manette » pour interagir avec elle, et
c'est souvent cette fraction de seconde de réflexion qui fait qu'il sont
nuls, parfois s'énervent et décident de ne plus toucher à
cette «saloperie de machine de merde qui rend con ».
Nintendo a pensé ce problème, et sur la Wii,
wiimote en main, on mime les mouvements de raquette pour jouer au tennis, on
mime les coups d'épée et le moulinet de la canne à
pêche pour les jeux d'aventure, on vise directement l'écran pour
les jeux de tir (pour les jeux les plus simples à résumer, mais
il y a une infinité de possibilités). Une autre passerelle vers
l'immersion est une innovation sonore puisque les wiimotes accueillent un
haut-parleur indépendant qui renforce le sentiment de proximité
avec le personnage en diffusant le son de la balle sur sa raquette, le
rechargement de ses armes, ses conversations téléphoniques, ses
déplacements, le son de la flèche qui quitte son arc, l'
entrechoc des katana, etc...
Je repense avec émotions à toutes ces copines
à qui j'ai réussi à mettre une manette entre les mains,
et qui ont systématiquement incliné, voire tourné ou
carrément fait de grands gestes avec celle-ci, au lieu d'appuyer sur les
boutons, comme ci cela allait changer quelque chose. Je pense qu'avec
l'arrivé de la Wii, les garçons vont peu à peu perdre leur
suprématie vidéoludique.
C'est donc grâce à une subtile combinaison de
sagas immortelles et complexes et de concepts novateurs dans la
simplicité qui attirent de plus en plus de
« gamers » et de « non-gamers », que
Nintendo contribue activement à bouleverser notre
société, d'une part par le montant des sommes en jeu ( le CA
annuel dépasse le milliard d'€ avant-même la sortie de la
Wii), et d'autre part en voulant changer le visage du loisir familial.
Les jeux Nintendo
Les jeux Nintendo doivent leur immense
succès à la capacité du géant japonais à
pouvoir revendiquer une certaine tradition de jeux, puisqu'il fait partie des
premiers constructeurs, a avoir créé la plupart des
différents styles de jeux et leurs codes,( ex : la plate forme avec
le best-seller Mario Bros qui instaura les principes qui seront
réutilisés par des dizaines de jeux et toujours
aujourd'hui : le défilement horizontal de l'écran, la
course, le saut, l'inertie, les transformations, les niveaux bonus... ).
Certaines sagas de la marque ont maintenant 25 ans, et celle-ci parvient avec
brio à se placer dans la très fructueuse mode
« rétro » actuelle, tout en conservant un aspect
profondément novateur puisque Nintendo a été l'instigateur
de la plupart des grandes étapes innovatrices du jeu vidéo :
la multiplication des fonctionnalités des manettes (nombres de boutons,
stick analogique pour le passage à la 3D, gâchettes pour les
indexes , possibilité de brancher 4 manettes simultanément et
ergonomie globale), la plupart des genres les plus répandus (la
plateforme 2D puis 3D avec Mario, l'action avec Metroid, l'aventure avec
Zelda, la course futuriste avec F-zéro, la réflexion avec
Tétris...), l'écran tactile avec la DS (Dual Screen, la
dernière console portable de la marque), le détecteur de
mouvement avec la Wii (prochaine console de salon Nintendo qui sortira le 8
décembre)...
Dès les débuts (1980) les jeux Nintendo se
démarquent par leur univers imaginaire pensé dans les moindres
détails (codes, objets, bestiaire, symboles...).
Et cela est tout particulièrement perceptible du point
de vue du son. Malgré les moyens techniques dérisoires de
l'époque, des compositeurs de talent ont réussi à
créer de véritables chefs d'oeuvres comme Konji Kondo dès
Mario Bros 1 et dans tous les autres épisodes de la saga.
Le principe du Leitmotiv en fonction des différents
niveaux traversés est déjà présent : une
mélodie « orientalisante » se fait entendre dans les
niveaux désertiques, la musique accélère à la fin
du temps imparti, un thème haletant se fait entendre lorsque Mario prend
une étoile et devient provisoirement invincible, lorsqu'il entre dans un
tuyau (il est plombier de profession) et se retrouve dans un souterrain, un
thème de basse angoissant retentit avec un simulacre de
réverbération, pourtant bien efficace.
Le design sonore apparaît lui aussi sous une forme
nouvelle.
C'est l'une des premières fois que des sons sont
créés de toute pièce pour illustrer les actions,
même simplistes.
Et tout est soigneusement pensé et
justifié : un « boïng » pour chaque saut,
un autre son pour le rebond sur les ennemis (moyen le plus courant de les
éliminer), plus précis encore, un son pour chacun des objets
symboliques de l'univers de mario (fleur, champignon, étoile,
pièce de monnaie...) .
Quelques notes montantes lorsque Mario prend un champignon et
grandit (et devient Super Mario), et ces mêmes notes descendent lorsqu'il
le perd. Plus emblématique encore, le son qui retentit lorsque le
personnage attrape une pièce, deux notes, une grave et une note beaucoup
plus aiguë enchaînées très rapidement. C'est un son
excessivement récurrent car l'accumulation de ces pièces est
nécessaire pour récupérer des vies.
C'est un son absolument surréaliste, et sans doute le
son de jeu vidéo le plus connu au monde.
Chantez-le dans la rue, et n'importe quelle personne de moins
de 35 ans identifiera immédiatement Mario Bros.
Nintendo est l'inventeur du « son
icône », tout du moins dans le domaine des jeux
vidéo.
Koji Kondo a également écrit la musique de tous
les épisodes de The Legend of Zelda sortis à ce jour (une
douzaine) et a marqué l'histoire du jeu vidéo d'une pierre
blanche avec l'épisode « Ocarina of Time »,sur
Nintedo64, l'un des plus vendus dans le monde avec plus de deux millions
d'exemplaires.
Ce jeu d'aventure mémorable ne se contente pas de
propulser en 1998 la saga en trois dimension, ni de sublimer les thèmes
qui font sa richesse (la différence de l'enfant elfe dans son village,
son obligation de faire ses preuves pour se faire accepter, la magie, la
princesse à délivrer, le courage, la multiplicité des
communautés et la nécessité pour le héros de les
allier...), mais il instaure également un tout nouveau principe de
jeu.
Vers le début de l'aventure, le héros (Link)
trouve un ocarina, objet central de sa quête, et le joueur doit apprendre
à se servir de la manette comme de l'instrument pour interpréter
les différents thèmes. Il appelle grâce à ça
lui sa jument, il ouvre des passages secrets, inverse le jour et la nuit, mais
plus fort encore, une fois devenu adulte il apprendra les mélodies
associées aux fameux « donjons » qu'il doit
parcourir pour s'y téléporter.
C'est donc grâce à une subtile association de
thèmes musicaux, élémentaires et de valeurs que va
progresser notre personnage, procédé symbolique
hyper-récurrent dans le jeu et la fiction japonaise en
générale, où les héros portent des couleurs
différentes et possèdent des pouvoirs complémentaires, et
à mon avis en grande partie responsable de leur succès.
Dans le manga Les Chevaliers du Zodiaque, par
exemple, les héros, chevaliers de bronze incarnent les constellations
mineures de pégase, Andromède, le cygne (la glace), le dragon et
le phénix (le feu). Ils doivent affronter leurs supérieurs, les
douze chevaliers d'or qui possèdent les pouvoirs des constellations les
plus puissantes (sagittaire, verseau, bélier, taureau...)
Dans Zelda, Link jouera le menuet des bois par nostalgie pour
son enfance et se retrouvera au temple de la foret, il jouera le nocturne de
l'ombre pour se rendre au temple de l'ombre et apprendre le courage, le requiem
des esprits pour le temple des esprits et la sagesse, le boléro du feu,
la sérénade de l'eau, etc. Ce symbolisme renforce notre
sentiment de participer à quelque chose de plus grand, à une
aventure qui nous dépasse. Je dois ajouter qu'en plus de cette
idée pleine de poésie, les compositions en elles-mêmes sont
magnifiques ! Bien que toutes ces musiques aient été
composées en midi, du fait du support cartouche du jeu, leur emphase a
touché de nombreux musiciens et on peut aujourd'hui entendre de
nombreuses reprises des musiques de Zelda par des quatuors à cordes, des
groupes de punk ou même par des orchestres symphoniques entiers !!
n'ont décidément pas
Perspectives
J'aimerai citer Tetris, hit incontournable du
début des années 90. A ma connaissance, personne ne s'est
demandé à l'époque ce que représentaient ces
différents blocs étranges, et surtout, à quoi bon passer
des heures à les assembler frénétiquement. Je ne suis pas
sûr que ça serait le cas si le jeu sortait aujourd'hui, à
une époque paradoxale où le jeu vidéo ne s'est jamais
aussi bien porté, mais où les goûts et la demande tendent
à s'uniformiser.
Cette « exigence formatée » du
public et des développeurs laisse de moins en moins de place à
l'innovation et aux nouveaux concepts ludiques.
Pourtant, tout ceux qui l'ont essayé gardent un
souvenir ému de Tétris et sont capables 15 ans
après de fredonner l'un de ses inoubliables thèmes musicaux.
Le combat purement commercial qui va avoir lieu dans les mois
à venir entre les deux géants du jeu vidéo, Sony avec sa
Playstation3 et Nintendo avec sa Wii est tout de même symboliquement
crucial pour l'avenir du jeu vidéo : l'issue nous apprendra si il
sera fait d'uniformité des jeux, de production à la chaine de
softs lisses et sans perspectives créatrices, ou si l'innovation au sens
large restera le fil directeur de ce support somme toute très moderne.
Il faut savoir que les couts de production doublent quasiment à chaque
nouvelle génération de consoles, simplement du fait de la
technologie (commercialisation des jeux sur support Blue Ray
pour la PS3, et technologie de détecteur de mouvement en 3D
intégrale pour la Wii) et les moyens dépensés pour
développer les jeux (taille des équipes et temps de
développement) restent relativement inchangés et tendent
même à s'amenuiser comme en France, du fait du manque de
protection de l'Etat pour ce loisir majeur (15M de joueurs en France !!)
mais qu'il considère très vraisemblablement comme l'enfant
illégitime du divertissement.
Le géant français Ubisoft, par exemple, a
délocalisé une partie de ses studios au Canada ou la
création est mieux protégée.
On peut ainsi craindre pour l'avenir du jeu vidéo d'une
part à cause de la raréfaction des moyens attribués
à la création , et d'autre part, on assiste à une fuite
des cerveaux des pays comme la France dont les créations sont
considérés comme indépendantes.
L'avenir des jeux vidéo est-il fait de réalisme,
de non-réalisme, ou d'un compromis entre les deux comme dans Myst et
Riven (1994), jeux français qui font date dans l'histoire du jeu
vidéo sur PC, sans doute grâce à leur concept central
d'univers immersif qui met avec perfection la technique et la vraisemblance au
service d'un imaginaire féerique.
Le cinéma a depuis le début pioché dans
d'autres domaines comme la musique ou le théâtre, mais ça
ne l'a pas empêché de devenir très vite une forme d'art
moderne et populaire, et cependant, possédant une certaine noblesse.
J'avoue ne pas comprendre pourquoi le jeu vidéo n'a pas
encore atteint ce double statut, surtout à notre époque où
il brasse des sommes beaucoup plus importantes que celle
générées par l'industrie cinématographique.
Dans un sens, on peut penser que le jeu vidéo a perdu
une partie de son charme à cause de son perfectionnement. Dans le jeu
vidéo des années 80 et 90 que j'ai bien connu, la
représentation visuelle et sonore des personnages, des lieux et des
situations était pour le moins approximative, du fait des technologies
de l'époque. Mais les jeux étaient paradoxalement attachants, car
ils affichaient une représentation symbolique des
différents univers virtuels, et n'avaient pas la prétention de
montrer la réalité comme ils donnent
l'impression de vouloir le faire aujourd'hui.
En effet, le vrai visage de nombreux héros
n'était visible que, parfois, sur la boite du jeu, leur voix et leur
musique dans le dessin animé ou la série adaptée du jeu,
quand ils existaient. Mais surtout, et je suis prêt à l'affirmer,
dans l'imagination du joueur.
Et c'est ce qui est fondamental pour moi, l'implication du
joueur, la possibilité de créer soi-même une partie de ces
univers, c'est une des grandes richesses des jeux interactifs.
Je n'oserai pas comparer le jeu vidéo à la littérature car
leurs objectifs sont éminemment différents, mais ils ont en
commun cette façon de placer le joueur ou le lecteur dans une situation
unique, étroitement reliée à la manière tout
à fait personnelle qu'il a de ressentir les choses, et j'aimerai
contribuer à apaiser la mauvaise conscience d'une
génération entière d'ex-jeunes joueurs culpabilisés
par des années de regards noirs et de leçons de morale
humiliantes des parents et grands parents incapables de comprendre
l'intérêt du cadeau qu'ils venaient d'offrir pour Noël.
J'aimerai militer pour la reconnaissance du jeu vidéo comme une forme
d'art à part entière, comme un divertissement possédant
ses propres codes, ses propres valeurs, développant ses propres
qualités pédagogiques et intellectuelles : l'investissement
personnel, les réflexes, l'organisation, les capacités d'analyse,
la persévérance, la morale dans une certaine mesure, le sens de
l'orientation, la concentration, la capacité à se repérer
dans l'espace, à prendre un maximum de décisions en un minimum de
temps...et bien d'autres qui sont l'objet d'études scientifiques
actuelles très sérieuses ; et revendiquant son
identité visuelle et sonore unique.
Je nourris le rêve qu'un jour, à la
traditionnelle question « Vous n'avez rien de mieux à faire
à votre âge ?? », des enfants puissent
répondre sans honte « Bien-sûr que
non ! »
Jeu vidéo et émotion
L'un des buts majeurs de l'art et des artistes est sans aucun
doute de faire passer des émotions. Et les jeux vidéo ne sont pas
réputés pour leur sensibilité, ce qui n'est que
partiellement justifié. Les jeux vidéo ne sont pas arides : ils
privilégient en fait certains affects par rapport à d'autres. Si
l'on retire du lot la colère de perdre et la joie de gagner, trop
épidermiques pour mériter un examen attentif, il nous reste en
gros la peur, le stress et l'excitation, trois émotions qui fonctionnent
très bien de manière interactive, et qui ont fait le
succès des survival horror, des jeux de sport ou des doom-like.
Peut-on aller plus loin, montrer ou susciter des sentiments
comme la tristesse profonde, la compassion, la nostalgie ou même l'amour
? Bien sûr : par la force de la musique et du graphisme, par l'animation,
par le charisme des personnages, par la gravité du sujet
évoqué, par l'habileté de l'architecture et de la mise en
scène... Les mélodies mélancoliques et limpides d'un
Chrono Trigger
ou d'un
Legend of
Mana, leurs images suggestives et enchanteresses ont une
résonance affective surprenante. Cruciaux, ces moyens de faire passer
des émotions ne sont toutefois pas spécifiques aux jeux
vidéo : le cinéma utilise les mêmes. Alors, comment
concilier émotion et interactivité ? Avant tout :
- en concevant une intelligence artificielle performante
- en laissant une part
importante d'aléatoire dans l'environnement du jeu et dans le
comportement des êtres qui l'habitent
- en augmentant les enjeux d'une
partie
- en concevant une intelligence artificielle performante.
C'est la condition obligatoire pour que les jeux s'approchent de leur
aboutissement théorique. C'est -en partie- grâce à elle
qu'émotion et interactivité pourront enfin être
réunies. C'est également grâce à elle que le jeu
s'émancipera enfin des formes de narration qui l'ont
précédé. Le vrai progrès viendra quand les
créatures virtuelles créeront l'illusion d'être
réelles dans des situations complexes, et quand l'intelligence
artificielle sera employée dans des situations autres que le conflit
physique. Même si on s'y achemine avec des jeux décidément
incontournables comme
Half-Life ou
Black & White, c'est pour l'instant une idée utopique, car
cela exige :
* que les êtres virtuels arrivent
à reproduire et à exprimer finement (par les mouvements
du corps et du visage, par la voix) des comportements et des sentiments
subtils. Les bots de Quake 3 ou d'Unreal Tournament sont une
très belle ébauche d'intelligence artificielle performante, mais
ils ne savent rien faire d'autre que de tuer le plus efficacement possible
-même si les stratégies qu'ils emploient sont assez
perfectionnées. Les ennemis de
Perfect Dark sont
plus intéressants, puisqu'ils parlent. Ils sont presque
touchants lorsque, désarmés, ils implorent votre pitié
d'un ton affolé ("Je fais seulement mon boulot", prétextent-ils
parfois !). Un pas dans le bon sens.
* que le joueur puisse communiquer verbalement et
gestuellement avec les êtres virtuels, grâce à un
système riche et ergonomique (micros? capteurs?). Situé dans les
quartiers chauds d'une grande ville américaine, Kingpin (PC,
1999) est une esquisse saisissante d'un tel système : une touche du
clavier fait dire à votre personnage des phrases amicales, une autre
touche des phrases hostiles (ces phrases sont automatiquement adaptées
au contexte). A chaque nouvelle pression de l'un ou l'autre bouton, les phrases
gagnent en intensité. Les personnages du jeu réagissent à
ce que vous faites : si vous les insultez, ou si vous vous adressez à
eux quand votre arme est sortie, certains prennent peur et s'enfuient, d'autres
s'énervent et n'hésitent pas à faire rapidement usage de
leur fusil à pompe... On voit bien le potentiel de cet amusant
système d'interactivité : multipliez les types de phrases et les
attitudes des personnages, et il y a là matière à faire du
récit authentiquement émouvant et interactif. Cette
prophétie d'Hironobu Sakaguchi, le producteur exécutif des
Final Fantasy, pourrait alors se matérialiser : "Je pense que
le genre du jeu de rôle va se développer au-delà de
l'aventure et des batailles. Je prévois un angle plus interactif, avec
des histoires d'amour qui font pleurer et des drames familiaux" (in Nikkan
Kogyo, mars 1999). Avant d'en arriver là, les obstacles à
surmonter en matière d'intelligence artificielle seront titanesques,
mais c'est une piste majeure à creuser.
- en laissant une part importante
d'aléatoire dans l'environnement du jeu et dans le comportement des
êtres qui l'habitent. Cela donne au joueur l'impression que le monde
virtuel où il évolue est vivant, que rien n'est jamais
écrit, que tout peut arriver. Evidemment, ce facteur est partiellement
tributaire de la qualité de l'intelligence artificielle. Dans
F-Zero X
(N64, 98), les trente concurrents sur la piste sont remarquablement
agressifs, avec vous mais aussi entre eux. Ils se poussent violemment
contre la rambarde, tournoient sur eux-mêmes pour éloigner tout
adversaire... Après une maladroite tentative d'attaque, ou un virage mal
négocié, il leur arrive même de perdre le contrôle de
leur vaisseau avant d'aller se jeter dans le
vide ! Le comportement de ces vaisseaux fous et coriaces est
dynamique et inattendu, au point que chaque partie est complètement
différente des précédentes.Dans Alien vs Predator
(PC, 99), un alien surgit parfois du fond d'un couloir à une
vitesse terrassante, et l'effet est absolument saisissant : les
déplacements des aliens s'adaptant aux nôtres, il n'est pas
possible de prévoir ce qui peut se passer. Pouvoir créer de
l'imprévu, comme dans la réalité, est l'une des
spécificités absolues du jeu vidéo en tant qu'art. C'est
très puissant émotionnellement.
- en augmentant les enjeux d'une partie.
Dans les jeux vidéo, les actions du joueur sont impunies et sans
conséquences. C'est tout ce qui fait l'intérêt d'un
Midtown Madness ou d'un Carmageddon : vous pouvez prendre
autant d'autoroutes en contresens et écraser autant de piétons
que vous voulez, la police ne viendra jamais sonner chez vous pour vous emmener
au poste. Cette libération des responsabilités par rapport au
réel est ce qui empêche souvent les jeux vidéo d'être
vraiment impliquants émotionnellement. La solution, c'est
d'accroître raisonnablement la difficulté du soft, de trouver
l'équilibre entre réalisme et jouabilité afin de ne pas
énerver et décourager le joueur qui doit se sentir
responsable de ce qui se passe à l'écran. Cela exclut
les pièges vicieux qui retirent au joueur toute maîtrise de
l'action.
GoldenEye,
Rogue Spear (PC, 99) ou Hidden and Dangerous (PC, 99) sont
très prenants, notamment parce qu'ils ne laissent pas le droit à
l'erreur : il n'y a pas de sauvegardes à l'intérieur des niveaux,
donc un échec oblige à tout refaire. Cette difficulté fait
naître une formidable tension. S'il était possible de sauvegarder
à tout moment, l'impact serait largement désamorcé.
Limiter les sauvegardes, c'est enlever au joueur son sentiment de
sécurité, et donner au virtuel l'irrévocabilité et
le poids dramatique du réel -toutes proportions gardées.
Logique commerciale
étouffante, quasi-omnipotence des éditeurs : des limites
pratiques à l'ambition créative
En somme, les nouvelles dimensions créatives ouvertes
par les jeux vidéo, que nous avons abordé tout au long de cet
article, sont d'une portée énorme, presque effrayante. Quand les
développeurs prendront la mesure des possibilités de leur
médium, cela risque d'être une révolution artistique -et
elle est déjà entamée. Cependant, dans le fonctionnement
actuel de l'industrie des jeux vidéo, des obstacles concrets,
structuraux s'opposent aux vraies avancées créatives.
Le premier de ces obstacles vient de la pesanteur commerciale
: plus le marché gagne en importance, plus les coûts humains,
matériels et financiers d'un jeu augmentent, et moins les
éditeurs sont enclins à prendre des risques créatifs (voir
le paragraphe intitulé "
Vaches à lait"
de notre article sur les causes et conséquences du
succès de la
PlayStation).
Le deuxième de ces obstacles, c'est que l'industrie des
jeux vidéo n'a pas encore vu apparaître beaucoup d'îlots
créatifs en mesure de résister à la puissance des
éditeurs tentaculaires que sont Electronic Arts ou Infogrames, qui ont
trop souvent le droit de vie et de mort sur des projets ou sur des
équipes de développement entières. Combien de jeux
pourtant alléchants ont été avortés ? Combien de
concepts étouffés dans l'oeuf ? Combien de studios
éclatés en morceaux ? Les marchés de la musique ou du
cinéma, bien qu'en perpétuelle concentration (rachats, fusions,
etc), ont quand même en leur sein des labels indépendants aux
reins solides, favorables aux démarches neuves et non motivées
par l'appât du gain. Dans l'industrie des jeux vidéo, seuls
quelques puissants développeurs, millionnaires en dollars et à la
réputation prestigieuse, peuvent prétendre traiter d'égal
à égal avec les éditeurs (Id Software, Lionhead
Studios...).
Shenmue
La situation n'est pas rose, mais il faut quand même
relativiser : les plus grands éditeurs n'hésitent pas à
retarder des titres si nécessaire, pour les améliorer, les
ciseler, les débugger parfaitement. Ainsi, les reports incessants d'un
jeu doivent parfois être vus comme un témoignage de respect
à l'égard du public (voir Nintendo avec
Zelda 64 ou
Perfect Dark, ou
Sega avec Shenmue). La rentabilité n'est donc pas
toujours une philosophie dominante.
La sous-traitance, Internet et
les blockbusters d'auteur pour contourner les obstacles pratiques à la
créativité
Des sorties de secours existent :
- la sous-traitance. Dans le n°55 du magazine
américain Next Generation, il y a un article captivant qui dit,
en substance : pour les petites boîtes (et même pour certaines
grosses sociétés), la seule ou la meilleure manière de
développer sur la PS2 ou la Dolphin, ce sera de faire appel à des
entreprises spécialisées dans tel ou tel aspect technique :
"Aujourd'hui, pour une petite équipe de développement, il est
parfaitement possible d'acheter un moteur physique, un moteur 3D, un
système d'Intelligence Artificielle, des squelettes en 3D et des
textures, de solliciter un musicien pour faire les morceaux, et d'acheter un CD
d'effets sonores. Les tâches principales de l'équipe de
développement seraient alors d'assembler de manière
cohérente des technologies et styles artistiques disparates, et de
concevoir le gameplay ". Ce partage des tâches permettrait, poursuit le
magazine, de réduire les coûts et la durée de
développement, et de réaffirmer la suprématie du gameplay
(plus de temps pourrait en effet être consacré au travail
conceptuel). Une vision du futur très plausible.
- Internet. C'est le support idéal pour détacher
les artistes (de toutes les industries de divertissement) du joug des
mastodontes écervelés que sont la plupart des éditeurs et
les lobbies : plus de fabrication, plus d'intermédiaires, plus de
censure...
- la capacité de certains à séduire les
masses avec des oeuvres de grande valeur. Le succès en dollars n'est
heureusement pas forcément synonyme de compromission. On en a l'exemple
flagrant avec les jeux de Molyneux ou surtout de Miyamoto, best-sellers
insurpassables tout en étant d'indéniables locomotives
créatives. Un
Mario 64 peut
tout autant séduire un enfant qu'un hardcore gamer de 30 ans : l'un le
trouvera très fun, l'autre appréciera de surcroît
l'extrême ingéniosité du game design.
Mario 64
Plaire au plus grand nombre avec des blockbuster d'auteur,
c'est-à-dire des jeux à la fois fun, spectaculaires, stimulants
intellectuellement et au concept original : c'est difficile, mais c'est ainsi
que le jeu vidéo gagnera ses lettres de noblesse. Tant que des auteurs
de la trempe de Molyneux ou Miyamoto feront des jeux qui marchent, et
disposeront par conséquent de moyens créatifs illimités
pour arriver à leurs fins, les jeux vidéo continueront à
progresser.
OEuvres expérimentales sur
Internet : le futur des jeux vidéo est peut-être
déjà présent
Un medium peut être utilisé de bien des
façons. Il y a la façon la plus courante de l'exploiter, et il y
a les autres. Le cinéma est, dans l'immense majorité des cas,
utilisé à des fins narratives. Mais le cinéma
expérimental (dont le Sleep d'Andy Warhol, un film de six
heures montrant un homme qui dort, est un des plus célèbres
représentants) a bien prouvé qu'il y avait une alternative
à cette approche hégémonique. Alors, le jeu vidéo
va-t-il, à l'instar du septième art, donner lieu à de
multiples usages ? Certainement. Mais l'on peut d'ores et déjà
affirmer que le jeu vidéo expérimental existe
déjà... sur Internet. Le web et le jeu vidéo sont des
supports exactement semblables, qui permettent d'agir et de naviguer dans un
environnement virtuel. Le web est surtout constitué d'informations
écrites, alors que le jeu vidéo est essentiellement une affaire
d'interactions avec des éléments graphiques. Le jeu vidéo
et le web étant frères, les progrès conceptuels de l'un
sont parfaitement récupérables par l'autre, et inversement. Et
les oeuvres d'art expérimentales ne manquent pas sur le web. Dans ces
recherches souvent anonymes se cache peut-être l'une des clefs de
l'avenir des jeux vidéo. Et, un jour pas si lointain, certains
éditeurs vendront peut-être dans les rayons non pas des jeux
vidéo, mais des oeuvres interactives aux finalités davantages
artistiques que ludiques... L'idée est lancée, et depuis 2005, on
a découvert l'émergence d'un média émergent :
les machinima.
Cette forme d'expression atypique désigne des fictions
créés à partir de séquences extraites de jeu
vidéo remontées, et dont la bande son à été
refaite, dans le but de créer une fiction nouvelle, avec un récit
souvent très différent de celui du jeu. C'est une sorte de
« détournement » du jeu vidéo pour faire
passer, des messages, souvent politiques.
Même si, du fait du peu de moyens dont disposent les
artistes produisant des machinima, et du malaise visuel que ces derniers
provoquent (à cause de notre inconscient de spectateur qui nous dit
« si ça ressemble à la réalité, ça
peut être un film, sinon, c'est un jeu »), cette
curiosité n'en est qu'à ses balbutiements, on peut
présager qu'à l'avenir, il deviendra un media aux
possibilités créatrices inédites.
Conclusion
Ma passion illimitée pour le jeu vidéo provient
de raisons aussi personnelles que des spécificités propres
à ce média très à part.
Cet échappatoire magnifiquement simple d'accès,
ces instruments de pouvoir énormes, ces perspectives de créations
exclusives, aussi bien que son statut unique qui nous donne l'impression qu'il
peut disparaître ou exploser à tout moment, contribuent à
en faire un support définitivement différent qui ne pourra que
continuer à croître comme simple loisir et comme lieu de
création dans les années à venir.
Ses attributs, dont nous avons fait le tour (du moins
partiellement) servent tout à la fois de problématiques sur les
qualités et les défauts qui feront les catastrophes et les
miracles dont il sera victime et responsable dans le futur.
Cependant, même si nous possédons des clefs pour
imaginer ce qu'il va devenir, trop d'éléments divers concourent
pour nous empêcher de savoir ce qu'il en sera réellement dans dix
ans.
En résumé, absolument tout peut arriver.
Pourtant, il n'est jamais trop tôt pour se poser les
bonnes questions et revoir à la hausse les exigences des joueurs comme
des créateurs, que ce soit sur le fond ou sur la forme.
Pour ce qui est du fond, il est aisé de constater que
le jeu vidéo a tout à gagner de sa comparaison avec les autres
genres artistiques dans le sens où il doit prendre le meilleur du
cinéma, de la musique et de la littérature, mais sans oublier que
ses règles et ses codes sont très différents.
Les développeurs ont tout intérêt à
cultiver des valeurs essentielles, comme le réalisme, en tant que moyen,
et non comme fin, pour mettre l'innovation et le plaisir du joueur
perpétuellement renouvelé au centre de leur travail.
Je sais que ça peut paraître aussi naïf que
d'espérer que les grands studios Hollywoodiens feront un jour du
prosélytisme artistique, mais il faut bien admettre que les exceptions,
défis, et autres perles rares qui en sont issus (que j'ai envie
d'appeler blockbusters d'auteur) justifient à eux seuls cette
nécessité de voir toujours plus loin, de donner de bonnes raisons
aux « ennemis » du jeu vidéo (détenteurs du
pouvoir financier, du bon goût artistique, de la décision
politique, mais aussi une partie du grand public) de l'accepter à sa
juste valeur. Aussi vrai et admis qu'il existe des navets, des croûtes,
des brûlots et des chefs d'oeuvres, il existe des mauvais et des bons
jeux vidéo.
L'aspect purement formel est encore une autre paire de
manches.
Edifier des univers titanesques et autonomes au fonctionnement
complexe et aux habitants interdépendants, utiliser tous les moyens
d'expression existants pour créer une expérience totale,
bouleverser les formes artistiques et narratives traditionnelles en donnant un
rôle actif au spectateur, créer une implication
émotionnelle inédite en sollicitant tous les sens du public :
c'est ce que permettent les jeux vidéo. Défricher tous ces
gigantesques continents créatifs et techniques prendra beaucoup de
temps.
Une plus forte volonté, chez les créateurs, de
donner à leurs jeux un contenu riche et passionnant en puisant dans une
large palette d'influences, l'amélioration de l'intelligence
artificielle, l'établissement d'un système de sous-traitance
artistiquement fécond, la constitution d'un réseau de
développeurs indépendants, l'utilisation d'Internet en tant que
moyen de diffusion efficace et peu cher, la pérennité des
blockbusters d'auteur : autant de facteurs qui, séparément ou
cumulés, pourront faire germer les possibilités contenues dans
les jeux actuels. Des possibilités qu'il serait immensément
dommage de gâcher : le jeu vidéo est capable de modifier notre
rapport à l'art, aux artistes et, corrélativement, au monde - ni
plus ni moins. Et dire que tout a commencé avec un shoot'em up
approximatif...