IV. Conclusion
La question de la propagation des croyances est un
phénomène dont les enjeux sont complexes. Intérêts
religieux ou étatiques et droits individuels de la source ou du
récepteur s'entremêlent, s'opposent parfois. Nous l'avons dit, la
société occidentale post moderne aborde ce
phénomène avec méfiance. Dans d'autres
sociétés, plus que de la méfiance, c'est par la
répression que l'on y répond. Cependant, le droit international
des droits de l'homme qui protège la liberté religieuse, comprend
un droit de propager ses croyances. Il est important que la Cour
européenne des droits de l'homme reconnaisse ce droit à tous les
mouvements religieux et à toutes les convictions au sens de l'article 9,
même lorsque la propagation prend une forme non traditionnelle (et non
familière aux juges). Ce faisant, il est souhaitable que la Cour
développe une terminologie précise et surtout, neutre et
générale, évitant de faire usage d'un vocabulaire
tiré de l'une ou l'autre des religions.
De plus, il nous semble que la Cour devrait se concentrer
à développer une argumentation solide et objective basée
sur l'analyse de la légitimité de la restriction (art. 9§2),
et adopter d'une manière générale une attitude très
souple dans la reconnaissance des religions et convictions ainsi que de leurs
possibles manifestations (art. 9§1). Peu importe finalement que l'on
considère la propagation comme une forme de pratique ou bien
plutôt comme un enseignement. Les décisions et
arrêts de la Cour y gagneraient sans doute en cohérence et en
force de raisonnement. Dans cette optique, l'usage d'un certain nombre de
critères permettant de déterminer si le degré de
coercition de l'acte de propagation est tel que l'individu récepteur est
victime d'une forme de prosélytisme « abusif » portant
atteinte à sa capacité d'exercer sa liberté religieuse est
souhaitable.
Enfin, la Cour doit aller jusqu'au bout de la reconnaissance
du droit à la propagation des croyances religieuses, en n'attribuant pas
une coloration négative à ce phénomène, que l'on
« tolérerait » tant qu'il n'atteint pas un certain seuil de
coercition à l'égard du récepteur. En effet, nous l'avons
vu, la Cour a rarement été à l'aise dans les affaires
relevant de l'article 9, et notamment dans les affaires de propagation
religieuse. Le contraste est saisissant avec la doctrine qui s'est
penchée sur la question, et qui s'est prononcée nettement plus en
faveur de la liberté de propager ses croyances, en remettant en cause
l'existence de lois prohibant le prosélytisme « abusif ». Si
la propagation des croyances est protégée par la liberté
de religion et de conviction, elle doit être appréhendée
comme un élément positif non seulement dans le cadre de la
liberté personnelle de la
source, mais aussi comme une valeur ajoutée pour la
société elle-même. En effet, une liberté religieuse
véritable, qui protège la possibilité d'un choix
informé, ne doit pas s'opposer à ce que les uns tentent de
convaincre les autres, tant que ceci se fait dans le respect des droits
d'autrui, d'une manière qui laisse l'autre capable de refuser, et dans
le respect de sa sensibilité.
Alors que la Cour examine en ce moment même une affaire
de propagation de croyance,199 il est à espérer
qu'elle saura éviter ces écueils. Surtout, la Cour devrait se
garder de soutenir la position « interventionniste », en maintenant
fermement l'importance de protéger la liberté de propager, sans
que l'Etat ne s'ingère dans ces interactions interpersonnelles, à
moins que l'attitude coercitive de la source ne le requiert. Pour
déterminer la nécessité d'une telle ingérence, il
est essentiel que la Cour assoie autant que possible sa position sur une
analyse objective des faits. La Cour a reconnu le droit à la
liberté de propagation religieuse, et c'est une première
étape importante. L'on peut souhaiter que, s'appuyant sur cet acquis, la
Cour assume sa responsabilité, sans fuir l'article 9, en affirmant sans
ambages l'importance et la valeur d'une propagation des croyances saine, qui
contribue à valoriser la liberté de religion et de croyance
autant pour la source que le récepteur et à enrichir une
société véritablement pluraliste et tolérante.
199 Une affaire concernant un « missionnaire »
américain de l'église « Morning Star International »,
d'inspiration protestante, et dont le permis de séjour « aux fins
d'activités religieuses » n'a pas été
renouvelé a été déclarée recevable par la
Cour. Perry c. Lettonie, n°30273/03, décision du 18
janvier 2007, HUDOC
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