« Utopus, dès qu'il fut victorieux et
maître, se hâta de décréter la liberté de
religion. Cependant, il ne proscrit pas le prosélytisme qui propage la
foi au moyen du raisonnement, avec douceur et modestie (...). Il
prévoyait que si toutes les religions étaient fausses à
l'exception d'une seule, le temps viendrait où, à l'aide de la
douceur et de la raison, la vérité se dégagerait
d'elle-même, lumineuse et triomphante de la nuit de l'erreur. »
Thomas More, L 'Utopie1
1 MORE Thomas, L 'Utopie, Flammarion, 2003
[originalement publié en anglais sous le titre Utopia en 1516],
Livre Second, Chapitre 8, p. 111
Table des matières
I. Introduction p. 3
1. Un phénomène appréhendé avec
méfiance p. 5
2. Terminologie p. 10
II. Le droit de propager ses croyances en droit
international p. 13
1. Forum internum et liberté de changer
de religion ou de conviction p. 14
2. Forum externum et liberté de manifester
sa religion ou sa conviction p. 18
2.1 La propagation des croyances par l'expression verbale p.
20
2.1.1 L'affaire Arrowsmith et la propagation des
croyances en tant que pratique p. 21
2.1.2 L'affaire Kokkinakis et la propagation des
croyances en tant qu'enseignement p. 26
2.1.3 La fuite vers l'article 10: les affaires Pitkevitch c.
Russie et Murphy c. Irlande p. 32
2.2 La propagation non verbale des croyances et le port de
signes religieux p. 35
III. Les restrictions au droit de propager ses croyances
p. 37
1. La protection de la liberté de religion ou de
conviction du récepteur p. 40
1.1 Le droit de ne pas subir une forme de prosélytisme
« abusif » p. 40
1.1.1 La jurisprudence de la Cour européenne des droits
de l'homme p. 40
1.1.2 Quelques critères pour une détermination
objective du prosélytisme « abusif » p. 46
1.1.2.1 La nature de l'acte de propagation des croyances p.
47
1.1.2.2 Le lieu de la propagation des croyances p. 49
1.1.2.3 La relation source - récepteur p. 49
1.1.2.4 Le récepteur p. 51
1.1.2.5 La capacité de quitter le mouvement p. 51
1.2 Le droit de ne pas être heurté dans ses
sentiments religieux p. 52
2. Le rôle de l'Etat dans la protection du
récepteur contre le prosélytisme « abusif » p. 56
2.1 L'intervention conditionnée ou l'individu
vulnérable p. 57
2.2 L'interventionnisme ou l'individu infantilisé p.
58
2.3 Le « laisser faire » ou l'individu responsable p.
59
IV. Conclusion p. 62
V. Bibliographie p. 64
I. Introduction
Parce que la religion ou la conviction constituent pour celui
qui les professe l'un des éléments fondamentaux de sa conception
de la vie,2 le respect et la garantie de la liberté de
religion et de conviction sont considérés comme essentiels et
occupent un rôle indispensable dans le cadre du corpus de droits humains
visant à permettre une vie digne pour chaque être humain. Sur le
plan international, la liberté religieuse a été inscrite
au nombre des droits de l'homme dès 1948, à l'article 18 de la
Déclaration universelle des droits de l'homme, et a par la suite
été reprise dans la plupart des instruments juridiques de droits
de l'homme. Elle figure notamment à l'article 18 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques de 1966, ainsi qu'à l'article 14
de la Convention relative aux droits de l'enfant de 1989, et à l'article
12 de la Convention internationale sur la protection des droits de tous les
travailleurs migrants et des membres de leur famille datant de 1990, pour ce
qui est des instruments à vocation universelle.
Elle est aussi réaffirmée dans l'ensemble des
instruments régionaux de droits de l'homme, et notamment à
l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme à
laquelle nous nous attacherons plus particulièrement dans le cadre de la
présente étude:
« 1. Toute personne a droit à la
liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit
implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que
la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement
ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l'enseignement,
les pratiques ou l'accomplissement des rites.
2. La liberté de manifester sa religion ou ses
convictions ne peut faire l'objet d'autres restrictions que celles qui,
prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une
société démocratique, à la sécurité
publique, à la protection de l'ordre, de la santé ou de la morale
publiques, ou à la protection des droits et libertés d'autrui
»
La Cour européenne des droits de l'homme a eu
l'occasion de se prononcer sur l'importance fondamentale de cette
liberté dans l'affaire Kokkinakis c. Grèce, en affirmant
que « [t]elle que la protège l'article 9 (art. 9), la
liberté de pensée, de conscience et de religion représente
l'une des assises d'une « société démocratique »
au sens de la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les
éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et
de leur conception de la
2 Assemblée Générale des Nations Unies,
Déclaration sur l'élimination de toutes les formes
d'intolérance et de discrimination fondées sur la religion ou la
conviction, résolution 36/55, 25 novembre 1981, Préambule
vie, mais elle est aussi un bien précieux pour les
athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents. Il y
va du pluralisme - chèrement conquis au cours des siècles -
consubstantiel à pareille société. »3
Parmi les manifestations d'une religion ou d'une conviction,
la tentative de convaincre autrui d'adopter ses propres croyances religieuses,
une activité qui selon les religions et les formes qu'elle prend porte
différents noms - témoignage, évangélisation,
propagation, propagande religieuse, prosélytisme... - occupe une place
variable selon les religions et les convictions. Pour un certain nombre d'entre
elles - essentiellement celles qui aspirent à une adhésion
universelle - cette pratique occupe une place importante, voire
primordiale.4 Ce comportement religieux est-il protégé
par le régime de droits de l'homme? Quelle est la réponse que le
droit a apporté à un phénomène complexe, mettant
aux prises les intérêts du croyant qui souhaite partager ses
convictions, les intérêts du récepteur du message, et celui
de la société et de l'Etat, désireux de maintenir la paix
religieuse et une atmosphère propice au libre exercice des droits de
chacun? Afin de saisir les enjeux et la complexité de la question, il
est essentiel de décrire comment la propagation des croyances est
perçue et appréhendée par les sociétés post
modernes.
3 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31
4 Parmi les trois religions monothéistes, le
christianisme et l'islam cherchent à s'étendre au plus grand
nombre, ce qui n'est pas le cas du judaïsme. Le christianisme est bien
connu pour avoir, depuis des siècles, donné lieu à une
activité missionnaire par moment intense, conduisant à la
propagation de l'Evangile sur tous les continents. Lors du dernier concile de
l'Eglise Catholique Romaine en 1965 (Vatican II), celle-ci réaffirmait
son rôle dans cette perspective, s'estimant « envoyée par le
Christ pour manifester et communiquer la charité de Dieu à tous
les hommes à toutes les nations », ajoutant « qu'elle a
à faire à une oeuvre missionnaire encore énorme »
(Pape PAUL VI (Vatican II), Décret Ad Gentes sur l'Activité
Missionnaire de l'Eglise, 1965, §10) . Le Groupe Mixte de Travail de
l'Eglise Catholique Romaine et du Conseil OEcuménique des Eglises
rappelait en 1995 qu' « un élément essentiel de la mission
confiée par Dieu - en Jésus-Christ - à l'Eglise dans ce
monde, est de proclamer par la parole et par l'action la
révélation et le salut de Dieu pour chacun » (Groupe Mixte
de Travail Eglise Catholique Romaine / Conseil OEcuménique des Eglises,
Septième Rapport, 1998, Annexe C: Le Défi du
Prosélytisme et l'Appel au Témoignage Commun (1995), §7,
traduit de l'anglais par l'auteur). Le groupe de travail rajoute que « la
liberté religieuse affirme le droit de tous de rechercher la
vérité, et de rendre témoignage de cette
vérité conformément à leur conscience »
(Ibidem, § 15).
Les protestants évangéliques - souvent
appelés à tort, mais peut-être pas innocemment, les «
évangélistes » dans les médias, notamment
français - sont un mouvement qui est aujourd'hui en croissance tant en
Europe que sur un plan mondial, et qui accordent souvent une grande importance
à l' « évangélisation ».
D'autres mouvements issus du christianisme sont connus pour
leurs activités en matière de propagation de leur foi. Parmi eux,
les Témoins de Jéhovah, qui se rendent de porte en porte
présenter leur doctrine religieuse. Pour tout membre de ce mouvement, la
propagation de ses croyances est une obligation hebdomadaire.
La diffusion de ses convictions religieuses est
également une pratique encouragée en islam. L'apostasie par
contre est strictement condamnée, et par conséquent, toute
tentative de faire changer les croyances d'un musulman est traditionnellement
prohibée. La condamnation stricte de toute apostasie ressurgit dans le
droit islamique depuis trois décennies seulement alors qu'elle
n'était plus appliquée depuis longtemps. Voir ALDEEB ABU-SAHLIEH
Sami Awad, Les Musulmans Face aux Droits de l'Homme. Religion et Droit et
Politique. Etude et Documents, D. Winkler, Bochum, 1994, pp. 108-112
En revanche la plus ancienne des religions monothéistes
n'encourage pas les non Juifs à se convertir, et n'aspire pas à
l'universalité, mais repose avant tout sur une identité
communautaire (le judaïsme se transmet automatiquement à tout
individu né de mère juive). Les conversions sont possibles, mais
ne sont pas sollicitées. Notons que la loi juive ne prévoit pas
de possibilités de quitter le judaïsme.
1. Un phénomène appréhendé
avec méfiance
La diffusion des croyances par des individus auprès de
leurs pairs est souvent appréhendée avec une certaine
méfiance, tant par les opinions5 que par les autorités
publiques. Plusieurs raisons expliquent cette méfiance.
Il y a d'une part, d'après nous, un lourd
héritage du passé, qui fait que l'on associe aujourd'hui encore
« religion » à « intolérance », et à
« conversion forcée ».6 Il est vrai que l'histoire
est riche en épisodes de violence générés ou
amplifiés par l'intolérance religieuse, et que la liberté
religieuse et le pluralisme religieux au sein d'une société sont
des phénomènes relativement récents.7
Les conséquences de la propagation des croyances: la
destruction du pluralisme religieux?
Ce passé encore pesant est marqué bien sûr
par les terribles guerres de religion, mais aussi, par le souvenir de certaines
pratiques « missionnaires » menées en parallèle
à la colonisation. Ce passé pèse dans la mémoire de
certains qui associent la liberté religieuse à un
prosélytisme agressif et destructeur, qui vient bousculer l'autre dans
sa croyance, sa culture, son être, en faisant usage de
procédés manipulateurs et de chantage, en aliénant ainsi
indûment sa conscience. Si Makau Mutua s'oppose au concept de
liberté religieuse comprenant un droit au prosélytisme, c'est
parce que ceci « impose non seulement aux religions africaines de devoir
rentrer en compétition avec celles qui évangélisent les
autres dans leur marche vers l'universalisme - une tâche à
laquelle une croyance qui historiquement ne joue pas dans le registre du
prosélytisme ni de la compétition n'est pas
préparée -, mais encore protège ces dernières. Dans
le contexte de la liberté religieuse, le privilège accordé
par ce régime de droit à la compétition des idées
sur le droit de ne pas subir d'invasion culturelle (...)
5 Voir par exemple le communiqué de presse de la
Fédération Evangélique de France (FEF) du 18
décembre 2006, réagissant au reportage diffusé au cours du
journal télévisé de la chaîne nationale
française TF1 de 20h00, le 17 décembre 2006 intitulé
« le prosélytisme des sectes », qui présentait les
églises protestantes évangéliques comme des sectes qui
feraient notamment de la propagande illégitime dans la rue.
Autre exemple: en Ouzbékistan, un reportage
télévisé intitulé « Hypocrites » a
été diffusé au niveau national le 30 novembre et le 1
décembre 2006 lors des heures de forte audience. Ce documentaire
stigmatisait les minorités religieuses protestantes ainsi que
lesTémoins de Jéhovah, accusant par exemple ces « sectes
» de « transformer leurs adeptes en zombies » et de les
exploiter tout en leur faisant croire qu'ils veulent les aider. F1 8News,
Uzbekistan: Prime-Time State TV Incites Intolerance of Religious Minorities
and Religious Freedom, 19 December 2006, disponible sur Internet au lien
suivant:
http://www.forum18.org/Archive.php?article_id=890
6 Yadh Ben ACHOUR semble adopter ce genre de position
lorsqu'il affirme que « la liberté de religion est une
conquête politique venue du dehors du cercle religieux. C'est un triomphe
du monde profane au détriment du monde religieux. » ACHOUR, La
Cour Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté de Religion,
op. cit., p. 25
7 Dans l'histoire occidentale, les premiers textes accordant
une certaine liberté religieuse sont l'Edit de Nantes promulgué
par Henri IV le 13 avril 1598, dans le contexte des guerres de religion, le
Virginia Bill of Rights de 1776, ainsi que l'article 10 de la
Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.
revient à excuser le démantèlement des
religions africaines ».8
En d'autres termes, le prosélytisme, justifié
par la liberté de religion, en proposant aux croyants de changer leurs
convictions, détruirait d'autres religions, des cultures, qui ne sont
pas prêtes à cette confrontation d'idées, et par
conséquent porte atteinte au pluralisme religieux et
culturel.9 Dans ce genre de situation, la liberté religieuse
devrait céder le pas à un droit supérieur, le droit des
peuples à la survie culturelle.10
La propagation des convictions religieuses doit-elle
être limitée parce qu'elle est une atteinte au pluralisme
religieux? Une telle position ne défend-elle pas plutôt le
statu quo sur le plan religieux, que le pluralisme? S'il en est ainsi,
est-il réellement légitime de mettre en avant le statu quo
religieux - et avec lui la paix religieuse -, à une époque
où la confrontation des idées religieuses est crainte, parce que
vue comme une source de tensions, capables de déchaîner des
passions incontrôlées au prix d'une plus grande liberté
individuelle?
Il est évident que la question de la propagation des
croyances est liée notamment à celle du rapport entre mouvements
majoritaires et minoritaires. Si c'est la majorité qui tente de propager
ses convictions religieuses, le pluralisme est sans doute menacé de ce
fait. Mais lorsque c'est une minorité qui propage ses points de vue, le
pluralisme tend à être renforcé. Or, les religions bien
établies n'ont pas forcément besoin de mener des activités
de propagation de leurs croyances pour faire connaître leurs points de
vue au grand public, du fait de leur notoriété. Nous verrons dans
les cas présentés à la Cour, que c'est plutôt les
mouvements majoritaires, qui pour conserver leur position, se sont
opposés au « prosélytisme » provenant de nouvelles
mouvances religieuses et qui attirent à elles certains de leurs membres.
Le risque d'une telle argumentation, n'est-il pas finalement de vouloir
protéger une institution religieuse et culturelle plutôt que la
liberté religieuse, un droit des religions plutôt que le droit des
personnes? Les droits de l'homme défendent-ils le droit pour une
religion de ne pas être remise en question dans son existence, de ne pas
être critiquée, de ne pas
8 MUTUA Makau, « Limitations on Religious Rights:
Problematizing Religious Freedom in the African Context », in VAN DER
VYVER Johan D. and WITTE John, Jr. (eds.), Religious Human Rights in Global
Perspective, Martinus Nijhoff Publishers, The Hague / Boston / London,
1996, pp. 418, traduit de l'anglais par l'auteur.
Voir aussi l'argumentation du Bouthan dans le rapport E/CN.4/1
995/91, p. 23: les activités missionnaires doivent être
restreintes pour conserver la culture et la tradition du pays, qui est
majoritairement bouddhiste.
9 Voir aussi FERRARI Silvio, « La Liberté
Religieuse à l'Epoque de la Globalisation et du Postmodernisme: la
Question du Prosélytisme », Conscience et Liberté,
n°60, pp. 17-18, qui cite le cas d'une décision de la Cour
Constitutionnelle Colombienne (décision n°5 10 de 1998) où
une restriction au prosélytisme est justifiée par la
nécessité de protéger l'identité culturelle d'une
communauté autochtone. La Cour statua en effet que les autorités
arhuaca étaient en droit de protéger « le droit à
l'intégrité ethnique et culturelle de la communauté
arhuaca en tant que prévalant sur le droit de pro sélytisme
religieux. »
10 MUTUA, « Limitations on Religious Rights », op.
cit., p. 437
disparaître? A une époque où une tendance
croissante à la protection des religions plutôt que des croyants
se fait sentir - à l'image de l'évolution des titres des
résolutions de l'Assemblée Générale sur ce
sujet11 -, une prise de position claire sur cette question est
nécessaire.
Les moyens de la propagation des croyances:
prosélytisme et manipulation
Pour un certain nombre de croyants, la conversion d'autrui,
voulue pour son bien, est tellement importante, qu'elle peut justifier l'usage
de techniques douteuses, pour l'amener à découvrir la
vérité. Si l'Eglise force les hérétiques et les
schismatiques à rentrer dans son sein « que ceux-ci ne se plaignent
pas d'être contraints, mais qu'ils considèrent où on les
pousse » disait Augustin.12 La crainte d'un certain fanatisme
religieux motive encore souvent des interventions étatiques contre le
« prosélytisme ». Pour ne mentionner qu'un seul exemple, hors
du contexte européen cette fois-ci, il a été
allégué au Sri Lanka, que lors de la reconstruction du pays
après les ravages du tsunami de décembre 2004, certaines
organisations chrétiennes auraient tenté de profiter de la
situation pour essayer de convertir des individus par des techniques
manipulatrices (en anglais « unethical conversions »), en
leur proposant notamment en retour des bénéfices matériels
tels que de la nourriture, des médicaments, des bicyclettes, voire
même un logement, ou un travail.13 C'est essentiellement pour
faire face à ce risque de manipulation, et par conséquent
d'atteinte au libre choix en matière de religion et de conviction de
l'individu, notamment par ces mouvements que la société classifie
comme dangereux et qualifie de « sectes », qu'un certain nombre
d'Etats ont estimé nécessaire d'adopter des lois
anti-prosélytisme.14
11 Par exemple la résolution A/RES/61/164
intitulée « Combattre la diffamation des religions » («
Combatting defamation of religions ») du 19 Décembre 2006, qui fait
suite à la résolution A/RES/60/1 50 du 16 Décembre 2005 et
portant le même intitulé.
12 Augustin, in GARAY Alain, « Liberté Religieuse
et Prosélytisme: l'Expérience Européenne », Revue
Trimestrielle des Droits de l'Homme, vol. 17 (1994), p. 8
13 Rapport de la Rapporteuse Spéciale sur la
Liberté de Religion ou de Conviction, Asma Jahangir, Mission à
Sri Lanka, E/CN.4/2006/5/Add.3, 2005, §43 et suivants
14 En ce moment, la Moldavie, examine l'adoption d'une loi qui
condamne tout prosélytisme abusif, et notamment toute action qui vise
à changer les croyances religieuses d'une personne ou d'un groupe de
personnes par des moyens violents, par un abus d'autorité, par le
chantage, les menaces, la contrainte, le discours de haine religieuse, la
désinformation, la manipulation psychologique et les techniques
subliminales. F 1 8News, Moldova: Controversial Religion Law Suddenly
Rushed Through Parliament, 16 Mai 2007. disponible sur Internet au lien
suivant:
http://www.forum18.org/Archive.php?article_id=956
et F1 8News, Moldova: New Religion Law to Be Passed in Early February?,
26 Janvier 2007, disponible sur Internet au lien suivant:
http://www.forum18.org/Archive.php?article_id=903
La propagation des croyances bannie par une tolérance
« molle »
Un troisième élément nous semble
apparaître dans le contexte européen, et notamment dans le
contexte français: il s'agit d'un certain malaise face au fait religieux
que l'on aurait préféré voir refoulé dans la
sphère privée.15 A l'heure de la « revanche de
Dieu »,16 nos sociétés semblent avoir quelques
difficultés à appréhender cette résurgence du fait
religieux sur la place publique. Dans ce contexte de tolérance «
molle »,17 où chacun est libre de croire ce qu'il veut,
tant qu'il n'impose pas son point de vue à l'autre, les tentatives de
propager ses croyances sont mal perçues. Le « problème
» du port de signes religieux dans les lieux publics n'est pas sans lien
avec ce débat.
La critique à l'égard des religions est
difficile à exercer, et l'est rarement sans se placer sur un terrain
émotionnel, lorsqu'elle est exprimée. Elle est mal reçue
et souvent ressentie comme une attaque personnelle à l'encontre des
croyants. Il faut dire qu'elle est aussi souvent maladroitement
présentée, parfois mal fondée, marquée par les a
priori et les amalgames, au lieu d'être rationnelle et de chercher
à provoquer un débat d'intérêt public.
L'échange d'idées religieuses, l'expression de
ses convictions, le débat concernant les thèmes religieux sur la
scène publique doit-il être promu ou bien
réfréné? Faut-il se garder d'exercer la moindre critique
à l'égard des religions par souci de préserver l'ordre
public et la paix religieuse?
Plusieurs questions méritent notre attention, et
guideront l'argumentation de la présente étude. Comment le droit
appréhende-t-il le phénomène du prosélytisme et de
la propagation des croyances? Comment gère-t-il les
intérêts contradictoires de la source de la propagation des
croyances, de la personne réceptrice et de l'Etat? La Cour et la
Commission ont-elles estimé que la propagation des convictions faisait
partie des manifestations protégées par l'article 9 de la
Convention? Dans quels cas de figure? La jurisprudence a t-elle
été cohérente et convaincante ? A telle défini des
critères pour distinguer les formes de propagations légitimes, de
celles qui portent atteinte au droit à la liberté religieuse du
récepteur, de par leur nature manipulatrice? Quel rôle
15 C'est ce phénomène que le Rapporteur
spécial Doudou Diène a qualifié récemment de «
sécularisme dogmatique ». Rapport Soumis par le Rapporteur
Spécial sur les Formes Contemporaines de Racisme, de Discrimination
Raciale, de Xénophobie et de l'Intolérance qui y Est
Associée, Doudou Diène, A/HRC/4/19, 2007, §41
16 KLEPEL Gilles, La Revanche de Dieu. Chrétiens,
Juifs et Musulmans à la Reconquête du Monde, Seuil, Paris,
1991, 282 pp.
17 COLLANGE Jean-François, « Religion et Avenir
des Droits de l'Homme », in MAHONEY Paul, MATSCHER Franz, PETZOLD Herbert,
WILDHABER Luzius (eds.) Protection des Droits de l'Homme: la Perspective
Européenne. Mélanges à la Mémoire de Rolv Ryssdal,
Carl Heymans Verlag KG, Köln, 2000, pp. 266-267
l'Etat peut-il, voire doit-il jouer pour protéger les
droits du récepteur ? Si la Cour n'a pas développé une
approche systématique peut-on néanmoins identifier certains
critères pour aider à déterminer les cas de figure
où la propagation contient une dimension coercitive, et les cas
où elle respecte les droits du récepteur?
La Cour et la Commission européennes des droits de
l'homme sont les seuls organes judiciaires internationaux à s'être
penchés à plusieurs reprises sur la question de la propagation
des croyances. C'est sur la base de cette jurisprudence européenne que
nous chercherons donc à analyser la réponse que le droit donne
à ce phénomène complexe.
Lorsque la Cour ou la Commission sont confrontées
à un cas de violation supposée du droit de manifester sa religion
ou sa conviction conformément à l'article 9, leur démarche
consiste classiquement en trois étapes. L'organe judiciaire va dans un
premier temps se prononcer sur le fait de savoir si les convictions en jeu sont
bel et bien une religion ou une conviction au sens de l'article 9. Dans un
deuxième temps il examine si la forme de manifestation que prend cette
croyance rentre dans le cadre de protection offert par la deuxième
partie du paragraphe 1 de l'article 9. Si tel est le cas, l'examen se poursuit
sur le fait de savoir si l'éventuelle ingérence à la
liberté de manifester sa religion ou conviction était
légitime au titre du second paragraphe.
La première étape ne relevant pas du champ de
notre étude,18 c'est avant tout les deux étapes
suivantes qui constitueront l'ossature de notre argumentation. Il s'agira en
effet dans un premier temps de déterminer si, et dans quelles
circonstances, la propagation des croyances est une manifestation
légitime selon la Cour et la Commission avant d'examiner dans un second
temps la question des limitations à ce droit. En d'autres termes, c'est
d'abord la perspective des droits de la source qui seront étudiés
(II), tandis que la seconde partie (III) s'attachera essentiellement aux droits
du récepteur d'être protégé contre les formes
illégitimes de prosélytisme et aux moyens dont l'Etat dispose
à cet effet.
18 Pour un bon survol de la jurisprudence de la Cour et de la
Commission en la matière, voir EVANS, Freedom of Religion under the
European Convention on Human Rights, op. cit., pp. 5 1-66, qui constate
qu'elles ont généralement adopté une approche
généreuse de la définition du champ des termes «
religion » et « conviction ».
2. Terminologie
Avant d'en venir à l'analyse juridique proprement dite
de la question de la propagation des croyances, une clarification
terminologique est nécessaire, afin de bien cerner le champ exact de ce
que nous entendons traiter dans cette étude. Nous avons en effet
éprouvé une certaine difficulté dans le choix de la
terminologie à adopter pour décrire le phénomène
qui se trouve au coeur de notre étude, d'autant plus que, comme nous le
verrons par la suite, ni la Cour ni la Commission européennes des droits
de l'homme n'ont tranché la question. Au premier abord, le terme «
prosélytisme » pourrait sembler le plus approprié et c'est
le choix qu'ont fait un certain nombre d'auteurs qui ont écrit sur le
sujet.19
Dans son sens historique et religieux, le «
prosélyte » est un « païen » - c'est-à-dire
un non Juif - converti au judaïsme.20 Le terme ne portait alors
aucune connotation négative. Par la suite « prosélytisme
» est devenu le nom utilisé pour décrire le «
zèle déployé pour répandre sa foi, et par extension
pour faire des prosélytes, recruter des adeptes »,21
mais aujourd'hui ce terme est souvent utilisé avec une connotation
péjorative. Il décrit désormais une forme de propagation
des croyances considérée comme attentatoire à la
liberté d'autrui, intrusive, agressive et
illégitime.22 La Cour elle même n'a pas utilisé
ce terme de manière neutre, mais y a toujours associé un adjectif
donnant clairement une coloration négative à l'expression. La
première fois qu'elle a fait usage de ce terme, ce fut pour
décrire le genre d'attitude qui ne serait pas acceptable de la part d'un
enseignant du fait de l'obligation de respecter les convictions religieuses et
philosophiques des parents (Article 2 du Protocole n°1). Elle affirma
à cet égard en l'affaire Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c.
Danemark23 qu'un « prosélytisme
intempestif » ne serait pas conforme aux droits des parents.
19 Par exemple GARAY, « Liberté Religieuse et
Prosélytisme: l'Expérience Européenne », op. cit.,
pp. 7-29; STAHNKE Tad, « Proselytism and the Freedom to Change Religion in
International Human Rights Law », Brigham Young University Law Review,
1999, n° 1, pp. 252-354
20 Etymologiquement, un « prosélyte » est un
terme d'origine grec qui signifie « nouveau venu » dans le pays, et
par extension, « nouveau venu » dans la religion.
21 Le Petit Robert, Dictionnaire de la Langue
Française, Dictionnaires le Robert, Paris, édition mise
à jour et augmentée, 2002
22 Sur la connotation péjorative qu'a acquis avec le
temps le terme « prosélytisme, » voir par exemple LERNER
Nathan, « Proselytism, Change of Religion and International Human Rights
», Emory International Law Review, vol. 12, 1998, pp. 495-496
23 Kjeldsen, Busk Madsen et Pedersen c. Danemark,
n° 5095/71, n° 5 920/72, 5926/72, arrêt du 7
décembre 1976, série A n° 23. Le cas concernait trois
couples qui s'opposaient à l'éducation sexuelle
intégrée et de ce fait obligatoire dans le cadre des programmes
de l'école primaire publique. La Cour a conclu à l'absence de
violation de l'article 2 du Protocole n°1 - pris isolément et en
combinaison avec l'article 14 de la Convention - dans la mesure où cet
enseignement est diffusé « de manière objective, critique et
pluraliste » et ne poursuit pas un « but d'endoctrinement »
(§53). Elle ajoute que « des abus peuvent se produire dans la
manière dont telle école ou tel maître applique les textes
en vigueur et il incombe aux autorités compétentes de veiller
avec le plus grand soin à ce que les convictions religieuses et
philosophiques des parents ne soient pas heurtées à ce niveau par
imprudence,
Lorsqu'elle développera davantage la question de la
propagation des croyances, la Cour opposera dans l'affaire Kokkinakis le «
témoignage chrétien » au « prosélytisme abusif
».24
Par conséquent on trouve dans la doctrine un certain
nombre d'expressions pour tenter de contourner l'obstacle en utilisant un terme
neutre. On trouve notamment les verbes diffuser,25
convaincre,26 persuader,27 convertir,28
témoigner,29 et l'on pourrait aussi penser à annoncer,
disséminer, répandre...
Dans le cadre du mandat octroyé par l'ancienne
Commission des droits de l'homme des Nations Unies, les Rapporteurs
spéciaux successifs sur la liberté de religion ou de conviction
ont privilégié généralement le terme «
prosélytisme »,30 même si l'on trouve parfois
aussi le terme « propagande (religieuse) »,31 sans qu'une
définition précise n'ait été donnée avant
2005, année durant laquelle l'actuelle détentrice du mandat, Asma
Jahangir, a dédié tout un chapitre de son rapport
intérimaire à l'Assemblée Générale des
Nations Unies à ce sujet.32 Elle n'a toutefois pas
contribué à une clarification terminologique, en utilisant
diverses expressions pour caractériser ce phénomène, sans
qu'il soit touj ours évident de saisir les différentes nuances.
On trouve ainsi pêlemêle les expressions « prosélytisme
», « activités missionnaires », « propagation de la
religion ». D'une manière générale la Rapporteuse
semble avoir une préférence pour l'expression «
activités missionnaires ».33
manque de discernement ou prosélytisme intempestif
» (italiques rajoutées par l'auteur).
24 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §48
25 SICILIANOS Linos-Alexandre, « La Liberté de
Diffusion des Convictions Religieuses », in FLAUSS Jean-François
(ed.), La Protection Internationale de la Liberté Religieuse,
Bruylant, Bruxelles, 2002, pp. 205-229 ROSSI Gianfranco, « Le Droit
à la Liberté de Diffuser sa Religion », Conscience et
Liberté, n°59, pp. 121-129
26 ACHOUR Yadh Ben, La Cour Européenne des Droits
de l'Homme et la Liberté de Religion, Institut des Hautes Etudes
Internationales de Paris, Cours et Travaux n°3, A. Pedone, Paris, 2005, p.
33 et suivantes. Il oppose le « droit de convaincre »,
légitime, au « prosélytisme », illégitime.
27 STAHNKE Tad, « The Right to Engage in Religious
Persuasion », in LINDHOLM Tore, DURHAM W. Cole, Jr., TAHZIB-LIE Bahia G.
(eds.), Facilitating Freedom of Religion or Belief: A Deskbook,
Martinus Nijhoff Publishers, Leiden, 2004, pp. 619-649
28 GONZALEZ Gérard, La Convention Européenne
des Droits de l'Homme et la Liberté des Religions, Economica,
Paris, 1997, pp. 92 et suivantes
29 Groupe Mixte de Travail, Septième Rapport,
1998, op. cit., Annexe C: Le Défi du Prosélytisme et l'Appel
au Témoignage Commun (1995)
30 Par exemple A/51/542/Add.1 (rapport faisant suite à
une visite en Grèce) §11-12: « Le Rapporteur spécial
constate que le prosélytisme est dans la nature même des
religions, ce qui explique la condition juridique du prosélytisme dans
les instruments internationaux et la déclaration de 1989 »;
E/CN.4/1 997/91, §22; E/CN.4/1 998/5, §63; E/CN.4/2000/65
§§ 35, 56, 88, 102... ; E/CN.4/2004/63/Add.2 (visite en Roumanie)
§ 48...
31 Par exemple E/CN.4/1994/79, §55 où il est
question aussi de « reconversions » ou encore E/CN.4/1995/91, p.
77
32 Rapport d'Activité Etabli par Mme Asma Jahangir,
Rapporteuse Spéciale de la Commission des Droits de l'Homme
Chargée d'Etudier la Question de la Liberté de Religion ou de
Conviction, A/60/399, 2005 (en particulier §§ 40-68)
33 Voir aussi par exemple le Rapport E/CN.4/2006/5, Annexe:
« Framework for Communication », où l'on trouve une rubrique
intitulée « Teaching and disseminating material, including
missionary activity » (« Enseignement et dissémination de
matériel, y compris les activités missionnaires »)
Pour ce qui concerne notre étude, le terme
privilégié est celui de « propagation », qui nous
semble le mieux adapté à décrire de façon neutre ce
phénomène.34 Ce que nous entendons par la propagation
de croyances pour notre étude, c'est toute expression, attitude ou
conduite, par laquelle un individu (la source) tente de convaincre un autre
individu (le récepteur) d'adopter certaines croyances et / ou
d'adhérer à une certaine dénomination religieuse ou
quasi-religieuse.35 Cette propagation peut donc se faire de
manière directe, verbale, mais aussi de manière indirecte,
lorsque le message est véhiculé par un comportement. La
propagation peut donc prendre une infinité de formes: la discussion
religieuse, l'enseignement, le « porte-à-porte », la
publication, la distribution de tracts, une émission radio- ou
télédiffusée, mais aussi la distribution de services
sociaux, la relation d'aide et le soutien psychologique, l'octroi d'aide
humanitaire ou au développement, ou encore le port de signes religieux
distinctifs, ou tout simplement une manière d'aborder les relations
interpersonnelles (générosité, disponibilité,
bonté, ...) ou le choix d'une certaine éthique de vie (droiture,
intégrité, ...) etc. L'élément essentiel est celui
de l'intentionnalité de la source qui propose ou cherche volontairement
à modifier les convictions d'autrui.
De quels types de croyances s'agit-il? Nous donnons dans cette
étude un sens large au mot « croyance », par lequel nous
entendons à la fois les croyances religieuses et les « convictions
» au sens de l'article 9 de la Convention européenne des droits de
l'homme.36 La propagation des
A notre sens cette expression soulève plusieurs
difficultés. D'une part, cette terminologie n'est pas neutre, mais
fortement connotée, et souvent associée au christianisme. De
plus, elle n'est pas sans rappeler le colonialisme dans l'esprit de beaucoup de
personnes. D'autre part, elle ne décrit qu'une partie des
phénomènes de la propagation des croyances: celle qui se fait par
le biais de personnes soutenues et financées depuis l'étranger.
Enfin, un activité « missionnaire » n'a pas forcément
trait à la propagation des croyances. Il s'agit simplement d'une
personne soutenue et envoyée depuis l'étranger pour accomplir des
activités religieuses de tout type, dont, parfois, mais pas
nécessairement, des activités de propagation des croyances. Pour
toutes ces raisons, cette terminologie ne nous semble pas satisfaisante.
34 Dans son « Projet de Principes sur la Liberté
et la Non-Discrimination en Matière de Religion et de Pratiques
Religieuses », Arcot Krishnaswami a également fait le choix de
cette terminologie: « Toute personne est libre d'enseigner ou de
propager sa religion ou sa conviction, tant en public qu'en
privé », Sous-Commission de la lutte contre les mesures
discriminatoires et de la protection des minorités, Etude des
Mesures Discriminatoires dans le Domaine de la Liberté de Religion et
des Pratiques Religieuses, par Arcot Krishnaswami, Rapporteur
spécial, Nations Unies, New York, 1960, p. 77 (Annexe 1, italiques
rajoutées par l'auteur)
35 STAHNKE Tad, « The Right to Engage in Religious
Persuasion », op. cit., p. 620, définit le «
prosélytisme » comme étant une: « conduite expressive
adoptée avec l'objectif d'essayer de changer les convictions,
l'affiliation ou l'identité religieuses d'autrui. La personne adoptant
un tel comportement est la « source », tandis que la personne
recevant le message est la « cible » (target) ».
(traduit de l'anglais par l'auteur)
36 Il est généralement considéré
que les termes « religion » et « convictions » ont
été choisis pour que le champ de cette liberté soit
clairement étendu au delà des religions bien établies, et
protège aussi les mouvements plus récents, moins reconnus, voire
marginaux ainsi que les convictions non théistes.
Voir par exemple dans le cadre de l'interprétation du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l'Observation
générale No 22 du Comité des droits de l'homme: Le Droit
à la Liberté de Pensées, de Conscience et de Religion
(art. 18), CCPR/C/21/Rev.1/Add.4, 30 Septembre 1993, § 2: «
L'article 18 protège les convictions théistes, non
théistes et athées, ainsi que le droit de ne professer aucune
religion ou conviction. Les termes "conviction" et "religion" doivent
être interprétés au sens large. L'article 18 n'est pas
limité, dans son application, aux religions traditionnelles ou aux
religions et croyances comportant des caractéristiques ou des
pratiques
croyances inclut donc aussi les convictions qui ne sont pas
religieuses au sens strict, comme l'athéisme, l'agnosticisme, le
scepticisme... Quant à une définition plus précise de ce
qu'est une religion et une conviction, il n'est pas utile pour notre
étude d'entrer dans ce débat qui est loin d'être
clos.37 A cet égard, nous ne saurions que souscrire à
l'affirmation de Rosalyn Higgins lors de l'élaboration de l'Observation
générale 22 du Comité des droits de l'homme: « Le
contenu d'une religion devrait être déterminé par les
croyants eux-mêmes ».38
Rappelons par ailleurs la définition que la Cour a
donné dans l'affaire Campbell et Cosans c. Royaume-Uni de la
notion de « conviction »: « Considéré
isolément et dans son acception ordinaire, le mot « convictions
» n'est pas synonyme des termes "opinion" et "idées" tels que les
emploie l'article 10 (art. 10) de la Convention qui garantit la liberté
d'expression; on le retrouve dans la version française de l'article 9
(art. 9) (en anglais « beliefs »), qui consacre la liberté de
pensée, de conscience et de religion. Il s'applique à des vues
atteignant un certain degré de force, de sérieux, de
cohérence et d'importance ». 39 Autrement dit, bien qu'il s'agisse
de donner un champ large à cet article, ce champ ne saurait être
infini.
II. Le droit de propager ses croyances en droit
international
Face à ces controverses au sujet de la propagation des
croyances, nous nous proposons de voir dans quels cas de figure la Cour a
estimé que les droits de l'homme, et plus particulièrement la
liberté de religion et de conviction protégeaient le droit de
s'adonner à ce genre d'activités. Il s'agit par conséquent
d'évaluer l'existence d'un droit de la source, soit de manière
verbale, par l'expression, soit de manière non verbale, par une
attitude, un comportement, de proposer au récepteur une
institutionnelles analogues à celles des religions
traditionnelles. »
37 Voir notamment EVANS Carolyn, Freedom of Religion under
the European Convention on Human Rights, Oxford University Press, Oxford,
2003, pp. 5 1-66; GUNN T. Jeremy, « The Complexity of Religion and the
Definition of 'Religion' in International Law », Harward Human Rights
Journal, vol. 16, 2003, pp. 189-215
38 Human Rights Committee, Summary Records of the
1166th Meeting of the Forty-Fifth Session, discussion on 24
July 1992, § 48
39 Campbell et Cosans c. Royaume-Uni, arrêt du
25 février 1982, série A no 48, § 36. Cette
définition est donnée alors que la Cour examine l'affaire sous
l'angle de l'article 2 du Protocole n° 1. Les requérants
contestaient en l'espèce le recours aux punitions corporelles comme
mesure disciplinaire dans les écoles publiques. La Cour a estimé
que ceci pouvait être considéré comme une « conviction
» au sens de la Convention: « Les opinions des requérantes ont
trait à un aspect grave et important de la vie et de la conduite de
l'homme: l'intégrité de la personne, la légitimité
ou illégitimité d'infliger des punitions corporelles et
l'exclusion de l'angoisse que suscite le risque de pareil traitement. Elles
répondent à chacun des divers critères
énumérés précédemment; elles se distinguent
en cela des idées que l'on pourrait professer sur d'autres
méthodes de discipline ou sur la discipline en général.
» (Ibidem)
croyance alternative. Dans en premier temps nous verrons dans
quelles circonstances la Cour a considéré qu'il existait un tel
droit en particulier dans le cadre offert par la liberté religieuse
protégée à l'article 9, avant de voir que dans certains
cas récents, la Cour a préféré traiter de la
question sous l'angle de l'article 10, protégeant la liberté
d'expression.40
Mais avant d'en venir au droit de propager sa croyance en tant
que manifestation d'une religion ou d'une croyance permise par l'article 9, il
nous semble nécessaire d'aborder brièvement le fondement,
l'essence, le coeur de l'article 9, qui est la protection de la liberté
d'avoir, d'adopter et de changer de religion ou de conviction.
1. Forum internum et liberté de changer de
religion ou de croyance
Forum internum
L'une des libertés les plus fondamentales de
l'individu, en tant qu'être rationnel, est la possibilité de se
(re)définir et de se (re)positionner de manière continuelle dans
sa relation à l'autre et au cosmos.41 Chacun a le droit de
chercher et d'adopter les réponses qu'il veut aux questions
existentielles auxquelles il est confronté. Personne ne doit être
forcé à adopter une réponse, une vision, une croyance qui
n'est pas la sienne. C'est là l'essence même de la liberté
de religion et de conviction. Contrairement aux manifestations de ces croyances
qui peuvent être limitées selon les conditions prévues au
paragraphe 2 de l'article 9, la liberté de croyance dans la
sphère du for intérieur est absolue, et ne peut en aucun cas
être restreinte. Et parce que ce droit s'exerce de manière
continue, il est porteur aussi, intrinsèquement, de la liberté de
changer de religion et de croyance. Il en va du respect de l'humain en tant
qu'être autonome et responsable. L'Etat a l'obligation, d'une part de ne
pas interférer avec cette liberté - ce que l'on appelle
l'obligation de respecter -, et d'autre part de protéger
l'individu contre toute violation de son for intérieur par
40 « 1. Toute personne a droit à la liberté
d'expression. Ce droit comprend la liberté d'opinion et la
liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des
idées sans qu'il puisse y avoir ingérence d'autorités
publiques et sans considération de frontière. Le présent
article n'empêche pas les Etats de soumettre les entreprises de
radiodiffusion, de cinéma ou de télévision à un
système d'autorisations.
2. L'exercice de ces libertés comportant des devoirs et
des responsabilités, peut être soumis à certaines
formalités, conditions, restrictions ou sanctions prévues par la
loi, qui constituent des mesures nécessaires, dans une
société démocratique, à la sécurité
nationale, à l'intégrité territoriale ou à la
sûreté publique, à la défense de l'ordre et à
la prévention du crime, à la protection de la santé ou de
la morale, à la protection de la réputation ou des droits
d'autrui, pour empêcher la divulgation d'informations confidentielles ou
pour garantir l'autorité et l'impartialité du pouvoir judiciaire.
» (Article 10 - Liberté d'expression)
41 MCDOUGAL Myres S., LAS SWELL Harold D., CHEN Lung-Chu, «
The Right to Religious Freedom and World Public Order. The Emerging Norm of
Non-Discrimination », Michigan Law Review, vol. 74, 1976, p.
873
autrui.
La Cour, dans l'affaire Kokkinakis c. Grèce -
affaire d'une importance centrale tant pour comprendre l'interprétation
que la Cour a donnée à l'article 9,42 que pour saisir
plus précisément l'approche que la Cour a eu face à la
question de la propagation des croyances, et sur laquelle nous aurons par
conséquent l'occasion de revenir plus en détail par la suite -, a
confirmé cette importance fondamentale que la Convention accorde
à la protection de la liberté de religion et de conviction en
tant qu'elle relève du for intérieur de l'individu. Abordant la
dimension religieuse de l'article 9, elle affirme que « la liberté
religieuse relève d'abord du for intérieur ».43
Cette formulation est apparue la première fois dix ans plus tôt,
dans un arrêt rendu par la Commission: « L'article 9 protège
avant tout le domaine des convictions personnelles et des croyances
religieuses, ce que l'on appelle parfois le for intérieur
».44
L'obligation qui découle de cette liberté, et
qui s'impose aux Etats, n'est pas seulement celle de veiller à ce que
les individus ne soient pas forcés d'adopter certaines croyances. Il
s'agit de veiller de manière plus large à ce que l'individu ne
soit pas endoctriné, ni obligé d'agir d'une manière qui
revienne pour lui à renier ses croyances.
Ni la Cour, ni la Commission n'ont établi dans les cas
qu'ils ont examinés, de violations du forum
internum.45 Parmi les éventuelles violations du
for intérieur, on trouve dans la doctrine l'usage de la menace ou de la
force physique ou de sanctions pénales visant à forcer un
individu à adhérer à une religion ou conviction, ou
à le contraindre à abjurer sa foi.46 La Rapporteuse
spéciale sur la liberté de religion ou de conviction mentionne
également avoir été confrontée à des cas de
personnes arrêtées en raison de leurs convictions et que l'on
avait tenté de faire renoncer à leur foi. « La Rapporteuse
spéciale estime que de tels actes constituent des formes inacceptables
de violation du droit à la liberté de religion ou de conviction
parce qu'ils ont essentiellement pour effet ou pour
42 Il s'agit d'ailleurs de la première affaire où
la Cour conclut à une violation de l'article 9 de la Convention.
43 Kokkinakis c. Grèce, op. cit., §31
44 C c. Royaume-Uni, n° 10358/83,
décision du 15 décembre 1983, D. R. 37, p. 153, §1. Cette
affaire concernait un quaker, pacifiste convaincu, qui s'est vu forcé
à payer l'entièreté de l'impôt direct sur le revenu,
alors qu'il voulait se contenter de payer 60% de ce montant, sachant que 40%
des recettes fiscales provenant de l'impôt direct sont allouées
aux dépenses liées à l'armement et aux industries
connexes. La Commission a considéré qu'un tel comportement
n'était pas protégé par le premier paragraphe l'article 9,
et a déclaré la requête irrecevable.
45 Pour une analyse de la jurisprudence de la Cour et de la
Commission se rapportant à la question du forum internum, voir
notamment EVANS Carolyn, Freedom of Religion under the European Convention
on Human Rights, Oxford University Press, Oxford, 2003, pp. 72-79
46 TAHZIB Bahiyyih G., Freedom of Religion or Belief.
Ensuring Effective International Legal Protection, Martinus Nijhoff
Publishers, The Hague / Boston / London, International Studies in Human Rights,
vol. 44, 1996, p. 26
but de limiter la liberté de pensée ou de
conscience elle-même (ce que l'on appelle parfois le « forum
internum ») laquelle, selon les principaux instruments internationaux, ne
souffre d'aucune restriction. »47
La question de la propagation des croyances est intimement
liée à l'existence d'une liberté située au niveau
du forum internum. En effet tout l'enjeu de la propagation des
croyances, c'est de savoir s'il y a un droit de tenter d'influencer le for
intérieur de l'autre, de proposer au récepteur de le modifier, et
de déterminer quelles limites il faut fixer à ses tentatives,
pour qu'elles ne violent pas sa liberté religieuse et qu'elles
n'altèrent pas (excessivement?) les conditions d'un libre choix. Nous
aborderons plus spécifiquement les droits du récepteur dans le
chapitre III, pour nous interroger dans un premier temps sur l'existence du
droit de la source de propager ses croyances.
Liberté de changer de religion ou de
conviction
La liberté de changer de religion est une question
hautement controversée sur le plan international. Elle est pourtant
inhérente à une conception de la liberté
religieuse,48 considérée comme s'exerçant de
manière continuelle. Au sein des organes onusiens, la question a
été vivement débattue à chaque fois que la question
de la liberté religieuse était sur la table de travail. Elle l'a
été au moment de la rédaction de la Déclaration
universelle des droits de l'homme,49 mais aussi au moment de la
négociation du Pacte relatif aux droits civils et politiques de
1966.50 Ce débat est dû notamment à la
conception que les pays musulmans ont de la liberté de
religion.51 L'apostasie, nous
47 Rapport Soumis par la Rapporteuse Spéciale sur
la Liberté de Religion ou de Conviction, Asma Jahabgir,
E/CN.4/2005/61, 20 décembre 2004, §45-46
48 Voir par exemple le rapport de M. Abdelfattah Amor,
Rapporteur spécial à la Commission des droits de l'homme de 1997
(E/CN.4/1 997/9 1): « Il est désormais établi que la
liberté religieuse ne saurait être dissociée de la
liberté de changer de religion » (§77, traduit de l'anglais
par l'auteur)
Sur le thème de la liberté de changer de
religion voir aussi le rapport Krishnaswami: Sous-Commission de la lutte contre
les mesures discriminatoires et de la protection des minorités,
Etude des Mesures Discriminatoires dans le Domaine de la Liberté de
Religion et des Pratiques Religieuses, op. cit., notamment les pp. 17- 20
et 27-3 1;
49 TAHZIB, Freedom of Religion or Belief. op. cit.,
pp. 73-78, qui cite notamment l'opposition de l'Arabie Saoudite à la
première partie de l'article 18 de la Déclaration universelle des
droits de l'homme, relative au forum internum parce qu'elle pouvait
justifier les activités missionnaires abusives, et qui en appela au vote
lorsqu'il s'agit de décider de l'inclusion de la liberté de
« changer ». La phrase fut acceptée par 27 votes favorables,
tandis que 12 Etats s'abstinrent et que 5 Etats s'y opposèrent
(Afghanistan, Irak, Pakistan, Arabie Saoudite, Syrie)
50 Ibidem, pp. 85-89. L'Arabie Saoudite a là aussi pris
la tête d'un groupe d'Etats opposés à l'inclusion du verbe
« changer » dans le texte, et à nouveau, c'est le refus du
prosélytisme qui a été invoqué, d'où
finalement cette expression de compromis qui a permis à ce que le Pacte
soit adopté unanimement, sans aucune réserve à l'article
18: « la liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une
conviction de son choix ».
Voir aussi LERNER, « Proselytism, Change of Religion and
International Human Rights », op. cit., pp. 511-516
51 Voir notamment la Déclaration du Caire sur les
Droits de l'Homme en Islam du 5 août 1990, rédigée
dans le cadre de l'Organisation de la Conférence Islamique, qui dispose
à son article 10 ce qui suit: « L'Islam est la religion de
l'innéité. Aucune forme de contrainte ne doit être
exercée sur l'homme pour l'obliger à renoncer à sa
religion pour
l'avons dit, est punissable de mort en islam, ce qui peut
expliquer cette position, mais surtout, ce sont les activités
missionnaires d'ordre prosélytique que l'on ne veut voir
justifiées en aucun cas par ce droit à changer de
religion.52 Si le paragraphe 2 de l'article 18 du Pacte
international de 1966 énonce « Nul ne subira de contrainte pouvant
porter atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou
une conviction de son choix » , c'est justement en réponse
notamment à ceux qui craignaient que la liberté religieuse ne
justifiassent des activités prosélytiques potentiellement
abusives de la liberté religieuse d'autrui.53 Selon le
professeur Shaw l'article 17 de la Convention européenne des droits de
l'homme (interdiction de l'abus de droit)54 pourrait assumer le
même rôle au sein de la Convention,55 mais ni la Cour ni
la Commission n'ont jamais utilisé cet article à cet effet,
préférant se référer au paragraphe 2 de l'article
9.
Dans le contexte européen, ce débat ne fait pas
rage, et la liberté de changer de religion est reconnue et
acceptée globalement comme faisant partie de la liberté
protégée par l'article 9. Selon la Cour, pour que cette
liberté de changer puisse s'exercer effectivement, il est logique de
considérer
une autre ou pour l'athéisme; il est également
défendu d'exploiter à cette fin sa pauvreté ou son
ignorance. »
Les exemples de lois prohibant l'apostasie et le
prosélytisme à l'encontre de musulmans sont nombreux. Nous nous
contenterons ici d'un seul exemple. Au Soudan, l'apostasie est punissable de
mort et le prosélytisme est prohibé. L'article 126 de la
législation pénale soudanaise de 1991 dispose notamment ce qui
suit: « Sera coupable d'apostasie tout musulman qui encourage à
l'abjuration de la foi islamique ou fait savoir publiquement, par une
déclaration expresse ou un acte ne laissant aucun doute, qu'il a
abjuré ». Par la suite, si la personne ne se repent pas et ne
redevient pas musulmane au bout d'une période de temps fixé par
le tribunal, la personne est exécutée. Le Soudan justifie cette
disposition par le fait que l'apostasie est préjudiciable à la
société et qu'elle est souvent associée à des
actions néfastes contre la société ou l'Etat. Commission
des droits de l'homme, Rapport Présenté par M. Angelo Vidal
d'Almeida Ribeiro, Rapporteur Spécial Nommé Conformément
à la Résolution 1986/20 du 10 Mars 1986 de la Commission des
Droits de l'Homme, E/CN.4/1993/62, 1993, pp. 98-99
Voir aussi ALDEEB ABU-SAHLIEH, Les Musulmans Face aux Droits
de l'Homme, op. cit., 1994, pp. 108-112 Signalons toutefois que les lois
anti-conversion ne sont pas le seul apanage des Etats musulmans. En Inde, sept
Etats ont à ce jour adopté une loi « anti-conversion ».
Dans l'Etat indien du Gujarat par exemple, une législation prohibe les
conversions « forcées » ou acquises par le biais de «
moyens frauduleux ». De plus, pour qu'une conversion soit avalisée,
il faut obtenir une autorisation du magistrat du district. Commission des
droits de l'homme, Rapport Soumis par la Rapporteuse Spéciale sur la
Liberté de Religion ou de Conviction, Asma Jahangir,
E/CN.4/2005/61, 2004, §60
52 Voir aussi par exemple: Organisation de la
Conférence Islamique, Déclaration sur les droits et la
protection de l'enfant dans le monde islamique, résolution n°.
16/7-C (is), 15 décembre 1994, dont l'article 8 sur le droit à
l'enseignement contient le paragraphe suivant: « Tout en garantissant le
liberté de l'homme d'embrasser librement et en dehors de toute
contrainte, la religion de son choix, l'Islam interdit au Musulman d'abjurer sa
religion qui est le sceau de toutes les révélations
célestes. En conséquence, la société musulmane
s'engage à sauvegarder la pérennité de la « Filtre
» (disposition naturelle immaculée) et de la Foi de ses enfants et
à protéger ceux-ci contre toute tentative visant à leur
faire renier leur religion musulmane. »
53 EVANS Malcom D., Religious Liberty and International
Law in Europe, Cambridge University Press, Cambridge, 1997, pp. 189-199
54 Convention européenne des droits de l'homme, article
17: « Aucune des dispositions de la présente Convention ne peut
être interprétée comme impliquant pour un Etat, un
groupement ou un individu, un droit quelconque de se livrer à une
activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction des
droits ou libertés reconnus dans la présente Convention ou
à des limitations plus amples de ces droits et libertés que
celles prévues à ladite Convention. »
55 SHAW Malcom, « Freedom or Thought, Conscience and
Religion », in The European System for the Protection of Human Rights,
MACDONALD R. St. J., MATSCHER F., PETZOLD H. (eds.), Martinus Nijhoff
Publishers, Dordrecht, 1993, pp. 452-53
que la propagation des croyances religieuses soit permise par
l'article 9. C'est dans l'affaire Kokkinakis qu'elle a présenté
ce raisonnement: « [la liberté de manifester sa religion] comporte
en principe le droit d'essayer de convaincre son prochain, par exemple au moyen
d'un « enseignement » sans quoi du reste « la liberté de
changer de religion ou de conviction », consacrée par l'article 9
(art. 9) risquerait de demeurer lettre morte ».56 Selon la
Cour, la liberté de changer impliquerait donc non seulement une
liberté de recevoir des informations sur les différents
modèles de croyance alternatifs existants, mais encore celui d'autrui de
proposer de telles croyances à la personne.
Il nous semble devoir nuancer cette affirmation. La
liberté de changer s'exercerait même en l'absence de propagation
des croyances. Simplement, elle serait amoindrie, car aucune « offre
» ne lui serait jamais soumise, et pour connaître d'autres
convictions religieuses, il lui faudrait prendre l'initiative de
lui-même, et rechercher quels sont les croyables disponibles.
Si l'on souhaite véritablement que le choix de chacun
puisse se faire le plus librement possible, il semble souhaitable que
l'individu puisse avoir l'occasion d'entendre les divers points de vue, les
diverses croyances, les diverses réponses trouvées aux questions
existentielles qu'il peut se poser. C'est donc sans doute dans un environnement
qui permet un libre échange des points de vue, des convictions, des
croyances religieuses, que cette liberté de l'ordre du for
intérieur se réalisera le plus pleinement.57
2. Forum externum et liberté de manifester sa
religion ou sa conviction
Tandis que la première partie du paragraphe 1 de
l'article 9 traite de la sphère interne de l'individu, libre de croire
ce qu'il veut, et que cette liberté ne peut être restreinte sous
aucun prétexte, la seconde partie du même premier paragraphe
énonce le droit d'exercer ce qui est la conséquence
extérieure de cette liberté, à savoir le droit de
manifester sa religion ou sa croyance, et qui lui, peut être soumis
à des restrictions (§2).
56 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31.
Récemment la Cour a repris ce dictum dans l'affaire
Ivanovna v. Bulgarie, n°52435/99, judgement, 12 april 2007,
HUDOC, §78
57 Voir aussi EDGE, Peter W, « The Missionary's Position
after Kokkinakis v Greece », Web Journal of Legal Current Issues,
1995, disponible sur Internet au lien suivant:
http://webjcli.ncl.ac.uk/articles2/edge2.rtf
« 1. Toute personne a droit à la
liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit
implique (...) la liberté de man ifester sa religion ou sa conviction
individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte,
l'enseignement, les pratiques ou l'accomplissement des rites. »
La Cour mentionne donc en particulier quatre formes de
manifestation d'une religion ou conviction, à savoir « le culte,
l'enseignement, les pratiques et l'accomplissement des rites ». Lorsque
cette formule a été adoptée dans le texte de la
Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, l'intention
était d'y capturer l'ensemble des manifestations possibles d'une
religion ou conviction.58 Si tel était touj ours le cas dans
le cadre de la Convention européenne, la Cour serait amenée
à avoir une interprétation large des manifestations
protégées par l'article 9§1, et aurait tendance à
examiner essentiellement les cas qui lui seraient présentés sous
l'angle de la légitimité des ingérences à cette
liberté de manifester sa croyance, autrement dit sous l'angle du
paragraphe 2. Dans les faits, la Cour et la Commission ont adopté une
attitude plus restrictive dans leur interprétation de l'article
9§1, estimant que cette liste était exclusive,59 et en
donnant notamment un champ restreint au terme « pratiques », qui
aurait le potentiel d'embrasser le plus vaste ensemble de
manifestations.60
La liberté de propager ses croyances ne figure pas au
rang des manifestations explicitement mentionnées et
protégées dans cet article. Parmi les instruments internationaux
des droits de l'homme, il n'y a guère que la Convention
américaine relative aux droits de l'homme de 1969 où celle-ci est
mentionnée textuellement. L'article 12 du traité énonce en
effet: « Toute personne a droit à la liberté de conscience
et de religion. Ce droit implique la liberté de garder sa religion ou
ses croyances, ou de changer de religion ou de croyances, ainsi que la
liberté de professer et de répandre sa foi ou ses
croyances, individuellement ou collectivement, en public ou en privé.
»61 La Déclaration sur l'élimination de toutes
les formes d'intolérance et de discrimination fondée sur la
religion ou la conviction de 1981 et qui est le seul instrument universel
traitant exclusivement de cette liberté, prévoit « la
liberté d'écrire, d'imprimer et de diffuser des publications sur
ces sujets ».62
58 Krishnaswami: Sous-Commission de la lutte contre les
mesures discriminatoires et de la protection des minorités, Etude
des Mesures Discriminatoires dans le Domaine de la Liberté de Religion
et des Pratiques Religieuses, op. cit., p. 17
59 EVANS C., Freedom of Religion under the European
Convention on Human Rights, op. cit., p. 105-107
60 Principalement depuis l'affaire Arrowsmith c. Royaume-Uni,
de 1977-78 que nous allons aborder dans quelques lignes
61 Italiques rajoutées par l'auteur. En anglais: «
the freedom to (...) disseminate one's religion or beliefs ».
62 Assemblée Générale des Nations Unies,
Déclaration sur l'Elimination de toutes les Formes
d'Intolérance et de
Discrimination Fondées sur la Religion ou la
Conviction, résolution 36/55, 25 novembre 1981, article 6 d). Le
Comité des droits de l'homme reprendra à son compte
cette phrase dans son Observation générale 22.
La Rapporteuse spéciale s'est également
prononcée très clairement sur la question dans son rapport
à l'Assemblée générale en 2005. « Nombre
d'instruments de droits de l'homme stipulent que le droit de manifester sa
religion permet notamment d'entreprendre de persuader d'autres de croire en
cette religion, ce que soutient également le Comité des droits de
l'homme ». « L'activité missionnaire est reconnue comme une
expression légitime de la religion ou de la conviction et jouit par
conséquent de la protection de l'article 18 du Pacte international
relatif aux droits civils et politiques et d'autres instruments internationaux
pertinents. Elle ne saurait constituer une violation de la liberté de
religion et de conviction d'autrui si toutes les parties
intéressées sont des adultes capables de raisonner et s'il n'y a
aucun rapport de dépendance ou de hiérarchie entre les
missionnaires et les destinataires de leurs activités
».63
Pour examiner dans quelles circonstances précises la
Cour et la Commission ont estimé que la propagation de ces croyances
était une forme de manifestation légitimement
protégée par l'article 9, et évaluer dans quelle mesure la
Cour et la Commission ont su être convaincantes dans leur raisonnement,
nous nous proposerons d'analyser la jurisprudence des deux organes sur le
sujet.
2.1 La propagation des croyances par l'expression
verbale
Dans l'affaire Kokkinakis, la Cour a exprimé
l'idée que le « témoignage en paroles et en actes, se trouve
lié à l'existence de convictions religieuses ».64
Dans ce sous-chapitre nous nous intéresserons d'abord à savoir
dans quelle mesure le « témoignage en paroles » a
été considéré comme rentrant dans le cadre des
manifestations protégées par l'article 9§1. Nous verrons que
dans deux cas, la Commission a analysé les circonstances qui entouraient
les affaires à travers le prisme
63 Rapport d'Activité Etabli par Mme Asma Jahangir,
Rapporteuse Spéciale de la Commission des Droits de l'Homme
Chargée d'Etudier la Question de la Liberté de Religion ou de
Conviction, A/60/399, 2005, §59, §67
Notons également que très récemment
encore, la Rapporteuse spéciale réaffirmait cette position en
déclarant que la propagation d'une religion ou d'une conviction et
notamment « les activités missionnaires » était une
forme légitime d'expression d'une religion ou d'une conviction, pourvu
qu'elle soit en conformité avec l'article 18 §2 du Pacte qui
prohibe toute forme de contrainte (« coercion » en anglais)
en matière de conversion religieuse. JAHANGIR Asma, Speech held on
the 25th Anniversary Commemoration of the Adoption of the 1981
Declaration on the Elimination of Intolerance and Discrimination Based on
Religion or Belief, Prague, 25 November 2006 (disponible sur demande
auprès de l'auteur)
64 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31. On peut
s'étonner du choix du terme « témoignage », qui est un
terme religieux associé à certaines religions plus qu'à
d'autres. La Cour aurait pu opter pour un terme plus neutre tel «
propagation ». Le choix terminologique de la Cour et de la Commission,
comme nous le verrons par la suite, illustre une lecture parfois
christianisée de la liberté de religion.
d'une définition restrictive du terme pratique,
tandis que dans deux autres affaires, examinées cette fois-ci par
la Cour, la propagation des croyances a plutôt été
rapprochée d'une forme d'enseignement. Dans les cas les plus
récents, la Cour a préféré ne pas aborder la
question sous l'angle de l'article 9, mais a privilégié l'article
10, protégeant la liberté d'expression et d'opinion.
2.1.1 L'affaire Arrowsmith et la propagation des
croyances en tant que pratique
Arrowsmith c. Royaume Uni
La première affaire se rapprochant d'un cas de
propagation de croyances a été traitée par la Commission
en 1977-78. La requérante, Pat Arrowsmith, pacifiste convaincue, s'est
vue condamnée au Royaume-Uni à 18 mois de prison, sur la base de
la loi de 1934 relative à l'incitation à la
désertion65. Elle avait en effet distribué des tracts
aux troupes stationnées dans un camp militaire, les incitant à
déserter ou à refuser d'obéir aux ordres si elles
étaient envoyée en Irlande du Nord. Ces tracts donnaient des
indications précises sur les moyens mis à disposition des soldats
souhaitant déserter ou se démobiliser. Il y avait par exemple des
indications sur comment et où obtenir l'asile politique, tout en
prévenant aussi les soldats des peines encourues. Le but du tract
figurait clairement en dernière ligne: « Nous qui distribuons le
présent imprimé espérons que, d'une façon ou d'une
autre, vous évitiez de prendre part aux massacres en Irlande du Nord.
»66
Sous l'angle de l'article 9, la Commission commence par
affirmer que le pacifisme est une conviction protégée par
l'article 9§1 .67 Reste donc à savoir si le fait de
distribuer des tracts pacifistes est également protégé par
ledit article, en entrant dans le champ des manifestations de la conviction
sous la forme d'une pratique. La Commission donne alors une
définition restrictive du terme « pratiques », dont le champ,
nous l'avons dit précédemment, est potentiellement le plus large
parmi les quatre formes de manifestation énumérées
à l'article 9, dans une formulation qui sera ensuite
65 En appel la peine fut réduite au temps qu'elle avait
alors déjà passé en prison au moment de l'arrêt,
à savoir près de neuf mois. Arrowsmith c. Royaume-Uni,
n°7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, §2
66 Ibidem, §12
67 « La Commission estime qu'en tant que philosophie et,
en particulier, tel qu'il est défini ci-dessus [s'engager, en
théorie comme en pratique dans une attitude consistant à
réaliser ses objectifs, politiques ou autres, sans recourir à la
menace ni à l'usage de la force contre tout être humain, quelles
que soient les circonstances et même pour répondre à la
menace ou à l'usage de la force], le pacifisme rentre dans le domaine
d'application du droit à la liberté de pensée et de
conscience. L'attitude du pacifiste peut donc être
considérée comme une conviction (belief) protégée
par l'article 9, paragraphe 1. » Ibidem, §69
citée à de multiples reprises:
« La Commission estime que le terme « pratiques
», au sens de l'article 9, paragraphe 1, ne désigne pas n'importe
quel acte motivé ou inspiré par une religion ou une conviction.
Certes, des déclarations publiques, proclamant d'une manière
générale l'idée du pacifisme et exhortant à
s'engager pour la non-violence peuvent être considérées
comme une manifestation normale et reconnue d'une conviction pacifiste. Par
contre, on ne saurait considérer comme protégés par
l'article 9, paragraphe 1 les faits et gestes de particuliers qui n'expriment
pas réellement la conviction dont il s'agit, même s'ils sont
motivés ou inspirés par celle-ci. »68
La Commission poursuit ensuite en démontrant que les
tracts ne sont pas porteurs d'un message présentant des idées
pacifistes en tant que tel. Il s'agit plutôt de conviction,
découlant du pacifisme.69 Elle en conclut que les tracts
n'expriment pas des idées pacifistes et que par conséquent il n'y
a pas eu d'atteinte à la liberté de pensée, de conscience
et de religion.70
La Commission poursuit ensuite l'examen de l'affaire sous
l'angle de l'article 10, estimant que l'ingérence du gouvernement
à la liberté d'expression de la requérante était
justifiée du fait qu'elle visait à protéger la
sécurité nationale et la défense de l'ordre, et pouvait
être considérée comme nécessaire dans une
société démocratique. La Commission conclut donc à
l'absence de violation des droits de la pacifiste.
Par son raisonnement, la Commission introduit l'idée
qu'une pratique, pour être protégée par l'article
9, doit être intimement liée à la conviction. Par la suite,
bien qu'elle n'ait pas utilisé expressément ce terme, cette
jurisprudence interprétera cette condition comme signifiant que la
pratique doit être une manifestation nécessaire pour le
croyant, et non simplement une manifestation qui découle de ses
convictions.71 Autrement dit, les requérants devront
désormais prouver devant la Commission que la pratique était
requise par leur religion ou conviction.72
68 Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, rapport du
12 octobre 1978, D. R. 19, §71
69 Ibidem, §72-74
70 Ibidem, §76
71 Pour une analyse plus détaillée de la
jurisprudence appliquant cette condition, voir EVANS C., Freedom of
Religion under the European Convention on Human Rights, op. cit., p.
115-123, qui appelle ce critère « the Arrowsmith test
».
72 Ibidem, p.115. Dans son opinion séparée en
partie dissidente, M. Opsahl critique l'introduction de ce critère de
nécessité: « J'estime qu'on ne saurait
généralement exclure du champ d'application de l'article 9 tous
les actes déclarés contraires au droit interne lorsqu'ils ne sont
pas nécessairement la manifestation d'une conviction, encore
qu'ils en soient nettement inspirés », Arrowsmith c.
Royaume-Uni, n°7050/75, rapport du 12 octobre 1978, D. R. 19, opinion
séparée en partie dissidente de M. Opsahl, §2
Le raisonnement appliqué dans cette jurisprudence est
critiquable à bien des égards. Nous nous contenterons ici de
quelques remarques qui s'intègrent dans le champ de notre
problématique.
i. La Commission laisse entendre que la propagation d'une
conviction au sens de l'article 9, est une pratique
protégée par la liberté de pensée, de
conscience et de religion, mais l'expression des idées découlant
de cette conviction, les points de vue dans une situation concrète,
l'actualisation de cette conviction, ne sont pas des formes de propagation
reconnue. Ceci pose problème pour plusieurs raisons. Tout d'abord, la
délimitation entre les deux est difficile à exercer,
spécialement par des juges, dont la fonction n'est sans doute pas de
distinguer ce qui fait ou non partie des idées directement liées
à la croyance en tant que telle. Rien qu'en considérant le cas
d'espèce d'une manière un peu plus globale, la position
adoptée par la Commission est fragilisée. En effet, comme le fait
noter le juge Klecker, la Commission n'a pas suffisamment tenu compte de
l'ensemble des faits dans lesquels s'inscrit l'action de la requérante.
Car ce n'est pas seulement auprès des troupes britanniques que la
pacifiste a été propager son opposition à la guerre, mais
aussi au sein des rangs de l'IRA (Irish Republican Army), ce que la
Commission omet de préciser dans son rapport. Or « rien ne saurait
illustrer plus clairement une action pacifiste que ces appels lancés aux
deux protagonistes pour qu'ils arrêtent le combat. »73
ii. Le second problème majeur que nous percevons dans
cette approche est le jugement subjectif que la Commission est amenée
à rendre pour déterminer dans quelle mesure il existe un lien
suffisant entre la pratique et la conviction ou la religion en
question. Dans la présente affaire, la Commission va à l'encontre
de la position de la requérante, qui estimait que la diffusion du tract
était pour elle un « impératif catégorique
résultant de son long engagement en faveur de la cause
pacifiste».74 Il nous semble dangereux pour la Commission de
s'aventurer sur ce terrain. Ses prises de position risquent fort de
paraître arbitraires, en l'absence de critères plus objectifs. Il
nous semblerait largement plus souhaitable d'adopter une certaine souplesse
dans la reconnaissance de pratiques protégées par l'article 9, et
d'examiner ensuite l'ingérence étatique dans l'exercice de ce
droit sur le plan du paragraphe 2, qui donne des outils permettant un
raisonnement plus objectif, à partir du moment où le croyant
considère, de bonne foi, que son attitude est une manifestation de sa
croyance.75
73 Ibidem, Opinion dissidente de M. Klecker, §5
74 Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75,
décision du 16 mai 1977, D. R. 8, p. 132
75 La Cour n'a pas hésité à remettre en
question la perception par les croyants d'une situation qu'ils jugeaient
contraire à
iii. Finalement, le raisonnement de la Commission tel qu'il a
été adopté dans les affaires qui ont suivi Arrowsmith
est générateur d'une protection inégale entre les
religions, et au sein des religions. D'une part, en prenant le cas du
thème qui nous préoccupe dans ces pages, lorsque la propagation
des croyances est intimement liée aux prescriptions d'une religion ou
conviction, tandis que pour une autre elle est juste un acte qui découle
de la croyance, sans être un impératif dogmatique, les tenants de
la première seraient protégés par l'article 9 dans leurs
activités de propagation, tandis que les seconds ne le seraient pas.
D'autre part, ce test favorise les religions bien établies, et dont les
pratiques sont connues (et reconnues), et moins susceptibles de ne pas
être considérées comme légitimes.76
Enfin, les courants minoritaires au sein d'une religion ou d'une conviction,
dont les conceptions varient de celles de la majorité, et qui
considèrent une pratique comme essentielle à l'exercice de leur
croyance, alors que le courant majoritaire le voit autrement, ont peu de chance
de se voir accorder la protection voulue par l'article 9.77
W. H. v. Sweden
Quelques années plus tard, la Commission aura une
approche très différente dans la décision sur la
recevabilité de l'affaire W. H. v. Sweden,78
affaire au demeurant fort peu connue. La requête du plaignant
faisait suite à sa condamnation à une amende de 300 couronnes
suédoises pour conduite contraire aux bonnes moeurs. En effet ce
chrétien avait pris l'habitude de se placer devant une salle de
cinéma pour y dénoncer le péché de fornication ou
encore de s'opposer à la consommation d'alcool, cette fois-ci devant un
magasin de vins et spiritueux. Ce n'est pas tant le contenu de son message que
le fait qu'il l'exprimât de façon aussi bruyante, en criant de
toutes ses forces - « comme une trompette », pour reprendre le verset
du livre d'Esaïe (58.1) qui inspirait son action -, et qui troublait
l'ordre public.
Connaissant la jurisprudence issue de l'affaire Arrowsmith,
dont les faits ont une certaine similarité - le requérant
est condamné après avoir tenté, sur la base de ses
convictions, de
leurs convictions dans les affaires Efstratiou c.
Grèce, n° 24095/94, arrêt du 18 décembre 1996,
Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, §31 et Valsamis
c. Grèce, n° 21787/93, arrêt du 18 décembre 1996,
Recueil des arrêts et décisions 1996-VI, §32. Voir en
particulier les opinions dissidentes des juges Thór Vilhjálmsson
et Jambrek qui estiment que la Cour doit accepter les assertions des
requérants en matière de conviction religieuse lorsqu'elles sont
faites de bonne foi.
76 EVANS C., Freedom of Religion under the European
Convention on Human Rights, op. cit., p. 122
77 EDGE Peter, « The European Court of Human Rights and
Religious Rights », International and Comparative Law Quarterly,
vol. 47, 1998, p. 685
78 W. H. v. Sweden, n° 9820/82, decision, 5 October
1982 (non publiée)
convaincre ses interlocuteurs d'adopter un certain
comportement conforme à ses valeurs -, l'on aurait pu s'imaginer que la
Commission s'attachât dans un premier temps à examiner si
l'attitude du requérant était une pratique entrant dans
le champ de l'article 9§1.79 Pourtant elle ne s'est pas
embarrassée d'une telle question. Ne faisant aucune
référence à la jurisprudence, elle se contente, dans un
argumentaire sommaire, de constater que le requérant a subi une
ingérence à sa liberté de manifester sa religion. Elle ne
se prononce pas sur la question de savoir de quelle forme de manifestation il
s'agissait en l'occurrence, à savoir plutôt une pratique,
ou bien un enseignement. Elle conclut finalement à
l'irrecevabilité de la requête, jugeant que l'ingérence
était légitime dans le but de protéger l'ordre public et
les droits d'autrui.
Si sur le fond, l'examen de l'affaire sous l'angle de
l'existence ou non d'une manifestation au sens de l'article 9§1 est une
bonne nouvelle, la facilité avec laquelle la Commission renverse sa
jurisprudence antérieure sans aucune explication est pour le moins
déconcertante et regrettable. Le fait que la religion à laquelle
adhère le requérant soit le christianisme, n'est peut-être
pas étranger au fait que la Commission ait si facilement reconnu le
comportement en question comme relevant des manifestations
protégées par le droit à la liberté religieuse.
Van Den Dungen c. Pays-Bas
Pour l'affaire Van Den Dungen c. Pays-Bas, pourtant
bien plus récente,80 la Commission revient à une
approche similaire à celle qu'elle a adoptée dans l'affaire
Arrowsmith. En effet, elle a déclaré irrecevable la
requête d'un individu condamné à une injonction pour avoir
abordé les visiteurs et les employés d'une clinique plusieurs
fois par mois, en leur tenant des propos contre l'avortement, en leur
distribuant des tracts qualifiant cette opération d'« infanticide
» et leurs auteurs de « meurtriers », et illustrés par
des photos de foetus avortés et des images du Christ. Nonobstant la
similarité des faits avec ceux de l'affaire H. W v. Sweden, la
Commission ne daigne pas mentionner une seule fois cette affaire. D'ailleurs
elle se départit du raisonnement qu'elle y avait suivi en adoptant
à nouveau une approche restrictive de l'article 9§1, rappelant
qu'elle « a constamment déclaré que le terme «
pratiques », au sens de l'article 9 par. 1, ne désigne pas
n'importe quel acte
79 On se souvient que la Commission estimait dans l'affaire
Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, rapport du 12 octobre 1978,
D. R. 19, §71: « on ne saurait considérer comme
protégés par l'article 9, paragraphe 1 les faits et gestes de
particuliers qui n'expriment par réellement la conviction dont il
s'agit, même s'ils sont motivés ou inspirés par celle-ci.
»
80 Cette affaire date de 1995, c'est à dire deux ans
après l'affaire Kokkinakis, où la Cour a pourtant eu une
approche très différente. La Commission ne fait aucun lien avec
cette affaire, comme si les faits entre les deux affaires n'avaient absolument
aucun rapport, ce qui nous paraît difficilement tenable.
motivé ou inspiré par une religion ou une
conviction »81 et affirme sans autre explication, que dissuader
des femmes d'avorter ne constitue pas l'expression d'une conviction au sens de
l'article 9 de la Convention. Elle établira dans la suite de son
raisonnement que le requérant a subi une ingérence à sa
liberté d'expression (article 10), justifiée par la protection
des droits d'autrui et nécessaire dans une société
démocratique. Cette décision illustre bien les critiques
soulevées précédemment. La logique de la Commission est
difficile à saisir, et les raisons pour lesquelles les pratiques
litigieuses ne sont pas une forme de propagation légitime ne sont pas
présentées. Là encore, il nous aurait paru plus
approprié de traiter de la question sous l'angle de l'article 9§2,
en menant une analyse plus objective sur la nécessité de
l'ingérence à la liberté religieuse.
2.1.2 L'affaire Kokkinakis et la propagation des croyances
en tant qu'enseignement
La Cour, confrontée à la question de la
propagation des idées religieuses à deux reprises au sujet de
citoyens grecs condamnés sur la base de la loi grecque sur le
prosélytisme, a pris une approche très différente de celle
de la Commission dans les affaires susmentionnées, en tendant à
placer la propagation des croyances dans le champ de l'« enseignement
», plutôt que celui des « pratiques ».
Le code pénal grec contient traditionnellement une
interdiction du prosélytisme. Historiquement, cette interdiction visait
explicitement à protéger la religion dominante, l'église
orthodoxe orientale du Christ, contre toute forme de propagation religieuse qui
pourrait menacer sa position privilégiée. Dès la
Constitution de 1844, le « prosélytisme et toute autre intervention
contre la religion dominante » sont interdits. Ce n'est qu'en 1975 que la
nouvelle Constitution grecque a opté pour une interdiction
générale du prosélytisme - et plus uniquement lorsqu'il
est exercé contre la religion dominante. La loi pertinente dans le droit
pénal grec en ce qui concerne cette prohibition remonte à
1938-39, du temps de la dictature de Metaxas. La loi n°1363/1938,
modifiée par la loi n° 1672/1939, donne la définition
suivante du prosélytisme:
« Par prosélytisme, il faut entendre, notamment,
toute tentative directe ou indirecte de pénétrer dans la
conscience religieuse d'une personne de confession différente
(heterodoxos) dans le but d'en modifier le contenu, soit par toute sorte de
prestation ou promesse de prestation ou de secours moral ou matériel,
soit par des moyens frauduleux, soit en abusant de son inexpérience ou
de sa confiance,
81 Van Den Dungen c. Pays-Bas, n° 22838/93,
décision du 22 février 1995, D. R. 80, p. 150, §1
soit en profitant de son besoin, sa faiblesse intellectuelle ou
sa naïveté. »82 Kokkinakis c.
Grèce
Sur la base de condamnations effectuées à partir de
cette loi, deux affaires sont parvenues devant la Commission puis devant la
Cour européenne des droits de l'homme.
Il y a eu tout d'abord l'affaire Kokkinakis qui
allait marquer l'histoire de la Cour, puisqu'elle lui a donné l'occasion
de prononcer la première condamnation pour violation de la
liberté de pensée, de conscience et de religion. Le
requérant, M. Minos Kokkinakis, membre de l'église des
Témoins de Jéhovah et retraité, a été
arrêté plus d'une soixantaine de fois au cours de sa vie, pour
prosélytisme. Cette fois-ci c'est pour s'être rendu, avec sa
femme, au domicile de l'épouse du chantre d'une église orthodoxe
de la ville, pour y avoir entamé avec elle une discussion religieuse
qu'il s'est vu condamné. D'après le tribunal correctionnel,
« ils lui ont annoncé qu'ils étaient porteurs de bonnes
nouvelles; après avoir pénétré, avec insistance et
pression, dans sa maison, ils ont commencé à donner lecture d'un
livre relatif aux Ecritures qu'ils interprétaient en se
référant à un roi des cieux, à des
événements qui n'étaient pas encore survenus mais qui
surviendraient, etc., et en l'incitant par leurs explications pertinentes et
habiles (...) à modifier le contenu de sa conscience religieuse de
chrétienne orthodoxe. » Mais la discussion n'a finalement pas eu
d'influence sur les croyances de Mme Kyriakaki. Au terme de l'ensemble de la
procédure judiciaire, le requérant s'est vu infliger une peine
d'emprisonnement de trois mois, convertie en une sanction pécuniaire.
Quand la Commission s'est penchée sur la question de
savoir s'il y avait eu ingérence à la liberté de
Kokkinakis, de manifester sa religion, elle y a répondu par
l'affirmative sans autres explications, et surtout sans aucune
référence à la jurisprudence antérieure, et
notamment l'affaire Arrowsmith, considérant visiblement que les
faits étaient d'une nature différente. Elle s'est
contentée de constater que ce point n'était pas contesté
par les parties.83 Elle ne précise pas non plus quelle forme
de manifestation cette propagation représente - une pratique?
un enseignement? -, se débarrassant ainsi d'une
éventuelle application du test développé dans l'affaire
Arrowsmith. Elle suit de la sorte une approche similaire à
celle adoptée dans l'affaire W. H. v. Sweden - sans toutefois
citer cette décision. Cela est d'autant plus étonnant quand on
sait que la Commission reviendra à l'argumentation
développée dans l'affaire Arrowsmith, dans l'affaire
Van Den Dungen.
82 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §17
A partir de 1975, les juridictions grecques ont limité
le champ de cette définition, en attribuant un caractère
exhaustif à l'énumération des types d'activités
prohibées, annulant ainsi l'effet de la présence de l'adverbe
« notamment » dans la définition.
83 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, rapport
du 3 décembre 1991, HUDOC, §56
La Cour quant à elle, a eu une argumentation à
peine plus développée sur cette question:
« Telle que la protège l'article 9 (art. 9), la
liberté de pensée, de conscience et de religion représente
l'une des assises d'une "société démocratique" au sens de
la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les
éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et
de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux pour
les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les indifférents.
Il y va du pluralisme - chèrement conquis au cours des siècles -
consubstantiel à pareille société.
Si la liberté religieuse relève d'abord du for
intérieur, elle "implique" de surcroît, notamment, celle de
"manifester sa religion". Le témoignage, en paroles et en actes, se
trouve lié à l'existence de convictions religieuses.
Aux termes de l'article 9 (art. 9), la liberté de
manifester sa religion ne s'exerce pas uniquement de manière collective,
"en public" et dans le cercle de ceux dont on partage la foi: on peut aussi
s'en prévaloir "individuellement" et "en privé"; en outre, elle
comporte en principe84 le droit d'essayer de convaincre son
prochain, par exemple au moyen d'un "enseignement", sans quoi du reste "la
liberté de changer de religion ou de conviction", consacrée par
l'article 9 (art. 9), risquerait de demeurer lettre morte.
»85
Contrairement à la jurisprudence de la Commission, la
Cour rapproche ici la propagation à une forme d'enseignement,
mais sans être catégorique (« par exemple »),
sous-entendant que la propagation pourrait s'inscrire aussi dans le cadre
d'autres formes de manifestations. Cette position ne fait pas
l'unanimité parmi les juges de la Cour.86
On constate d'une part un flou terminologique dans le
vocabulaire de la Cour, pour décrire le
84 Ce « en principe » est perçu par Renucci
comme une marque de prudence dont il se félicite. RENUCCI
JeanFrançois, L 'Article 9 de la Convention Européenne des
Droits de l'Homme: La Liberté de Pensée, de Conscience et de
Religion, Editions du Conseil de l'Europe, Dossiers sur les droits de
l'homme, n° 20, Strasbourg, 2004, p. 22 et 58. Selon nous cette expression
signifie davantage que la propagation est permise, sous réserve de ne
pas être exercée d'une façon qui porte atteinte aux droits
d'autrui, ce que la Cour qualifiera par la suite de « prosélytisme
abusif ».
85 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31. Nous
relevons qu'ici aussi la Cour fait usage de manière surprenante d'un
langage christianisé quand elle affirme que l'article 9 comporte «
le droit d'essayer de convaincre son prochain » (ou quand elle
utilise l'expression « témoigner », comme nous l'avons
déjà relevé précédemment). Il aurait sans
doute été préférable de parler du droit d'essayer
de convaincre « autrui », terme plus neutre et qui figure par
ailleurs dans la Convention.
86 Le jugement de la Cour a finalement abouti à la
conclusion que l'ingérence à la liberté de religion de
Kokkinakis n'était pas légitimée au regard du second
paragraphe de l'article 9 et partant, que cet article avait été
violé.
phénomène de la propagation des croyances. La
Cour mentionne successivement la notion de « témoignage »
(§3 1), de « droit d'essayer de convaincre son prochain »
(§3 1), au sein duquel elle distinguera le « témoignage
chrétien » ou la « vraie évangélisation »
du « prosélytisme abusif » (§ 48). Si certains juges
auraient souhaité l'utilisation du terme « prosélytisme
» dans un sens neutre, et comme manifestation légitime de ses
croyances,87 d'autres y étaient farouchement opposés,
considérant le « prosélytisme » comme
intrinsèquement illégitime et, partant, incompatible avec
l'article 9.88 Pour le juge Valticos, seules les «
conversations anodines » sauraient être tolérées, mais
en aucun cas le prosélytisme, où l'individu « cherche
à convertir autrui [en] ne se limitant pas à sa foi, [mais en
cherchant] à modifier celle des autres en faveur de la sienne
».89
La question de savoir si la propagation de sa croyance
pourrait être considérée comme une forme d'enseignement
a également été débattue, et surtout remise en
cause par les juges Valticos, Foighel et Loizou. Pour le premier, ce type de
manifestation peut se produire dans le cadre de programmes scolaires ou dans
les institutions religieuses, mais ne couvre pas ce genre de démarchage
individuel. Pour les deux autres, c'est surtout la manière dont le
contenu est présenté qui pose problème: « Le terme
d'"enseignement" implique franchise et probité, et exclut le recours
à des moyens détournés ou irréguliers
».90
Dans son commentaire sur cette affaire, le professeur Peter
Edge fait un constat intéressant: il lie les positions des uns et des
autres sur la question, à leur conception réciproque de ce qui
constitue selon eux l'essence, la raison d'être de cet article 9. En
effet, on trouve deux bases de
87 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion concordante
de M. le juge De Meyer: « Le prosélytisme, étant le «
zèle déployé pour répandre la foi », ne peut
être punissable en tant que tel: c'est une manière, parfaitement
légitime en elle-même, de « manifester sa religion ».
Ibidem, opinion partiellement concordante de M. le juge
Pettiti: « Le prosélytisme est lié à la
liberté de religion; le croyant doit pouvoir communiquer sa foi et sa
conviction dans le domaine religieux comme dans le domaine philosophique. (...)
C'est un droit pour le croyant ou le philosophe agnostique d'exposer ses
convictions, de tenter de les faire partager et même de tenter de
convertir son interlocuteur. »
Ibidem, opinion partiellement dissidente de M. le juge
Martens
88 Ibidem, opinion dissidente de M. le juge Valticos; opinion
dissidente commune à MM. les juges Foighel et Loizou.
89 A ceci, Gonzalez oppose la question suivante: «
l'enseignement comme manifestation de sa religion peut-il se limiter à
une sorte de présentation désincarnée de sa foi, sans
passion, sans désir de la faire partager? ». GONZALEZ, La
Convention Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté des
Religions, op. cit., p. 116. (En revanche il nous semble plus difficile de
suivre ce même auteur lorsqu'il explique que le comportement de
Kokkinakis n'était pas un « enseignement » mais une «
prédication », qui doit être considéré comme
une forme de pratique au sens de l'article 9§1).
90 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion dissidente
commune à MM. les juges Foighel et Loizou. « Le terme
d'"enseignement" implique franchise et probité, et exclut le recours
à des moyens détournés ou irréguliers, ou à
de faux prétextes, comme ceux utilisés en l'espèce pour
pouvoir pénétrer au domicile de quelqu'un et, une fois introduit,
en abusant de la courtoisie et de l'hospitalité
témoignées, tirer avantage de l'ignorance ou de
l'inexpérience en matière de dogme d'une personne n'ayant pas de
formation dans ce domaine, et chercher à l'amener à changer de
religion. »
justifications différentes dans l'énoncé
de la Cour: « Telle que la protège l'article 9 (art. 9), la
liberté de pensée, de conscience et de religion représente
l'une des assises d'une "société démocratique" au sens de
la Convention. Elle figure, dans sa dimension religieuse, parmi les
éléments les plus essentiels de l'identité des croyants et
de leur conception de la vie, mais elle est aussi un bien précieux
pour les athées, les agnostiques, les sceptiques ou les
indifférents. Il y va du pluralisme - chèrement con quis au
cours des siècles - consubstantiel à pareille
société. »91
Ces deux bases justificatives de l'existence de la
liberté religieuse sont d'une part l'importance de la liberté
individuelle pour chaque croyant, et d'autre part la protection du pluralisme,
et de la paix religieuse. Or les juges Pettiti, De Meyer et Martens, qui ont
une conception de la liberté religieuse semblant se baser avant tout sur
l'importance de cette liberté individuelle pour l'épanouissement
personnel de chacun, considèrent le prosélytisme comme
étant une manifestation légitime de ses convictions. En revanche,
les juges Valticos, Foighel et Loizou, ainsi que le gouvernement grec
(§33) mettent davantage l'accent sur la notion de paix religieuse et de
tolérance, s'inscrivant ainsi dans une approche plus
utilitariste92 et ont tendance à refuser toute
légitimité à une quelconque activité de propagation
de ses croyances. Dans cette seconde perspective, l'enjeu du
prosélytisme, consiste avant tout à protéger la personne
réceptrice des « attaques » de la personne
source.93 Peter Edge qualifie une telle lecture des faits et une
telle approche de la protection à accorder au titre de l'article 9, de
« paradigme du prédateur », tant les circonstances sont
dépeintes comme s'il s'agissait de l'affrontement opposant une proie
vulnérable, sans défense, incapable de résister aux
idées qui lui sont insidieusement imposées, à un
prédateur sans vergogne94. Un tel raisonnement favorise le
statu quo sur le plan religieux, et par conséquent les religions
établies au détriment des groupes minoritaires.
91 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §31, italiques
rajoutées par l'auteur
92 EDGE, « The Missionary's Position after Kokkinakis v
Greece », op. cit.
93 Voici comment le juge Valticos lit les faits du cas
d'espèce dans son opinion dissidente: « Voyons maintenant les faits
de l'espèce. Voici, d'une part, un adepte militant des témoins de
Jéhovah, un dur à cuire du prosélytisme, un
spécialiste de la conversion, un martyr des correctionnelles, que les
condamnations antérieures n'ont fait qu'endurcir dans son militantisme,
et, d'autre part, une victime rêvée, une femme naïve,
épouse d'un chantre de l'Eglise orthodoxe (s'il réussit à
la convertir, quel succès!). Il se précipite sur elle, claironne
qu'il lui apporte une bonne nouvelle (le jeu de mots est transparent, mais sans
doute pas pour elle), parvient à se faire recevoir et, commis voyageur
expérimenté et démarcheur habile d'une foi qu'il veut
répandre, lui expose sa marchandise intellectuelle habilement
enrobée dans un emballage de paix universelle et de bonheur radieux.
Certes, qui ne voudrait la paix et le bonheur? Mais est-ce là le simple
exposé des convictions de M. Kokkinakis ou plutôt la tentative de
séduire l'âme simple de l'épouse du chantre? Est-ce de
telles opérations que protège la Convention? Certainement pas.
»
94 EDGE, Peter W, « The Missionary's Position after
Kokkinakis v Greece », op. cit.
Larissis et autres c. Grèce
La Cour s'est penchée sur une seconde affaire de
condamnation pour prosélytisme en Grèce, dans une affaire
impliquant trois officiers de l'armée de l'air grecque, membres d'une
église pentecôtiste, « confession chrétienne
protestante qui adhère au principe selon lequel tous les croyants
doivent évangéliser ».9 5 Les trois officiers ont
été condamnés sur la base de la même loi grecque,
pour avoir propagé leur foi auprès de trois soldats - parmi
lesquels il y eut un converti - mais aussi auprès de particuliers, en
dehors du cadre de leur profession. La Cour - et encore moins la Commission
avant elle96 -, ne s'attardent sur la question de savoir si la
propagation de ces croyances est ou non protégée par l'article 9:
elles constatent qu'il n'est pas contesté que les sanctions des
requérants à 12 à 14 mois de prison avec sursis soient une
ingérence à leur liberté de religion.
Comment expliquer ces divergences, ces contradictions ces
incohérences et ces divisions au sein de la Commission et de la Cour,
manifestes à la lecture de cette jurisprudence? Carolyn Evans nous
apporte sans doute un élément de réponse en constatant que
d'une manière générale, la Commission et la Cour ont
accordé plus facilement la protection sous l'article 9 aux pratiques se
rapprochant de celles du christianisme. Du coup les minorités
religieuses n'ont été protégées que lorsque les
manifestations étaient analogues à celle existantes au sein du
christianisme.97 Ce constat semble bien être valable en ce qui
concerne la jurisprudence décousue de la Commission. L'on peut penser
aussi, à la lecture des opinions dissidentes de l'affaire
Kokkinakis, que les opinions et les convictions personnelles des juges
elles-mêmes ne sont sans doute pas pour rien dans leur approche de la
question. C'est aussi ce qu'allègue le juge Valticos, auteur d'une
opinion dissidente très forte dans cette affaire et qui reconnaît
le rôle clef que joue dans ce genre de délibérations la
conception personnelle de chaque juge, en matière de religion. Il a
notamment cette phrase étonnante de sincérité - mais
choquante à plus d'un égard - face aux diverses opinions qu'a
générées l'affaire Kokkinakis: « il serait
malaisé de se prononcer en droit sur l'une ou l'autre de ces opinions.
C'est que le problème n'est pas principalement juridique, mais largement
une question de conscience et d'idéologie. La liberté de religion
est conçue et vécue différemment par chacun selon sa
formation et sa sensibilité. A côté des analyses juridiques
des différents juges on ne saurait écarter une
95 Larissis et autres c. Grèce, n° 23372/94,
n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février 1998,
Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §7
96 Larissis, Mandalaridis and Sarandis v. Greece,
n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, report, 12 september
1996, HUDOC, §46
97 EVANS C., Freedom of Religion under the European
Convention on Human Rights, op. cit., p. 115
conception philosophique et morale qui colore et oriente leur
raisonnement. (...) C'est en définitive la voix irréductible du
for intérieur (si l'on me passe l'expression) et de la conscience
individuelle qui l'emportera chez chaque juge. Ce sont ses convictions
profondes, son expérience individuelle et son échelle de valeurs
qui l'amèneront à la position qu'il adoptera dans le cas
considéré. »98
Quant à la question de savoir s'il est
préférable de traiter de la propagation des croyances sous
l'angle des « pratiques » ou d'un « enseignement », nous
pensons que cela a finalement peu d'importance. En effet, ces catégories
ne sont pas à prendre de manière figée. Cette
énumération que l'on trouve à l'article 9 vise surtout
à embrasser l'ensemble des formes de manifestations religieuses. Il nous
semble donc préférable, tout comme pour la définition du
contenu d'une religion ou d'une croyance, d'adopter une approche souple, en
reconnaissant la manifestation revendiquée de bonne foi par le
requérant comme étant protégée au titre de
l'article 9, afin de privilégier une analyse de la
légitimité d'une telle manifestation sous l'angle du second
paragraphe de l'article 9 (les restrictions). L'organe judiciaire pourrait
alors examiner l'affaire sur un terrain où il dispose d'outils
juridiques plus solides, moins arbitraires et donnerait plus de
légitimité à ses raisonnements. Ce n'est malheureusement
pas l'approche que la Cour a suivi dans les affaires ultérieures. Au
contraire, sa difficulté à traiter de cette question est apparue
encore plus manifestement.
2.1.3 La fuite vers l'article 10: les affaires Pitkevitch c.
Russie et Murphy c. Irlande
Dans les affaires les plus récentes où la Cour a
eu à faire à des cas de propagation de croyances, elle a
préféré se placer directement sous l'article 10, sans
prendre la peine d'examiner les cas sous l'angle de la liberté de
religion et de conviction, modifiant ainsi son approche de celle
développée dans les affaires grecques.
Pitkevitch c. Russie
C'est en fait une véritable fuite de la Cour à
laquelle on assiste dans l'affaire Pitkevitch c. Russie. L'affaire
concerne une juge, engagée politiquement dans le camp de l'opposition
à la mairie en place, qui s'est faite congédier, sur demande de
la maire. Il lui fut reproché d'avoir poursuivi des
98 VALTICOS Nicolas, « Interprétation juridique et
idéologies », in MAHONEY Paul, MATSCHER Franz, PETZOLD Herbert,
WILDHABER Luzius (eds.) Protection des Droits de l'Homme: la Perspective
Européenne. Mélanges à la Mémoire de Rolv Ryssdal,
Carl Heymans Verlag KG., Köln, 2000, pp. 1476 et 1481
activités religieuses, dans l'intérêt de
son église,99 sur son lieu de travail. Elle a notamment
tenté, sans succès, d'enrôler des personnes au sein de sa
dénomination religieuse, prié au cours de certaines audiences, et
elle aurait également promis à certaines parties une issue
favorable à leur procès si elles rejoignaient son église.
De part ces agissements, la requérante a, d'après les
juridictions russes, nui à sa réputation en tant que juge et a
affaibli l'autorité du pouvoir judiciaire.
La Cour dans sa décision, s'adonne à un
véritable tour de passe-passe pour éviter l'article 9. En effet,
elle constate tout d'abord que cette situation constitue bel et bien une
ingérence à la liberté de religion et à la
liberté d'expression, protégées par les articles 9 et 10
de la Convention. Puis elle poursuit en affirmant, qu'elle examinerait dans un
premier temps si l'ingérence est justifiée dans le cadre de
l'article 10. Après avoir constaté que l'ingérence en
question ne violait pas la liberté d'expression de la requérante,
elle ajoute simplement que « pour des raisons similaires », la
plainte est également mal fondée au regard de l'article 9.
Pourtant les faits en question, à savoir la manifestation de ses
convictions religieuses sur son lieu de travail, semblent clairement être
bien plus une ingérence à sa liberté religieuse
qu'à sa liberté d'expression. Par ailleurs, le malaise de la Cour
est également visible dans son usage de périphrases, pour
éviter absolument l'usage du terme « prosélytisme
».100
Sous l'angle de l'article 10, la Cour accepte que
l'ingérence poursuivait deux buts légitimes, à savoir
d'une part la garantie de l'autorité et de l'impartialité du
pouvoir judiciaire, et la protection des droits d'autrui, mais dans l'analyse
de la nécessité d'une telle ingérence, la Cour se contente
d'examiner en quoi elle était justifiée par la protection du
pouvoir judiciaire. Elle évite ainsi la limitation qui se baserait sur
le droit des individus à ne pas être soumis à une forme de
prosélytisme qui violerait leur liberté de pensée, de
conscience et de religion. De plus, le but légitime de la protection du
pouvoir judiciaire ne figure pas parmi les raisons justifiant une
ingérence à l'article 9, ce qui fait encore davantage regretter
que la Cour se permette de rejeter la requête au regard de l'article 9
« pour des raisons similaires ».
La Cour s'est visiblement trouvée embarrassée par
cette affaire, et plutôt que de se pencher sur la question du
prosélytisme de la requérante, qui aurait peut-être
suscité un débat inconfortable
99 La requérante est membre d'une église
évangélique.
100 « Elle exprima ses opinions religieuses »
(« She expressed her religious views »); « elle avait
essayé sans succès d'enrôler un certain nombre de personnes
» (« she had unsuccessfully attempted to enrol a number of persons
»); « elle avait essayé de recruter plusieurs collègues
ou tierces personnes pour en faire des membres de son église »
(« she had recruited several colleagues and third persons as members of
the Church »).
parmi les juges, la Cour s'est débinée en refusant
d'entrer véritablement en matière.
Murphy c. Irlande
En 2003, c'est une affaire opposant un pasteur protestant
à l'Irlande, que la Cour a préféré traiter sous
l'angle de l'article 10 plutôt que de l'article 9. Les faits du cas
d'espèce sont les suivants: le pasteur s'est vu refuser la
possibilité de diffuser une annonce sur une station radiophonique
indépendante. Cette annonce, qui devait être diffusée peu
avant Pâques, appelait à s'interroger sur l'identité du
Christ, et faisait la publicité d'une projection de film concernant les
preuves de la résurrection. La High Court irlandaise a
justifié cette interdiction par la protection de l'intérêt
général: « Les croyants irlandais appartiennent pour la
plupart à des confessions spécifiques et des annonces à
caractère religieux provenant d'une confession différente
pourraient donc offenser de nombreuses personnes et être
interprétées comme du prosélytisme
».101
La Cour a analysé le cas en contrebalançant la
liberté d'expression du pasteur avec la liberté religieuse des
auditeurs de la radio, qui ont un droit d'être à l'abri de
l'audition de propos offensants leurs sentiments religieux, estimant que cette
ingérence était en l'espèce
justifiée.102
Bien que le requérant alléguait ses griefs tant
au titre de l'article 9 que de l'article 10, la Cour a
préféré une nouvelle fois se placer dans le cadre de la
liberté d'expression, nonobstant le fait que le contenu des idées
exprimées était clairement religieux, et pouvait être
regardé comme une forme de manifestation de la religion du
requérant.
On décèle à nouveau un certain malaise de la
Cour dans cette fuite devant l'article 9,103 ainsi que
peut-être un choix de s'insérer dans la logique d'une
jurisprudence antérieure bien fournie,
101 Murphy c. Irlande, n° 44179/98, arrêt
du 10 juillet 2003, CEDH 2003-IX (extraits), § 12
102 Il est dommage que la Cour n'ait pas relevé que
cette argumentation de la High Court semble vouloir protéger la
paix religieuse en s'opposant à une annonce qui dérangerait la
majorité catholique. On peut se demander en effet dans quelle mesure
cette attitude ne reflète pas un éventuel problème dans la
protection des droits des minorités religieuses.
103 Cette fuite face à l'article 9 est également
constatée par Renucci à la lumière de l'ensemble de la
jurisprudence de la Cour et de la Commission relative à la
liberté religieuse. Il relève en effet que lorsque l'article 9 se
trouve en concurrence avec d'autres droits protégés par la
Convention, le choix des juges s'est souvent opéré à son
détriment. RENUCCI, L'Article 9 de la Convention Européenne
des Droits de l'Homme, op. cit., pp. 37-38
Cette attitude semble être en contradiction avec
l'affirmation de la Commission dans son rapport sur l'affaire Kokkinakis:
« [l]orsque l'exercice du droit à la liberté de
manifester sa religion ou sa conviction par le culte, l'enseignement, les
pratiques ou l'accomplissement des rites, c'est le droit garanti à
l'article 9 de la Convention qui est visé au premier chef. »
Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, rapport du 3
décembre 1991, HUDOC, §79
traitant de l'atteinte aux sentiments religieux sous l'angle de
l'opposition « article 10 vs. article 9 ».104
Le choix de se porter sur l'article 10 plutôt que 9 pour
les affaires de propagation des croyances ne nous semble pas en
conformité avec l'architecture de la Convention.105 L'article
9 introduit et pose les droits de l'être pensant dans la première
partie du paragraphe 1, en énonçant la liberté de
pensée, de conscience et de religion. La suite de l'article 9
énonce les droits concernant la réalisation de ce principe dans
sa dimension religieuse - au sens large -, tandis que l'article 10 et 11
donnent les moyens de sa réalisation sur le plan
non-religieux.106 Par conséquent, il nous semble que la
propagation des croyances, même si elle est une forme d'expression
couverte par l'article 10, doit être traitée, en raison de sa
composante religieuse, dans le cadre de l'article 9, conformément au
principe de la lex specialis.
2.2 La propagation non verbale des croyances et le port de
signes religieux
Si la propagation des croyances prend essentiellement la forme
d'une expression verbale, d'autres comportements peuvent eux aussi
véhiculer une intention de convaincre autrui d'adhérer à
son système de croyance. C'est le cas notamment du port de signes
religieux.
Dans un contexte européen où cette question
donne lieu a un débat intense, principalement en lien avec le port du
foulard islamique, il nous semble pertinent d'aborder très
brièvement cette facette de la propagation, d'autant plus que la Cour
elle-même a eu l'occasion de mentionner le lien existant entre le port de
signes religieux et le prosélytisme. La doctrine déjà
avait estimé auparavant que « l'extériorisation de la
croyance religieuse peut représenter cependant, et trop souvent, un
104 Voir infra III 1.2
Signalons que très récemment, dans l'affaire
Ivanovna v. Bulgarie, n°52435/99, judgement, 12 april 2007,
HUDOC, la Cour a examiné une affaire où le superviseur de la
piscine d'un établissement scolaire a été démis de
ces fonctions, du fait de ces convictions. Le gouvernement laisse entendre que
c'est parce que ce membre de « Word of Life », un mouvement
chrétien évangélique, s'adonnait à des
activité de « prosélytisme » (§82). La Cour se
réfère à l'arrêt Kokkinakis pour rappeler
que l'article 9 comprend en principe le droit de tenter de convaincre autrui
(§78). La question du prosélytisme n'est abordé que
marginalement dans cette affaire, où la Cour a conclu à la
violation de l'article 9, du fait qu'elle ait été démise
de ses fonctions en raison de ses convictions religieuses.
105 Certains auteurs semblent toutefois considérer que
la propagation des croyances relève avant tout de la liberté
d'expression, sans argumenter cette position. Voir par exemple LERNER Nathan,
Religion, Beliefs and International Human Rights, Orbis Book,
Maryknoll, New York, 2000, p. 82
106 Cette lecture nous est inspirée par Ben Achour.
« Les articles 9, 10 et 11 posent un principe [les droits de l'être
pensant] et prévoient des moyens pour sa réalisation. Le principe
est celui de l'article 9 relatif à la liberté de pensée,
de conscience et de religion. Les moyens sont ceux prévus par les
articles 10 et 11 ». ACHOUR, La Cour Européenne des Droits de
l'Homme et la Liberté de Religion, op. cit., p. 3
caractère volontairement militant, revendicatif qui en
fait un acte de militantisme et de prosélytisme religieux
».107
C'est dans le cadre de l'affaire qui concernait une
institutrice genevoise de religion musulmane, l'affaire Dahlab c. Suisse,
que la Cour mentionna pour la première fois le «
prosélytisme » en lien avec le port du foulard islamique. La
directrice générale de l'enseignement primaire interdit à
l'institutrice en question de continuer de porter le voile en classe. Cette
décision fut soutenue par les tribunaux suisses. Le Tribunal
fédéral justifia notamment son jugement en expliquant que les
enseignants « peuvent avoir une grande influence sur les
élèves; ils représentent un modèle auquel les
élèves sont particulièrement réceptifs en raison de
leur jeune âge, de la quotidienneté de la relation - à
laquelle ils ne peuvent en principe se soustraire - et de la nature
hiérarchique de ce rapport ».108 Lorsqu'il s'est agi de
mettre en balance la protection des droits des élèves avec la
protection des droits de la requérante, la Cour a repris à son
compte cet argument, estimant que le foulard islamique était un signe
extérieur fort, et cela d'autant plus qu'il s'agissait d'enfants en bas
âge (4-8 ans). « Comment pourrait-on dès lors dans ces
circonstances dénier de prime abord l'effet prosélytique que peut
avoir le port du foulard dès lors qu'il semble être imposé
aux femmes par une prescription coranique qui, comme le constate le Tribunal
fédéral, est difficilement conciliable avec le principe
d'égalité des sexes. »109
D'autres affaires ont suivi, où la Cour a estimé
que le port du voile était également une manière d'exercer
une pression, notamment sur les musulmanes qui ne portent pas le
voile.110 Le message propagé dans ce cas-là consistait
à réclamer de ces femmes qu'elles adoptassent une attitude
conforme à une lecture plus rigoureuse des préceptes islamiques.
L'argument de l'effet « prosélytique » du foulard est ainsi
repris tant dans l'affaire Sahin c. Turquie111,
que dans l'affaire
107 GARAY, « Liberté Religieuse et
Prosélytisme: l'Expérience Européenne », op. cit., p.
27
108 Dahlab c. Suisse, n° 42393/98, décision
du 15 février 2001, CEDH 2001 -V, §2
109 Ibidem
110 En réalité on remarque que dès 1993,
la Commission avait déjà jugé irrecevable deux
requêtes d'étudiantes qui ne s'était pas vu délivrer
son diplôme du fait que sur la photographie d'identité requise
à ce titre elle apparaissait voilée, estimant qu'il n'y avait pas
en l'espèce d'ingérence à l'article 9. Selon la Commission
la réglementation turque était justifiée parce qu'elle
cherchait à éviter à ce que les musulmanes qui ne portent
pas le voile ainsi que les nonmusulmanes ne soient mises sous pression.
Karaduman c. Turquie, n° 16278/90, décision du 3 mai 1993,
D. R. 74, p. 93 et Bulut c. Turquie, n°18783/91, décision
du 3 mai 1993, HUDOC.
111 Leyla Sahin c. Turquie [GC], n° 44774/98,
arrêt du 10 novembre 2005, HUDOC, § 111. Cette affaire concernait
une étudiante en médecine à Istambul qui a
été exclue de l'université en conséquence de son
choix de porter le voile en toute circonstance. La Grande Chambre a
estimé qu'il n'y avait pas de violation de la Convention en
l'espèce. Dans son opinion dissidente, la juge Tulkens considère
que l'on peut estimer que la liberté de manifester sa religion peut
être limitée par les droits et libertés d'autrui « si
le port du foulard par la requérante, comme signe religieux, avait
revêtu un caractère ostentatoire ou agressif ou avait
constitué un acte de pression, de provocation, de prosélytisme ou
de propagande portant atteinte - ou susceptible de porter atteinte - aux
convictions d'autrui. » (§8)
Köse et 93 autres c. Turquie.112
Ce que l'on constate à la lecture de cette
jurisprudence, c'est qu'une signification négative per se est
donnée au port du signe religieux.113 Il semblerait que la
réflexion de Koubi soit particulièrement pertinente à cet
égard: « un « signe » n'a de sens religieux qu'en tant
que celui qui l'expose le lui donne; et pourtant, parfois, la situation est
l'inverse, et la qualité religieuse du « signe » dépend
du regard de l'autre ». 114 Il y a de quoi se poser la question de savoir
si cette dimension négative systématiquement attribuée au
port du voile est justifiée. D'ailleurs la perception d'un
éventuel effet « prosélytique » découlant du
port du signe religieux s'inscrit dans cette logique et se trouve
évoquée non pas comme un argument pour renforcer l'idée
d'une protection sous l'article 9, mais bien au contraire comme une raison
justifiant les restrictions que les Etats ont jugé bon émettre
à l'encontre de cette pratique.
III. Les restrictions au droit de propager ses
croyances
S'il existe un droit de la source de propager ses croyances,
ce droit n'est certainement pas illimité. Sur le plan universel, le
Pacte international relatif aux droits civils et politiques contient notamment
une clause disposant que « [n]ul ne subira de contrainte pouvant porter
atteinte à sa liberté d'avoir ou d'adopter une religion ou une
conviction de son choix » (article 1 8§2). Ce
112 Köse et 93 autres c. Turquie, n°
26625/02, décision du 24 janvier 2006, HUDOC, affaire qui concerne des
élèves d'établissements secondaires publics à
vocation religieuse interdits d'accès à l'école du fait
qu'elles portaient le voile. La Cour conclut à l'irrecevabilité
des requêtes, estimant notamment que la seconde phrase de l'article 2 du
Protocole n° 1 (droits des parents en matière d'éducation
des enfants) impliquait que l'Etat, « veille à ce que les
informations ou connaissances figurant au programme soient diffusées de
manière objective, critique et pluraliste (Kjeldsen, Busk, Madsen et
Pedersen, précité, p.26) dans une atmosphère sereine,
préservée de tout prosélytisme intempestif ». Notons
tout de même que la Cour transforme en l'occurrence le dictum de
l'affaire Kjeldsen. En effet, le « prosélytisme
intempestif » contre lequel l'Etat devait veiller émanait alors
potentiellement de l'enseignant. Celui-ci devait s'acquitter de sa tâche
en respectant le principe de neutralité. En revanche dans le cas
d'espèce, le « prosélytisme intempestif » dont il faut
protéger les élèves émanerait de l'attitude des
musulmanes portant le voile.
113 BURGORGUE-LARSEN Laurence, DUBOUT Edouard, « Le Port du
Voile à l'Université. Libres Propos sur l'Arrêt de la
Grande Chambre 'Leyla Sahin c. Turquie' du 10 Novembre 2005 », Revue
Trimestrielle des Droits de l'Homme, n° 66, 2006, p. 196. « La
Cour - sans doute aveuglée par sa volonté de valoriser
coûte que coûte le principe de laïcité - a porté
un jugement défavorable sur le sens dudit voile ».
Voir aussi notamment l'opinion dissidente de Mme la juge
Tulkens: « Le port du foulard ne peut, en tant que tel, être
associé au fondamentalisme et il est essentiel de distinguer les
personnes qui portent le foulard et les « extrémistes qui veulent
l'imposer, comme d'autres signes religieux. Toutes les femmes qui portent le
foulard ne sont pas des fondamentalistes (...) » (§1 1). Et plus
loin: « je vois mal comment le principe d'égalité entre les
sexes peut justifier l'interdiction faite à une femme d'adopter un
comportement auquel, sans que la preuve contraire ait été
apportée, elle consent librement. » (§12)
114 KOUBI G., « De la Laïcité à la
Liberté de Conscience », Les Petites Affiches, 5 janv.
1990, p. 10, in GARAY, « Liberté Religieuse et Prosélytisme
», op. cit., p. 27
paragraphe a été introduit notamment dans le but
d'éviter que certaines formes de propagation des croyances ne soient
justifiées sous prétexte de liberté
religieuse.115 Dans son Observation générale
n°22, le Comité des droits de l'homme explique que « [l]e
paragraphe 2 de l'article 18 interdit la contrainte pouvant porter atteinte au
droit d'avoir ou d'adopter une religion ou une conviction, y compris le recours
ou la menace de recours à la force physique ou à des sanctions
pénales pour obliger des croyants ou des non-croyants à
adhérer à des convictions et à des congrégations
religieuses, à abjurer leur conviction ou leur religion ou à se
convertir ».116 La propagation des croyances ne sauraient donc
être admise sous toutes ces formes, notamment lorsqu'elle prend une forme
contraignante portant atteinte à la liberté du récepteur.
Toute la question est de savoir quel est le seuil à partir duquel l'on
peut considérer que l'acte de propagation porte gravement atteinte
à la liberté de religion ou de conviction d'autrui au point qu'il
faille le réprimer. Avant d'examiner plus précisément
comment le droit de la source doit être mis en balance avec la
nécessité de protéger celui du récepteur, voyons
quels sont les différentes bases de justification d'une limitation au
droit de la source dans le texte de la Convention européenne.
Les restrictions à la liberté religieuse au
sein de la Convention européenne des droits de l'homme
Le texte de la Convention européenne des droits de
l'homme ne comporte pas l'équivalent de l'article 1 8§2 dans le
Pacte. Les restrictions à la liberté de religion ou de conviction
sont envisagées au second paragraphe de l'article 9.117 On y
retrouve le schéma classique de ce genre de disposition permettant de
restreindre, sous condition, un droit de l'homme. La limitation au droit doit
être « prévue par la loi », doit poursuivre un but
légitime et être « nécessaire dans une
société démocratique ».
Ces buts légitimes sont tout d'abord la «
sécurité publique ». On peut imaginer que dans
certaines circonstances, la propagation des croyances puisse être
limitée à cet effet, à condition que cette limitation soit
proportionnelle au but visé. Dans l'affaire Arrowsmith, la
Commission a estimé que l'ingérence à la liberté
d'expression de la requérante se justifiait au regard de la protection
de la « sécurité nationale », du fait qu'elle
incitât des soldats à la désertion.118 Hors du
contexte européen,
115 Voir note 51
116 Comité des droits de l'homme, Observation
Générale No 22, op. cit. §5. Notons que le
Comité se montre très prudent en se contentant de mentionner la
force physique et les sanctions pénales comme forme de contrainte, et
choisit ainsi de ne pas ouvrir la boîte de Pandore en évitant
d'aborder les contraintes d'ordre mentales.
117 Ce paragraphe a son pendant au §4 de l'article 18 du
Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
118 Arrowsmith c. Royaume-Uni, n°7050/75, rapport
du 12 octobre 1978, D. R. 19, §§90-94
la sécurité publique sert parfois à la
justification d'ingérences à la liberté de propager ses
croyances qui peuvent paraître excessives. Certains Etats ont par exemple
estimé que la stabilité ethnique et religieuse de la population -
ou tout simplement la stabilité politique du régime en place -
devait être préservée, et qu'à cette fin, les
activités de propagation menées par des communautés
soutenues depuis l'étranger et perçues comme étant
subversives devaient être prohibées.119
Une ingérence à la liberté de religion ou
de conviction peut également se justifier par la « protection de
l'ordre ». C'est sur cette base que la Commission a décidé
que l'interdiction faite au requérant, dans l'affaire H. W. v.
Sweden, d'exprimer bruyamment ses convictions sur la place publique se
justifiait. Dans certains pays non européens, la protection de l'ordre
public est également le prétexte à des interdictions
extensive de la liberté de propager des croyances. Parce que la
propagation de certaines convictions risquerait de créer des tensions
intercommunautaires, il a parfois été estimé qu'elle
représentait un danger à l'ordre public. 120 Dans ce
contexte, ce sont souvent les croyances portées par une minorité
de personnes et impopulaires aux yeux de la majorité qui se trouvent de
la sorte limitées.
L'article 9 mentionne encore la « protection de la
santé ou de la morale publiques », mais aussi et surtout « la
protection des droits et libertés d'autrui ». Dans la perspective
de notre problématique, ce dernier objectif signifie que la propagation
des croyances peut être limitée lorsqu'elle porte atteinte aux
droits du récepteur. Autrement dit, le droit de la source doit, dans
certaines circonstances, être mis en balance avec celui du
récepteur. On peut imaginer par exemple que le droit au respect de la
vie privée du récepteur puisse être menacé par
certaines formes de propagation.121 Mais par dessus tout, c'est sa
liberté de religion et de conviction qui pourrait être
bafouée par certaines techniques de propagation. A partir de quel moment
peut-on considérer que cette liberté est menacée? Quel est
le seuil? Ce seuil est-il relatif ou absolu? Quelle forme d'intervention
étatique est envisageable pour protéger le récepteur?
Peut-il, doit-il intervenir? Une telle intervention dans ce domaine
éminemment religieux est-elle légitime?
119 STAHNKE, « Proselytism and the Freedom to Change
Religion in International Human Rights Law », op. cit., pp. 308-319. Il
mentionne l'exemple de la Malaisie, où les lois prohibant le
prosélytisme sont justifiées par la nécessité de
préserver l'Islam et ses institutions dans une société
multi-religieuse. Il cite également le cas de la République
Populaire de Chine, qui restreint les activités religieuses, dans la
mesure où elles représentent un obstacle au développement
de l'Etat socialiste. Enfin l'Ukraine est mentionnée comme exemple d'un
pays qui, dans la poursuite de la restauration des valeurs « ukrainiennes
» traditionnelles refoulées durant l'ère soviétique,
limite le prosélytisme des nouveaux courants religieux, car il est
perçu comme menaçant ce retour aux sources.
120 STAHNKE, « The Right to Engage in Religious Persuasion
», op. cit., pp. 638-639
121 LERNER, « Proselytism, Change of Religion and
International Human Rights », op. cit., pp. 483-484
Après avoir identifié l'existence d'un droit de
la source à la propagation des croyances, nous nous attacherons dans
cette partie à identifier les limitations qu'imposent l'obligation de
respecter la liberté de pensée, de conscience et de religion du
récepteur. Nous verrons dans un premier temps comment la Commission et
la Cour européennes ont identifié les formes de propagations
abusives et contraires au droit du récepteur, avant d'identifier une
liste de critères susceptibles de guider le juge dans cette
qualification du « prosélytisme abusif ». Nous mentionnerons
aussi dans le cadre de la protection des droits du récepteur, la
problématique de l'atteinte aux sentiments religieux du croyant. Nous
aborderons pour finir le débat sur le rôle de l'Etat dans la
régulation de la propagation des croyances, débat qui se trouve
au coeur des dissensions et qui partage tant la Cour que la doctrine.
1. La protection de la liberté de religion ou de
conviction du récepteur
1.1 Le droit de ne pas subir une forme de
prosélytisme « abusif »
Définir le prosélytisme « abusif »,
terme qui désigne dans le vocabulaire de la Cour une forme de
propagation des croyances qui porte atteinte à la liberté de
pensée, de conscience et de religion du récepteur, n'est
assurément pas une tâche facile. Sachant que « tout
mécanisme de communication est intrinsèquement manipulatoire en
ce qu'il implique une réaction souhaitée conforme par l'auteur du
message »,122 comment déterminer si cette manipulation
est suffisamment forte pour que l'on puisse considérer qu'elle atteint
un tel seuil? Nous nous proposons de commencer dans un premier temps par
l'examen de la réponse que la Commission et surtout la Cour
européennes ont donné à cette problématique.
1.1.1 La jurisprudence de la Cour européenne des
droits de l'homme
La Commission européenne n'a pas véritablement
développé la portée du droit du récepteur
d'être à l'abri de certaines formes de prosélytisme. Tant
pour l'affaire H. W. que pour l'affaire Van Den Dungen -
autrement dit les deux affaires où une ingérence à
l'article 9, respectivement 10, s'est vue justifiée par le but de
protéger les droits d'autrui - la Commission s'est contentée de
faire le
122 GARAY, « Liberté Religieuse et
Prosélytisme. L'Expérience Européenne », op. cit., p.
8
constat que ladite mesure était la moins attentatoire.
Elle a estimé par deux fois qu'il n'était pas interdit aux
requérants de mener leur activité de propagation par d'autres
moyens. Pour H. W., il s'agissait simplement de proclamer ses convictions sans
troubler l'ordre public, tandis que Van Den Dungen n'était soumis
à une injonction que « pour une durée limitée et une
zone bien précise ».123 Dans aucun cas la Commission
n'explique dans quelle mesure cette forme de propagation porte atteinte aux
droits d'autrui, et pourquoi il peut donc être considéré
comme nécessaire que l'Etat s'ingère dans l'exercice du droit de
la source.
Kokkikanis c. Grèce
La Cour en revanche s'est prononcée, dans les affaires
grecques, sur les droits de l'individu récepteur. Dans l'affaire
Kokkinakis tout d'abord, la Cour, après avoir constaté
que la mesure incriminée poursuivait un but légitime, à
savoir la protection des droits et libertés d'autrui,124
« met en balance cette protection légitime avec le comportement
reproché au requérant »125 afin de
déterminer si cette ingérence était bel et bien
nécessaire dans une société démocratique. A cet
égard elle affirme « qu' [i] l échet d'abord de distinguer
le témoignage chrétien du prosélytisme abusif: le premier
correspond à la vraie évangélisation qu'un rapport
élaboré en 1956, dans le cadre du Conseil oecuménique des
Eglises, qualifie de « mission essentielle » et de «
responsabilité de chaque chrétien et de chaque église
». Le second en représente la corruption ou la déformation.
Il peut revêtir la forme d'« activités [offrant] des
avantages matériels ou sociaux en vue d'obtenir des rattachements
à [une] église ou [exerçant] une pression abusive sur des
personnes en situation de détresse ou de besoin », selon le
même rapport, voire impliquer le recours à la violence ou au
« lavage de cerveau »; plus généralement il ne
s'accorde pas avec le respect dû à la liberté de
pensée, de conscience et de religion d'autrui ».126
123 Van Den Dungen c. Pays-Bas, n° 22838/93,
décision du 22 février 1995, D. R. 80, §2
124 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §44. On
relève encore une fois le choix de la Cour de faire usage de termes se
référant explicitement au christianisme en citant un rapport du
Conseil oecuménique des églises, plutôt que d'opter pour
des termes neutres et généraux. Est-ce vraiment à la Cour
de distinguer le témoignage chrétien, la « vraie
évangélisation », du « prosélytisme abusif
»? Il nous semble que la Cour n'a pas à se préoccuper de
savoir ce qui est une pratique légitime ou non au sein d'une religion,
mais plutôt d'établir une définition et des critères
juridiques permettant de déterminer objectivement la limite entre une
propagation respectueuse des droits d'autrui et le « prosélytisme
abusif ». Or la Cour refuse explicitement de donner une définition.
Rigaux critique durement cette attitude de la Cour: « Quel est ce langage
dans le chef d'une juridiction qui devrait, plus qu'aucune autre, respecter la
règle du pluralisme idéologique et de l'égalité de
toute forme de croyance ou d'incroyance? » RIGAUX François, «
L'Incrimination du Prosélytisme Face à la Liberté
d'Expression », Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme, vol.
17, 1994, pp. 146
125 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §47
126 Ibidem, §48
D'après la Cour, certaines formes de propagation des
croyances mettent donc en danger la liberté de pensée, de
conscience et de religion du récepteur. Toutefois, la Cour estime que le
gouvernement grec n'a pas démontré suffisamment en quoi le
requérant « aurait essayé de convaincre son prochain par des
moyens abusifs ».127
On peut regretter l'absence d'argumentation de la part de la
Cour, permettant de mieux saisir à partir de quel seuil la
liberté de religion du récepteur est menacée. La
définition qu'elle reprend du Conseil oecuménique des
églises doit-elle être considérée comme pouvant
avoir une portée générale, valable pour l'ensemble des cas
de limitations à la propagation des croyances? Quoiqu'il en soit, cette
définition est bien peu précise à des fins juridiques. En
effet, le fait de promettre des « avantages matériels ou sociaux
» aux nouveaux convertis doit-il réellement être un
critère d'identification du « prosélytisme abusif »?
Imaginons par exemple un individu qui se convertit à une croyance
particulière, interpellé par les gestes de
générosité de la personne source. Y a t-il eu pour autant
prosélytisme « abusif »? Il peut arriver que la distribution
d'une aide ou d'un service soit conditionnée à l'adhésion
à une certaine croyance / communauté, et que l'individu
récepteur, pour bénéficier de cette aide, rejoigne ce
mouvement religieux, de manière superficielle et temporaire, le temps de
profiter de ce service. Si de telles pratiques sont manifestement contraires
à l'éthique, fautil pour autant les considérer comme des
violations de la liberté de pensée, de conscience et de religion
d'autrui? Et si la personne se convertit authentiquement malgré une
méthode douteuse du point de vue éthique, peut-on aller à
l'encontre de la volonté du nouveau sympathisant en lui disant que son
consentement a en réalité été vicié et que
sa liberté de religion a en fait été bafouée?
Quant à la notion de « pression abusive »,
elle est un peu vague et offre bien peu d'indications pour distinguer la
propagation légitime de celle qui porte att einte à la
liberté de religion ou de conviction du récepteur. Se pose
également la question des bénéfices intangibles promis aux
nouveaux croyants. Le fait d'annoncer au récepteur que sa conversion lui
apporterait certains bénéfices spirituels, émotionnels,
psychologiques ou voire même des bénédictions
matérielles (divines) serait-il de la manipulation
d'autrui?128
Derrière ce refus de la Cour de définir la
prosélytisme abusif in abstracto, il faut sans doute
127 Ibidem, §49
128 STAHNKE, « Proselytism and the Freedom to Change
Religion in International Human Rights Law », op. cit., pp. 340-341
voir le malaise d'une chambre divisée sur cette question.
129
Alors qu'elle explique pourtant qu'il va falloir mettre en
balance le comportement du requérant avec la liberté religieuse
de la personne réceptrice,130 la Cour ne s'attache pas
à analyser les faits du cas d'espèce au regard de cet
énoncé et ne tente pas d'appliquer cette distinction qu'elle
énonce pourtant, entre « vraie évangélisation »
et « prosélytisme abusif ».131 Le gouvernement grec
avait pourtant estimé que l'insistance de Kokkinakis et sa façon
d'aborder Mme Kyriakaki132 constituaient une attitude
délictueuse. La Cour n'a pas jugé nécessaire d'expliquer
en quoi ceci n'était pas du prosélytisme abusif, ni en quoi cette
ingérence n'était pas proportionnelle au but poursuivi.
La Commission a été un peu plus loquace sur ce
point. Elle estime d'une part que les propos et l'expression d'opinions
attribués au requérant étaient manifestement inoffensifs
et ajoute qu'elle voyait mal par conséquent en quoi ils auraient pu
porter atteinte à la liberté de conscience religieuse de Mme
Kyriakaki.133 De plus, la Commission remarque que sa soi-disante
inexpérience, sa faiblesse intellectuelle et sa naïveté
n'avaient pas été démontrées.134
Deux critères émergent donc dans ce raisonnement
de la Cour visant à déterminer si l'activité de Kokkinakis
constituait ou non une forme de prosélytisme « abusif ». Il y
a d'une part la nature de l'acte lui-même, jugé inoffensif; et il
y a d'autre part la situation de la réceptrice, dont les soi-disantes
fragilité et vulnérabilité sont remises en question par la
Commission. On peut regretter que la Cour n'ait pas davantage
élaboré son argumentation sur la base de ces critères
utilisés par la Commission.
129 La doctrine a souvent reproché à la Cour de
ne pas avoir motivé davantage son arrêt sur ce point. Voir par
exemple SURREL Hélène, « La Liberté Religieuse Devant
la Cour Européenne des Droits de l'Homme », Revue Fran
çaise de Droit Administratif, 1 1ème
année, vol. 3, 1995, p. 579
130 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §47
131 La Cour se contente de relever que les juridictions
grecques n'ont fait que reproduire les termes de la loi dans leur jugement,
« sans préciser suffisamment en quoi le prévenu aurait
essayé de convaincre son prochain par des moyens abusifs. » Ibidem,
§49
132 La Grèce mentionnait l'inexpérience, la
naïveté et la faiblesse intellectuelle de cette dernière
(Ibidem, §9-10) et dénonçait « [l'] analyse «
habile » des Saintes Ecritures [de la part du requérant], propre
à « leurrer » la plaignante » (Ibidem, §46).
133 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
rapport du 3 décembre 1991, HUDOC, §72
134 Ibidem, §73
Larissis et autres c. Grèce
Dans la perspective de l'identification des droits du
récepteur, l'arrêt Larissis et autres c. Grèce du
24 février 1998 est particulièrement pertinent. En effet,
après avoir constaté que la limitation à la liberté
des officiers, de propager leurs croyances était prévue par la
loi,135 et poursuivait un but légitime - la protection des
droits et libertés d'autrui -,136 la Cour examine la
nécessité de cette ingérence. Elle établit alors
une distinction entre la propagation exercée à l'égard des
soldats et le prosélytisme envers les civils.137
La propagation au sein de l'unité de l'armée de
l'air grecque prenait la forme de discussions répétées,
généralement engagées par les officiers, avec politesse,
incitant les soldats à lire la Bible et à rejoindre leur
église, leur promettant parfois qu'ils verraient des miracles s'ils se
convertissaient. A cet égard, « [l]a Cour relève (...) que
la structure hiérarchique qui constitue une caractéristique de la
condition militaire peut donner une certaine coloration à tout aspect
des relations entre membres des forces armées, de sorte qu'un
subordonné a du mal à repousser un supérieur qui l'aborde
ou à se soustraire à une conversation engagée par
celui-ci. Ce qui, en milieu civil, pourrait passer pour un échange
inoffensif d'idées que le destinataire est libre d'accepter ou de
refuser peut, dans le cadre de la vie militaire, être perçu comme
une forme de harcèlement ou comme l'exercice de pressions de mauvais
aloi par un abus de pouvoir ».138 Par conséquent la
Grèce était fondée à prendre des mesures pour
protéger les droits des subordonnés au sein des forces
armées.
Dans le cas d'espèce, c'est donc la nature
(hiérarchique) de la relation existant entre la source et le
récepteur qui représente le critère déterminant
permettant d'établir si la liberté de religion et de conviction
du récepteur était menacée.
En ce qui concerne le prosélytisme entre civils, la
Cour conclut en revanche à une violation de la liberté de
religion ou de conviction des requérants. Elle estime en effet qu'il n'y
avait pas de pression ni de contrainte du même ordre que celle
exercée sur les soldats. En effet, les civils ne se sont pas sentis
obligés d'écouter les requérants, et dans les deux cas, ce
sont les civils qui ont fait
135 Larissis et autres c. Grèce, n°
23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février
1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I,
§§39-42
136 Ibidem, §44
137 La Cour suit en fait le raisonnement développé
par la Commission dans la même affaire. Larissis, Mandalaridis and
Sarandis v. Greece, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94,
report, 12 september 1996, HUDOC, §§72-82
138 Larissis et autres c. Grèce, n°
23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février
1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §51
appel aux requérants. La Cour relève, en ce qui
concerne Mme Zounara, qu'elle se trouvait dans un « état de
désarroi », sans estimer toutefois qu'il était établi
qu'elle fût « dans un état mental commandant une protection
particulière contre les activités évangélisatrices
des requérants, comme en témoigne le fait qu'elle a pu finalement
prendre la décision de briser tout lien avec l'église
pentecôtiste ».139
Comme la Commission dans l'affaire Kokkinakis, la Cour admet
ainsi implicitement que l'état de vulnérabilité du
récepteur pourrait entrer en compte dans la détermination du
prosélytisme de « mauvais aloi ». De plus elle utilise le fait
qu'elle ait manifestement conservée la liberté de quitter ce
mouvement comme un indicateur prouvant qu'elle n'était pas forcée
de se convertir.
Si l'on peut se réjouir de ce que la Cour ait
été plus précise dans la détermination du seuil
où la liberté de la source de propager ses croyances devient du
prosélytisme abusif, cet arrêt comporte toutefois une faille
majeure, mise en évidence en particulier par le juge Van Dijk dans son
opinion partiellement dissidente.
En effet, la façon dont la Cour, et avant elle la
Commission, traite du cas du soldat Kafkas nous semble poser un
véritable problème. Car ce soldat, qui a finalement rejoint
lui-même l'église pentecôtiste suite à ses
discussions avec les requérants, affirme qu'il n'a pas subi de pression
en ce sens et qu'il a librement consenti aux échanges qu'il a eu avec
les requérants. Or la Cour va à l'encontre de cette
appréciation des faits, en estimant que « M. Kafkas, comme les deux
autres soldats, a dû se sentir dans une certaine mesure contraint, voire
obligé de participer à des discussions religieuses avec les
requérants et peut-être même de se convertir à la foi
pentecôtiste. »140 Le juge Van Dijk s'étonne
à juste titre que la Cour n'ait pas davantage examiné les
circonstances permettant d'estimer que le témoignage du soldat Kafkas
n'était pas crédible. « [L]a Cour n'aurait pas dû s'en
remettre aux juridictions internes pour ce qui est des dépositions du
soldat
139 Ibidem, §59
140 La Cour, étonnamment, s'appuie sur le simple fait
que les juridictions internes, « mieux placées qu'elle pour
établir les faits de la cause », ont eu « l'occasion
d'apprécier les preuves, y compris le comportement et la
crédibilité de M. Kafkas » (§53). Or le jugement en
première instance a eu lieu en l'absence du prévenu, et s'est
donc appuyé principalement sur le témoignage de son père,
selon lequel il aurait été manipulé par les officiers pour
quitter l'église orthodoxe. Le juge Van Dijk regrette la position
adoptée par la Cour, et affirme qu'elle « avait (...) la
compétence de se prononcer sur le fait que la Cour d'appel, bien qu'elle
eût entendu la déposition de M. Kafkas lui-même, ait
souscrit au raisonnement du tribunal en première instance sur la
question, lequel n'avait pas entendu comme témoin le soldat Kafkas, mais
uniquement son père. (...) Je vois mal pourquoi la Cour accepte sans
examen ni contrôle les constats des juridictions internes quant au
prosélytisme à l'égard de soldats alors qu'elle adopte un
point de vue critique pour ces constats concernant le prosélytisme
vis-à-vis de civils. ». Ibidem, opinion partiellement dissidente du
juge Van Dijk.
Kafkas et de son père, et aurait dû, faute
d'indications contraires, accorder plus de poids au témoignage de la
prétendue victime de prosélytisme qu'à celui d'un
témoin dont la déposition s'appuyait sur une connaissance par
ouï-dire. »
La légèreté avec laquelle la Cour traite
cet aspect de l'affaire est d'autant plus gênante qu'elle y pose un
principe controversé, à savoir qu'une conversion, bien que
jugée authentique par le converti lui-même, pourrait être en
réalité viciée, et représenter une violation du
droit à la liberté de pensée de conscience et de religion
de l'individu récepteur. Nous verrons plus loin qu'un tel principe
repose sur une certaine conception de l'être humain et de sa
capacité à choisir son orientation religieuse, qui divise tout
autant la doctrine que les juges. Mais avant cela, il nous paraît
essentiel d'identifier plus explicitement certains critères dont la Cour
pourrait se servir de manière plus systématique lorsqu'elle
détermine le prosélytisme, afin de faire gagner en
légitimité et en force son raisonnement qui a eu tendance
à rester un peu rapide et superficiel en la matière.
1.1.2 Quelques critères pour une
détermination objective du prosélytisme « abusif »
Déterminer dans quelles conditions la propagation de
croyance porte atteinte à la liberté de pensée de
conscience et de religion d'autrui n'est assurément pas une tâche
facile. On l'a vu, la Cour a eu bien du mal à s'en acquitter de
façon convaincante. Nous nous proposons donc de passer en revue cinq
indicateurs qui pourraient guider la Cour à cet effet, à savoir
d'une part la nature de l'acte de propagation lui-même, le lieu de son
déroulement, la nature de la relation entre la source et le
récepteur, la situation personnelle du récepteur, ainsi que la
possibilité pour le récepteur, de quitter le mouvement duquel il
se serait rapproché.141 En dehors du lieu de l'action, les
quatre autres critères ont déjà été
utilisés implicitement par la Cour ou la Commission, comme nous l'avons
relevé précédemment. C'est en illustrant et en appliquant
ces critères aux faits des cas traités par la Cour que nous
tenterons d'en démontrer la pertinence.
141 STAHNKE, « The Right to Engage in Religious
Persuasion », op. cit., pp. 642-648, qui propose « quatre variables
» » pour identifier la ligne de démarcation entre
prosélytisme légitime et abusif. Ces quatre variables sont: les
caractéristiques de la source, les caractéristiques de la cible,
le lieu où le prosélytisme s'est déroulé, et la
nature de l'acte lui-même. Plutôt que d'aborder les
caractéristiques de la source, nous avons préféré
un indicateur qui tienne compte de la relativité de la position de la
source en fonction de celle du récepteur (relation source -
récepteur), et qui a été le critère
déterminant dans l'argumentation de la Cour et de la Commission en
l'affaire Larissis.
1.1.2.1 La nature de l'acte de propagation des
croyances
C'est par la nature de l'acte de propagation en tant que tel
qu'il faut sans doute commencer pour déterminer si ce comportement tend
à menacer la liberté d'autrui en matière de religion ou de
conviction. A cet égard, la distribution de tracts comme c'est le cas
dans l'affaire Arrowsmith, la discussion - ou plutôt le
monologue - de Kokkinakis, les déclarations tonitruantes de H. W. et
même la distribution de photos et les interpellations de Van Den Dungen
sont des actes relativement « inoffensifs », dont le degré de
contrainte est par nature très faible, et qui ne représentent pas
à priori un danger pour la liberté religieuse d'autrui.
Il en va déjà autrement dans l'affaire
Larissis, eu égard à l'insistance et la
répétition des discussions qui auraient été
engagées par les requérants à l'égard de certains
soldats,142 et qui s'apparenteraient à du harcèlement.
Ni la Cour ni la Commission n'ont donné d'importance particulière
à ces circonstances.
Le type de communication émis par le pasteur Murphy se
trouve sans doute en bas de l'échelle mesurant le degré de
contrainte en ce qui concerne son contenu (un appel à
réfléchir à l'identité du Christ et une invitation
à assister à la projection d'un film). En revanche, le moyen de
communication de l'annonce - la radiodiffusion - porte une dimension
contraignante plus forte: en effet, comme le relève la High Court
irlandaise, « l'auditeur d'une station de radio privée est en
pratique obligé d'écouter la publicité ».143
Autrement dit, l'auditeur peut se trouver confronté à un
message qu'il ne souhaitait pas forcément entendre. Dans ce genre de cas
il faut donc tenir compte non seulement du contenu, mais aussi du contenant,
pour déterminer le degré de contrainte d'une telle annonce.
Nous avons mentionné déjà l'affaire
Pitkevitch, affaire pour laquelle la Cour a malencontreusement
écarté une analyse substantielle sous l'angle de l'article 9. Les
faits reprochés à la requérante atteignent un degré
de contrainte sérieux, puisqu'elle aurait proposé un chantage
à certains prévenus, leur promettant une issue plus favorable
s'ils se convertissaient.144 La Cour n'a pas analysé ces
faits dans sa décision.
142 L'un des soldats aurait été abordé
une trentaine de fois par l'un des requérants et une cinquantaine par un
autre des requérants. Larissis et autres c. Grèce,
n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25
février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I,
§9
143 Murphy c. Irlande, n° 44179/98, arrêt du
10 juillet 2003, CEDH 2003-IX (extraits), § 12
144 Pitkevitch v. Russia, n° 4793 6/99, decision, 8
February 2001, HUDOC, facts
Il est à la fois symptomatique et regrettable que la
Cour, lorsque confrontée au cas de contrainte le plus grave, ait
refusé d'entrer en matière sur cette question. L'affaire en
question concernait sept personnes qui contestaient le traitement dont elles
ont été l'objet du fait de leur appartenance à une «
secte » dangereuse.145 Suite à la plainte
déposée par leurs familles, ces membres de ladite secte ont en
effet été mis en détention alors que la secte était
investiguée, avant que la police ne les remette aux mains de leurs
familles et de l'association Pro Juventud. L'association, en collaboration avec
les familles, et avec le consentement de la police, a détenu les
requérants dans un hôtel pendant neuf jours afin de les soumettre
à un processus de « déprogrammation ».146
Lorsqu'ils portèrent plainte pour détention
illégale, les juridictions espagnoles relaxèrent les
accusés, du fait que leur mobile était légitime,
philanthropique et bien intentionné de sorte que le délit de
détention illégale n'était pas
constitué.147
Lors de l'examen de l'affaire, la Cour conclut à juste
titre que l'article 5§1 de la Convention (droit à la liberté
et à la sûreté) a été violé, mais elle
n'estime pas nécessaire d'entrer en matière pour ce qui concerne
une éventuelle violation de l'article 9, jugeant que c'est « la
détention des requérants [qui] se trouve au coeur des griefs sous
examen ».148
La « déprogrammation », effectuée en
l'occurrence par un psychologue et un psychiatre, et contre la volonté
des requérants est une méthode dont la compatibilité avec
l'article 9 mériterait d'être questionnée.149
Hors du contexte européen en revanche, le Comité des droits de
l'homme a jugé contraire à l'article 18 du Pacte relatif aux
droits civils et politiques « le système de conversion
idéologique » qui vise à changer les opinions politiques
d'un prisonnier en échange d'avantages et d'un traitement favorable en
prison.150
145 Riera Blume et autres c. Espagne, n° 37680/97,
arrêt du 14 octobre 1999, CEDH 1999-VII. Les adeptes y étaient
exploités, incités à la prostitution et
séparés de leur proches et de leur famille (§13).
146 Ibidem, §14
147 Ibidem, § 16
148 Ibidem, §38
Voir aussi à ce sujet MCBRIDE Jeremy, « Autonomy of
Will and Religious Freedom », in FLAUSS Jean-François (ed.), La
Protection Internationale de la Liberté Religieuse, Bruylant,
Bruxelles, 2002, p. 128
149 Voir à cet égard cette remarque de GARAY,
« Liberté Religieuse et Prosélytisme: l'Expérience
Européenne », op. cit., p. 27: « Le risque est grand de voir
se constituer en Europe une croisade, entreprise au nom de la sauvegarde des
intérêts des individus, qui bafouerait à son tour les
droits élémentaires de la personne humaine »
Ce qu'ont soutenu les juridictions espagnoles en substance,
à savoir que la fin justifierait les moyens et que le «
deprogramming », effectué pour le « bien » des personnes
visées est par conséquent légitime, nous semble être
un raisonnement très contestable.
150 Kang c. République de Corée,
Communication n° 878/1999, constatations du 23 juillet 2003
(CCPR/C/78/D/878/1999), §7.2. L'affaire concernait un citoyen
coréen emprisonné pour avoir travailler en tant qu'espion
à la solde du régime de Pyongyong (Corée du Nord). «
Pour ce qui est de l'allégation de l'auteur selon laquelle le
«système de conversion idéologique» constitue une
violation des droits qui lui sont reconnus par les articles 18, 19 et 26 du
Pacte, le Comité note le caractère contraignant d'un tel
système, qui est maintenu par le biais du «système de
serment d'obéissance à la loi» et qui est appliqué
d'une manière discriminatoire en vue de modifier les opinions politiques
d'un prisonnier en lui offrant des incitations sous la forme d'un traitement
préférentiel et de meilleures chances d'obtenir une
libération conditionnelle. Le Comité considère qu'un tel
système, dont l'État partie
1.1.2.2 Le lieu de la propagation des croyances
Le lieu où se déroule l'action est
également un indicateur pertinent pour parvenir à
déterminer si la propagation prend une tournure abusive. Le
récepteur a-t-il volontairement choisi de venir entendre la source, ou
bien a-t-il été confronté à ce message
malgré lui?151 Est-il dans une situation d'auditeur «
captif », forcé de réceptionner la propagation des croyances
de la source?152
Dans les affaires Pitkevitch et Larissis
(pour ce qui concerne les soldats), les activités de propagation
religieuse incriminées se sont déroulées sur le lieu de
travail, auprès de personnes, semble-t-il, qui n'avaient pas
réellement d'autre choix que d'écouter les propos de ces croyants
qui cherchaient à les convaincre. Le fait que les personnes
réceptrices soient dans une situation où elles n'ont d'autre
choix que d'être soumises à la propagation est assurément
un élément à prendre en compte dans la
détermination du prosélytisme abusif, sans que pour autant il ne
suffise à lui seul pour déterminer que la liberté
religieuse d'autrui a été violée.
Le lieu du déroulement de l'action impliquant Van Den
Dungen aurait sans doute pu être déterminant pour établir
si les droits des patientes de la clinique étaient menacés et
justifier une ingérence à la liberté du
requérant.153 En effet, le requérant se trouvait aux
portes de la clinique, choquant et bouleversant des femmes déjà
souvent marquées par le fait qu'elles s'apprêtaient à se
soumettre à un traitement difficile à assumer sur le plan
psychologique. Il faut toutefois aussi tenir compte du fait que pour le
requérant, il n'y avait sans doute pas de meilleure alternative pour
atteindre le public qu'il visait, que de se placer à cet endroit
stratégique.
1.1.2.3 La relation source - récepteur
La relation, le rapport existant entre la source de la
propagation religieuse et le récepteur a été le
critère déterminant dans l'affaire Larissis. On peut
regretter encore une fois que la Cour n'ait
n'a pas pu justifier la nécessité au regard de
l'un quelconque des buts limitatifs énumérés aux articles
18 et 19, restreint la liberté d'expression et de manifestation de la
conviction en fonction du critère discriminatoire qu'est l'opinion
politique et viole par conséquent le paragraphe 1 de l'article 18 et le
paragraphe 1 de l'article 19 lus conjointement avec l'article 26. »
151 STAHNKE, « The Right to Engage in Religious
Persuasion », op. cit., pp. 644-645
152 Pour Lerner il s'agit d'une question décisive.
C'est de lui que vient cette expression d'auditeur « captif » (en
anglais « captive audience »). LERNER Nathan, Religion, Beliefs
and International Human Rights, Orbis Book, Maryknenoll, New York, 2000,
p. 83
153 Van Den Dungen c. Pays-Bas, n° 22838/93,
décision du 22 février 1995, D. R. 80. Nous avons
déjà vu précédemment que la Cour n'a pas
poussé son raisonnement jusqu'à ce stade-là.
pas appliqué un tel raisonnement dans l'affaire
Pitkevitch, où là aussi, la requérante, en tant
que juge, avait une position lui donnant un pouvoir considérable sur les
prévenus à qui elle adressait prétendument des appels
à rejoindre son église.154
S'agissant de l'impact que peut avoir un enseignant sur ses
élèves, nous avons abordé précédemment
l'affaire Dahlab, où la Cour s'est appuyée sur l'effet
prosélytique que le port du voile peut avoir sur les
élèves, sachant que l'instituteur représente un
modèle fort pour les élèves et que ceux-ci, de par leur
jeune âge, sont plus influençables.155
Ce critère de la relation source-récepteur
souligne la nécessité d'une vigilance particulière
lorsqu'il existe un rapport déséquilibré - issu notamment
de la situation professionnelle des protagonistes156 - et qui met la
source en position de force face au récepteur.
Les relations parents-enfants représentent une
situation tout à fait particulière, qu'il nous paraît
important de mentionner brièvement ici. Il est en effet reconnu aux
parents un droit d'assurer l'éducation et l'enseignement de leurs
enfants conformément à leurs convictions religieuses et
philosophiques (Protocole n°1 article 2). Cette prérogative
naturelle doit toutefois tenir compte du droit à la liberté de
religion et de conviction des enfants. La Convention relative aux droits de
l'enfant dispose à cet égard que les parents ont « le droit
et le devoir (...) de guider [l'enfant] dans l'exercice du droit [à la
liberté de pensée, de conscience et de religion] d'une
manière qui corresponde au développement de ses capacités
».157 La question de savoir comment gérer un
éventuel conflit entre le droit de l'enfant qui voudrait choisir une
orientation religieuse différente de celle préconisée par
ses parents, et le droit de ces derniers d'assumer leur rôle
éducatif ne trouve pas de réponses faciles. Si l'autorité
parentale et leur liberté de transmettre leurs valeurs et leurs
croyances ne saurait être diminuée, le principe de la
liberté religieuse voudrait que ce rôle éducatif
154 Pitkevitch v. Russia, n° 4793 6/99, decision, 8
February 2001, HUDOC
155 Dahlab c. Suisse, n° 42393/98,
décision du 15 février 2001, CEDH 2001 -V, § 1
156 STAHNKE, « The Right to Engage in Religious
Persuasion », op. cit.. La vigilance est également de mise lorsque
la source est le fournisseur d'un service essentiel (par exemple dans le cas de
l'aide humanitaire) ou lorsque la source dispose de moyens financiers
importants, comparé au récepteur.
157 Convention relative aux droits de l'enfant, adoptée
par l'Assemblée générale le 20 novembre 1989,
entrée en vigueur en 1990, article 14. Cet article a toutefois fait
l'objet de nombreuses réserves, de sorte que malgré le nombre
élevé de ratification de la Convention, tous les Etats
n'admettent pas qu'il existe un droit autonome de l'enfant en ce domaine. Voir
BREMS Eva, A Commentary on the United Nations Convention on the Rights of
the Child. Article 14. The Right to Freedom of Thought, Conscience and
Religion, Martinus Nijhoff Publishers, Leiden, Boston, 2006, 39 pp.
Dans l'affaire Çiftçi c. Turquie,
n° 71860/01, décision du 17 juin 2004, CEDH 2004-VI,
examinée sous l'angle de l'article 2 du Protocole n° 1, la Cour a
estimé que la législation turque qui interdit au garçons
non titulaires d'un diplôme d'enseignement primaire (et qui consiste de
fait une limite d'âge située à douze ans pour suivre
lesdits cours) était justifiée parce qu'elle visait à
protéger les mineurs contre un éventuel endoctrinement.
consiste aussi à préparer les enfants à
effectuer leur propre choix, un choix responsable et informé.
1.1.2.4 Le récepteur
Comme dernier indicateur de cette liste non exhaustive, il
nous semble que la situation personnelle du récepteur, et en particulier
son éventuelle vulnérabilité peut également guider
la détermination d'un prosélytisme abusif.158 Ce
critère aurait éventuellement pu être évoqué
dans l'affaire Van Den Dungen, où les patientes de la clinique,
de par le fait qu'elles s'apprêtaient à avorter, pouvaient se
trouver dans un état de vulnérabilité affectant leur
capacité à faire face à une éventuelle tentative de
manipulation.
1.1.2.5 La capacité de quitter le mouvement
Alain Garay déjà mentionnait ce moyen de mesurer
l'existence de pratiques abusives de certains mouvements. Il s'agit d'examiner
dans quelle mesure il existe des possibilités matérielles et
religieuses de quitter ce mouvement. « Un indicateur déterminant
consisterait à s'intéresser au nombre et à la
manière pour un adepte de sortir d'un groupe religieux. »159
Nous avons vu que la Cour semble s'être servie elle aussi de cet
indicateur dans l'affaire Larissis.160
Assurément, si les possibilités de quitter le mouvement que
l'on aurait commencé à intégrer sont inexistantes, il y a
de quoi s'interroger sur la compatibilité de cette propagation avec
l'article 9. En revanche on peut considérer comme un indicateur positif
le fait que la porte de sortie reste touj ours ouverte.
Tant la Cour que la Commission ont parfois peiné
à convaincre, en lisant les faits d'une manière partielle,
parfois sélective. A cet égard, le développement et
l'application plus systématique de critères, permettant
d'établir dans quelles circonstances la liberté de religion ou de
conviction du récepteur est menacée, nous semble hautement
souhaitable.
158 Dans les affaires Larissis et Kokkinakis,
le gouvernement grec a à chaque fois évoqué cet
argument, mais sans que la Cour ne l'estime fondé en l'espèce.
Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai
1993, série A n° 260-A, §§9- 10, 46; Larissis et
autres c. Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n°
26378/94, arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et
décisions, 1998-I, §§56-59 (concernant la famille
Baïramis et Mme Zounara)
159 GARAY, « Liberté Religieuse et
Prosélytisme. L'Expérience Européenne », p. 26
160 Larissis et autres c. Grèce, n°
23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25 février
1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I, §59
1.2 Le droit de ne pas être heurté dans
ses sentiments religieux
Que ce soit l'affaire Salman Rushdie, les « caricatures
danoises », les propos du pape à Ratisbonne, ou encore la campagne
publicitaire de Marithé François Girbaud (parodie de la
Cène de Lénordo da Vinci, où le rôle du Christ et de
ses disciples sont joués par des femmes) pour ne citer que quelques
exemples, la question de la façon de traiter des formes d'expressions
constituant des atteintes à la sensibilité religieuse de certains
croyants est au coeur de l'actualité. Depuis les années 80
déjà, les organes de la Convention européenne des droits
de l'homme ont été amenés à s'interroger sur
l'existence et l'étendue d'un éventuel droit des croyants de ne
pas subir d'atteintes graves à leurs sentiments religieux, du fait
notamment d'actes de diffamation religieuse, perçus parfois par les
croyants comme des actes blasphématoires. Mais jamais la Cour ni la
Commission n'ont traité d'un cas dans le cadre de la manifestation d'une
religion ou d'une conviction par l'individu où celui-ci aurait par son
comportement porté atteinte aux sentiments religieux d'autrui (art. 9
vs. art. 9). La Cour en aurait eu l'occasion lors de l'affaire Murphy c.
Irlande, comme nous le mentionnions précédemment, mais elle
a préféré s'inscrire dans le schéma plus connu de
la liberté d'expression face à la liberté religieuse (art.
10 vs. art. 9).
Un très bref survol de cette jurisprudence relativement
abondante nous semble tout de même pertinente dans le cadre de notre
étude, dans la mesure où elle met en lumière l'existence
d'un droit du récepteur de ne pas être heurté de
manière excessive dans ses sentiments religieux, sachant que la
propagation des croyances peut aussi être considérée comme
offensante pour les groupes religieux récepteurs du
message.161
Les prémisses de la jurisprudence qui s'est
développée lors des quinze dernières années
remontent à une décision d'irrecevabilité prise par la
Commission en 1980. Tandis que l'Eglise de la Scientologie en Suède se
plaignait de ne pas avoir été dédommagé
après avoir fait l'objet de propos offensants,162 la
Commission énonce le principe suivant lequel l'on ne saurait tirer de la
notion de liberté de religion « un droit d'être à
l'abri des critiques ». Mais la Commission ne s'arrête pas
là, en poursuivant qu'« [e]lle n'exclut pas toutefois la
possibilité que la critique ou l'« agitation »
161 Voir Murphy c. Irlande, n° 44179/98,
arrêt du 10 juillet 2003, CEDH 2003-IX (extraits), §38, où le
Gouvernement affirme que « la simple proclamation de la
vérité d'une religion reviendrait nécessairement à
proclamer qu'une autre religion est fausse. Ainsi, tout discours à
caractère religieux, même inoffensif, pourrait entraîner des
réactions imprévisibles et explosives ».
162 Il s'agissait des propos tenus par un professeur de
théologie, lors d'une conférence, et repris dans un journal
local. Le professeur en question y affirmait notamment que la Scientologie
était le « choléra de la vie spirituelle ». Church
of Scientology et 128 de ses membres c. Suède, n° 8282/78,
décision du 14 juillet 1980, D. R. 21, p. 113
fomentées contre une Eglise ou un groupement religieux
atteignent un niveau tel qu'ils puissent mettre en danger la liberté de
religion, auquel cas le fait pour les pouvoirs publics de tolérer pareil
comportement pourrait engager la responsabilité de l'Etat
».163 Une telle affirmation sous-entend déjà que
l'Etat pourrait avoir une obligation positive de protéger les croyants
contre une attaque verbale tellement forte qu'elle porterait atteinte à
leur liberté de religion ou de conviction.
Cet argument sera avancé par l'Autriche dans l'affaire
Otto Preminger Institut, 14 ans plus tard, pour justifier la saisie et la
confiscation de l'unique exemplaire d'un film de Werner Schroeter (Das
Liebeskonzil),164 qui devait être projeté
dans une salle d'Innsbruck et qui a été considéré
comme étant « de nature à blesser les sentiments religieux
d'une personne moyenne dotée d'une sensibilité religieuse normale
».165 Tandis que la Commission avait clairement conclut
à une violation de l'article 10 (par 13 voix contre 1 en ce qui concerne
la confiscation du film), la Cour, elle, s'est départie de cet avis, en
jugeant, dans un arrêt très critiqué,166 que
l'ingérence à la liberté d'expression de la
requérante - en l'occurrence l'association qui devait projeter le film -
était justifiée en l'espèce au vu de la
nécessité d'assurer « le respect des sentiments religieux
des croyants tel qu'il est garanti à l'article 9 », en sanctionnant
ou prévenant des « attaques injurieuses contre des objets de
vénération religieuse ».167 La Cour - reprenant
sans la citer les termes décision de la Commission de 1980 - estime que
« [c]eux qui choisissent d'exercer la liberté de manifester leur
religion, qu'ils appartiennent à une majorité ou à une
minorité religieuse, ne peuvent raisonnablement s'attendre à le
faire à l'abri de toute critique. Ils doivent tolérer et accepter
le rejet par autrui de leurs croyances religieuses et même la propagation
par autrui de doctrines hostiles à
163 Ibidem, §5
164 Le film est tirée d'une pièce d'Oskar
Panizza, qui « représente Dieu le Père comme un vieillard
infirme, Jésus-Christ comme un « enfant à sa maman »
doté d'une faible intelligence et la Vierge Marie, qui tire
manifestement les ficelles, comme une dévergondée sans scrupules
». Otto Preminger-Institut c. Autriche, n° 1 3470/87,
arrêt du 20 septembre 1994, série A n° 285-A,
§§20-22
165 Cour d'appel d'Innsbruck (Oberlandesgericht),
cité dans Otto Preminger-Institut c. Autriche, n°
13470/87, arrêt du 20 septembre 1994, série A n° 285-A,
§13.
166 Voir notamment PEYROU-PISTOULEY Sylvie, « L'affaire
Otto Preminger Institut et la Liberté d'Expression Vue de
Strasbourg: Censure ou Laxisme? », Revue Fran çaise de Droit
Administratif, 1 1ème année, vol. 6, 1995, pp.
1189- 1198; RIGAUX François, « La Liberté d'Expression et
ses Limites », Revue Trimestrielle des Droits de l'Homme, 1995,
pp. 402-415; WACHSMANN Patrick, « La Religion Contre la Liberté
d'Expression: Sur un Arrêt Regrettable de la Cour Européenne des
Droits de l'Homme », Revue Universelle des Droits de l'Homme,
vol. 6, n° 12, 1994, pp. 441-449
167 Otto Preminger-Institut c. Autriche, n°
13470/87, arrêt du 20 septembre 1994, série A n° 285-A,
§§48-49. Notons ici que ni la notion de « sentiments religieux
» ni aucune autre expression s'en rapprochant ne figurent dans le texte de
l'article 9. Etant donné que le respect des sentiments religieux nous
semble difficilement être considéré comme une «
manifestation », ce principe s'intégrerait plutôt dans la
protection du for interne de l'individu. Autrement dit, il faut comprendre
à notre avis que l'atteinte aux sentiment religieux du croyant peuvent
atteindre un degré tellement fort qu'elle prend une dimension coercitive
contraire à sa liberté de pensée, de conscience et de
religion. Une telle lecture de l'article 9 implique que l'on place un seuil
très élevé à une ingérence à la
liberté d'expression justifiée par la protection des «
sentiments religieux » d'autrui.
leur foi. Toutefois, la manière dont les croyances et
doctrines religieuses font l'objet d'une opposition ou d'une
dénégation est une question qui peut engager la
responsabilité de l'Etat, notamment celle d'assurer à ceux qui
professent ces croyances et doctrines la paisible jouissance du droit garanti
par l'article 9 (art. 9). En effet, dans des cas extrêmes le recours
à des méthodes particulières d'opposition à des
croyances religieuses ou de dénégation de celles-ci peut aboutir
à dissuader ceux qui les ont d'exercer leur liberté de les avoir
et de les exprimer. »168 Si cet énoncé est
satisfaisant dans la mesure où il semble défendre un seuil
d'ingérence limité aux cas les plus extrêmes, l'application
que la Cour en fait dans le cas d'espèce est véritablement
problématique, et ouvre la porte à une très large marge
d'appréciation nationale en la matière.169
La Cour ne se départit toutefois pas de cette approche
dans l'affaire Wingrove c. RoyaumeUni, où un film de
pornographie « douce » (Vision of Ecstasy) mettant en
scène sainte Thérèse d'Avila et le Christ, s'est vu
censuré sur la base de la loi prohibant le « blasphème
».1 70 Elle renverse là aussi la décision de la
Commission qui avait à une large majorité (14/2) estimé
que l'article 10 avait été violé. Elle s'appuie à
nouveau sur une marge d'appréciation quasi-discrétionnaire
laissée à l'Etat, du fait qu'il n'existe pas de concordance de
vue sur ce point en Europe,171 et que le juge
168 Ibidem, §47. La Cour rajoute que « dans le
contexte des opinions et croyances religieuses (...) peut légitimement
être comprise une obligation d'éviter autant que faire se peut des
expressions qui sont gratuitement offensantes pour autrui et constituent donc
une atteinte à ses droits et qui, dès lors, ne contribuent
à aucune forme de débat public capable de favoriser le
progrès dans les affaires du genre humain. » (§49)
169 Sous l'angle de la proportionnalité de la mesure,
la Cour s'appuie très largement sur la marge d'appréciation
nationale, et sur le contexte religieux spécifique au Tyrol (à
87% catholique), pour considérer l'ingérence à l'article
10 justifiée. Comme le relève à juste titre les juges
dissidents, il y a de quoi douter de la nécessité de la saisie et
encore plus de la confiscation du film. La Cour n'a notamment pas pris
suffisamment en compte le fait que le film s'adressait à un public
averti, qui choisissait d'assister à sa projection, et que de plus
l'entrée était interdite au moins de 17 ans. Ibidem, opinion
dissidente des juges Palm, Pekkanen et Makarczyk
Voir aussi PEYROU-PISTOULEY, « L'affaire Otto
Preminger Institut et la Liberté d'Expression Vue de Strasbourg:
Censure ou Laxisme? », op. cit., et WACHSMANN, « La Religion Contre
la Liberté d'Expression: Sur un Arrêt Regrettable de la Cour
Européenne des Droits de l'Homme », op. cit. Ce dernier estime
qu'« [à] l'évidence, la Cour a refusé de
déclarer contraire à la Convention les législations, voire
les constitutions des Etats parties à la Convention qui protègent
les croyances religieuses contres les attaques dont elles pourraient faire
l'objet. » (p. 444)
170 A noter que cette loi ne prohibe le blasphème
qu'à l'encontre des symboles du christianisme. Dans le cadre de
l'affaire des Versets Sataniques, la Commission a peut-être
manqué l'occasion de se prononcer sur le caractère
discriminatoire de la loi britannique sur le blasphème lors de l'examen
d'une requête provenant d'un citoyen britannique, adhérant
à la foi musulmane et estimant que la publication du livre constituait
un crime de blasphème. La Commission a déclarée la
requête irrecevable ratione materiae. Choudhury v. United Kingdom,
n° 17439/90, decision, 5 march 1991, HUDOC
171 « De puissants arguments militent en faveur de la
suppression des règles sur le blasphème, par exemple leur nature
discriminatoire à l'égard de certaines confessions, comme le
soutient le requérant, et le caractère inapproprié des
mécanismes juridiques pour traiter des questions de foi et de croyances
individuelles, comme le reconnaissait le ministre adjoint de l'Intérieur
dans sa lettre du 4 juillet 1989 (paragraphe 29 ci-dessus). Cependant, un fait
demeure: il n'y a pas encore, dans les ordres juridiques et sociaux des Etats
membres du Conseil de l'Europe, une concordance de vues suffisante pour
conclure qu'un système permettant à un Etat d'imposer des
restrictions à la propagation d'articles réputés
blasphématoires n'est pas en soi nécessaire dans une
société démocratique, et s'avère par
conséquent incompatible avec la Convention (voir, mutatis mutandis,
l'arrêt Otto-Preminger-Institut (...), p. 19, par. 49). »
Wingrove c. Royaume-Uni, n° 17419/90, arrêt du 25 novembre
1996, Recueil des arrêts et décisions 1996-V,
national se trouve mieux placé pour déterminer ce
qui est de nature à offenser gravement les croyants.172
L'affaire Murphy, que nous avons déjà
mentionné précédemment s'est inscrite dans cette
jurisprudence, la Cour concluant à l'absence de violation de l'article
10 en l'espèce, en se basant sur la proportionnalité de la mesure
(la restriction ne concernait que la publicité dans les médias
audiovisuels) sans être pleinement convaincant sur la
nécessité de l'ingérence.173 Là encore,
le contexte religieux irlandais (à 95% catholique)174 et la
marge d'appréciation nationale ont joué un rôle clef dans
l'argumentation de la Cour.
Si la Cour poursuit sur sa lancée dans l'affaire A.
I. c. Turquie, en ne condamnant pas la Turquie pour avoir censuré
un roman jugé blasphématoire à l'égard de l'islam
et son prophète, cette affaire n'en annonce pas moins un tournant dans
la jurisprudence de la Cour de par la forte opinion dissidente qu'elle a
suscitée. L'affaire a été décidée à
une majorité d'une seule voix, tandis que les juges dissidents ont
clairement appelés à un renversement de la jurisprudence que la
Cour construisait sur ces affaires depuis
Otto-Preminger-Institut.175 Cet appel semble avoir
été suivi par la Cour, qui dans les trois affaires où la
liberté d'expression avait été restreinte sur la base
d'une prétendue atteinte aux sentiments religieux des croyants et
qu'elle a traitées en 2006, a conclut à chaque fois à une
violation de l'article 10.176
§57
172 Ibidem, §58
173 La Cour peine à convaincre lorsqu'elle s'interroge
sur le fait de savoir si une mesure moins restrictive n'aurait pas pu
être envisagée, en l'occurrence un interdiction plus souple,
partielle, qui n'interdisait que certains types d'annonces à
caractères religieux (ce que d'ailleurs l'Irlande allait faire par
l'adoption d'une nouvelle loi en 2001).
174 Murphy c. Irlande, n° 44179/98, arrêt
du 10 juillet 2003, CEDH 2003-IX (extraits), §73: La Cour reprend
l'argument développé par la High Court, à savoir
que « les Irlandais ayant en général des convictions
religieuses appartenaient en général à une Eglise
particulière, de sorte qu'une annonce à caractère
religieux provenant d'une autre Eglise pouvait être tenue pour offensante
et comprise comme du prosélytisme. » Ce type d'argumentation n'est
pas sans poser problème en terme de protection des minorités
religieuses. D'autant plus qu'il y a là une contradiction avec
l'argument avancé par le gouvernement et que la Cour reprend à
son compte, et qui constitue à affirmer que cette mesure était
justifiée du fait que la diffusion d'annonces à caractère
religieux défavoriserait les religions minoritaires, car les religions
dominantes pourraient mieux exploiter leur position de force. (§78)
175 .A. c. Turquie, n° 42571/98, arrêt du
13 septembre 2005, HUDOC, opinion dissidente commune des juges Costa, Cabral
Barreto et Jungwiert, §8: « il est peut-être temps de «
revisiter » cette jurisprudence, qui nous semble faire la part trop belle
au conformisme ou à la pensée unique ».
176 Giniewski c. France, n° 64016/00,
arrêt du 31 janvier 2006, HUDOC. Le cas concerne un un journaliste
reconnu coupable de diffamation pour avoir offensé la communauté
catholique dans la critique d'une encyclique papale, où il estimait que
l'anti-judaïsme de l'Eglise conduisait à l'antisémitisme
d'où germent les idées et l'accomplissement d'Auschwitz.
Aydýn Tatlav c. Turquie, n° 50692/99,
arrêt du 2 mai 2006, HUDOC. Le cas concerne un auteur, condamné
à une amende pour avoir publié un ouvrage intitulé La
Réalité de l'Islam qui « profanait l'une des religions
». Klein v. Slovakia, n° 72208/01, judgement, 31 october
2006, HUDOC. Le cas concerne un journaliste condamné pour diffamation
suite à la rédaction d'un article satirique visant
l'archevêque catholique de Slovaquie et qui avait offensé la
communauté catholique.
Plusieurs enseignements peuvent être retirés de
ce bref survol de la jurisprudence, dans le cadre de notre
problématique. La Cour a clairement reconnu que l'expression d'un
message pouvait être limité lorsqu'elle portait atteinte aux
sentiments religieux. On peut considérer que ceci vaut non seulement
pour l'article 10, mais aussi pour l'article 11 - comme la Cour l'a
implicitement reconnu dans l'affaire Öllinger c. Autriche -,
ainsi que pour l'article 9. A en croire cette jurisprudence, si la propagation
des croyances heurte excessivement les « sentiments religieux » du
récepteur, l'Etat serait habilité à s'ingérer, en
limitant le droit de la source. Mais, comme semble l'indiquer l'heureuse
évolution de la position de la Cour depuis un peu plus d'un an, le seuil
permettant de considérer que la balance penche en la défaveur de
la source doit être élevé. La liberté d'expression -
tout comme la liberté de religion ou de conviction, qui inclut la
liberté de propager ses croyances - est l'un des fondements essentiels
de la société démocratique. « Sous réserve du
paragraphe 2 de l'article 10 (art. 10-2), elle vaut non seulement pour les
"informations" ou "idées" accueillies avec faveur ou
considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais
aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent l'État ou
une fraction quelconque de la population. Ainsi le veulent le pluralisme, la
tolérance et l'esprit d'ouverture sans lesquels il n'est pas de
"société démocratique".177 Ne pas prendre cette
injonction de la Cour au sérieux amènerait non seulement un rejet
de la tolérance véritable - celle qui accepte l'existence et
l'expression d'idées et de convictions différentes, voire
critiques - mais imposerait aussi un certain conformisme et même une
répression à l'égard de ceux dont les idées
(religieuses) sont refusées par la majorité.
2. Le rôle de l'Etat dans la protection du
récepteur contre le prosélytisme « abusif »
Sachant que les droits du récepteur peuvent, dans
certaines circonstances, être menacés par la propagation des
croyances, quelle peut, quelle doit être l'attitude de l'Etat face
à ce fait de nature religieuse? Dans quels cas et de quelle
manière est-il habilité à intervenir? Lorsque la Cour
européenne a été confrontée à cette
question, elle a fait montre d'une profonde division. Lors de l'examen de
l'affaire Kokkinakis, la chambre était divisée en trois
positions, défendues chacune par trois juges.178 Il nous
semble que cette division s'explique et se fonde sur différentes visions
de l'être
A noter aussi que dans une autre affaire, la Cour a
établi une violation de l'article 11 (liberté de réunion
et d'association), dans une affaire où le gouvernement autrichien
justifiait l'ingérence à la liberté de réunion des
requérants par la nécessité de protéger les
sentiments religieux d'autrui. Öllinger c. Autriche, n°
76900/01, arrêt du 29 juin 2006, HUDOC
177 Handyside c. Royaume-Uni, arrêt du 7
décembre 1976, série A n° 24, p. 23, § 49
178 RIGAUX, « L'Incrimination du Prosélytisme Face
à la Liberté d'Expression », op. cit., p. 149
humain, de sa capacité de choisir d'adhérer
à une religion ou conviction et du rôle de l'Etat dans la gestion
de ce fait religieux. La Cour semble accepter que l'Etat puisse intervenir sur
la base d'une loi prohibant le prosélytisme « abusif », dans
des termes assez vagues.179 Mais au sein de la majorité
même, trois juges se départissent de cette position: selon eux,
une telle ingérence étatique est à éviter, car elle
ne relève pas du ressort de l'Etat, à moins que la propagation
prenne une forme répréhensible au regard du droit civil ou
pénal général.180 A l'autre extrême,
l'opinion dissidente dans ces mêmes affaires grecques estime que l'Etat
non seulement peut, mais encore se doit d'intervenir contre tout
prosélytisme qui dépasserait le simple échange
d'idées.181 Nous nous proposons de passer en revue ces trois
positions, en tentant d'identifier aussi la compréhension de
l'être humain et de son rapport au religieux qui sous-tend ces positions.
Il nous semble en effet que c'est là que réside le coeur de la
controverse.
2.1 L'intervention conditionnée ou l'individu
vulnérable
Dans les affaires grecques, face aux arguments des
requérants qui estimaient que la jurisprudence relative à cette
loi était incohérente et ne permettait pas de savoir quel type de
comportements étaient véritablement prohibés, la Cour a
répondu que la loi était précise et que la jurisprudence
était suffisamment cohérente.182 Par ailleurs les
requérants ont avancé que cette loi ne contenait pas de substance
objective183 et englobait potentiellement toutes les pratiques
visant la propagation des croyances, ce à quoi le gouvernement grec a
répondu que la substance de la loi était claire et bien
circonscrite, et qu'elle visait à prohiber les tentatives de modifier
l'essence de la conscience religieuse d'autrui.184 La Cour,
suffisamment divisée sur ces questions, a préféré
ne pas se prononcer sur la compatibilité de la loi per se avec
les articles 7 et 9 de la Convention, se
179 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §§35, 37,
41, 51-53. A la lecture des différentes opinions des juges jointes
à l'arrêt, il semble que seuls les juges Bernhardt, Lopez Rocha,
et Ryssdal souscrivent pleinement à cet arrêt.
180 C'est la position défendue par les juges Martens
(opinion partiellement dissidente), Meyer (opinion concordante) et Pettiti
(opinion partiellement concordante). Ils considèrent que la loi grecque
est contraire à l'article 9 voire même à l'article 7
(nulla poena sine lege) - selon Martens - de la Convention per
se.
Dans l'arrêt Larissis, le juge Meyer (opinion
concordante) réitère sa position sur l'illégitimité
de la loi grecque, tandis que le juge Repik y affirme
l'illégitimité de la loi grecque tant au titre de l'article 9 que
de l'article 7 dans le cadre de son opinion partiellement dissidente.
181 Voir l'opinion dissidente des juges Foighel et Loizou, et
l'opinion dissidente du juge Valticos. Ce dernier, rallié par le juge
Morenilla, réaffirme cette position dans son opinion partiellement
dissidente à l'arrêt Larissis.
182 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §§40, 52
183 Ibidem, §38; Larissis et autres c. Grèce,
n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, arrêt du 25
février 1998, Recueil des arrêts et décisions, 1998-I,
§32
184 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §39
contentant d'en examiner l'application.185
Pourtant il y a de quoi s'interroger sur le motif
véritable justifiant cette loi, quand on s'aperçoit que dans sa
mise en oeuvre, elle a exclusivement servi à protéger
l'église orthodoxe et ses membres contre les tentatives de faire changer
certains de confession.186 Cette limitation était-elle donc
véritablement « nécessaire dans une société
démocratique »? Etait-elle une mesure appropriée à la
« protection des droits et libertés d'autrui »? Il y a
véritablement de quoi en douter.
Une petite partie de la doctrine soutient l'idée que
l'Etat peut s'interposer de la sorte par le biais d'une loi spécifique,
afin de protéger l'individu menacé de voir sa conscience
religieuse indûment altérée.187 Dans cette
perspective, l'Etat se doit de garantir les conditions d'un libre choix de
l'individu en matière d'orientation religieuse. Selon cette approche,
l'être humain est manipulable, il peut être vulnérable dans
certaines situations, à la pression d'autrui, et prendre des
décisions qui lui sont en réalité imposées de
l'extérieur. Face aux risques d'endoctrinement, de domination, de
manipulation et de pression psychique, l'Etat est habilité à
intervenir et se porter au secours de la victime de cette propagation
abusive.
Toute la question réside alors dans la
nécessité de déterminer le seuil à partir duquel
l'Etat peut intervenir. Or ce genre de loi ouvre la porte à des
interventions même pour des actes au degré de contrainte
relativement faible. A l'instar du cas grec, un individu source peut même
être condamné bien que la personne réceptrice ne se plaint
pas d'avoir été l'objet d'un prosélytisme abusif.
2.2 L'interventionnisme ou l'individu
infantilisé
Selon l'opinion dissidente dans les affaires grecques, l'Etat
est pleinement habilité à intervenir, sur la base d'une
interprétation large de la loi en question. Autrement dit, dès
que la discussion dépasserait le simple échange de vue, et que la
source tenterait subrepticement
185 Ibidem, §§35, 39-41, 53; Larissis et autres c.
Grèce, n° 23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94,
arrêt du 25 février 1998, Recueil des arrêts et
décisions, 1998-I, §§32-35, 39-42
186 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, §§18-21
187 Voir notamment SICILIANOS, « La Liberté de
Diffusion des Convictions Religieuses », op. cit., pp. 217-218: « la
valeur suprême qui risque d'être menacée aujourd'hui est
celle de la libre volonté de la personne (...). Il faudrait donc essayer
de renforcer l'arsenal juridique existant en la matière en partant du
droit au libre développement de la personnalité de chacun.
»
d'influencer le récepteur, l'Etat serait
habilité à intervenir. Une telle démarche donnerait un
pouvoir considérable à l'Etat, et restreindrait
sérieusement la liberté de religion de la source. Cette position
interventionniste repose sur une vision infantilisée du
récepteur,188 où un Etat paternaliste se sent en
devoir d'intervenir pour éviter que l'individu ne fasse un choix sous
l'influence d'une tierce personne. Cette lecture de la liberté
religieuse portée notamment par le juge Valticos, est évidemment
problématique et éminemment conservatrice,189 et ne
semble pas avoir trouvé de soutien dans la doctrine.
Elle a d'ailleurs été critiquée par un
certain nombre d'auteurs et par une partie des juges de la Cour, qui estiment
qu'au contraire l'Etat n'est pas dans son rôle s'il intervient de la
sorte dans la sphère des relations interpersonnelles à
caractère religieux.
2.3 Le « laisser faire » ou l'individu
responsable
L'approche privilégiant le « laisser faire »
est portée par une très large majorité de la
doctrine.190 Les tenants de cette position estiment qu' « [e]n
principe l'Etat n'a (...) pas compétence pour intervenir dans ce «
conflit » entre la personne qui se livre au prosélytisme et son
interlocuteur ».191 Ceux-ci dénoncent par
conséquent les risques de dérives paternalistes, pour ne pas dire
autoritaires que comporte la position interventionniste.192 Ces lois
sur le prosélytisme
188 GARAY, « Liberté Religieuse et
Prosélytisme. L'Expérience Européenne », op. cit., p.
8
189 Selon cette position, le statu quo religieux est
perçu comme le meilleur garant de la liberté religieuse.
190 EDGE, « The Missionary's Position after Kokkinakis v
Greece », op. cit.; FERRARI, « La Liberté Religieuse à
l'Epoque de la Globalisation et du Postmodernisme: la Question du
Prosélytisme » op. cit.; GONZALEZ, La Convention
Européenne des Droits de l'Homme et la Liberté des Religions,
op. cit.; GUNN Jeremy T, « Adjudicating Rights of Conscience Under
the European Convention on Human Rights », in VAN DER VYVER Johan D, WITTE
John, Jr. (eds.), Religious Human Rights in Global Perpective. Legal
Perspectives, Martinus Nijhoff Publishers, The Hague / Boston / London,
1996, pp. 305-330; RIGAUX, « L'Incrimination du Prosélytisme Face
à la Liberté d'Expression », op. cit.; SURREL, « La
Liberté Religieuse Devant la Cour Européenne des Droits de
l'Homme », op. cit.; TAYLOR Paul, « The Basis for the Departure of
the European Standard under Article 9 of the European Cnvention on Human Rights
from Equivalent Universal Standards », Web Journal of Legal Current
Issues, 5th issue, 2001, disponible sur Internet au lien
suivant:
http://webjcli.ncl.ac.uk/2001/issue5/taylor5.html,
soutiennent tous cette position et regrettent que la Cour ne se soit pas
prononcée sur l'incompatibilité de la loi grecque avec la
Convention.
191 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion partiellement
dissidente du juge Martens, § 15
192 Pour le juge Pettiti par exemple, « [l]e domaine des
convictions spirituelles, religieuses ou philosophique fait appel à la
sphère intime des croyances et au droit de les exprimer et manifester.
Entrer dans un système répressif sans gardefous est
périlleux et l'on sait à quels errements ont conduit les
régimes autoritaires qui tout en affirmant dans leurs constitutions la
liberté de religion, la restreignaient par des incriminations
pénales visant le parasitisme, le « subversif » ou le «
prosélytisme ». » La loi grecque « permet à tout
moment de sanctionner la moindre tentative pratiquée pour convaincre son
interlocuteur. (...) « Des critères aussi incontrôlables que
faits de prosélytisme de « bon ou mauvais aloi » ou
prosélytisme « intempestif » ne peuvent assurer la
sécurité juridique. ». « On peut se demander si le
principe même de l'application d'une loi pénale en matière
de prosélytisme est compatible avec l'article 9 (art. 9) de la
Convention. » Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A,
laissent en effet une très large discrétion au
juge national dans le cadre de leur application, et peuvent représenter,
à l'instar de la loi grecque, une menace à la liberté de
propagation de la source. De plus, selon le juge Martens, l'Etat n'est plus
dans la position de neutralité qu'il devrait occuper en matière
religieuse, s'il s'érige en arbitre pour juger si tel ou tel
comportement est de bon ou de mauvais aloi.
Par conséquent, les tenants du « laisser faire
» prônent un seuil d'intervention étatique très
élevé dans ce domaine religieux. Ainsi pour le juge Pettiti, ce
n'est que lorsque l'on tente de « forcer le consentement » d'autrui
que l'Etat est habilité à intervenir. Des comportements «
tels que [le] lavage de cerveau, [les] atteintes au droit du travail, [les]
atteintes à la santé publique ou [l]'incitation à la
débauche (...) doivent être sanctionnés en droit positif
par les qualifications de droit commun pénal. »193 Quant
au juge Martens, il préconise un seuil encore plus élevé.
Selon lui, la stricte neutralité de l'Etat dans ce domaine exclut toute
ingérence à moins d'une infraction d'ordre physique telle des
coups et blessures. Même s'il est fait usage de « formes graves de
coercition intellectuelle », le juge reste réticent à
avaliser une ingérence, « puisqu'il est à l'évidence
difficile d'établir quand des moyens intellectuels de conversion
franchissent la ligne de démarcation entre un enseignement insistant et
intensif qu'il faut autoriser, et une coercition intellectuelle voisine du
lavage de cerveau », à moins que ces méthodes atteignent un
niveau tel qu'elles relèvent de l'article 3 de la Convention
(interdiction de la torture et autres peines ou traitements inhumains ou
dégradants).194 Dans la perspective du « laisser faire
», la propagation n'est pas acceptable lorsque elle aboutit clairement
à une « conversion forcée » mais le simple
prosélytisme « abusif » n'est pas suffisant pour justifier une
ingérence.
Au coeur de cette approche de la liberté religieuse se
trouve l'idée que l'individu, être humain doté de raison,
est fondamentalement responsable de ses choix concernant son orientation
religieuse.195 Dès l'affaire Arrowsmith, l'on trouve
une inquiétude face aux risques que comporte une
opinion partiellement concordante du juge Pettiti
Voir aussi l'avertissement du juge Martens, qui déclare
que « compte tenu de la vague montante d'intolérance religieuse, il
est impératif de circonscrire le plus rigoureusement possible les
pouvoirs de l'Etat en la matière. » Kokkinakis c. Grèce,
n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A n°
260-A, opinion partiellement dissidente du juge Martens, §16
193 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion partiellement
concordante du juge Pettiti
194 Kokkinakis c. Grèce, n° 14307/88,
arrêt du 25 mai 1993, série A n° 260-A, opinion partiellement
dissidente du juge Martens, §§17-18
195 L'actuelle Rapporteuse spéciale des Nations Unies
sur la liberté de religion ou de conviction se situe également
dans le camp du « laisser faire ». Parce que « la liberté
de religion ou de conviction des adultes est intrinsèquement une
question de choix personnel, toute restriction généralisée
imposée par l'Etat (par exemple par le biais de la loi) pour
vision infantilisée du récepteur du message de
propagation, et qui semble faire du récepteur un individu irresponsable,
incapable de faire face raisonnablement aux croyances religieuses qui lui sont
présentées.196
Vouloir protéger absolument le libre choix de la
personne est une entreprise difficile, dans la mesure où la question de
savoir comment et dans quelle mesure l'être humain est capable
d'effectuer librement ses « choix » est
controversée.197 Interdire les influences et les tentatives
de faire changer de position la personne n'est certainement pas la bonne
solution. Au contraire, dans la perspective de la liberté de l'individu
de pouvoir choisir sa religion ou conviction, une propagation saine des
croyances devrait être encouragée, si l'on veut que ce choix
puisse se faire de manière informée. Peter Edge rappelle à
juste titre que la propagation ne doit pas être perçue comme un
fait négatif, que l'on tolère tant qu'il ne dépasse pas un
certain seuil de gravité. S'il invite à quitter ce qu'il appelle
le « paradigme du prédateur », c'est justement parce qu'une
telle perspective passe à côté de la valeur positive du
prosélytisme pour le récepteur et la société en
général.198 Si l'article 10 mentionne la
liberté de « recevoir » des idées ou informations, une
telle liberté fait aussi sens au regard de l'article 9, non seulement
pour que chacun puisse faire un choix en connaissance de cause, mais aussi et
tout simplement pour une question d'ouverture, de tolérance
véritable et d'acceptation et de compréhension de l'autre dans sa
différence.
protéger la liberté de religion et de conviction
d' « autrui » en restreignant le droit de chacun de mener des
activités missionnaires est à éviter » (Rapport
A/60/399, op. cit, §62). Par conséquent elle déconseille
d'ériger en infraction pénale des actes non violents commis dans
le cadre de la propagation des croyances afin d'éviter notamment
d'ouvrir la voie à la persécution des minorités
religieuses (Ibidem, §65). Elle critique implicitement le jugement de la
Cour européenne dans l'affaire Larissis en ce qui concerne le
soldat Kafkas, estimant que toute crainte à l'égard de certaines
conversions ou des moyens utilisés pour les susciter devrait être
exprimée avant tout par la victime présumée (§65).
Elle distingue par ailleurs les cas de coercition, des cas de propagation qui,
tout en ne constituant pas une violation des droits de l'homme, « n'en
suscitent pas moins de vives inquiétudes parce qu'ils portent atteintes
à une culture de tolérance religieuse. » (Ibidem
§66-67)
196 « Chercher à influencer des personnes
responsables de leurs faits et gestes est, en matière politique ou
autre, un aspect essentiel de la liberté d'expression et d'opinion. Si
ces personnes sont en fait amenées à accepter les convictions,
opinions ou idées ainsi exprimées ou font usage des informations
qui leur ont été communiquées pour les influencer, elles
le font essentiellement sous leur propre responsabilité. »
Arrowsmith c. Royaume- Uni, n° 7050/75, rapport du 12 octobre
1978, D. R. 19, opinion séparée, en partie dissidente de M.
Opsahl.
On retrouve cette idée dans une déclaration du
juge Martens: L'Etat a « le devoir d'admettre qu'en règle
générale toute personne est capable de choisir son sort de la
manière qu'elle juge la meilleure ». Kokkinakis c.
Grèce, n° 14307/88, arrêt du 25 mai 1993, série A
n° 260-A, opinion partiellement dissidente du juge Martens, §15
197 EDGE Peter W., « Religious Rights and Choice Under
the European Convention on Human Rights », Web Journal of Legal
Current Issues, 3rd issue, 2000, disponible sur Internet au
lien suivant:
http://webjcli.ncl.ac.uk/2000/issue3/edge3.html
198 EDGE Peter W., « The Missionary's Position after
Kokkinakis v Greece », Web Journal of Legal Current Issues,
2nd issue, 1995, disponible sur Internet au lien suivant:
http://webjcli.ncl.ac.uk/articles2/edge2.rtf
Voir aussi GONZALEZ, La Convention Européenne des
Droits de l'Homme et la Liberté des Religions, op. cit., pp. 92-93,
101
IV. Conclusion
La question de la propagation des croyances est un
phénomène dont les enjeux sont complexes. Intérêts
religieux ou étatiques et droits individuels de la source ou du
récepteur s'entremêlent, s'opposent parfois. Nous l'avons dit, la
société occidentale post moderne aborde ce
phénomène avec méfiance. Dans d'autres
sociétés, plus que de la méfiance, c'est par la
répression que l'on y répond. Cependant, le droit international
des droits de l'homme qui protège la liberté religieuse, comprend
un droit de propager ses croyances. Il est important que la Cour
européenne des droits de l'homme reconnaisse ce droit à tous les
mouvements religieux et à toutes les convictions au sens de l'article 9,
même lorsque la propagation prend une forme non traditionnelle (et non
familière aux juges). Ce faisant, il est souhaitable que la Cour
développe une terminologie précise et surtout, neutre et
générale, évitant de faire usage d'un vocabulaire
tiré de l'une ou l'autre des religions.
De plus, il nous semble que la Cour devrait se concentrer
à développer une argumentation solide et objective basée
sur l'analyse de la légitimité de la restriction (art. 9§2),
et adopter d'une manière générale une attitude très
souple dans la reconnaissance des religions et convictions ainsi que de leurs
possibles manifestations (art. 9§1). Peu importe finalement que l'on
considère la propagation comme une forme de pratique ou bien
plutôt comme un enseignement. Les décisions et
arrêts de la Cour y gagneraient sans doute en cohérence et en
force de raisonnement. Dans cette optique, l'usage d'un certain nombre de
critères permettant de déterminer si le degré de
coercition de l'acte de propagation est tel que l'individu récepteur est
victime d'une forme de prosélytisme « abusif » portant
atteinte à sa capacité d'exercer sa liberté religieuse est
souhaitable.
Enfin, la Cour doit aller jusqu'au bout de la reconnaissance
du droit à la propagation des croyances religieuses, en n'attribuant pas
une coloration négative à ce phénomène, que l'on
« tolérerait » tant qu'il n'atteint pas un certain seuil de
coercition à l'égard du récepteur. En effet, nous l'avons
vu, la Cour a rarement été à l'aise dans les affaires
relevant de l'article 9, et notamment dans les affaires de propagation
religieuse. Le contraste est saisissant avec la doctrine qui s'est
penchée sur la question, et qui s'est prononcée nettement plus en
faveur de la liberté de propager ses croyances, en remettant en cause
l'existence de lois prohibant le prosélytisme « abusif ». Si
la propagation des croyances est protégée par la liberté
de religion et de conviction, elle doit être appréhendée
comme un élément positif non seulement dans le cadre de la
liberté personnelle de la
source, mais aussi comme une valeur ajoutée pour la
société elle-même. En effet, une liberté religieuse
véritable, qui protège la possibilité d'un choix
informé, ne doit pas s'opposer à ce que les uns tentent de
convaincre les autres, tant que ceci se fait dans le respect des droits
d'autrui, d'une manière qui laisse l'autre capable de refuser, et dans
le respect de sa sensibilité.
Alors que la Cour examine en ce moment même une affaire
de propagation de croyance,199 il est à espérer
qu'elle saura éviter ces écueils. Surtout, la Cour devrait se
garder de soutenir la position « interventionniste », en maintenant
fermement l'importance de protéger la liberté de propager, sans
que l'Etat ne s'ingère dans ces interactions interpersonnelles, à
moins que l'attitude coercitive de la source ne le requiert. Pour
déterminer la nécessité d'une telle ingérence, il
est essentiel que la Cour assoie autant que possible sa position sur une
analyse objective des faits. La Cour a reconnu le droit à la
liberté de propagation religieuse, et c'est une première
étape importante. L'on peut souhaiter que, s'appuyant sur cet acquis, la
Cour assume sa responsabilité, sans fuir l'article 9, en affirmant sans
ambages l'importance et la valeur d'une propagation des croyances saine, qui
contribue à valoriser la liberté de religion et de croyance
autant pour la source que le récepteur et à enrichir une
société véritablement pluraliste et tolérante.
199 Une affaire concernant un « missionnaire »
américain de l'église « Morning Star International »,
d'inspiration protestante, et dont le permis de séjour « aux fins
d'activités religieuses » n'a pas été
renouvelé a été déclarée recevable par la
Cour. Perry c. Lettonie, n°30273/03, décision du 18
janvier 2007, HUDOC
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n° 8282/78, décision du 14 juillet 1980, D. R. 21, p. 113
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Poland, n° 34055/96 (joined), decision, 18 april 1997, HUDOC
Karaduman c. Turquie, n° 16278/90, décision
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14307/88, rapport du 3 décembre 1991, HUDOC
Larissis, Mandalaridis and Sarandis v. Greece, n°
23372/94, n° 26377/94, n° 26378/94, report, 12 september 1996,
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et 11568/85, décision du 6 juillet 1987, D. R. 53, p. 150
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