2.1.5. Concept d'organisation paysanne
Selon Stewart (1986), une organisation paysanne est une
collection d'individu qui agissent et prennent des décisions ensemble
plutôt qu'individuellement. Cette action de prise de décision
collective doit viser une résolution de problèmes communs ou
l'atteinte d'objectifs communs. La notion d'organisation paysanne vise à
entraîner les paysans dans des actions collectives. L'exercice de ces
actions collectives amène les membres à être solidaire de
l'ensemble. La réussite des activités de l'organisation
dépend donc de la cohésion interne du groupe. La cohésion
interne traduit la cohésion et l'harmonie qui doivent exister à
l'intérieur des groupements.
Un obstacle à la cohésion, interne tient aux
dissensions entre membres d'un groupement. Ces dissensions peuvent provenir
soit de rivalités personnelles, soit de divergences
d'intérêts à l'intérieur d'un groupe
homogène, pour des raisons économiques, ethniques, religieuses ou
politiques. La solidarité constitue l'élément clé
de la cohésion interne des groupements et donc de la réussite des
actions collectives.
Le dispositif amélioré étant introduit
aussi au niveau des groupements, son adoption dépendra du bon
fonctionnement de ces groupements et de la cohésion interne de ces
derniers.
2.2. Revue des théories sur l' adoption et la
diffusion des innovations
Plusieurs théories ont été
développées pour appréhender les facteurs
déterminants l'adoption et la diffusion des paquets technologiques
développés en direction des paysans. Les premières
théories sont celles dites de "la diffusion des innovations" dont
l'auteur le plus connu sur ce paradigme est Everett. M. Rogers. Selon Rogers
(1983) l'adoption d'une innovation est perçu comme un processus
caractérisé par cinq phases que sont :
(1)- la connaissance : l'individu est exposé à
l'innovation et acquiert quelques notions sur son fonctionnement.
(2)- la persuasion : l'individu amorce une prise de position au
sujet de l'innovation.
(3)- la décision : l'individu s'engage dans des
activités lui permettant d'adopter ou de rejeter l' innovation.
(4)- la mise en oeuvre : l'individu utilise l'innovation au
quotidien et l'évalue.
(5)- la confirmation : l'individu tente d'obtenir des
informations venant renforcer son choix.
Pour Rogers, ce sont les caractéristiques de l'innovation,
telles quelles sont perçues par les individus, qui déterminent
son taux d'adoption. Cinq attributs caractérisent une
innovation : son avantage comparatif, sa comptabilité
avec les valeurs du groupe d'appartenance, sa complexité, la
possibilité de la tester, et sa visibilité. Rogers classe les
individus selon cinq profils types : les innovateurs, les premiers
utilisateurs, la première majorité, la seconde majorité et
les réfractaires. Ainsi donc, Rogers établit sa théorie
sur un ensemble de typologies dans le but de suivre l'évolution du taux
d'adoption (qui décrit une courbe en S), considéré comme
la variable descriptive essentielle de la diffusion. Ce classement des
adoptants en différentes catégories est intégré
dans le processus de diffusion sur une échelle de temps : le profil des
adoptants passerait d'un groupe restreint et marginal à un groupe plus
large d'adoptants, puis à un bassin de plus en plus représentatif
de la population.
Rogers distingue trois types d'unités de prise de
décision :
- la décision individuel : l'individu choisi d'adopter
ou de rejeter l'innovation indépendamment de la décision des
autres membres de son système social. Cependant, la décision de
l'individu est influencée par les normes de son système et par
son réseau d'information interpersonnel ;
- La décision collective : les individus choisissent
collectivement d'adopter ou de rejeter l'innovation. Tous les membres du
système social doivent se conformer à la décision du
groupe une fois la décision prise. Cette forme de prise de
décision peut s'observer au niveau des organisations paysannes comme les
groupements de transformation de riz dans le cas de notre étude ;
- La décision autoritaire : dans ce cas c'est un groupe
d'individu qui prend la décision. L'individu, membre du système,
a très peu ou pas d'influence sur le processus de prise de
décision. Mais il l'applique cependant. Cette forme de prise de
décision peut s'observer dans les industries, ONGs ou organisations
étatiques.
En résumé, selon Rogers les facteurs qui
influence le taux d'adoption d'une innovation sont : les
caractéristiques de l'innovation, l'unité de prise de
décision, le canal de communication, la nature du système social
et la compétence du vulgarisateur. L'intérêt majeur de la
théorie de Rogers est qu'elle permet de décrire tout le
réseau social de circulation d'une innovation au sein d'une
société.
Cependant, cette théorie n'est pas exempte de critique.
Selon Rogers, la diffusion d'une innovation interviendrait seulement lorsque
l'innovation est achevée et prête à être
adoptée. Cette " vision positiviste de la technologie"
révèle une passivité chez les individus, qui accepte ou
non l'innovation, même s'il parle de "réinvention" pour rendre
compte de la
façon dont les acteurs modifient les innovations qu'ils
adoptent. Aussi, selon cette théorie, la réticence à
adopter des innovations est due à la prédominance, dans les
sociétés paysannes, d'attitudes et de valeurs traditionnelles,
une préférence pour les habitudes et les anciennes façons
de faire, une résistance au changement. Cette théorie simplifie
trop l'échec de la diffusion des innovations parce qu'elle l'attribue
aux seuls facteurs liés aux paysans. De plus, le classement des
adoptants potentiels empêche de tenir compte des phénomènes
d'abandon après l'adoption pourtant très important dans
l'analyse. L'individu peut décider en effet de rejeter l'innovation
à n'importe quel moment et pas seulement lors de la prise de
décision.
En retenant la perception de l'individu des
caractéristiques de l'innovation comme seul facteur déterminant
sa prise de décision, Rogers minimise ainsi l'influence que peut avoir
la perception des autres membres du système social de l'individu sur sa
prise de décision. Les caractéristiques de l'innovation
suffisent-elles pour expliquer la décision d'adoption ou de rejet des
acteurs ? Les acteurs ont-ils toujours les ressources nécessaires pour
l'adoption de l'innovation ? L'innovation répond-t-elle toujours aux
besoins / priorités et aspirations des acteurs ? Les acteurs sont-ils
touj ours libres de leurs décisions ?
La théorie de Rogers n'intègre pas les objectifs
ou aspirations des individus de même que les facteurs liés aux
sources d'informations dans le processus de prise de décision. Or, selon
Van Den Ban (1994), les paysans attachent beaucoup d'importance à leurs
sources d'informations. De plus, Rogers ne prend pas en compte les facteurs
comme le coût initial de l'innovation, les facteurs liés au risque
et les facteurs institutionnels (l'accès au crédit, la
disponibilité des opportunités comme le marché) pourtant
très important dans le processus d'adoption. En effet, l'influence du
coût initial et le risque relatif lié à l'innovation sur
son adoption ont été démontrés par Lindner et
al. (1982); Lindner (1987); Tsur et al. (1990); Leathners and
Smale (1990); Feder and Umali (1993); Bart et al. (1999) et Ghadim
et al. (1999). Selon ces auteurs, le coût initial de
l'innovation est un facteur important qui détermine la décision
d'adoption des paysans surtout dans le cas des ménages pauvres. Ceci
signifie que lorsque les paysans ont un accès limité au capital,
même les innovations les plus profitables ne seront pas adoptées
si elles nécessitent un investissement initial élevé.
L'influence des facteurs institutionnels a été
démontrée par Houndékon et Gogan (1996) ; Cimmyt (1993) et
Feder et al. (1995).
Par ailleurs, Rogers dans son analyse minimise la dimension
cognitive de l'individu en expliquant l'adoption de l'innovation par la
corrélation entre les ressources de l'individu et les avantages de
l'innovation. Ce n'est pas ce qu'un acteur est capable de faire qu'il doit
faire,
mais c'est ce que son système social lui permet de
faire (De Sardan , 1995 et COMPAS, 2006). Ceci prouve l'importance de
l'influence sociale sur l'individu.
Pour tenir compte de la dimension cognitive de l'individu,
Röling (2000) a proposé un modèle d'analyse du processus
d'adoption des innovations sur la base de la théorie biologique de la
cognition de Maturana et Varela (1984). Ce modèle considère
l'innovation comme un processus d'apprentissage social. Il intègre les
valeurs du système social et les aspirations des acteurs. Mais la
question qui se pose est que dans un contexte de savoir social, est-il normal
de considérer les acteurs isolement et de traiter les autres agents
sociaux comme «l'environnement » biophysique. L'argument
utilisé contre ce modèle est que même si l'environnement
biophysique peut être vu comme pouvant agir sur la décision des
acteurs, il faut noter qu'il ne peut pas cerner la perception des autres
acteurs sociaux.
Leeuwis et Van Den Ban (2003) proposent un modèle
alternatif qui présente les variables de base importantes pour la
compréhension des pratiques paysannes et leurs réponses aux
innovations. Selon ce modèle, les individus ne sont pas des acteurs
isolés dans la société. Leurs perceptions sont
influencées par celles des autres acteurs de leur système social.
Ils définissent à cet effet quatre ensembles de variables qui
expliquent les attitudes des individus (acteurs sociaux) :
> l 'évaluation du cadre de
référence
La décision d'un acteur au sujet d'une innovation
dépend de sa perception des conséquences (technique ou
socio-économique), de l'incertitude et du risque et, de son
évaluation des conséquences et risques de l'innovation
vis-à-vis de ses aspirations. Cette évaluation dépend
également de ses expériences passées.
> la perception de l 'efficacité de l
'environnement social
L'un des plus importants facteurs qui influence les pratiques des
acteurs sociaux est leur perception du réseau de support social de leur
environnement. Ceci inclus l'organisation de l'offre des intrants, la
disponibilité des services et opportunités, le système de
crédit etc. Ainsi donc la décision de l'adoption du dispositif
amélioré d'étuvage dépendra alors de la perception
des individus de la disponibilité des ressources nécessaires
à son utilisation optimale dans leur milieu de vie, des services
connexes et des opportunités qui s'offre pour le riz
étuvé.
> la perception de l 'auto efficacité
Leeuwis mentionne que les pratiques des acteurs sociaux ne
sont pas seulement façonnées par leur confiance du fonctionnement
des organisations / institutions qui les entours mais aussi par leur confiance
en leur propre capacité à mobiliser les ressources, leur
compétence et habileté, leur perception de la validité de
l'évaluation de leur cadre de référence et leur
habileté à contrôler ou s'accommoder aux risques. Ainsi
donc, les acteurs sociaux peuvent rejeter une innovation (bien qu'ils
perçoivent son avantage par rapport à leur pratique
traditionnelle) parce qu'ils ne sont pas sûre de pouvoir appliquer
correctement toutes les recommandations liées au paquet technologique ou
encore que les services connexes sont inexistants. Ceci montre le degré
d'aversion au risque des paysans et fait ressortir la notion de
complexité comme caractéristique de l'innovation
déterminant son adoption soulevée par Rogers.
> relation sociale et pression sociale
Les pratiques des acteurs sociaux sont influencées par
les pressions qu'ils subissent de la part des autres acteurs avec qui ils sont
en relation. En effet, les acteurs sociaux ne sont pas des acteurs
isolés dans un environnement neutre. Ils sont directement ou
indirectement en relation avec d'autres acteurs qui les influencent dans leur
prise de décision. Ainsi, un acteur peut être amené
à rejeter une innovation, non pas parce qu'il n'a pas les ressources
nécessaires pour l'adopter ou qu'il ne perçoit pas ses avantages,
mais parce que son environnement social ne lui permet pas de l'adopter. Les
acteurs sociaux analysent les avantages (récompenses) et les
inconvénients (sanctions) liés à l'adoption d'une
innovation et ceci sur le plan social, organisationnel et relationnel. Les
acteurs sociaux seront réticents à l'adoption d'une innovation
qui affectera négativement leurs relations avec d'autres membres du
système social. Les acteurs sociaux sont donc très sensibles au
maintien du tissu social préexistant.
En définitive, ce modèle analyse la
problématique de l'adoption des innovations en situant l'individu dans
sa réalité sociale tenant compte du réseau d'influence
sociale dans lequel il se trouve. Cependant, il fournit peu d'informations sur
la gestion des conflits d'intérêts (entre les acteurs sociaux) qui
peuvent subvenir suite à l'introduction d'une innovation.
Compte tenu de nos objectifs nous choisirons la théorie
de Leeuwis comme fil conducteur de notre recherche malgré ses
insuffisances signalées ci-dessus. Ce choix est
motivé par le fait que la théorie de Leeuwis
analyse la question de l'adoption d'une innovation dans une perspective
holistique. Elle n'attribut pas l'échec de la diffusion des innovations
aux seuls facteurs liés au paysan. Elle intègre les objectifs ou
aspirations des individus de même que les facteurs liés aux
sources d'informations dans le processus de prise de décision.
L'influence du réseau social de l'individu dans sa prise de
décision n'est pas aussi occultée par cette théorie.
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