Etude comparée de l'arbitrage international dans l'OHADA et en Suisse( Télécharger le fichier original )par Cassius Jean SOSSOU BIADJA Université de Genève - DEA 2006 |
§ II-. LE DROIT APPLICABLE AU FOND ET LA SENTENCE ARBITRALE DE DIPUne petite mise au point d'ordre procédural mérite d'être faite avant toute analyse. Un tribunal arbitral de DIP dispose, dans sa démarche de traitement du litige au fond, de deux alternatives. Soit, il s'applique à statuer en droit et dans ce cas, il tranche le fond du litige conformément aux dispositions d'une règle de droit préalablement choisie par les parties ou à défaut, définie par lui. Soit, il statue en amiable compositeur, à la seule condition qu'il en ait reçu compétence exclusive des parties. L'amiable composition est encore appelée arbitrage et équité par opposition à l'arbitrage en droit. Nous verrons dans la suite du développement que, le législateur suisse a préféré le terme d'arbitrage en équité par opposition au codificateur OHADA qui, a jeté son dévolu sur l'expression amiable composition. Qu'importe ! Les deux veulent signifier la même chose. D'ailleurs, l'expression latine ex aequo et bono veut aussi signifier la même chose mais, est moins usitée parce que peut être un peu trop rébarbative. Enfin, notons qu'à l'issu du procès arbitrale, la décision rendue par le tribunal (qui est la sentence), qu'il ait statué en droit ou en équité, doit remplir un certain nombre de critères exigés par les lois d'arbitrage. Les voies de recours ouvertes contre les sentences ne peuvent que respecter le canevas légal que représentent les lois d'arbitrage. Appliquées au cas OHADA et suisse, qu'est-ce que cela donne ? C'est tout le sens du développement à suivre. A-. LE FOND DU LITIGEDROIT COMPARE Art. 15 AU.A "Les arbitres tranchent le fond du litige conformément aux règles de droit désignées par les parties ou à défaut choisies par eux comme les plus appropriées compte tenu le cas échéant des usages du commerce international. Ils peuvent également statuer en amiable compositeur lorsque les parties leur ont conféré ce pouvoir". Art. 187 LDIP 1) " Le tribunal arbitral statue selon les règles de droit choisies par les parties ou, à défaut de choix, selon les règles de droit avec lesquelles la cause présente les liens les plus étroits. 2) Les parties peuvent autoriser le tribunal arbitral à statuer en équité". ----------------------------------------------------- 1-. AMIABLE COMPOSITION ET ARBITRAGE EN EQUITE : L'AUTRE FACETTE DU TRAITEMENT DU LITIGE AU FOND EN DROIT OHADA ET SUISSEL'arbitrage en équité (selon la terminologie suisse) ou en amiable composition (pour emprunter les termes du texte de l'AU.A) est une autre manière de trancher le fond du litige, sans pour autant statuer en se référant aux règles de droit d'une structure préétablie ou à la loi d'un Etat. Dans un arbitrage international, le tribunal saisi d'un litige peut être aussi amené à statuer ex aequo et bono c'est-à-dire en amiable compositeur ou en équité. En droit OHADA, les dispositions de l'AU.A qui confèrent au tribunal arbitral le pouvoir de statuer en amiable compositeur, relèvent de l'al. 2 de l'art. 14 selon lequel, les arbitres "peuvent [...] statuer en amiable compositeur lorsque les parties leur ont conféré ce pouvoir". La formulation en droit suisse de l'arbitrage international, de la possibilité qui est offerte au tribunal arbitral de statuer ex aequo et bono est à peu près identique. Selon l'al. 2 de l'art. 187 "les parties peuvent autoriser le tribunal arbitral à statuer en équité". On note en droit comparé, une formulation quasi classique et identique dans les dispositions de la loi-type de la CNUDCI à l'art. 28 al. 3 "le tribunal arbitral statue ex aequo et bono ou en qualité d'amiable compositeur uniquement si les parties l'y ont expressément autorisé". Plusieurs conséquences juridiques peuvent être déduites de ces dispositions sur l'arbitrage en équité. La première remarque que l'on peut dégager de la lecture de toutes ces dispositions, fait apparaître que, l'arbitrage en équité a un caractère double exceptionnel : - d'un côté, il requiert que la convention des parties sur ce point soit explicite. En effet, le pouvoir d'amiable compositeur doit résulter d'une volonté certaine des parties. Dans le doute, il y a lieu de considérer que telle n'a pas été la volonté des parties et donc, le litige sera traité au fond en droit. Le non-respect de cette volonté des parties entraînerait de toute évidence, en cas de recours, l'annulation de la sentence au motif que le tribunal arbitral ne se serait pas conformé à la mission qui lui aurait été confiée. - de l'autre côté, c'est les parties qui doivent, pour ce faire, donner l'autorisation expresse au tribunal arbitral, lui concédant le pouvoir de trancher le fond du litige sans avoir l'obligation de se référer à une norme quelconque. P. LALIVE le confirme si bien lorsqu'il affirme que, l'arbitrage en équité postule "une solution prise en considération du cas d'espèce sans égard à des normes générales préexistantes"77(*). Une deuxième remarque, porte sur le fait qu'avec l'amiable composition, s'il est une seule évidence à laquelle il faut se rallier, c'est que les pouvoirs du tribunal arbitral se trouvent être élargis. Lui donnant une large amplitude dans sa manière d'appréhender le litige. Fort de cela, un tribunal arbitral de DIP pourra appliquer le correctif d'équité pour trancher de la manière la plus juste possible, le litige qui lui est soumis. Du point de vue pratique, il n'est relevable aucune contradiction lorsque les parties dans une clause, confient au tribunal arbitral de DIP la mission d'amiable composition tout en désignant une norme juridique quelconque pour régir leur relation. Cela voudra tout simplement s'interpréter comme leur volonté de voir la norme choisie, être prise en compte par le tribunal arbitral qui, dans sa décision au fond doit passer l'examen du litige par le filtre de l'équité. Dans le même registre, il est fort intéressant de noter que même dans un arbitrage de DIP, la matérialisation préalable de l'accord sur l'amiable composition préfigurant dans la convention n'est pas requise comme condition de validité de l'accord sur l'amiable composition. Nous voulons signifier par là que, l'amiable composition peut intervenir en cour de procédure et même, peut être partiel. Ce cas est récurrent lorsque, les parties imposent à l'arbitre que la partialité de l'accord d'amiable compositeur, porte sur les différends nés de l'inexécution du contrat ou encore sur les conséquences pécuniaires (évaluation des dommages intérêts) résultant de l'inexécution du contrat, alors qu'il reçoit les pouvoirs de statuer en droit pour les litiges nés de la validité du contrat. En résumé, l'accord sur l'arbitrage en équité peut bénéficier d'une flexibilité lui permettant l'application d'un régime juridique dual ou multiple. Tout dépend du bon vouloir des parties détentrices du pouvoir de réglementation de la norme applicable. La troisième remarque avec l'amiable composition est relative à la procédure. Quoique les dispositions sur l'arbitrage en équité se trouvent être insérées dans la plupart des lois d'arbitrage, en l'occurrence celles que nous étudions, il n'y a aucun doute sur le fait que, les pouvoirs d'amiable compositeur conférés aux tribunaux arbitraux ne concernent exclusivement que le fond du litige et non la procédure arbitrale. Même si cette précision n'est pas apportée dans ces lois, la doctrine et la jurisprudence arbitrale s'autorisent à rappeler que, l'autorisation de statuer en équité ne vise que le fond du litige et non la procédure. En conséquence, l'amiable composition ne doit pas permettre au tribunal arbitral d'écarter les règles de procédure posées, le cas échéant, par les parties dans leur convention d'arbitrage "l'arbitre décidant de statuer en équité est donc tenu de respecter les règles impératives de procédure et l'ordre public procédural".78(*) C'est le cas des règles essentielles de la procédure qui, découlent de l'application des principes d'égalité des parties et de la possibilité de faire valoir leurs droits. Les tribunaux se doivent naturellement de les respecter. Abordant dans le même sens, le tribunal arbitral n'est pas déchargé de l'obligation de motiver sa sentence lorsqu'il statue en équité ou ex aequo et bono. Ces solutions sont classiques et, on les retrouve en droit comparé et par voie de conséquence en droit OHADA et suisse de l'arbitrage international. La quatrième remarque, porte sur les limitations au pouvoir de statuer en équité. Lorsqu'on affirme, du point de vue du fond du litige, que l'amiable composition permet de statuer en équité, on en induit le fait que le tribunal arbitral a, de ce fait, la latitude d'écarter ou d'adapter les règles de droit applicables au litige. Cette faculté d'adaptation ou d'exclusion du droit n'est cependant pas illimitée. En d'autres termes, le tribunal arbitral peut écarter ou adapter des lois supplétives, des usages du commerce, des lois impératives de protection d'une des parties. Cependant, il est exclu que cela puisse être le cas pour des lois d'ordre public. Ainsi, il ne lui est pas pour autant permis d'ignorer l'application des règles d'ordre public s'imposant à la situation d'espèce. Toutes ces remarques, faut-il le rappeler, sont les conséquences du pouvoir de statuer en amiable composition ou en équité que, les réglementations relatives à l'arbitrage international OHADA et suisse formulent dans leurs dispositions respectives. Par ailleurs, l'opportunité de la demande en annulation d'une sentence, en cas de recours contre l'usurpation du pouvoir de statuer en équité ou, l'exercice non autorisé de ce pouvoir par le tribunal arbitral, est controversée aussi bien en droit OHADA qu'en droit suisse de l'arbitrage international. En effet, le seul grief susceptible d'être admis contre la sentence en droit suisse c'est l'incompatibilité de la sentence à l'ordre public de l'art. 190. al. 2 let. e. Il s'en conclut que la chance de voir une telle demande prospérée est quasi nulle. Il en est de même en droit OHADA car, dans les dispositions de l'art. 26 al. 7 AU.A il est précisé que le recours en annulation n'est recevable que [...] si la sentence arbitrale n'est pas motivée. Seule l'absence de motivation contre la sentence peut justifier la recevabilité d'un recours sur la base de cette disposition. Cependant, l'une des questions auxquelles les deux lois d'arbitrage n'apportent aucune précision, est celle de savoir si le tribunal arbitral de DIP statuant en équité est tenu par les dispositions du contrat à l'origine du différend qu'il doit trancher. En droit OHADA, l'AU.A ne donne aucune réponse à cette question, le seul bémol vient du règlement d'arbitrage qui considère que "dans tous les cas l'arbitre tiendra compte des stipulations du contrat" (art. 17 RA). Idem en droit suisse de l'arbitrage international où le texte du chapitre 12 LDIP est muet sur cette question. Pourtant, la réponse à cette question permettra de déterminer la portée de l'arbitrage en équité par rapport aux dispositions contractuelles ; autrement dit, les pouvoirs du tribunal arbitral statuant en équité sur le contrat litigieux. Le tribunal arbitral dispose t-il d'un pouvoir modérateur au regard des stipulations contractuelles comme le suggère la doctrine française79(*) ? Sinon doit-on considérer que le tribunal arbitral statuant en équité ne dispose d'aucun pouvoir sur le contrat litigieux ? Nous n'apporterons pas une réponse à ces questions par souci de limitation de page. * 77 G. KAUFMANN-KOHLER / A. RIGOZZI, arbitrage international droit et pratique à la lumière de la DIP, éd. Weblaw, Berne 2006, Schulthess, Zurich/Bâle/Genève 2006, p. 275. * 78 Ibidem, p. 276. * 79 Sur cette question voir P. Meyer, OHADA Droit de l'arbitrage, Bruylant 2002, p. 191. En France on admet que le tribunal arbitral dispose d'un pouvoir modérateur vis-à-vis des stipulations contractuelles. Ce pouvoir lui permet de tempérer les droits nés du contrat sans pouvoir modifier, au moins, substantiellement les obligations contractuelles. En revanche il ne lui est pas permis de bouleverser, de réviser ou de dénaturer ledit contrat. |
|