Discriminations et conflits, Contribution à l'étude de la « conscience de condition » de la population de Ngaba( Télécharger le fichier original )par Jean Pierre Mpiana Tshitenge wa Masengu Université de Kinshasa - D.E.A en sociologie 2004 |
Section 1 : Revue de la littérature1.1 Repères théoriques.De manière générale, les études sur les inégalités sociales se réalisent sous deux courants différents répondant aux idéologies visiblement opposées8(*). Le premier d'obédience libérale représenté par la sociologie américaine, insiste sur la fonction remplie par la stratification et s'intéresse aux équilibres, aux structures, plus qu'aux changements. Le principe est que la stratification sociale répond à une nécessité sociale, et le problème est d'examiner comment le fonctionnement de telle ou telle société détermine tel ou tel système de stratification. Pour ce courant, c'est l'existence et la distribution des récompenses qui contribuent à maintenir l'ordre social qui sont à l'origine de la stratification. L'étude des inégalités sociales consiste en l'analyse des mécanismes sociaux qui répartissent les statuts et qui font en sortent que chaque individu joue le rôle correspondant à son statut. Ce courant est représenté par Talcott Parsons. Celui-ci, dans le sillage de Max Weber, considère que la stratification sociale est un système des hiérarchies fondées sur les valeurs suprêmes de chaque société. Les échelles de valeurs sont elles-mêmes en rapport avec l'action sociale, c'est-à-dire avec « l'activité intentionnelle que déploient les individus dans le cadre des institutions », et, en définitive, avec ce que la société considérée juge désirable. La société, estime-t-il, fonde ses jugements de valeur relatifs à la stratification en prenant en considération divers avantages qui se ramènent à trois catégories. Ce sont, d'abord, les qualités que l'individu possède personnellement, en dehors de toute circonstance particulière, par exemple : son intelligence, sa noblesse ; et c'est la société qui, suivant son échelle de valeurs, accordera plus moins d'importance à telle ou telle qualité pour évaluer la position sociale. Ce sont, en second lieu, les réalisations (ou »performances »), autrement dit l'activité de l'individu dans son rapport avec autrui. Ici encore, il appartient à la société d'évaluer et de hiérarchiser ces accomplissements de telle ou telle façon selon ses valeurs essentielles. Par exemple, dans certaines sociétés, ce sont les performances techniques qui sont les plus prisées ; dans d'autres, ce sont les prouesses guerrières. Enfin, en troisième lieu, l'évaluation des activités peut se faire par rapport à l'acquis, c'est-à-dire à la possession de certains objets (fortune) ou de certains talents et compétences (diplômes, etc.). Ces trois caractéristiques ne sont évaluées que par rapport aux valeurs essentielles de la société. Parsons estime qu'il y a quatre types de valeurs qui président au fonctionnement de toute société. Ce sont l'universalisme, la définition des fins, l'intégration et le maintien des modèles culturels. L'universalisme, qui peut être aussi appelé capacité d'adaptation, correspond à la nécessité pour toute société de s'ajuster à ses conditions d'existence et concerne la rationalité telle que Max Weber l'entend, c'est-à-dire, en définitive, l'efficience, l'efficacité technique, la mise en oeuvre des moyens propres à réaliser une fin. Le second type de valeur (qu'il eût été peut-être plus logique de placer en premier) est la définition du but ou la satisfaction du but atteint et concerne les normes d'accomplissement. Chaque société se propose certaines finalités collectives qu'elle cherche à faire prévaloir sur les intérêts individuels. Le troisième type, qui est l'intégration, considère la solidarité sociale comme valeur primordiale. Les actions sont, de ce point de vue, jugées bonnes ou mauvaises selon qu'elles favorisent ou empêchent l'intégration des individus dans la société et leur solidarité entre eux. Enfin, le quatrième critère est le maintien du modèle. Chaque société a son modèle culturel propre, avec ses structures et ses normes, et elle tend à les conserver. C'est en somme le traditionalisme qui est ici la valeur suprême. Somme toute, nous constatons que Talcott Parsons, dans la perspective fonctionnaliste, n'analyse qu'une face de la réalité sociale : celle du maintien de l'ordre social existant. Il semble ignorer l'autre face de la même réalité : celle des forces sociales de contestation de cet ordre. Il est bien entendu que l'idéologie libérale qui guide ses travaux ne lui permet pas d'aller au-delà de l'optique fonctionnaliste. Le deuxième courant est d'inspiration marxiste. Il met l'accent sur les conflits engendrés par les inégalités et s'intéresse au processus historique. Pour ce courant, il y a, dans toute société passée ou présente, une inégale distribution des biens qui entraîne un déséquilibre entre la masse de ceux qui ne possèdent pas les richesses et le petit nombre de nantis. Ce déséquilibre est générateur de luttes conduisant à des transformations sociales. Nous pouvons dire qu'à chaque phase du développement historique se déroule un processus dialectique par lequel le système de production fait naître une classe dominante et, en même temps, produit des conditions du progrès de la classe dominée qui prendra le pouvoir dans la période suivante. Dans cette perspective, la théorie de la stratification sociale se ramène alors pratiquement à l'étude de la formation des classes sociales, de leurs luttes et des lois de leur devenir. Ce qui caractérise une classe, pour ce courant, c'est son unité, son insertion dans le processus de production, la conscience qu'elle a de son existence, son opposition aux autres classes et aussi un certain nombre de caractères communs à tous ses membres, comme les modes de vie, les intérêts et la culture. Karl Marx distingue la classe en soi qui résulte de l'organisation objective de la production et la classe pour soi qui suppose la prise de conscience collective des intérêts de classe. Au sein du mode de production capitaliste, l'exploitation repose sur la contradiction entre travail et capital eux-mêmes constitués en classes sociales antagonistes, le prolétariat et la bourgeoisie. A propos de la conscience de classe, condition suffisante pour la constitution d'une classe dans l'optique marxiste, Emmanuel Terray9(*) fait remarquer qu'une classe n'intervient comme principe de détermination des événements que dans la mesure où elle forme un ensemble cohérent, capable de réflexion, de délibération et d'actions collectives. Le repérage des classes implique que l'on identifie pour chacune d'elles, non seulement le rôle économique qu'elle exerce, mais aussi les institutions et les procédures par lesquelles elle se donne les moyens de penser et d'agir comme un sujet unique. A cet égard, l'énumération des fonctions économiques n'est qu'une étape, il faut examiner comment la classe au sens économique du terme se transforme en force politique. Ici, les genres de vie, les formes de sociabilités, les domaines comme ceux de l'éducation, du mariage, des loisirs, de la culture, ...prennent une importance capitale. C'est en eux qu'un agrégat d'individus prend conscience de son unité et se transforme en corps cohérent susceptible d'intervenir de façon concertée. Actuellement, les efforts tendent vers la conciliation de ces deux modèles extrêmes par la saisie des facteurs qui sont à la fois à la base de l'intégration et de dynamisme des systèmes sociaux. On peut citer ici les travaux de Gérhard E. Lenski qui observe qu'il y a, dans la vie sociale, à la fois un certain consensus sur lequel insistent les fonctionnalistes et une coercition sur laquelle les marxistes mettent l'accent. La coopération et le conflit sont deux éléments de la vie sociale. * 8 L'essentiel de cette synthèse est extrait de l'article de CAZENEUVE, J., « Les stratifications sociales. Les hiérarchies, les classes, les castes », in Sociologie, Dictionnaires Marabout université, tome 3, Paris 1972 * 9 TERRAY, E., Cité par BIAYA, T.K et OMASOMBO, T. J., « Les classes sociales dans les réalités zaïroises », in KANKWENDA, M., Le Zaïre vers quelle destinée ?, Codesria, Dakar, 1992, p.105 |
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